La lettre juridique n°261 du 24 mai 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] De la rémunération du travailleur à domicile

Réf. : Cass. soc., 10 mai 2007, n° 05-44.313, Société Assonance, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0926DW9)

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le 07 Octobre 2010


L'article L. 721-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6718ACS), introduisant le chapitre relatif aux travailleurs à domicile, prévoit, parmi les conditions nécessaires à la qualification de travail à domicile, l'existence d'une rémunération dite forfaitaire. Si on la définit habituellement comme une rémunération dont les critères sont fixés et convenus à l'avance, ses caractéristiques plus précises restent relativement floues (1). Il faut donc se réjouir qu'un arrêt rendu par la Chambre sociale le 10 mai 2007 y apporte quelques précisions. En refusant que la rémunération soit subordonnée au payement par un client de la tâche commandée au travailleur, la Cour de cassation clarifie la notion de caractère forfaitaire de la rémunération (1). De la même manière, elle apporte un début de réponse à la question de la rémunération minimale du travailleur à domicile (2).

Résumé

La rémunération forfaitaire du travailleur à domicile ne peut être subordonnée au règlement par le client de la commande qu'il a enregistrée. En outre, à défaut de fixation du salaire horaire et du temps d'exécution des travaux, conformément aux dispositions des articles L. 721-9 (N° Lexbase : L6733ACD) à L. 721-17 (N° Lexbase : L6741ACN) du Code du travail, le travailleur à domicile a droit à une rémunération au moins égale au Smic horaire pour le nombre d'heures de travail effectuée.

1. Précisions quant au caractère forfaitaire de la rémunération

  • La définition de la rémunération forfaitaire

L'article L. 721-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6718ACS) demeure pour le moins laconique. S'il pose comme condition à la qualification de travailleur à domicile le fait de percevoir une rémunération forfaitaire, il ne donne pourtant aucun élément permettant de mieux cerner cette notion.

On admet de manière classique que la rémunération peut être considérée comme étant forfaitaire lorsqu'elle est déterminée selon un tarif fixe et connu d'avance (2). C'est, notamment, le cas pour des rédacteurs-correcteurs percevant une rémunération déterminée selon un tarif horaire fixé et connu à l'avance (3), ou encore pour un maquettiste rémunéré à l'annonce sur la base d'un prix unitaire non modifiable (4). En revanche, cette qualification est refusée pour un rédacteur d'articles historiques qui choisit librement ses sujets et effectue son activité littéraire en dehors de toutes normes préétablies (5).

  • En l'espèce

Les faits ayant donné lieu à l'arrêt commenté concernaient une télévendeuse ayant conclu un contrat de travail à durée indéterminée, à domicile et à temps partiel. Le contrat comportait des clauses spécifiques relatives à son temps de travail ainsi qu'à sa rémunération. S'agissant du temps de travail, le contrat stipulait que la durée totale effective de travail serait liée au volume des travaux confiés à la salariée. S'agissant de la rémunération, il prévoyait une rémunération au forfait calculée en fonction d'un barème annexé au contrat, barème prévoyant des tarifs fixés à une certaine somme "par commande enregistrée et payée par le client".

Il pouvait donc apparaître, au moins à première vue, que le tarif était bien fixé et convenu à l'avance entre le salarié et l'employeur. L'existence d'un barème idoine en était certainement la meilleure garantie. Pourtant, la Cour de cassation, suivant ainsi la cour d'appel, estime que le mode de rémunération n'est pas adéquat. En effet, la clause consistant à subordonner la rémunération du travailleur à domicile au règlement par le client de la commande est déclarée illicite.

Bien entendu, les juges ne contestent pas la possibilité pour l'employeur d'un travailleur à domicile de fixer la rémunération à la tâche. C'est plutôt la condition attachée à cette rémunération qui pose difficulté : il n'est pas envisageable pour les juges de conditionner l'existence même de la rémunération de la salariée au paiement de la commande par le client de l'employeur. Autrement dit, la rémunération du salarié ne peut être soumise à la bonne exécution d'un contrat conclu entre la société employeur et l'un de ses clients. Cette solution nous paraît particulièrement bienvenue, et ce pour au moins deux raisons.

  • La rémunération forfaitaire doit être fixe

La solution paraît, tout d'abord, opportune parce qu'elle permet de renforcer l'exigence de fixité liée au caractère forfaitaire de la rémunération. En effet, on voit mal pour quelle raison le travailleur à domicile devrait subir les aléas de la bonne exécution de contrats auxquels il n'est pas partie. Ce serait là faire peser sur le salarié un risque qui, normalement, doit être supporté par l'entreprise. Mais, au-delà, cela brouillerait le caractère de fixité des critères de la rémunération, caractère qui pourrait varier selon que les clients de l'entreprise se trouvent être de bons ou de mauvais payeurs.

Le caractère de fixité de la rémunération forfaitaire du travailleur à domicile est ainsi respecté, ce qui s'avère être conforme à la logique adoptée par la Chambre sociale concernant les clauses de variabilité de la rémunération des travailleurs à domicile. Le salarié ne doit pas être tenu d'un quelconque aléa concernant sa rémunération puisque ses critères doivent avoir été clairement fixés, si bien que les clauses de variabilité sont proscrites dans cette hypothèse (6).

Cette solution est également logique car elle préserve la qualité de salarié au travailleur à domicile.

  • Le travailleur à domicile est un salarié

Si les juges avaient accepté de soumettre la rémunération du travailleur à domicile au bon payement des commandes passées par le client, on aurait pu douter du maintien de la qualification de contrat de travail de la relation nouée entre l'employeur et le travailleur à domicile.

En effet, si le salaire du travailleur est subordonné au payement de la commande par le client, l'employeur ne paraît alors plus être qu'un simple intermédiaire dans une relation entre un client et un travailleur indépendant. On serait assez proche, finalement, d'une hypothèse de sous-traitance. En revanche, si, comme l'imposent les juges, la rémunération doit être liée à l'exécution des tâches initialement prévues et non au paiement par le client, il n'y a plus de lien direct entre le client et le travailleur à domicile.

En réalité, la qualification de salarié n'aurait pas pu être remise en cause puisque, pour les travailleurs à domicile, elle est présumée à partir du moment où les conditions de l'article L. 721-1 du Code du travail sont réunies. A cela près que, comme nous l'avons vu, le défaut de fixité des critères du fait de la clause spécifique aurait pu faire douter de l'existence d'une rémunération forfaitaire et donc, de facto, de l'existence d'une relation de travail salariée.

Si la solution nous paraît donc tout aussi logique que satisfaisante en ce qui concerne les précisions apportées par la Chambre sociale en matière de rémunération forfaitaire, il nous faut être bien plus nuancés s'agissant de la seconde partie de la décision imposant un plancher correspondant au Smic horaire.

2. Précisions quant au salaire minimum du travailleur à domicile

  • Les dispositions régissant la rémunération minimale

Les articles L. 721-9 (N° Lexbase : L6733ACD) à L. 721-17 (N° Lexbase : L6741ACN) du Code du travail n'ont pour autre objet que de mettre en place des règles permettant d'assurer au travailleur à domicile un salaire minimal. La réglementation en question est passablement complexe.

Ce salaire minimum se calcule en opérant le produit du salaire horaire fixé et du nombre d'heures de travail effectué. Or, les deux facteurs de cette opération semblent particulièrement difficiles à déterminer. Ainsi, comme le relevait le Conseil économique et social, "le temps de travail et les conditions de rémunération constituent des problèmes permanents et lancinants du travail à domicile que les différentes modifications législatives n'ont pu régler" (7).

S'agissant, plus spécialement, du salaire horaire, les articles L. 721-10 (N° Lexbase : L6734ACE) à L. 721-14 (N° Lexbase : L6738ACK) prévoient trois modes de fixation de son taux : une convention collective de branche étendue, une intervention du préfet par arrêté, voire une intervention du ministre chargé du Travail, également par arrêté. Or, ces modalités se sont révélées "totalement inadaptées" (8). Que faire, dès lors, en cas de carence, lorsque aucune de ces autorités n'a pris ses responsabilités ?

  • L'utilisation du Smic horaire

Devant la carence des différents acteurs ayant vocation à fixer le taux horaire minimal applicable aux travailleurs à domicile, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide donc que "le travailleur à domicile a droit à une rémunération au moins égale au salaire minimum de croissance pour le nombre d'heures de travail qu'il a effectué".

Si une telle décision peut paraître, à certains égards, plutôt satisfaisante, d'autres éléments laissent à penser que d'autres voies auraient pu être suivies par la Cour de cassation.

  • L'égalité entre les travailleurs

La décision peut paraître satisfaisante en ce qu'elle applique aux travailleurs à domicile les règles dont bénéficie finalement l'ensemble des salariés. Les salariés bénéficient, en effet, tous de la protection du salaire minimum interprofessionnel de croissance. Appliquer cette règle aux travailleurs à domicile, outre qu'elle paraît empreinte de bon sens, permet donc d'assurer une certaine égalité formelle entre salariés dans l'entreprise et salariés à domicile.

Cependant, il est possible que cette égalité ne soit que de façade car il existe, dans de bien nombreuses branches, des minima conventionnels qui sont plus élevés que le Smic. Pourquoi ne pas faire bénéficier ces travailleurs à domicile des dispositions issues du statut collectif, à condition, bien entendu, que leurs qualifications ou leurs emplois correspondent aux grilles conventionnelles ? Pourquoi faire une différence entre deux rédacteurs-correcteurs, exerçant des fonctions identiques, selon qu'ils travaillent l'un à domicile, l'autre dans les locaux de l'entreprise ? On le voit donc bien, la Chambre sociale aurait pu pousser l'analyse plus loin et ne consacrer le Smic horaire comme minimum salarial qu'à défaut de minima conventionnels concernant des salariés du même niveau de qualification dans l'entreprise.

Mais ce n'est peut être pas sur ce point que la décision de la Cour de cassation est la plus contestable.

  • Une atteinte à la séparation des pouvoirs ?

On peut légitimement se demander s'il était bien du rôle de la Cour de cassation de prendre partie afin de fixer un taux horaire minimum pour les travailleurs à domicile. En effet, comme nous l'avons déjà rappelé, ce rôle est attribué par le Code du travail aux partenaires sociaux ou, à défaut, aux préfets, voire au ministre du Travail.

Dès lors, la compétence du juge judiciaire n'était-elle pas discutable s'agissant de la détermination du taux horaire applicable aux travailleurs à domicile ? Si les textes précisent que le ministre chargé du Travail "peut" intervenir en la matière, il en va différemment du préfet qui "fixe" le taux horaire à défaut d'intervention des partenaires sociaux. On peut alors penser que c'est une action devant le juge administratif visant à constater la carence du préfet qui aurait dû être entreprise afin que celui-ci assume les responsabilités qui lui sont dévolues. La prise de position de la Cour de cassation pourrait donc éventuellement apparaître comme une violation insidieuse du principe de séparation des ordres administratif et judiciaire...

Sébastien Tournaux
Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Pour une étude d'ensemble sur le travail à domicile, v. le rapport du Conseil économique et social, Ch. Rey, Le travail à domicile, rapport du CES, 10 février 1999.
(2) Cass. soc., 11 octobre 1979, n° 78-12.261, CPCAM Région parisienne c/ SA Les Presses de la Cité, publié (N° Lexbase : A3428AG3).
(3) Ibid.
(4) Cass. soc., 23 juin 1982, n° 81-13.369, Groupement National d'Edition SARL c/ CPCAM Région Parisienne, Gouty, Caisse Mutuelle d'Assurance, publié (N° Lexbase : A3682AGH).
(5) Cass. soc., 22 janvier 1981, n° 77-12.854, Caisse primaire centrale d'assurance maladie de la région parisienne c/ Dame Beaufort, publié (N° Lexbase : A6670BLM).
(6) Cass. soc., 5 avril 2006, n° 03-45.888, Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) c/ Mme Hélène Heurtebise, FS-P+B (N° Lexbase : A9605DN3).
(7) Ch. Rey, Le travail à domicile, préc., p. 28.
(8) Ibid, p. 42.
Décision

Cass. soc., 10 mai 2007, n° 05-44.313, Société Assonance, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0926DW9).

Rejet (CA de Douai, chambre sociale, 30 juin 2005).

Textes concernés : C. trav., art. L. 721-9 (N° Lexbase : L6733ACD) à C. trav., art. L. 721-17 (N° Lexbase : L6741ACN).

Mots-clés : travail à domicile ; rémunération forfaitaire ; salaire minimum.

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