La lettre juridique n°261 du 24 mai 2007 : Social général

[Jurisprudence] Principe de non-substitution et abondement de l'employeur à un plan d'épargne d'entreprise

Réf. : Cass. soc., 10 mai 2007, n° 05-45.676, M. Doh Appelinto Tomety c/ Association du Foyer nancéien du jeune travailleur, FS-P+B (N° Lexbase : A1125DWL)

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le 07 Octobre 2010


Dans le double souci de préserver l'équilibre financier des régimes de Sécurité sociale et de garantir les droits de salariés en matière de salaires, le législateur soumet les sommes versées au titre d'un dispositif d'épargne salariale à un principe dit "de non-substitution", qui a pour effet d'interdire le remplacement d'un élément de rémunération. Souvent évoquée à propos de l'intéressement, cette règle vaut également pour les sommes versées par l'entreprise sur un plan d'épargne d'entreprise. Par suite, et ainsi que le précise la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 10 mai dernier, l'employeur ne saurait s'acquitter de son obligation de paiement de tout ou partie du salaire sous forme de versement au plan d'épargne d'entreprise.


Résumé

Les sommes versées par l'entreprise sur le plan d'épargne d'entreprise ne peuvent se substituer à aucun des éléments de rémunération qui y sont en vigueur au moment de la mise en place d'un plan d'épargne d'entreprise ou qui deviennent obligatoires en vertu de règles légales ou contractuelles. Il en résulte que l'employeur ne peut pas s'acquitter de son obligation de paiement de tout ou partie du salaire sous forme de versement au plan d'épargne d'entreprise.

1. Le principe de non-substitution

Parmi les quelques principes généraux applicables en matière d'épargne salariale, figure celui de la non-substitution des sommes versées au titre de l'un des dispositifs d'épargne salariale à un élément de salaire (1). Cette règle trouve d'abord sa raison d'être dans la nécessité de préserver l'équilibre financier des régimes de Sécurité sociale. Il convient, en effet, de rappeler que les sommes versées au titre d'un dispositif d'épargne salariale sont, dans une certaine mesure, soumises à un régime fiscal et surtout social de faveur, impliquant des exonérations de cotisations sociales. Le principe de non-substitution s'explique, ensuite, par la volonté du législateur de garantir les droits des salariés en matière de salaires (2).

Ce principe de non-substitution, dont on mesure ainsi sans peine la particulière nécessité, a d'abord été posé à propos de l'intéressement par l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 (ordonnance n° 86-1134, du 21 octobre 1986, relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés N° Lexbase : L0264AIM). La règle figure désormais à l'article L. 441-4 du Code du travail (N° Lexbase : L4218HW7), qui énonce que "les sommes attribuées aux bénéficiaires en application de l'accord d'intéressement [...] ne peuvent se substituer à aucun des éléments de rémunération [...] en vigueur dans l'entreprise ou qui deviennent obligatoires en vertu des règles légales ou contractuelles" (3). La Cour de cassation fait une application rigoureuse de cette règle, n'hésitant pas à annuler les accords d'intéressement opérant une substitution prohibée avec un élément de salaire (v., par ex., Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 98-43.905, M. Vivian Lauret c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAMR) de la Réunion, publié N° Lexbase : A2113AW8).

Il aura curieusement fallu attendre la loi du 19 février 2001 (loi n° 2001-152, relative à l'épargne salariale N° Lexbase : L5167ARS) pour que le législateur vienne étendre la règle de non-substitution à l'abondement versé dans le cadre d'un plan d'épargne d'entreprise.

Défini comme "un système d'épargne collectif ouvrant aux salariés de l'entreprise la faculté de participer, avec l'aide de celle-ci, à la constitution d'un portefeuille de valeurs mobilières" (C. trav., art. L. 443-1, al. 1er N° Lexbase : L4229HWK), le plan d'épargne d'entreprise comporte trois sources d'alimentation possibles : les versements volontaires du salarié, les versements complémentaires de l'employeur et, enfin, la participation.

S'agissant des versements complémentaires de l'employeur, encore appelés "abondement", qui sont seuls de nature à poser problème au regard de la question qui nous intéresse, la loi dispose qu'ils "ne peuvent se substituer à aucun des éléments de rémunération, au sens de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2636HIH), en vigueur dans l'entreprise au moment de la mise en place d'un plan mentionné au présent article ou qui deviennent obligatoires en vertu de règles légales ou contractuelles" (C. trav., art. L. 443-7 N° Lexbase : L4239HWW) (4).

2. La mise en oeuvre du principe de non-substitution

La référence faite à l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale, dont on sait qu'il définit l'assiette des cotisations du régime général de Sécurité sociale, a pour effet d'interdire de substituer à un élément de rémunération, quel qu'il soit, l'abondement versé par l'employeur sur le plan d'épargne d'entreprise. Sont donc visées toutes les rémunérations versées à l'occasion ou en contrepartie du travail, y compris des primes régulières ou occasionnelles. Partant, et nul ne songerait à le contester, une prime de treizième mois constitue un élément de rémunération soumis à la règle de non-substitution. Il en résulte que l'employeur ne saurait remplacer cette prime par un abondement versé au plan d'épargne d'entreprise.

Il convient, en outre, de relever que seuls sont pris en compte les éléments de rémunération "en vigueur" au moment de la mise en place d'un plan d'épargne d'entreprise ou qui deviennent obligatoires en vertu de règles légales ou contractuelles. Au total, il ressort très clairement de l'article L. 443-7 que les éléments de rémunération susceptibles d'échapper au principe de non-substitution ne peuvent être qu'en nombre très restreint.

Pour en revenir à l'espèce qui nous intéresse, l'employeur avait versé la seconde moitié de la prime conventionnelle de treizième mois sur le plan d'épargne d'entreprise. Or, et on en conviendra, une telle décision revenait, certes de manière indirecte, à substituer un abondement au plan d'épargne d'entreprise à un élément de rémunération "en vigueur" et, donc, à violer le principe de non-substitution. On ne saurait, à ce titre, tenir compte d'une quelconque autorisation des représentants du personnel ou encore de dispositions conventionnelles permettant un tel transfert. Il en va, ici, du respect de l'ordre public.

Plus généralement, il convient d'approuver la Cour de cassation lorsqu'elle affirme que "l'employeur ne peut pas s'acquitter de son obligation de paiement de tout ou partie du salaire sous forme de versement au plan d'épargne d'entreprise". Fondée sur l'article L. 443-7 du Code du travail, cette solution se justifie également au regard de l'article L. 143-1 du même code (N° Lexbase : L5754AC4), également visé par la Chambre sociale dans l'arrêt sous examen. Il convient, en outre, de souligner que le salarié ne saurait être contraint, de quelque manière que ce soit, à verser en tout ou partie sa rémunération sur le plan d'épargne d'entreprise. Ainsi que nous l'avons vu, celui-ci ne peut être alimenté, outre la participation et l'abondement, que par des versements volontaires du salarié.

Il reste, pour conclure, à s'interroger sur les conséquences de la violation de la règle de non-substitution. En effet, et de prime abord, celle-ci devrait avoir pour seul effet d'entraîner la requalification en élément de salaire des sommes versées au titre de l'abondement au plan d'épargne d'entreprise. Par conséquent, le salarié ne pourrait prétendre cumuler lesdites sommes avec un rappel de prime conventionnelle de treizième mois. Il convient, cependant, de relever que la Cour de cassation a, par le passé, accepté un tel cumul à propos de sommes versées au titre de l'intéressement (Cass. soc., 9 octobre 2001, préc.).

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Les autres principes généraux applicables en la matière sont : le caractère collectif, le caractère aléatoire et réversible et le lien avec la négociation collective (v. en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, p. 1216). Relevons que les deux premiers principes qui viennent d'être cités sont quelque peu battus en brèche par la récente loi du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié (loi n° 2006-1770 N° Lexbase : L9268HTG) (v. sur la question, notre commentaire de la loi en cause, Bull. Joly Sociétés, 2007, p. 331 ).
(2) Nonobstant cette règle de principe, le développement de l'épargne salariale peut faire craindre que la négociation salariale se réduise comme peau de chagrin.
(3) Le deuxième alinéa de ce même texte dispose, toutefois, que la règle de non-substitution ne peut avoir pour effet de remettre en cause les exonérations prévues par la loi, dès lors qu'un délai de 12 mois s'est écoulé entre le dernier versement de l'élément de rémunération en tout ou partie supprimé et la date d'effet de l'accord d'intéressement.
(4) On retrouve la même exception qu'en matière d'intéressement (v. note ci-dessus).
Décision

Cass. soc., 10 mai 2007, n° 05-45.676, M. Doh Appelinto Tomety c/ Association du Foyer nancéien du jeune travailleur, FS-P+B (N° Lexbase : A1125DWL)

Cassation partielle (conseil de prud'hommes de Nancy, 13 octobre 2005)

Textes visés : C. trav., art. L. 143-1 (N° Lexbase : L5754AC4) ; C. trav., art. L. 443-7 (N° Lexbase : L4239HWW).

Mots-clefs : plan d'épargne d'entreprise ; abondement ; principe de non-substitution ; prime de treizième mois.

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