Réf. : Avis du Conseil économique et social intitulé "Consolider le dialogue social"
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N4287A9N
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le 07 Octobre 2010
Le CES se fonde sur le postulat selon lequel le dialogue social ne pourra être consolidé que si la légitimité des partenaires sociaux est restaurée (1). A cet effet, il dresse un état des lieux de la légitimité actuelle des organisations syndicales, avant d'envisager quelques axes d'évolution qui pourraient être suivis et de, concrètement, proposer des mesures visant à réformer la représentativité syndicale.
Le CES reprend les faits constitutifs d'une situation désormais bien identifiée. "La légitimité des acteurs actuels est fragilisée par une contestation rampante et les salariés deviennent aujourd'hui trop souvent étrangers à l'action syndicale quotidienne". Le taux de syndicalisation en France a baissé de moitié ces 25 dernières années, pour se trouver en 2003 à environ 8 % (voir le rapport de la Dares, Mythes et réalités de la syndicalisation en France, octobre 2004). Parmi les causes de cette désaffection, le CES pointe du doigt le mécanisme de la représentativité présumée.
Issue d'un arrêté ministériel du 31 mars 1966, la liste des organisations syndicales bénéficiant de cette présomption irréfragable de représentativité n'a jamais été actualisée. Seules la CGT, la CGT-FO, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC sont dispensées, à tous les niveaux, de faire la preuve de leur représentativité.
Le fossé existant avec les organisations syndicales ne bénéficiant pas de cette présomption est profond. Pour ces dernières, il faudra faire la preuve de leur représentativité grâce aux critères prévus par le Code du travail (C. trav., art. L. 133-2 N° Lexbase : L5695ACW), à savoir les effectifs, l'indépendance, les cotisations, l'expérience et l'ancienneté du syndicat et, enfin, tel le symbole de l'obsolescence du système, une dernière condition résidant dans l'attitude patriotique du syndicat pendant l'occupation. A ces indices, la Cour de cassation est venue ajouter ceux de l'influence du syndicat (Cass. soc., 3 décembre 2002, n° 01-60.729, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1569A4U ; lire les obs. de Charlotte d'Artigue, Représentativité prouvée : la Cour de cassation revoit ses critères d'appréciation, Lexbase Hebdo n° 51 du 12 décembre 2002 - édition sociale N° Lexbase : N5131AAB) et de son activité (Cass. soc., 21 mai 2003, n° 01-60.660, Groupement d'intérêt économique (GIE) Vivalis c/ Syndicat Sud Caisse d'épargne, FS-P+B N° Lexbase : A1538B9T ; lire les obs. de Stéphanie Martin-Cuenot, Les critères de la représentativité syndicale, Lexbase Hebdo n° 74 du 5 juin 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7642AAB).
Le CES estime que la présomption a perdu son intérêt originel. Si elle avait alors pour but "de faciliter l'implantation syndicale dans l'entreprise et d'éviter les contentieux multiples", ces objectifs ne seraient plus d'actualité. Il ne faut, néanmoins, pas oublier que la motivation implicite de la présomption de représentativité était, à l'époque, de lutter contre le monopole de fait dont bénéficiait la CGT et de permettre la diversité syndicale plus que l'implantation syndicale. Il est certain qu'aujourd'hui, la crainte d'un pouvoir trop important abandonné à la CGT prête presque à sourire tant elle paraîtrait anachronique.
Le CES estime, également, que la présomption serait, aujourd'hui, incomprise des salariés. Si cela est peut être le cas, c'est surtout son manque de réalisme qui doit subir les plus fortes critiques. Par le jeu de cette présomption, un syndicat aujourd'hui très minoritaire tel que la CFTC obtient des droits qui sont, parfois, déniés à d'autres syndicats tels que Sud, bénéficiant, pourtant, d'une audience autrement importante.
Les représentants du CES en concluent donc qu'il est souhaitable de réformer la représentativité et d'en apporter une nouvelle définition plus en corrélation avec le monde syndical d'aujourd'hui.
Le rapport est très clair sur ce point : il faut préserver la liberté syndicale, la liberté du salarié de pouvoir choisir un syndicat reflétant des valeurs dans lesquelles il se retrouve. Il faut donc maintenir la diversité syndicale, l'existence de syndicats réformistes ou révolutionnaires, laïcs ou à coloration religieuse, défendant plutôt les intérêts des ouvriers et des employés ou plutôt les intérêts des cadres. En outre, le CES estime que l'augmentation ou la diminution du nombre d'organisations syndicales n'aurait aucun effet mécanique sur le taux de syndicalisation. En revanche, il semble envisageable de faire intervenir d'autres axes d'évolution.
Le premier d'entre eux passerait par la réforme des critères permettant de prouver la représentativité du syndicat. D'une manière générale, le CES estime qu'il faudrait que la légitimité du syndicat à bénéficier des atours de représentativité soit mesurée en fonction de l'activité du syndicat caractérisée par sa "capacité à élaborer des propositions collectives, informer les salariés des résultats obtenus, demander leur avis et garantir la bonne exécution des accords résultant de la négociation collective". Cette capacité doit pouvoir être appréciée non seulement par les adhérents du syndicat, mais aussi par ses simples sympathisants. Il s'agirait, alors, d'un critère d'influence, principalement caractérisé par l'audience électorale du syndicat.
En réalité, un tel axe a déjà été plus ou moins pris en compte par le législateur comme par la Cour de cassation. Le législateur, par la loi du 4 mai 2004, a introduit dans le Code du travail un nouvel article L. 132-2-2 (N° Lexbase : L4693DZT), qui laisse aux partenaires sociaux la possibilité de prévoir que l'entrée en vigueur de conventions collectives sera soumise au principe du majoritaire, l'expression de cette majorité ayant dû s'extraire d'un suffrage auprès des salariés. Quant à la Chambre sociale, elle considère depuis longtemps l'audience électorale comme un critère de la représentativité (Cass. soc., 12 février 1985, n° 84-60.857, Saint Cas, Figarede, Landais c/ Mme Thomas, Mme Chastenet, Mme Renaut, publié N° Lexbase : A3862AG7).
Mais, il est vrai qu'il existe une sérieuse nuance entre considérer l'audience comme un indice s'ajoutant à ceux prévus par le Code du travail et la placer comme critère principal de l'établissement de la représentativité. De même, le mécanisme ne serait plus facultatif et limité à un secteur de l'activité des syndicats, contrairement à ce qu'avait mis en place la loi relative au dialogue social.
Le second axe concernerait le rétablissement d'une certaine égalité entre les différentes organisations syndicales. L'arrêté de 1966 devrait ainsi être abrogé, les différentes organisations syndicales seraient alors placées sur un pied d'égalité puisque chacune devrait faire la preuve de sa représentativité. La représentativité irréfragable de l'arrêté serait alors remplacée par une "représentativité nationale". Celle-ci serait attribuée à certaines organisations syndicales et pourrait être revue "en fonction des choix exprimés par les salariés lors de consultations électorales dont la périodicité et les modalités restent à définir".
Si l'on fait le bilan des deux axes proposés, on parvient à un système de représentativité prouvée pour tous les syndicats, cette preuve n'étant à apporter que périodiquement par voie électorale et étant ensuite valable jusqu'à la prochaine échéance. Il s'agirait donc toujours, contrairement à ce que laisse penser le CES, d'une représentativité présumée de manière irréfragable. Mais, ce caractère irréfragable ne serait plus éternel. En outre, cela aurait pour avantage conséquent de modifier la source de la représentativité. Si celle-ci était jusque-là attribuée par le Gouvernement, elle se trouverait, cette fois, appuyée sur le vote des salariés, syndiqués ou non, ce qui, à n'en pas douter, apporterait une plus grande légitimité aux organisations adoubées et, par conséquent, aux pouvoirs qui découlent d'une telle responsabilité.
Cependant, ce tableau qui semblait très clair s'obscurcit par une précision apportée par le rapport selon laquelle des groupes de l'assemblée, en particulier parmi les partenaires sociaux, adhèrent à l'idée d'une suppression du caractère irréfragable de la représentativité mais estiment qu'un élément principalement électoral induirait des effets indésirables. Cela les conduit à préférer une simple adaptation des dispositions actuelles.
La présomption irréfragable serait bien supprimée, l'arrêté de 1966 étant actualisé à intervalles de temps réguliers sur la base des cinq critères légaux (à l'exception de l'attitude patriotique pendant l'occupation, se transformant pour l'occasion en "respect des valeurs républicaines") auxquels s'ajouteraient les deux critères jurisprudentiels d'audience et d'activité. La réunion de ces différents indices serait étudiée par une instance indépendante ayant vocation à proposer au Gouvernement la liste actualisée, lequel la transcrirait par décret, établissant ainsi les organisations bénéficiant de la représentativité nationale.
On peut vivement regretter qu'aucun choix clair ne soit opéré par le CES entre ces deux modèles envisagés. Car si le premier opérerait un véritable changement de cap, en asseyant, une fois pour toutes, la légitimité des syndicats sur l'assentiment recueilli auprès des salariés, le second ne reviendrait finalement qu'à nuancer le système antérieur, sans fondamentalement redéfinir la notion de représentativité. Prend-on la direction d'un acte manqué ?
Le système proposé est bel et bien fondé sur une légitimité électorale des syndicats, mais l'idée de représentativité nationale n'est absolument pas reprise.
Le CES préconise le principe selon lequel "le choix, par les salariés, des organisations appelées à les représenter dans les négociations doit se fonder, entre autres mais principalement, sur des élections". Il pose alors quatre propositions permettant d'établir la représentativité des organisations :
- Seules pourraient être candidates pour obtenir l'onction des salariés les organisations légalement constituées et indépendantes. Il s'agirait, concrètement, de modifier l'actuel article L. 133-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5695ACW), pour qu'il ne comprenne plus que des critères dits "objectifs", tels que la déclaration de l'organisation, un nombre minimum d'adhérents et de cotisations, une ancienneté minimale. Cela consisterait, en réalité, à poser des conditions d'éligibilité pour les syndicats et permettrait un premier tri attestant du minimum de sérieux des candidats.
- La mesure de la représentativité des organisations candidates résulterait de consultations "permettant à tous les salariés et quelle que soit la taille de leur entreprise d'élire leurs délégués". Inutile de revenir sur le critère selon lequel tous les salariés et non les seuls syndiqués seraient impliqués dans la caractérisation de la représentativité (l'ancien critère d'effectif étant remplacé par celui d'audience). En revanche, la référence à l'élection de délégués dans l'entreprise laisse perplexe pour deux raisons. D'abord, parce que la référence à l'entreprise laisse penser que ce n'est qu'à ce niveau que serait appréciée la représentativité des organisations syndicales par vote des salariés. Ne s'agissait-il pas de remplacer la représentativité présumée de l'arrêté de 1966 par une "représentativité nationale" ? Ensuite, parce que la référence à l'élection de délégués peut renvoyer à deux réalités totalement différentes. Soit le CES envisage de baser la consultation des salariés sur les élections professionnelles au sein de l'entreprise et il n'y a, dès lors, guère de grand bouleversement, la technique étant déjà envisagée par la loi du 4 mai 2004. Soit le CES envisage que les délégués syndicaux soient désormais élus et non plus désignés dans l'entreprise. Ce serait, alors, une véritable révolution. Si une telle mesure paraît en adéquation avec la recherche effrénée de légitimité des syndicats et, par conséquent, de leurs représentants, on peut se demander si elle n'aurait pas pour effet de réduire le nombre de délégués syndicaux et de sections syndicales dans les entreprises. Peut-être est-ce un mal nécessaire, mais la moindre des choses serait de le dire ouvertement.
- L'élection doit se dérouler dans l'entreprise, sur le lieu de travail, au besoin à l'aide des NTIC : "il est important que toute élection porte sur des personnes reconnues par une organisation". Là encore, la tentation est grande de considérer que l'idée d'une "représentativité nationale" n'est pas reprise dans ces propositions, mais, qu'en revanche, c'est l'élection des délégués syndicaux qui se profile avec de telles mesures.
La référence au vote sur le lieu de travail permet d'opposer le scrutin à celui des conseillers prud'hommes qui s'organise, le plus souvent, dans les mairies. Il s'agirait donc d'élections sur le modèle de celles instituant les délégués du personnel et les représentants élus au comité d'entreprise.
- Enfin, la dernière proposition envisage qu'une période suffisamment grande soit laissée entre chaque élection afin d'éviter des effets pervers tels que les campagnes électorales à répétition pouvant mener à des surenchères peu réalistes ou à de l'immobilisme à l'approche des échéances. Il faudrait, également, prévoir un seuil de représentativité, le chiffre de 5 % étant envisagé, tout en préservant des règles particulières pour la CFE-CGC du fait de la spécificité des salariés concernés.
Finalement, comme on pouvait le craindre, ces quatre propositions ne reprennent pas clairement la volonté de remise en cause du système de présomption irréfragable de représentativité. L'élection organisée seulement au sein des entreprises et dans le but d'élire des délégués qui, on peut le supposer, remplaceraient les délégués syndicaux, ne semble pas avoir clairement vocation à servir de support à une représentativité d'un point de vue national mais, bien au contraire, de rester sur le schéma d'une représentativité au niveau de l'entreprise. Peut-être ne faisons-nous là qu'un procès d'intention... Mais le silence est équivoque.
Ce rapport va, malgré tout, dans le bon sens. Il accroît encore la démocratisation du système syndical, ce qui est très certainement un enjeu majeur pour redonner aux syndicats la légitimité qu'ils ont perdue. Mais, il ne faut pas s'y tromper : les partenaires sociaux, comme ils l'expriment au sein même du CES, sont toujours hostiles au remplacement progressif des règles oligarchiques datant de 40 ans par d'autres reflétant une certaine idée de démocratie sociale. A l'heure où l'on souhaite appeler les partenaires sociaux à négocier sur tout point de droit social que l'on envisage de réformer (v. le projet de loi précité), on peut craindre que le concept de représentativité nationale fondée sur le suffrage des salariés ne sorte jamais des méandres de la négociation préalable !
Sébastien Tournaux
Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV
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