La lettre juridique n°238 du 30 novembre 2006 : Rel. collectives de travail

[Textes] A propos de la modernisation du dialogue social

Réf. : Projet de loi de modernisation du dialogue social

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N2405A9X

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Moins de 2 ans après l'adoption de la loi du 4 mai 2004 relative au dialogue social (loi n° 2004-391 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8), le Gouvernement éprouve de nouveau l'irrépressible besoin de le "moderniser", reprenant ainsi une terminologie désormais très en vogue, en inscrivant dans la loi le principe de la collaboration des partenaires sociaux et du Gouvernement dans l'élaboration des grandes réformes (2). Les ambitions du projet déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 22 novembre 2006, sont certes louables (1), mais les résultats sont plus que décevants (3).
Résumé

Le projet vise à instaurer, avant l'adoption de toute loi, une procédure de concertation préalable des partenaires sociaux en vue de la négociation d'un accord national interprofessionnel (Ani) sur les sujets concernés.

Dispositions du projet

"Article 1er

Il est inséré dans le livre Ier du Code du travail, avant le titre Ier, un titre préliminaire ainsi rédigé :

Titre préliminaire

Dialogue social

Chapitre unique

Art. L. 101-1. - Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui est susceptible de donner lieu à une négociation nationale et interprofessionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation.

A cet effet, le Gouvernement leur communique un document d'orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options.

Lorsqu'elles font connaître leur intention d'engager une telle négociation, les organisations indiquent également au Gouvernement le délai qu'elles estiment nécessaire pour conduire la négociation.

Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables en cas d'urgence déclarée par le Gouvernement, qui fait alors connaître cette décision aux organisations mentionnées ci-dessus.

Art. L. 101-2. - Le Gouvernement soumet les projets de textes législatifs et réglementaires élaborés dans le champ défini par l'article L. 101-1, au vu des résultats de la procédure de concertation et de négociation, selon le cas à la Commission nationale de la négociation collective, au Comité supérieur de l'emploi ou au Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, dans les conditions prévues respectivement aux articles L. 136-2, L. 322-2 et L. 910-1.

Art. L. 101-3. - Chaque année, les orientations de la politique du Gouvernement dans les domaines des relations individuelles et collectives du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, ainsi que le calendrier envisagé pour leur mise en oeuvre, sont présentés pour l'année à venir devant la Commission nationale de la négociation collective. Les organisations mentionnées à l'article L. 101-1 présentent, pour leur part, l'état d'avancement des négociations interprofessionnelles en cours ainsi que le calendrier de celles qu'elles entendent mener ou engager dans l'année à venir.

Article 2

I. Le 2° de l'article L. 136-2 du Code du travail est remplacé par les dispositions suivantes :

2° D'émettre un avis sur les projets de lois, d'ordonnances et de décrets relatifs aux règles générales relatives aux relations individuelles et collectives de travail, notamment celles concernant la négociation collective.

II. Il est inséré à l'article L. 322-2 du Code du travail un deuxième alinéa ainsi rédigé :

Le comité est chargé d'émettre un avis sur les projets de lois, d'ordonnances et de décrets relatifs à l'emploi".

Commentaire

1. Les ambitions de la réforme

Le 10 janvier 2006, le Premier ministre confiait à Monsieur Dominique-Jean Chertier (Directeur général adjoint, Affaires sociales et institutionnelles, de la SNCMA, groupe Safran, ancien conseiller de Jean-Pierre Raffarin) le soin de formuler des propositions afin d'améliorer la qualité du dialogue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, singulièrement, afin de faire en sorte que les grandes réformes soient systématiquement précédées d'une concertation approfondie et, dans la mesure du possible, d'une négociation nationale interprofessionnelle.

Faisant le constat de la mauvaise qualité du dialogue social et des "tensions récurrentes" au sein de la société, le rapport Chertier, remis au Premier ministre le 31 mars 2006, proposait, entre autres mesures, de repenser l'articulation des compétences entre le Gouvernement, le Parlement et les partenaires sociaux.

La proposition la plus audacieuse consistait sans doute à modifier l'article 39 de la Constitution (N° Lexbase : L1299A9Y) pour prévoir "qu'une loi organique est chargée de préciser les conditions d'élaboration des projets de loi préalablement à leur présentation en Conseil des ministres" (action n° 4), loi qui pourrait "prévoir une procédure de 'temps réservé' à la concertation, posant l'exigence d'un délai minimal de trois mois entre l'annonce d'un projet d'une réforme et l'adoption du texte correspondant en conseil des ministres" (action n° 5).

S'agissant des réformes liées singulièrement au droit du travail, le rapport Chertier proposait "de permettre aux partenaires sociaux de se saisir, s'ils le souhaitent, du thème de réforme et de conduire des négociations sur le sujet", le délai de la procédure étant alors "allongé pour permettre à ces négociations d'aboutir" (action n° 8) et le Gouvernement perdant alors, pendant le temps de la concertation, l'initiative de la loi (action n° 9). En cas de réussite de la négociation, le Gouvernement ne pourrait "que reprendre le texte des partenaires sociaux ou renoncer à son projet de réforme" et "le Parlement ne pourrait qu'accepter ou refuser en bloc le projet de loi issu de l'accord des partenaires sociaux" (action n° 10).

  • Le projet de loi "Borloo"

Dans le prolongement de ce rapport, le ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, Jean-Louis Borloo, a déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale un projet de loi, tenant en deux articles, et visant à "la modernisation du dialogue social".

Les ambitions du projet sont affichées dès l'exposé des motifs. Il s'agit de placer "les partenaires sociaux au coeur de la conception des réformes concernant le droit du travail [...] en prenant en compte les exigences d'une meilleure concertation et d'une information réciproque". Le texte "vise [...] à organiser et aménager des procédures de concertation, de consultation et d'information, de manière à permettre un dialogue social effectif entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics dans l'élaboration des réformes concernant le droit du travail, ceci à l'instar de la situation que connaissent la plupart des démocraties modernes".

2. Objet de la réforme

Le projet de loi souhaite introduire, en tête du Code du travail, les dispositions consacrées au dialogue social et, singulièrement, une obligation gouvernementale de concertation sociale.

  • Champ d'application de l'obligation gouvernementale de concertation sociale

Placé en tête du Code du travail, le premier article (art. L. 100-1) concernerait la procédure de "concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel".

Cette procédure ne serait, toutefois, pas applicable "en cas d'urgence déclarée par le Gouvernement, qui fait alors connaître cette décision aux organisations mentionnées ci-dessus".

  • Objet de l'obligation gouvernementale de concertation

Cette procédure concernerait "tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui est susceptible de donner lieu à une négociation nationale et interprofessionnelle".

Le Gouvernement devrait communiquer aux organisations concernées "un document d'orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options", ce qui n'est pas sans rappeler les obligations qui pèsent sur la partie patronale dans le cadre de la négociation obligatoire (C. trav., art. L. 132-12 N° Lexbase : L3144HIB et L. 132-28 N° Lexbase : L8859G7A).

Les partenaires sociaux pourraient alors décider soit de ne pas engager de négociations, soit de les engager ; dans cette dernière hypothèse, les organisations feraient savoir au Gouvernement de quel délai elles souhaiteraient disposer.

Lorsque les partenaires sociaux auraient abouti et que le Gouvernement aurait élaboré un projet de loi ou de décret, ce dernier devrait être soumis aux organes consultatifs compétents, c'est-à-dire "selon le cas à la Commission nationale de la négociation collective, au Comité supérieur de l'emploi ou au Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, dans les conditions prévues respectivement aux articles L. 136-2, L. 322-2 et L. 910-1".

Le projet de loi fait, également, obligation au Gouvernement de présenter chaque année les orientations de sa politique sociale devant la commission nationale de la négociation collective (art. L. 101-3), tandis que les partenaires sociaux font état "des négociations interprofessionnelles en cours ainsi que le calendrier de celles qu'elles entendent mener ou engager dans l'année à venir".

3. Le caractère limité et décevant de la réforme

  • Les imprécisions de la réforme

Le moins que l'on puisse dire est que la rédaction du projet de loi ne brille pas par sa clarté.

Les conditions posées par le futur article L. 101-1 du Code du travail sont, ainsi, très imprécises. On ne sait pas, par exemple, ce que vaut la notion de "réforme" envisagée par le Gouvernement ; s'agit-il d'une formule redondante du "projet", ou d'une catégorie de projets "innovants" ?

On ne sait pas, également, ce que signifie la précision selon laquelle est soumis à la procédure de concertation tout projet "qui est susceptible de donner lieu à une négociation nationale et interprofessionnelle". Compte tenu de la définition du champ ouvert à la négociation collective, par l'article L. 131-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4692DZS), et du champ de la concertation visé par l'article L. 101-1 nouveau ("Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle"), c'est presque tout le droit du travail qui se trouve concerné, à l'exception peut-être des "garanties sociales" qui n'ont pas été visées dans le projet alors qu'elles figurent dans l'article L. 131-1.

  • Les limites de la réforme

Le dispositif de concertation ne concerne formellement que les "projets" de loi, pour lesquels l'urgence n'a pas été déclarée (elle l'est en pratique souvent) et non les propositions déposées par les députés ou les sénateurs. On imagine alors comment le Gouvernement pourrait faire proposer une réforme par un parlementaire et éviter, ainsi, la procédure d'information préalable des partenaires sociaux...

Par ailleurs, le Gouvernement a simplement l'obligation d'informer les partenaires sociaux de son intention de réformer (al. 1er) et de leur communiquer un certain nombre d'informations qui devront d'ailleurs être précisées réglementairement (al. 2). Le Gouvernement n'a nullement l'obligation de donner aux partenaires sociaux les délais qu'ils peuvent lui réclamer (al. 3), ni, d'ailleurs, de tenir compte des propositions formulées dans l'élaboration du projet de loi.

Il ne s'agit donc, ici, que d'une simple procédure d'information et d'avis, à l'instar de la consultation du comité d'entreprise avant la décision que pourrait prendre l'employeur de conclure, dans l'entreprise, un accord collectif (Cass. soc., 5 mai 1998, n° 96-13.498, Conseil supérieur consultatif des comités mixtes à la production et c/ Electricité de France et autres, publié N° Lexbase : A2677AC7 ; Dr. soc. 1998, p. 579, rapp. J.-Y. Frouin ; RJS 1998, p. 435, chron. M. Cohen ; RJS 1998, n° 611, chron. P.-H. Antonmattéi ; TPS 1998, comm. n° 244, obs. B. Teyssié ; D. 1998, p. 608, note G. Auzero).

Dans l'hypothèse où les partenaires sociaux auraient abouti à un accord, coexisteraient, en toute hypothèse, une loi et un Ani, l'application du principe de faveur pouvant parfaitement conduire à l'application de l'Ani plus favorable aux intérêts des salariés.

  • L'absence de sanctions

Le moins que l'on puisse dire est que la réforme n'a rien à voir, ou pas grand chose, avec les conclusions ambitieuses et audacieuses du rapport "Chertier" qui proposait, rappelons-le, de modifier l'article 39 de la Constitution pour imposer au Gouvernement le respect de la compétence des partenaires sociaux. Une telle modification aurait été de nature à contraindre véritablement le Gouvernement et le Conseil constitutionnel aurait été conduit à censurer les lois adoptées à la suite d'une procédure irrégulière.

Or, rien de comparable n'apparaît dans le projet déposé. Non seulement la formulation de l'obligation gouvernementale est imprécise, comme nous l'avons vu, mais cette obligation ne semble assortie d'aucune sanction particulière ; il conviendra, par conséquent, de se tourner vers le droit commun.

On pourrait ainsi imaginer la saisine du juge administratif, statuant en référé sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), ordonner la suspension d'un projet de loi déposé par le Gouvernement (référé-suspension), ou de L. 521-3 (référé-conservatoire) du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3059ALU) pour enjoindre au Gouvernement de respecter la procédure légale et, singulièrement, la consultation des partenaires sociaux, à l'image d'un comité d'entreprise saisissant le tribunal de grande instance pour bloquer la procédure du licenciement pour motif économique en raison du défaut de consultation des représentants du personnel.

Peut-on imaginer également l'annulation, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, du projet de loi déposé sans respect de la procédure de concertation ? Et que deviendrait la loi votée par le Parlement lorsque le projet de loi aurait été annulé par le Conseil d'Etat ?

Il semble toutefois peu probable que de tels recours puissent être envisagés, la doctrine et les juridictions administratives considérant généralement le dépôt, ou l'absence de dépôt, d'un projet de loi comme un acte de gouvernement insusceptible de recours (J. Rivéro et J. Waline, Droit administratif, Précis Dalloz, 19ème éd. 2002, n° 156).

On le conçoit aussitôt, cette procédure semble bien inconsistante, bien loin de la modernisation tant attendue, ou tant annoncée, du dialogue social. Mais la modernité peut-elle se décréter ?

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