La lettre juridique n°177 du 21 juillet 2005 : Entreprises en difficulté

[Panorama] Entreprises en difficulté : panorama de jurisprudence des mois de mai et juin 2005, la chronique de P.-M. Le Corre (première partie)

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur des Universités, Directeur du Master Droit de la Banque de la Faculté de Toulon et du Var

le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, un panorama de P.-M. Le Corre, retraçant l'essentiel de la jurisprudence rendue en matière de procédures collectives au cours de ces deux derniers mois. Les sanctions, mais aussi la situation de la caution au cours de la période d'observation, ou encore la déclaration de créance, constituent les thèmes majeurs de l'actualité jurisprudentielle (cf. seconde partie N° Lexbase : N7397AK8).
  • Condamnation des héritiers au redressement et à la liquidation judiciaires personnels (Cass. com., 21 juin 2005, n° 04-13.850, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A7695DIT)

Le Code de commerce, dans sa version antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, contient deux types de sanctions pécuniaires : la condamnation au comblement du passif, d'une part, et, d'autre part, le redressement ou la liquidation judiciaire à titre personnel contre le dirigeant de la personne morale débitrice, soit pour inexécution du jugement de condamnation à combler le passif, soit pour faits visés à l'article L. 624-5 de ce code (N° Lexbase : L7044AIQ).

En l'espèce, deux sociétés de transport ont été mises en liquidation judiciaire. Le gérant de ces sociétés étant décédé, le liquidateur a demandé la condamnation des deux héritiers du gérant sur le fondement de l'article L. 624-5 du Code de commerce, c'est-à-dire le redressement ou la liquidation judiciaire à titre personnel pour fautes énumérées à cet article. La cour d'appel fait droit à la demande du liquidateur en indiquant que la sanction patrimoniale de l'ouverture de la procédure collective du dirigeant peut être poursuivie contre la succession du dirigeant. Les héritiers forment un pourvoi et la Cour de cassation censure la décision des juges du fond, énonçant "qu'une indivision successorale étant dépourvue de la personnalité morale, seule pouvait être ouverte la procédure collective du dirigeant décédé".

La solution énoncée ne souffre d'aucune discussion. En revanche, le problème se pose véritablement de savoir si les héritiers d'un dirigeant décédé peuvent être condamnés au redressement ou à la liquidation judiciaire à titre personnel.

Il n'est pas discuté de la possibilité d'agir en comblement de passif contre les héritiers du dirigeant, personne physique, décédé, dès lors qu'ils ont accepté la succession. Il s'agit d'une sanction patrimoniale dont la charge est transmissible, solution posée par la Cour de cassation sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563 N° Lexbase : L7803GT8) (Cass. com., 3 mai 1988, n° 86-10.250, M. Féraud-Prax c/ Consorts Roullier N° Lexbase : A8335AAX, D. 1988, IR p. 140) et reconduite par la jurisprudence, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW) (CA Versailles, 13ème ch., 27 février 1997, n° 2158/96, M. Didier Fontaine c/ SCP Laureau-Jeannerot N° Lexbase : A9569A48, JCP éd. E. 1997, pan. 468). En revanche, il a été jugé que les héritiers condamnés à combler le passif ne peuvent être personnellement déclarés en redressement ou en liquidation judiciaire personnel pour inexécution du jugement de condamnation à combler le passif (Cass. com., 3 mai 1988, précité). La solution nous semblait devoir être étendue au redressement et à la liquidation judiciaire à titre personnel, sur le fondement de l'article L. 624-5 du Code de commerce (anct L. 25 janv. 1985, art. 182), sur la justification de la nature de sanction de la mesure, qui postule son caractère strictement personnel au dirigeant concerné (B. Soinne, Traité des procédures collectives, 2ème éd., Litec, 1995, n° 2621). Le contraire avait, cependant, été jugé (CA Amiens, ch. éco., 23 janvier 2003, JCP éd. E. 2003, pan. p. 1555, n° 1380) et soutenu, au regard du caractère patrimonial de l'action (J.-F. Martin et J.-L. Vallens, Lamy droit commercial, éd. 2005, n° 4002). Cette dernière solution est retenue dans l'arrêt rapporté par la Cour de cassation. Implicitement, mais nécessairement, la Haute cour considère comme possible le prononcé de la mesure contre les héritiers, la déclarant, en revanche, impossible contre la succession du dirigeant au motif que l'indivision successorale n'a pas la personnalité morale. C'est le premier apport de l'arrêt.

Un second enseignement, énoncé surabondamment et sous forme de principe, se dégage de l'arrêt : "en cas de décès du dirigeant d'une personne morale, le tribunal de la procédure collective de celle-ci, saisi dans les conditions fixées par le second de ses textes [C. com., art. L. 624-5] et dans le délai d'un an à partir de la date du décès, peut ouvrir le redressement ou la liquidation judiciaire de ce dirigeant, les héritiers étant appelés en la cause". Cette formulation rappelle étrangement l'article L. 621-14 du Code de commerce (anct L. 25 janv. 1985, art. 16), selon lequel, "lorsqu'un commerçant, un artisan ou un agriculteur est décédé en état de cessation des paiements, le tribunal est saisi dans le délai d'un an à partir de la date du décès, soit sur la déclaration d'un héritier, soit sur assignation d'un créancier". Ce texte n'intéresse que l'ouverture de la procédure du débiteur personne physique, et non pas le cas ici visé. C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation se garde bien de procéder au visa de cette disposition. Et pourtant, c'est bien cette disposition qui est ici appliquée. Ce n'est assurément pas sur le terrain de la logique juridique des procédures collectives qu'il faut trouver la justification de cette solution, qui mérite au demeurant, pleine approbation. C'est l'équité et le droit à un procès équitable qui, selon nous, sous-tend la décision. Comment pourrait-on admettre qu'un héritier soit condamné au redressement ou à la liquidation judiciaire pour des faits commis par le de cujus de très nombreuses années auparavant ? Rappelons, en effet, que les cas visés à l'article L. 624-5 du Code de commerce sont relatifs à des faits antérieurs au jugement d'ouverture de la personne morale (Cass. com., 12 octobre 1993, n° 89-18.900, Consorts Urvoas c/ M. Corré, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société N° Lexbase : A5409ABX, Bull. civ. IV, n° 332 ; Bull. Joly 1993, 1268, note P. Pétel ; Cass. com., 28 novembre 2000, n° 98-11.522, M. X. c/ M. Y. et autres, inédit N° Lexbase : A8289C4R, Act. proc. coll. 2001/4, n° 55 ; RJDA 2001/3 , n° 349 ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 21 novembre 2003, n° 2003/07382, Monsieur Rémy Christian c/ SCP Perney & Angel N° Lexbase : A8872DAT). Dès lors, la seule limite temporelle est la saisine du tribunal dans les trois ans du jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire (C. com., art. L. 624-5-III). Sans cette limitation apportée de façon prétorienne par la Cour de cassation, les héritiers d'un dirigeant de société en liquidation judiciaire auraient pris des risques très sérieux à accepter une succession, qui se révélera déficitaire largement après le décès du de cujus. Entre la protection des créanciers et ceux des héritiers du dirigeant de la société débitrice, la Cour de cassation opère ici un juste équilibre.

Alors que les textes de la loi du 25 janvier 1985 n'ont pas encore épuisé tous leurs mystères, la sanction, ici étudiée, du redressement et de la liquidation judiciaires à titre personnels contre le dirigeant de la société débitrice est supprimée par la loi de sauvegarde des entreprises, qui la remplace par une action en obligations aux dettes sociales, qui permet de mettre à la charge du dirigeant condamné, tout ou partie des dettes de la société débitrice et non plus seulement de son insuffisance d'actif.

  • Détermination des créanciers devant être avertis d'avoir à déclarer leurs créances pour bénéficier de l'inopposabilité de la forclusion (Cass. com., 21 juin 2005, n° 04-10.383, F-P+B N° Lexbase : A8170DIG)

La loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7) a considérablement amélioré la situation des créanciers titulaires de sûretés spéciales et des crédit-bailleurs, en prévoyant que ces créanciers doivent être avertis d'avoir à déclarer leurs créances, sauf à bénéficier du mécanisme de l'inopposabilité de la forclusion, qui leur permet de ne pas encourir la forclusion s'ils dépassent le délai classique de déclaration de leurs créances, dès lors qu'ils n'ont pas été avertis par le mandataire judiciaire. Ce cadeau offert par le législateur, orienté vers la collectivité des établissements de crédit, est limité aux crédit-bailleurs et aux créanciers titulaires de sûretés publiées. Il n'est pas étonnant que des discussions existent en jurisprudence pour déterminer précisément le domaine de cette faveur. En témoigne l'arrêt rapporté.

En l'espèce, une société avait un solde débiteur en banque. En garantie de ce solde débiteur, la banque a obtenu une caution hypothécaire sur les biens de la dirigeante de la société débitrice. La société a été déclarée en liquidation judiciaire et la banque a déclaré sa créance en dehors du délai de deux mois à compter de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture. Elle a, ensuite, demandé à être relevée de la forclusion. Puis, devant la cour d'appel, elle a soutenu que la forclusion lui était inopposable en sa qualité de créancier titulaire d'une sûreté publiée. La cour d'appel a rejeté la demande et la Cour de cassation approuve logiquement, en ces termes, la décision des juges du fond : "l'inopposabilité de la forclusion, prévue par le deuxième alinéa de l'article L. 621-46 du code de commerce, ne peut être invoquée par les créanciers titulaires d'une sûreté ayant fait l'objet d'une publication sur un bien n'appartenant pas au débiteur en procédure collective".

La solution, que reproduit la Cour de cassation (V. déjà Cass. com., 16 octobre 2001, n° 98-20.551, F-D N° Lexbase : A4781AWY, Rev. proc. coll. 2002, p. 93, n° 1, obs. F.-F. Legrand ; adde CA Colmar, 29 mai 2001, 1ère ch., sect. A, n° 200004170, Sparkasse Hanauerland c/ Maitre Evelyne Gall-Heng N° Lexbase : A9327A7L, D. 2001, AJ p. 2743, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E. 2002, chron. 175, p. 173, n° 11, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; Act. proc. coll. 2002/3, n° 37 ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 24 octobre 2003, n° 2002/20274, Société Banque Delubac & Cie c/ Maitre Marie José Josse N° Lexbase : A6302DAN) ne peut qu'être approuvée. L'obligation d'avertissement à la charge du mandataire postule qu'il ait connaissance par le débiteur des créanciers à avertir. C'est l'objet de la liste que le débiteur doit remettre au représentant des créanciers ou au liquidateur (C. com., art. L. 621-45 N° Lexbase : L6897AIB), dans le délai de 8 jours du jugement d'ouverture (D. n° 85-1388, 27 décembre 1985, art. 69, al. 2 N° Lexbase : L5362A4D). La remise de cette liste est imposée à peine d'interdiction de gérer (C. com., art. L. 625-8, al. 2 N° Lexbase : L7054AI4 [anct L. 25 janv. 1985, art. 192, al. 2]). La banque créancière devait, certes, figurer sur cette liste, mais en tant que créancier chirographaire. Tout au plus, était-elle un créancier connu, au sens de l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5356A47). Dès que le créancier est un créancier "connu", le représentant des créanciers ou le liquidateur, selon le cas, a l'obligation de l'avertir. Ne peut donc être suivie l'affirmation d'une cour d'appel qui considère que seul le créancier bénéficiant d'une sûreté ayant fait l'objet d'une publication doit être averti (CA Paris, 3ème ch., sect. A, 7 septembre 2004, n° 2003/19612, M. Le Receveur Principal des Impôts de Lyon Est c/ S.A.R.L. Société Aie Entreprise N° Lexbase : A5556DEI). Cependant, à défaut d'avertissement, et même si le créancier ne figure pas sur la liste remise au mandataire de justice par le débiteur, le créancier, qui ne peut disposer du mécanisme de l'inopposabilité de la forclusion, doit solliciter un relevé de forclusion (Cass. com., 30 juin 2004, n° 03-11.046, FS-P+B N° Lexbase : A9047DC3, D. 2004, AJ p. 2044 ; Cass. com., 10 mai 2005, n° 03-21.096, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Bouches-du-Rhône c/ Société Clinique provençale de la Tour d'Aygosi, F-D N° Lexbase : A2286DII), sans pouvoir s'émanciper du délai d'un an pour présenter sa demande en relevé de forclusion (Cass. com., 19 novembre 2003, n° 00-21.294, F-D N° Lexbase : A3007DAM). Le mécanisme de l'inopposabilité de forclusion est ici inapplicable.

Dans la présente espèce, il y avait bien une sûreté publiée, mais elle était inscrite sur un bien qui n'appartenait pas au débiteur. Le mandataire de justice n'avait évidemment aucune démarche à accomplir pour connaître ce créancier. Il n'avait pas à lever des états d'inscription sur un bien qui n'appartenait pas au débiteur. Le créancier était donc traité comme un créancier chirographaire, ce qu'il était au regard des créanciers de son débiteur, car son droit de préférence n'avait vocation à être opposé qu'aux créanciers du constituant de la sûreté, les créanciers de la caution hypothécaire.

La formule employée par la Cour de cassation -"l'inopposabilité de la forclusion [...] ne peut être invoquée par les créanciers titulaires d'une sûreté ayant fait l'objet d'une publication sur un bien n'appartenant pas au débiteur"- est suffisamment large pour englober l'hypothèse fréquente d'une sûreté inscrite sur le bien appartenant à l'époux commun en biens. Il n'apparaît pas, en revanche, que le représentant des créanciers ait l'obligation d'avertir le créancier du conjoint in bonis, créancier inscrit au titre d'une sûreté publiée sur un bien commun, dans la procédure collective atteignant l'époux, même si le contraire a été préconisé (Diligences des mandataires de justice et recommandations, Bolard G. (dir.), IFPPC, 5ème éd., 1999, recomm. n° 1102-6 et 6034-6, p. 28 et 164). L'inopposabilité de la forclusion n'apparaît devoir jouer qu'au profit du créancier du débiteur en redressement ou en liquidation judiciaire, l'opinion contraire ayant, cependant, été émise (C. Saint-Alary Houin, Les dangers pour les créanciers de l'époux in bonis de l'ouverture d'une procédure collective contre son conjoint, Petites affiches 26 août 1998, n° 12, p. 16 s., spéc. p. 20, n° 18).

Indiquons, pour terminer, que, si le mécanisme de l'inopposabilité de la forclusion a été, en tant que tel, supprimé par la loi de sauvegarde des entreprises, les règles générales présidant à l'avertissement des créanciers sont maintenues et même élargies, puisqu'elles ont vocation à s'appliquer, non seulement aux créanciers titulaires de sûretés publiées, mais encore à tous les créanciers titulaires de contrats publiés et non plus seulement aux crédit-bailleurs. En outre, la solution prétorienne selon laquelle le délai de déclaration de créances de ces créanciers ne court qu'à compter de l'avertissement d'avoir à déclarer la créance est législativement consacrée (C. com., art. L. 622-22, al. 1 N° Lexbase : L7017AIQ).

  • Suspension des voies d'exécution contre la caution pendant la période d'observation et remise de l'audience d'adjudication sur saisie immobilière (Cass. com., 24 mai 2005, n° 03-16.338, F-P+B N° Lexbase : A4176DII)

L'article L. 621-48, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6900AIE) (anct L. 25 janv. 1985, art. 55, al. 2) prévoit que "le jugement d'ouverture du redressement judiciaire suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan de redressement ou prononçant la liquidation toute action contre la caution". Il y a, ainsi, une suspension des actions pendant la période d'observation. Le texte ne précise pas s'il s'agit des actions en paiement ou, aussi, des actions tendant à l'exécution des titres, c'est-à-dire les voies d'exécution. Faute de distinction du texte, l'interprète n'a pas davantage à distinguer. La solution est d'ailleurs confortée par l'article 70-1 du décret du 27 décembre 1985, dans la rédaction que lui a donnée le décret du 21 octobre 1994 (N° Lexbase : L5365A4H), qui vise les "instances ou les voies d'exécution suspendues". En conséquence, il faut décider que toute action en justice tendant au paiement de la caution est suspendue. Il en va de même des voies d'exécution pour le créancier muni d'un titre contre la caution. Dans ces conditions, comment articuler le droit de la saisie immobilière avec la règle de l'interdiction des poursuites de la caution pendant la période d'observation ? C'est à cette question que répond l'arrêt rapporté.

En l'espèce, deux époux se portent caution des engagements souscrits par une société envers une banque. En exécution du cautionnement, la banque engage à leur encontre une procédure de saisie immobilière. La veille de l'audience d'adjudication, les cautions versent aux débats le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société cautionnée et sollicitent la suspension de la saisie, invoquant l'article L. 621-48 du Code de commerce qui prévoit la suspension de toute action contre les cautions personnelles personnes physiques pendant la période d'observation du débiteur principal. Ils sont déboutés de leur demande de suspension, au prétexte qu'ils n'avaient pas été déposer leur dire dans le délai de 5 jours prévus sous peine de déchéance par l'article 703 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8996C8P). Ils se pourvoient en cassation. La Cour de cassation va déclarer leur pourvoi irrecevable, au motif que "la suspension des poursuites invoquée constituait une contestation de fond portant sur l'exigibilité de la créance et n'entrait pas dans le champ d'application de l'article 703 du code de procédure civile".

Les cautions, sans doute tardivement, avaient compris la règle de l'article L. 621-48 du Code de commerce, qui interdit les poursuites contre les cautions personnelles personnes physiques pendant la période d'observation. Ce texte empêche également toute exécution de titre et fait, donc, obstacle, tant à l'engagement qu'à la poursuite d'une saisie immobilière contre une telle caution pendant la période d'observation de la procédure de redressement judiciaire du débiteur principal. Cette demande de suspension, précise, ici, la Cour de cassation, n'est pas un incident entrant dans le champ d'application de l'article 703 de l'ancien Code de procédure civile, texte qui envisage les causes graves justifiant la remise de l'adjudication sur saisie immobilière. Parce que l'article 703 de l'ancien Code de procédure civile était inapplicable, la demande de remise de l'adjudication n'avait pas à être présentée au plus tard dans les cinq jours précédant l'audience d'adjudication. Mais encore fallait-il en tirer, sur le terrain procédural, les conséquences qui s'imposent : la décision du tribunal refusant la remise de l'adjudication était susceptible d'appel. Dès lors, le pourvoi en cassation directement formé sur le jugement était irrecevable.

Précisons que les solutions dégagées dans le présent arrêt resteront applicables après l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises, qui reprend la règle de la suspension des poursuites individuelles pendant la période d'observation du débiteur principal, en l'étendant aux personnes physiques cautions réelles, codébiteurs et garants autonomes.

La tâche du praticien n'est pas mince lorsqu'il est confronté à devoir coordonner deux corps de règles aussi techniques que celles des procédures collectives et de la saisie immobilière. C'est un travail de véritable spécialiste. Mais, après tout, lorsqu'un patient a mal au pied, va-t-il voir un cardiologue ?

  • Suspension des actions contre la caution pendant la période d'observation et jugement rendu après la fin de la période d'observation (Cass. com., 7 juin 2005, n° 03-18.421, F-D N° Lexbase : A6474DIM)

La loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7) a instauré, au profit des cautions personnelles personnes physiques, une suspension des actions pendant la période d'observation du redressement judiciaire du débiteur principal. La rédaction de l'article L. 621-48, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6900AIE) vise les actions "suspendues", ce qui postule que l'action en justice ou la voie d'exécution ait été entamée avant jugement d'ouverture du débiteur principal. En réalité, même si la rédaction du texte laisse à désirer, il faut décider que l'action en justice ou la voie d'exécution ne pourra davantage être entamée après le jugement d'ouverture. Le texte doit être ici interprété a fortiori. Le jugement rendu au mépris de l'interdiction des poursuites pendant la période d'observation peut être annulé (CA Paris, 15ème ch., sect. B, 8 octobre 2004, n° 03/00399, Société Briverdel et autres c/ Société Générale N° Lexbase : A7910DEP), encore qu'il apparaisse, plus justement, qu'il doive être tenu pour non avenu. Mais que se passe-t-il si le jugement est rendu après la fin de la période d'observation, alors que l'assignation a été lancée pendant la dite période ? C'est à cette question, d'un intérêt pratique évident, que répond l'arrêt rapporté.

En l'espèce, une banque octroie à une société P. deux prêts avec le cautionnement solidaire de deux personnes, M. C. et Mme J.. La banque se porte elle-même caution de la société P. au profit d'une société CNC, son engagement étant garanti par le cautionnement solidaire de M. C. et de Mme J.. La société P. est déclarée en redressement judiciaire. La banque déclare ses créances et assigne en paiement les cautions en exécution de leurs deux séries de cautionnements. La cour d'appel va déclarer doublement irrecevable la banque, au premier motif que l'assignation a été délivrée pendant la période d'observation, et au second motif que les dettes principales du débiteur principal n'étaient pas exigibles du fait du plan de continuation qu'il avait obtenu. La Cour de cassation va doublement censurer la décision.

Sur le second point, qui ne sera pas celui de notre attention, la Cour de cassation va énoncer, sans surprise, "qu'en statuant ainsi, alors que les délais de paiement consentis par les créanciers participent de la nature judiciaire des dispositions du plan de redressement et que les cautions solidaires ne peuvent s'en prévaloir, la cour d'appel a violé l'article susvisé" (C. com., art. L. 621-65, al. 2 N° Lexbase : L6917AIZ). La règle est connue : les cautions solidaires ne peuvent se prévaloir des dispositions du plan. Elles ne peuvent, en conséquence, se prévaloir des remises et, ce que précise ici la Cour de cassation, des délais accordés au débiteur, sans qu'il y ait à distinguer selon qu'ils ont été acceptés dans le cadre de la consultation préparatoire à l'adoption du plan de continuation ou qu'ils aient été imposés par le tribunal.

La solution est plus intéressante sur le premier point. La Cour de cassation va identiquement censurer la cour d'appel en relevant "qu'en statuant ainsi, alors qu'après l'adoption du plan de redressement du débiteur, le créancier avait retrouvé son droit d'agir sans être tenu de délivrer une nouvelle assignation, la cour d'appel a violé le texte susvisé" (C. com., art. L. 621-48).

La Cour de cassation n'a pas explicité la solution. Elle est pleinement justifiée au regard de l'article 126 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2072AD4), selon lequel "l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue". Ce texte permet assurément de laisser sans conséquence une introduction de l'instance contre la caution en période d'observation, dès lors que le tribunal a statué une fois la période d'observation terminée. Le créancier n'aura, dès lors, pas à lancer une nouvelle assignation au jour de l'arrêté du plan, solution précédemment posée (Cass. com., 24 mai 2005, n° 03-21.043, FS-P+B N° Lexbase : A4213DIU) ou du prononcé de la liquidation judiciaire (Cass. com., 10 mars 2004, n° 01-13.508, FS-P+B N° Lexbase : A6393DBE ; P.-M. Le Corre, L'assignation pendant la période d'observation des cautions personnelles personnes physiques, Lexbase Hebdo n° 121 du 19 mai 2004 - édition affaires N° Lexbase : N1623ABQ, D. 2004, AJ p. 1020, obs. A. Lienhard ; Rev. proc. coll. 2004, p. 231, n° 3, obs. F. Macorig-Venier).

La solution est spécialement heureuse pour le créancier qui a inscrit une sûreté judiciaire provisoire sur un bien de la caution après l'ouverture de la procédure collective du débiteur principal. A défaut, la sûreté judiciaire provisoire, que le créancier a le droit d'inscrire sur un bien de la caution pendant la période d'observation du redressement judiciaire du débiteur principal, serait nécessairement caduque si le créancier n'avait pas assigné la caution avant l'ouverture de la procédure collective du débiteur. Cette solution de la Chambre commerciale de la Cour de cassation permet de sauver la désastreuse jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui pose en règle la caducité de la mesure conservatoire pratiquée sur la caution après le jugement d'ouverture de la procédure du débiteur principal, faute pour le créancier de pouvoir lancer son action contre la caution après ledit jugement d'ouverture pour valider, ainsi, sa mesure conservatoire (Cass. civ. 2, 30 avril 2002, n° 00-20.372, M. André Rivera c/ Banque populaire provençale & corse (BPPC), FS-P+B N° Lexbase : A5571AYY, D. 2002, AJ p. 2260, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E. et A. 2002, chron. 1380, p. 1521, n° 3, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll. 2002/11, n° 140, obs. Ph. Pétel ; RTD com. 2003, p. 162, n° 2, obs. A. Martin-Serf). La loi de sauvegarde des entreprises n'a pas changé les données du problème, sauf à étendre le dispositif à toutes les personnes physiques cautions -personnelles et réelles-, aux coobligés et aux garants autonomes. Peut-être le pouvoir réglementaire sera-t-il clairvoyant... Après tout, la solution, qui apporterait une précision procédurale à l'article L. 622-26, alinéa 3, tel qu'il résulte de la loi de sauvegarde des entreprises, apparaît de nature réglementaire.

Pour la seconde partie de ce panorama, lire (N° Lexbase : N7397AK8)

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