La lettre juridique n°177 du 21 juillet 2005 : Procédure prud'homale

[Jurisprudence] L'appel incident formé par le dépôt ou l'envoi au greffe de conclusions écrites avant le désistement de l'appelant principal est régulier

Réf. : Cass. soc., 5 juillet 2005, n° 02-47.233, Mme Anne Palomba c/ Société Strategic, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8758DI9)

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par Cécile Curt, Avocate au sein du Cabinet Fromont, Briens & Associés

le 07 Octobre 2010

Dans le cadre de la procédure prud'homale, le droit de l'appelant de se désister à tout moment de son recours et celui de l'intimé de former un appel ou une demande incidente donnent lieu, compte tenu du caractère oral des débats, à des difficultés procédurales auxquelles la jurisprudence n'apporte pas toujours des solutions très harmonisées. Dans un arrêt en date du 5 juillet 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation indique qu'en dépit du caractère oral de la procédure prud'homale, le dépôt ou l'envoi au greffe de conclusions contenant appel incident formé antérieurement au désistement de l'appelant principal est régulier. Dès lors, en application de l'article 401 du Nouveau Code de procédure civile (NCPC) (N° Lexbase : L2634ADW), le désistement de l'appelant, pour être parfait, doit être accepté par les intimés. Si cette solution permet d'apprécier la portée des conclusions écrites d'appel incident dans le cadre d'une procédure orale (1), il n'en reste pas moins qu'elle n'est pas très conforme au principe de l'oralité de la procédure prud'homale (2).
Décision

Cass. soc., 5 juillet 2005, n° 02-47.233, Mme Anne Palomba c/ Société Strategic, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8758DI9)

Cassation (CA Angers, Chambre sociale, 14 octobre 2002)

Texte visé : NCPC, art 401 (N° Lexbase : L2634ADW)

Mots-clefs : désistements d'instance ; formation préalable de l'appel incident.

Lien bases :

Résumé

En dépit du caractère oral de la procédure prud'homale, l'appel incident peut être régulièrement formé par dépôt ou envoi au greffe de conclusions valant déclaration d'appel. Il en résulte que le désistement de l'appelant, dès lors qu'il est postérieur au dépôt des conclusions d'appel incident, n'est valable que si la partie intimée l'a accepté.

Faits

1. Madame Palomba et Madame Selles, salariées de la société Strategic, ont été licenciées pour motif économique. La société a interjeté appel de la décision du conseil de prud'hommes qui a jugé leurs licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse. Le 14 mars 2001, les salariées ont déposé au greffe de la cour d'appel d'Angers des conclusions écrites d'appel incident. Par voie de conclusions écrites notifiées aux salariées le 28 août 2002, remises au greffe le 11 septembre 2002 et réitérées à l'audience du 12 septembre 2002, la société s'est désistée de son appel.

2. Madame Palomba et Madame Selles font grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que le dépôt de conclusions portant appel incident enregistrées au greffe de la Cour le 14 mars 2001 ne suffit pas à établir l'antériorité de l'appel, la procédure étant orale.

Solution

1. "Nonobstant le principe de l'oralité des débats en matière prud'homale, l'appel incident peut être régulièrement formé par dépôt ou envoi au greffe de conclusions valant déclaration d'appel.

L'appel incident ayant été formé avant le désistement de l'appelant principal, ce désistement ne pouvait être parfait en l'absence d'acceptation des défenderesses".

2. Casse et annule.

Commentaire

1. La portée des conclusions écrites d'appel incident dans le cadre d'une procédure orale

  • Les conditions du désistement au regard de l'appel incident

Selon qu'il peut ou non lui nuire, le désistement est ou n'est pas subordonné à l'acceptation de l'adversaire.

Ainsi, aux termes de l'article 401 du NCPC (N° Lexbase : L2634ADW), "le désistement de l'appel n'a besoin d'être accepté que s'il contient des réserves ou si la partie à l'égard de laquelle il est fait a, préalablement, formé un appel incident ou une demande incidente".

Le désistement de l'appel nécessite donc l'acceptation de l'adversaire chaque fois que ce dernier a formé préalablement un appel incident, et ce compte tenu de l'intérêt qu'il peut avoir alors à la poursuite de l'instance.

Toutefois, la condition d'antériorité de l'appel incident par rapport au désistement est déterminante pour apprécier si le désistement a produit ou non son effet extinctif, d'où la nécessité de pouvoir dater le moment précis où l'appel incident a été formé.

Dans la procédure avec représentation obligatoire, les choses sont assez simples dés lors que le désistement ne peut être fait que par conclusions écrites (Cass. civ. 2, 3 juin 1998, n° 96-20.057, M. Escudero c/ Caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales et autre, publié N° Lexbase : A5141ACE), dont la date permet de trancher le problème d'antériorité.

En revanche, ce problème d'antériorité retrouve toute son acuité en matière prud'homale, en raison de l'oralité de la procédure (C. trav., art. R. 516-6 N° Lexbase : L0652ADI).

  • L'antériorité de l'appel incident et la spécificité de la procédure orale

En l'espèce, il semble que l'appelant soutenait que l'oralité de la procédure exige que les demandes, pour être valablement formulées, soient présentées oralement le jour de l'audience. L'appelant ayant la parole en premier, il pouvait confirmer son désistement sans que les intimées ne puissent alors le considérer comme ayant préalablement relevé appel ou formé de demande incidente.

Ainsi, selon l'appelant, le fait que les salariées aient déposé préalablement des écritures présentant un appel incident hors le délai prévu pour interjeter appel principal était inopérant du fait de l'oralité des débats.

Une telle argumentation était, jusqu'ici, conforme à la solution que la Cour de Cassation semblait favoriser, à savoir l'admission du désistement de l'appelant opéré à la barre au détriment de l'appel incident.

Ainsi, la Cour de cassation a pu décider que, lorsque la procédure est orale, les conclusions écrites contenant appel incident préalablement notifiées par l'intimé ne font pas obstacle au désistement ultérieur de l'appelant et sont inopérantes (Cass. soc., 11 juin 2002, n° 00-42.369, F-D N° Lexbase : A9010AYD).

De même, en cas de concomitance du désistement de l'appel et de l'appel incident à l'audience de plaidoirie, elle a pu déclarer que l'appel incident n'avait pas été formé préalablement au désistement en sorte que le désistement produit effet (Cass. soc., 26 septembre 2002, n° 00-42.612, F-D N° Lexbase : A4891AZ8).

Toutefois, dans une affaire où le désistement avait été fait par conclusions écrites déposées au greffe, la Cour de cassation a considéré que ce dépôt, qui n'avait été précédé ni d'un appel incident, ni d'une demande incidente, avait immédiatement produit son effet extinctif (Cass. soc., 29 avril 2003, n° 01-41.631, F-P sur le moyen relevé d'office N° Lexbase : A7578BSH).

La Cour semblait donc donner une portée distincte au dépôt de conclusions, par rapport au principe de l'oralité des débats, selon qu'il s'agissait de conclusions de désistement émanant de l'appelant ou de conclusions d'appel incident émanant de la partie intimée.

  • Par son arrêt du 5 juillet 2005, la Cour de cassation harmonise ses positions antérieures en considérant que l'appel incident formulé par dépôt ou envoi au greffe de conclusions contenant appel incident avant la date de l'audience vaut déclaration d'appel.

Ainsi, la Cour de cassation admet que la règle de l'oralité des débats n'interdit pas à la partie adverse d'officialiser, par des conclusions écrites, son appel incident sans attendre la date de l'audience, la date du dépôt des conclusions permettant de trancher le problème d'antériorité.

Il en résulte que le dépôt ou l'envoi au greffe de conclusions contenant appel incident formé antérieurement au désistement de l'appelant principal est régulier.

En l'espèce, en application de l'article 401 du NCPC, le désistement de la société, pour être parfait, devait donc être accepté par les intimées.

2. Une solution peu conforme au principe d'oralité de la procédure prud'homale

Il ne fait nul doute que par cet arrêt, la Cour de cassation entend faire prévaloir la date de dépôt des conclusions écrites sur les déclarations faites au cours des débats, ce qui est contraire au principe d'oralité prévu par l'article R. 516-6 du Code du travail (N° Lexbase : L0652ADI).

En outre, il résulte de l'article R. 516-0 du Code du travail (N° Lexbase : L8828ACX) que les dispositions du Nouveau Code de procédure civile sont applicables, sous réserve des dispositions du présent code, devant les juridictions statuant en matière prud'homale.

Or, par application de l'article 946 du NCPC (N° Lexbase : L3252ADS), c'est au moment de l'audience que doit s'apprécier la prétention des parties, celles-ci pouvant alors faire référence à des écrits antérieurs. Mais, cette référence ne devrait pas permettre de dater la prétention de l'auteur de l'appel incident. En effet, une telle solution revient à donner à la prétention un effet rétroactif et, par voie de conséquence, à conférer à des écritures à fins d'appel incident un effet processuel propre, prévalant sur l'oralité de la procédure.

Ceci est d'autant plus vrai qu'en l'espèce, il était tout à fait possible pour les salariées de saisir immédiatement la cour dans le délai d'appel principal de ce qu'elles n'étaient pas satisfaites du résultat du jugement rendu par le conseil de prud'hommes qui, rappelons-le, avait jugé leurs licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse.

La solution retenue est donc particulièrement favorable au plaideur qui profite de l'appel adverse pour tenter d'améliorer le résultat obtenu.

Si l'on peut regretter qu'elle ne soit pas en totale conformité avec la règle de l'oralité de la procédure, elle opère un certain rééquilibrage entre les parties au procès, dans la mesure où l'intimé conserve la possibilité de faire échec à la stratégie procédurale de son adversaire qui va préférer se désister de son recours.

Dans cette circonstance, l'appelant qui souhaite retirer son appel devra toujours s'assurer que l'intimé n'a pas régulièrement formé d'appel incident par le dépôt d'écritures en ce sens auprès du greffe.

Si cela sécurise la procédure en permettant de mieux dater les prétentions respectives des parties quant à l'instance, certaines difficultés procédurales subsistent. Ainsi, à supposer que le dépôt au greffe du désistement et de l'appel incident se produise le même jour, on peut se demander si la liberté du désistement l'emportera toujours.

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