La lettre juridique n°177 du 21 juillet 2005 : Sécurité sociale

[Jurisprudence] L'allocation supplémentaire est-elle exportable sur le territoire communautaire ?

Réf. : Cass. civ. 2, 21 juin 2005, n° 04-30.050, M. José Perez Naranjo c/ Caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) Nord-Picardie, FS-P+B (N° Lexbase : A8212DIY)

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le 07 Octobre 2010

L'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité (aujourd'hui Fonds de solidarité vieillesse) est-elle, au sens du règlement communautaire 1408/71 modifié (règlement CE n° 1408/71 du conseil, 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté N° Lexbase : L4570DLT), une prestation de Sécurité sociale, relevant du principe d'exportation des prestations sur tout le territoire communautaire, ou constitue-t-elle une prestation spéciale à caractère non contributif échappant à ce principe et susceptible de n'être conservée qu'au cas de maintien de la résidence du bénéficiaire en France ? Dans cet arrêt du 21 juin 2005, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation décide de renvoyer la question en interprétation à la Cour de justice des Communautés européennes.
Décision

Cass. civ. 2, 21 juin 2005, n° 04-30.050, M. José Perez Naranjo c/ Caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) Nord-Picardie, FS-P+B (N° Lexbase : A8212DIY)

Renvoi à la CJCE aux fins d'interprétation (cour d'appel de Douai, Chambre sociale, 28 février 2003)

Textes concernés : règlement CE n° 1408/71 du conseil du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (N° Lexbase : L4570DLT), modifié par le règlement CE n° 1249/92 du 30 avril 1992 (N° Lexbase : L7880G9Q).

Mots-clés : coordination communautaire des systèmes de Sécurité sociale ; prestations de Sécurité sociale ; prestations spéciales à caractère non contributif ; principe de libre-circulation.

Lien bases : (N° Lexbase : E2639ACQ)

Résumé

L'allocation supplémentaire est-elle, au sens du règlement communautaire 1408/71 modifié, une prestation de Sécurité sociale relevant du principe d'exportation des prestations sur tout le territoire communautaire, ou constitue-t-elle une prestation spéciale à caractère non contributif échappant à ce principe et susceptible de n'être conservée qu'en cas de maintien de la résidence du bénéficiaire en France ?

Faits

1. Monsieur José Perez Naranjo, de nationalité espagnole, né le 27 septembre 1931 et résidant désormais en Espagne, a travaillé en France de 1957 à 1964.

2. Il bénéficie à ce titre de pensions de vieillesse du régime français depuis le 1er novembre 1991.

3. Il a demandé, également, le versement de l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité qui lui a été refusé par décision du 5 août 1999.

4. La cour d'appel de Douai a débouté Monsieur José Perez Naranjo de son recours aux motifs qu'expressément visée à l'annexe II bis du règlement CEE n° 1408/71 du 14 juin 1971, l'allocation supplémentaire litigieuse constituait une catégorie particulière de prestations, dites "prestations spéciales à caractère non contributif" qui, relevant de l'article 10 bis du même règlement, n'étaient plus exportables à compter du 1er juin 1992, date à laquelle l'intéressé ne justifiait pas de la condition d'âge fixée par les articles L. 815-2 (N° Lexbase : L8674GQC) alors applicable et R. 815-2 (N° Lexbase : L8526AD7) du Code de la Sécurité sociale.

5. Monsieur José Perez Naranjo fait valoir en cassation que l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité ne constitue ni une prestation spéciale, ni une prestation non contributive et, qu'en retenant le contraire, pour la seule raison qu'elle était expressément visée à l'annexe II bis du règlement CEE n° 1408/71 (N° Lexbase : L4570DLT) modifié par le règlement CEE n° 1249/92 (N° Lexbase : L7880G9Q), sans se livrer à aucun examen de la nature de cette prestation, la cour d'appel a violé les articles 4, paragraphe 2 bis, et 10 bis du règlement susvisé.

Solution

Renvoi à la CJCE aux fins de répondre à la question suivante :

Le droit communautaire doit-il être interprété en ce sens que l'allocation supplémentaire litigieuse, inscrite à l'annexe II bis du règlement n° 1408/71, présente un caractère spécial et un caractère non contributif excluant, par application des articles 10 bis et 95 ter du règlement n° 1408/71, son attribution au demandeur non résident qui n'en remplissait pas la condition d'âge à la date du 1er juin 1992, ou bien, en ce sens que, s'analysant en une prestation de Sécurité sociale, cette allocation doit, par application de l'article 19, paragraphe 1, du même règlement, être servie à la personne concernée en remplissant les conditions d'attribution, quel que soit l'Etat membre dans lequel il réside ?

Sursis à statuer sur le pourvoi jusqu'à la décision de la CJCE.

Commentaire

Avec la non-discrimination selon la nationalité et la totalisation des périodes de cotisations, l'exportation des prestations fait partie des trois principes cardinaux de la coordination communautaire des systèmes de Sécurité sociale, tels qu'ils sont énoncés dans cet imposant massif de dispositions qu'est le règlement 1408-71 du 14 septembre 1971 (N° Lexbase : L4570DLT), plusieurs fois modifié depuis (1).

Ainsi, celui qui s'est acquis sur le territoire d'un Etat membre le droit à une prestation de Sécurité sociale doit pouvoir continuer à en jouir sur le territoire d'un autre Etat membre, alors même que cette prestation serait, dans son Etat d'origine, subordonnée à une condition de résidence. Autrement dit, il y a, en quelque sorte, assimilation du territoire communautaire au territoire de chaque Etat membre.

Ce principe, particulièrement favorable aux assurés migrants, a pu faire difficulté pour certaines prestations, ainsi pour une partie des prestations familiales et, surtout, pour les prestations non contributives, c'est-à-dire celles qui sont financées non point par les cotisations des assurés sociaux, mais par l'impôt, et qui paraissent davantage relever d'une idée d'assistance ou d'aide sociale que de la Sécurité sociale (2). C'est bien le cas, par exemple, pour ce qui est du droit français, de l'allocation supplémentaire versée, à l'origine, par le Fonds national de solidarité et, aujourd'hui, par le Fonds de solidarité vieillesse, et qui vient améliorer les ressources de la personne âgée en lui garantissant un minimum vieillesse, quand celle-ci n'a pas cotisé assez longtemps pour bénéficier d'une pension de retraite suffisante (3).

C'est bien la raison pour laquelle, à la suite d'une modification du règlement 1408 /71 par un règlement 1247/92 du 30 avril 1992 (règlement CEE n° 1247/92 du Conseil du 30 avril 1992 modifiant le règlement CEE n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté N° Lexbase : L6213AUN), cette prestation particulière figure aujourd'hui, en annexe II bis du règlement communautaire, dans la liste des prestations spéciales à caractère non contributif qui, exceptionnellement, échappent à la règle de l'exportation des prestations et peuvent rester soumises à une condition de maintien de la résidence du bénéficiaire en France (4).

Arrivé à ce stade de l'analyse, on peut penser que tout est dit est que la prétention de Monsieur Perez Najanro de continuer à percevoir l'allocation supplémentaire du FNS alors qu'il avait transporté son domicile en Espagne n'avait décidément aucune chance de succès. C'est, du reste, en ce sens que s'était orientée la cour de Douai.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 21 juin 2005, ne contredit pas nécessairement ce raisonnement, mais elle le juge douteux et saisit la Cour de justice des Communautés européennes en interprétation. Son motif essentiel est que l'inscription de l'allocation supplémentaire française sur la fameuse liste d'exclusion du principe d'exportation ne signifie pas nécessairement que cette prestation doit être tenue, sans aucune autre analyse, pour une prestation spéciale à caractère non contributif. En d'autres termes, elle demande à la CJCE de se prononcer sur le point de savoir si l'inscription sur la liste figurant dans l'annexe II bis est ou n'est pas une condition suffisante pour autoriser une entorse au principe d'exportation.

L'arrêt appelle au moins deux types de commentaires.

Le premier est qu'il se réfère, en effet, à une jurisprudence de la CJCE elle-même, telle du moins qu'elle s'affirme dans un arrêt "Jauch", rendu le 8 mars 2001 (CJCE, 8 mars 2001, aff. C-215/99, Friedrich Jauch c/ Pensionsversicherungsanstalt der Arbeiter N° Lexbase : A0284AWG). En l'occurrence, il s'agissait de savoir si une allocation de soins de droit autrichien liée à l'état de dépendance et inscrite sans conteste à l'annexe II bis du règlement 1408/71 (Pflegegeld) pouvait cependant relever du principe d'exportation des prestations. La réponse de la Cour, au terme d'une longue démonstration, s'avère être positive.

Elle rappelle, tout d'abord, comme elle le fait de façon constante, qu'une prestation peut être considérée comme une prestation de Sécurité sociale dans la mesure où elle est octroyée aux bénéficiaires, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, sur la base d'une situation légalement définie et où elle se rapporte à l'un des risques expressément énumérés à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71.

C'est pousser assez loin les frontières de la Sécurité sociale et réduire d'autant le domaine de l'aide sociale. La prestation autrichienne répond, en tous cas, à cette définition qui a, bien entendu, pour fonction d'étendre le champ d'application de la coordination communautaire des systèmes de Sécurité sociale. Il ne faut ni s'en étonner ni encore moins le regretter puisque, toujours selon la CJCE dans le même arrêt "Jauch", les dispositions du règlement n° 1408/71 prises en application de l'article 51 du traité CE , doivent être interprétées à la lumière de l'objectif de cet article qui est de contribuer à l'établissement d'une liberté de circulation des travailleurs migrants aussi complète que possible.

Et la Cour de poursuivre, en énonçant que le but des articles 48 et 49 du traité CE (devenus, après modification, articles 39 N° Lexbase : L5348BC3 et 40 N° Lexbase : L5350BC7 du traité CE), 50 du traité CE ainsi que 51 du traité CE ne serait pas atteint si, par suite de l'exercice de leur droit de libre circulation, les travailleurs devaient perdre des avantages de Sécurité sociale que leur assure la législation d'un Etat membre. Les dispositions dérogatoires ne peuvent donc être interprétées que restrictivement.

Elle se contente ensuite de relever, pour juger que l'allocation en cause a, en dépit des apparences, un caractère contributif, que son financement présente un lien, certes indirect mais, il faut le croire, suffisant, avec les cotisations d'assurance maladie, et que ce lien est d'autant plus fort que la ponction faite en l'occurrence sur les ressources de l'assurance maladie l'est sur la partie contributive des recettes. Dès lors, l'allocation de soins concernée présente un caractère contributif.

Il convient alors de se demander, en second lieu, ce qu'il en sera devant la CJCE de la prestation française en cause.

Sur le premier point du raisonnement, on peut imaginer assez aisément que la CJCE suivra ici le même chemin que dans l'arrêt "Jauch". La vieillesse fait partie des branches énoncées à l'article 4 du règlement et l'allocation supplémentaire du FNS (aujourd'hui FSV) vient, comme son nom l'indique, compléter une couverture sans elle insuffisante. Dès lors, on peut imaginer que la Cour redise à cette occasion que des prestations en apparence étrangères à la Sécurité sociale peuvent néanmoins être rattachées à son domaine et donc, à celui du règlement, dès lors qu'elles sont destinées à couvrir, à titre supplétif, complémentaire ou accessoire, les éventualités correspondant aux branches de Sécurité sociale visées à l'article 4, paragraphe 1, du même règlement. Tout au plus pourrait-on objecter que le versant non contributif de la couverture vieillesse, auquel appartient l'allocation supplémentaire, est plus distinct que véritablement complémentaire du versant assurantiel (5).

Il est, en revanche, un peu plus douteux que la CJCE parvienne à découvrir un lien, fût-il indirect, entre le financement fiscal de cette allocation et les cotisations d'assurance vieillesse. Peut-être est-ce ici que le bât blessera, d'autant plus que, selon Pierre Rodière, le caractère contributif ou non contributif de la prestation paraît bien devoir être décisif quand il s'agit de savoir s'il faut la faire basculer ou non dans le champ du principe d'exportation (6).

Il est, en tous cas, permis d'observer que le renvoi en interprétation montre assez combien la qualification des prestations doit demeurer, dans le cadre du Règlement communautaire, de nature strictement fonctionnelle (s'il est possible, d'ailleurs, d'évoquer sans contradiction une nature fonctionnelle !) et s'orienter à la seule boussole des exigences du principe de libre-circulation.

Jean-Pierre Laborde
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Membre du Centre de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale (UMR Université-CNRS n° 5114)


(1) Cf. P. Rodière, Droit social de l'Union européenne, LGDJ, 2ème édition, 2002, n° 576 et suivants, pages 561 et suivantes ; J.-P. Laborde, Droit de la sécurité sociale, PUF, Thémis, 2005, n° 476, page 216.

(2) A noter qu'un règlement nouveau, du 29 avril 2004, devrait se substituer, dans le courant de l'année 2006, au règlement 1408/71.

(3) Sur la montée des prestations non contributives dans les systèmes de Sécurité sociale et, particulièrement, dans le système français, voir J.-P. Laborde, op. cit., n° 323, page 150.

(4) A noter, toutefois, qu'une ordonnance du 24 juin 2004 (ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004, simplifiant le minimum vieillesse N° Lexbase : L5053DZ8) prévoit une simplification du dispositif du minimum vieillesse, avec l'instauration d'une allocation dite de solidarité aux personnes âgées, qui devrait entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2006. Les données du problème ici exposé ne devraient cependant pas en être substantiellement modifiées.

(5) La prestation ne serait donc plus exportable depuis le 1er juin 1992, donc avant que le demandeur ait atteint l'âge requis (sauf inaptitude) de 65 ans.

(6) Op. cit., n° 633, page 604.

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