La lettre juridique n°115 du 8 avril 2004 : Droit public des affaires

[Questions à...] Questions à ... Jacques Bouillon, avocat à la Cour, sur les nouveaux contrats de partenariats public privé

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par Propos recueillis par Anne-Laure Blouet-Patin, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition Affaires

le 07 Octobre 2010

L'année 2004 semble être l'année du droit public des affaires ! Après la réforme du Code des marchés publics, entrée en vigueur le 10 janvier dernier, le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie prépare une ordonnance relative aux contrats de partenariats public privé. Qu'en est-il de ces futurs contrats ? Quelles sont leurs différences avec le panel existant en matière de commande publique ? Pour en savoir plus, Lexbase a rencontré un spécialiste en la matière : Jacques Bouillon. Jacques Bouillon, associé du cabinet d'avocats White & Case LLP, s'occupe depuis près de six ans, avec Paule Biensan, autre associée du cabinet, du département financement de projet. Il a bien voulu répondre à nos questions.

LEXBASE : Dans quel contexte arrivent aujourd'hui ces nouveaux contrats de partenariats public privé ? Comment se situent-ils parmi les différents contrats administratifs existants ?

Jacques Bouillon : Pour remplir ses missions de service public, une personne publique peut choisir de "faire" - le service est assuré en régie - ou de "faire faire" et c'est alors le cas des délégations de service public.

Mais, que la personne publique assure elle-même l'exécution du service public ou qu'elle la délègue à une personne privée, cela nécessite de réaliser des investissements souvent onéreux. Dans le premier cas, la personne de droit public doit satisfaire ses besoins en matière d'équipements ou d'ouvrages publics, par le biais de marchés publics, alors que dans le cas des délégations de service public, c'est le délégataire qui finance ces investissements.

Dans le cas d'un marché public, l'administration est client du cocontractant : elle acquiert les biens pour exécuter elle-même le service public. Par exemple, si une municipalité souhaite gérer elle-même le service de restauration scolaire de premier degré, elle devra, en passant des marchés publics de travaux, faire construire une cuisine centrale et réaliser des travaux dans des écoles pour aménager des points de distribution. C'est la commune qui devra payer, sur une très courte durée (celle du marché de travaux) au titulaire du ou des marchés, le montant des travaux tandis que le personnel municipal exécutera le service public.

Dans le cas d'une délégation de service public, l'administration demande à une entreprise de concevoir, construire, financer et exploiter un service. Le délégataire se rémunère (substantiellement) en percevant des tarifs sur les usagers de ce service public. Concrètement, si l'on reprend l'exemple de la cantine scolaire, la municipalité va confier l'intégralité du projet à une entreprise, qui sera rémunérée, substantiellement, par le prix des repas payés par les parents des élèves. En outre et au cas particulier, le délégataire percevra également de la commune, dans la plupart des cas, un complément de rémunération sous forme de compensation de tarifs sociaux.

Ainsi, deux critères différencient le marché public de la délégation de service public : celui tiré de la personne en charge de l'exploitation du service, et celui lié au mode de rémunération du cocontractant. Dans le cas d'une délégation de service public sa rémunération est, selon la jurisprudence et la loi, liée substantiellement aux résultats d'exploitation du service (Code général des collectivités territoriales, article L. 1411-1 N° Lexbase : L8315AA9).

Cependant, quelques cas existent où il n'est possible de recourir, ni aux marchés publics, (coûts trop élevés, impossibilité d'insérer des clauses de paiements différés dans les marchés) ni à la délégation de service public (absence d'usagers payants, impossibilité de déléguer le service).

C'est pourquoi la pratique développa une forme intermédiaire de contrat, hybride des marchés publics et de la délégation de service public : les marchés d'entreprise de travaux publics. La notion de METP fût dégagée, une première fois, par la jurisprudence Ville de Colombes, en 1963, (CE, 11 décembre 1963, Ville de Colombes, Recueil p. 612), définition affinée en 1971 (CE, 26 novembre 1971, n° 75710, SIMA N° Lexbase : A8143B84) et selon laquelle, un METP est "un contrat de longue durée ayant pour objet la réalisation et l'exploitation d'ouvrages nécessitant des investissements importants dont l'amortissement doit être effectué pendant toute la durée de l'exploitation, et comportant pour le cocontractant de l'administration des garanties analogues à celles accordées aux concessionnaires de services publics ou de travaux publics".

Les avantages (avouables) de cette formule, pour les personnes publiques, tenaient donc à la réalisation immédiate d'un ouvrage sans avoir recours ni à l'emprunt ni à l'impôt, à l'étalement des paiements sur une longue période et à la garantie d'avoir un ouvrage correctement réalisé, puisque l'entreprise chargée d'exécuter les travaux était la même que celle qui devait assurer la maintenance et l'exploitation de l'ouvrage.

Malheureusement, d'autres desseins, moins avouables, étaient parfois poursuivis par les personnes publiques, comme celui de vouloir contourner les règles de publicité et de mise en concurrence nationales et européennes ou de déguiser leur endettement réel. Ainsi quelques affaires ont défrayé la chronique telles que celles des ascenseurs des HLM de Paris ou encore celles des rénovations des lycées d'Ile de France.

Le problème principal soulevé à l'époque relevait de la qualification de ces marchés (marchés publics ou délégation de service public) et surtout de la rémunération qui était étalée dans le temps. Ainsi, le Conseil d'Etat, dans son rapport annuel pour 1993, avait condamné cette forme de contrat. Une instruction du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie avait relevé que "les formules de METP avec paiement différé présentaient de nombreux inconvénients : endettement indirect de la collectivité locale, coût élevé, opacité dans la répartition du marché entre la construction, le financement et l'exploitation ou la maintenance, frein pour l'accès direct des petites et moyennes entreprises à la commande publique, réduction de la concurrence" (Revue des marchés publics, n° 3/2001, page 56, § 10.8).

C'est pourquoi le Conseil d'Etat condamna ce type de contrat (cf. notamment, CE, contentieux, 8 février 1999, n° 150931, Préfet des Bouches du Rhône c/ Commune de la Ciotat N° Lexbase : A4367AXZ et CE, contentieux, 30 juin 1999, n° 169336, Département de L'Orne, Société Gespace France N° Lexbase : A4669AX9) avant que le nouveau Code des marchés publics ne confirme cette sanction en obligeant la dissociation des lots conception/construction et maintenance (article 10) et en interdisant l'insertion dans un marché public de clause de paiement différé (article 94).

Néanmoins, la problématique est demeurée inchangée : il reste toujours des cas où les personnes publiques ne veulent, ni ne peuvent déléguer, alors que leurs capacités financières ne peuvent leur permettre de financer des ouvrages ou des équipements publics dont la nécessité est incontestable.

C'est dans ce contexte qu'ont émergé les contrats de partenariat, d'abord sous la forme d'approches sectorielles - lois n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure ("LOPSI") (N° Lexbase : L6285A4K), n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice ("LOPJ") (N° Lexbase : L6903A4G) et ordonnance n° 2003-850 du 4 septembre 2003 portant simplification de l'organisation administrative et du fonctionnement du système de santé (N° Lexbase : L4482DIT) - puis sous la forme générale qui sera mise en place par l'ordonnance à venir.

LEXBASE : Comment se présente ce futur contrat ? Quelles sont ses conditions d'utilisation ?

Jacques Bouillon : Les contrats de partenariat sont, selon la définition donnée par l'ordonnance du ministère "[...] des contrats globaux par lequel une personne publique ou une personne privée chargée d'une mission de service public, associe un tiers soit au financement, à la conception, la réalisation ou la transformation et l'exploitation ou la maintenance d'équipements publics, soit au financement, à la conception et à la mise en oeuvre d'une opération de prestation de services". Il s'agit donc d'une définition très large qui englobe notamment ce que les praticiens ont appelé les vrais et les faux METP (ceux dans lesquels aucune exploitation du service n'était prévue mais qui comprenaient une mission d'entretien ou de maintenance des ouvrages).

Comme dans les ex-METP, la rémunération, définie et répartie sur l'ensemble du contrat, sera assurée par la personne publique mais, première particularité du contrat de partenariat, cette rémunération pourra être assurée par tout moyen sans toutefois pouvoir être liée substantiellement aux résultats de l'exploitation (qui caractérise les délégations de service public) ; par ailleurs cette rémunération sera liée à des objectifs de performance.

Sans être exhaustif les innovations majeures de ce type de contrats sont nombreuses et l'on peut notamment souligner :
- l'abandon de l'allotissement prévu par les articles 7 et 18 la loi MOP (loi n° 85-704, 12 juillet 1985, relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée N° Lexbase : L7908AGY) qui posent le principe de la dissociation entre la mission de maîtrise d'oeuvre et celle de l'entrepreneur, sauf lorsque des motifs d'ordre technique rendent nécessaire la réunion de ces missions au sein d'un seul lot ;
- la possibilité pour le titulaire d'un contrat de partenariat passé avec l'Etat de recourir au crédit-bail.

Comme ces contrats auront un régime de passation et d'exécution qui leur est propre et qu'ils ne constituent pas des marchés mais bien une nouvelle catégorie de contrat administratif, le nouveau Code des marchés publics ne leur sera pas applicable et le paiement effectué par la personne publique pourra être étalé dans le temps.

Pour autant ces contrats seront strictement encadrés, ce qui n'étaient pas le cas des METP, tant dans leur régime de publicité et de mise en concurrence que dans leur contenu puisque nombreuses seront des clauses qui seront obligatoires (durée adaptée à l'objet et au financement, calcul de la rémunération du cocontractant distinguant investissement, fonctionnement et coûts financiers, etc...).

Par ailleurs, les réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel à l'occasion de l'examen de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003, habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (N° Lexbase : L6771BHA), ont imposé que l'ordonnance, prise sur le fondement de la loi d'habilitation précitée, prescrive que les contrats de partenariats répondent "[...] à des motifs d'intérêt général tels que l'urgence, qui s'attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé" (décision du Conseil constitutionnel n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 N° Lexbase : A9631C89).

Là résidera probablement l'une des clés du succès de cette formule : les contrats qui porteront sur la conception et la construction d'ouvrages situés sur le domaine public devront, en effet, être précédés d'une évaluation du projet en termes économiques, financiers et d'intérêt pour le service qui sera une véritable analyse comparative entre la réalisation du projet sous la forme d'un contrat de partenariat et sous les formes classiques de marchés séparés.

La validité des contrats de partenariat dépendra donc du sérieux et de l'impartialité avec lequel cette évaluation sera menée et du respect par les personnes publiques du résultat donné par ces études.

Gageons que l'organisme expert (qui sera créé par décret en Conseil d'Etat) à qui seront systématiquement confiées les évaluations de projets de contrats de partenariat de l'Etat ou de ses établissements publics, sera également sollicité par les collectivités locales pour réaliser les mêmes évaluations, compte tenu de la complexité et de l'importance de ces dernières sur la validité desdits contrats.

Cependant, s'il sera facile à "l'organisme expert" de conduire une analyse comparative des avantages et inconvénients économiques et financiers entre les marchés "classiques" et la formule "contrat de partenariat", comment et sur quels critères non subjectifs, appréciera-t-il "l'intérêt pour le service" que pourront présenter l'une et l'autre solution ? Surtout, qu'en sera-t-il de la liberté de la personne publique d'apprécier "l'intérêt du service" de manière différente de l'organisme expert?

Autant de questions, dont les réponses pourront affecter la sécurité juridique du projet et qui susciteront, à n'en pas douter, l'intérêt de la communauté financière.

Enfin, autre originalité du mode de passation des contrats de partenariat : la phase possible, mais non obligatoire, d'un "dialogue". En effet, certains cas de projet sont si complexes, que seul un dialogue entre la collectivité et ses partenaires privés permettra de définir précisément les modalités techniques, juridiques et financières qui devront être transcrites dans le contrat de partenariat, avant même de décider à qui sera attribué ce même contrat.

Cette procédure (qui se rapproche de la procédure de dialogue compétitif introduite par le nouveau code des marchés publics) devra permettre de répondre à l'impossibilité pour la personne publique de définir objectivement les moyens techniques et/ou les montages juridiques et financiers à mêmes de répondre à ses attentes.

LEXBASE : Comment se place ce futur texte par rapport au droit communautaire ?

Jacques Bouillon : C'est l'une des zones d'ombres du projet d'ordonnance. En effet, à ce jour, aucune directive communautaire n'encadre les contrats de partenariats public-privé. Aujourd'hui les directives européennes consacrées qui s'imposent aux personnes publiques sont nombreuses (directive "fournitures", directive "travaux", directives "services" et directive "services spéciaux"), et, en fonction du type de contrat de partenariat qui sera conclu, des difficultés pourront naître de l'impossibilité de rattacher, avec certitude, tel ou tel type de contrat de partenariat, par essence, hybride d'un marché de travaux et d'une délégation de service, à telle ou telle directive.

Comme nous l'avons souligné à propos de la phase d'évaluation, la sécurité juridique de ces projets restera la clé du succès de la formule et c'est pourquoi la communauté juridique et financière est impatiente de pouvoir s'appuyer sur une directive spécifique, adaptée aux contrats de partenariat, travail auquel s'est attelée la Commission européenne, puisqu'un livre vert sur ce sujet devrait voir le jour avant la fin de l'année, sans pour autant que l'on connaisse la date de parution de la directive.

LEXBASE : Quels sont les secteurs qui sont les plus en attente de ce nouveau contrat ?

Jacques Bouillon : Si l'on exclut les prisons, les hôpitaux, les bâtiments de la police et de la gendarmerie qui font l'objet des textes spécifiques susmentionnés, de nombreuses applications devraient pouvoir voir le jour dans les domaines aussi variés que ceux du transport (transport en site propre, liaisons ferroviaires à grande vitesse), d'infrastructures routières particulières (shadow toll-road) mais également dans le domaine de traitement des déchets, de rénovation de musées ou encore de l'éclairage public.

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