Lexbase Social n°108 du 19 février 2004 : Social général

[Jurisprudence] L'application du principe de non-rétroactivité à une sanction administrative

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Contrairement à la jurisprudence, la loi n'a en principe pas d'effet rétroactif. En l'absence de disposition contraire du législateur, qu'elle soit expresse ou implicite, les juges ne pourront déroger à cette non-rétroactivité (C. civ., art. 2 N° Lexbase : L2227AB4). C'est cette règle qu'est venue rappeler la Cour de cassation dans un arrêt du 4 février 2004. C'est ainsi une application stricte du principe d'application immédiate de la loi nouvelle à laquelle procède la Cour de cassation dans l'arrêt commenté (1), prohibant par là-même toute rétroactivité, qu'elle soit directe ou non, lorsque le législateur ne l'a pas prévue (2).
Décision

Cass. soc., 4 février 2004, n° 01-44.509, Société Sonandis, publié (N° Lexbase : A2306DBZ).

Application dans le temps de la loi du 11 mars 1997 (N° Lexbase : L7487AI7) relative au renforcement de la lutte contre le travail illégal.

C. civ., art. 2 (N° Lexbase : L2227AB4) ; C. trav., art. L. 324-13-2 (N° Lexbase : L6217ACA).

Faits

1. Une entreprise s'était vue refuser par la direction départementale du travail l'enregistrement d'un contrat d'apprentissage sous prétexte qu'elle avait fait l'objet de deux procès-verbaux pour travail clandestin dans les cinq années précédentes.

2. La cour d'appel a donné raison à l'Inspection du travail et fait une application immédiate de la loi du 11 mars 1997 (N° Lexbase : L7487AI7).

Solution

1. "Vu l'article 2 du Code civil ; Attendu qu'aux termes de ce texte la loi ne dispose que pour l'avenir ; qu'elle n'a point d'effet rétroactif" ;

2. Cassation, pour violation de l'article 2 du Code civil, car la cour d'appel ne pouvait appliquer la privation des aides à l'emploi et à la formation professionnelle, attachée par la loi du 11 mars 1997 à la constatation par procès-verbal de certaines infractions pénales, à des procès-verbaux dressés à l'encontre de l'employeur pour travail clandestin établis les 4 et 6 avril et 28 juin 1995 ; la loi du 11 mars 1997 ne pouvait s'appliquer, sauf rétroactivité, à des situations établies avant sa promulgation.

Commentaire

1. Le principe de l'application immédiate de la loi nouvelle

L'espèce était, il convient de le souligner, particulière. Le refus de l'administration avait été notifié le 20 août 1997, soit près de 5 mois après l'entrée en vigueur de la loi. Le texte litigieux provient en effet d'une loi du 11 mars 1997 (loi n° 97-210 du 11 mars 1997 relative au renforcement de la lutte contre le travail illégal N° Lexbase : L7487AI7 Th. Aubert-Monpeyssen, Le renforcement de la lutte contre le travail illégal, Dr. soc. 1997, p. 915). Les juges du fond étaient donc a priori fondés à appliquer cette disposition. Il s'agissait simplement de l'application immédiate d'une loi nouvelle aux effets à venir d'une situation non-contractuelle (Cass. soc., 8 novembre 1990, n° 82-16.560, M. Beaudier c/ Etablissement national des invalides de la marine et autre, publié N° Lexbase : A4209ACU).

La disposition légale dont il est ici fait application a toutefois la particularité de fonder la sanction qu'elle met en place sur des infractions qui peuvent remonter jusqu'à 5 ans. Voici donc la rétroactivité qui est ici contestée et qu'il aurait été contestable de maintenir. Cette disposition nouvelle permet à l'administration de refuser, pendant une durée maximale de 5 ans, l'attribution d'aides aux employeurs qui ont fait l'objet d'un ou plusieurs procès-verbaux pour travail illégal (C. trav., art. L. 324-13-2 N° Lexbase : L6217ACA). Pour justifier l'application immédiate de la loi du 11 mars 1997 et, partant, la sanction administrative, les juges du fond s'étaient fondés sur des procès-verbaux qui dataient de 1995, soit pas moins de deux années avant qu'ils ne puissent venir au soutien d'une quelconque sanction.

La cassation est donc ici totalement justifiée puisque l'application théoriquement immédiate de la loi nouvelle avait eu pour effet de légitimer sa rétroactivité. Celle-ci est d'autant plus contestable lorsque, comme dans l'espèce commentée, on se trouve face à une sanction nouvelle.

L'objet de la loi du 11 mars 1997 était, en effet, de renforcer l'efficacité de la détection et le traitement du travail dissimulé. La disposition nouvelle qui était en cause, dans l'espèce commentée, constitue une sanction administrative totalement originale. Sa nature de sanction lui impose théoriquement de prévenir avant toute répression. Ceci suppose que l'employeur puisse avoir connaissance du fait que ses agissements sont constitutifs d'une sanction et donc que les faits réprimés sont postérieurs à la loi, et non le contraire. Dans l'espèce commentée, l'application de la loi nouvelle aboutissait toutefois à sanctionner l'employeur sur le fondement d'une infraction dont il ne pouvait avoir connaissance au moment où les procès-verbaux avaient été établis, puisqu'elle n'existait pas.

Cette application immédiate de la loi nouvelle aurait, en outre, pour effet de pénaliser le salarié bénéficiaire du contrat. L'application rétroactive de cette loi aurait abouti à étendre son champ d'application au-delà de la volonté du législateur. Il convient, sur ce point, de souligner que le texte original avait été amputé d'une partie de ses clauses. La disposition visant à permettre le retrait d'aides déjà acquises en cas de verbalisation de l'employeur pour travail illégal avait, en effet, été retiré pour ne pas risquer de pénaliser les salariés qui bénéficiaient indirectement de cette aide. Il aurait donc été paradoxal de se servir de ces procès-verbaux pour étendre le champ d'application d'une loi que le législateur semblait vouloir limiter.

Rien donc ne semble autoriser l'application rétroactive de ce texte, pas même sa lettre.

2. L'exception de la rétroactivité de la loi nouvelle

En droit civil, le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle a simplement valeur législative. Il appartient alors au législateur, lorsqu'il souhaite donner un effet rétroactif à un texte, de le préciser par l'insertion dans la loi d'une disposition expresse ou de qualifier son texte d'interprétatif. Le cas échéant, les juges se trouvent dans l'impossibilité d'imprimer un quelconque caractère rétroactif à la loi nouvelle.

Pour la loi dont il était question en l'espèce, le législateur n'avait rien prévu, que ce soit directement ou non.

Il ne s'agit, en premier lieu, pas d'une loi interprétative qui est par nature rétroactive (Cass. civ. 3.,1er février 1984, n° 82-16.853, Société d'approvisionnement et de négociation immobilière Sani SARL c/ Gouvellec, Société Laboratoire Anphar Rolland SA, publié N° Lexbase : A0539AA9).

En second lieu, nous ne sommes pas en présence d'une disposition d'ordre public. Le législateur donne à la direction départementale la possibilité de sanctionner l'employeur, mais ne le lui impose pas. L'article L. 324-13-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6217ACA) dispose que la direction départementale du travail "peut...refuser d'accorder les aides...". Il s'agit d'une simple sanction financière prise à l'encontre de l'employeur et destinée à lui empêcher de bénéficier d'aides accordées par le législateur à certaines entreprises. Le caractère de "simple faculté" de la sanction combinée à la nature administrative et non pénale de la sanction semble devoir emporter la négation du caractère d'ordre public qui aurait éventuellement pu justifier la rétroactivité.

Si, en effet, un simple caractère d'ordre public ne suffit pas, en principe, à légitimer qu'il soit donné un effet rétroactif à un texte (Cass. civ. 3., 1er juillet 1987, n° 83-11.285, La Compagnie centrale de crédit immobilier c/ Epoux Bonjean, publié N° Lexbase : A8372AAC), il en va différemment lorsque le texte contient des considérations d'ordre public particulièrement impératives (Cass. civ. 1., 4 décembre 2001, n° 98-18.411, Mme Isabelle Castets, épouse Sarthou c/ Société Imprimerie papeterie Jean Lacoste, publié N° Lexbase : A5587AX9). Dans la mesure où rien, tant dans la nature que dans l'objet de ce texte, ne peut laisser présumer que la norme dispose d'un haut degré d'impérativité, ce caractère ne peut qu'être exclu.

Il y a assez de revirements de jurisprudence qui sont par nature rétroactifs sans qu'en plus les juges puissent choisir d'imprimer ou non, sans aucune justification, un caractère rétroactif à une loi nouvelle. Cette solution est donc totalement justifiée, tant au niveau des principes que de l'esprit de la loi qu'il était question d'appliquer.

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