La lettre juridique n°637 du 17 décembre 2015 : Avocats/Procédure

[Jurisprudence] L'absence de notification des droits de la personne gardée lors du prolongement de la garde à vue porte nécessairement atteinte aux droits de la défense

Réf. : Cass. crim., 1er décembre 2015, n° 15-84.874, FS-P+B (N° Lexbase : A6162NYU)

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

le 17 Décembre 2015

Dans un important arrêt en date du 1er décembre 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que la prolongation de la garde à vue doit conduire à une nouvelle notification des droits de la personne concernée. L'officier de police judiciaire ne peut s'en dispenser en se retranchant derrière la notification initiale des droits au moment du placement en garde à vue. Cette absence de notification fait nécessairement grief aux droits de la défense qui n'a donc nullement besoin de rapporter la preuve d'une quelconque atteinte à ses droits (1). Voilà une affaire qui serait digne de la célèbre série américaine "Cold case"... Au mois de novembre 2012, est retrouvé sans vie le corps d'une quadragénaire qui gisait dans un fossé au fond duquel coule quelques centimètres d'une eau boueuse. Aucune trace de violences n'étant constatée sur le corps de la victime, les enquêteurs ont rapidement conclu à une mort accidentelle. Mais c'était sans compter l'abnégation d'un proche de la victime qui a appris que celle-ci avait passé la soirée précédant le décès avec deux hommes et une femme. Sur la base de ces éléments, une information judiciaire a été ouverte et ces trois personnes, dont Mme X., ont été placées en garde à vue. Le 6 mai 2015 à 16h40, soit au moment du placement en garde à vue, Mme X. s'est vu notifier oralement ses droits par un officier de police judiciaire qui lui a aussi remis un document intitulé "formulaire de notification des droits d'une personne gardée à vue" mentionnant l'hypothèse d'une éventuelle prolongation de cette mesure. Près de vingt-quatre heures plus tard, Mme X. a été présentée au juge d'instruction qui l'a informée que sa garde à vue serait prolongée à compter du 7 mai 2015 à 16 heures 40. L'intéressée a ensuite été interrogée, en présence de son avocat, de 16 heures 10 à 18 heures 15 -l'interrogatoire se situant donc "à cheval" entre le placement initial et la prolongation de la mesure-, sans toutefois que les droits attachés à la prolongation de la garde à vue n'aient été notifiés dans les délais impartis. Elle n'avait donc pas été avertie qu'elle pouvait bénéficier de l'entretien de prolongation de garde à vue avec son avocat. Il convient toutefois de relever qu'à l'issue de l'interrogatoire litigieux, le conseil de Mme X. ne s'était nullement offusqué du fait que l'entretien de prolongation avait été ainsi jeté aux orties puisqu'il n'avait pas produit d'observations comme le permet pourtant l'article 63-4-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9632IPG). Quoi qu'il en soit, à l'issue de l'interrogatoire litigieux, la garde à vue a été levée et Mme X. a été mise en examen pour meurtre.

Constatant que la notification des droits de la personne gardée à vue n'avait pas été faite au moment de la prolongation, le juge d'instruction a, lui-même, saisit la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy d'une requête tendant, notamment, à l'annulation de la garde à vue litigieuse en invoquant l'absence de notification des droits attachés à la prolongation de la garde à vue. Par un arrêt en date du 29 juillet 2015, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy a considéré que cette absence de notification des droits spécifiques à la prolongation de la garde à vue avait nécessairement fait grief à Mme X. et ce, même si son audition avait été réalisée en présence d'un avocat qui n'a formulé aucune observation : n'ayant reçu de notification du droit à s'entretenir avec son avocat durant la prolongation de la gade à vue, elle n'avait pu solliciter le droit à l'entretien. Et, malgré le pourvoi en cassation formé par le procureur général près la cour d'appel de Nancy, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet, en retenant qu'"état de ces énonciations, et dès lors que la notification à la personne concernée des droits attachés à la prolongation de la garde à vue est une condition d'effectivité de leur exercice, la chambre de l'instruction a justifié sa décision".

Il faut le dire sans détour, cet arrêt est extrêmement important pour deux raisons : d'une part, il fixe une véritable obligation positive pour les officiers de police judiciaire, intervenant dans le cadre de l'enquête et de l'information, de procéder à une notification spécifique des droits attachés à la prolongation de la garde à vue en temps utile (I). D'autre part, il offre une nouvelle illustration de l'emprise des nullités, sui generis, d'intérêt privé assimilées d'ordre public dans le contentieux des irrégularités procédurales en matière de garde à vue (II).

I - (Re) notification des droits du gardé à vue

La notification des droits de la personne gardée à vue est une question en perpétuelle évolution. Avec la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue (N° Lexbase : L9584IPN), le législateur avait cru baliser définitivement la notification des droits de la personne gardée à vue (2), mais c'était sans compter avec les sources européennes qui l'ont conduit à intervenir en 2014 et à reconnaître de nouveaux droits. Ainsi, la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 (N° Lexbase : L2680I3N), portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY), a notamment intégré un nouvel article 803-6 dans le Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2753I3D). Il résulte désormais de ce texte que "toute personne suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative de liberté en application d'une disposition du présent code se voit remettre, lors de la notification de cette mesure, un document énonçant, dans des termes simples et accessibles et dans une langue qu'elle comprend, les droits suivants, dont elle bénéficie au cours de la procédure en application du présent code : [...] le droit à l'assistance d'un avocat". Pour l'application de ces dispositions, une circulaire en date du 23 mai 2014 contient en annexe un modèle de "déclaration de droits - remise à une personne gardée à vue" (3) habituellement utilisé par les officiers de policier judiciaire. Cet imprimé souffrait un inconvénient majeur puisque, comme l'avait très justement relevé la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, il y était fait mention de l'hypothèse d'une prolongation de cette mesure afin, peut être, de dispenser l'officier de police judiciaire d'une nouvelle notification des droits au moment de la prolongation de la garde à vue. Et puisque cette notification initiale avait eu lieu, l'officier de police judiciaire avait mené un interrogatoire qui se situait "à cheval" entre la première tranche de 24 heures et la seconde tranche de 24 heures.

Toutefois, cette notification initiale des droits de la personne gardée à vue est insuffisante pour la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui considère que "la notification à la personne concernée des droits attachés à la prolongation de la garde à vue est une condition d'effectivité de leur exercice". L'analyse retenue par les juges du fond et la Chambre criminelle est particulièrement respectueuse des textes applicables à la garde à vue. En effet, si le placement en garde à vue génère une notification intégrale des droits de la personne concernée, prévue par l'article 63-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3163I3K), la prolongation de la mesure génère de nouveaux droits pour la personne gardée à vue, figurant notamment à l'article 63-4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9746IPN) qui prévoit que "lorsque la garde à vue fait l'objet d'une prolongation, la personne peut, à sa demande, s'entretenir à nouveau avec un avocat dès le début de la prolongation". Compte tenu de cette articulation des textes, il y avait une irrégularité substantielle à ne pas avoir notifié le droit de pouvoir s'entretenir avec un avocat dans le cadre de la prolongation de la garde à vue. Restait à déterminer le régime de cette cause de nullité.

II - Atteinte présumée aux droits de la défense

Nul n'ignore évidemment que la théorie des nullités des actes de l'instruction peut être lue au travers de l'exigence du grief aux intérêts de la défense. Ainsi, on oppose, d'une part, les nullités d'intérêt privé soumises à grief pour la partie concernée, et d'autre part, les nullités d'ordre public dispensées de la preuve d'un quelconque grief. Cette distinction est prétorienne puisque l'article 802 du Code procédure pénale (N° Lexbase : L4265AZY) n'en fait nullement état (4). En effet, ce texte se contente d'affirmer que la nullité ne peut être prononcée que lorsqu'elle a eu pour conséquence de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne. Si le grief est expressément érigé en condition de la nullité, la question relative à la preuve de l'existence de ce grief n'est pas réglée. En matière de garde à vue, la Chambre criminelle réduit l'intérêt théorique de cette distinction en confirmant l'existence d'une catégorie de nullité sui generis, situé à mi-chemin entre les nullités d'ordre public et celles d'intérêt privé. L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation offre une excellente illustration de cette tendance. La Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy est totalement approuvée d'avoir retenu que "cette absence de notification a nécessairement fait grief à Mme X [...] et ce, même si son audition a été réalisée en présence d'un avocat qui n'a formulé aucune observation". L'exigence d'un grief aux intérêts de la personne concernée subsiste, mais la Chambre criminelle le présume en estimant que l'absence de notification de la possibilité de s'entretenir à nouveau avec l'avocat nuit nécessairement à la personne mise en cause.

Il nous semble que cette présomption de grief se justifie pleinement par le caractère manifeste de la violation des droits de la défense. Qu'il s'agisse du retard dans l'information du magistrat instructeur mandant (5), du maintien de l'individu à la disposition des officiers de police judiciaire après la levée de la garde à vue par le magistrat (6), ou de l'absence de notification des droits du gardé à vue au moment de la prolongation, l'atteinte aux intérêts de la partie concernée paraît évidente. En l'occurrence, la prolongation de la mesure de garde à vue est une étape charnière de la mesure de garde à vue puisqu'après une première série d'auditions, l'entretien avec l'avocat constitue un bref "refuge" pour le gardé à vue qui pourra bénéficier du soutien psychologique (7) et, surtout, stratégique (8) de son conseil avant d'affronter de nouvelles auditions. S'il est vrai que l'entretien préalable est assez vide de substance lors du placement en garde à vue puisque l'avocat ne connaît pas le dossier et n'a pu accéder qu'à quelques pièces énumérées par le Code de procédure pénale (9), il en va différemment lors de l'entretien de prolongation puisqu'à ce moment de la mesure, l'avocat -attentif- aura peut être pu déceler quelques uns des atouts qui sont entre les mains des enquêteurs. L'entretien de prolongation de garde à vue est donc important puisqu'il permettra éventuellement de réajuster la stratégie de défense en garde à vue. En considérant que l'absence de notification de cet entretien de prolongation faisait nécessairement grief aux intérêts de la défense, la Cour de cassation lui restitue donc, à juste titre, toute son importance.


(1) L'auteur remercie vivement Mme le conseiller Véronique Geoffroy et Monsieur l'avocat général Claude Palpacuer pour leurs précieuses réflexions.
(2) Ch. Mauro, Rép. Dalloz, v° Garde à vue, § 143.
(3) Circulaire du 23 mai 2014 de présentation des dispositions de procédure pénale applicables le 2 juin 2014 de la loi portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L4128I3B), BOMJ n° 2014-05 du 30 mai 2014, p. 62.
(4) M. Guerrin, Rép. pén. Dalloz, v° Nullités de procédure, § 16.
(5) Cass. crim., 29 février 2000, n° 99-85573 (N° Lexbase : A4133CKB), Bull. crim., n° 92, v. aussi pour le retard dans l'information du procureur de la République dans le cadre d'une garde à vue en enquête de police : Cass. crim., 10 mai 2001, n° 01-81.441 N° Lexbase : A5695AT4), Bull. crim., n ° 119.
(6) Cass. crim., 2 février 2005, n° 04-86.805, F-P+F (N° Lexbase : A8831DG8), Bull. crim., n° 41.
(7) Ch. Mauro, Rép. Dalloz, v° Garde à vue, § 164.
(8 ) J. Boudot et B. Grazzani, La réforme de la garde à vue à l'épreuve de la pratique, AJ pénal, 2012, p. 512 et s..
(9) C. pr. pén., art. 64-4 (N° Lexbase : L8170ISE).

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