La lettre juridique n°637 du 17 décembre 2015 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Le champ d'application de l'abattement pour durée de détention applicable aux gains de cession de valeurs mobilières

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 12 novembre 2015, n° 390265, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5889NWZ)

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par Florent Roemer, Docteur en droit de l'Université Paris II Panthéon-Assas, Ancien élève de l'Ecole Nationale des Impôts, Doyen de la Faculté de droit, économie et administration de Metz et Membre de l'Institut François Gény (Université de Lorraine)

le 17 Décembre 2015

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le 12 novembre 2015, a refusé de transmettre une QPC concernant le champ d'application de l'abattement pour durée de détention applicable aux gains de cession de valeurs mobilières et plus particulièrement du sort des moins-values (CE 3° et 8° s-s-r., 12 novembre 2015, n° 390265, mentionné au tables du recueil Lebon). En effet, par une requête en date du 18 mai 2015 et un mémoire en réplique en date du 20 août 2015, est demandé au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir diverses dispositions des instructions fiscales relatives aux plus-values sur biens meubles incorporels (1) dans la mesure où, d'une part, celles-ci font application d'un abattement pour durée de détention (2) aux moins-values de cession et, d'autre part, est écarté ledit abattement dans le cas des plus-values en report d'imposition antérieures au 1er janvier 2000. Cette demande est complétée par une question prioritaire de constitutionnalité au motif que la non-application de cet abattement aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition serait contraire au principe d'égalité devant la loi fixé aux articles 1er (N° Lexbase : L1365A9G) et 6 (N° Lexbase : L1370A9M) de la DDHC de 1789, ainsi qu'au principe d'égalité devant les charges publiques fixé à l'article 13 du même texte (N° Lexbase : L1360A9A). Se pose donc la question des conditions d'application de l'abattement pour durée de détention (I) et de la compatibilité de celles-ci avec la Constitution (II). I - Conditions d'application de l'abattement pour durée de détention

Lors d'une cession de valeurs mobilières, de droits sociaux ou de titres (3), les gains nets de cessions sont déterminés par la différence entre le prix effectif de cession des valeurs, titres ou droits, nets des frais et taxes acquittés par le cédant et leur prix effectif d'acquisition ou de souscription, le cas échéant diminué des réductions d'impôt obtenues ou, en cas d'acquisition à titre gratuit, leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation (4). Dans ces conditions les "gains nets" peuvent désigner les plus-values ou les moins-values de cession. Les moins-values subies au cours d'une année sont imputables exclusivement sur les plus-values de même nature réalisées au cours de la même année ou des dix années suivantes (5). La moins-value qui n'est pas imputée au titre de l'année de sa réalisation peut être reportée pour être imputée sur des plus-values de même nature réalisées au cours des années suivantes, mais aucune imputation sur le revenu global n'est possible. Les moins-values les plus anciennes s'imputent en priorité sur les plus-values, gains, profits et distributions de l'année considérée (6).

Les gains nets de cession sont réduits soit d'un abattement de droit commun fixé par l'article 150-0 D, 1 ter du CGI, soit d'un abattement spécifique pour durée de détention renforcé prévu par l'article 150-0 D, 1 quater du CGI. Dans la présente décision, est concerné l'abattement pour durée de détention qui s'applique aux gains de cession à titre onéreux réalisés à compter du 1er janvier 2013 (7). L'abattement s'applique aux gains nets de cession réalisés par les contribuables personnes physiques, agissant dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé, dont le domicile fiscal est situé en France et aux contribuables personnes physiques qui ne sont pas domiciliés en France au sens de l'article 4 B du CGI (N° Lexbase : L1010HLY) si ces gains sont retirés de titres faisant partie d'une participation substantielle d'une société ou d'un fonds établi en France (8), sous réserve, toutefois, des dispositions prévues par l'article 244 bis A du CGI (N° Lexbase : L4675I7B) et de l'application des conventions fiscales internationales. L'abattement pour durée de détention de droit commun s'applique aux cessions à titre onéreux réalisées directement par le contribuable ou par personne interposée et dans le cadre de la gestion privée d'un portefeuille de titres. Ainsi, sont exclues du bénéfice de l'abattement pour durée de détention les cessions réalisées dans le cadre d'une activité professionnelle industrielle, commerciale, artisanale, ou agricole (9).

Lorsque les titres cédés sont détenus depuis moins de deux ans ou lorsque la distribution perçue est afférente à des titres détenus depuis moins de deux ans, le gain net de cession n'est pas éligible à l'abattement pour durée de détention. En revanche, lorsque les titres concernés sont détenus depuis au moins deux ans, l'abattement pour durée de détention est égal à 50 % du montant du gain net réalisé ou de la distribution perçue lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis moins de huit ans à la date de la cession ou de la distribution ou est égal à 65 % du montant du gain net réalisé ou de la distribution perçue lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution (10). Afin de déterminer l'abattement pour durée de détention, il convient d'établir le gain net de cession des actions, parts, droits ou titres cédés à partir du prix moyen pondéré d'acquisition. Il convient ensuite d'apprécier la durée de détention des actions, parts, droits ou titres cédés, en répartissant les quantités cédées en fonction de leur durée de détention. Cette répartition est opérée en retenant le principe selon lequel les actions, parts, droits ou titres cédés sont ceux réputés acquis ou souscrits aux dates les plus anciennes. Enfin, il convient de répartir le gain net total de cession par taux d'abattement applicable.

L'administration fiscale considère que l'abattement s'applique quelle que soit la nature du gain de cession, plus-value ou moins-value. Pourtant, en l'espèce, le Conseil d'Etat considère que l'abattement pour durée de détention ne peut pas s'appliquer aux moins-values retirées de la cession de valeurs mobilières dans la mesure où lorsque l'instruction administrative prévoit l'application à celles-ci de l'abattement pour durée de détention avant l'imputation sur les plus-values réalisées, elle ne se bornerait pas à expliciter la loi mais ajouterait des dispositions qui ne seraient pas prévues par les textes. Or, d'une part, l'exclusion des moins-values ne paraît pas concrètement souhaitable et, d'autre part, le Conseil d'Etat n'explique pas, sur le fond, ce qui justifie la réduction du champ d'application d'un abattement qui est permis par la doctrine. Il est à souhaiter que la position de l'administration fiscale puisse être confirmée afin de traiter de manière équivalente l'ensemble des gains de cession.

Par ailleurs, l'abattement pour durée de détention ne s'applique pas, notamment, aux gains nets de cession, d'échange ou d'apport réalisés avant le 1er janvier 2013 et placés en report d'imposition dans les conditions prévues au II de l'article 92 B du CGI (N° Lexbase : L1933HL8), au I ter de l'article 160 du CGI (N° Lexbase : L2652HLS) et à l'article 150 A bis du CGI (N° Lexbase : L2335HL3) dans leur rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2000, à l'article 150-0 C du CGI (N° Lexbase : L2317HLE) dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2006, à l'article 150-0 D bis du CGI (N° Lexbase : L5278IRW) dans sa rédaction en vigueur du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 ainsi qu'à l'article 150-0 B ter du CGI (N° Lexbase : L0969IZW) (11). C'est ce qui est également contesté dans la présente décision, mais le Conseil d'Etat considère sur ce point que l'exclusion ne peut pas être contestée dans la mesure où l'instruction fiscale ne ferait qu'expliciter la loi. En revanche, est également soulevée l'inégalité de cette disposition par rapport à la situation postérieure au 1er janvier 2013 qui fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité.

II - Respect du principe d'égalité

L'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) prévoit que peut faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité une disposition qui porterait atteinte aux "droits et libertés que la Constitution garantit", figurant dans l'ensemble du bloc de constitutionnalité (12). En matière fiscale, la DDHC est la principale source de droit et libertés invocable. Peuvent être notamment invoqués le principe d'égalité, comme c'est le cas en l'espèce, qui est composé du principe d'égalité devant la loi (13) et du principe d'égalité devant l'impôt et les charges publiques (14). Dans la présente affaire, le contribuable affirme que l'application de l'abattement pour durée déterminée aux moins-values retirées de cessions de valeurs mobilières et l'exclusion du bénéfice de cet abattement des plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition serait contraire au principe d'égalité fixé par les articles 1er, 6 et 13 de la DDHC de 1789.

Le système de la QPC repose sur un double filtre : l'un du fait de la transmission par le juge a quo, l'autre du fait du renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation vers le Conseil constitutionnel. Le filtrage est effectué conformément à trois critères cumulatifs : d'une part, la disposition contestée doit être applicable au litige, d'autre part, la disposition ne doit pas avoir été déclarée conforme à la Constitution, enfin, la question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux devant le juge a quo et doit être nouvelle ou sérieuse devant le Conseil constitutionnel.

L'affirmation du principe d'égalité résulte de l'application de l'article 6 et de l'article 13 de la DDHC et constitue une des principales garanties offerte par la Constitution et ce principe entre clairement en contradiction avec le fait que l'impôt est par "essence inégalitaire" (15) et qu' "il est ainsi dans la nature du texte [fiscal] de porter atteinte au principe d'égalité" (16).

Faisant application de l'article 6 de la DDHC, le Conseil constitutionnel considère qu'il est possible d'instaurer des dispositifs, en matière fiscale, qui conduisent à traiter différemment des situations différentes et à traiter de manière identique des situations différentes. En revanche, il n'est pas possible d'instaurer un traitement différent à des situations identiques sauf si des raisons d'intérêt général le justifient et dans la mesure où cela reste conforme à l'objet de la loi (17). Le Conseil constitutionnel considère qu'un dispositif est conforme à la Constitution même si ledit dispositif s'applique à des situations différentes et il importe peu que les contribuables placés dans une situation différente fassent ou non l'objet d'un traitement identique (18). De manière plus rare, le Conseil constitutionnel est saisi d'affaires concernant des dispositifs fiscaux différents qui s'appliquent à des situations identiques (19). En l'espèce, le Conseil d'Etat reprend le considérant de principe plusieurs fois énoncé par le Conseil constitutionnel selon lequel "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" et considère que s'il existe une différence de traitement, elle résulte de la succession dans le temps de deux systèmes juridiques et reste conforme à l'objet de la loi qui vise à "encourager la détention longue de valeurs mobilières".

Par ailleurs, conformément aux dispositions de l'article 13 de la DDHC, le principe d'égalité devant les charges publiques ne peut être écarté que si la différence de traitement appliquée aux contribuables est fondée sur des critères objectifs, rationnels et conformes aux buts fixés par le législateur. Or, en l'espèce, la non-application de l'abattement pour durée de détention aux plus-values placées en report d'imposition "n'est ni dénuée de relation avec la capacité contributive du contribuable, ni confiscatoire", et ne méconnaît donc pas les dispositions de l'article 13 de ladite Déclaration.

Dans ces conditions, le Conseil d'Etat considère que la question prioritaire de constitutionnalité n'est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux. Il n'est donc pas nécessaire de la transmettre au Conseil constitutionnel.


(1) BOFIP-RPPM-PVBMI-20-10-40, § 80, 20 mars 2015 (N° Lexbase : X7868ALY) ; BOFIP-RPPMPVBMI-20-20-10, § 1 et § 130, 20 avril 2015 (N° Lexbase : X5822AL9) ; BOFIP-RPPM-PVBMI-2020-20-10, § 10, 20 mars 2015 (N° Lexbase : X3739AP8) ; BOFIP-RPPM-PVBMI-30-10-30-10, § 370, 14 octobre 2014 (N° Lexbase : X7358AL4) ; BOFIP-RPPM-PVBMI-30-10-30-20, § 480, 14 octobre 2014 (N° Lexbase : X5461ALT).
(2) CGI, art 150-0 D (N° Lexbase : L1892KG8).
(3) CGI, art. 150-0 A (N° Lexbase : L4977I7H).
(4) CGI, art. 150-0 D ; BOFIP-RPPM-PVBMI-20-10, 14 octobre 2014 (N° Lexbase : X4600ALX).
(5) CGI, art. 150-0 D.
(6) BOI-RPPM-PVBMI-20-10-40, 20 mars 2015.
(7) BOI-RPPM-PVBMI-20-20, 20 mars 2015 (N° Lexbase : X8052ALS).
(8) CGI, art. 244 bis B (N° Lexbase : L1153KKW).
(9) BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10, 20 avril 2015.
(10) BOI-RPPM-PVBMI-20-20-20-10, § 60 et § 70, 20 mars 2015.
(11) BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10, 20 avril 2015.
(12) V. Restino, Les aspects procéduraux de la QPC, Dr. fisc., n° 13, 26 mars 2015, 234.
(13) DDHC, art. 6 : v. Cons. const., 28 mai 2010, n° 2010-1 QPC (N° Lexbase : A6283EXY) ; Cons. const., 6 juin 2014, n° 2014-400 QPC (N° Lexbase : A0200MQH) ; Cons. const., 20 juin 2014, n° 2014-404 QPC (N° Lexbase : A6294MRK).
(14) DDHC, art. 6 et art. 13 : v. Cons. const., 17 septembre 2010, n° 2010-28 QPC (N° Lexbase : A4759E97) ; Cons. const. 26 novembre 2010, n° 2010-70 QPC (N° Lexbase : A3870GLW) ; Cons. const., 21 janvier 2011, n° 2010-88 QPC (N° Lexbase : A1521GQE) ; Cons. const., 20 septembre 2013, n° 2013-340 QPC (N° Lexbase : A4337KL9) ; Cons. const., 19 septembre 2014, n° 2014-413 QPC (N° Lexbase : A6204MWP) ; Cons. const., 19 septembre 2014, n° 2014-417 QPC (N° Lexbase : A6205MWQ) ; Cons. const., 14 novembre 2014, n° 2014-425 QPC (N° Lexbase : A0177M3X) ; Cons. const., 28 novembre 2014, n° 2014-431 QPC (N° Lexbase : A3791M48) ; Cons. const., 15 janvier 2015, n° 2014-436 QPC (N° Lexbase : A1942M9S) ; Cons. const., 20 janvier 2015, n° 2014-437 QPC (N° Lexbase : A4823M9I).
(15) O. Fouquet, Le Conseil constitutionnel et le principe d'égalité devant l'impôt, Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, oct. 2011, n° 33.
(16) Cons. const., 3 juillet 1986, n° 86-209 DC (N° Lexbase : A8136ACC).
(17) R. Torlet et M. Valeteau, La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au principe d'égalité depuis l'institution de la QPC, Dr. fisc., n° 13, 26 mars 2015, 231.
(18) Cons. const., n° 2013-330 QPC, 28 juin 2013 (N° Lexbase : A7735KHX) ; Cons. const., n° 2012-659 DC, 13 décembre 2012 (N° Lexbase : A8300IY3) ; Cons. const., 29 décembre 2012, n° 2012-662 DC (N° Lexbase : A6288IZW) ; Cons. const., 14 novembre 2014, n° 2014-425, QPC ; Cons. const. 29 décembre 2013, n° 2013-685 DC (N° Lexbase : A9152KSR).
(19) Cons. const., 6 août 2014, n° 2014-698 DC (N° Lexbase : A8365MUD).

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