Réf. : Cass. civ. 1, 28 octobre 2015, n° 14-17.518, F-P+B (N° Lexbase : A5235NUG)
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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
le 26 Novembre 2015
En l'espèce, par acte du 4 mars 2008, dressé en la forme authentique, le propriétaire d'un immeuble, comprenant un rez-de-chaussée, deux étages et des combles, avait consenti sur ce dernier un nouveau bail au cessionnaire du droit au bail qui exerçait un commerce de parfumerie. Le bail stipulait, selon la cour d'appel (1) que "le bailleur, par les présentes, fait bail et donne à loyer, pour un usage commercial, au preneur, qui accepte, les locaux et matériels ci-après plus amplement désignés". Il n'opérait, en outre, aucune distinction entre des surfaces à usage commercial et des surfaces d'habitation. Toutefois, les étages de l'immeuble étaient affectés à un usage d'habitation. Se prévalant de ce que les locaux loués pour l'exercice d'une activité commerciale ne pouvaient être utilisés qu'en partie à cette fin, la locataire a assigné le bailleur et le notaire rédacteur du bail aux fins de nullité du contrat et de réparation de son préjudice. Les juges du fond ont fait droit à ces demandes et condamné le bailleur et le notaire à régler au locataire le prix d'acquisition du droit au bail (150 150 euros), les frais occasionnés par cette cession (24 420 euros) et la moitié du coût des travaux supporté par le locataire (53 361,29 euros). Le bailleur a été condamné, en outre, à rembourser la taxe foncière et la prime d'assurance bailleur, ainsi que le dépôt de garantie. Le notaire a enfin été condamné à garantir le bailleur de la totalité des condamnations prononcées à son encontre. Le notaire, puis le bailleur, ont formé un pourvoi en cassation.
2 - Sur la règle d'interdiction de changement d'usage des locaux à usage d'habitation et la nullité des baux conclus en contravention à cette règle
Dans les communes de plus de 200 000 habitants et dans celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation doit être soumis à autorisation préalable (CCH, art. L. 631-7 (N° Lexbase : L8996IZ9) du maire de la commune dans laquelle est situé l'immeuble (CCH, art. L. 631-7-1 N° Lexbase : L2375IBL). Tous accords ou conventions contraires sont nuls de plein droit (CCH, art. L. 631-7).
L'irrégularité du bail conclu en violation de la règle interdisant le changement d'usage peut être invoquée par le locataire (2), le bailleur (3) et plus généralement "par toute personne qui y a intérêt" (4). Il existe également des sanctions pénales (CCH, art. L. 651-2 N° Lexbase : L8997IZA et s.).
Dans l'arrêt rapporté, c'est le locataire qui avait sollicité la nullité du bail. Il n'était pas contesté par les parties que les étages de l'immeuble étaient affectés à l'habitation. Dès lors, la nullité du bail devait être prononcée.
3 - Sur les responsabilités du bailleur et du notaire envers le locataire
La cour d'appel, non censurée sur ce point par la Cour de cassation, a estimé que le bailleur engageait sa responsabilité au motif qu'il était informé de la situation réelle de l'immeuble et qu'il n'avait ni obtenu, ni sollicité une autorisation de changement d'affectation "avant la conclusion du contrat".
Il doit être rappelé sur ce point que "l'autorisation administrative exigée par la loi doit être obtenue, par le propriétaire, préalablement à la signature du bail" (5). Cette solution a été énoncée à propos de l'autorisation de changement d'affectation et alors même qu'une clause du bail stipulait que le preneur faisait son affaire de l'obtention de toutes autorisations administratives et qu'il était informé de ce que les locaux étaient jusqu'alors à usage d'habitation.
Le fondement de la responsabilité du bailleur n'est pas précisé dans la décision rapportée. Par l'effet de l'anéantissement rétroactif du contrat, cette responsabilité ne peut en principe être recherchée que sur un fondement délictuel (6).
La responsabilité du notaire a également été retenue au motif qu'il avait manqué à son devoir de conseil dès lors qu'il lui appartenait de s'assurer de la situation réelle des locaux (7).
4 - Sur la réparation des préjudices subis par le locataire
S'agissant du préjudice du preneur, et comme cela a été rappelé, il était constitué par le prix de l'acquisition du droit au bail et des frais accessoires à cette cession, ainsi que par une partie du coût des travaux effectués par le locataire.
Ce dernier a, en revanche, été débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre d'un manque à gagner dans le cadre de la cession du fonds de commerce qu'il envisageait, en raison de l'absence de preuve de ce préjudice.
5 - Sur les restitutions consécutives à l'annulation et la garantie subsidiaire du rédacteur d'acte à l'égard du créancier des restitutions
Par ailleurs, selon le principe selon lequel "ce qui est nul est réputé n'avoir jamais existé" (Quod nullum est, nullum effectum producit), la nullité emporte effacement rétroactif du contrat et remise des choses en leur état antérieur (8).
Le locataire est donc en droit de solliciter, au titre des restitutions, les loyers versés. Il se trouve cependant corrélativement débiteur rétroactivement d'une indemnité d'occupation. Dans l'arrêt objet du pourvoi, la cour d'appel a fixé le montant de l'indemnité à celui des loyers. Aucune condamnation n'est donc intervenue à ce titre. La cour d'appel avait pu juger qu'en cas de nullité d'un bail en raison de la violation de l'interdiction de changement d'usage, le preneur devenait débiteur d'une indemnité d'occupation qui devait être fixée selon un usage d'habitation (et non selon un usage commercial) pouvant conduire le bailleur à restituer un trop perçu (9).
Le bail étant censé n'avoir jamais existé, le bailleur est tenu également de restituer le dépôt de garantie.
Dans l'arrêt objet du pourvoi, seul le bailleur a été condamné à régler au locataire une somme correspondant à la restitution du dépôt de garantie alors que le locataire avait également demandé la condamnation du notaire à lui régler la somme correspondante. Bien que cette question de la condamnation du notaire à régler cette somme au preneur n'ait pas été expressément abordée devant la Cour de cassation, cette dernière précise dans l'arrêt rapporté que la restitution du dépôt de garantie consécutive à la nullité d'un bail commercial n'est pas un préjudice indemnisable.
La solution n'est pas nouvelle. Il a déjà été jugé que les restitutions dues à la suite de l'anéantissement d'un contrat ne constituent pas, en elles-mêmes, un préjudice dont le rédacteur de l'acte annulé, même si sa faute est à l'origine de cette annulation, devrait réparation (10).
Le tribunal de grande instance de Paris s'est également prononcé en ce sens à propos d'un dépôt de garantie, retenant que "les restitutions réciproques consécutives à l'annulation ne constituent pas un préjudice indemnisable que le rédacteur de l'acte et ne peut être condamnés à réparer" (11).
Toutefois, dans l'arrêt rapporté la Haute cour n'exclut pas une condamnation du tiers au contrat au profit de la partie cocontractante au titre des restitutions conséquences de l'annulation en qualifiant le notaire de "garant subsidiaire de la restitution envers la seule partie qui en est créancière en cas de défaillance avérée de celle qui en est débitrice".
La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de préciser qu'un tiers à un contrat pouvait être condamné à garantir un contractant des restitutions à la suite de l'anéantissement d'un contrat en présence d'un cocontractant insolvable (12).
En conséquence, le notaire pourrait être condamné à régler au locataire une somme correspondant au dépôt de garantie si le bailleur n'était pas en mesure de le restituer.
Une telle demande pourrait donc être formée avant que le juge ne statue en cas d'insolvabilité du bailleur.
6 - Sur l'absence de garantie du notaire au profit de la partie débitrice des restitutions
Dans l'arrêt objet du pourvoi, le notaire avait été condamné à garantir le bailleur de la totalité des condamnations prononcées à son encontre. Il a été vu, en effet, que le notaire avait commis une faute. Le bailleur ayant subi un préjudice du fait de cette faute, résultant de son obligation de réparer les préjudices subis par le preneur, il était tenu de garantir le bailleur des condamnations intervenues à l'encontre de ce dernier à ce titre.
Aux termes du pourvoi, le notaire critiquait cette condamnation au motif que le bailleur avait également commis une faute et qu'il devait, en substance, assumer in fine, une partie des condamnations. Le notaire ne pouvait, dans ce cas, être condamné à garantir l'intégralité des condamnations. La Cour de cassation a estimé, sans autre explication que ce grief n'était pas de nature à entraîner la cassation.
En revanche, dès lors que la restitution du dépôt de garantie n'est pas un préjudice indemnisable, comme cela été précédemment expliqué, le notaire ne pouvait être condamné à le garantir de cette condamnation à restitution, même si le bailleur est insolvable.
C'est ce qu'affirme la Cour de cassation, cassant sur ce seul point l'arrêt objet du pourvoi.
Il avait déjà été jugé qu'un notaire ne pouvait garantir le vendeur de la restitution du prix d'une vente annulée, sa faute fût-elle à l'origine de l'annulation, dès lors que la restitution n'est pas un préjudice indemnisable (13)
Aucune raison ne justifiait que le bailleur récupère auprès du notaire une somme qu'il n'avait pas vocation à garder.
(1) CA Douai, 29 novembre 2012, n° 11/06698 (N° Lexbase : A8546IXS).
(2) Cf., par ex., Cass. civ. 3, 10 juin 2015, n° 14-15.961, FS-P+B (N° Lexbase : A8843NKQ).
(3) Cass. civ. 3, 24 juin 1992, n° 90-21.276 (N° Lexbase : A4323ABQ).
(4) Cass. civ. 3, 15 janvier 2003, n° 01-03.076, FS-P+B (N° Lexbase : A6822A4G) : en l'espèce, il s'agissait d'un syndicat des copropriétaires.
(5) Cass. civ. 3, 10 juin 2015, n° 14-15.961, FS-P+B, préc..
(6) Cass. civ. 3, 18 mai 2011, n° 10-11.721, FS-P+B (N° Lexbase : A2611HSI).
(7) En ce sens également, v. TGI Paris, 18ème ch., 15 mai 2014, n° 12/16300 (N° Lexbase : A7987MWQ).
(8) Cass. civ. 3, 22 juin 2005, n° 03-18.624, FS-P+B (N° Lexbase : A8366DIP).
(9) CA Paris, 16ème ch., sect. A, 20 octobre 2004, n° 02/06015 (N° Lexbase : A0451DEG). En ce sens également, v. TGI Paris, 18ème, 15 mai 2014, n° 12/16300, préc..
(10) Cass. civ. 1, 14 octobre 1997, n° 95-19.083 (N° Lexbase : A0682ACA) ; Cass. civ. 1, 2 juillet 2014, n° 12-28.615, F-P+B (N° Lexbase : A2611MTU).
(11) TGI Paris, 18ème ch., 15 mai 2014, n° 12/16300, préc..
(12) Cass. civ. 1, 27 février 2013, n° 12-15.417, F-D (N° Lexbase : A8749I8K) ; Cass. civ. 1, 14 octobre 2015, n° 14-15.663, F-D (N° Lexbase : A5893NTG).
(13) Cass. civ. 1, 8 novembre 2007, n° 04-18.805, F-D (N° Lexbase : A4135DZ8) ; Cass. com., 19 juin 2007, n° 06-14.820, F-D (N° Lexbase : A8778DWZ) ; Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-14.417, F-D (N° Lexbase : A7299EI8). V. également, à propos de la réduction du prix de vente, Cass. civ. 3, 8 avril 2009, n° 07-19.690, FS-P+B (N° Lexbase : A4969EG7).
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