Lexbase Affaires n°421 du 23 avril 2015 :

[Jurisprudence] L'obligation d'information annuelle de la caution pesant sur le créancier n'est pas une obligation contractuelle

Réf. : Cass. com., 8 avril 2015, n° 13-14.447, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2529NGR)

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N7010BU8

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

le 23 Avril 2015

L'arrêt rendu le 8 avril 2015 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation est promis à une très large diffusion. Et pourtant, cette décision ne fait qu'affirmer des évidences.
En l'espèce, une personne s'engage en qualité de caution solidaire d'un prêt consenti à une société. La défaillance de cette dernière conduit le créancier à poursuivre en paiement la caution. Fidèle à la tradition qui veut que le cautionnement se signe avec le sourire pour s'exécuter dans les larmes, la caution refuse de payer en se prévalant de la nullité de son engagement. La cour d'appel de Toulouse, le 9 octobre 2012, admet l'exception de nullité soulevée par la caution, et a rejeté les demandes du créancier. Dans son pourvoi, celui-ci ne combat pas l'exception de nullité sur le fond, mais quant à ses conditions. Il avance que l'exception de nullité ne peut être soulevée que pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté. Or, selon lui, le cautionnement a déjà fait l'objet d'un début d'exécution, puisque le créancier a délivré à la caution l'information annuelle que lui impose l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2501IXW). La Cour de cassation rejette le pourvoi, sur la base d'un raisonnement juridique difficilement contestable : les obligations d'information mises à la charge du créancier professionnel ne sont que des obligations légales, et non contractuelles. Elles ne sont pas la contrepartie de l'obligation de la caution. Par conséquent, la seule délivrance par le créancier de l'information annuelle à la caution ne s'analyse pas en une exécution du cautionnement. Ce contrat n'ayant pas encore été exécuté, ne serait-ce que partiellement, l'exception de nullité soulevée par la caution était recevable.

La solution est fondée, et emporte d'importantes conséquences, tant sur l'exception de nullité (I) que sur la notion de cautionnement elle-même (II).

I - Les conséquences sur l'exception de nullité

Le demandeur au pourvoi soutenait que la délivrance de l'information annuelle constitue l'exécution du cautionnement par le créancier afin de s'opposer à l'exception de nullité soulevée par la caution. En effet, la Cour de cassation, d'abord en sa première chambre civile (1), puis en sa Chambre commerciale (2), considère qu'une exécution partielle du contrat prive les parties d'opposer l'exception de nullité.

L'arrêt commenté rejette l'argument du demandeur. Certes, l'exception de nullité ne peut être invoquée lorsqu'un contrat a déjà été partiellement (ou totalement) exécuté. Mais le cautionnement soumis à l'analyse de la Cour de cassation n'avait pas encore fait l'objet d'un commencement d'exécution, puisque la délivrance de l'information annuelle n'est pas l'exécution d'une obligation contractuelle. Cette solution est non seulement fondée juridiquement, mais aussi opportune.

Fondée juridiquement, car l'obligation d'information annuelle pesant sur le créancier est une obligation légale, et non contractuelle. Elle résulte d'un texte de loi, l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier, et non de l'accord de volontés des parties.

Si besoin était, la sanction prévue par l'article L. 313-22 confirme l'analyse. Ce texte, en son alinéa 2, prévoit que le défaut d'information est sanctionné par la "déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information". La jurisprudence a pu préciser que, sauf dol ou faute lourde du dispensateur de crédit, l'omission des informations prévues par ce texte est sanctionnée par la seule déchéance des intérêts (3). Ainsi, la caution ne peut espérer engager la responsabilité civile du créancier ou obtenir la décharge de l'intégralité de la somme due (4). Une telle sanction montre que le défaut d'information ne consiste pas en une inexécution contractuelle. Cette dernière est, en effet, normalement sanctionnée par la résolution du contrat, et/ou des dommages et intérêts sur la base de la responsabilité contractuelle. La déchéance du droit aux intérêts est la sanction d'une obligation légale.

Il s'agit également d'une solution opportune, car elle "sauve" l'exception de nullité. Si la Cour de cassation avait qualifié la délivrance de l'information annuelle d'exécution contractuelle par le créancier, l'exception de nullité serait devenue irrecevable, conformément à la jurisprudence précitée, dès l'instant où le créancier aurait délivré ladite information. Par conséquent, la possibilité pour la caution d'opposer une exception de nullité au créancier aurait été réduite aux premiers mois du cautionnement (jusqu'à la première information délivrée par le créancier). Or, l'exception de nullité suppose, par définition, une demande de la part du créancier. Il aurait donc suffi à ce dernier d'attendre l'envoi de la première information annuelle pour adresser à la caution sa demande de paiement, sans crainte de se voir opposer une quelconque exception de nullité.

La caution se voit déjà privée du droit d'opposer au créancier la plupart des exceptions appartenant au débiteur principal (5). La priver, en outre, de la possibilité de soulever des exceptions de nullité tenant à son engagement aurait été parfaitement inopportun. La caution aurait fini par être tenue plus sévèrement que le signataire d'une garantie autonome, qui, s'il ne peut invoquer les exceptions appartenant au donneur d'ordre (C. civ., art. 2321, al. 3 N° Lexbase : L1145HIA), peut toujours soulever une exception tenant à son propre engagement de garantie.

La solution retenue par l'arrêt du 8 avril 2015 emporte donc des conséquences importantes sur l'exception de nullité. Il en est de même quant à la notion de cautionnement elle-même (II).

II - Les conséquences sur la notion de cautionnement

La doctrine s'accorde à qualifier le contrat de cautionnement de contrat unilatéral (6). En effet, ce contrat ne fait naître d'obligations qu'à la charge de la caution. Le créancier se contente d'accepter la sûreté, ce qui n'est que l'expression de son consentement.

Mais la multiplication, récente et progressive, d'obligations à la charge du créancier, en particulier d'obligations d'information, a pu conduire à s'interroger sur la persistance de cette qualification de contrat unilatéral. Ces obligations n'aboutissent-elles pas à "synallagmatiser" le cautionnement, ou du moins à le "bilatéraliser" (7) ?

Les conséquences ne seraient pas purement académiques. Si le cautionnement perdait sa qualification de contrat unilatéral, il se détacherait inévitablement du régime des contrats unilatéraux. En particulier, l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT), qui impose une mention probatoire dans les contrats unilatéraux, ne serait plus applicable au cautionnement.

L'arrêt du 8 avril 2015, en refusant à juste titre la qualification d'obligation contractuelle à l'obligation d'information, aboutit à réaffirmer le caractère unilatéral du cautionnement. Cette décision confirme l'idée que ces obligations pesant sur le créancier, notamment celle d'information, ne constituent pas une contrepartie aux engagements de la caution. Tout au plus, ces obligations sont-elles, pour la caution, une atténuation des rigueurs de l'unilatéralisme.

La solution peut être confirmée par un raisonnement fondé sur la théorie de la cause. Dans un contrat synallagmatique, chaque partie assume des obligations perçues comme équivalentes à celles pesant sur le cocontractant. Ainsi, la raison pour laquelle une personne s'engage à contracter et accepte d'assumer des obligations réside dans la contrepartie attendue, c'est-à-dire dans l'exécution de ses obligations par son cocontractant. Or, il est difficilement soutenable que la caution s'engage dans le seul but d'obtenir une information de la part du créancier sur l'évolution de la dette. Cette obligation d'information n'est donc pas une contrepartie. Elle ne peut rendre synallagmatique le contrat de cautionnement.

Bien évidemment, l'arrêt commenté n'interdit pas aux parties de stipuler à la charge du créancier des obligations de nature à rendre le cautionnement synallagmatique. Il en sera ainsi par la stipulation d'une véritable contrepartie aux obligations assumées par la caution, telle qu'une substitution de garantie, la mainlevée d'une autre sûreté ou la réduction du montant de la dette.

Enfin, parce que la confusion est courante, il convient de rappeler que le cautionnement demeure un contrat unilatéral lorsque la caution est rémunérée, par exemple dans le cas d'un cautionnement bancaire. En effet, le cautionnement ne devient pas un contrat synallagmatique, car la caution ne reçoit pas la rémunération de la part de son cocontractant, c'est-à-dire le créancier. Généralement, la rémunération de la caution émane du débiteur principal.


(1) Cass. civ. 1, 1er décembre 1998, n° 96-17.761, publié (N° Lexbase : A8935AHE), Bull. civ. I, n° 338, JCP éd. G, 1999, I, 171, n° 5, obs. M. Fabre-Magnan ; JCP éd. E, 1999, p. 56, note P. Morvan ; Defrénois, 1999, 364, obs. J.-L. Aubert ; RTDCiv., 1999, p. 621, obs. J. Mestre.
(2) Cass. com., 6 juin 2001, n° 98-18.928, publié (N° Lexbase : A5129AT7), Bull. civ. IV, n° 113, Defrénois, 2001, 1429, obs. R. Libchaber. Adde, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 11ème éd., 2013, n° 417.
(3) Cass. com., 25 avril 2001, n° 96-22.035 (N° Lexbase : A2811ATB), RTDCiv., 2001, p. 922, obs. P. Crocq.
(4) CA Versailles, 23 septembre 1999, D. Aff., 2000, Actu. Jurisp., p. 53.
(5) Cass. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602, P+B+R+I (N° Lexbase : A5464DWB), JCP éd. G, 2007, II, 10138, note Ph. Simler, D., 2007, p. 2201, note D. Houtcieff ; Cass. com., 22 septembre 2009, n° 08-10.389, F-D (N° Lexbase : A3399ELH) ; Cass. com., 12 juillet 2011, n° 09-71.113, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0184HWQ), JCP éd. G, 2011, p. 1259, n° 7, obs. Ph. Simler ; CA Douai, 13 novembre 2008, n° 07/02411 (N° Lexbase : A7729HHQ) ; CA Douai, 18 novembre 2010, n° 09/05422 (N° Lexbase : A8638GK7), RDBF, 2011, comm. 52, obs. D. Legeais.
(6) V. par exemple, Ch. Albigès et M.-P. Dumont-Lefrand, Droit des sûretés, Dalloz, 4ème éd., 2013, n° 19 ; M. Bourassin, V. Bremond et M.-N. Jobard-Bachellier, Droit des sûretés, Sirey, 4ème éd., 2014, n°163; Ph. Simler et Ph. Delebecque, Sûretés, publicité foncière, Dalloz, 6ème éd., 2012, n° 58.
(7) Sur ces questions, v. M. Séjean, La bilatéralisation du cautionnement ? Le caractère unilatéral du cautionnement à l'épreuve des nouvelles contraintes du créancier, LGDJ, 2011, t. 528, préf. D. Houtcieff.

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