La lettre juridique n°603 du 5 mars 2015 : Éditorial

France : la gifle !

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France : la gifle !. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/23465045-france-la-gifle
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 17 Mars 2015


Légiférer ou non sur la fessée, la claque, la gifle, bref ce que l'on appelle de manière générique et juridique les châtiments corporels à l'adresse, désormais uniquement, des enfants, telle est la question sur toutes les lèvres et qui fait les choux gras des pages "société" des quotidiens.

La faute au Conseil de l'Europe qui exhorte la France, ce 4 mars 2014, à "rendre légalement punissables la gifle ou la fessée des enfants", sans quoi la Cour européenne des droits de l'Homme pourrait bien condamner pénalement l'Etat français pour violation l'article 17 de la Charte européenne des droits sociaux dont il est signataire, qui précise que les Etats parties doivent "protéger les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l'exploitation". Ce rappel à l'ordre, des plus désagréables pour le pays qui se clame "Patrie des droits de l'Homme", intervient, pourtant, tardivement, puisque cela fait plus de dix ans que l'OMS, ce même Conseil de l'Europe ou encore l'ONU et l'Unicef condamnent, d'un même choeur, les châtiments corporels sur les enfants, même à vocation éducative et quand bien même ils relèveraient de la sphère privée et familiale. 27 Etats sur les 47 que réunit le Conseil de l'Europe ont adopté une législation contraignante en ce sens, qu'elle soit civile et/ou pénale. Mais, des exceptions d'importance (la Grande Bretagne, l'Italie et la France) résistent toujours à la pression des droits de l'enfant, malgré l'application supranationale du Pacte en faveur de leur protection.

Sans entrer, ici, dans des considérations médicales et psychologiques qui concluent, pour la grande majorité d'entre elles, au mieux à une inefficacité pédagogique, au pire à une reproduction de la violence et à l'existence de troubles importants chez l'enfant devenu adulte, comme pour les fils du Docteur Schreiber, père de la "pédagogie noire", dont l'un est devenu fou et l'autre s'est suicidé, qu'il nous soit permis (comme le veut la formule des odes latines) de nous demander, avant de savoir s'il faut légiférer, si l'on peut réellement interdire la fessée et la gifle dans foyers.

D'ores et déjà, l'article 222-13 du Code pénal punit de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail sur, notamment, un mineur de quinze ans. La condamnation étant jugée, de l'aveu même des autorités publiques, disproportionnée pour les "corrections" au sein de la cellule familiale, il n'existe dès lors aucune disposition civile ou pénale interdisant expressément "les châtiments corporels"... sur enfants... à la maison. Ce type de disposition a été introduit certes pour protéger les enfants, mais uniquement à l'école (dès 1881), pour endiguer (mais insuffisamment) les violences conjugales, et dernièrement, pour sanctionner les violences envers les animaux. Mais l'enfant, au sein de la cellule familiale, reste absent de cet élan protectionniste. La raison de fond est claire : l'empreinte du pater familias peine à disparaître, malgré la fin de l'hégémonie paternelle. La vieille tradition familiale romaine, octroyant droit de vie et de mort sur son enfant au père de famille, demeure dans la mémoire collective, notamment des pays latins. Et pour ne rien arranger, l'Eglise, soutenue par l'Ecclésiastique aux termes duquel "celui qui aime son fils lui donne souvent le fouet", s'est adonnée à la férule pendant des siècles, croyant résolument aux vertus rédemptrices de la flagellation.

Finalement la question n'est ni doit-on, ni peut-on légiférer en la matière. Le droit supranational nous l'ordonne, la communauté internationale nous y invite chaudement, des textes existent déjà pour la protection des plus faibles : reste alors uniquement la question de la pertinence de la sanction au regard de la caractérisation de l'infraction. C'est tout l'art du législateur de trouver la bonne adéquation permettant la pédagogie, la dissuasion et finalement la sanction en cas d'exagération manifeste et, bien évidement, de préjudice corporel quelconque subi par l'enfant. Symbolique, la sanction légale serait une insulte à la protection de l'enfance, disproportionnée, elle ne recueillerait pas l'adhésion et la compréhension des citoyens (à 81 % contre une telle législation au demeurant), et serait donc discréditée et inefficace.

Mais la première des vertus de cette exhortation du Conseil de l'Europe sera sans doute d'ordre pédagogique... pour les parents.

D'abord, l'association de la fessée et de l'autorité parentale est erreur absolue ; la fessée, la claque sont même la négation de l'autorité parentale. Claude Pinoteau l'a bien mis en exergue, dans son film, La gifle en 1974, mettant en scène Lino Ventura, professeur de géographie (pourtant) administrant, sous le coup de l'énervement, une (monumentale et véridique, pour l'anecdote) gifle à sa fille, Isabelle Adjani, parce qu'elle entendait arrêter ses études et suivre son petit ami : "Tu parles mal, tu travailles mal, tu danses mal, tu grandis mal mais tu ne me fais pas peur Isabelle". Voilà le fin mot de l'histoire ! La gifle n'est pas ainsi infligée pour faire peur à l'enfant ; mais au contraire, elle est le résultat de la peur de l'adulte devant la perte de son autorité parentale. La fessée, la gifle ne sont pas des attributs de l'autorité parentale, mais le symptôme de sa perte. Aussi, en retirant ou, plus réalistement, en déniant le "droit de correction" des parents, l'on amoindrit en rien l'autorité parentale, on forcerait juste les parents à recouvrir l'ensemble de leurs véritables attributs, au lieu de se conforter dans un acte de puissance, stérile comme il a été démontré, surtout que la majorité des "corrections" est prodiguée sur des enfants de moins de... deux ans.

Ensuite, la fin de la fessée est inexorable parce que cette dernière est le dernier avatar, antérieur à la Philosophie des Lumières et l'Emile de Rousseau, du triptyque de l'éducation enfantine : châtiment corporel, rite initiatique et sacrifice. La France est en paix intérieure et ne réclame plus depuis longtemps le sacrifice de ses jeunes sur les fronts de guerre, ces derniers étant même dispensés de tout service militaire depuis plus de 15 ans. Le sacrifice à la Nation est un concept désormais obsolète, sauf, bien entendu, pour nos forces armées déployées. Quant aux rites initiatiques, ils sont tout bonnement bannis des sociétés occidentales, après interdiction, notamment, de tout "bizutage" dégradant et portant atteinte à l'intégrité physique. Finalement, la fessée vit, sociologiquement du moins, ses dernières heures : d'autant que, d'après les sondages, elle apparaît en voie de disparition auprès des jeunes générations.

Paroles d'un père ayant, à son grand regret, déjà administré une correction à ses fils... en espérant intimement n'avoir jamais à le refaire...

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