La lettre juridique n°603 du 5 mars 2015 : Avocats/Périmètre du droit

[Jurisprudence] Braconnier du droit ou plate-forme juridique licite: les enseignements du jugement "avocat.net" du 30 janvier 2015

Réf. : TGI Paris, 3ème ch., 30 janvier 2015, n° 13/00332 (N° Lexbase : A2978NBW)

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N6212BUM

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par Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris

le 17 Mars 2015

Qu'on les surnomme "braconniers" ou même "pirates" du droit, certaines plates-formes juridiques empiètent sans vergogne sur le périmètre des missions dévolues aux avocats, constituant pour ces derniers une indéniable concurrence déloyale. Le Conseil national des Barreaux (CNB) les traque désormais sans relâche et les poursuit systématiquement devant les tribunaux pour faire respecter les dispositions de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) qui réserve aux seuls avocats les prérogatives de consultation juridique ou de rédaction d'actes sous seing privé pour autrui. L'institution représentative des avocats de France a en effet amorcer depuis plusieurs années une réflexion approfondie sur ces sites dits d'"assistance juridique", qui se sont multipliés depuis 2010 sur internet. Un bras de fer s'est alors engagé dès 2010 avec ces sites dits "de tiers" qui inquiètent les avocats et leurs représentants. Le jugement qui vient d'être rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 30 janvier 2015 (TGI Paris, 3ème ch., 30 janvier 2015, n° 13/00332) dans une affaire concernant le site "avocat.net" résume bien les problématiques rencontrées avec ces nouveaux intervenants sur le marché juridique et les difficultés pour définir les contours d'une activité en ligne autorisée. I - Les antécédents

Le principe de ce qui est autorisé en la matière semble d'une totale clarté :

- il n'est pas permis à une société commerciale de proposer, que ce soit à des particuliers ou à des entreprises, une prestation de conseil juridique. La simple information juridique et la fourniture de modèles de documents types à remplir ne seront, en revanche, pas prohibées ;

- le conseil juridique est réservé, par la loi du 31 décembre 1971, aux avocats, afin de garantir au client le secret professionnel et l'assurance. Le client doit obligatoirement être mis en relation avec un avocat s'il rencontre un problème particulier et souhaite être conseillé ;

- il n'est, enfin, fait aucune distinction entre la simplicité et la complexité de l'affaire, de la question ou du problème rencontré. Toute prestation de conseil juridique relève de la seule compétence de professionnels du droit ou certains organismes dûment habilités.

Les simples sites de référencement, du type annuaire, ne posent donc a priori pas de difficultés.

Plus problématiques sont manifestement les sites dits "de tiers", qui sont censés jouer les intermédiaires entre les internautes et l'avocat. En théorie, un avocat peut s'y inscrire à condition de respecter les règles déontologiques habituelles prévues par le RIN : indépendance, secret professionnel, interdiction du partage d'honoraires et démarchage sous certaines conditions drastiques.

Le site "la conciergerie juridique" avait été l'un des premiers à faire l'objet de la vindicte du CNB qui l'avait donc assigné devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour avoir exercé, sous couvert de missions d'information juridique et d'accompagnement dans les démarches administratives, une activité rémunérée et habituelle de consultation juridique prohibée. Dans son jugement du 5 juillet 2012 (TGI Paris, 3ème ch., 30 janvier 2015, n° 13/00332 N° Lexbase : A6371IQZ), le tribunal avait fait droit à la demande d'interdiction du site et reconnu que la société exerçait bien, et sans les garanties des professions règlementées ou bénéficiaires d'un agrément, soumises dans l'intérêt des usagers à des exigences notamment de secret professionnels et d'assurance, une activité de consultation juridique contrevenant ainsi aux prescriptions légales.

Injonction avait été faite à la société "la conciergerie juridique" de cesser, sous peine d'astreinte, toute activité de consultation et de suppression sur le site internet de la société de toute référence à l'accomplissement d'une prestation juridique relevant du domaine réservé à des avocats. Il avait enfin été reconnu une activité de démarchage juridique illicite au regard de l'article 66-4 de la loi de 1971.

De fait, le tribunal de Nanterre avait prolongé la solution déjà retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 15 novembre 2010 (Cass. civ. 1, 15 novembre 2010, n° 09-66.319, FS-P+B+I N° Lexbase : A0232GH3) et fait implicitement référence aux jurisprudences communautaires "Wouters" (CJCE, 19 février 2002, aff. C-309/99 N° Lexbase : A0074AYE) et "Reisebüro Broede" (CJUE, 12 décembre 1996, aff. C-3/95 N° Lexbase : A9992AUM) rappelant le caractère proportionné au but à atteindre de la réserve d'activité accordée par une législation nationale aux professions juridiques règlementées ainsi que son caractère justifié face à l'impératif d'intérêt général de la protection du consommateur.

II - La problématique "avocat.net"

Une société "Jurisystem" exploite plusieurs plates-formes juridiques en ligne comme "easydroit.fr", "centredeformationjuridique.com" et donc "avocat.net". Ce site se propose de mettre en relation avocats et particuliers à la recherche de professionnels du droit spécialisés dans différents domaines juridiques. Jurisystem avait ainsi déposé auprès de l'INPI une demande d'enregistrement de la marque avocat.net en classe 42 (conception et développement d'ordinateurs et logiciels, études de projets techniques, conception de programme informatiques) et 45 (services juridiques)

Sur le site "avocat.net" figure de surcroît une mention, plus que laudative, puisque présentant "avocat.net" comme "le comparateur d'avocats n°  1 en France" !

C'est ainsi que le CNB devait poursuivre la société "Jurisystem" après une mise en demeure infructueuse, considérant que pour exploiter son site, elle faisait un usage prohibé du titre d'avocat pour proposer des services juridiques, des actes de démarchage interdits et se livrait à des pratiques trompeuses. Le CNB considérait également que la demande de dépôt de marque présentait un caractère illicite.

Ce n'est qu'un an après avoir été attrait devant le tribunal de grande instance de Paris que la société "Jurisystem" consentait à procéder au retrait de sa demande d'enregistrement de marque.

Restait cependant le principal et c'est là tout l'intérêt du jugement du TGI de Paris que d'affiner les limites du site au regard de la loi du 31 décembre 1971.

Dans sa décision du 30 janvier 2015, le tribunal aborde en premier la problématique de la dénomination "avocat.net" que le CNB stigmatisait comme un usage illicite du titre d'avocat alors que, selon son argumentation, ses services seraient in fine assumés par des personnes n'étant pas avocats et qu'à tout le moins il existait une confusion quant au fait de savoir si le site est exploité ou non par des avocats.

Ce qui était bien sûr contesté par "Jurisystem" qui prétendait que tous les services proposés étaient bien assurés par des personnes ayant prêté serment et que le site n'était qu'un simple annuaire d'avocats, avec mise en relation moyennant la modique somme de 50 euros pour chaque devis sollicité !

Le tribunal tranche la question en considérant que la dénomination "avocat.net" était bien de nature à laisser penser aux internautes que tous les services proposés émanent d'avocats, alors qu'il est relevé que certaines prestations sont réalisées par des personnes n'ayant pas la qualité d'avocat, mais de simples juristes.

Cette confusion, savamment entretenue dans l'esprit du public, est donc condamnable et il est donc interdit à la société "Jurisystem" de continuer à utiliser cette dénomination trop générique pour désigner ce site et lui est enjoint de procéder à la radiation du nom de domaine, le tout sous astreinte.

Là était en effet un point crucial du débat : laisser penser aux internautes que l'ensemble des tâches proposées sont le fait d'avocats, alors qu'on ne peut savoir en naviguant sur le site, si par exemple les fiches juridiques ou la documentation à caractère général proposée ont été concoctées par des avocats ou par la société "Jurisystem" elle-même qui ferait ainsi un usage de la dénomination pour sa propre activité.

Il est en outre retenu par les premiers juges que la mention "le comparateur d'avocats n°1 en France" était trompeuse au regard de l'article L.121-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7808IZ9). Il était en effet plutôt hardi de pouvoir le prétendre alors que la comparaison ne porte que sur les seuls avocats inscrits et les prix qu'ils pratiquent.

Le tribunal relève qu'il s'agit d une fausse allégation de nature à induire le consommateur en erreur sur les qualités substantielles du service proposé par la société : en faisant usage de ce slogan racoleur, il y a bien eu pratique commerciale trompeuse et il est interdit à la société d'y avoir encore recours, sous astreinte.

Au final, le CNB a permis ainsi de faire reconnaitre le préjudice subi du fait d'une atteinte à l'intérêt collectif de la profession d'avocat, justifiant l'euro symbolique de dommages et intérêts.

En revanche, les autres griefs formulés à l'encontre d'"avocat.net" n'ont pas été retenus par le TGI, notamment le démarchage et la publicité illicite, alors que le site avait par exemple été présenté sur le journal d'une chaine télévisée publique et les réseaux sociaux, pas davantage qu'un partage d'honoraire illicite au visa de l'article 6.6.4.2 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8), la somme de 50 euros perçue par la société au titre de la demande de devis achetée sur la plate-forme étant due indépendamment de toute perception d'honoraires.

Reste donc que le site "avocat.net", toujours consultable sur le net, ne peut plus s'appeler ainsi, mais dispose toutefois d'un délai de trois mois après la signification du jugement pour changer sa dénomination ambigüe.

Concernant la mention trompeuse, elle est toujours utilisée à ce jour par "Jurisystem", qui a annoncé avoir relevé appel de la décision ; il est même fait désormais également état sur le site litigieux du "premier annuaire et comparateur de prix d'avocats en France" avec 98 % de clients satisfaits : tout un programme qui pourrait ne pas être apprécié par le CNB ! Ne peut ainsi s'improviser avocat qui veut et il n'y a pas de place pour l'exploitation souvent spécieuse du terme avocat dans une dénomination de site. On retiendra à cet égard, encore récemment dans un registre analogue, l'interdiction des noms de domaine "avocatpermis.fr" et "avocat-accident-route.fr" par le récent arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 décembre 2014.

La marchandisation grandissante du droit conduit cependant à ce type d'excès et il importe de rester extrêmement vigilant sur ce type de sites qui font aujourd'hui florès, mais génèrent beaucoup de confusion pour le public avec un dumping économique à la clé et souvent un véritable détournement de la clientèle des avocats.

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