La lettre juridique n°574 du 12 juin 2014 : QPC

[Chronique] QPC : évolutions procédurales récentes - Janvier à Mars 2014

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par Mathieu Disant, Maître de conférences HDR à l'Ecole de droit de la Sorbonne Université Paris I Panthéon Sorbonne

le 12 Juin 2014

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Mathieu Disant, Maître de conférences HDR à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I), membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), chercheur associé au Centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit (C3RD), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue. Le premier trimestre de l'année 2014 signe, de façon sensible, un nombre ascendant de QPC. Ce regain témoigne, si besoin en était, d'un enracinement profond et durable de la procédure dans notre système juridique. Sur la période considérée, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation ont analysé respectivement plus de cinquante et plus de cent demandes de renvoi. Le Conseil constitutionnel a quant à lui tranché vingt-cinq QPC (dont dix après jonction).

Parmi les affaires qui retiennent l'attention, on notera, car cela est susceptible de concerner par analogie ou par extension de nombreuses professions règlementées, que les peines disciplinaires instituées par l'article 3 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels (N° Lexbase : L7650IGG), constituent bien des sanctions ayant le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P) (Cons. const., décision n° 2014-385 QPC du 28 mars 2014 N° Lexbase : A9892MHT). L'interdiction temporaire a indiscutablement une finalité répressive (la suspension provisoire peut quant à elle être analysée comme une mesure de sûreté). Il ressort implicitement de la position du Conseil qu'aucun principe constitutionnel n'impose une durée maximale à cette peine disciplinaire.

La décision n° 2014-375 et autres QPC du 21 mars 2014 (N° Lexbase : A2583MH7) mérite aussi d'être relevée. Il y est fait application de la jurisprudence constitutionnelle relative aux confiscations et aliénations opérées dans le cadre d'une procédure pénale. Cela conduit à une déclaration de non-conformité s'agissant du régime de saisie des navires utilisés pour commettre des infractions en matière de pêche maritime.

Symptomatique des QPC "en chaîne" et de l'importance que revêt le contrôle juridictionnel de constitutionnalité, la décision n° 2013-367 QPC du 14 février 2014 (N° Lexbase : A2429MEP) est la septième décision du Conseil constitutionnel sur l'hospitalisation sans consentement, dont le paysage juridique a été fortement redessiné sous l'empreinte du juge constitutionnel. Cette décision concerne la prise en charge en unité pour malades difficiles des personnes hospitalisées.

Dans le même esprit, on relèvera la multiplication des QPC sur les procédures de saisine d'office d'une juridiction, et l'affinement de la jurisprudence constitutionnelle en la matière. Le Conseil s'est penché sur la saisine d'office du tribunal pour l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire (Cons. const., décision n° 2013-368 QPC du 7 mars 2014 N° Lexbase : A3292MGZ). Il a prononcé la censure, en raison de l'absence de garanties législatives suffisantes, de la saisine d'office du tribunal pour la résolution d'un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire (Cons. const., décision n° 2013-372 QPC du 7 mars 2014 N° Lexbase : A3294MG4).

I - Champ d'application

A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC

Dans sa décision n° 2013-363 QPC du 31 janvier 2014 (N° Lexbase : A3531MD7), le Conseil constitutionnel rappelle que ne peut être contestée devant lui, par la voie d'une QPC, un arrêt rendu par la Cour de cassation qui refuse de renvoyer une QPC. Cette décision s'impose clairement dès lors que les décisions de rejet de la Cour de cassation et Conseil d'Etat ne peuvent faire l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel. A défaut d'être surprenante, cette position conduit à s'interroger sur l'opportunité de maintenir le caractère irrévocable des décisions de non-renvoi, en particulier pour défaut de caractère sérieux. Nous renvoyons sur ce point à nos précédentes chroniques.

La Cour de cassation refuse de renvoyer une QPC qui, "sous couvert d'une prétendue atteinte à la Constitution qui serait portée par un texte de loi ou par son application jurisprudentielle ancienne et constante [...] ne tend qu'à contester l'application de cette jurisprudence à des circonstances particulières de fait" (Cass. civ. 3, 6 février 2014, n° 13-22.073, F-D N° Lexbase : A9200MD4). Cette solution repose sur l'objet et la nature de la QPC : le contrôle abstrait d'une disposition législative, et non le contrôle concret de l'application de la loi. Ce dernier relève de l'office du juge de droit commun.

Une affaire intéressante permet de dissocier inconstitutionnalité négative et contrôle de l'omission de la loi. Est jugée irrecevable une QPC invoquant le fait que l'absence de disposition législative rendant effectif le principe invoqué constituerait une violation de ce principe (Cass. crim., 11 février 2014, n° 13-87.396, F-P+B+I N° Lexbase : A0668MEH). Une telle QPC ne conteste pas une disposition législative, ni même une loi en tant qu'elle ne prévoit pas, mais vise tout bonnement l'absence de loi. Qu'on l'approuve ou non, cette dernière action, en l'état du droit constitutionnel français, ne rentre pas dans le champ de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ).

B - Normes constitutionnelles invocables

1 - Notion de "Droits et libertés que la Constitution garantit"

Alors qu'il a implicitement constitutionnalisé, en décembre dernier, le principe de "confiance légitime" dans le cadre du contrôle a priori (1), le Conseil constitutionnel a admis dans la foulée l'invocabilité de ce principe -plus exactement de cette nouvelle interprétation- dans le cadre de la QPC. Il en a fait une première application dans sa décision n° 2014-386 QPC du 28 mars 2014 (N° Lexbase : A9893MHU). Cette évolution concerne la protection des situations légalement acquises et protection constitutionnelle conférée à l'espérance légitime : "il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions" ; "ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles" ; "en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations".

Plusieurs décisions méritent l'attention en raison de leurs apports, avérés ou potentiels, quant à la protection des droits et libertés garantis par la Constitution.

Dans sa décision n° 2013-360 QPC du 9 janvier 2014 (N° Lexbase : A0728KT7), le Conseil constitutionnel a été saisi pour la première fois de griefs dénonçant l'infériorité de droits reconnus aux femmes. Il a placé son contrôle, non sur l'article 1er de la Constitution (N° Lexbase : L0827AH4), mais sous la double référence à l'article 6 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M) et au troisième alinéa du Préambule de 1946. Ce choix signifie que le contrôle de la conformité à la Constitution des différences de traitement instituées entre les hommes et les femmes ne correspond ni au contrôle habituel en matière de respect du principe d'égalité, opéré sur le seul fondement de l'article 6 de la Déclaration de 1789, ni à l'interdiction des discriminations, laquelle prohiberait absolument toute règle traitant différemment les femmes et les hommes. Il en ressort un contrôle renforcé : non seulement la différence de traitement instaurée par le législateur doit être fondée sur une différence de situation ou doit poursuivre un but d'intérêt général, l'une ou l'autre devant être en lien direct avec l'objet de la loi, mais cette différence ne doit pas être injustifiée au regard des exigences de l'article 6 de la Déclaration de 1789 et du troisième alinéa du Préambule de 1946.

La décision n° 2013-370 QPC du 28 février 2014 (N° Lexbase : A0449MGQ) concernant l'exploitation numérique des livres indisponibles a donné au Conseil constitutionnel l'occasion de retoucher légèrement la rédaction du considérant de principe relatif à la protection de la propriété intellectuelle. Il faut retenir que "les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux et, notamment, à la propriété intellectuelle ; que celle-ci comprend le droit, pour les titulaires du droit d'auteur et de droits voisins, de jouir de leurs droits de propriété intellectuelle et de les protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France". Cela étant, la portée de la protection ne paraît pas modifiée par cette retouche.

Dans sa décision n° 2014-386 QPC du 28 mars 2014, à propos de la dotation globale de fonctionnement attachée aux transferts de compétence à la collectivité de Saint-Barthélemy, le Conseil constitutionnel a été appelé à opérer, de façon inédite, un contrôle du respect des exigences constitutionnelles résultant des articles 72 (N° Lexbase : L0904AHX) et 72-2 (N° Lexbase : L8824HBG) de la Constitution pour une collectivité régie par l'article 74 (N° Lexbase : L0906AHZ) de la Constitution.

2 - Normes constitutionnelles exclues du champ de la QPC

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel a jugé que le grief tiré de la méconnaissance du domaine du législateur organique pour fixer le statut d'une collectivité de l'article 74 de la Constitution ne peut être invoqué à l'appui d'une QPC (Cons. const., décision n° 2014-386 QPC du 28 mars 2014). Cette solution s'inscrit dans une jurisprudence bien établie qui écarte du champ de l'article 61-1 de la Constitution le grief tiré de l'empiètement par le législateur sur le domaine organique (2). La règle est claire : les règles de compétence ne sont pas en elles-mêmes susceptibles d'être considérées comme des droits ou libertés que la Constitution garantit invocables en QPC. La circonstance que la réserve de compétence organique soit fondée sur l'article 74 est donc sans conséquence sur le plan de la recevabilité du grief en contentieux QPC. Ce qui n'était pas si évident, au fond, compte tenu de la matière en cause : l'équilibre des compétences fiscales et la répartition des ressources financière à l'égard d'une collectivité disposant d'une autonomie renforcée.

Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel a écarté une argumentation habile consistant à s'inspirer du raisonnement retenu dans sa jurisprudence sur l'incompétence négative du législateur. Rappelons que celle-ci est invocable en QPC en tant qu'elle affecte, par elle-même, un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Cette construction peut-elle être transposée à l'empiètement du législateur sur le domaine de compétence de la loi organique lorsque cet empiètement porte atteinte au statut d'autonomie d'une collectivité de l'article 74 ? Le Conseil l'a écartée.

II - Procédure devant les juridictions ordinaires

1 - Notion de "question nouvelle"

Indépendamment du fait qu'elle ne retient pas une lecture alternative des critères de la nouveauté et du sérieux, la Cour de cassation a jugé nouvelle deux questions qu'elle a transmises au Conseil constitutionnel.

D'une part, une question portant sur la conformité d'une disposition législative (instituant une servitude légale) au regard du Préambule de la Charte de l'environnement (Cass. civ. 3, 5 mars 2014, n° 13-22.608, FS-P+B N° Lexbase : A1824MGN). Cette QPC, jugée par ailleurs sérieuse sur le terrain des articles 1 à 4 de la Charte, permettra de clarifier un peu plus la portée normative de ces dispositions.

D'autre part, une question portant sur des dispositions issues d'une loi référendaire, en l'occurrence celle du 9 novembre 1998, portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie (Cass., soc., 20 février 2014, n° 13-20.702, FS-P+B N° Lexbase : A7751MES). Il s'agit là de permettre au juge constitutionnel de trancher une question de droit et de fixer lui-même son éventuelle compétence sur un sujet relancé, ce qui supposerait un revirement de jurisprudence fort peu probable (3). La démarche de sollicitation du juge constitutionnel authentique via l'appréciation du caractère nouveau doit être approuvée.

2 - Transmission automatique

Le Conseil constitutionnel peut être saisi sans décision de renvoi de l'une des deux juridictions suprêmes visées par l'article 61-1 de la Constitution. Cela s'est produit dans l'affaire n° 2013-363 QPC du 31 janvier 2014 (N° Lexbase : A3531MD7). Il a statué sur la QPC qui lui a été automatiquement transmise, faute pour la Cour de cassation d'avoir respecté le délai de trois mois qui lui était imparti pour se prononcer. Il s'agit d'une application de la dernière phrase du premier alinéa de l'article 23-7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Il ne s'agit pas d'un cas de figure inédit et plus tout à fait exceptionnel : il s'est déjà produit dans l'affaire n° 2011-206 QPC du 16 décembre 2011 (N° Lexbase : A2902H8Y), à l'occasion de laquelle la Cour de cassation avait, comme dans la présente QPC, constaté son désistement. En outre, dans l'affaire n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012 (N° Lexbase : A4205IXZ), c'est le greffe du Conseil d'Etat qui avait directement transmis, sans que ne soit expressément constaté le dépassement du délai. Cela étant, on relèvera que la QPC n° 2013-363 porte sur une disposition législative (limitant le droit d'appel des jugements correctionnels par la partie civile) que la Cour de cassation avait à plusieurs reprises refusé de soumettre au Conseil constitutionnel, pour défaut de sérieux ! Du coup, par un biais indirect de contrôle du filtre, le Conseil constitutionnel s'est trouvé à examiner une QPC dont la transmission avait été jusqu'alors refusée, il a même opéré pleinement son contrôle en soulevant d'office un grief ! L'honneur est sauf, la disposition ayant été jugée conforme à la Constitution...

III - Procédure devant le Conseil constitutionnel

A - Organisation de la contradiction

1 - Mesures d'instruction

Sans que cela ne soit formellement prévu dans le règlement de procédure, le Conseil constitutionnel peut solliciter une mesure d'instruction de nature à l'éclairer, notamment, sur l'application de la disposition législative contestée (4). C'est une pratique bien acquise du contentieux constitutionnel, qui illustre à la fois son caractère inquisitorial et le besoin d'expertise qu'il requiert. Le Conseil constitutionnel l'inscrit parfaitement dans la logique du contradictoire : la réponse est enregistrée et communiquée à l'ensemble des autorités et parties. Il s'agit le plus souvent de demander au gouvernement des éléments statistiques.

Ainsi, dans l'affaire n° 2013-366 QPC du 14 février 2014 (N° Lexbase : A2428MEN), à la demande du Conseil, ont été produites des évaluations chiffrées afin de déterminer le volume des contentieux en cause et les enjeux financiers ayant motivé la validation législative des délibérations des syndicats mixtes instituant le "versement transport". La réalité et la précision des évaluations -comme elles peuvent toujours l'être dans ce type de matière- ont été discutées par la partie requérante. La suspicion n'épargne que rarement les évaluations effectuées par celui qui est aussi le "défenseur" de la loi. Quoi qu'il en soit, ces documents ne sont pas rendus publics, ni même directement visés dans la décision. Ils intègrent la formule générale "pièces produites et jointes au dossier" mentionnée dans les visas.

A cet égard, la décision n° 2014-375 et autres QPC du 21 mars 2014 mérite une attention particulière. Elle concerne le régime de saisie des navires utilisés pour commettre des infractions en matière de pêche maritime. La mesure ordonnée par le Conseil constitutionnel a permis d'établir que le nombre de saisies de navires ou de cautionnement en cours est très faible. Ce constat a manifestement influencé le choix d'une application immédiate de la censure. En outre, le Conseil semble vouloir entourer ce type de sollicitation d'une transparence minimale. Il a réservé une mention inédite dans ses visas, faisant état des "observations complémentaires produites par le Premier ministre à la demande du Conseil constitutionnel pour les besoins de l'instruction".

2 - Interventions devant le Conseil constitutionnel

Comme souligné lors de précédentes chroniques, les observations en intervention des tiers à l'occasion d'une QPC transmise au Conseil constitutionnel sont de plus en plus courantes, ce qui témoigne du caractère abstrait et d'intérêt collectif de l'examen que le Conseil opère et, dans le même temps, suscite. Il en est ainsi, par exemple, de l'intervention volontaire de l'association "SOS soutien ô sans papiers" dans l'affaire n° 2013-360 QPC du 9 janvier 2014 (N° Lexbase : A0728KT7), concernant la perte de la nationalité française par acquisition d'une nationalité étrangère, ou de l'intervention d'une association dans l'affaire n° 2013-367 QPC du 14 février 2014 (N° Lexbase : A2429MEP), relative à la prise en charge en unité pour malades difficiles des personnes hospitalisées sans leur consentement.

On notera également les nombreuses interventions dans l'affaire n° 2013-363 QPC du 31 janvier 2014 (N° Lexbase : A3531MD7), relative au droit d'appel des jugements correctionnels par la partie civile, et plus encore celles du Groupement des autorités responsables de transport, d'un syndicat mixte de transport, ainsi que de deux sociétés par actions simplifiées dans l'affaire n° 2013-366 QPC du 14 février 2014 (N° Lexbase : A2428MEN). Dans cette dernière affaire, une partie intervenante a invoqué un nouveau grief.

Tout en contestant les mêmes dispositions, l'intervenant admis dans l'affaire n° 2013-361 QPC du 28 janvier 2014 (N° Lexbase : A0538MDB), concernant les droits de mutation pour les transmissions à titre gratuit entre adoptants et adoptés, se trouvait dans une situation différente du requérant. Cette intervention a ainsi permis au Conseil d'examiner sous un autre l'angle la rupture d'égalité invoquée.

B - Réserves d'interprétation

Dans sa décision n° 2013-371 QPC du 7 mars 2014 (N° Lexbase : A3293MG3), le Conseil rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues (5). A titre complémentaire, il précise qu'il appartient aux autorités administratives compétentes de veiller au respect de cette exigence. Ce qui l'a conduit à poser une réserve à la conformité d'une disposition concernant la majoration de la contribution supplémentaire à l'apprentissage, dont le caractère de punition a été relevé.

Plus originale est la réserve d'interprétation formulée par le Conseil dans sa décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014. S'agissant d'une loi de validation, le Conseil précise que les dispositions en cause ne sauraient permettre que soient prononcées des sanctions à l'encontre des personnes ayant violé les dispositions validées antérieurement à la publication de la loi de validation. Cette réserve se fonde sur le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions, alors même que la loi de validation produit nécessairement des effets rétroactifs.

C - La décision du Conseil constitutionnel et ses effets

1 - Application immédiate aux instances en cours

Dans sa décision n° 2013-360 QPC du 9 janvier 2014 (N° Lexbase : A0728KT7), concernant la perte de nationalité française par acquisition d'une nationalité étrangère, le Conseil a déclaré contraires à la Constitution les mots "du sexe masculin" figurant à l'article 9 de l'ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945, portant code de la nationalité française. Tout en précisant que cette déclaration d'inconstitutionnalité était immédiatement applicable, y compris dans les affaires en cours, le Conseil a limité la portée rétroactive de cette déclaration d'inconstitutionnalité en lui conférant un effet relatif. Le droit d'invoquer l'inconstitutionnalité s'est ainsi trouvée limitée, dans des conditions assez complexes.

Dans sa décision n° 2013-362 QPC du 6 février 2014 (N° Lexbase : A5825MD4), prononçant une censure ciblée d'une disposition relative à la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision, les effets de sa censure se trouvent limités par le caractère récent de la disposition législative. Mais le Conseil a précisé que la déclaration d'inconstitutionnalité ne peut être invoquée à l'encontre des impositions définitivement acquittées et qui n'ont pas été contestées avant la date de la publication de la décision. C'est une limitation sensible de l'effet immédiat. On retrouve ici une préoccupation particulièrement présente en matière fiscale, qui consiste à éviter l'effet d'aubaine susceptible de résulter de la censure (6).

Dans la décision n° 2013-368 QPC du 7 mars 2014 (N° Lexbase : A3292MGZ), le Conseil a jugé que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la date de la publication de la décision et qu'elle est applicable à tous les jugements d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire rendus postérieurement à cette date. On retrouve là, dans l'exact prolongement de sa jurisprudence récente, les mêmes limitations que celles qui avaient été retenues dans les déclarations d'inconstitutionnalité de dispositions qui contenait, dans un champ comparable, une règle identique.

On observe une même démarche s'agissant des dispositions concernant les procédures de saisine d'office d'une juridiction. Ainsi, dans l'affaire n° 2013-372 QPC du 7 mars 2014 (N° Lexbase : A3294MG4), le Conseil a jugé que la déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à tous les jugements statuant sur la résolution d'un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire rendus postérieurement à la décision. On relèvera, au titre d'une application de la chose interprétée, qu'il n'est plus rare qu'en cette matière les tribunaux fassent une application générale de la jurisprudence constitutionnelle en matière de saisine d'office.

Dans sa décision n° 2014-375 et autres QPC du 21 mars 2014 concernant le régime de saisie des navires utilisés pour commettre des infractions en matière de pêche maritime, le Conseil a estimé que l'application immédiate de la déclaration d'inconstitutionnalité n'était pas de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives. Il a donc fait le choix de faire produire ses effets à la déclaration d'inconstitutionnalité de ces articles à compter de la date de la publication de sa décision. Ce qui signifie qu'elle est applicable aux affaires nouvelles, ainsi qu'aux affaires non jugées définitivement à cette date.

2 - Articulation avec le contrôle de conventionalité de la loi

La décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014 mérite une attention toute particulière. Elle signe un aboutissement de la jurisprudence constitutionnelle en matière de contrôle des validations législatives, dans le sens d'une mise en correspondance avec le contrôle exercé sur le terrain de la Convention européenne des droits de l'Homme. L'influence de la jurisprudence européenne avait conduit à un rapprochement sensible des critères de contrôle sur le terrain de la garantie des droits. L'articulation des contrôles trouve désormais un point de convergence clairement établi par le revirement de jurisprudence que constitue la décision n° 2013-366 QPC. La modification consiste dans le remplacement de la référence à un "intérêt général suffisant" par la référence à l'exigence que l'atteinte aux droits des personnes résultant de la loi de validation soit justifiée par un "motif impérieux d'intérêt général". Ce faisant, le Conseil constitutionnel a entendu expressément souligner l'exigence de son contrôle : le contrôle des lois de validation qu'il assure sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D) a la même portée que le contrôle assuré sur le fondement des exigences qui résultent de la CEDH. Il en résulte que le Conseil renforce son contrôle des lois de validations et, plus largement, sa maîtrise de la validité de la loi. Il prévient également le risque de divergence en la matière à l'égard d'un contrôle de conventionnalité parallèle ou postérieur à la QPC. Derrière les mots, il reste à affiner l'interprétation, qui pourrait être plus ou moins convergente, de ce qui relève d'un "impérieux" motif d'intérêt général... Dans l'affaire n° 2013-366 QPC, celui-ci réside dans la volonté du législateur de mettre fin à une incertitude juridique, source d'un abondant contentieux, et à éviter de nombreuses réclamations.


(1) Cons. const., décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013 (N° Lexbase : A6536KRI), cons. n° 14.
(2) Cons. const., décision n° 2012-241 QPC du 4 mai 2012 (N° Lexbase : A5659IKS).
(3) Notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, 2011, spéc. p. 46.
(4) Sur ce point, notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, op. cit., spéc. pp. 273-274.
(5) Voir not. Cons. const., décision n° 2013-341 QPC du 27 septembre 2013 (N° Lexbase : A8221KL3) et nos obs., QPC : évolutions procédurales récentes : juillet à septembre 2013, Lexbase Hebdo n° 308 du 14 novembre 2013 (N° Lexbase : N9326BTL).
(6) Déjà, voir Cons. const., décision n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013 (N° Lexbase : A4369KN7).

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