Lexbase Fiscal n°573 du 5 juin 2014 : Fiscalité internationale

[Le point sur...] E-commerce et fiscalité : casse-tête européen

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par Nacima Lamalchi-Elkilani, Avocat, UGGC

le 05 Juin 2014

Un constat : en dépit du contexte économique, l'e-commerce ne cesse de progresser, pour représenter en 2012 un chiffre d'affaires de 45 milliards d'euros en France et 312 milliards d'euros en Europe (1). Parmi les sites marchands de biens ou de services (2) les plus performants en France, on retrouve des sites français comme C Discount, FNAC ou La Redoute face aux géants américains tels que Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft (regroupés sous l'appellation "Gafam"), ou encore Ebay et Price Minister.
En l'absence de règle d'harmonisation fiscale européenne et surtout internationale, et en dépit de chiffres d'affaires conséquents réalisés dans l'hexagone, ces géants du Net s'affranchissent toujours, au moins en partie, du paiement de l'impôt sur les sociétés ("IS") et de la taxe sur la valeur ajoutée ("TVA"). La pratique est connue : ces groupes déclarent un minimum de revenus en France par le biais de leurs filiales, l'essentiel de leurs revenus étant réservé à des pays fiscalement plus accueillants (3). En 2012, le Gafam aurait réalisé 8 milliards d'euros de chiffres d'affaires en France et n'aurait payé que 40 millions d'euros d'impôt, soit 0,75 % d'imposition, ce qui est loin des 33,1/3 % d'IS pour les sociétés françaises (4). Cette situation est problématique à plusieurs égards.

Au plan économique, le manque à gagner de l'Etat sera d'environ un milliard en 2014 et ce uniquement en matière de TVA (5). Sur le plan du droit de la concurrence, on relève qu'un traitement fiscal plus lourd est réservé aux sites français (6). Les déclarations récentes du PDG du site français Vente-privée à la presse en témoignent puisque "Vente-privée paie plus d'impôts en France que Google, Apple, Ebay et Amazon réunis" (7). Notre principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt ne serait-il pas également mis à mal (8) ?... Enfin, nos partenaires européens comme l'Angleterre ou l'Allemagne ne sont pas épargnés, malgré une fiscalité plus favorable (9).

Comment concilier des intérêts opposés entre, d'une part, l'optimisation des recettes fiscales et, d'autre part, le maintien de la croissance et de l'investissement dans le e-commerce au niveau international, ou à tout le moins sur un plan européen ou national ?

Au niveau européen, la Commission européenne a annoncé, en octobre 2013, la création d'un groupe d'experts chargé de remettre avant le 1er juillet 2014 des propositions destinées à combattre l'optimisation fiscale des multinationales du Net.

Le point de départ de cette réflexion est double "la fiscalité ne doit pas être un obstacle aux nombreux avantages de la révolution numérique. Toutefois, [il faut] aussi veiller à ce que le secteur numérique joue le jeu et paie sa part".

Certaines voix s'élèvent déjà pour dire qu'un consensus au sein de l'Union européenne est illusoire dans la mesure où, d'une part, la fiscalité du numérique n'a finalement pas constitué le sujet central du Conseil européen des 24 et 25 octobre 2013, ce qui ne serait pas bon signe, et, d'autre part, l'asile fiscal accordé aux géants du Net provient de certains Etats membres comme le Luxembourg, l'Irlande, Chypre ou Malte.

Quelle réponse est apportée en France ?

L'une des premières propositions tendant à régir la "fiscalité numérique" -la taxe sur le commerce électronique ("Tascoe") présentée par le Sénateur Marini dans une proposition de loi du 19 juillet 2012- a échoué. Basée sur la taxation des achats de biens et services réalisés par voie électronique effectués par les entreprises, elle a été très critiquée, notamment par la FEVAD pour ses "effets contre-productifs [...]".

Le rapport de Pierre Collin et Nicolas Colin, déposé le 17 janvier 2013, évoque la notion d'établissement stable mais ne règle pas les problèmes liés à la notion de prix de transfert, pratique entre entreprises consistant à transférer un bénéfice en minorant ou en majorant le prix d'une transaction. En effet, actuellement, lorsqu'une entreprise mère possède des entreprises associées ou un réseau de filiales, elle fait remonter le bénéfice dans l'Etat qui appliquera le taux d'impôt sur les sociétés le plus faible.

En octobre 2013, à la suite du séminaire international sur la fiscalité numérique organisé sous l'égide du ministère de l'Economie, et animé par le Conseil national du numérique, il a été annoncé en substance qu'il n'y aurait pas en 2014 de nouvelle taxe nationale sur le numérique et qu'une harmonisation des règles fiscales internationales par le biais du projet BEPS ("Base Erosion and Profit Shifting") au sein de l'OCDE était préconisée.

L'objectif poursuivi semble davantage rétablir l'équité entre les opérateurs du numérique européens et non européens en termes de concurrence fiscale, et pas essentiellement améliorer le rendement budgétaire. Il est prévu que les propositions de l'OCDE soient remises en septembre 2014.

Aujourd'hui, où en est-on face à ces objectifs ambitieux ?

Concernant l'IS, la situation est pour le moment bloquée, car la notion d'"établissement stable" appliquée au e-commerce n'a toujours pas été définie. L'OCDE a considéré qu'un site web ne pouvait pas être considéré comme un établissement stable, alors qu'un serveur le pouvait, ce qui a été contesté par la France.

Cette question est encore aujourd'hui ouverte.

Concernant la TVA, il faut rappeler que la vente à distance de marchandises est régie par le système de TVA "intracommunautaire" mis en place entre les Etats membres au sein de l'Union européenne. Ce système a ses limites puisque le lieu d'imposition de tels produits est soit l'Etat de l'UE de départ des produits si le montant annuel des ventes à distance effectuées par le fournisseur à destination de l'Etat membre où est établi l'acquéreur n'excède pas 100 000 euros pour la France ; soit dans l'Etat de l'UE d'arrivée si ce seuil est dépassé ou encore si le vendeur opte expressément pour le paiement de la TVA dans le pays d'arrivée. La question de la TVA sur les biens vendus sur un site de e-commerce basé en dehors de l'UE reste donc ouverte.

Concernant la vente de services, la Directive 2008/8/CE (Directive du 12 février 2008 N° Lexbase : L8139H3T) étend, à partir du 1er janvier 2015, le régime du "guichet unique" introduit par la Directive 2002/38/CE (Directive du 7 mai 2002 N° Lexbase : L0398A37) aux services électroniques prestés par un fournisseur établi au sein de l'UE à des preneurs non assujettis établis dans l'UE. Le principe est que désormais ces services seront imposables dans l'Etat membre de résidence du consommateur. Néanmoins, il convient de se demander comment cette mesure va-t-elle être mise concrètement en oeuvre étant précisé que la période de transition est prévue jusqu'en 2019.

Conclusion : l'évasion fiscale et la planification fiscale agressive de certaines sociétés sont particulièrement problématiques dans l'économique numérique compte tenu de la disproportion entre le chiffre d'affaires et les impôts payés dans un même pays.

L'Etat français et l'administration fiscale française se doivent de trouver des solutions pour palier ce véritable manque à gagner. Néanmoins, ce travail doit se faire en coopération avec les autres Etats ainsi qu'avec l'Union européenne, du fait du caractère international du commerce électronique.


(1) Données tirées de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance ("FEVAD")
(2) Cet article ne porte pas sur la vente de données télématiques dématérialisées (téléchargements).
(3) Données tirées du journal Le Figaro, 7 avril 2010, L'e-commerce contourne la fiscalité française. Le manque à gagner pour l'Etat en termes d'impôt pourrait s'élever, en 2014, à 600 millions d'euros pour le commerce en ligne et 400 millions d'euros pour les jeux en ligne.
(4) Données issues de la revue du digital.
(5) Rapport du cabinet Greenwich Consulting, Evaluer l'impact du développement d'Internet sur les finances de l'Etat, octobre 2009.
(6) Amazon paie une TVA à 15 % au Luxembourg et n'aurait pas payé d'IS en 2008. Apple paie 6 cents d'euros d'impôts au Luxembourg pour un morceau de musique vendu 1,02 euros quand la FNAC reverse 19 cents.
(7) Propos recueillis le 10 février 2014 par Delphine Cuny pour le quotidien La Tribune.
(8) Ce principe comporte deux branches, le principe d'égalité devant la loi fiscale (DDHC, art. 6 N° Lexbase : L1370A9M), et le principe d'égalité devant les charges publiques (DDHC, art. 13 N° Lexbase : L1360A9A).
(9) En Angleterre, le taux d'IS est de 24 % et la TVA est de 20 % ; en Allemagne, le taux d'IS monte à 15,83 % et la TVA s'élève à 19 % : Corine Moriou, Fiscalité : tableau comparatif des pays les plus favorables aux entreprises, disponible sur le site lentreprise.lexpress.fr.

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