La lettre juridique n°555 du 23 janvier 2014 : Avocats/Publicité

[Jurisprudence] Avocat/démarchage : prohibition ou autorisation ?

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 13 décembre 2013, n° 361593, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3722KRB)

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par Jean-Paul Lévy, Ancien membre du conseil de l'Ordre, Ancien membre du Conseil national des barreaux

le 23 Janvier 2014

Le 13 décembre 2013, le Conseil d'Etat a rendu une décision qui vient, semble-t-il, tirer les conséquences, pour la profession d'avocat, de l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne du 5 avril 2011 (CJUE, 5 avril 2011, aff. C-119/09 N° Lexbase : A4134HM3 ; lire V. Téchené, Il est interdit d'interdire... totalement le démarchage aux experts-comptables, Lexbase Hebdo n° 247 du 14 avril 2011 - édition affaires N° Lexbase : N9684BR4), relative aux experts-comptables.
La Haute juridiction annule une décision du Garde des Sceaux, refusant elle-même d'annuler les mots "dès lors qu'elle est exclusive de toute forme de démarchage" figurant au second alinéa de l'article 15 du décret n° 2005-790, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA), et le troisième alinéa de cet article et, en tant qu'ils s'appliquent aux avocats, les articles 2 et 3 du décret n° 72-785 du 25 août 1972, relatif au démarchage et à la publicité en matière de consultation juridique et de rédaction d'actes juridiques (N° Lexbase : L6642BHH), les chiffres "2,3" figurant au premier alinéa de l'article 5 de ce même décret et le second alinéa de ce dernier article, et ce au visa des articles 4, paragraphe 12 et 24, de la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4).

La prohibition du démarchage chez les avocats ressort de ce que le Bâtonnier Henri Ader nomme dans son Traité de déontologie (Dalloz 2011) la "déontologie de restriction", basée, elle-même, sur des fondamentaux d'indépendance et d'interdiction de toutes activités commerciales pour le barreau.

Cette conception, née avec le début du XIXème siècle, s'inscrit dans une tradition qui imprègne, encore, les règles de la morale professionnelle : elle renvoie aux principes essentiels de probité, de délicatesse, de dignité, de confraternité, ainsi que de loyauté, figurant à l'article 3 du décret du 12 juillet 2005 précité, et de l'article 1er du règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8) ; elle s'inscrit dans le respect du secret professionnel général, d'ordre public et absolu.

La violation de l'interdiction du démarchage était, jusqu'alors, réprimée par l'article 66-4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) qui renvoyait aux peines édictées par l'article 72 du même texte.

Que signifie donc cette décision du Conseil d'Etat ?

Fidèle à leur position, désormais bien inscrite dans leur jurisprudence, les juges du Palais Royal font prévaloir, ici, la norme européenne sur la norme nationale ; ils rappellent, d'ailleurs, dans leur arrêt le texte de la Directive "services", celle -là même qui fit couler beaucoup d'encre lors de son élaboration.

Analysant l'article 4, paragraphe, 12 qui définit la communication commerciale, ils notent que ces dispositions s'opposent à une réglementation nationale qui interdit totalement aux membres de la profession réglementée qu'est le barreau de "recourir au démarchage ou de proposer à leur clients une offre personnalisée de services, quels que soient leur forme, leur contenu et les moyens employés, ou prohibe de manière générale le recours à la publicité dans les médias".

Il s'agit là de la même interprétation qu'en ont faite les juges de Luxembourg en 2011.

Est-ce à dire que tout soit désormais possible et que la dernière digue ait sauté ?

Rien n'est moins sûr, car le Conseil d'Etat prend soin de rappeler les termes de l'article 24 de la Directive qui énoncent que les Etats membres veillent à ce que les communications commerciales faites par les professions réglementées respectent les règles professionnelles conformes au droit communautaire, "qui visent notamment l'indépendance, la dignité et l'intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession".

Par cette dernière formule, la juridiction fait rentrer la norme déontologique dans le jeu, qu'il s'agisse de la loi, du décret ou du règlement intérieur national.

Mais, dans le même moment, ce faisant, elle renvoie au législateur, au pouvoir réglementaire et aux différents régulateurs de la profession, soit au Conseil national des barreaux et aux Ordres.

Le législateur, tout d'abord, a semblé se préoccuper de cette question bien avant le prononcé de l'arrêt : lors du débat parlementaire consacré au projet de loi sur la consommation, par le biais d'un "cavalier législatif", l'article 3 bis de la loi du 31 décembre 1971 devait être complété par deux alinéas :

"Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, l'avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu'à la sollicitation personnalisée".

"Toute prestation personnalisée à la suite d'une sollicitation personnalisée fait l'objet d'une convention d'honoraires".

Ces dispositions n'ont finalement pas été insérées, elles renvoyaient directement au pouvoir réglementaire le soin de définir les normes au regard des principes essentiels et du secret professionnel.

Celui-ci apparaît donc, aujourd'hui, comme le décisionnaire ultime, même si il a été saisi en ce sens de demandes du Conseil national des barreaux, et notamment lors de son Assemblée générale du 19 octobre 2012. Il convient, d'ailleurs, de relever que le "cavalier législatif" susvisé était un amendement gouvernemental, alors qu'il incombe au Gouvernement, justement, de modifier le décret concerné.

Restent les régulateurs. On a vu ce qu'il en est du CNB, mais la question est aussi posée aux différents conseils de l'Ordre, puisqu'il leur revient d'interpréter la norme déontologique, au cas par cas, et de sanctionner, sous le contrôle des cours d'appel. Pour l'anecdote, on renverra à un arrêt, déjà ancien (CA Aix-en-Provence, 24 octobre 1995, n° 94/20107), par lequel le juge estimait que ne constituait pas le démarchage prohibé la diffusion par voie postale, à partir du cabinet de l'avocat, de plaquettes ayant pour finalités de faire connaître aux usagers concernés que leur auteur était un praticien de la publicité foncière. Il est vrai qu'internet n'en était qu'à ses premiers balbutiements...

Aujourd'hui, la réalité est celle des réseaux sociaux et de leur utilisation à des fins publicitaires par des cabinets d'avocats quelques soient leurs formes.

Dès la fin de l'année 2013, le conseil de l'Ordre des avocats de Paris a mis en ligne, sur l'espace privé réservé aux membres de ce barreau, un vade-mecum de la déontologie du numérique, signe évident que le site internet, le blog et les réseaux sociaux sont les outils de la stratégie de communication des avocats. Il est donc de la responsabilité des conseils de l'Ordre d'être les gardiens des principes essentiels, alors même que la norme européenne fait référence à une "communication commerciale" des professions réglementées, mais dans le respect de ces règles consacrées, également, par le droit communautaire.

Le texte du décret de 1972 a vécu : demeurent donc les fondamentaux de la profession. Il s'agit là, pour les autorités ordinales, d'un nouveau et passionnant champs d'action. A elles, selon les mots de Baudelaire, de "Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ? Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !".

Décision

CE 1° et 6° s-s-r., 13 décembre 2013, n° 361593, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3722KRB)

Lien base : (N° Lexbase : E6368ETZ)

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