Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 20 mai 2025, n° 498461, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : B3006AAL
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par Jérôme Duvignau, Avocat associé - Richer & Associés Avocats
le 27 Juin 2025
Mots clés : recouvrement de créance • titre exécutoire • biens situés à l'étranger • saisine du juge • voies d’exécution
Dans un arrêt rendu le 20 mai 2025, le Conseil d’État précise l’articulation entre titre exécutoire et action judiciaire pour recouvrer une créance d’une collectivité territoriale.
En matière de recouvrement de créance, la jurisprudence administrative est bien ancrée : « une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre » [1].
Cette application du principe du « privilège du préalable » connaît quelques exceptions que le juge administratif vient de compléter par un arrêt du 20 mai 2025.
I. Le recouvrement d’une créance d’une collectivité territoriale doit, en principe, passer par l’émission d’un titre exécutoire
Comme cela ressort de la jurisprudence « Préfet de l’Eure », au nom du privilège du préalable, une collectivité territoriale est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu’elle a le pouvoir de prendre, elle-même.
Le Conseil d’État rappelle systématiquement ce principe issu de la jurisprudence « Préfet de l’Eure » et, encore récemment, dans cet arrêt du 20 mai 2025 : « Une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre » [2].
Il s’agit d’une « règle fondamentale du droit public » [3].
S’agissant du recouvrement d’une créance d’une collectivité territoriale, la règle se décline de la manière suivante : « les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de leur créance » [4].
Autrement dit, la collectivité territoriale créancière ne peut saisir le juge administratif, notamment par l’intermédiaire du référé provision de l’article R. 541-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2548AQG, pour obtenir le recouvrement de sa créance.
Une telle action judiciaire serait irrecevable.
Par conséquent, la collectivité territoriale devra émettre un titre exécutoire pour recouvrer sa créance.
II. Un large choix pour l’action en recouvrement s'offrant à la collectivité territoriale
Depuis l’arrêt « Département de l’Eure », il est jugé que :
« lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge administratif d'une demande tendant à son recouvrement, notamment dans le cadre d'un référé-provision engagé sur le fondement de l’article R. 541-1 du Code de justice administrative » [5].
Ainsi, en matière contractuelle, la collectivité territoriale créancière dispose de la faculté :
Toutefois, comme le précise la jurisprudence, il s’agit bien d’une faculté pour la collectivité territoriale d’engager l’une ou l’autre des actions, de sorte que la collectivité créancière ne peut engager simultanément les deux actions.
Si la collectivité venait à saisir le juge administratif après l’émission d’un titre exécutoire, cette action serait jugée irrecevable, la demande étant considérée comme dépourvue d’objet :
« Considérant que les collectivités publiques peuvent, en matière contractuelle, soit constater elles-mêmes les créances qu'elle détiennent sur leurs cocontractants et émettre des titres exécutoires, soit saisir le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de ces créances ; que toutefois, elles ne peuvent pas saisir d'une telle demande le juge lorsqu'elles ont décidé, préalablement, à cette saisine, d'émettre des titres exécutoires en vue de recouvrer les sommes en litige; que dans un tel cas, dans la mesure où la décision demandée au juge aurait les mêmes effets que le titre émis antérieurement, la demande présentée est dépourvue d'objet et par suite irrecevable » [6].
Le Conseil d’État rappelle encore cette solution aujourd’hui [7].
En tout état de cause, si la collectivité créancière opte pour l’action judiciaire, le choix de cette dernière dépendra de la nature de la créance.
Dès lors qu’il est acquis que cette créance est incontestable tant dans son principe que dans son montant, le référé-provision de l’article R. 541-1 du Code de justice administrative pourra être introduit. En revanche, dans le cas contraire, une action au fond devra être privilégiée.
III. La saisine directe du juge administratif en matière de créances publiques par la collectivité territoriale
Cette autre exception est justifiée par la particularité du régime des voies d’exécution à l’encontre des personnes publiques.
En effet, soit ces voies d’exécution sont inexistantes s’agissant de l’État soit, en raison des conditions de mise en œuvre de l’article L. 1612-15 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L8456AAG, elles ne permettent pas de contraindre la collectivité territoriale débitrice. Ainsi, le Conseil d’État en tire les conséquences dans l’optique de garantir une voie certaine et efficace de recouvrement des créances publiques :
« en raison tant de l'absence de voies d'exécution à l'encontre des personnes publiques que, s'agissant des collectivités territoriales, des limitations apportées par l'article L. 1612-15 du Code général des collectivités territoriales à l'inscription d'office à leur budget des dépenses obligatoires, il en va toutefois différemment dans l'hypothèse où le débiteur est une personne publique ; que, dans ce cas, faute de pouvoir contraindre la collectivité débitrice, la collectivité créancière n'est pas tenue de faire précéder sa demande par l'émission d'un titre de recettes rendu exécutoire » [8].
L’exception au principe du privilège du préalable s’explique ici par l’impossibilité ou tout du moins la difficulté, pour la collectivité territoriale, d’obtenir le recouvrement de sa créance publique.
C’est bien cette idée de difficulté dans le recouvrement qui justifie, pour le Conseil d’État, la consécration d’une nouvelle exception.
IV. La possibilité de saisir le juge administratif en cas d’impossibilité pour la collectivité territoriale d’exécuter le titre exécutoire émis
Comme vu précédemment, en matière contractuelle, dans le cas où la collectivité a opté pour la voie du titre exécutoire, elle n’est plus recevable à saisir le juge administratif.
L’exception dégagée par le Conseil d’État permet aux collectivités territoriales ayant émis un titre exécutoire afin d’assurer le recouvrement d’une créance de, désormais, sous certaines conditions, saisir le juge administratif :
« il en va cependant différemment lorsque la collectivité publique justifie, d'une part, de vaines tentatives d'exécution du titre exécutoire qu'elle a préalablement émis, notamment sur des biens situés en France, et d'autre part, de l'utilité d'une décision rendue par une juridiction française pour le recouvrement de sa créance sur des biens ou fonds à l'étranger » [9].
En reprenant le considérant du Conseil d’État, dans l’arrêt examiné, la saisine du juge administratif dépendra impérativement des conditions cumulatives suivantes :
Justement, dans cette affaire, le Conseil d’État rejette la demande de provision au motif que Voies navigables de France ne démontre pas les vaines tentatives d’exécution des titres émis, d’autant plus que le Conseil d’État souligne que la société débitrice dispose d’actifs saisissables en France.
En l’état de la rédaction de cet arrêt du 25 mai 2025, une question subsiste quant au champ d’application exact de cette jurisprudence, puisqu’au regard des conditions de mise en œuvre de cette exception, force est d’admettre que les conditions énoncées sont cumulatives et non alternatives.
Par conséquent, le champ d’application de cette exception paraît, en l’état, très réduit, a priori limité aux débiteurs dont les principaux actifs saisissables se situent à l’étranger, en lien avec le droit de l’Union européenne et le Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 N° Lexbase : L9189IUU.
En effet, en dehors de cette hypothèse très spécifique, on comprendrait mal quel avantage trouverait un créancier doté d’un titre exécutoire n’ayant pas permis de saisies du débiteur, à saisir la juridiction administrative. C’est pour cela que le Conseil d’État réaffirme que les moyens de recouvrement d’une créance ne sont pas cumulatifs.
En tout état de cause, et au-delà des potentielles difficultés de recouvrement, en matière contractuelle, la voie judiciaire est à privilégier. Et pour cause, tant le titre exécutoire que les mesures d’exécution sont susceptibles de contestations judiciaires générant un véritable risque et, en tout cas, repoussant la possibilité d’obtenir concrètement le recouvrement de la créance.
[1] CE, 30 mai 1913, n° 49241, Rec. p. 583.
[2] CE, 24 février 2016, n° 395194 N° Lexbase : A1632QDS ou encore CE, 20 mai 2025, n° 498461 N° Lexbase : B3006AAL.
[3] CE, 2 juillet 1982, n° 25288 N° Lexbase : A1806ALH.
[4] Arrêt commenté.
[5] CE, 24 février 2016, n° 395194 N° Lexbase : A1632QDS.
[6] CE, 15 décembre 2017, n° 408550 N° Lexbase : A1354W8N.
[7] CE, 20 mai 2025, n° 498461 N° Lexbase : B3006AAL.
[8] CE, 31 mai 2010, n° 329483 N° Lexbase : A2061EYY ou encore CAA Marseille, 15 juillet 2013, n° 10MA03124 N° Lexbase : A9269MLU.
[9] CE, 20 mai 2025, n° 498461 N° Lexbase : B3006AAL.
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