Réf. : Cass. civ 3., 7 mai 2025, n° 23-15.142, FS-B N° Lexbase : A22310R3
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR, Université Marie et Louis Pasteur
le 26 Juin 2025
Mots-clés : bail rural • droit de reprise • contrôle • fondement du contrôle • congé
Lorsque le bailleur a délivré, en application de l'article L. 411-58, alinéa 3, du Code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure au 31 décembre 2022 N° Lexbase : L5403MG9, un nouveau congé pour reprendre le bien loué à la fin de la période de prorogation dont a bénéficié le preneur, le contrôle a posteriori de la reprise ne peut, lorsque le congé initial a été contesté par le preneur dans le cadre du contrôle a priori, se fonder sur un motif déjà invoqué par ce preneur, sauf en cas d'éléments nouveaux, qui étaient inconnus du preneur lors du contrôle a priori ou qu'il ne pouvait alors utilement opposer.
L'interdiction de toute cession du bail posée par l'article L. 411-58, alinéas 2 et 3, du Code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure au 31 décembre 2022, étant limitée à la période de prorogation du bail, un preneur qui a bénéficié d'une telle prorogation peut, après l'expiration de celle-ci, se prévaloir des dispositions de l'article L. 411-66, alinéa 1er, du même code N° Lexbase : L5739IMI pour demander sa réintégration avec cession du bail dans les conditions de l'article L. 411-35 de ce code N° Lexbase : L4458I4U.
Un bailleur a consenti un bail rural à compter du 1er novembre 1996 à un couple d’exploitants agricoles. Le propriétaire est décédé le 17 juin 2007 laissant pour lui succéder son épouse, usufruitière des parcelles louées. Celle-ci a fait délivrer un congé aux fins de reprise au bénéfice de son fils, agriculteur et gérant d’une SCEA, à effet au 31 octobre 2014. Les preneurs ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en contestation du congé et demande de prorogation du bail pour âge, ainsi que de manière additionnelle l’autorisation de céder ce bail à leur fils.
Réformant le jugement critiqué, la Cour d'appel d'Orléans, par arrêt rendu le 30 mars 2015 a reconnu que le fils de l’usufruitière remplissait les conditions requises pour bénéficier de la reprise, débouté les preneurs de leur demande de nullité du congé délivré le 13 décembre 2012 et ordonné la prorogation du bail jusqu'au 31 octobre 2016 au profit de ces derniers, mais elle les a déboutés de leur demande d'autorisation de céder le bail à leur fils. La cour d’appel a également précisé que la bailleresse devrait faire délivrer un nouveau congé aux preneurs pour la fin de la période de prorogation de bail.
Puis, un nouveau congé a été délivré le 22 avril 2015 à effet au 31 octobre 2016, date d’expiration de la période de prorogation. Les preneurs ont quitté les parcelles louées à compter de cette date. Le 25 mars 2019, les anciens preneurs et leur fils ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en réintégration, autorisation de cession du bail et indemnisation. Le 14 janvier 2020, la bailleresse est décédée laissant son héritière, désormais propriétaire des parcelles litigieuses, intervenir volontairement à l'instance.
Après le départ des preneurs, le bénéficiaire de la reprise a fait exploiter les terres louées pas son épouse, en raison des contraintes liées au contrôle des structures. En effet, le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) pour la région Centre Val de Loire est intervenu le 27 juin 2016 et a fixé à 110 ha le seuil de surface portant déclenchement du contrôle de structure, seuil visé à la 4e condition de l'article L. 331-2, II, du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L4559I4M, en deçà duquel la reprise qui constituerait une consolidation d'exploitation reste soumise au régime de la déclaration préalable. Ne pouvant remplir la 4ème condition, leur exploitation au travers d’une SCEA portant déjà sur plus de 174 ha, le bénéficiaire de la reprise a consenti un bail à lui-même et à son épouse, avec autorisation de mise à disposition à cette dernière, configuration permettant de conserver le bénéfice du régime de déclaration préalable, dès lors que l'installation ne portait que sur les parcelles reprises, soit un peu plus de 60 ha.
Par jugement du 16 novembre 2021, le tribunal paritaire des baux ruraux a rejeté les demandes des preneurs et de leur fils. Par arrêt du 27 février 2023, la Cour d’appel d’Orléans [1] a débouté les preneurs de l'intégralité de leurs demandes dit que le fils de la bailleresse a manqué à son obligation d'exploiter personnellement les parcelles reprises et que le fils des anciens preneurs remplit les conditions requises pour bénéficier de la cession du bail. Elle a ordonné en conséquence la réintégration des preneurs dans l'exploitation des parcelles litigieuses à compter du 1er novembre 2016, avec cession de leurs droits à leur fils sur les parcelles.
Le bénéficiaire du droit de reprise et son épouse qui exploitait les terres, ont formé un pourvoi. Trois points ont été examiné par la Cour de cassation.
Motifs de contestation d’un congé pour reprise dans le cadre d’un contrôle a posteriori
À la suite de la première branche du premier moyen, la question posée était de savoir si le congé délivré pour le terme de la prorogation du bail pour âge en application de l’article L. 411-58, alinéa 2 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L5403MG9 peut être qualifié de « renouvellement du précédent congé » ou s’agit-il d’un congé distinct pouvant être contesté devant le tribunal paritaire ? En outre, lorsque le bailleur a délivré, en application de l’article L. 411-58, alinéa 3, du même code, un nouveau congé pour reprendre le bien loué à la fin de la période de prorogation dont a bénéficié le preneur, le contrôle a posteriori de la reprise peut-il, lorsque le congé initial a été contesté par le preneur dans le cadre du contrôle a priori, se fonder sur un motif déjà invoqué par ce preneur lors de ce contrôle ? Dans la négative, cette règle s’applique-t-elle même en cas d’éléments nouveaux, inconnus du preneur lors du contrôle a priori, qui sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ?
Tout d’abord, la Cour de cassation rappelle qu’en application de l’article L. 411-66, alinéa 1er du Code rural et de la pêche maritime, au cas où il serait établi que le bénéficiaire de la reprise ne remplit pas les conditions prévues aux articles L. 411-58 à L. 411-63 et L. 411-67 N° Lexbase : L4029AEX du code précité, le preneur a droit soit au maintien dans les lieux si la décision validant le congé n'a pas encore été exécutée, soit à la réintégration dans le fonds ou à la reprise en jouissance des parcelles avec ou sans dommages-intérêts, soit à des dommages-intérêts. Toutefois, à défaut d'avoir contesté le congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux dans le délai de quatre mois à compter de sa réception, le preneur est forclos à contester cet acte et il ne peut, dans le cadre d'un contrôle a posteriori prévu par ce texte, se prévaloir de l'inobservation, dont il avait eu, à l'époque, connaissance, des obligations du bénéficiaire de la reprise édictées par l'article L. 411-59 [2]. Il en est de même pour les motifs dont il avait déjà connaissance à la date de la délivrance du congé [3].
En effet, la contestation induisant un contrôle a posteriori ne constitue pas une seconde chance de contestation, une session de rattrapage comme on pourrait dire en cette période d’examens universitaires, pour le preneur qui aurait négligé ou mal exercé son recours contre le congé pour reprise délivré par le bailleur. Pour cette raison, il ne peut invoquer des motifs déjà invoqués dans le cadre du contrôle a priori [4].
À l’opposé, dans le cadre du contrôle a posteriori, le preneur peut invoquer tout fait qui lui était inconnu depuis dans les 4 mois de la délivrance du congé et aurait pu avoir pour effet de paralyser le congé pour reprise [5]. En l’espèce, le second congé n’avait pas été contesté dans le cadre d’un contrôle a priori. Cependant le bénéficiaire de la reprise avait manqué à son obligation d’exploiter personnellement les parcelles reprises en concluant un bail au profit de son épouse. Or, la conclusion du bail n’était pas connue des preneurs n’était pas connue dans les 4 mois du congé du 22 avril 2015. Pour cette raison, la Cour de cassation a jugé que la cour d’appel en avait exactement déduit qu’elle pouvait vérifier, lors du contrôle a posteriori, si le bénéficiaire remplissait les conditions requises pour la reprise des biens loués.
Les effets de l’adoption d’un nouveau SDREA après la date d’effet du congé pour reprise
En l’espèce, la modification du SDREA est intervenue en application de la loi n° 2014-1170 « LAAAF », du 13 octobre 2014 N° Lexbase : L6495MSD qui a modifié l’article L. 331-2, II du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L4559I4M, en prévoyant que, pour bénéficier du régime de la déclaration, les biens mis en valeur doivent être destinés à l'installation d'un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l'exploitation du déclarant, dès lors que la surface totale de celle-ci après consolidation n'excédait pas le seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.
Or, la cour d’appel avait constaté que le seuil de surface visé par ce texte dans sa nouvelle rédaction avait été fixé le 27 juin 2016. Par ce motif, elle a retenu que dès la fin du mois de juin 2016, le bénéficiaire de la reprise savait qu'il ne remplissait pas la condition pour bénéficier du régime de la déclaration relative au seuil de surface, et qu'ayant donné congé aux preneurs pour le 31 octobre 2016, il disposait d'un délai de quatre mois pour déposer une demande d'autorisation d'exploiter. En cas de refus d'autorisation, il lui était possible de renoncer à la reprise. Pour cette raison, la Cour de cassation rejette ce moyen en considérant que la cour d’appel en a exactement déduit que la détermination du seuil de surface de déclenchement du contrôle des structures ne pouvait constituer un événement imprévisible et irrésistible caractérisant un cas de force majeure exonérant le bénéficiaire de la reprise de son obligation d'exploiter personnellement les parcelles reprises.
Ainsi, à défaut d’être imprévisible et irrésistible, la modification du SDREA, qui est un acte administratif, ne peut être qualifiée de force majeure [6], le bénéficiaire de la reprise en ayant pleinement connaissance avant la mise en œuvre de son droit de reprise judiciairement autorisé.
La contestation dans le cadre d’un contrôle a posteriori est-elle possible après un contrôle a priori ?
Pour répondre à cette question, la Cour de cassation juge, au visa des articles L. 411-58, alinéas 1er à 3, du Code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure au 31 décembre 2022, et de l'article L. 411-66, alinéa 1er, du même code que l'interdiction de toute cession du bail posée par l'article L. 411-58 précité étant limitée à la période de prorogation du bail, un preneur qui a bénéficié d'une telle prorogation peut, après l'expiration de celle-ci, se prévaloir des dispositions de l'article L. 411-66 précité pour demander sa réintégration avec cession du bail dans les conditions de l'article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime. Ainsi, le bénéficiaire de la reprise ne peut prétendre le contraire comme il l’invoquait dans son pourvoi.
Ainsi, lorsque le preneur âgé a demandé le bénéfice de la prorogation de son bail, il ne peut, à son issue, solliciter la possibilité de le céder. Par l’arrêt du 7 mai 2025, la Cour de cassation décide que cette interdiction de céder est limitée à la période de prorogation. Par conséquent, à l’issue de celle-ci et dès lors qu’elle a expiré, le preneur peut se prévaloir des dispositions de L. 411-66, alinéa 1er précité, et demander sa réintégration avec possibilité de cession du bail dans le cadre d’un contrôle a posteriori.
L’apport de l’arrêt du 7 mai 2025 porte sur ce point, la doctrine ruraliste étant jusqu’alors divisée sur cette question.
Pour aller plus loin : cf. Étude : Droit de reprise du bailleur pour exploiter : spéc. Contrôle judiciaire des conditions de la reprise pour exploiter in Droit rural (dir. Ch. Lebel) N° Lexbase : E9168E9G et N° Lexbase : E9169E9H |
[1] CA Orléans, 30 mars 2015, n° 22/00558 N° Lexbase : A94509G4.
[2] Cass. civ 3., 1er février 1995, n° 92-20.843 N° Lexbase : A7387AB9, Bull. n° 32.
[3] Cass. civ 3., 23 septembre 2021, n° 20-13.987 N° Lexbase : A444847U.
[4] Cass. civ 3., 15 janvier 1992, n° 89-20.493 N° Lexbase : A4820AHY, Bull. 1992, III, n° 19.
[5] Cass. civ 3., 23 janvier 2020, n° 18-22.159 N° Lexbase : A60583CD ; Rev. loyers mars 2020, p. 138 note B. Peignot ; Ann. Loyers mars 2020, p. 93 obs. D. Krajeski; RD rur. avril 2020, comm. 64, obs. S. Crevel.
[6] Cass. civ 3., 15 novembre 2005, n° 04-17.213 N° Lexbase : A5622DLS ; Cass. civ 3., 9 juillet 2013, n° 12-17.012 N° Lexbase : A8598KIB ; RD rur. mars 2007, comm; 206, obs. F. Barthe.
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