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par Aurélie Surteauville, Avocate of Counsel et Martin Antunes, élève-avocat, cabinet Parme Avocats
le 26 Juin 2025
Mots clés : ZAN • TRACE • artificialisation des sols • PLU • SCOT • SRADDET • SDRIF • urbanisme • environnement
La mise en œuvre de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) fait face à plusieurs défis. En 2025, la proposition de loi « Trace » et le projet de loi de simplification de la vie économique cherchent à assouplir considérablement cet objectif au risque de réduire son efficacité.
ZAN, ZFE, DPE, autant de dispositifs acronymiques issus ou renforcés par la loi « Climat et résilience » [1] du 22 août 2021 qui sont aujourd’hui amenés à être modérés voire supprimés par le législateur moins de cinq ans après leur adoption.
En cette année 2025, la proposition de loi « Trace » adoptée en première lecture au Sénat le 18 mars dernier et le projet de loi de simplification de la vie économique adopté le 17 juin au Palais Bourbon, visent à rationnaliser l’objectif ZAN pour améliorer son acceptabilité auprès des élus locaux au risque d’en diminuer son efficacité.
Il convient donc de revenir sur la mise en œuvre de ce dispositif et sur son évolution annoncée face à un Zeitenwende français qui modifie les priorités nationales au détriment des mesures de protection de l’environnement ambitieuses votées en 2021.
Introduit aux articles 191 et suivants de la loi « Climat et résilience », l’objectif ZAN vise à lutter contre l’artificialisation des sols en fixant deux objectifs : i) un objectif intermédiaire de réduction de 50 % de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) en 2031 par rapport à la période de référence 2011-2021, et ii) un objectif final d’absence d’artificialisation nette des sols en 2050.
Face aux impératifs de préservation de la biodiversité, de protection des terres agricoles et de limitation des inondations et de l’étalement urbain, l’objectif de lutte contre l’artificialisation des sols érigé en principe général du droit de l’urbanisme [2] et consacré par la ZAN, vise à maîtriser une consommation effrénée des Enaf par une bétonisation excessive. L’artificialisation étant la première cause de disparition de la biodiversité et de perte de terres agricoles, les politiques publiques se sont engagées depuis les années 2010 à freiner ce phénomène.
En 2011, la feuille de route de la Commission européenne a inscrit le « No Net Land Take » comme objectif non contraignant à atteindre en 2050 [3]. Si nos voisins européens ont prévu, comme l’Italie dès 2012, des objectifs nationaux de diminution de l’artificialisation, la France fait figure d’exception en Europe en étant le seul État ayant adopté un objectif national juridiquement contraignant. L’introduction de l’objectif ZAN traduisait donc une politique ambitieuse et volontariste, alors que le taux d’artificialisation des sols français se situe nettement au-dessus de la moyenne européenne (5,6 % des sols artificialisés contre une moyenne de 4,2 % au sein de l’UE en 2018 [4]).
Pour mettre en œuvre cette stratégie nationale de sobriété foncière, les documents de planification régionaux et les documents d’urbanisme sont appelés à intégrer et fixer des objectifs chiffrés en termes de consommation foncière sur leurs territoires, selon un calendrier de déploiement progressif.
I. Un déploiement progressif du ZAN
A. La mise en place d’un dispositif jugé parfois trop complexe techniquement
Alors que l’intégration de ces objectifs dans les schémas de planification régionaux (SRADDET, SDRIF, PADDUC, SAR), obligatoire avant le 22 novembre 2024, a majoritairement été tenue [5], le deuxième volet d’intégration de ces objectifs se déploie dans les documents d’urbanisme. Les communes et les intercommunalités doivent désormais mettre en comptabilité ces documents avant 2027 pour les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et 2028 pour les plans locaux d’urbanisme (PLU) et les cartes communales [6].
La mise en œuvre du dispositif repose sur l’attribution à chaque autorité d’urbanisme d’une « enveloppe ZAN », les régions fixant aux communes ou intercommunalités une consommation foncière à respecter pour atteindre dans un premier temps l’objectif intermédiaire de 2031.
Cet objectif centralise une partie des contestations des élus locaux du projet jugé trop contraignant pour le développement local [7]. En outre, il existe une disparité entre les différents acteurs, puisque si l’objectif de réduction de 50 % de 2031 est applicable à toutes les régions métropolitaines, l’Ile-de-France et la Corse [8] en sont exemptées et fixent librement leurs trajectoires. Or, le nouveau schéma francilien (SDRIF-E), approuvé le 10 juin 2025 [9], fixe un objectif de réduction de 23 % de consommation d’Enaf pour la période 2021-2031, soit plus de moitié moins que les autres régions.
De ce fait, les collectivités franciliennes bénéficient d’enveloppes foncières parfois confortables pouvant dépasser leurs besoins fonciers, alors que d’autres collectivités et intercommunalités plus importantes sont fortement imputées, comme la métropole de Caen avec un objectif de réduction de 54 % de consommation d’Enaf sur la même période.
Outre l’objectif de 2031, le dispositif ZAN est critiqué par une partie des élus locaux qui pointe une réglementation essentiellement arithmétique pensée top-down, une nomenclature de l’artificialisation méconnue et complexe, l’absence de moyens financiers et techniques alloués aux collectivités pour sa mise en œuvre, et une déconnexion entre le dispositif et les évolutions en besoin de foncier, chaque commune se voyant attribuer une enveloppe foncière stricte, avec peu de dérogations permises.
B. La traduction du dispositif ZAN pour les communes et les porteurs de projets
Si autant de critiques surgissent de la part des acteurs du foncier, c’est que les conséquences du dispositif sont importantes.
Á titre liminaire, le non-respect des délais d’intégration de l’objectif ZAN dans les documents d’urbanisme expose les communes et intercommunalités à des sanctions sévères qui impacteront leur développement, allant de la suspension de création de zones à urbaniser (ZAU) ou des secteurs constructibles pour les SCoTs, jusqu’à l’impossibilité de délivrer des autorisations d’urbanisme dans ces zones pour les PLU(i)s et cartes communales [10]. Des sanctions sévères, puisqu’elles sont d’application directe, peu importe que les documents d’urbanisme soient en cours d’évolution.
La traduction de cet objectif dans les différents plans et documents locaux est techniquement compliquée pour les autorités d’urbanisme. En effet, elles doivent instaurer diverses dispositions dans leurs documents d’urbanisme leur permettant de respecter leurs enveloppes ZAN. Cela passera nécessairement par la réduction des zones à urbaniser et la restriction des constructions sur l’ensemble de leur territoire. En outre, il est probable que d’autres dispositions soient mises en place ou renforcées comme les surfaces minimales non imperméabilisées. En somme, cette traduction contraint les autorités d’urbanisme à davantage d’arbitrages dans leurs projets d’aménagement.
Concernant les porteurs de projet, si l’objectif ZAN n’impacte pas encore les projets d’aménagement eu égard au calendrier, il convient d’anticiper la mise en œuvre de ce principe. Aujourd’hui, les autorités d’urbanisme ayant enclenché des procédures d’évolution de leurs documents pour y intégrer l’objectif ZAN peuvent surseoir à statuer sur des projets qui par leur ampleur présentent un risque d’incompatibilité avec cet objectif, même si ce mécanisme reste très peu utilisé en pratique.
Surtout, l’intégration actuelle de l’objectif ZAN dans ces documents doit encourager les porteurs de projets avec une emprise importante à participer à leur évolution, tant il est important pour les collectivités de définir leurs besoins fonciers pour les années à venir. À défaut, ils risquent de devoir incorporer les délais liés à l’évolution a posteriori de ces documents au déploiement de leurs projets, indispensable à l’obtention d’une autorisation d’urbanisme.
Il est donc recommandé pour les porteurs de projet de i) se rapprocher des acteurs publics en charge de la mise en œuvre de ce principe, bien en amont afin de permettre la prise en compte du projet dans les différents arbitrages qui seront nécessaires, ii) favoriser les friches et les dents creuses, et iii) anticiper cette problématique d’une manière globale.
II. Un ZAN à trois temps
Après sa création par la loi « Climat et résilience » de 2021 et un premier assouplissement de l’objectif par la loi ZAN [11] en 2023, l’avènement d’un acte III de la ZAN est annoncé. Une évolution visant à répondre aux inquiétudes des élus locaux et à renflouer les enveloppes ZAN, notamment l’enveloppe de l’État (un forfait national de 12 500 ha), presque entièrement déjà consommée.
Elle vise un allégement de l’objectif de lutte contre l’artificialisation des sols comprenant la fin de l’objectif intermédiaire de 2031 pour faire place désormais à des « trajectoires tendancielles ».
A. Un réalignement européen et une rationalisation de l’objectif ZAN
La proposition de loi visant à instaurer une « trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux » (Trace), adoptée en première lecture au Sénat le 18 mars 2025, constitue le texte procédant à une refonte du dispositif, en revoyant largement à la baisse les ambitions de l’objectif ZAN [12].
La mesure phare de cette proposition de loi est la suppression de l’objectif intermédiaire de réduction de 50 % en 2031, remplacé par des « trajectoires tendancielles » avec une nouvelle période 2024-2034 pour un premier objectif intermédiaire fixé librement par les régions par rapport à une nouvelle période de référence 2014-2024.
La suppression de cet objectif contraignant marque en partie la fin de l’exception française en Europe, procédant à un réalignement de la ZAN tricolore sur les dispositifs allemands et italiens.
L’exception actuelle prévue pour les autres schémas régionaux (SDRIF, PADDUC, SAR) est donc appelée à devenir la règle, permettant aux collectivités de retrouver une plus grande marge de manœuvre dans la mise en place du dispositif en cohérence avec les évolutions locales. Cela permet surtout d’égaliser les règles du jeu entre les régions.
Cependant, cette mesure entraînera sans doute une baisse générale des objectifs ZAN. En effet, le seul de ces schémas adoptés, le schéma francilien, fixe un objectif de réduction de 23 % de consommation d’Enaf, soit un objectif plus que divisé par deux.
Cela étant, la proposition de loi « Trace » propose également plusieurs mesures de rationalisation et de simplification du dispositif ZAN qui le ferait gagner en lisibilité et en cohérence.
Dans les détails, le Sénat propose une simplification des règles de calculs des sols artificialisés et renaturés, calées désormais sur les notions d’espaces urbanisés et d’espaces naturels, agricoles et forestiers, et non plus au niveau infra-parcellaire qui était particulièrement complexe [13]. Ce réalignement du dispositif sur des notions intrinsèques au droit de l’urbanisme réglementaires et connues des élus locaux devrait aussi permettre de favoriser la densification des espaces urbains et une meilleure compréhension du principe par les différents acteurs.
Dans ce sens, la proposition de loi prévoit que l’artificialisation au sein des enveloppes urbaines ou dans des dents creuses soit exclue du calcul de consommation foncière. En plus, les enveloppes ZAN pourront également être abondées d’un demi-hectare en cas de requalification de friches.
De surcroît, il propose de décaler le calendrier d’intégration de l’objectif ZAN jugé trop court, dans les schémas de planification jusqu’en 2027 et 2028 et dans les documents d’urbanisme jusqu’en 2028 pour les SCoTs et 2029 pour les autres documents. Sur le principe, cela semble justifié, surtout face à l’ampleur de la refonte du dispositif et aux évolutions attendues des documents de planification et d’urbanisme déjà adoptés.
B. Une baisse d’ambition marquée de l’objectif ZAN
Toutefois, la proposition de loi « Trace » s’inscrit surtout dans un contexte de détricotage général des mesures phares prises en matière de protection de l’environnement, les atteintes contre des acquis environnementaux se multipliant et s’accélérant depuis le mois d’octobre 2024.
Dans cette lignée, le Sénat crée un nombre très important d’exceptions échappant ou permettant de dépasser les enveloppes ZAN. Un sac de nœuds qui prévoit notamment tout un florilège de projets exemptés du décompte des enveloppes ZAN jusqu’en 2036, comprenant les usines, les installations d’énergies renouvelables, les ouvrages relatifs à l’eau et à l’assainissement, et les logements sociaux prévus par la loi « SRU » [14].
Cette initiative législative prévoit aussi la création d’un droit de dépassement de 20 % pour les communes de leurs enveloppes ZAN sans justification, voire au-delà avec l’accord du préfet du département.
Plus récemment à l’Assemblée nationale, l’article 15 du projet de loi de simplification de la vie économique, adopté le 17 juin 2025, vise également à autoriser les communes à dépasser de 30 % leurs enveloppes ZAN sans justification, voire au-delà avec l’accord du préfet du département [15]. Il introduit aussi d’autres exceptions avec plusieurs projets qui pourront pendant une durée de cinq ans être exemptés du décompte des enveloppes ZAN.
Enfin, il faut souligner le risque d’instabilité juridique qu’auront ces projets de loi pour les collectivités et intercommunalités ayant déjà fait évoluer leurs documents d’urbanisme dans le cadre actuel, celles-ci devant réengager des procédures d’évolution, avec les coûts et délais associés.
Ces dispositions doivent encore être validées en commission mixte paritaire. Quant à la proposition de loi « Trace », elle sera examinée en septembre devant l’Assemblée nationale. Sauf surprise, les élus locaux peuvent donc s’attendre à des enveloppes ZAN plus généreuses pour les fêtes de fin d’année.
L’acte III de la ZAN est donc annoncé avec une refonte et un assouplissement de l’objectif imposés par un basculement des priorités nationales où la lutte contre l’artificialisation des sols passe en second plan face à une pénurie du foncier (réindustrialisation, crise du logement, etc.) et un contexte budgétaire dégradé. Il en ressort une baisse de l’ambition française de lutte contre l’artificialisation des sols laissant place à un réalignement avec les divers dispositifs ZAN européens.
[1] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6529MSM.
[2] C. urb., art. L. 101-2, 6° bis N° Lexbase : L7042MKZ.
[3] Commission européenne, Feuille de route pour une Europe efficace dans l'utilisation des ressources, COM (2011) 571, 20 septembre 2011, p.19.
[4] Eurostat, Enquête européenne sur l'utilisation/occupation des sols (LUCAS), 2018.
[5] Excepté notamment pour les SRADDET des Pays de la Loire et de l’Auvergne-Rhône-Alpes.
[6] Article 194, IV, 6° à 8° de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021.
[7] AMF, Enquête nationale « Mise en œuvre du Zéro artificialisation nette », juillet 2024.
[8] C. urb., art. L. 123-1 N° Lexbase : L6777L77 et CGCT, art. L. 4424-9 N° Lexbase : L5211M9U.
[9] Décret n° 2025-517 du 10 juin 2025, portant approbation du schéma directeur de la région d'Ile-de-France N° Lexbase : L9546M9G.
[10] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, art. 194, IV, 9.
[11] Loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023, visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux N° Lexbase : L5792MSC.
[12] Proposition de loi n° 81 visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (TRACE), adoptée en 1e lecture le 18 mars 2025.
[13] Annexe à l’article R. 101-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L4203MKU.
[14] Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains N° Lexbase : L9087ARY.
[15] Article 15 du projet de loi n°1191-A0 de simplification de la vie économique, adopté par l’Assemblée nationale le 17 juin 2025.
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