Le Quotidien du 27 juin 2025 : Construction

[Jurisprudence] Absence d’application de l’article 1792-7 du Code civil aux garanties décennales et biennales

Réf. : CAA Toulouse, 3ème ch., 10 juin 2025, n° 23TL01454 N° Lexbase : B1236AIM

Lecture: 7 min

N2487B3I

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Absence d’application de l’article 1792-7 du Code civil aux garanties décennales et biennales. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/120526169-jurisprudence-absence-dapplication-de-larticle-17927-du-code-civil-aux-garanties-decennales-et-bienn
Copier

par François Camelot, intervenant en droit public des affaires, Panthéon-Assas université et Souraya Creusevault, élève-avocate

le 20 Juin 2025

Mots clés : marché public de travaux • garantie décennale • garantie biennale • élément d’équipement dissociable • article 1792-7 du Code civil

Par un arrêt du 10 juin 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse précise les conditions d’application des garanties biennale et décennale, rappelant les exigences propres à chacune lorsqu’un désordre affecte un élément d’équipement dissociable de l’ouvrage.


 

I. Rappel des faits et de la procédure 

Dans le cadre de la construction de la nouvelle faculté de médecine de Montpellier, la société publique locale Arac, agissant pour le compte de la région Occitanie, a confié à la société Cofely Ineo, désormais Ineo MPLR, la réalisation d’un lot de travaux incluant notamment la fourniture et la pose des équipements audiovisuels.

Après réception des travaux en février 2017, des désordres ont été constatés sur certains des écrans installés par l’entreprise dans les amphithéâtres, conduisant à leur immobilisation pour éviter tout risque de chute.

À la suite d’une expertise judiciaire ordonnée en 2019, la société Arac a saisi le tribunal administratif de Montpellier afin d’obtenir la condamnation de Cofely Ineo sur le fondement, à titre principal, de la garantie décennale, et à titre subsidiaire, de la garantie biennale. Le tribunal a rejeté l’ensemble des demandes de la société requérante, laquelle a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Toulouse.

Par un arrêt du 10 juin 2025, la cour confirme le rejet de la demande fondée sur la garantie décennale, estimant que les désordres en cause ne sont pas de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination. Elle accueille toutefois la demande fondée sur la garantie biennale, en écartant l’application de l’article 1792-7 du Code civil N° Lexbase : L6351G94 qui exclut des garanties des constructeurs les équipements à usage professionnel.

Par cette décision, la cour rappelle d’une part les conditions classiques de mise en œuvre des garanties des constructeurs, tout en apportant d’utiles précisions pour les hypothèses où les désordres portent sur des éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage.

II. Des éléments d’équipement a priori exclus du champ des garanties légales

En vertu des principes, dont s’inspire l’article 1792 du Code civil, sont couverts au titre de la garantie décennale, d'une part, les dommages compromettant la solidité de l’ouvrage, et d'autre part, ceux le rendant impropre à sa destination [1], dès lors que ces vices n’aient pas été décelés au moment de la réception de l’ouvrage. Peu importe en cela que le dommage concerne un élément d’équipement dissociable ou non de l’ouvrage, tant que le dysfonctionnement prive ce dernier de sa destination. Le Conseil d’État [2], tout comme la Cour de cassation [3], a ainsi pu admettre que des dysfonctionnements affectant des éléments d’équipement étaient susceptibles de rendre l’ouvrage impropre à sa destination et dès lors relever de la garantie décennale.

La cour considère ici en toute logique que les dysfonctionnements affectant les écrans des amphithéâtres, quelle que soit leur ampleur, ne font pas obstacle à la tenue des cours et ne peuvent dès lors relever de la garantie décennale. S’agissant de la preuve du dommage, la Cour estime que le risque de généralisation, pourtant relevé par l’expert judiciaire, ne suffit pas à caractériser un désordre avéré. Faute d’éléments concrets relatifs à l’extension des désordres, et en l’absence d’atteinte à la destination de l’ouvrage, elle rejette les demandes principales de la société Arac fondées sur la garantie décennale.

Par ailleurs, l’exception posée par l’article 1792-7 du Code civil aurait aussi pu conduire le juge à écarter les éléments d’équipement du champ des garanties constructeurs. Aux termes de cet article, sont exclus des garanties biennales et décennales « les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage ».

C’est sur ce fondement que le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande fondée sur la garantie biennale : les écrans installés dans les amphithéâtres ont été regardés comme exclusivement destinés à l’activité d’enseignement, et donc qualifiés d’équipements professionnels exclus du champ des garanties légales en vertu du Code civil.

Ce raisonnement trouve un écho dans la jurisprudence judiciaire. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a jugé que tout équipement purement fonctionnel, qu’il soit dissociable ou non, installé à l’occasion de travaux constitutifs d’un ouvrage, est ainsi exclu du bénéfice des garanties dès lors que sa finalité est exclusivement professionnelle [4].

Le raisonnement suivi en première instance, dans l’affaire commentée, s’inscrit dans cette même logique : un équipement purement professionnel, sans fonction constructive ou utilitaire à l’échelle de l’ouvrage, demeure en dehors du champ des garanties légales.

III. Une jurisprudence administrative en faveur d’une protection renforcée du maître d’ouvrage

À l’inverse de la juridiction de première instance, la Cour écarte expressément l’application des principes de l’article 1792-7 du Code civil, pour retenir la garantie biennale à l’égard des équipements audiovisuels. Elle juge que ces équipements, bien qu’ayant une finalité professionnelle, ne sauraient être exclus du champ des garanties légales dès lors que le désordre, non apparent à la réception, était objectivement constaté et survenu dans le délai légal de deux ans.

Par cette solution, le juge administratif réaffirme son autonomie dans l’interprétation des garanties applicables aux marchés publics de travaux [5]. Elle s’inscrit dans le prolongement d’un arrêt « Société Rousseau » [6], par lequel le Conseil d’État a refusé d’appliquer l’article 1792-7 à un équipement professionnel installé dans le cadre d’un marché public. Dans ses conclusions, le rapporteur public M. Pichon de Vendeuil relevait l’inadéquation d’une application trop stricte des règles du Code civil aux marchés publics de travaux, dans la mesure où les équipements à visée professionnelle sont omniprésents et participent souvent à l’usage même de l’ouvrage.

Pour autant, la cour encadre l’application de la garantie biennale, en ne retenant son application qu’au seul désordre avéré, et constaté dans le délai légal. Les demandes relatives aux autres équipements, ainsi que les prétentions indemnitaires fondées sur des préjudices immatériels ou des frais accessoires, sont rejetées, faute de justificatifs suffisants.

Dès lors, la position de la Cour traduit une volonté de ne pas restreindre de manière excessive le champ des garanties offertes au maître d’ouvrage public. L’application mécanique de l’article 1792-7, tel qu’interprété par certaines juridictions judiciaires, reviendrait à exclure nombre d’équipements pourtant essentiels au fonctionnement des ouvrages, au seul motif de leur finalité professionnelle. Une telle lecture conduirait à priver les maîtres d’ouvrage publics de toute protection en cas de désordres affectant des installations techniques devenues centrales dans l’usage des ouvrages.

S’il en résulte une application différenciée des garanties entre le juge judiciaire et le juge administratif, et que ce dernier se révèle être quelque peu sélectif dans son application des principes issus du Code civil, cette solution présente un intérêt certain : elle renforce la protection du maître d’ouvrage public sans pour autant méconnaître les exigences du régime légal. Néanmoins, il convient de rappeler que les garanties légales des constructeurs ne revêtent pas, en droit public, un caractère d’ordre public [7].

Ainsi, les parties à un marché public de travaux peuvent convenir de l’application intégrale du régime civil, y compris de l’article 1792-7. Une telle clause relève de la liberté contractuelle, mais suppose que le maître d’ouvrage mesure les implications d’une telle renonciation, notamment la perte du cadre protecteur propre à la jurisprudence administrative.

 

[1] CE, 2 février 1973, n° 82706 N° Lexbase : A1796AQL.

[2] CE, 8 décembre 1999, n° 138651 N° Lexbase : A4291AX9.

[3] Cass. civ. 3, 15 juin 2017, n° 16-19.640 N° Lexbase : A6831WHH.

[4] Cass. civ. 3, 6 mars 2025, n° 23-20.018 N° Lexbase : A441863Z.

[5] CE, 15 avril 2015, n° 376229 N° Lexbase : A9536NGB.

[6] CE, 5 juin 2023, n° 461341 N° Lexbase : A71949Y4.

[7] CE, 15 avril 2015, n° 376229, préc.

newsid:492487

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus