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N2014B3Y
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par Sylvain Bouchon, avocat au barreau de Bordeaux
le 03 Avril 2025
Mots clés : présomption d'urgence • fonctionnaires • sanction disciplinaire • réintégration • révocation
Suite à l’arrêt du Conseil d’État du 18 décembre 2024, les premières décisions des juges du fond précisent le régime de la présomption d’urgence dans le cadre de référés-suspension relatifs aux sanctions disciplinaires les plus graves.
Une sacrée épine en moins dans le pied des requérants. Par son arrêt du 18 décembre 2024 [1], le Conseil d’État, statuant en juge de cassation en matière de référé, a considérablement simplifié la tâche des agents publics sanctionnés disciplinairement.
Le Conseil d’État a établi une présomption d’urgence dans le cas de sanctions ayant pour effet de priver le fonctionnaire ou le contractuel de son traitement pendant au moins un mois.
Le critère de l’urgence constitue l’un des deux critères de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3057ALS qui régit la procédure de référé-suspension, avec le doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Dans cet arrêt, le Conseil d’État ne se contentait pas d’instituer une présomption, puisqu’il établissait la marche à suivre pour renverser cette dernière. Ainsi, la présomption d’urgence cède devant la preuve, à charge de l’employeur public, de « circonstances particulières tenant aux ressources de l’agent », ou des conditions particulières tenant aux « nécessités du service » ou à « un autre intérêt public ». En présence de ces éléments, le Conseil d’État invite le juge des référés à procéder à une appréciation globale de la situation.
La règle du jeu étant fixée, plusieurs questions concrètes restaient en suspens. Par exemple, les revenus de remplacement sont-ils de nature à renverser la présomption d’urgence ? Un agent ayant retrouvé un emploi bénéficie-t-il toujours de la présomption d’urgence ? Quel équilibre trouver entre l’urgence de la situation de l’agent public et la préservation de l’intérêt du service dans le cas du retour de l’agent dans le service ?
Les premières ordonnances des juges du fond dressent une ébauche du régime de la présomption d’urgence.
Il est clair que si l’employeur public ne présente pas de défense, la présomption s’applique de plein droit [2].
Il en va de même si l’employeur ne conclut que sur la question du doute sérieux, sans remettre en cause les arguments du requérant sur l’urgence [3].
Mais la plupart du temps, l’administration tente de renverser la présomption.
Ainsi, le juge des référés du tribunal administratif d’Orléans a eu à connaître d’un dossier de révocation d’une auxiliaire puéricultrice territoriale. Pour tenter d’écarter la présomption d’urgence, son employeur objectait que cette dernière vivait en concubinage, qu’elle percevait l’allocation chômage et qu’elle était propriétaire d’un logement susceptible de lui apporter des revenus locatifs. Par ailleurs, l’employeur soutenait que sa réintégration était impossible en raison des nécessités de service.
Le juge des référés indique tout d’abord que l’allocation de retour à l’emploi ne compense que partiellement la perte de revenus, quand bien même la requérante vit avec son concubin. Quant aux potentiels revenus locatifs, il n’en est pas fait référence, probablement car rien ne démontrait en l’espèce que l’appartement procurait des revenus.
Quant à l’impossibilité de réintégration en raison des nécessités de service, le juge des référés écarte cet argument au motif que l’employeur ne démontrait pas l’impossibilité d’aménager la réintégration en l’affectant à d’autres fonctions.
La présomption d’urgence n’est donc pas renversée par la collectivité [4].
Le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a tenu le même raisonnement dans une ordonnance en date du 17 mars 2025. En l’espèce, un enseignant avait été révoqué. Pour tenter de renverser la présomption et établir des circonstances particulières tenant aux ressources du requérant, le rectorat avait indiqué que celui-ci percevait l’ARE, mais également qu’il effectue des missions dans le secteur du bâtiment.
Le juge des référés observe que ces ressources sont inférieures à celles dont il bénéficiait en tant qu’enseignant et insuffisantes pour couvrir ses charges.
L’administration échoue donc à renverser la présomption d’urgence [5].
Dans deux espèces, au contraire, le juge des référés a suivi le raisonnement de l’administration et conclu au renversement de la présomption d’urgence.
Ainsi, le tribunal administratif d’Orléans a débouté un fonctionnaire territorial licencié pour insuffisance professionnelle. Ce dernier bénéficiait d’un traitement important et justifiait d’emprunts immobiliers conséquents. Toutefois, le Juge des référés retient l’existence de circonstances particulières : le terme de son contrat à durée indéterminée était de toute façon fixé neuf mois plus tard, et il bénéficiait d’un préavis de deux mois ainsi que de congés payés, ce qui lui assurait encore son traitement pendant un certain temps. En outre, il devait percevoir une indemnité de fin de contrat de plusieurs milliers d’euros, puis l’ARE et une pension de retraite de militaire. Dès lors, le juge des référés estimait que les circonstances particulières justifiaient de renverser la présomption d’urgence [6].
Le juge des référés du tribunal administratif de Lyon retenait également l’existence de conditions particulières dans un dossier de licenciement pour inaptitude dans lequel l’administration démontrait que le montant de l’allocation retour à l’emploi était au moins équivalent aux derniers traitements perçus par l’agent, lequel était depuis peu placé en demi-traitement. Ce dernier bénéficiait en outre d’une indemnité de licenciement de plusieurs milliers d’euros [7].
À la lumière de ces premières jurisprudences, il semble que les juges du fond appliquent à la lettre les directives du Conseil d’État : la présomption d’urgence est incontestable, mais non irréfragable.
Le régime de cette jurisprudence va probablement se préciser au fil des dossiers. Reste à savoir désormais quelle en sera la portée exacte, et si, notamment, la logique de la présomption d’urgence pourrait s’appliquer à des professions comme les assistants familiaux et assistants maternels en cas de retrait d’agrément, ainsi qu’aux accueillants familiaux, profession n’ayant pas le droit à l’aide au retour à l'emploi et qui ne perçoit que le RSA dès le lendemain du retrait d’agrément.
[1] CE, 3°-8° ch. réunies, 18 décembre 2024, n° 492519, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A45066N9.
[2] TA Melun, 18 mars 2025, n° 2502809 N° Lexbase : A68320CZ.
[3] TA Paris, 24 mars 2025, n° 2505024 N° Lexbase : A66390CU.
[4] TA Orléans, 17 février 2025, n° 2500421 N° Lexbase : A357468U.
[5] TA Lyon, 17 mars 2025, n°2502596 N° Lexbase : A98420AR.
[6] TA Orléans, 20 février 2025, n°2500607 N° Lexbase : A814367Q.
[7] TA Lyon, 2 janvier 2025, n°2412158 N° Lexbase : A81616PX.
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