TA Orléans, du 17-02-2025, n° 2500421
A357468U
Référence
Par une requête enregistrée le 31 janvier 2025 et des pièces complémentaires enregistrées le 11 février 2025, Mme B A, représentée par Me Silvestre, demande au juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 26 décembre 2024 par lequel le maire de la commune d'Orléans a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire de révocation ;
2°) d'enjoindre, à titre principal, au maire de la commune d'Orléans de procéder à sa réintégration juridique et effective dans un délai de 8 jours à compter de la date de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de 8 jours à compter de la date de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Orléans la somme de 1.500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
* la condition d'urgence est satisfaite dès lors que :
- il existe une présomption d'urgence lorsque la privation de traitement excède un mois comme c'est le cas en l'espèce ;
- la décision querellée met fin à ses fonctions à compter de janvier 2025 et elle ne percevra plus de rémunération mensuelle de 2.043 euros, que l'allocation de retour à l'emploi (ARE) sera inférieure et qu'en raison du montant de ses charges courantes, elle ne pourra pas faire face à celles-ci ;
- il existe une atteinte grave car elle n'avait jamais été sanctionnée au cours de sa carrière et la sanction prononcée porte atteinte à sa réputation ;
* il existe un doute sérieux sur la légalité de la sanction contestée au motif que :
- les droits de la défense n'ont pas été respectés car son dossier administratif consulté le 2 octobre 2024 n'était pas complet : il manquait au rapport de saisine du conseil de discipline deux pages qui comportaient 11 griefs et qui ne lui ont été communiquées que le matin du conseil de discipline, sans qu'elle puisse dès lors faire valoir ses observations ;
- elle ne peut légalement être sanctionnée deux fois pour les mêmes faits puisqu'elle avait déjà fait l'objet d'un rapport hiérarchique le 28 février 2024 s'agissant de son comportement et consistant en un rappel à l'ordre ;
- l'enquête administrative est entachée d'irrégularité car elle a été menée à charge, sans entendre l'intéressée et en sélectionnant les agents entendus ;
- tous les témoignages fondant cette enquête n'ont pas été produits en annexe de celle-ci ;
- le rapport a été relu par la direction de la petite enfance, ce qui met en doute son objectivité ;
- la plupart des témoignages ont été anonymisés ;
- la matérialité de certains des griefs reprochés n'est pas établie ;
- certains des griefs concernant ses propos et attitudes ont été sortis de leur contexte ;
- les éléments fournis ne permettent pas d'identifier Mme A comme ayant tenu de tels propos ou adopté de telles attitudes ;
- certains griefs reprochés consistent en des jugements de valeur de la part de leurs auteurs ;
- tous les griefs reprochés ne sont pas précis ;
- tous les griefs reprochés ne présentent pas un caractère fautif ;
- la sanction de révocation prononcée est disproportionnée car elle a intégré les effectifs le 8 mars 2021, a été absente pendant trois mois, faisait l'objet de bonnes appréciations professionnelles, a toujours donné satisfaction lors de sa précédente affectation, ainsi qu'elle en justifie par une attestation de son N+2 au CCAS de Châlons-en-Champagne, et que la crèche a connu un dysfonctionnement institutionnel, qualifié de " systémique " par le conseil de discipline.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 février 2025, la commune d'Orléans, représentée par Me Beguin, conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de mettre à la charge de Mme A une somme de 1.500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
* la condition d'urgence n'est pas caractérisée dès lors que :
- la requérante ne justifie pas des revenus de son concubin et ne donne aucun détail sur ses potentiels revenus complémentaires, notamment s'agissant de l'appartement de type F5 dont elle est propriétaire à Châlons-en-Champagne qui lui permettrait de dégager des revenus locatifs, ainsi que de l'allocation journalière de retour à l'emploi qu'elle pourrait percevoir à hauteur de 49,52 euros et alors que ses charges sont partagées avec son concubin et sont surévaluées ;
- la situation d'urgence doit être mise en balance avec l'intérêt public en raison de l'atteinte portée au bon fonctionnement du service public en cas de réintégration, laquelle emporterait des conséquences négatives s'agissant de l'ambiance de travail pesante et conflictuelle et des tensions ressenties par les enfants ;
* il n'y a pas de doute sérieux dès lors que :
- les droits de la défense n'ont pas été méconnus car la requérante aurait dû solliciter l'intégralité de la communication de son dossier qu'elle a obtenu le 2 octobre 2024 avant de solliciter seulement le 11 octobre 2024 les éléments manquants ;
- si les deux pages manquantes font état de 11 griefs qui lui sont reprochés, ces faits étaient rapportés dans les témoignages fournis dans le dossier consulté le 2 octobre 2024 ;
- elle a reçu l'intégralité de son dossier le 16 octobre 2024 et l'arrêté contesté n'a été pris que le 26 décembre 2024, lui laissant un délai suffisant de deux mois pour faire valoir ses observations ;
- le moyen tiré de l'irrégularité qui entacherait l'enquête administrative est inopérant, laquelle, en tout état de cause, s'est déroulée de manière régulière ;
- il était possible à l'administration de procéder à l'anonymisation des témoignages ;
- le principe " non bis in idem " n'a pas été méconnu dès lors qu'elle n'a pas été sanctionnée, le rapport du 28 février 2024 consistant en une synthèse d'un entretien de recadrage ;
- la matérialité des faits reprochés est établie et ressort de l'enquête administrative ;
- les témoignages sont précis et concordants ;
- la sanction est proportionnée au regard des missions exercées par l'intéressée impliquant de jeunes enfants et en raison de leur gravité ;
- elle a méconnu ses obligations ainsi que le cadre dans lequel elle devait exercer ses fonctions en adoptant une posture professionnelle inappropriée et sans se conformer aux besoins des enfants et au cadre national pour l'accueil du jeune enfant ;
- ses comportements n'étaient pas isolés mais récurrents et systématiques ;
- la réaction de la requérante ainsi que ses tentatives de justifications démontrent une absence totale de prise de conscience quant à la gravité de ses actes et révèlent une incapacité à remettre en question ses pratiques et à en mesurer les conséquences sur les enfants.
Vu
- la requête enregistrée le 31 janvier 2025 sous le n° 2500420 par laquelle Mme A demande au tribunal l'annulation de l'arrêté du 26 décembre 2024 par lequel le maire de la commune d'Orléans l'a révoquée ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'arrêté du 23 septembre 2021 portant création d'une charte nationale pour l'accueil du jeune enfant ;
- le décret n° 2014-923 du 18 août 2014 ;
- la loi n° 2019-721 du 10 juillet 2019 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a, par arrêté du 1er septembre 2024, désigné M. Deliancourt, vice-président en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative pour statuer sur les requêtes en référé.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 12 février 2025 à
11 heures.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique, tenue en présence de Mme Martin, greffière d'audience :
- le rapport de M. Deliancourt, juge des référés ;
- les observations de Me Silvestre, représentant Mme A ;
- les observations de Me Hassad, représentant la commune d'Orléans.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique à 12 heures 10.
La commune d'Orléans a produit le 12 février 2025 à 16 h 05 une note en délibéré comportant le signalement en date du 12 septembre 2024 du maire de la commune d'Orléans auprès du procureur de la République près le Tribunal judiciaire d'Orléans à l'encontre de quatre agents municipaux exerçant leurs fonctions au sein de la crèche " Le Baron " sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale.
1. Mme A, auxiliaire de puéricultrice territoriale, recrutée depuis le 8 mars 2021 par la commune d'Orléans (45000), était affectée depuis le 1er février 2022 à la crèche municipale " Le Baron ", qui accueille 45 enfants et 17 professionnels de la petite enfance où elle s'occupait de l'unité " Petits/bébés ". Après suspension par arrêté du 10 juin 2024 et avis du conseil de discipline du 16 octobre 2024 favorable à une sanction d'exclusion de deux ans avec sursis partiel d'une année, le maire de la commune d'Orléans lui a infligé une sanction disciplinaire de révocation par un arrêté du 26 décembre 2024 qui lui a été notifié le 2 janvier 2025. Par la présente requête, Mme A demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cette sanction disciplinaire.
Sur le cadre juridique applicable :
2. Aux termes de l'article L. 530-1 du code général de la fonction publique : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. () ".
3. L'article L. 532-5 du code précité précise que " : " Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe de l'échelle des sanctions de l'article L. 533-1 ne peut être prononcée à l'encontre d'un fonctionnaire sans consultation préalable de l'organisme siégeant en conseil de discipline au sein duquel le personnel est représenté./ L'avis de cet organisme et la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés. ".
4. Selon l'article L. 533-1 du code précité : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : () 4° Quatrième groupe : a) La mise à la retraite d'office ; b) La révocation. ".
5. Il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apporter la preuve qui lui incombe de l'exactitude matérielle des griefs sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de la faute.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
6. Selon l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. ".
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. ".
En ce qui concerne la condition relative à l'urgence :
8. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 522-1 du même code : " La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit () justifier de l'urgence de l'affaire ".
9. La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une mesure de suspension de l'exécution d'un acte administratif doit être regardée comme remplie lorsque l'exécution de la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre.
10. Une mesure prise à l'égard d'un agent public ayant pour effet de le priver de la totalité de sa rémunération doit, en principe, être regardée, dès lors que la durée de cette privation excède un mois, comme portant une atteinte grave et immédiate à la situation de cet agent, de sorte que la condition d'urgence doit être regardée comme remplie, sauf dans le cas où son employeur justifie de circonstances particulières tenant aux ressources de l'agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public, qu'il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l'espèce.
11. D'une part, la sanction dont la suspension de l'exécution est sollicitée affecte directement la situation de Mme A en la privant définitivement des ressources que lui procurait son traitement. Cette perte de revenus, qui ne serait que partiellement compensée par l'aide au retour à l'emploi, obère ainsi de façon conséquente les conditions d'existence de la requérante, quand bien même son foyer jouit également des ressources financières de son concubin.
12. D'autre part, si la commune d'Orléans fait valoir que la suspension de la décision attaquée, qui impliquerait la réintégration provisoire de l'intéressée, est inconciliable avec l'intérêt public qui s'attache au bon fonctionnement du service, compte tenu du climat que Mme A a contribué à créer au sein de la crèche, à l'égard notamment des enfants accueillis, elle n'établit pas cependant qu'elle ne dispose pas de la possibilité d'aménager les conditions d'une telle réintégration en l'affectant provisoirement sur d'autres fonctions. Dans ces circonstances, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.
En ce qui concerne la condition tenant à l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision :
13. La décision contestée en date du 26 décembre 2024 prononçant la révocation à Mme A est fondée sur son comportement et ses divers propos tenus à l'égard de jeunes enfants, de leurs parents, de collègues et de sa hiérarchie.
14. En l'état de l'instruction, les moyens tirés de ce que la sanction de révocation prononcée à l'encontre de Mme A est fondée sur des griefs dont la matérialité n'est pas établie pour tous et présente un caractère disproportionné sont propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
15. Mme A est par suite fondée à demander la suspension de l'exécution de la décision du 26 décembre 2024 par laquelle le maire de la commune d'Orléans a prononcé sa révocation.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
16. Dans le cas où l'éviction d'un agent public a été suspendue par une décision juridictionnelle, il appartient à l'autorité administrative, pour assurer l'exécution de cette décision, de prononcer la réintégration de l'agent à la date de la notification de la décision juridictionnelle et de tirer toutes les conséquences de cette réintégration, notamment en allouant à l'intéressé, dans le cas où l'administration n'a pas procédé immédiatement à cette réintégration, une somme calculée en tenant compte de l'ensemble des rémunérations dont il a été privé depuis la date de notification de l'ordonnance de suspension, en excluant les indemnités liées à l'exercice effectif du service, sans préjudice des conséquences qui devront être tirées de la décision par laquelle il sera statué sur la requête en annulation ou en réformation.
17. Il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à demander qu'il soit enjoint à la commune d'Orléans de la réintégrer provisoirement dans ses effectifs dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sans préjudice de la possibilité pour la commune d'Orléans de prendre, le cas échéant, sans attendre qu'il soit statué sur le recours en annulation, à nouveau à son encontre une nouvelle sanction, plus faible que la précédente, sans méconnaître ni le caractère exécutoire et obligatoire de la présente ordonnance, ni le principe général du droit selon lequel une autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la commune d'Orléans au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge la commune d'Orléans une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A et non compris dans les dépens.
Article 1er : L'exécution de la décision 26 décembre 2024 par laquelle le maire de la commune d'Orléans a prononcé la révocation de Mme A est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint à la commune d'Orléans de réintégrer Mme A dans ses effectifs dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 3 : La commune d'Orléans versera à Mme A une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune d'Orléans au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B A et à la commune d'Orléans.
Fait à Orléans, le 17 février 2025.
Le juge des référés,
Samuel DELIANCOURT
La République mande et ordonne à la préfète du Loiret en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Article, 40, C. pr. pén. Article, L521-1, CJA Article, L511-1, CJA Article, L511-2, CJA Décret, 2014-923, 18-08-2014 Loi, 2019-721, 10-07-2019 Existence d'une atteinte Enquête administrative Sanction disproportionnée Intérêt public Délai raisonnable Entretien Avis favorable Exécution de la sanction Fautes commises Fonctionnaire Avis d'un organisme Mise à la retraite d'office Exactitude matérielle Justification d'une sanction disciplinaire Meilleurs délais Moyens propres Exécution d'un acte administratif Atteinte grave et immédiate Nécessités du service public Perte de revenus Aide au retour à l'emploi Ressources financières Éviction d'un agent public Réintégration d'un agent Ordonnance de suspension