Réf. : TA Amiens, 27 février 2025, n° 2404899 N° Lexbase : A47390AR
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le 31 Mars 2025
Mots clés : religion • prosélytisme • laïcité • liberté de conscience • cathédrale
Dans un jugement rendu le 27 février 2025, le tribunal administratif d’Amiens indique qu’une crèche de la nativité installée dans la rue peut être une solution plus aisée à mettre en place que dans un édifice public, le contrôle du juge étant ici limité à « l’existence ou non d’un « acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse ». Son caractère festif résulte alors directement et suffisamment de son lieu et sa période d’installation et son emplacement dans la perspective de la cathédrale d’Amiens ne posent pas non plus de difficultés. Pour faire le point sur cette décision originale, Lexbase a interrogé Chloé Schmidt-Sarels, avocate au barreau de Lille*.
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les points essentiels sur le droit propre aux crèches de la nativité ?
Chloé Schmidt-Sarels : Les crèches de la nativité, tradition de la religion catholique qui s’est sécularisée tant elle est devenue populaire, font l’objet d’un contentieux récurrent depuis une dizaine d’années devant le juge administratif.
Si leur installation n’est évidemment jamais remise en cause au sein des églises et édifices du culte, il en va différemment lorsqu’elles sont installées dans l’espace public ou dans l’enceinte d’un bâtiment public, notamment au siège d’une collectivité territoriale.
Deux articles de la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Eglises et de l’État N° Lexbase : L0978HDL, peuvent nous éclairer :
l’article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public » ;
et l’article 28 : « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».
Le principe de laïcité est repris à l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 N° Lexbase : L1277A98 :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ».
Ainsi, selon le Conseil d’État, si la loi du 9 décembre 1905, qui a pour objet d'assurer la neutralité des personnes publiques à l'égard des cultes, s'oppose à l'installation par celles-ci, dans un emplacement public, d'un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une préférence religieuse, elle prévoit cependant des exceptions à cette interdiction.
Lexbase : Comment le juge administratif s'est-il positionné sur le sujet ?
Chloé Schmidt-Sarels : La position de la Haute Juridiction s’agissant de l’installation des crèches en dehors des édifices du culte résulte de sa décision, rendue en assemblée le 9 novembre 2016, « Fédération de la libre pensée de la Vendée » [1] :
« Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations. Il s'agit en effet d'une scène qui fait partie de l'iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais il s'agit aussi d'un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d'année.
Eu égard à cette pluralité de significations, l'installation d'une crèche de Noël, à titre temporaire, à l'initiative d'une personne publique, dans un emplacement public, n'est légalement possible que lorsqu'elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse.
Pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l'existence ou de l'absence d'usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation. À cet égard, la situation est différente, selon qu'il s'agit d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique ou d'un service public, ou d'un autre emplacement public ».
Le Conseil d’État va donc tenir compte de différents paramètres, y compris les usages locaux. Mais surtout, et c’est ce critère qui vient clarifier la solution retenue, la Haute juridiction va également distinguer selon que la crèche est installée dans l'enceinte d’un bâtiment public, siège d'une collectivité publique ou d'un service public ou dans un autre emplacement public.
Sur l’installation d’une crèche dans un bâtiment public, toujours selon le même arrêt :
« le fait pour une personne publique de procéder à l'installation d'une crèche de Noël ne peut, en l'absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques. »
Le critère déterminant pour l’installation d’une crèche, par exemple au siège d’une collectivité, réside donc dans l’existence de « circonstances locales particulières » permettant de reconnaître à ladite crèche un « caractère culturel, artistique ou festif ».
Deux jurisprudences peuvent l’illustrer.
Dans une première affaire [2], le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes avait fait exposer deux grands décors de crèches dans le hall de l’hôtel de Région, visible depuis l’extérieur.
Le juge a relevé que ces décors présentaient les métiers d'art et les traditions santonnières régionales, réalisés par des artisans régionaux.
L’exposition présentait aussi quatre vitrines de crèches réalisées par des maîtres artisans et créateurs de santons régionaux.
L'installation comprenait également des panneaux illustrant le travail du santonnier à travers les étapes de la fabrication d'un santon et plusieurs ateliers ont été organisés pour la découverte des métiers d'art, à destination, en particulier, des enfants.
Le juge a enfin relevé que ces crèches étaient destinées, comme la Région l’indiquait, à rendre hommage au savoir-faire et aux traditions des maîtres-santonniers régionaux.
Partant, le juge a considéré que ces crèches ne présentaient pas un caractère cultuel mais bien un caractère culturel et qu’elle pouvait en conséquence être légalement installées dans l’enceinte de l’hôtel de Région, bâtiment public siège d’une collectivité publique.
Dans une seconde affaire [3], le maire de Beaucaire avait fait installer une crèche dans le hall de l’hôtel de ville, ce qu’il faisait depuis 2014.
Or le juge ayant relevé que cette installation, selon les termes de la jurisprudence du Conseil d’État, ne reposait pas sur des circonstances particulières, a logiquement considéré que la crèche ne pouvait légalement pas être installée dans l’enceinte de la mairie, bâtiment public siège d’une collectivité publique. Notons que la notion d’usages locaux n’est plus réellement mobilisable depuis l’arrêt de principe du Conseil d’État de 2016, celle-ci s’effaçant devant le critère du lieu de l’installation et donc la nécessité de faire état de circonstances particulières.
Partant, le juge administratif a enjoint au maire de Beaucaire de retirer la crèche de Noël installée sous l’escalier d’honneur de l’hôtel de ville dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la présente ordonnance et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.
Les conséquences sont lourdes pour la commune qui n’a pas déféré à l’injonction du tribunal administratif de Nîmes en maintenant en place la crèche.
En effet, par ordonnance du 7 février 2025 [4], la commune de Beaucaire a été condamnée au paiement d’une somme de 103 000 euros au titre de la liquidation de l’astreinte prononcée à son encontre.
Sur l’installation d’une crèche dans les autres emplacements publics, toujours « Fédération de la libre pensée de la Vendée », « eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d'année notamment sur la voie publique, l'installation à cette occasion d'une crèche de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu'elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d'une opinion religieuse. »
Lexbase : La décision du tribunal administratif d'Amiens est originale en ce qu'elle porte sur un espace extérieur. Pouvez-vous nous la détailler ?
Chloé Schmidt-Sarels : Sur ce point, la décision du tribunal administratif d’Amiens constitue une fidèle application de la jurisprudence du Conseil d’État, lequel limite son contrôle à l’existence ou non d’un « acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse ».
Au cas d’espèce, le juge a relevé que la crèche litigieuse avait été installée sur l'espace piétonnier de la voirie publique, pour la période des fêtes de fin d'année, à proximité immédiate de la rue où se tient le marché de Noël.
Dans ces conditions, en l’absence d’acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse, comme l’a relevé le juge, ce dernier a logiquement considéré que la crèche pouvait légalement être installée dans l’espace public.
Lexbase : Peut-on la relier avec d'autres décisions rendues en la matière ?
Chloé Schmidt-Sarels : À ma connaissance, il s’agit de la première décision rendue au sujet d’une crèche installée dans l’espace public, du moins postérieurement à l’arrêt du Conseil d’État de 2016.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.
[1] CE, Ass., 9 novembre 2016, n° 395223 et n° 395122 N° Lexbase : A0618SGY.
[2] TA Lyon, 22 novembre 2018, n° 1709278 N° Lexbase : A1454YPK.
[3] TA Nîmes, 20 décembre 2024, n° 2404766 N° Lexbase : A11030CT.
[4] TA Nîmes, 7 février 2025, n° 2500194 N° Lexbase : A11396UQ.
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