TA Nîmes, du 07-02-2025, n° 2500194
A11396UQ
Référence
Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2025, la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH), représentée par Me Mazas, doit être regardée comme demandant au juge des référés :
1°) de condamner la commune de Beaucaire à lui verser, à titre d'astreinte provisoire, la somme de 118 000 euros en exécution des ordonnances n°s 2404766 et 2405035 des 20 décembre 2024 et 13 janvier 2025, pour la période du 11 janvier 2025 inclus au 5 février 2025 inclus ;
2°) de prononcer une majoration de l'astreinte pour l'avenir ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Beaucaire une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- l'ordonnance n° 2404766 du 20 décembre 2024 n'a toujours pas été exécutée ;
- le maire de la commune de Beaucaire a fait part d'un profond mépris des décisions de justice en décidant de déplacer la crèche de Noël, au sein même de l'hôtel de ville de la commune : " Afin d'éviter une vilaine épidémie de grippe chez les santons et d'éviter que le cours d'eau de la crèche de Beaucaire ne gèle " ;
- cette attitude justifie une majoration de l'astreinte journalière.
La requête a été communiquée à la commune de Beaucaire, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu :
- l'ordonnance de référé n° 2404766 du 20 décembre 2024 du tribunal administratif de Nîmes ;
- l'ordonnance de référé n° 2405035 du 13 janvier 2025 du tribunal administratif de Nîmes ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 1er ;
- la loi du 9 décembre 1905🏛 de séparation des Eglises et de l'Etat ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Peretti, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Paquier, greffière d'audience, M. Peretti a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Mazas, représentant la LDH qui a persisté dans ses écritures en qualifiant de " subterfuge " le déplacement de la crèche de Noël au sein même de l'hôtel de ville de la commune de Beaucaire alors pourtant que le dispositif de l'ordonnance n° 2404766 du 20 décembre 2024, qui doit s'apprécier à la lumière des motifs, enjoint au maire de procéder au retrait de la crèche de l'enceinte de l'hôtel de ville et non à son déplacement ;
- et les observations de Me Portes, représentant de la commune de Beaucaire qui produit deux pièces communiquées à la LDH et conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête de la LDH, faisant valoir que la requête est dépourvue d'objet dès lors que le déplacement de la crèche depuis le 18 janvier 2025 sous l'escalier d'honneur de la mairie vers l'accueil de l'hôtel de ville permet l'exécution de l'ordonnance n° 2404766 du 20 décembre 2024 et, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit procédé à une réduction de l'astreinte fixée, faisant valoir que cette somme est disproportionnée.
La clôture de l'instruction a été prononcé à l'issue de l'audience.
1. Par une ordonnance n° 2404766 du 20 décembre 2024, le juge des référés du tribunal a, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛, a suspendu l'exécution de la décision par laquelle le maire de la commune de Beaucaire a décidé de l'installation d'une crèche de Noël sous l'escalier d'honneur de l'hôtel de ville dans l'enceinte d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique, et a enjoint au maire de cette commune de la retirer dans un délai de 48 heures à compter de ladite ordonnance, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2405035 du 13 janvier 2025, le juge des référés, constatant qu'à cette date, l'ordonnance du 20 décembre 2024 n'avait toujours pas été exécutée par la commune de Beaucaire, a condamné cette dernière à verser, au titre de la liquidation provisoire de l'astreinte prononcée par cette ordonnance, la somme de 3 800 euros à la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH) et celle de 15 200 euros à l'Etat, et a porté le montant journalier de l'astreinte à 5 000 euros à compter de la notification de ladite ordonnance. La LDH demande aujourd'hui au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 911-7 du code de justice administrative🏛, de liquider cette astreinte pour la période allant du 11 janvier 2025 jusqu'à la date de la présente audience.
2. Il résulte des dispositions du livre V du code de justice administrative, combinées avec celles des articles L. 911-1, L. 911-2, L. 911-3 et L. 911-7 du même code🏛🏛🏛, qu'il appartient au juge des référés statuant en application de l'article L. 521-1 de se prononcer sur la liquidation d'une astreinte précédemment prononcée par lui.
3. Aux termes de l'article L. 911-7 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive, la juridiction procède à la liquidation de l'astreinte qu'elle avait prononcée. Sauf s'il est établi que l'inexécution de la décision provient d'un cas fortuit ou de force majeure, la juridiction ne peut modifier le taux de l'astreinte définitive lors de sa liquidation. Elle peut modérer ou supprimer l'astreinte provisoire, même en cas d'inexécution constatée ". Aux termes de l'article L. 911-8 du même code🏛 : " La juridiction peut décider qu'une part de l'astreinte ne sera pas versée au requérant. / Cette part est affectée au budget de l'Etat. ".
4. Aux termes, enfin, de l'article R. 611-8-6 du même code🏛 : " Les parties sont réputées avoir reçu la communication ou la notification à la date de première consultation du document qui leur a été adressé par voie électronique, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition du document dans l'application, à l'issue de ce délai ".
Sur la liquidation de l'astreinte :
5. La commune de Beaucaire a accusé réception de la notification de l'ordonnance n° 2404766 du 20 décembre 2024, lui enjoignant de retirer la crèche de Noël de l'hôtel de ville dans un délai de 48 heures sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, le jour même par l'application Télérecours. Le délai imparti par cette ordonnance expirait donc le 22 décembre 2024 à 23h59. Par une ordonnance n° 2405035 du 13 janvier 2025, le juge des référés a ordonné la liquidation provisoire de l'astreinte prononcée par l'ordonnance n°2404766 du 20 décembre 2024 à la somme de 3 800 euros au bénéfice de la LDH et celle de 15 200 euros au bénéfice de l'Etat, pour la période courant du 23 décembre 2024 au 10 janvier 2025 inclus.
6. Afin de justifier de l'exécution de l'ordonnance n°2404766 du 20 décembre 2024, la commune de Beaucaire a produit deux pièces lors de l'audience publique du 5 février 2025. Le premier document, daté 18 janvier 2025, intitulé " procès-verbal de constat ", dressé par la société Bouvet et associés, constate l'absence de crèche de Noël sous l'escalier principal de l'hôtel de ville de la commune de Beaucaire. Si à ce titre, la commune soutient qu'elle apporte la preuve de l'exécution de l'ordonnance du 20 décembre 2024, il résulte toutefois de l'instruction, et notamment d'un communiqué de presse de la mairie de Beaucaire en date du 20 janvier 2025, que la crèche de Noël a uniquement été déplacée de l'escalier de l'hôtel de ville vers l'accueil de la mairie et ce, selon les déclarations du maire " afin d'éviter une vilaine épidémie de grippe chez les santons et d'éviter que le cours d'eau de la crèche de Beaucaire ne gèle ". Par suite, alors que l'ordonnance n°2404766 du 20 décembre 2024 considère que la crèche de Noël de Beaucaire ne pouvait être installée dans l'enceinte d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique et faisant injonction de procéder à son retrait des locaux de l'hôtel de ville, la commune ne peut être regardée comme ayant exécuté l'ordonnance du 20 décembre 2024 à la date du 18 janvier 2025. Ainsi, la requête de la LDH introduite le 20 janvier 2025 n'est pas dépourvue d'objet contrairement à ce qu'affirme la commune de Beaucaire.
7. Toutefois, la commune produit également un rapport de la police municipale en date du 2 février 2025 qui constate l'enlèvement le même jour de la crèche de Noël de l'enceinte de la mairie de Beaucaire. Dans ces conditions, la commune de Beaucaire doit être regardée comme ayant exécuté l'ordonnance du 20 décembre 2024 à compter du 2 février 2025.
8. Il résulte de ce qui précède qu'entre la date du 11 janvier 2025 inclus et celle du 2 février 2025 inclus, la commune de Beaucaire n'a pas exécuté l'ordonnance n° 2404766 du 20 décembre 2024. En l'espèce, dès lors que le maire de la commune de Beaucaire, malgré les jugements du tribunal administratif de Nîmes du 16 mars 2018, du 25 juin 2020, du 18 décembre 2020, du 17 juin 2022, du 31 octobre 2023 et du 20 décembre 2024, des arrêts et ordonnances de la cour administrative de Marseille du 3 décembre 2018, 18 janvier 2021, 20 septembre 2021, faisant application des critères posés par le Conseil d'Etat dans ses décisions d'assemblée du 9 novembre 2016 et jugeant illégale l'installation d'une crèche de Noël dans les locaux de l'hôtel de ville, persiste à installer chaque année depuis 2014 une crèche de Noël aux mois de décembre et janvier, dans le bâtiment public, siège de la collectivité, manifestant ainsi son intention délibérée et persistante de s'opposer à l'exécution des décisions de justice, rendues au nom du peuple français en vertu de l'article L. 2 du code de justice administrative🏛, il n'y a pas lieu de supprimer ou modérer l'astreinte. Il y a en revanche lieu de procéder à sa liquidation définitive pour la période de 23 jours courant du 11 janvier 2025 inclus au 2 février 2025 inclus, soit 3 jours à 1 000 euros du 11 au 13 janvier (ordonnance n° 2404766 du 20 décembre 2024) et 20 jours à 5 000 euros du 14 janvier au 2 février (ordonnance n° 2405035 du 13 janvier 2025), pour un montant total de 103 000 euros, dont 20 600 euros seront versés à la LDH et 82 400 euros seront affectés au budget de l'Etat.
Sur les frais liés au litige :
9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la commune de Beaucaire à verser la somme de 1 200 euros à la LDH au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Article 1er : La commune de Beaucaire est condamnée à verser, au titre de la liquidation définitive de l'astreinte prononcée par les ordonnances n° 2404766 du 20 décembre 2024 et n° 2405035 du 13 janvier 2025, la somme de 20 600 euros à la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH) et celle de 82 400 euros à l'Etat.
Article 2 : La commune de Beaucaire versera à la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : la présente ordonnance sera notifiée à la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH) et à la commune de Beaucaire.
Copie en sera adressée, en application de l'article R. 921-7 du code de justice administrative🏛, au ministère public près la Cour des comptes.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Gard.
Fait à Nîmes, le 7 février 2025.
Le juge des référés,
P. PERETTI
La République mande et ordonne au préfet du Gard en ce qui le concerne ou à tous commissaire de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 2405035