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N1484B3D
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par Celia Ninach et Jessica Attali-Colas
le 15 Janvier 2025
Par Celia Ninach, Doctorante en droit privé, Université Jean Moulin Lyon 3, Équipe Louis Josserand, CDF et Jessica Attali-Colas, Maître de conférences en droit privé, Université Jean Moulin Lyon III, Équipe Louis Josserand, CDF
Sommaire :
Absence de fraude pour faux isolement en raison de l’inopposabilité du mariage en France
♦ CA Lyon, 1er octobre 2024, RG n° 21/06753 N° Lexbase : A712158A
Mots-clefs : allocation de soutien familiale • mariage • transcription • fraude pour faux isolement • isolement • inopposabilité du mariage
Solution : La simple présence de l’époux étranger au domicile de l’allocataire ne permet pas d’établir l’existence d’une vie commune stable et continue et ainsi la fraude pour faux isolement.
Portée : L’absence de déclaration de la situation maritale inopposable en France ne suffit pas à caractériser une fraude pour faux isolement, lorsque le faisceau d’indices est insuffisant pour retenir l’existence d’une situation de concubinage.
Par un arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon en date du 1er octobre 2024, celle-ci retient à titre principal que l’absence de déclaration d’une situation maritale établie à l’étranger, mais inopposable en France – en raison de l’absence de transcription sur les registres d’état civil français – ne permet pas de caractériser une fraude pour faux isolement. Ce n’est alors qu’à titre subsidiaire que cette fraude aurait pu être caractérisée. Il aurait fallu qu’il existe, dans les faits, un faisceau d’indices suffisants pour retenir la situation de concubinage. Cependant, en l’espèce, la cour retient que la simple présence d’un tiers au domicile du parent isolé ne permet pas de retenir la situation de concubinage, le faisceau d’indices étant insuffisant.
Le contentieux de la fraude pour faux isolement : Était en cause, en l’espèce, la condition d’isolement de l’allocataire nécessaire à l’octroi de l’allocation de soutien familiale. Cette allocation permet « d’aider le parent isolé, la famille d’accueil ou le conjoint survivant à élever l’orphelin à charge » [1]. À ce titre, l’article L. 262-9 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L5812KGD dispose qu’« est considérée comme isolée une personne veuve, divorcée, séparée ou célibataire, qui ne vit pas en couple de manière notoire et permanente et qui notamment ne met pas en commun avec un conjoint, concubin ou partenaire de pacte civil de solidarité ses ressources et ses charges. Lorsque l'un des membres du couple réside à l'étranger, n'est pas considéré comme isolé celui qui réside en France ». Cette notion est au cœur des principales préoccupations des caisses d’allocations familiales. À ce titre, des contrôles sont réalisés par des agents assermentés, nommés contrôleurs devant le tribunal judiciaire, agréés par le directeur général de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF). L’objectif est double. Il s’agit, d’une part, d’opérer une vérification de la conformité des dossiers. D’autre part, il permet de conseiller les allocataires sur leurs droits et les orienter au besoin vers les services concernés. Sur une étude menée par la CAF des Yvelines, en 2023, 645 fraudes ont été détectées pour un montant total de 5,5 millions d’euros. Sur cette même période, les contrôles ont permis de régulariser 16,3 millions d’euros dont 82 % sont des indus, c’est-à-dire des sommes en trop versées par la CAF aux allocataires, et 18 % de prestations dues par la CAF aux allocataires [2]. L’on comprend alors aisément l’inquiétude des caisses relativement à la notion de fraude.
À titre principal, la cour d’appel de Lyon est amenée à statuer sur l’opposabilité du mariage étranger en France. La CAF du Rhône demande que le mariage soit opposable en France et produise des effets de sorte à retenir que l’allocataire a perçu à tort des indemnités en qualité de parent isolé et soit condamné au paiement d’un indu de 17333,32 euros. La cour rappelle que le mariage célébré à l’étranger doit, pour être opposable en France et produire des effets, être transcrit sur les registres d’état civil français [3]. Toutefois, il est nécessaire de préciser que la demande de transcription du mariage n’est pas obligatoire et rend seulement le mariage inopposable en France. Ainsi, l’absence de transcription et de déclaration de la situation maritale établie à l’étranger ne fait pas obstacle à l’octroi de la qualité de parent isolé, le mariage ne produisant aucun effet en France.
À titre subsidiaire la cour d’appel de Lyon est amenée à statuer sur l’existence de la situation de concubinage. En effet, la solution envisageable par la CAF du Rhône était que soit reconnue la situation de concubinage après avoir constaté la présence du tiers – dont la qualité de conjoint n’est pas opposable en l’espèce – au domicile de l’allocataire lors d’un contrôle diligenté. Or, il est de jurisprudence constante de retenir que la situation de concubinage suppose une union de fait, présentant un caractère de stabilité et de continuité [4] avec communauté d'intérêts par mise en commun des ressources et des charges et de moyens matériels [5]. En l’espèce, la cour d’appel de Lyon retient que la simple présence du tiers au domicile de l’allocataire – dont le bail, les quittances de loyer et des factures liées au logement sont payés par elle, auquel l’on peut ajouter l’absence de participation du tiers tant aux charges quotidiennes et à l’entretien des enfants – ne suffit pas à caractériser la situation de concubinage allégué. Ce dernier est, en effet, arrivé en France cinq jours seulement avant le contrôle. Le faisceau d’indices était donc insuffisant, la demande subsidiaire de la CAF du Rhône est alors rejetée.
En conséquence, même si, en l’espèce, l’inopposabilité du mariage ne fait pas obstacle à l’octroi de la qualité de parent isolé, il n’en demeure pas moins que tout n’a pas été perdu pour la CAF du Rhône. En l’espèce, le contrôle diligenté aura permis de déceler une réelle fraude aux prestations concernant le premier enfant de l’allocataire pour qui elle continuait de percevoir l’allocation de soutien familiale alors qu’il n’était plus à sa charge. Elle a donc été condamnée au paiement d’un indu non pas sur le motif du faux isolement, mais pour fausse déclaration de charge d’un enfant.
Par Celia Ninach
[1] J.Y. Kerbourch’c, C. Willman et J.P Chauchard, Droit de la Sécurité sociale, L.G.D.J, 10e éd., 2022, p. 661.
[2] Dossier de presse CAF des Yvelines, La politique de prévention de lutte contre la fraude de la CAF des Yvelines en 2023, 19 septembre 2024 [en ligne].
[3] C. civ., art. 171-5 N° Lexbase : L1224HWA.
[4] CA Toulouse, 6 mars 2000, n° 1998/02510.
[5] CA Montpellier, 29 mai 2019, n° 18/06389 N° Lexbase : A8237ZC3.
♦ CA Lyon, ch. soc. D, 25 juin 2024, n° 22/00755 N° Lexbase : A05615MQ
Mots-clefs : retraite • régularisation périodes • cotisations • preuve • numéro d’immatriculation • majoration de pension pour conjoint à charge • application loi dans le temps
Solution : Les documents apportés par l’assuré pour justifier d’une activité qui ne sont pas sous un numéro selon lequel il a réellement été immatriculé ne constituent pas une preuve recevable. Par ailleurs, la majoration de pension pour conjoint étant supprimée depuis le 1er janvier 2011, l’assuré qui ne justifie pas au jour de la liquidation de sa pension des conditions pour en bénéficier ne peut en demander le bénéfice ultérieurement à sa suppression.
Portée : Lorsqu’un assuré demande la régularisation de période, afin que celles-ci soient prises en compte dans le calcul de sa pension, il doit produire des documents (bulletin de salaire ou certificat) à son nom et sous un numéro selon lequel il a réellement été immatriculé. La majoration pour conjoint à charge est maintenue pour les assurés qui en bénéficiaient avant le 31 décembre 2010 ou qui remplissaient les conditions pour en bénéficier et qui en avaient fait la demande avant cette date.
Les hypothèses de modification du montant de la pension de retraite notifié sont rares en raison du principe de l’intangibilité des pensions liquidées [1]. Dans l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 25 juin 2024, ce n’est pas sur ce fondement que les magistrats lyonnais ont refusé de modifier la pension de retraite déjà liquidée d’un assuré. En l’espèce, ce dernier avait fait liquider sa pension le 1er décembre 2002. Il a par la suite demandé à la CARSAT à ce que deux périodes d’activité soient prises en compte dans le calcul de son droit à retraite. Le 29 juillet 2014, la CARSAT l’a informé qu’elle ne pouvait pas faire droit à sa demande. L’assuré a renouvelé sa demande le 24 janvier 2016 et a en plus demandé l'attribution d'une majoration pour sa conjointe à charge. La CARSAT a de nouveau refusé de faire droit à ses demandes. Le retraité a donc saisi la commission de recours amiable, qui a soutenu la décision de la caisse. Il a alors saisi le feu tribunal des affaires de la Sécurité sociale qui l’a débouté de ses demandes le 6 septembre 2021. L’assuré a interjeté appel. La cour d’appel de Lyon a confirmé en tout point le jugement de première instance et a refusé que la pension de l’assuré soit recalculée. D’une part, elle a estimé que l’assuré ne rapportait pas la preuve du versement de cotisations ou même d’un précompte au titre des activités revendiquées, ce qui empêche toute prise en compte desdites périodes dans le calcul de la pension (I). D’autre part, elle a refusé de faire bénéficier à l’assuré la majoration pour conjoint à charge, puisqu’au jour de la suppression de cette dernière, il n’en bénéficiait pas et ne remplissait pas les conditions pour en bénéficier (II).
I. La régularisation de périodes
Pour rappel, les pensions de retraite du régime général se calculent de la façon suivante. Il s’agit du produit du salaire annuel moyen calculé sur les vingt-cinq meilleures, du taux de liquidation (maximum 50 %) et du nombre de trimestres validés. Le tout est ensuite divisé par le nombre de trimestres requis pour obtenir le taux plein en fonction de l’année de naissance de l’assuré. Le nombre de trimestres validés correspond principalement aux périodes travaillées et cotisées. Les cotisations versées sont converties en trimestres d’assurance [2]. Ainsi, des périodes travaillées, mais non cotisées ne permettent pas la constitution de droits à pension de retraite. Dans cette hypothèse, l’assuré n’est pas démuni. Il peut tenter de demander la validation desdites périodes par présomption. La validation est admise en cas de force majeure ou d’impossibilité manifeste d’apporter la preuve du versement. Au préalable, l’assuré doit tenter de rapporter cette preuve à l’aide de documents probants ou de présomptions concordantes [3]. Du reste, il peut demander la régularisation de cotisations non versées, lorsqu’il apporte la preuve qu'il a subi en temps utile, sur son salaire, le précompte des cotisations d'assurance vieillesse [4]. La Cour de cassation laisse à l’appréciation souveraine des juges du fond la valeur des documents soumis [5]. Dans le présent arrêt commenté, l’assuré faisait valoir en guise de preuve d’activité un certificat de travail de l'employeur et deux bulletins de salaire. Tous les documents comportaient un certain numéro d’immatriculation. La CARSAT a refusé de prendre en compte ces documents au motif que l’assuré était connu sous un autre numéro. L’assuré soutenait qu'il a fait l'objet de ces deux immatriculations, outre une troisième immatriculation.
La cour d’appel rejette ces preuves. Non seulement il n’apporte pas la preuve qu’il a été immatriculé selon le numéro inscrit sur les documents, mais à l’inverse, la CARSAT justifie que ce même numéro correspond à un homonyme et que les activités litigieuses ont été imputées sur le compte de celui-ci. Le raisonnement de la cour aurait pu s’arrêter là. Pourtant, elle poursuit en affirmant que le troisième numéro invoqué par l’assuré « ressort d'une copie (non intégrale et peu lisible) d’une carte datée de 1959, ne correspond à aucune affiliation selon les recherches opérées par la CARSAT ». De la sorte, les juges lyonnais s’assurent que l’assuré n’a pas été affilié aux dates litigieuses sous ce prétendu troisième numéro d’immatriculation.
En définitive, la cour d’appel retient, comme avait pu le faire le TASS, que l’assuré ne rapporte pas la preuve du versement de cotisations ou même d’un précompte au titre des activités revendiquées, ce qui empêche toute régularisation de carrière. Dit autrement, la cour refuse que sa pension de retraite soit de nouveau calculée pour prendre en compte les périodes litigieuses.
II. Les modalités d’attribution d’une majoration de pension pour conjoint à charge
Une majoration de pension pouvait, sous certaines conditions, être attribuée lorsque le retraité avait un conjoint de 65 ans (ou 60 ans en cas d’inaptitude au travail) à charge. En l’espèce, l’assuré souhaite que sa pension de retraite soit recalculée pour prendre en compte cette majoration. La cour d’appel commence par rappeler que cette dernière a été supprimée depuis le 1er janvier 2011 [6] et qu’en vertu de l’article L. 351-13 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L3144INR, elle est maintenue pour les pensionnés qui en bénéficiaient au 31 décembre 2010, tant qu'ils en remplissent les conditions d'attribution. Par la suite, la cour rappelle les conditions qui étaient alors requises pour pouvoir en bénéficier en vertu de l’article R. 351-31 N° Lexbase : L3026HG8 alors en vigueur. Elle rappelle également que la majoration pour conjoint à charge était due à compter de la date d'entrée en jouissance de la pension, si à cette date lesdites conditions d'attribution étaient remplies [7]. Cette date pouvait être ultérieure, mais encore fallait-il en faire la demande [8]. La cour d’appel constate qu’avant le 24 janvier 2016, l’assuré n’avait jamais demandé à bénéficier de la majoration. Elle se place alors au jour de liquidation de la pension, soit le 1er décembre 2002, et constate qu’à cette date, les conditions pour pouvoir bénéficier de la majoration n’étaient pas réunies. Elle en déduit que l’assuré ne peut donc pas bénéficier de la majoration aujourd’hui disparue.
La cour d’appel ajoute par la suite qu’en toute hypothèse, « la seule exception » permettant le maintien de la majoration concerne les pensionnés qui en bénéficiaient au 31 décembre 2010. Or, elle constate que l’assuré n’en bénéficiait pas à cette date et qu’il ne rentre donc pas dans l’exception.
Le raisonnement de la cour d’appel semble ambigu. D’un côté, elle place le curseur au 31 décembre 2010 et estime que si l’assuré ne bénéficiait pas de la majoration à cette date, il ne peut plus en bénéficier. D’un autre côté, elle examine si, avant cette date, l’assuré remplissait les conditions pour pouvoir en bénéficier. En procédant de la sorte, la cour d’appel suggère que la majoration pour conjoint à charge est maintenue pour les assurés qui en bénéficiaient ou qui auraient pu en bénéficier au 31 décembre 2010. Plus précisément, il ressort de l’arrêt commenté qu’elle serait maintenue pour ceux qui en bénéficiaient avant le 31 décembre 2010 ou qui remplissaient les conditions pour en bénéficier et qui en avaient fait la demande avant cette date. Une telle interprétation mérite la confirmation ou l’infirmation de la Cour de cassation.
Par Jessica Attali-Colas
[1] Cass. civ. 2, 18 février 2021, n° 19-19.435, F-D N° Lexbase : A61394HT.
[2] CSS, art. R. 351-11 N° Lexbase : L9079LS3.
[3] CSS, art. L. 351-2 N° Lexbase : L8734KUZ.
[4] CSS, art. R. 351-11, précité.
[5] Cass. civ. 2, 17 janvier 2007, n° 05-15.689, FS-D N° Lexbase : A6160DTC.
[6] Loi n° 2010-1330, du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites, art. 51 N° Lexbase : Z24002KR.
[7] CSS, art. R. 351-31, anc. N° Lexbase : L4874HWG.
[8] CSS, art. R. 351-33, anc. N° Lexbase : L6884ADC.
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