Cahiers Louis Josserand n°6 du 16 janvier 2025 : Social général

[Chronique] Droit social

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N1483B3C

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par Gauthier Lacroix - Fabien Roumeas - Florent Labrugere et Alexis Galtes

le 16 Janvier 2025

Par Gauthier Lacroix, Juriste - Docteur en droit ; Fabien Roumeas, Avocat au Barreau de Lyon ; Florent Labrugere, Avocat et Alexis Galtes, Avocat associé, OXALYS AVOCATS


 

Sommaire :

Tel est pris qui croyait prendre

  • CA Lyon, ch. sociale A, 9 octobre 2024, n° 22/01936

Défaut dans la défense et responsabilité du représentant

  • CA Lyon, 1re ch. civ. B, 29 octobre 2024, n° 22/08175

L’abus dans la liberté d’expression d’un salarié

  • CA Lyon, ch. sociale A, 18 septembre 2024, RG n° 21/04498

La nullité du forfait heures et ses conséquences : attention aux conditions d’éligibilité

  • CA Lyon, ch. sociale A, 16 octobre 2024, RG° 21/01838

Tel est pris qui croyait prendre

♦ CA Lyon, ch. sociale A, 9 octobre 2024, n° 22/01936 N° Lexbase : A47736AZ

Mots-clefs : prise d’acte de rupture • harcèlement moral • discrimination • congé maternité-démission • indemnité de préavis

Solution : La cour d’appel de Lyon requalifie en démission la prise d’acte de rupture du contrat de travail de la salariée et la condamne au paiement d’une somme forfaitaire correspondant à l’indemnité de préavis.

Portée : Tel est pris qui croyait prendre. Cet enseignement, tiré d’une fable de La Fontaine, est à prendre au sérieux lors du choix de la prise d’acte de rupture d’un contrat de travail. Le salarié qui prend acte de la rupture aux torts de son employeur doit s’assurer de la qualité des preuves qu’il est en mesure d’apporter. À défaut, il risque la perte des droits à l’assurance chômage et le paiement à son employeur d’une indemnité de préavis brut. La requalification en démission prend ainsi des allures de sanction.


Une association s’est trouvée fort dépourvue à la réception d’une lettre de prise d’acte de la rupture du contrat de travail de l’une de ses salariés. Cette dernière a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de requalification de sa prise d’acte en licenciement nul au motif d’une situation de harcèlement moral sur fond de discrimination.

Le juge départiteur du conseil de prud’hommes de Lyon a débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes. La prise d’acte a été requalifiée en démission. La salariée a interjeté appel de cette décision. La cour d’appel, saisie du litige, devait statuer à nouveau sur la qualification de la prise d’acte. Elle confirme l’ensemble des dispositions du jugement de première instance.

Cet arrêt constitue une illustration des éléments constitutifs de la justification d’une prise d’acte. Il donne l’occasion de revenir sur le rôle central de la preuve en la matière (I). Il permet également d’insister sur la prudence à observer lors du choix de la prise d’acte, compte tenu des conséquences d’une requalification en démission (II).

I. L’articulation des régimes de preuve 

Si la supposition profite au salarié qui allègue des faits de harcèlements ou de discriminations (A), le doute profite à l’employeur lors de la qualification de la prise d’acte (B).

A. La preuve du harcèlement et de la discrimination

Si la preuve incombe par principe au demandeur à l’instance, les salariés peuvent n’apporter que des éléments de fait suffisants pour supposer l’existence d’une discrimination ou d’un harcèlement [1]. Le cas échéant, la charge de la preuve est alors transférée sur l’employeur. Ce dernier doit pouvoir justifier objectivement que ses décisions sont étrangères à tout motif discriminatoire ou tout agissement de harcèlement.

En l’espèce, la concordance de plusieurs témoignages des collègues de la salariée et la production de son dossier médical ont suffi pour supposer l’existence d’un harcèlement. Le contexte, celui d’un retour de congé maternité, fait de surcroît écho à l’un des critères de discrimination, fondés sur l’état de grossesse [2].

Néanmoins, l’employeur apporte des éléments objectifs propres à justifier la situation litigeuse. D’abord, la période de retour de congé maternité de la salariée coïncidait avec des travaux de réaménagement au sein de l’association. Ceux-ci justifiaient certains obstacles matériels à la réalisation de l’activité de la salariée. Ensuite, la création du poste de directeur adjoint, brigué par la salariée, était incertaine en raison de la survenue de la période de Covid-19 et n’a été pourvu qu’après le départ de la salariée. Surtout, la salariée avait bénéficié d’une revalorisation de sa rémunération à son retour de congé maternité. La requalification de la prise d’acte en un licenciement nul était alors exclue.

B. La justification de la prise d’acte

La prise d’acte de rupture du contrat de travail est justifiée lorsque les manquements de l’employeur sont suffisamment graves, empêchant la poursuite du contrat de travail [3].

Or, en l’espèce, outre que le contexte de la pandémie de Covid-19 écarte l’attitude déloyale de l’employeur, une simple modification du planning prévisionnel et le refus de repositionnement conventionnel validé par la cour, ne pouvaient suffire à démontrer un manquement grave rendant impossible la poursuite du contrat. La prise d’acte ne pouvait être assimilée à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Malgré un régime probatoire favorable au salarié dans les situations de harcèlement ou de discrimination, lesquelles justifient une prise d’acte [4], cette dernière est un mode de rupture exceptionnel dont l’usage doit être justifié par des circonstances graves. Parmi elles, on relève la modification unilatérale du contrat de travail [5], le non-respect des obligations inhérentes au contrat de travail [6], ou encore la déloyauté de l’employeur [7].  Il convient ainsi de manier avec prudence ce mode de rupture au regard de ces conséquences en cas de requalification en une démission.

II. Les conséquences de la requalification en démission

La prise d’acte de la rupture conduit à une cessation immédiate du contrat de travail [8]. En conséquence, et sauf exception [9], la période de préavis n’est pas exécutée. La requalification de la prise d’acte en une démission oblige la salariée au paiement de l’indemnité de préavis [10] à son employeur [11] (A). Cette requalification réduit également les droits à l’assurance chômage (B).

A. L’indemnité de préavis

La cour d’appel condamne la salariée à payer une somme forfaitaire correspondant « au montant de l'indemnité de préavis de démission non exécuté, représentant le montant du salaire qui aurait été versé en contrepartie du travail » et précise ensuite la somme de « 4870,04 euros bruts au titre de l’indemnité de préavis ».

La nature des sommes versées interroge. La mention de cette somme en brut, si elle est la règle [12], conduit la salariée à payer à l’employeur davantage que le montant qu’elle aurait reçu si elle avait travaillé. Par ailleurs, l’employeur qui reçoit la somme en brut doit-il en conséquence verser les cotisations salariales et patronales à l’URSSAF ? L’indemnité de préavis est par principe soumise aux cotisations sociales [13]. Mais cette « somme forfaitaire » est décrite comme « correspondant » au montant de l’indemnité de préavis. Faut-il considérer alors que cette somme représente, en fait, des dommages et intérêts non soumis à cotisations ? Il existe pourtant déjà la possibilité pour l’employeur de demander des dommages et intérêts en cas de prise d’acte abusive [14].

Le paiement par la salariée de l’indemnité en brut laisse entrevoir une sanction déguisée. Reconnaître des dommages et intérêts aurait peu de cohérence avec l’assimilation de la rupture à une démission. Elle aurait, à l’inverse, pour effet de se rapprocher du régime de résolution unilatérale du contrat en droit commun [15], laquelle permet l’octroi de dommages et intérêts [16]. Un tel rapprochement ne semble pas être le chemin emprunté par la Cour de cassation. L’avis du 3 avril 2019 a considéré le régime juridique de la prise d’acte autonome en rejetant l’exigence d’une mise en demeure préalable à la cessation du contrat [17].

B. Les droits à l’assurance chômage

La qualification de la rupture en une démission fait obstacle à l’obtention par la salariée des droits à l’assurance chômage. Celle-ci indemnise les pertes involontaires d’emploi. Il existe néanmoins deux réserves.

D’abord, l’UNEDIC estime que la prise d’acte requalifiée en démission, lorsqu’elle est assimilée à une situation de démission légitime, permettrait d’ouvrir des droits. C’est le cas de la démission intervenue pour cause de non-paiement des salaires ou celle intervenue à la suite d'un acte susceptible d'être délictueux, dont le salarié déclare avoir été victime à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail [18]. Force est de constater que ces deux situations semblent davantage conduire à justifier une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail.

Ensuite, le salarié dont la prise d’acte serait requalifiée en démission pourrait faire examiner sa situation par l’institution paritaire afin d’ouvrir des droits [19].

Par Gauthier Lacroix

 

[1] C. trav., art. L. 1134-1 N° Lexbase : L2681LBW.

[2] C. trav., art. L. 1132-1 N° Lexbase : L0918MCY.

[3] Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-23.634, FP-P+B N° Lexbase : A2543MIZ, n° 12-21.372, FP-P+B N° Lexbase : A2434MIY, n° 12-35.040, FP-P+B N° Lexbase : A2395MIK.

[4] Cass. soc., 8 décembre 2021, n° 20-11.738, FS-B N° Lexbase : A46207ET.

[5] Cass. soc., 10 février 2016, n° 14-14.477, F-D N° Lexbase : A0368PL9.

[6] Cass. soc., 15 décembre 2021, n° 19-20.978, FS-B N° Lexbase : A17507GW.

[7] Cass. soc., 25 janvier 2023, n° 20-22.947, F-D N° Lexbase : A45119AC.

[8] Cass. soc., 15 septembre 2014, n° 14-10.416, F-D N° Lexbase : A3987NPD.

[9] Cass. soc., 10 février 2016, n° 14-14.477, précité.

[10] C. trav., art. L 1237-1 N° Lexbase : L1389H9C.

[11] Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-25.815, F-D N° Lexbase : A9297NGG.

[12] Cass. soc., 3 juillet 2019, n° 18-12.149, FS-P+B N° Lexbase : A2881ZIK.

[13] BOSS « Indemnité de ruptures », § 1790.

[14] Cass. soc., 16 juin 2021, n° 20-11.671, F-D N° Lexbase : A66584WI.

[15] C. civ., art. 1226 N° Lexbase : L0937KZQ.

[16] C. civ., art. 1228 N° Lexbase : L0935KZN.

[17] Cass. avis., 3 avril 2019, n° 15003 N° Lexbase : A1571Y8P.

[18] Circulaire UNEDIC, n° 2023-08, du 26 juillet 2023, Réglementation d'assurance chômage applicable à compter du 1er février 2023 N° Lexbase : L8707MIC.

[19] Règlement d’assurance chômage, art. 46bis.


Défaut dans la défense et responsabilité du représentant

♦ CA Lyon, 1re ch. civ. B, 29 octobre 2024, n° 22/08175 N° Lexbase : A56696DC

Mots clés : défaut de diligences • péremption • délégué syndical • syndicat • mandat • responsabilité du mandataire pour défaut de diligences

Solution : Le défaut de diligences d’une partie représentée ou assistée à la procédure peut entraîner la péremption de l’instance ; cette sanction, qui prive le justiciable de la possibilité de voir son litige tranché par la juridiction, peut justifier la mise en cause de la responsabilité civile de son représentant sur le terrain de la perte de chance.

Portée : L’arrêt rappelle l’impérieuse nécessité de veiller au respect des règles de procédure et le risque, par le détenteur d’un mandat ad litem, de voir sa responsabilité engagée lorsque le non-respect desdites règles a pour conséquence de faire perdre, à la partie représentée ou assistée, une chance de voir sa cause entendue.


Si l’accès au juge est un droit fondamental, le parcours qui mène au prétoire peut toutefois être semé d’embuches et, de la même manière que l’on ne s’aventure pas sur un chemin escarpé sans un guide ou, à tout le moins, une carte, fût-elle numérique, il est prudent, lorsque l’on « part au procès », de bien maîtriser les règles issues du Code de procédure civile.

Le syndicat CGT et deux défenseurs syndicaux qui avaient reçu mandat, de la part d’un justiciable, pour mener à bien le litige qui l’opposait à son ancien employeur dans le cadre d’une procédure initiée devant le conseil de prud’hommes de Lyon, l’ont appris à leurs dépens.

En effet, dans l’arrêt objet du présent commentaire, la 1re chambre civile de la cour d’appel de Lyon, après avoir en effet constaté, d’une part, que, suivant jugement en date du 26 mars 2018, le conseil de prud’hommes avait déclaré les demandes de la requérante irrecevables à raison de la péremption d’instance (I) et, d’autre part, que la requérante en question était assistée par un premier (puis un deuxième et enfin un troisième) défenseur syndical, tous trois affiliés à l’Union Départementale CGT du Rhône, a jugé que celle-ci pouvait se prévaloir d’une perte de chance de gagner son procès et ainsi engager la responsabilité de ses représentants et du syndicat auquel ils étaient affiliés (II).

I. Le non-respect des règles de procédure…

On enseigne traditionnellement que la procédure s’entend, dans un sens étroit, comme « l’ensemble des formalités par lesquelles une difficulté d’ordre juridique peut être soumise à un Tribunal »[1]

Pour soumettre une difficulté à un tribunal, il y a parfois des difficultés à contourner et, pour cela, à bien connaître.

Ainsi, l’article 386 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2277H44 dispose que « l’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans ».

La sanction de la péremption trouve donc sa source dans l’inaction des parties et a pour conséquence d’anéantir purement et simplement l’instance initiée par le demandeur au procès.

La règle de la péremption d’instance avait fait l’objet d’un aménagement spécifique au contentieux prud’homal (ancien article R. 1452-8 du Code du travail N° Lexbase : L0926IAK) sur lequel il ne sera ici pas revenu puisqu’à la faveur du décret n° 2017-892, du 6 mai 2017 N° Lexbase : L2664LEE, le droit commun de la péremption d’instance s’est étendu à la matière prud’homale, en tout cas pour les instances prud’homales introduites à compter du 1er août 2016.

Au cas d’espèce, le conseil de prud’hommes, après avoir constaté que la partie demanderesse, assistée par un défenseur syndical, n’avait accompli aucune diligence dans un délai de deux ans après la date fixée pour communiquer ses pièces et conclusions, a jugé que la péremption était acquise.

Nous ne disposons d’aucun élément permettant d’apprécier le bien-fondé de la position exprimée par la juridiction, mais, dans la mesure où aucun appel n’a été formé, dans les délais, à l’encontre du jugement prononçant la péremption, celui-ci est devenu définitif et irrévocable et la requérante s’est ainsi vue privée de toute possibilité de voir sa cause entendue (et, le cas échéant, prospérer) devant la juridiction prud’homale.

Les règles de procédure ayant empêché la requérante d’accéder au juge prud’homal, c’est donc sur un autre terrain, en l’occurrence celui de la responsabilité civile, qu’elle a porté son litige, cette fois dirigé, devant la juridiction de droit commun, à l’encontre de ses mandataires et du syndicat auquel appartenait ces derniers.

II. …peut mener à la mise en œuvre de la responsabilité civile du mandataire

Le justiciable qui souhaite lier un contentieux devant une juridiction peut ou doit, dans certaines hypothèses (au demeurant les plus nombreuses), recourir au mandat (dit mandat ad litem) d’un avocat, mais il lui est également possible, devant le conseil de prud'hommes, de confier ledit mandat à un défenseur syndical, ce mandat constituant un acte par lequel « une personne donne à une autre le pouvoir de faire des actes de procédure pour son compte et en son nom dans une instance où elle est partie » [2].

Les articles 411 et suivants du Code de procédure civile N° Lexbase : L6512H7C organisent la représentation et l’assistance en justice, et la faute commise par le mandataire dans l’exercice de son mandat engage sa responsabilité selon les règles de compétence de droit commun.

En l’occurrence, c’est sur le terrain de la perte de chance que la requérante, qui s’était vue refuser l’accès au juge prud’homal du fait des règles de la péremption d’instance, a saisi le juge civil de droit commun d’une action dirigée à l’encontre des défenseurs syndicaux qui l’avaient assistée dans le cadre de la procédure prud’homale et de l’Union départementale CGT qui revendiquait, au travers des différents documents soumis à l’examen de la cour, « avec détermination, le suivi et la gérance des procédures prises en charge par un défenseur syndical auquel il a donné pouvoir, l’encadrement de ce même défenseur qui ne doit pas rester seul, l’éventuelle orientation du dossier vers un avocat plutôt que vers un délégué syndical en raison de la complexité du dossier et, plus généralement, la stratégie défensive à adopter dans chaque dossier, et ce, tout au long de la procédure ».

La perte de chance constitue une « technique de réparation » admise de longue date en matière de gain d’un procès et, comme le relève un auteur, « les hypothèses les plus fréquentes de perte d’une chance se rapportent aux auxiliaires de justice. La faute d’un officier ministériel ou d’un avocat anéantit une chance, en rendant un appel irrecevable, une surenchère nulle, la garantie dont devrait être assortie une créance impossible : la chance de l’appelant d’obtenir une information, celle du surenchérisseur d’être déclaré adjudicataire, comme celle du créancier de bénéficier d’une garantie. Certes, le plaideur ne sera pas indemnisé “comme si” son appel avait été accueilli favorablement ou la garantie prise. Ce ne sont pas les sommes convoitées qui constituent le dommage, mais simplement l’espoir de les gagner. Encore faut-il que cet espoir soit sérieux, que la chance soit véritable et non point une quelconque chimère […] » [3].

L’appréciation du caractère sérieux de la chance perdue est affaire de probabilité.

Dans l’arrêt ici commenté, la cour d’appel, après avoir caractérisé la faute du/des mandataires, a examiné les chances de succès dont pouvait se prévaloir la requérante devant le conseil de prud'hommes et a jugé qu’il existait en l’occurrence « une perte de chance importante pour Madame X d’avoir pu gagner son procès contre son employeur dans le cadre de l’instance prud’homale en raison notamment de la charge de la preuve rappelée supra et les intimés ne peuvent sérieusement nier cette chance importante qui résulte de la rédaction même des conclusions ».

Après avoir rappelé que cette perte de chance découlait des fautes commises par le défenseur syndical et le syndicat local, la Cour a évalué à 70 % du montant réclamé le préjudice résultant de la perte de chance.

La 1re chambre civile de la cour d’appel de Lyon, plus tôt dans l’année, avait également eu l’occasion, dans une hypothèse voisine, d’appliquer les mêmes principes [4].

La requérante, qui avait saisi le conseil de prud’hommes dans le courant de l’année 2013 (la date précise nous est inconnue) pour obtenir la condamnation de son employeur au paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif, a fini par obtenir, le 29 octobre 2024, l’indemnisation du préjudice subi du fait de sa perte de chance de voir son employeur condamné devant la juridiction prud’homale.

La route a certes été semée d’embûches pour arriver à l’indemnisation souhaitée, mais l’encombrement des juridictions explique aussi peut-être, au-delà des avatars procéduraux rencontrés et des errements de ses mandataires, le temps mis par la plaignante pour terminer son parcours judiciaire ; la problématique de la lenteur de la justice est cependant un autre sujet…

Par Fabien Roumeas

 

[1] J. Vincent et S. Guinchard, Procédure civile, Dalloz, 22e éd., 1991, n° 1, p. 1.

[2] D. Cholet, « Assistance et représentation en justice », Répertoire de procédure civile, Dalloz, 2019, n° 75.

[3] Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, n° 2123.92 et s.

[4] CA Lyon, 1re ch. civ. B, 30 janvier 2024, n° 22/00318 N° Lexbase : A01862K4.


L’abus dans la liberté d’expression d’un salarié

♦ CA Lyon, ch. sociale A, 18 septembre 2024, RG n° 21/04498 N° Lexbase : A746953Z

Mots-clefs : liberté d’expression • abus • pouvoir disciplinaire • courriels • publicité des échanges

Solution : La juridiction lyonnaise confirme le bien-fondé d’une sanction disciplinaire lorsqu’un salarié a abusé de sa liberté d’expression dans la sphère professionnelle.

Portée : L’abus dans la liberté d’expression peut se caractériser dans la publicité des propos qu'en a fait le salarié.


Il est maintenant acquis en jurisprudence qu’un salarié jouit de sa liberté d’expression, y compris sur son lieu de travail [1]. Cette consécration repose aujourd’hui sur l’article L. 1121-1 du Code du travail N° Lexbase : L0670H9P qui dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Seul un abus dans cette liberté peut être sanctionné, à défaut de quoi, selon la Cour de cassation, « le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice, par le salarié, de sa liberté d'expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement » [2]. Sur ce point, la juridiction suprême s’attache avant tout à la teneur des propos. Ainsi, un abus est caractérisé par l'emploi de « termes injurieux, diffamatoires ou excessifs » [3]. À titre d’illustration, de simples propos vifs dans un courrier d’un salarié adressé à son employeur ne suffisent pas à caractériser un tel abus [4]. En revanche, la tenue de propos excessifs, soumis à une large publicité, peut caractériser un abus [5].

Telle était la problématique soulevée dans le cadre de l’arrêt commenté de la cour d’appel de Lyon [6]. Il était question d’un salarié qui a fait l’objet d’un avertissement pour avoir outrepassé sa liberté d’expression dans le cadre d’un échange de courriels avec son responsable. Plus précisément, suite à une réunion, le représentant de l’employeur a adressé un courriel à plusieurs salariés, dont le salarié appelant, portant notamment sur les objectifs fixés pour leur rémunération variable. En réponse, en mettant tous les premiers destinataires en copie, ce dernier va émettre des commentaires portant exclusivement sur sa situation personnelle quant à sa rémunération ainsi que ses congés. L’avertissement est ainsi fondé sur le fait que le salarié a fait état de réclamations purement personnelles en impliquant ses collègues de travail, qui étaient étrangers à ce différend. Selon l’avertissement : « Mettre vos collègues en copie d'attaques frontales à l'égard de vos supérieurs hiérarchiques caractérise une insubordination et témoigne d'une volonté de créer une discorde au sein de l'équipe ». Sur ce point, le salarié soutient qu’il n’aurait fait que répondre au mail initial de son responsable comprenant plusieurs destinataires.

Après avoir retranscrit une partie des échanges dans sa décision, la cour d’appel de Lyon constate que l’objet du courriel initial de l’employeur concernait tous les salariés concernés, ce pourquoi, il comprenait plusieurs destinataires. Or, au contraire, elle relève que la réponse du salarié évoquait seulement des questions qui le concernaient exclusivement. Il n’était donc pas légitime à mette en copie ses collègues, destinataires du premier courriel adressé par leur responsable. Ainsi, par la publicité de sa réponse, la cour d’appel de Lyon estime que celle-ci caractérise un abus de la liberté d'expression et une insubordination de sa part qui justifie l'avertissement.

Par cette solution et à travers sa motivation, on voit que la cour d’appel de Lyon s’est avant tout attachée à la publicité des échanges qu'en a faite le salarié en impliquant des collègues sur des questions le concernant exclusivement, mais sans réellement apprécier la présence de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs. Au regard de la jurisprudence précitée, en l’absence de tels propos, un abus dans l’exercice de la liberté d’expression est rarement retenu. Comme le montre un arrêt récent, en l’absence de tels propos, n’a été retenu aucun abus dans l’exercice de sa liberté d’expression par un salarié, les réserves émises sur l'évaluation que l’employeur avait faite de son niveau de compétences [7]. La Cour européenne des droits de l’Homme semble avoir une approche similaire en application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme N° Lexbase : L4743AQQ qui garantit la liberté d’expression dans la sphère professionnelle. Dans les affaires relatives à la liberté d'expression des employés, la Cour examine les points suivants :

  • la teneur des propos reprochés au salarié ;
  • du contexte dans lequel ceux-ci s'inscrivent ;
  • de leur portée et leur impact potentiels ;
  • des conséquences négatives que les propos peuvent causer à l'employeur ou sur le lieu de travail ;
  • de la gravité de la sanction infligée au salarié concerné.

Dans l’arrêt précité, elle a ainsi jugé contraire à cet article le licenciement d’un salarié en raison de l’envoi d’un courrier au personnel du service de ressources humaines et au directeur adjoint pour critiquer les pratiques managériales de l'entreprise, sans toutefois employer une quelconque expression injurieuse ou grossière envers sa direction [8]. La solution de la cour d’appel de Lyon peut se comprendre au regard de l’absence de gravité de la sanction infligée au salarié. En revanche, si un licenciement avait été prononcé en lieu et place d’un simple avertissement, sa solution aurait pu être différente.

Par Florent Labrugere

 

[1] Cass. soc., 14 décembre 1999, n° 97-41.995 N° Lexbase : A3127AGW.

[2] Cass. soc., 9 octobre 2024, n° 23-15.811, F-D N° Lexbase : A814559K.

[3] Cass. soc., 11 octobre 2023, n° 22-15.138, F-D N° Lexbase : A96001L7.

[4] Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-20.359, F-D N° Lexbase : A51115EZ.

[5] Cass. soc., 22 septembre 2021, n° 18-22.204, FP-B N° Lexbase : A135847G.

[6] Le présent commentaire se consacrera sur la seule question de la liberté d’expression et non sur les autres chefs de demande traités par la cour.

[7] Cass. soc., 14 novembre 2024, n° 23-16.731, F-D N° Lexbase : A30556HM.

[8] CEDH, 20 février 2024, Req. 48340/20, Dede c/ Turquie N° Lexbase : A05712Q9.


La nullité du forfait heures et ses conséquences : attention aux conditions d’éligibilité

♦ CA Lyon, ch. sociale A, 16 octobre 2024, RG° 21/01838 N° Lexbase : A43266BT

Mots-clefs : nullité ; convention de forfait en heures • heures supplémentaires • contrepartie obligatoire en repos • charge probatoire

Solution : À défaut pour une salariée de percevoir une rémunération au moins égale au plafond de sécurité sociale, la convention individuelle de forfait en heures qu’elle a conclu dans le cadre des dispositions de la convention collective SYNTEC, est nulle.

Portée : La cour d’appel de Lyon rappelle les sanctions attachées au défaut d’éligibilité d’une salariée à un dispositif de forfaitisation de la durée du travail.


La vigilance des employeurs en présence d’un dispositif de forfaitisation du temps de travail ne doit pas se limiter aux seuls forfaits annuels en jours. Un arrêt assez singulier de la cour d’appel de Lyon [1] prononce la nullité d’une convention de forfait en heures conclue en application de la convention collective SYNTEC et rappelle les conséquences attachées à cette sanction.

En l’espèce, la Société QCS Services avait engagé une architecte-chef de projet ATMO dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée stipulant qu’elle relevait d’un horaire hebdomadaire fixé à 36,86 heures, mais également que : « les modalités, conditions et définitions ainsi posées, expressément acceptées par le salarié, devront être respectées avec soin par celui-ci qui gérera son temps de travail sur l’année. En contrepartie, Mme [F] bénéficiera de 10 jours de réductions du temps de travail par an ». La salariée sollicitait la nullité de sa convention de forfait en heures au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions d’éligibilité prévues par l’accord du 22 juin 1999 [2]. Elle sollicitait par conséquent le paiement des heures supplémentaires effectuées au-delà de son forfait, ainsi que les contreparties obligatoires en repos du fait du dépassement du contingent d’heures supplémentaires applicables.

Pour mémoire, l’accord de branche du 22 juin 1999 précité prévoit des modalités particulières de décompte de la durée du travail des salariés selon trois dispositifs distincts :

  • une modalité n° 1 appelée « standard » ;
  • une modalité n° 2 appelée « réalisation des missions » ;
  • une modalité n° 3 appelée « réalisation des missions avec autonomie complète ».

S’agissant de la modalité n° 2, l’accord de branche instaure une convention de forfait en heures « hybride » reposant sur les bases suivantes :

  • un forfait horaire hebdomadaire de 35h pouvant être augmenté de 10 % (soit 38h30) avec dans tous les cas, un plafond annuel de 220 jours travaillés ;
  • une rémunération minimale, englobant d’ores et déjà les variations d’horaires dans la limite de 10 %, qui ne peut être inférieure à un double plafond :
  • 115% du salaire minimum conventionnel,
  • et le respect du plafond annuel de la Sécurité sociale ;
  • un dispositif ouvert aux seuls ingénieurs et cadres à condition qu’ils ne soient concernés ni par la modalité n° 1 « standard » (35 heures) ni par la modalité n° 3 « de réalisation avec autonomie complète » (les conventions annuelles de forfait en jours).

En première instance, la salariée était déboutée de ses demandes par le conseil de prud’hommes de Lyon qui a considéré que la convention de forfait en heures était parfaitement « conforme et opposable ». La cour d’appel de Lyon a infirmé le jugement querellé en rappelant tout d’abord qu’il était de jurisprudence « établie » [3] que l’accord de branche instaurait « une modalité de gestion du temps de travail s’analysant en une convention de forfait en heures assortie d’une garantie d’un nombre maximal annuel de jour de travail ». Elle précisait en outre que le « bénéfice d’une rémunération au moins égale au plafond de la sécurité social constituait une condition d’éligibilité du salarié au forfait en heures prévu par la convention collective ».

Il s’agit d’une reprise fidèle de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2015 [4], ayant consacré cette solution sur la base des mêmes dispositions conventionnelles. Dans le cas présent, la salariée bénéficiait d’une rémunération moindre que le plafond de la Sécurité sociale, soit une rémunération mensuelle de 3200 euros, de sorte qu’elle n’était pas éligible à ce dispositif. La cour d’appel de Lyon a donc jugé qu’à défaut de respecter les conditions d’éligibilité prévues par l’accord du 22 juin 1999, la convention de forfait heures conclue entre la Société QCS Services et la salariée était nulle, peu important que cette dernière ait expressément consenti à cette modalité de décompte de son temps de travail lors de la conclusion de son contrat de travail.

C’est alors sur les conséquences de la nullité de la convention de forfait que s’est prononcée la cour d’appel de Lyon, dans un contexte où la salariée reprochait à son employeur une surcharge chronique de travail. Après avoir rappelé les principes juridiques applicables à la nullité de la convention de forfait [5], aux heures supplémentaires et à la contrepartie obligatoire en repos, la cour d’appel de Lyon a analysé les pièces produites par la salariée au soutien de ses demandes (décomptes journaliers de la durée du travail, relevé intégral de sa boite mail comprenant des courriels envoyés tôt le matin ou tard le soir, pendant les weekends et jours fériés, divers courriels dénonçant une charge de travail excessive la contraignant d’accomplir une amplitude importante de travail, etc.).

À l’aune des éléments produits par la salariée, la cour d’appel de Lyon a considéré que ces derniers étaient suffisamment précis pour justifier des heures non rémunérées qu’elle estimait avoir accomplies, permettant ainsi à l’employeur d’y répondre. Or, la Société QCS Services n’ayant mis en œuvre aucun suivi individuel du temps de travail [6], cette dernière se contentait de lui opposer principalement une absence de demande préalable de sa part pour effectuer des heures supplémentaires au-delà du forfait de 36,86 heures, en violation d’un accord d’entreprise du 17 janvier 2002 prévoyant cette exigence. Elle soulignait également que les décomptes produits par la salariée présentaient de nombreuses incohérences de sorte qu’ils n’étaient pas probants. Ces différents arguments n’ont pas convaincu la cour d’appel de Lyon qui, appliquant strictement une jurisprudence constante de la Cour de cassation [7] , rappellera avec soin que : « le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord au moins implicite de l’employeur, soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les taches qui lui ont été confiées ».

Tout en soulignant la surcharge de travail chronique à laquelle était confrontée la salariée ainsi que l’absence de mesure prise par l’employeur pour y remédier alors qu’il en avait connaissance, la cour d’appel de Lyon a considéré que la majorité des éléments avancés par la salariée quant aux heures supplémentaires accomplies en 2017 et 2018 n’était pas « utilement contredit par l’employeur ». Par conséquent, elle a condamné la Société QCS Services au paiement de plusieurs sommes au titre des heures supplémentaires accomplies en 2017 et 2018 par la salariée, déduction faite des sommes correspondant à la réduction du temps de travail dont elle a bénéficié, ainsi qu’au titre de la contrepartie obligatoire en repos.

La solution retenue par la cour d’appel de Lyon est l’occasion de revenir sur les conséquences juridiques attachées à la nullité d’une convention individuelle de forfait en heures, ce qui est assez rare pour être souligné, la jurisprudence étant davantage nourrie par des contentieux portant sur la nullité des conventions de forfait annuel en jours et ses conséquences. Toutefois, cette solution aurait peut-être été différente en présence d’un accord d’entreprise instaurant une convention individuelle de forfait en heures selon des conditions d’éligibilités plus restrictives que celles prévues par l’accord de branche et donc moins favorables aux salariés.

À ce jour, nous sommes toujours dans l’attente d’une réponse de la Cour de cassation [8] quant à la possibilité de déroger défavorablement par accord d’entreprise à l’accord de branche du 22 juin 1999 dans la mise en place de conventions de forfait en heures. Une application littérale des dispositions de l’article L. 2253-3 du Code du travail N° Lexbase : L7333LH3 permettrait peut-être de répondre à cette question.

Par Alexis Galtes

 

[1] CA Lyon, ch. sociale A, 16 octobre 2024 n° 21/01838 N° Lexbase : A43266BT.

[2] Accord de branche du 22 juin 1999, relatif à la durée du travail (application de la loi du 13 juin 1998) annexé à la convention collective des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil (SYNTEC), p. 47 N° Lexbase : X8488AP3.

[3] Reprenant ainsi une solution dégagée par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 26 mai 2004, n° 02-10.723 N° Lexbase : A2480DCT.

[4] Cass. soc., 4 novembre 2015, n° 14-25.745, n° 14-25.746, n° 14-25.747, n° 14-25.748, n° 14-25.749, n° 14-25.750 et n° 14-25.751, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6496NU7.

[5] « La salariée est fondée à demander un décompte de son temps de travail sur la base de 35 heures hebdomadaires et un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires accomplies à compter de la 36ème heures » (CA Lyon, ch. sociale A, 16 octobre 2024, n° 21/01838, précité).

[6] Méconnaissant ainsi les dispositions de l’article D. 3171-4 du Code du travail N° Lexbase : L1508L3A.

[7] Cass. soc., 2 juin 2010, n° 08-40.628, FP-P+B+R N° Lexbase : A2118EY4, Cass. soc., 12 septembre 2018, n° 17-15.924, F-D N° Lexbase : A7868X48, Cass. soc., 14 novembre 2018, n° 17-16.959, FS-P+B N° Lexbase : A7895YLY, Cass. soc., 19 juin 2019, n° 18-10.982, F-D N° Lexbase : A3040ZGP.

[8] Cass. soc., 22 juin 2022, n° 21-10.621, FS-B N° Lexbase : A206378W.

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