Cahiers Louis Josserand n°6 du 16 janvier 2025 : Droit des personnes

[Chronique] Droit des personnes et de la famille

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N1479B38

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par Aurélien Molière et Aurore Camuzat

le 15 Janvier 2025

Par Aurélien Molière, Maître de conférences, centre de droit de la famille, Directeur du Master Droit de la famille, Codirecteur de l’Institut d’études judiciaires et Aurore Camuzat, ATER au Centre de Droit de la Famille, Équipe de recherche Louis Josserand, Université Jean Moulin Lyon III


 

Sommaire :

Le partenaire est-il un conjoint ? Réflexions à partir d’un contrat d’assurance-vie

  • CA Lyon, 1re ch. civ. B, 2 juillet 2024, n° 22/02669

Maladie d’Alzheimer et présomption d’insanité d’esprit en matière de libéralités

  • CA Lyon, 1re ch. civ. A, 3 octobre 2024, n° 21/04581

Communauté de vie et violences conjugales : un équilibre délicat en matière de nationalité

  • CA Lyon, 2e civ. B, 5 septembre 2024, n° 23/06819

Le partenaire est-il un conjoint ? Réflexions à partir d’un contrat d’assurance-vie

♦ CA Lyon, 1re ch. civ. B, 2 juillet 2024, n° 22/02669 N° Lexbase : A49805NR

Mots-clefs : assurance-vie • clause bénéficiaire • conjoint • conjugalité • pacte civil de solidarité • partenaire • stipulation pour autrui

Solution : Lorsque la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie désigne le « conjoint non séparé de corps », le capital ne peut pas être versé au partenaire du souscripteur au jour du décès.

Portée : L’arrêt confirme l’importance du soin à apporter à la rédaction de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie et le refus persistant d’utiliser le mot « conjoint » comme un terme générique désignant indistinctement époux, partenaire et concubin.


Le partenaire est-il un conjoint ? Il l’est si l’on prend le mot au pied de la lettre. Le conjoint est, en effet, celui qui est lié par un mode de conjugalité. Or, c’est bien le cas du partenaire, puisqu’il a conclu un pacte civil de solidarité, qui est l’un des trois modes d’union prévus par le Code civil aux côtés du mariage et du concubinage. Toutefois, malgré ce pluralisme consacré par la loi du 15 novembre 1999 N° Lexbase : L7500AIM et le mot utilisé pour les désigner (modes de conjugalité), il ne s’en est pas suivi de renouvellement terminologique. Le législateur, la jurisprudence et la doctrine continuent de réserver le terme « conjoint » aux personnes unies par les liens du mariage. En témoigne, par exemple, la section du Code civil consacrée aux droits du conjoint successible (C. civ., art. 756 à 767 N° Lexbase : L3360AB3), qui confère des droits dans et sur la succession au survivant des époux et à nulle autre personne engagée dans une union qui n’est pas le mariage.

Il résulte de cela qu’il existe aujourd’hui une tension terminologique entre, d’une part, l’évolution de la conjugalité qui incline à rendre le terme « conjoint » générique et, d’autre part, la persistance d’une utilisation monopolistique de ce même terme pour désigner celles et ceux qui se marient. Voilà pourquoi, lorsque la clause bénéficiaire d’une assurance-vie désigne le conjoint du souscripteur, alors que celui-ci n’est pas marié, mais seulement pacsé, on est en droit de se demander si le capital doit être versé au partenaire survivant du souscripteur. En l’espèce, la clause était rédigée en ces termes : « Je souhaite que le capital décès soit versé à mon conjoint non séparé de corps, à défaut mes enfants nés ou à naître, à parts égales, à défaut de l’un ses descendants, à défaut mes héritiers. » La société d’assurance a d’abord informé la partenaire survivante de son droit au capital, avant de se rétracter pour finalement le verser aux trois enfants nés de la première union du souscripteur. Après une mise en demeure infructueuse, elle a saisi les juridictions en vue d’obtenir le paiement du capital-décès à son profit. Elle a été déboutée en première instance et a interjeté appel du jugement.

Devant la cour d’appel de Lyon, elle soutient qu’il convient d’interpréter la clause bénéficiaire conformément à l’ancien article 1156 du Code civil N° Lexbase : L1258AB9 (devenu l’article 1188 N° Lexbase : L0905KZK), c’est-à-dire sans s’arrêter au sens littéral des termes, mais en recherchant l’intention du stipulant. Elle place logiquement son argumentation sur le terrain de l’acception moderne du mot « conjoint », lequel dérive du terme « conjugalité » qui qualifie indistinctement tous les modes d’union admis. En outre, elle argue du fait qu’en visant son conjoint, son défunt partenaire a entendu désigner la personne avec laquelle il vivait au jour de la souscription. Selon elle, le premier juge a procédé à une interprétation purement juridique de la clause, sans rechercher l’intention véritable du stipulant. Pour la contredire, la société d’assurance rappelle que la loi réserve le qualificatif de conjoint aux époux et qu’elle désigne ceux qui ont conclu un pacte civil de solidarité comme étant des « partenaires ». Aussi, la clause précise que pour recevoir le capital, le conjoint devra être « non séparé de corps ». Or, cette circonstance n’existe pas en dehors du mariage. Pour finir, la société répond à l’argument tiré de l’article 1156 en rappelant que s’il convient de dépasser une interprétation exclusivement littérale pour rechercher la volonté du stipulant, ce dépassement ne doit pas se faire au prix d’une dénaturation de cette volonté.

La cour d’appel de Lyon confirme le jugement du tribunal judiciaire de Lyon, en commençant par rappeler que le bénéficiaire d’une assurance-vie, laquelle s’analyse en une stipulation pour autrui, dispose d’une action contractuelle directe contre celui qui l’a souscrite. Cependant, la clause, telle qu’elle est stipulée dans le contrat litigieux, est une « clause-type très classique ». Il s’en déduit que « la reprise littérale d’une clause-type d’emploi courant, à la rédaction relativement complexe pour le néophyte, permet d’écarter l’hypothèse d’une clause dictée par [le souscripteur] au regard de sa situation spécifique ». Dit autrement, le fait que la clause soit rédigée dans une formulation usuelle exclut le fait que le stipulant ait souhaité stipuler une clause bénéficiaire particulière, spécialement adaptée à sa situation conjugale et familiale, et plus spécifiquement qu’il ait eu l’intention de désigner sa partenaire. En ce sens, la cour ajoute qu’aucun élément de preuve ne laisse à penser qu’il se serait trompé sur le sens du mot conjoint et qu’il aurait entendu, en réalité, gratifier sa partenaire, étant précisé qu’il avait tout le loisir de la désigner nommément si tel était son but.

Juridiquement, la solution ne souffre aucune critique. D’abord, parce que le terme « conjoint » désigne bel et bien seulement l’époux. Ensuite, parce que la condition selon laquelle le bénéficiaire ne doit pas être séparé de corps s’applique exclusivement à lui. Cependant, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la parfaite compréhension, par le souscripteur, de ces nuances juridiques et terminologiques. Ne faudrait-il pas, comme en matière de testament olographe, interpréter l’acte en tenant compte de la personne du stipulant et de ses compétences, notamment littéraires et juridiques ? Pour le dire plus directement, ne faut-il pas rechercher l’intention du contractant différemment selon qu’il est une personne avertie, par exemple un avocat ou un notaire, ou totalement profane ? Est-il juste d’adopter la même rigueur interprétative ? N’est-ce pas prendre le risque de procéder à une interprétation désincarnée de la volonté ?

À dire vrai, il ne devrait pas y avoir lieu à de telles interrogations, aussi sérieuses soient-elles. Ce que cet arrêt révèle, c’est l’extrême prudence qui doit guider le rédacteur d’actes. Et il est un principe qui doit les guider : le sur-mesure (presque) toujours, le prêt-à-porter (quasiment) jamais. Les clauses toutes faites, prérédigées, ne sont pas à bannir complètement, mais elles doivent être réservées aux cas qui leur conviennent et expliquées à ceux qui y consentent. Est-il normal que la clause bénéficiaire désigne le conjoint alors que le stipulant n’est pas marié au jour de la souscription ? Les notaires savent très bien l’importance de tout cela, excepté pour quelques clauses de style qui aggravent plus qu’elles ne résorbent [1]. En revanche, on peut se demander s’il en va de même des sociétés d’assurance.

C’est certainement là que se trouve la véritable question soulevée par cette décision, le nœud du problème qu’il ne revient peut-être pas aux juges du fond de résoudre (quoique !), le risque d’une cassation étant très important, mais aux assureurs de démêler. On pourrait à cet égard convoquer le devoir de conseil qui leur incombe. C’est ce que la requérante a fait pour tenter d’engager la responsabilité de la société d’assurance. En vain puisque les juges lyonnais ont estimé, à juste titre et pour les raisons déjà évoquées (absence de preuve d’une erreur sur la signification du mot conjoint et d’une volonté de gratifier la requérante), que le manquement au devoir de conseil et le fait que la partenaire ne puisse bénéficier du capital n’entretiennent pas de lien causal. Malgré cela, on ne peut que souhaiter et espérer que les souscripteurs d’assurance soient correctement informés et conseillés sur la meilleure solution à adopter en considération de leur situation – personnelle, familiale, patrimoniale – et que la bonne formulation de la clause bénéficiaire soit adoptée en conséquence. Faut-il en douter ?

Par Aurélien Molière

 

[1] Par ex., v. A. Molière, L’article 214 du Code civil relu à la lumière des évolutions jurisprudentielles récentes : clarification ou dénaturation ?, D., décembre 2020, n° 42, p. 2362.


Maladie d’Alzheimer et présomption d’insanité d’esprit en matière de libéralités

♦ CA Lyon, 1re ch. civ. A, 3 octobre 2024, n° 21/04581 N° Lexbase : A163759I

Mots-clefs : donation • insanité d’esprit • maladie d’Alzheimer • présomption d’insanité d’esprit • preuve du trouble mental • nullité • testament

Solution : Une libéralité doit être annulée lorsqu’elle a été consentie après que le disposant ait été diagnostiqué de la maladie d’Alzheimer et que ses symptômes se soient aggravés, de sorte qu’ils permettent de présumer son insanité d’esprit au jour de l’acte.

Portée : L’insanité d’esprit étant simplement présumée, le bénéficiaire de la libéralité peut rapporter la preuve d’un intervalle de lucidité pour contrecarrer la nullité. Cependant, une telle faculté paraît très marginale et peu probable en présence de la maladie d’Alzheimer.


Une femme décède en laissant pour lui succéder trois collatéraux au troisième degré. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle était placée sous tutelle depuis le 26 novembre 2015. Avant cela, elle avait consenti la donation (2 septembre 2014) de la nue-propriété de plusieurs immeubles au profit d’une amie, prenant à sa charge tous les frais, droits et émoluments de l’acte. Elle avait aussi rédigé un testament olographe (3 septembre 2014) lui conférant la qualité de légataire à titre universel ou universel ; maladroitement, l’arrêt fait référence tantôt à l’un tantôt à l’autre, et l’on ne peut que fortement regretter ce manque de rigueur. Le juge des référés, saisi par le neveu et les nièces de la défunte, a ordonné au notaire de leur communiquer le testament et les comptes-rendus de gestion de tutelle. Il a aussi prononcé la suspension provisoire des opérations de liquidation de la succession, dans l’attente de la décision du juge du fond sur la validité du testament. Une action en nullité est exercée, tant s’agissant du testament olographe que de la donation notariée. Les requérants fondent leur demande sur l’insanité d’esprit du de cujus. Ayant succombé en première instance, ils ont interjeté appel devant la Cour d’appel de Lyon qui leur a donné raison.

Il est rappelé que pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. Ce qu’affirme l’article 414-1 du Code civil N° Lexbase : L8394HWS, qui est visé dans l’arrêt, et ce que répète l’article 901 N° Lexbase : L0049HPI, qui lui est absent, à propos des libéralités. Il est également rappelé qu’il revient à celui qui agit en nullité d’apporter la preuve d’un trouble mental du disposant au moment de l’acte. Rappelons que le trouble recherché n’est pas de nature à vicier le consentement comme pourraient le faire l’erreur, le dol ou la violence. Il a pour effet de l’abolir, purement et simplement. L’insanité d’esprit est en effet une privation de discernement, donc de consentement, qui empêche celui qui en est victime de comprendre le sens et la portée de son acte.

Depuis un vieil arrêt [1], la jurisprudence admet que l’on puisse présumer l’insanité d’esprit lors de la formation de l’acte litigieux, lorsque des troubles ont existé au cours des périodes l’ayant précédée et suivie. Cette présomption étant simple, elle a pour effet de renverser la charge de la preuve, de telle sorte qu’il revient au défendeur de prouver l’existence d’un intervalle de lucidité au moment de l’acte pour en soutenir la validité. Pour bénéficier de cette présomption, les requérants ont notamment fait valoir que la maladie d’Alzheimer de la défunte a été diagnostiquée en 2010, c’est-à-dire quatre ans avant la date de la donation notariée et du testament olographe dont la validité est discutée. À partir du mois de mars 2013, ses facultés cognitives se sont dégradées progressivement et son état est devenu particulièrement préoccupant à compter de février 2014, son médecin certifiant alors qu’elle n’était plus en mesure « de prendre des engagements financiers ». C’est finalement en novembre 2015 qu’une mesure de tutelle sera ouverte. Ce qui est décrit là, c’est une altération constante et progressive de l’état de discernement. Dès lors, il est possible de présumer que la donation et le testament, rédigés en septembre 2014, l’ont été sous l’empire d’un trouble mental. La cour d’appel condamne l’ami de la défunte à restituer l’ensemble des biens qu’elle a reçus en exécution du legs et de la donation, ainsi qu’à rembourser la succession des droits de mutation pris à sa charge par la donatrice.

En présence d’une telle chronologie, il ne fait guère de doute que la présomption d’insanité d’esprit doive jouer. Au-delà, l’arrêt invite à s’interroger sur les rapports qu’elle entretient avec la maladie d’Alzheimer. Concrètement, son diagnostic pourrait-il suffire à présumer l’existence de trouble au jour de l’acte ? On peut en douter, car cette maladie, dans son stade primitif, peut être silencieuse et sans effet. Faut-il qu’une dégradation des facultés cognitives soit constatée pour que la présomption puisse jouer ? Cela paraît inévitable. Doit-on attendre que cette dégradation devienne grave ? Ce n’est certainement pas nécessaire d’en arriver là. Au contraire, ce serait ajouter à la lettre de l’article 414-1 du Code civil une condition qu’il ne prévoit pas, puisqu’il se limite à réclamer la preuve d’un trouble mental. Il faut que celui-ci soit suffisant – ce qui ne veut pas dire grave – pour priver la personne de son discernement. On retiendra donc que cette maladie ne présume pas à elle seule l’insanité d’esprit et que tout dépend de son état d’avancement. L’appréciation en revient aux juges du fond, qui sont souverains en la matière [2].

Cet arrêt est également l’occasion de rappeler l’indifférence totale de l’intervention notariale. Concrètement, le fait que la donation a été conclue devant notaire ne prouve rien et ne renverse pas la présomption d’insanité d’esprit. Il en va de même – ce qui n’est pas le cas en l’espèce et ce qui est préférable pour des raisons de responsabilité – si l’acte comporte mention qu’aucun trouble n’a été constaté lors de sa conclusion. Le notaire est un professionnel du droit, il n’est pas médecin. En ce sens, le juge n’est absolument pas tenu par les énonciations qui seraient faites sur l’état de santé et de lucidité du donateur.

Enfin, on précisera que la présomption d’insanité d’esprit étant simple et non irréfragable, elle ne prive pas le bénéficiaire de la libéralité de la faculté d’apporter la preuve que le de cujus a profité d’un intervalle de lucidité pour disposer de ses biens. Toutefois, lorsqu’il est frappé de la maladie d’Alzheimer, une telle possibilité paraît bien virtuelle, pareil intervalle étant très peu probable. Certes, il ne faut pas complètement l’exclure et le juge doit procéder à une appréciation in conreto, mais les chances sont très faibles de parvenir à renverser la présomption.

Par Aurélien Molière

 

[1] Cass. civ., 4 février 1941 : DA, 1941, 113. Confirmé par la suite, Cass. civ. 1, 20 octobre 1954 : D., 1955, 66 ; Cass. civ. 1, 11 juin 1980 : Bull. civ. I, n° 184 ; D., 1981, IR 91, obs. D. Martin.

[2] Cass. civ. 2, 23 octobre 1985 : Bull. civ. II, n° 158 ; Cass. com. 16 décembre 2014, n° 13-21.479, FS-P+B N° Lexbase : A2710M8U : Chambre commerciale, D., mai 2015, n° 17, p. 996, note F. Arbellot ; Panorama : Majeurs protégés, D., juillet 2015, n° 27, p. 1569, obs. J.-M. Plazy ; obs. J.-L. Vallens, Sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires, RTD com., janvier-mars 2015, n° 1, p. 160.


Communauté de vie et violences conjugales : un équilibre délicat en matière de nationalité

♦ CA Lyon, 2e civ. B, 5 septembre 2024, n° 23/06819 N° Lexbase : A52925YN

Mots-clés : communauté de vie • mariage • nationalité • obligations matrimoniales • réhabilitation légale • violences conjugales

Solution : La communauté de vie, exigée par l’article 21-2 du Code civil pour l’acquisition de la nationalité française par mariage, inclut une dimension matérielle et affective. Des faits isolés de violences conjugales, suivis de la continuité des liens affectifs et d’une réhabilitation légale, ne suffisent pas à établir une rupture de cette communauté.

Portée : Cet arrêt souligne la souplesse laissée aux juges pour évaluer la communauté de vie, conciliant droits du demandeur et obligations matrimoniales, tout en tenant compte des faits répréhensibles et de la réhabilitation.


L'acquisition de la nationalité française par mariage, prévue à l'article 21-2 du Code civil N° Lexbase : L5024IQ7, repose sur une condition essentielle : l’existence d'une communauté de vie affective et matérielle entre les époux. Cette exigence peut être source de tensions lorsque l’un des époux a été condamné pour des faits de violences conjugales. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 5 septembre 2024 N° Lexbase : A52925YN illustre cette problématique avec une analyse nuancée et pragmatique. Malgré une condamnation pour violences en 2014, la cour a confirmé que la communauté de vie entre les époux n’avait pas cessé, permettant à l’époux de nationalité tunisienne d’acquérir la nationalité française. Cet arrêt met en lumière la difficulté d’évaluer l’articulation entre continuité de la vie commune, gravité des faits répréhensibles et réhabilitation légale.

La cour a été saisie d’un recours formé par le ministère public contre un jugement de première instance ayant accordé la nationalité française à un Tunisien, marié à une ressortissante française depuis 2012, ce dernier ayant souscrit une déclaration acquisitive de nationalité en 2019. Le ministère public contestait l’acquisition de la nationalité française en invoquant des faits de violences conjugales survenus en 2014, incompatibles avec l’obligation de secours et d’assistance découlant de l’article 212 du Code civil N° Lexbase : L1362HIB. Ces violences avaient donné lieu à une condamnation à trois mois de prison avec sursis, suivie d’une réhabilitation légale.

La réhabilitation légale, prévue aux articles 133-12 et suivants du Code pénal N° Lexbase : L2172AME, permet de faire disparaître une condamnation pénale ainsi que ses conséquences. Elle intervient de plein droit après l’écoulement d’un certain délai, sous réserve de l’absence de récidive [1]. Toutefois, la réhabilitation n’empêche pas la prise en compte de la condamnation en cas de nouvelles poursuites. En l’espèce, elle avait été acquise en 2019, étant précisé que le délai légal était respecté et qu’aucune récidive n’avait été constatée. Les premiers juges, tout en reconnaissant la gravité des faits, avaient conclu que la communauté de vie affective et matérielle n’avait pas cessé, en s’appuyant sur des éléments concrets tels que la cohabitation continue, la naissance de trois enfants après 2014 et les attestations de l’épouse confirmant l’absence de récidive.

La cour d’appel a confirmé cette analyse en estimant que la communauté de vie, exigée par l’article 21-2 du Code civil pour l’acquisition de la nationalité, ne se limitait pas au seul devoir de cohabitation, au sens matériel du terme. Elle comprend également un élément intentionnel, à savoir la volonté de vivre en union. Cette communauté de vie implique de mettre deux vies en commun, tant sur le plan matériel qu’affectif [2]. Les juges ont adopté une approche globale, prenant en compte la durée et la stabilité de la relation conjugale, tout en qualifiant les violences de 2014 comme des faits isolés. Si ces actes sont évidemment incompatibles avec les devoirs matrimoniaux, leur caractère ponctuel et la continuité des liens affectifs entre les époux ont conduit à reconnaître que la communauté de vie n’avait pas cessé.

Cette décision, en confirmant l’acquisition de la nationalité, met en lumière l’équilibre délicat que doivent trouver les juges entre droits du demandeur et respect des devoirs matrimoniaux. Elle souligne également l’importance de la réhabilitation légale et de l’absence de récidive. Cependant, elle soulève des interrogations quant à la prise en compte des violences conjugales dans les procédures de nationalité. Tous les faits de violences ne sont pas toujours rapportés, ce qui rend délicate l’appréciation de leur véritable impact sur la communauté de vie. En reconnaissant la continuité de cette dernière malgré des violences passées, les juges adoptent une position prudente, mais qui pourrait susciter des interrogations sur le respect et la protection des devoirs matrimoniaux.

Sur le plan juridique, cet arrêt éclaire l’articulation entre l’exigence de communauté de vie et les faits de violences conjugales dans les procédures d’acquisition de la nationalité française. Il rappelle que l’appréciation de cette communauté repose sur des éléments objectifs et subjectifs, tout en tenant compte des spécificités de chaque situation. Cette approche rigoureuse confirme que la continuité des liens conjugaux peut primer sur des faits isolés de violences, dès lors qu’ils restent exceptionnels. Néanmoins, la portée de cette décision dépasse le cadre individuel en ce qu’elle illustre l’équilibre délicat que les juges doivent rechercher dans l’appréciation de la communauté de vie lorsqu’elle est entachée par des faits de violences conjugales, même isolés. Si la réhabilitation légale permet d’atténuer les effets de la condamnation, elle ne saurait totalement effacer la gravité des actes commis ni leur possible impact sur la relation conjugale. Cet arrêt met ainsi en exergue la nécessité pour les juges d’évaluer ces situations avec une approche globale et nuancée.

Par Aurore Camuzat

 

[1] S. Guinchard et T. Debard (dir.), Lexique des termes juridiques 2024-2025, 32e éd., Dalloz, 2024, p. 934.

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, Droit de la famille, 8e éd., LGDJ, coll. « Droit civil », 2022, pp. 777-781, n° 1223-1229.

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