La lettre juridique n°549 du 28 novembre 2013 : Droits de douane

[Evénement] Sensibiliser les clients face aux risques douaniers et aux enjeux de compétitivité liés à leurs opérations internationales - Compte rendu de la réunion de la Commission ouverte fiscal et douanier du barreau de Paris du 8 novembre 2013

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[Evénement] Sensibiliser les clients face aux risques douaniers et aux enjeux de compétitivité liés à leurs opérations internationales - Compte rendu de la réunion de la Commission ouverte fiscal et douanier du barreau de Paris du 8 novembre 2013. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/11461971-evenement-sensibiliser-les-clients-face-aux-risques-douaniers-et-aux-enjeux-de-competitivite-lies-a-
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 28 Novembre 2013

Le 8 novembre 2013, la Commission ouverte de droit fiscal et douanier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris a accueilli deux avocats pratiquant au quotidien le droit douanier, si mal connu des fiscalistes et qui mériterait pourtant qu'on y prête plus attention. En effet, si aujourd'hui il n'est question que de la mondialisation, les pouvoirs régaliens des Etats n'ont pas disparu, et la perception de droits de douane ou taxes d'effet équivalent représente encore pour certains Etats une source substantielle de revenus budgétaires, et pour d'autres un des instruments de guerre économique dont la signature de multiples (en nombre et en forme) accords de libre-échange ne fait que traduire la réalité. Ainsi, franchir une frontière signifie entrer dans un autre monde juridique, et ce passage est notamment matérialisé par le traditionnel passage en douanes. N'importe quel bien, brut ou transformé, à forte ou faible valeur, n'entre pas impunément dans un Etat ou dans une région économique donnée. Les douanes sont l'un des acteurs majeurs et incontournables du commerce international. Or, ce monde est mal connu des fiscalistes, qui accompagnent les projets des entrepreneurs de façon à rentabiliser au maximum le déploiement de leurs efforts. La rencontre avec Bertrand Rager et Fabien Foucault a enthousiasmé l'auditoire présent à la bibliothèque de l'Ordre, qui a bu leurs paroles et en est sorti quelque peu étonné par la réalité du métier de leurs... confrères. I - Aperçu des problématiques du droit douanier

Chaque intervenant a présenté son métier, son travail de tous les jours, et a ainsi fait ressortir les problématiques soulevées par le droit douanier, dont il est certain qu'elles influencent les choix économiques des entreprises plus -ou en tous cas d'une manière toute autre- que ne le fait le droit fiscal. Cette affirmation prend tout son sens lorsque l'on réalise que le droit douanier affecte la pratique de la plupart des services de l'entreprise qui font de facto des choix douaniers au quotidien... sans, malheureusement, souvent le savoir : sourcing, achats, fabrication, sécurité, comptabilité-finances, juridique, logistique, supply chain, sécurité, IT etc..

Bertrand Rager partage avec le public de la Commission ouverte son expérience en matière d'avocat conseil en ingénierie et droits douaniers. Il rappelle dans un premier temps les trois fondamentaux : tout d'abord, il convient de qualifier, au regard du droit douanier, le produit (lui attribuer son espèce tarifaire). Définir ensuite, son origine et enfin, déterminer sa "valeur en douane". Maître Rager présente ensuite, après nous avoir fait voyager dans le prisme des accords de libre-échange quelques procédures particulières (régimes économiques douaniers) et statuts particuliers propres à cette matière.

A - Le classement douanier de l'objet

Un objet va être commercialisé dans un autre pays. Quel objet ? Le droit douanier est ainsi fait qu'il classe les produits selon une nomenclature mondiale très précise : le système harmonisé (SH) de l'Organisation mondiale des Douanes (OMD). Les règles juridiques attachées à cette qualification vont nécessairement créer le besoin de recourir à un ingénieur, qui devra expliquer à l'avocat les composants du produit, et son utilisation. Par exemple, une pièce de colonne de direction de certains camions peut être utilisée dans des véhicules de combat et par des groupes militaires. Il est primordial de savoir qui est le destinataire et/ou l'utilisation finale du produit : sera-t-il utilisé à des fins civiles ou à des fins militaires ?

Une autre difficulté technique posée est la gestion des données de nature douanière dans les ERP (enterprise ressources planning -progiciels de gestion intégrés), comme SAP ou Oracle par exemple. Ces derniers ne sont pas toujours adaptés au droit douanier, à ses modalités déclaratives nationales et aux logiciels proposés localement par chaque administration douanière.

La qualification fait appel à deux sources du droit, en Union européenne : le Code des douanes communautaire (Règlement (CE) n° 2913/92 du Conseil du 12 octobre 1992, établissant le Code des douanes communautaire N° Lexbase : L6102AUK ; d'ici deux ans "Code de douanes de l'Union"), qui est l'un des plus anciens codes de l'Union, et les codes douaniers nationaux. A noter d'ailleurs que le droit douanier est aussi régi par des règles internationales, découlant notamment de l'OMC (Organisation mondiale du commerce) et de l'OMD.

Les biens à double usage, comme la colonne de direction susmentionnée, obéissent à une autre réglementation communautaire dont le respect est vérifié par la douane notamment en termes de production des certifications et autorisations requis pour être exportés. Les licences ainsi distribuées entraînent des délais (d'une à plusieurs semaines), qui impactent tout processus de distribution internationale.

B - L'origine de l'objet

La deuxième question à se poser, une fois que le produit a été classé dans la nomenclature douanière, est celle de son origine.

L'Union européenne a une véritable politique en matière douanière. Elle souhaite aider les pays moins développés économiquement. Cette aide peut prendre deux formes : bilatérale ou unilatérale. Ainsi, un système de préférences généralisé 5SPG comportant trois niveaux a été mis en place : les pays faibles économiquement peuvent ainsi exporter leurs produits qui entrent alors dans le territoire douanier de l'Union sans payer de droits de douane. Pour ceux qui sont un peu plus forts économiquement, un système réciproque est mis en place. Des accords de libre-échange sont signés, permettant une franchise de taxe pour les importations et pour les exportations. Enfin, ces accords peuvent prévoir, en lieu et place d'une franchise totale, une franchise partielle, ou une franchise ciblée sur certains produits. Dans ce contexte, il est indispensable de connaître l'origine du produit. En effet, aujourd'hui, il est possible d'importer des pièces dans un pays et de construire une partie de ce produit sur place, puis l'envoyer dans un autre d'où il recevra d'autres pièces, fabriquées dans d'autres pays. Quelle est, in fine, l'origine -au sens douanier- de ce produit fini ? Ses composantes viennent du monde entier, il est monté dans un Etat, son "packaging" est effectué dans un autre, et enfin un dernier Etat sert de plateforme de distribution. Les accords de libre-échange prévoient la définition de l'origine du produit. Par exemple, le produit est considéré être d'origine marocaine si seulement 20 % de ses composants proviennent de pays tiers. Le pourcentage varie selon les Etats et les produits. En outre, d'autres critères peuvent s'ajouter, comme celui de la valeur ajoutée sur place, ou du transport direct (critère qui risque de ne pas être rempli lors de l'utilisation de "hub" ou plateforme logistique régionale).

C - La valeur de l'objet

La valeur est une notion bien connue des comptables et des fiscalistes, ainsi que des spécialistes du droit douanier, mais elle n'a pas la même définition selon le professionnel qui l'utilise. Les fiscalistes et les douaniers sont partagés sur cette notion, entre flirt et friction. Pour les fiscalistes, la valeur renvoie à la problématique des prix de transfert, qui occupe leur esprit pendant de longues heures. En matière de droits de douane, la valeur correspond au prix payé ou à payer des marchandises importées. La facture ne vaut pas valeur ; il faut prendre en compte tous les frais et toutes les recettes attachés au produit. La notion de valeur ajoutée est parfois utilisée dans les accords de libre-échange, et un pourcentage de cette valeur ajoutée doit provenir du pays auquel une préférence est accordée. La formule de la valeur ajoutée est la suivante : coût de production (avant marge) - valeur en douane.

Il faut aussi faire attention au concept de sociétés liées, qui n'est pas défini de la même manière en droit fiscal qu'en droit douanier. Pour ce dernier, le lien entre sociétés peut ressortir d'un contrôle, voire d'intérêts communs (le lien capitalistique joue aussi, bien sûr, mais la notion de lien est plus large qu'en fiscalité).

Un importateur ou un exportateur peut demander à recevoir une certification "OEA". Il s'agit d'une sorte de norme ISO douanier. Dérivé du programme SAFE de l'OMD, l'OEA européen connaît des "cousins" au Japon, aux Etats-Unis, au Canada, etc.. Elle peut faciliter les opérations douanières, car ces Etats ont conclu entre eux des accords de reconnaissance mutuelle de cette certification. Un autre statut douanier, celui d'exportateur agréé, peut être obligatoire pour bénéficier de certains accords de libre-échange, par exemple dans les échanges entre l'Union européenne et la Corée du Sud. En effet, seul ce statut permet la certification d'origine sur factures requise aux termes de l'accord.

D - Les procédures particulières du droit douanier

Concernant le classement et l'origine d'un produit, il est possible de demander à l'administration des douanes qu'elle émette un "renseignement tarifaire contraignant" (RTC) ou un "renseignement contraignant sur l'origine" (RCO). Ces documents, que l'on peut rapprocher du rescrit fiscal, sont opposables dans tous les Etats membres de l'Union européenne.

Les régimes économiques douaniers sont intéressants à connaître.

- Le régime du perfectionnement actif ou passif. Le produit entre ou sort de l'UE uniquement pour y recevoir un traitement intermédiaire. Dans ce cas, les droits de douane ne portent que sur la valeur ajoutée lors du retour du produit ouvré dans le pays de départ.
- Le régime de transit. Aucun droit de douane n'est perçu si le produit ne fait que passer par la France, mais qu'il ne s'agit pas de son pays de destination (pour transformation ou commercialisation).
- Le régime d'ouvraison sans douane. Des composants importés en France seront soumis à droits de douane plus élevés que le produit fini pour la fabrication duquel ils sont importés. En les plaçant sous ce régime, l'importateur va économiser le différentiel de droits de douane.
- Le régime d'importation temporaire. Un salon, une foire, un évènement est organisé dans lequel le produit sera présenté. L'importation du produit pour démonstration ne fait pas l'objet de droits de douane.
- Les différents régimes d'entrepôt.

Pour terminer sa présentation, Bertrand Rager conseille aux avocats fiscalistes et à leurs clients de conserver les documents d'exportation et d'importation, car leur conservation peut avoir de gros impacts en matière de TVA. En effet, les exportateurs et importateurs font souvent appel à des commissionnaires en douanes, qui s'occupent des aspects douaniers d'une opération. Les factures que ces derniers délivrent ne permettent pas à elles seules de démontrer la sortie du territoire, condition de l'exonération de TVA à l'export ou, à l'import, une déduction de TVA.

II - Aperçu du contentieux douanier

Les avocats en général, les fiscalistes en particuliers, connaissent bien la dichotomie dont est frappé leur métier, classant d'un côté le "conseil" et de l'autre le "contentieux". Il en est de même en matière douanière. Maintenant que la partie conseil en douanes a été présentée, c'est au tour de Fabien Foucault de partager avec l'auditoire de la Commission ouverte son expérience en matière de contentieux douanier. La principale donnée à maîtriser en matière de contentieux douanier est la suivante : il s'agit d'une matière pénale.

A - Le contrôle douanier

Plusieurs administrations douanières peuvent intervenir en France, en plus de l'administration nationale : l'OLAF (Office européen de lutte anti-fraude), organisme de l'UE, qui peut contrôler le respect de la réglementation sur les droits anti-dumping (certains produits font l'objet d'une surtaxation douanière sur le territoire de l'Union). De plus, dans le cadre des accords préférentiels, les autorités douanières étrangères peuvent être autorisées à contrôler des entreprises françaises en France. En ce qui concerne notre administration des douanes, elle peut faire intervenir son service national ou local.

Les similitudes entre les contrôles fiscaux et les contrôles douaniers sont nombreuses. Néanmoins, deux points fondamentaux pour les fiscalistes sont omis par la procédure douanière : l'avertissement du contrôle avant que ce dernier n'ait lieu, et le débat oral et contradictoire.

Concernant le droit de communication comme cela est possible en matière fiscale, l'article 65 du Code des douanes (N° Lexbase : L5657H9E) permet notamment à l'administration d'avoir accès aux informations contenues sur un support numérique.

Au cours d'un contrôle douanier, l'administration rédige des procès-verbaux qui font foi jusqu'à inscription de faux. Il s'agit de constats administratifs. Il est essentiel de vérifier le contenu de ces constats, et de mentionner sur le procès-verbal toute contestation de son contenu.

Les douanes ont le droit d'auditionner les personnes en présence lors d'un contrôle, mais ces dernières peuvent refuser de coopérer. En cas de flagrant délit d'infraction ou d'autorisation par le juge des libertés et de la détention, les douaniers peuvent procéder à des perquisitions.

La charte du contrôle douanier, disponible sur le site des douanes, prévoit que la personne contrôlée a droit à un conseil, mais cette charte n'a pas de valeur juridique.

A la fin du contrôle, l'administration remet au contribuable un avis de résultat d'enquête, auquel il est possible de répondre dans le délai d'un mois. Ce délai ne peut pas être prolongé sur simple demande, comme c'est le cas en matière de procédures fiscales. Passé ce délai, un procès-verbal de notification d'infraction est dressé, qui correspond à la réponse aux observations du contribuable, et qui précise notamment les sanctions pénales applicables. Le contribuable a dix jours pour payer les droits et taxes. Mais, selon l'intervenant, il ne doit surtout pas les payer ! En effet, il convient d'attendre la réception de l'avis de mise en recouvrement (AMR), qu'il est possible de contester pendant trois ans. Si les amendes sont payées avant, il n'est plus possible de contester l'AMR. Une fois l'AMR reçu, le contribuable peut demander un sursis à paiement, en constituant des garanties.

Contrairement à la procédure fiscale, il n'existe pas avant l'émission de l'AMR de recours au supérieur hiérarchique, ni à l'interlocuteur départemental, ni à une commission départementale. Après la notification de l'infraction, il existe bien une commission, qui peut être saisie, composée d'un magistrat et de deux assesseurs, mais elle ne rend qu'un avis oral à l'audience, suivi d'un avis écrit dans le délai d'un mois environ, qui ne lie pas l'administration, cette dernière n'éprouvant aucune difficulté à ne pas suivre cet avis.

En cas de contestation d'AMR, l'administration a six mois pour répondre. Ensuite, et si aucune solution n'est trouvée, le contribuable et les douanes vont devant le TGI. Attention, maître Foucault insiste sur le fait qu'en parallèle de cette procédure, peut se tenir une procédure pénale.

Il est important de noter que les douanes procèdent parfois à des contrôles avec d'autres administrations. C'est très rare que les douanes se couplent avec l'administration fiscale, mais c'est plus fréquent avec la DGCCRF (administration compétente en matière de concurrence). Il est nécessaire de vérifier que chaque administration n'outrepasse pas ses pouvoirs.

Concernant enfin les archives douanières, Fabien Foucault conseille de ne garder les documents prescrits par les règles douanières que pendant trois ans, car c'est le temps prévu par le Code des douanes communautaire, (sauf pour les documents utiles en matière de TVA).

B - La transaction

Les fiscalistes présents à cette commission ouverte, profanes en droit douanier, savaient toutefois une chose : les transactions se passent plus facilement avec l'administration des douanes qu'avec l'administration fiscale.

Fabien Foucault porte un frein aux velléités des fiscalistes : ne pas se lancer dans une procédure de transaction avec l'administration des douanes si on n'est pas un spécialiste de la matière. En effet, la transaction est une négociation, les montants sont personnalisés. Il n'y a pas de règles comme en droit fiscal : il n'y a pas de montant officiel ; tout est du cas par cas.

Si la transaction tourne mal et qu'elle se bloque, la personne redressée peut contester l'AMR devant le TGI, selon une procédure classique sans représentation obligatoire. Toutefois, il faut bien avoir à l'esprit que le droit douanier est une matière pénale. Toute erreur constitue une infraction, et la personne redressée doit rapporter la preuve de sa bonne foi.

Il faut bien comprendre que la teinture pénale du droit douanier en fait une matière très dure, difficile à maîtriser devant un tribunal, avec des montants colossaux (amende dont le montant est fixé à deux fois la valeur de la marchandise). C'est aussi pour cela que la transaction est une procédure tant utilisée et qu'elle aboutit à des résultats souvent satisfaisants.

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