La lettre juridique n°549 du 28 novembre 2013 : Avocats/Accès à la profession

[Evénement] Rapport sur la réforme de l'accès initial à la profession d'avocat : le cri d'alarme de Christiane Féral-Schuhl

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[Evénement] Rapport sur la réforme de l'accès initial à la profession d'avocat : le cri d'alarme de Christiane Féral-Schuhl. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/11461991-evenement-rapport-sur-la-reforme-de-lacces-initial-a-la-profession-davocat-le-cri-dalarme-de-christi
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef

le 28 Novembre 2013

Le 19 novembre 2013, les journalistes ont été appelés à se rendre à la Maison du barreau, dans le 1er arrondissement de Paris, pour participer à une conférence de presse portant sur le rapport sur la réforme de l'accès initial à la profession d'avocat. Ce rapport, dont la rédaction a été demandée par Christiane Féral-Schuhl, Bâtonnier de Paris, en septembre/octobre 2012, est paru, dix à douze mois après, et alarme le barreau de Paris. L'accès initial (et non dérogatoire) à la profession d'avocat est souvent critiquée, mais encore aucun écrit n'appuyait ces critiques par des chiffres, faute de consolidation des données. Ce travail a été mené, et il en ressort qu'à Paris, premier barreau de France, le nombre d'élèves avocat obtenant le CAPA est en constante augmentation. Or, le marché n'est pas capable d'absorber cette masse de nouveaux avocats. Il en résulte des difficultés à trouver une collaboration, des rémunérations insatisfaisantes, des problèmes d'intégration et de bien-être dans la profession. Kami Haeri, membre du conseil de l'Ordre, auteur du rapport, et le Bâtonnier de Paris ont présenté le rapport, paru le même jour. I - La genèse du rapport sur la réforme de l'accès initial à la profession d'avocat

Madame le Bâtonnier fait trois constats. Tout d'abord, les jeunes avocats rencontrent des problématiques de précarité et des difficultés à s'intégrer, avec des revenus qui stagnent, voire baissent. En 2012, 1 750 élèves avocats ont été recensés. Durant le Bâtonnat de Christiane Féral-Schuhl, 4 500 nouveaux avocats sont venus grossir les rangs de l'avocature. Ensuite, le barreau de Paris n'a aucune maîtrise sur l'entrée dans la profession. En effet, ce sont les IEJ, au travers des universités, qui gèrent l'admission des étudiants à la formation des élèves avocats. Le barreau ne maîtrise que son tableau. En 2012-2013, les 200 000 étudiants en droit sont 80 % à souhaiter devenir avocats. Ce chiffre reflète une belle attractivité de la profession, certes. Le barreau de Paris est brigué annuellement par 1 750 élèves avocats, sans compter les accès dérogatoires à son tableau (via les transferts depuis les autres barreaux, notamment). A ce rythme, en 2020 la profession d'avocat comptera, à Paris, 35 000 membres. Enfin, ces chiffres mettent en cause la qualité de la formation au métier d'avocat. D'où le cri d'alerte de Christiane Féral-Schuhl, qui met en garde contre la précarisation de la profession, et les difficultés de l'EFB à offrir à chaque élève la formation qu'il attend et qui lui servira à exercer son métier en conformité avec les règles de la profession et les règles du droit. Il est urgent de repenser le mode de sélection, et de se demander si ce seul point est suffisant pour réformer l'accès initial au métier d'avocat.

Le rapport fera l'objet d'un vote au Conseil national des barreaux le 15 janvier 2014. Les propositions défendues par le barreau feront donc l'objet d'un examen au niveau national.

L'année dernière, le barreau s'est déplacé dans le grand amphithéâtre de l'Université Paris 2 Panthéon-Assas, pour s'adresser aux 800 étudiants présents. Ces derniers demandent à ce que soit fait une sélection le plus tôt possible. Parce qu'il est difficile d'entendre que la porte à la profession est fermée après sept à huit ans d'études. Un système d'égalité est aussi à mettre en place, avec un examen national, et non par barreau. Il faut repenser la sélection.

En outre, la profession d'avocat, et tout citoyen français d'ailleurs, avance dans un contexte européen. Une réflexion sur le statut de l'avocat au niveau européen pousse à la détermination d'un dénominateur commun entre les professions dans les pays d'Europe. Ce dénominateur commun se heurte au périmètre de l'action de l'avocat. Alors qu'en Allemagne, par exemple, l'avocat peut aussi être notaire et avocat en entreprise, en France ce n'est pas le cas. Il faut donc élargir le périmètre du droit en France. Un millier d'avocats exercent dans deux Etats. Il serait logique, au vu de la mobilité croissante de la profession, de déterminer le dénominateur commun à toute l'avocature.

Le rapport est publié à un moment clé, car les avocats de Paris attendent un signal fort. Le débat sur l'accès à la profession peut sembler corporatiste, mais il n'en est rien. Le justiciable est en droit d'être conseillé par un professionnel qui a un vrai savoir-faire, acquis au cours d'une formation et d'une expérience de qualité. Cette question de la qualité du service presté est fondamentale.

II - Le contenu du rapport sur la réforme de l'accès initial à la profession d'avocat

Le rapport apporte une vision globale sur l'admission générale, et traite aussi de l'admission dérogatoire mais à moindre échelle, cette dernière étant marginale. Il servira de base à une réflexion poussée sur les conditions dans lesquelles la profession accueille les jeunes et comment elle dialogue avec les universités. Car en réalité, c'est le droit à l'épanouissement des jeunes qui est menacé. Le sujet traité par le rapport est sociétal et passionnel. Les informations statistiques manquaient, et il a fallu, en amont, les collecter et les consolider pour prendre des décisions éclairées.

La méthodologie du rapport a conduit à commencer par recueillir les chiffres des universités parisiennes, puis à étendre cette quête à celles situées dans la ceinture de Paris, dont les élèves avocats exercent fréquemment dans la capitale.

Les réflexions du rapport ont vocation à s'étendre à tout le territoire français.

A - Les chiffres de la profession

Dans les IEJ, la tendance est à l'augmentation des inscriptions. Toutefois, il est nécessaire de bien comprendre leur fonctionnement. L'étudiant s'inscrit administrativement à l'institut, ce qui lui permet d'avoir une convention de stage par exemple. Ensuite, il doit s'inscrire pédagogiquement, pour pouvoir présenter le CRFPA. Enfin, il doit se présenter au CRFPA. Chaque étudiant peut se présenter trois fois à cet examen.

Le premier constat du rapport est la décote importante entre le nombre d'inscrits administratifs et celui de ceux qui passent effectivement le concours. Ce dernier connaît, à Paris, un taux de réussite qui se situe entre 42 et 46 %.

Depuis 1982, le nombre d'inscrits à l'EFB est croissant. En 2005, un arrêté a fixé les conditions d'accès à l'examen (arrêté du 7 décembre 2005, fixant le programme et les modalités de l'examen d'aptitude à la profession d'avocat N° Lexbase : L1957ITN). En 2009, 1 351 élèves avocats étaient inscrits. En 2014, ils devraient être 1 900. En 1982, ils étaient 254... Il est intéressant de noter que l'EFB représente le "troisième barreau de France", le premier étant Paris, et le deuxième comptant 2 500 membres (l'ODA de Lyon). C'est donc l'équivalent d'un barreau qu'il faut former à Paris tous les ans, et la grande majorité d'entre eux pénètrera le marché de l'avocat.

L'augmentation des élèves a tendance à affaiblir la qualité de la formation. En effet, l'organisation matérielle de cette dernière devient plus compliquée. Certains amphithéâtres ne sont pas pourvus de places en nombre suffisant pour accueillir tous les élèves, il faut donc donner accès aux derniers à des salles dans lesquelles le cours est retransmis par écran. En outre, les élèves avocats sont très demandeurs d'une certains proximité avec leurs professeurs, qu'ils ne peuvent pas leur offrir.

Le CNB souhaiterait que la formation des élèves avocats passe de 18 mois actuellement à 12 mois. Cette formation plus courte est appelée de ses voeux par le "rapport Bédry" sur la proposition de réforme de l'accès aux écoles d'avocats, présenté par le Bâtonnier Jean-Marie Bédry les 15 et 16 juin 2012, qui préconise une formation théorique de quatre mois. Aujourd'hui, c'est impossible.

Concernant l'intégration à la profession, les chiffres manquent, faute de traçabilité des élèves. En revanche, le rapport présente les chiffres d'inscription au tableau du barreau de Paris. Sur le nombre d'inscriptions, il a été ôté le nombre de départs, et ajouté les accès dérogatoires. D'après la progression de ces chiffres, l'année 2020 risque de connaître 35 000 avocats inscrits au barreau de Paris, c'est-à-dire 7 000 à 8 000 avocats de plus. Ces chiffres sont préoccupants, au regard des défis d'intégration aujourd'hui constatés.

Sur la question des revenus des avocats, il est ressortit des chiffres communiqués que le revenu moyen d'un jeune avocat stagne. La précarisation prend donc de l'ampleur. Pour fonder cette remarque, il est possible de noter la recrudescence des sites proposant des consultations juridiques à bas coût, avec des avocats payés à la minute de conversation téléphonique. Depuis 2008, année enregistrant un revenu moyen de 25 646 euros, la rémunération baisse, et n'a plus jamais atteint ce niveau. Il est, en 2012, de 25 609 euros, après avoir chuté en 2009 à 24 300 euros annuels. La peur de l'échec est aussi constante. Le barreau de Paris a enregistré 6 000 avocats recevant moins de 17 000 euros par an au titre de l'exercice de leur métier. Les jeunes avocats reprochent aux anciens de les avoir fait entrer dans une profession sans les accompagner. Ce reproche est plus véhéments aux Etats-Unis, où il se traduit en actions : des class actions sont en cours de constitution pour attaquer les law schools pour publicité mensongère, car les promesses qu'on leur a tenues ne sont pas respectées dans la vie active.

B - Les propositions du barreau de Paris

Quelles sont les propositions du rapport ? Les rédacteurs du rapport ont discuté avec les universités, qui ne sont pas d'accord avec toutes les initiatives présentées.

Il serait nécessaire d'harmoniser l'examen du CAPA au niveau national, et de le rendre plus sélectif. Aujourd'hui, c'est le CRFPA, examen organisé par les universités et les IEJ, qui est sélectif. En effet, 99 % des personnes ayant le CRFPA obtiennent le CAPA. Cet examen coûte, de plus, 450 000 euros par an, alors que seules dix personnes n'y sont pas admises. C'est une perte de ressources injustifiée.

De plus, le CRFPA doit faire l'objet d'une réappropriation par le barreau. Une étude d'impact pourrait éclairer les opportunités soulevées par ce point. Les universités, évidemment, ne sont pas toutes optimistes face à cette proposition. En effet, elles garderaient le contrôle sur l'organisation des épreuves, mais la mise en place d'une telle homogénéisation coûterait deux millions d'euros. Toutefois, pour certains directeurs d'IEJ, il existe un vrai problème de sélection. La proposition ne suscite pas l'unanimité, ni dans un sens positif, ni dans un sens négatif.

Les autres mesures proposées portent sur l'examen lui-même. Un étudiant peut se présenter trois fois au CRFPA, pour tenter d'entrer à l'EFB. Or, la pratique veut qu'au dernier passage, un étudiant sera privilégié, et bénéficiera d'un avantage, car c'est sa dernière chance. Deux tentatives seraient suffisantes.

Il serait aussi envisageable de réduire le nombre d'épreuves. Les spécialisations sont utilisées pour compenser des notes mauvaises aux grandes matières. Elles mobilisent beaucoup de professeurs. Supprimer les épreuves de spécialités permettrait de recentrer les épreuves sur la note de synthèse, le droit des obligations ou la procédure, au choix, le grand oral (épreuve de déontologie) et l'épreuve de langue (avec un zéro technique). La spécialisation se fait en master 2, en stage, dans les premières années d'exercice. Pas au CAPA. De plus, nombreux sont les étudiants qui se sont spécialisés dans un domaine dans lequel ils n'exercent plus du tout en tant qu'avocat, car au gré des dossiers ils se sont spécialisés dans une autre branche du droit.

La dernière proposition du barreau est de décaler le passage de l'examen d'admissibilité au mois de juillet, plutôt qu'au mois de septembre. Cela aurait pour conséquence de limiter le nombre d'admissible (et, par conséquent, d'admis), aux "meilleurs étudiants", ceux qui ont travaillé toute l'année, et qui n'ont pas recouru aux propositions de "bachotage" des prépas d'été. Les universités sont très favorables à cette proposition.

Madame le Bâtonnier explique qu'un observatoire de la profession vient d'être créé, qui doit constater le phénomène de spécialisation des étudiants durant leurs études et dans la pratique. Une confrontation des chiffres pourrait donner la tendance du marché : quelle branche du droit est le plus en demande de collaborateurs ? Laquelle est saturée ? Ces données serviraient à mieux orienter les étudiants. On sait aujourd'hui que les filières de droit social et de droit fiscal sont les plus accueillantes. Le droit public l'est de plus en plus. Mais ces données changent. De même, les nouveaux métiers de l'avocat, comme l'avocat correspondant informatique et libertés, ou l'avocat agent sportif, attirent beaucoup de jeunes.

Il est important de souligner qu'aujourd'hui, 30 % des entrants de la profession d'avocat quittent la profession dans les dix ans suivant leur première inscription au tableau. Quelles en sont les raisons ? Les motifs de départ sont liés à un mal vécu de la profession, parce qu'il est difficile de trouver une collaboration, parce que les conditions de cette collaboration sont dures, parce qu'il est compliqué de concilier la vie professionnelle et la vie privée, etc.. Certains n'aiment tout simplement pas ce métier, ou n'ont pas pu se développer dans la filière qui les intéressait. La proportion de ces départs est un nombre important, car c'est le barreau qui assume le coût de la formation. Le CAPA est aussi convoité car il est un sésame qui permet l'accès à de plus en plus d'entreprises. Il est dommage que ce diplôme ne soit pas plus utilisé pour l'exercice de la profession dont il est censé sanctionner les aptitudes.

Sur le sujet du numerus clausus, il ne sera pas mis sur la table durant le Bâtonnat de Christiane Féral-Schuhl, qui n'est pas favorable à ce type de mesure. Une consultation avait été envisagée en octobre, mais le rapport l'a remise en cause, car les chiffres parlent d'eux-mêmes et ont permis l'émergence de propositions. Le CNB se prononcera le 15 janvier 2014 sur le rapport, il manque donc en plus de temps pour organiser un tel évènement.

Le rapport possède deux points de convergence avec le CNB : la mise en place d'un examen national et la réduction du nombre d'épreuves. Le rapport du CNB ("rapport Bédry", précité) avait créé un débat sur le maintien de l'épreuve d'anglais dans l'accès initial à la profession, mais il ne serait pas envisagé de supprimer cette matière.

La conciliation se fera le 15 janvier 2014, avec le vote du CNB sur le rapport. Pour l'instant, une phase de conciliation et de proposition s'ouvre. Verdict l'année prochaine !

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