La lettre juridique n°549 du 28 novembre 2013 : Éditorial

Géolocalisation : nouvelle bérézina de la procédure pénale

Lecture: 4 min

N9555BT3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Géolocalisation : nouvelle bérézina de la procédure pénale. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/11461969-geolocalisation-nouvelle-berezina-de-la-procedure-penale
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Après le séisme du 30 juillet 2011 et la déclaration d'inconstitutionnalité de la garde à vue "à la française", il semble bien que le milieu judiciaro-pénal connaisse une nouvelle secousse, également de grande ampleur, avec l'annulation des mesures de géolocalisation appliquées, dans le cadre d'une enquête préliminaire, en dehors de tout contrôle de l'autorité judiciaire ; annulation ordonnée par la Cour de cassation, par deux arrêts fortement médiatisés du 20 octobre 2013.

La sentence de la Cour suprême est sans ambages : les mesures de géolocalisation portent atteinte à la vie privée et doivent, à ce titre, être réalisées sous le contrôle de l'autorité judiciaire, ce que n'est pas le Parquet qui n'est pas indépendant et poursuit l'action publique. Cette position a été, d'ailleurs, réitérée le 19 novembre 2013, alors que la Haute juridiciton refusait de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité portant justement sur les dispositions des articles 12, 14, 41 et 77-1-1 du Code de procédure pénale qui autorisent une telle mesure de géolocalisation. Et, l'on revient, une nouvelle fois, vers le statut hybride de cette "magistrature debout" qui peine à s'asseoir à la table des autorités judiciaires dites indépendantes.

Dans la première affaire, une enquête avait été ouverte dans le cadre d'une association de malfaiteurs, constituée en vue de la préparation d'actes de terrorisme. Au cours de celle-ci, des officiers de police judiciaire, autorisés par le procureur de la République, avaient adressé, à des opérateurs de téléphonie, deux demandes de localisation géographique des téléphones mobiles utilisés par l'un des protagonistes. Après ouverture d'une information auprès du juge d'instruction, de nouvelles mesures de géolocalisation des téléphones mobiles avaient été pratiquées, en exécution d'une commission rogatoire délivrée par ce magistrat. Dans la seconde affaire, relative à un trafic de stupéfiants, les mêmes mesures de géolocalisation avaient été prises et l'intéressé avait finalement été mis en examen.

C'est que, selon les dires des officiers de police judiciaire, comme des magistrats eux-mêmes, la mesure est chose courante ; on en dénombrerait près de 13 000 par an, rien que pour les affaires de stupéfiants, de banditisme ou de terrorisme. Mais désormais, et en attendant une loi venant alléger la procédure de recours à la géolocalisation, lui conférant, à nouveau, toute son efficacité, le Parquet n'a plus le droit de faire géolocaliser les appels des suspects dans le cadre des enquêtes préliminaires dont il a la charge, au point qu'un grand quotidien national (Le Figaro) titrait, un mois après cette secousse procédurale : Des enquêtes en panne de géolocalisation (sous la plume de Jean-Marc Leclerc). Il faut dire que, nous révèle le journaliste, le ministre de la Justice a souhaité aller au-delà des prescriptions judiciaires du Quai de l'Horloge, pour appliquer cette mesure d'interdiction à l'enquête de flagrance, celle pour recherche des causes de la mort, disparition ou recherche d'un fuyard. La circulaire ministérielle donne, ainsi, instruction au Parquet de ne pas non plus recourir aux "dispositifs dédiés", comme les balises placées sous les véhicules personnes suspectes ; étant entendu qu'aucun juge d'instruction n'autorisera une telle mesure de géolocalisation, sans éléments permettant d'incriminer les individus suivis, alors que cette mesure est, précisément et principalement, requise pour trouver de tels éléments : le serpent se mordant la queue, l'enquête patine...

Reste donc à la Chancellerie à trouver, rapidement, une issue législative à cet imbroglio qui conduit, en attendant, à l'annulation de nombre de procédures. Et, une fois n'est pas coutume, syndicats de police et syndicats de la magistrature marchent main dans la main vers la place Vendôme, pour obtenir une réponse adéquate dans les plus brefs délais. On imagine bien qu'après avoir "tancé" le Garde des Sceaux, le 15 novembre dernier pour l'Union syndicale des magistrats (syndicat majoritaire), et le 22 novembre pour le Syndicat de la magistrature (syndicat le plus influent), lors de leurs traditionnels congrès, les juges, en sous-effectif et à qui il est demandé toujours plus de productivité, n'accueillent pas à bras ouverts la charge de contrôler ces dizaines de milliers de procédures de géolocalisation. La Conférence des procureurs est, également, vent debout sur cette question. Quant aux syndicats de police, ils ne font que relater les nombreuses situations de blocage absurdes dans lesquelles sont conduites des enquêtes préliminaires, voire la simple localisation d'une voiture volée et, pourtant, équipée d'un système de suivi !

Ainsi, ce serait la prochaine loi de programmation militaire qui autoriserait, déjà, le Premier ministre à recourir à la géolocalisation dans le cadre d'enquêtes administratives, qui servirait de véhicule législatif à une prochaine réforme pour la matière pénale. Le texte prévoirait soit qu'à titre exceptionnel le Parquet puisse recourir à une telle mesure, soit que le contrôle s'effectuerait a posteriori. D'ores et déjà, le plus grand discernement est requis, sous cape, de la part des magistrats parisiens et de la "petite couronne", pour tempérer les effets désastreux de la circulaire ministérielle. Après tout, la Cour européenne des droits de l'Homme autorise, elle-même, dans un arrêt, du 2 septembre 2010 (CEDH, 2 septembre 2010, Req. 35623 /05), la géolocalisation comme moyen d'enquête s'il est proportionné à l'acte en cause et limité dans le temps. La Cour estimait, dans cette affaire concernant la loi allemande, que le contrôle judiciaire ultérieur de la surveillance par GPS avait offert une protection suffisante contre l'arbitraire. Elle relevait, également, que l'ingérence dans l'exercice, par le requérant, de son droit au respect de sa vie privée était prévue par la loi. La Chancellerie a donc les clés en main et la plume serve pour rédiger sa copie législative...

newsid:439555

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.