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par Vincent Vantighem
le 19 Septembre 2024
Le dossier est bien ficelé. Recouvert comme il faut. Avec une jolie page de garde. Et il attend sagement sur le bureau du garde des Sceaux. Même en cas de départ prochain, Éric Dupond-Moretti a prévu de le laisser si, d’aventure, son éventuel successeur serait tenté de s’en emparer. Le futur ministre de la Justice de Michel Barnier n’aurait alors pas grand-chose à faire pour présenter à l’Assemblée un « projet de loi renforçant la lutte contre le narcotrafic ».
Ce sera sans doute le dernier fait d’arme d’Éric Dupond-Moretti après plus de quatre ans passés place Vendôme. Marqué par l’évasion spectaculaire de Mohamed Amra, le 14 mai dernier, et la mort de deux surveillants pénitentiaires laissés froids sur le bitume du péage d’Incarville (Eure), l’ancien avocat a passé une partie de son été à plancher sur ce projet de loi qu’il avait promis de pondre avant qu’Emmanuel Macron ne dissolve l’Assemblée et, avec elle, l’horizon de tous ses ministres. Peu importe, l’ex-ténor des assises n’est pas du genre à abandonner.
Passé du parquet national antiterroriste à son cabinet pour quelques mois, l’ancien procureur Jean-François Ricard a donc multiplié les auditions en accéléré pour arriver à un résultat qui vise à renforcer tout l’arsenal législatif contre ce qu’on appelle aujourd’hui la criminalité organisée et qui fait craindre aux autorités de nouveaux faits divers sanglants sur fond de lutte pour le contrôle du trafic de stupéfiants, que ce soit à Marseille (Bouches-du-Rhône), à Grenoble (Isère), ou ailleurs.
150 magistrats déjà fléchés vers un nouveau parquet
En toute logique, la création d’un parquet national de lutte contre la criminalité organisée est la principale mesure de ce projet de loi d’une cinquantaine de pages. Dans l’esprit de l’actuel ministre, cette nouvelle entité juridictionnelle – à l’instar du parquet national antiterroriste (PNAT) ou du parquet national financier (PNF) – devra se saisir des dossiers les plus sensibles, les plus compliqués. De ceux qui figurent dans « le haut du spectre » comme l’appelle un proche du ministre. Mais ce parquet, doté d’un procureur national, aurait aussi un rôle de coordinateur de toutes les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Des JIRS qui deviendraient alors des sortes d’antennes régionales de ce super parquet doté de moyens renforcés.
Car c’est bien ce que prévoit Éric Dupond-Moretti. Chargé de traiter toute la criminalité organisée en lien avec le narcotrafic, ce nouveau parquet bénéficierait de compétences élargies pour pouvoir effectuer de la surveillance de livraisons de drogues (afin de pouvoir remonter les filières) mais aussi pour suivre les collaborateurs de justice, qu’ils s’agissent d’indics de la police ou de repentis, ou encore pour pouvoir bénéficier de techniques spéciales d’enquêtes, notamment en matière de surveillance.
Sur les 1 500 nouveaux magistrats prévus par la loi de programmation de la justice, 150 pourraient d’ores et déjà être fléchés vers ce nouveau parquet et ses antennes afin de mettre un coup d’arrêt au narcotrafic qui menace l’État, d’après un récent rapport parlementaire qui a fait beaucoup de bruit.
Vers la création d’un nouveau délit et d’une nouvelle cour d’assises spéciale
En marge de la création de ce parquet et de sa nouvelle organisation, l’actuel ministre de la Justice prévoit aussi de toucher au Code pénal, notamment en créant un nouveau crime. Celui d’association de malfaiteurs en bande organisée en matière de criminalité organisée, avec une peine pouvant aller jusqu’à vingt ans de réclusion alors que les textes actuels ne permettent pas de dépasser les délais de dix ans.
En parallèle, le projet de loi propose également la création de cours d’assises spécialement composées sur le modèle de ce qui se fait depuis des années déjà en matière de terrorisme. Évidemment, ces cours ne seraient composées que de magistrats professionnels afin d’éviter que des témoins ou des jurés ne puissent être impressionnés, menacés ou retournés par des accusés aux complices trop vindicatifs lors des audiences.
Une prison spécifique pour les gros bonnets de la drogue ?
Dans ce fatras d’idées et de mesures proposées, deux propositions devraient faire l’objet d’âpres négociations si jamais elles venaient à être mises sur la table. La première concerne le fameux statut du repenti, serpent de mer de la Justice depuis des années. Sur le modèle notamment de ce qui se fait en Italie, Éric Dupond-Moretti souhaite que les criminels repentis puissent bénéficier, à l’avenir, d’un changement complet d’identité, et non plus devoir se contenter d’un simple nom d’emprunt. Mais ce qui risque de faire couler beaucoup d’encre, c’est que ce statut serait désormais proposé aux coupables de crimes de sang, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. En tout état de cause, ce serait au magistrat que reviendrait évidemment la décision finale sur l’attribution, ou pas, du statut après discussions.
Enfin, le dernier point du projet – et non des moindres – s’arrête sur le volet pénitentiaire avec la volonté de vouloir multiplier les fouilles systématiques des cellules et de durcir les séjours carcéraux après les révélations sur la vie derrière les barreaux de Mohamed Amra. Mais aussi, pourquoi pas, la création d’une prison spécifique aux gros bonnets du crime organisé. Réponses lors de la nomination du prochain garde des Sceaux et donc au moment de la constitution du Gouvernement de Michel Barnier.
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