Réf. : CA Paris, 5-12, 18 juin 2024, n° 23/14348 N° Lexbase : A88385I8 ; n° 21/22319 N° Lexbase : A88665I9 et n° 23/10583 N° Lexbase : A88635I4
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par Vincent Téchené
le 01 Juillet 2024
► Le 18 juin 2024, la cour d’appel de Paris a rendu ses trois premiers arrêts sur le devoir de vigilance.
Pour rappel, la loi n° 2017-399, du 27 mars 2017 N° Lexbase : L3894LDL a créé un devoir de vigilance des sociétés employant, selon les cas, au moins 5 000 ou 10 000 salariés, codifié à l’article L. 225-102-4 du Code de commerce N° Lexbase : L6675L7D. Ce texte fait obligation à ces sociétés d’établir et de mettre en œuvre dans un plan de vigilance des mesures raisonnables propres à identifier et à prévenir ou atténuer les risques d’atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement résultant de leurs activités et de celles des éventuelles sociétés qu’elles contrôlent.
L’article L. 225-102-4, II du Code de commerce prévoit qu’après mise en demeure de la société de respecter ses obligations en matière de vigilance et si elle n’y a pas satisfait dans le délai de trois mois, toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut demander au juge (le tribunal judiciaire de Paris qui dispose en la matière d’une compétence nationale) d’enjoindre à la société de respecter ses obligations.
La cour d’appel de Paris (chambre 5-12 : contentieux émergents – devoir de vigilance et responsabilité écologique) a été saisie de l’appel de trois décisions du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris qui avait déclaré irrecevables les actions en injonction engagées respectivement à l’encontre des sociétés TotalEnergies (obligation en matière d’émission de gaz à effet de serre), EDF (s’agissant de l’installation de parcs éoliens au Mexique) et VIGIE GROUPE, anciennement SUEZ (pour ses activités au Chili notamment).
Par ces trois arrêts rapportés du 18 juin 2024, la cour d’appel de Paris a donc statué sur les moyens d’irrecevabilité opposés aux demandeurs à l’action.
Dans les décisions concernant les sociétés TotalEnergies (n° 23/14348) et EDF (n° 21/22319), la cour a retenu que la mise en demeure exigée par la loi constituait un préalable prescrit à peine d’irrecevabilité de l’action, et que cette mise en demeure devait identifier de façon claire les manquements reprochés aux sociétés et comporter une interpellation suffisante afin que chaque société puisse le cas échéant se mettre en conformité dans le délai de trois mois, ce qui a été le cas en l’espèce. La cour a ensuite jugé que, si les assignations en justice devaient concerner en substance les mêmes obligations que celles ayant fait l’objet de la mise en demeure, il n’était en revanche pas exigé que l’assignation en justice et la mise en demeure visent le même plan de vigilance en termes de dates. La cour a par ailleurs reconnu le droit de saisir le juge à toute personne justifiant d’un intérêt à agir, après qu’une mise en demeure a été délivrée, peu important qu’elle ne soit pas l’auteur de la mise en demeure.
S’agissant spécifiquement des actions engagées par les collectivités territoriales, la cour, rappelant que leur compétence était circonscrite aux territoires qu’elles administrent, a jugé que seule la démonstration d’un intérêt public local et non d’un intérêt public global leur conférerait le droit d’agir. Il en résulte qu’en présence d’une atteinte affectant l’ensemble de la planète, les collectivités territoriales doivent caractériser une atteinte spécifique ou un retentissement particulier du risque sur leur territoire. La circonstance que leur territoire subit indistinctement les effets néfastes du phénomène ne suffit pas à caractériser leur intérêt à agir.
Dans les affaires concernant les sociétés TotalEnergies et EDF, la cour a ainsi déclaré certains demandeurs recevables à agir, de sorte que, sous réserve d’un éventuel pourvoi en cassation, le débat sur le bien-fondé des mesures sollicitées va pouvoir se tenir devant le tribunal judiciaire de Paris.
En revanche, dans l’affaire concernant la société VIGIE GROUPE (n° 23/10583), la cour a confirmé l’irrecevabilité de l’action, cette dernière n’ayant pas qualité à défendre. En effet, l’assignation aux fins de modification du plan de vigilance a été délivrée à la SAS Suez Groupe (devenue la SAS VIGIE GROUPE), alors que le plan objet du litige avait été établi et mis en œuvre par sa société mère, la SA Suez, qui s’est ainsi reconnue débitrice naturelle de l’obligation visée à l’article L. 225-102-4, I du code de commerce. Il en résulte que la filiale n’avait pas qualité à défendre à l’action.
La compétence exclusive du tribunal judiciaire de Paris en la matière a été instituée par la loi n° 2021-1729, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l’institution judiciaire N° Lexbase : Z459921T qui a, en son article 56, créé l’article L. 211-21 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L1651MAE ; selon lequel « Le tribunal judiciaire de Paris connaît des actions relatives au devoir de vigilance fondées sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 N° Lexbase : L3956LDU du Code de commerce ». Peu de temps avant ce texte, la Cour de cassation avait jugé que l’établissement et la mise en œuvre d’un plan de vigilance ne constituent pas un acte de commerce au sens de l’article L. 721-3, 3° du Code de commerce N° Lexbase : L2068KGP. Si le lien direct avec la gestion de la société est établi au regard de l’article L. 721-3, 2°, le demandeur non-commerçant dispose du choix de saisir le tribunal civil ou le tribunal de commerce (Cass. com., 15 décembre 2021, n° 21-11.882, FS-B N° Lexbase : A17557G4, Ph. Duprat, Lexbase Affaires, janvier 2022, n° 700 N° Lexbase : N9947BY3). Le législateur a donc mis un terme à toute incertitude en confiant ce contentieux à un seul tribunal.
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