La lettre juridique n°535 du 11 juillet 2013

La lettre juridique - Édition n°535

Éditorial

Données personnelles : "l'hypocrisie est un vice privilégié, qui jouit en repos d'une impunité souveraine"*

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Cette semaine, nous aurions pu gloser sur la non transmission d'une QPC relative à la possibilité de rechercher la responsabilité de droit commun pour les bénéficiaires de l'ACAATA... Ou bien revenir sur la caractérisation du délit d'incitation à la haine ou à la violence prévu par l'article L. 332-6 du Code du sport...

Mais, l'actualité juridique et judiciaire relevait, un brin cynique, cela : d'abord, qu'un Règlement européen du 24 juin 2013 est venu préciser les mesures relatives à la notification des violations de données à caractère personnel en vertu de la Directive 2002/58/CE sur la vie privée et les communications électroniques ; ensuite, le fait que tout fichier informatisé contenant des données à caractère personnel doive faire l'objet d'une déclaration auprès de la CNIL, de sorte que la vente d'un tel fichier n'ayant pas été déclarée n'est pas dans le commerce, a un objet illicite et doit en conséquence être déclarée nulle (Cass. com., 25 juin 2013, n° 12-17.037, FS-P+B+I).

"C'était une journée d'avril froide et claire. Les horloges sonnaient treize heures. Winston Smith, le menton rentré dans le cou, s'efforçait d'éviter le vent mauvais"**.

Et c'est justement ce 24 avril 2013, que la Commission ouverte Italie du barreau de Paris tenait une réunion sur "le futur de la réglementation des données personnelles en l'Europe : un dialogue franco-italien". Les avocats, "sentinelles des droits et des libertés", analysaient ainsi les moyens de faire converger les législations européennes pour une meilleure protection des données personnelles et, in fine, de la vie privée. Alors, bien naturellement, fiers civilistes qu'ils sont, ils pensaient, comme tout un chacun, que la législation française qui déclare solennellement la nécessité de veiller à ce que tous les types de données personnelles soient respectueux de toutes les libertés et droits fondamentaux, notamment le droit à la vie privé et à la dignité, est l'une des plus protectrices qui soient. Ils s'appuyaient sur la loi de 1979, mais surtout sur la Directive 95/46/CE, bien qu'ils relevaient qu'elle n'ait pas permis d'éviter une fragmentation de la mise en oeuvre de la protection des données à caractère personnel dans l'Union, une insécurité juridique et le sentiment, largement répandu dans le public, que des risques importants subsistent, notamment dans l'environnement en ligne. Heureusement, l'article 16, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne établit le principe selon lequel toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant ; ce qui place l'ambition européenne en matière de protection en haut de la pyramide de Kelsen... Ouf ! Mieux encore, on se rassurait à la lecture de l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui consacre la protection des données à caractère personnel en tant que droit fondamental.

"Winston, qui avait trente-neuf ans et souffrait d'un ulcère variqueux au-dessus de la cheville droite, montait lentement. Il s'arrêta plusieurs fois en chemin pour se reposer. A chaque palier, sur une affiche collée au mur, face à la cage de l'ascenseur, l'énorme visage vous fixait du regard. C'était un de ces portraits arrangés de telle sorte que les yeux semblent suivre celui qui passe. Une légende, sous le portrait, disait : BIG BROTHER VOUS REGARDE".

Juillet 2013. Un jour, on apprend que l'Oncle Sam a les oreilles bien grandes et surtout qu'il les laisse traîner dans les ambassades étrangères ; pire, il semblerait qu'il regarde le monde, et singulièrement le Vieux continent, avec un certain "Prism". On savait déjà que les grandes entreprises américaines du web venaient témoigner leur allégeance auprès du Gouvernement, au nom de la lutte anti-terroriste, en versant leurs données récoltées dans le puit de l'hyper surveillance.

Un autre jour, on apprend que la France, qui avait tout de même du mal à jouer les vierges effarouchées, mais qui vilipendait l'attitude anti-démocratique et inamicale de son lointain cousin du Nouveau monde, use de stratagème équivalent. Ainsi, révèle Le Monde daté du 4 juillet, la Direction générale de la sécurité extérieure collecte systématiquement les signaux électromagnétiques émis par les ordinateurs ou les téléphones en France, tout comme les flux entre les Français et l'étranger : la totalité de nos communications sont espionnées. L'ensemble des mails, des SMS, des relevés d'appels téléphoniques, des accès à Facebook, Twitter, sont ensuite stockés pendant des années. Alors, on nous rassure : seuls les métadonnées intéressent la DGSE, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), les douanes, Tracfin, le service de lutte contre le blanchiment, etc.. Il s'agit "simplement" de savoir qui est en relation avec qui : une sorte de "Facebook super puissant" gouvernemental et surtout... occulte.

"De son poste d'observation, Winston pouvait encore déchiffrer sur la façade l'inscription artistique des trois slogans du Parti :
LA GUERRE C'EST LA PAIX
LA LIBERTE C'EST L'ESCLAVAGE
L'IGNORANCE C'EST LA FORCE
".

Tous les responsables gouvernementaux le savaient ; d'un silence gêné, on peine à justifier l'intrusion des pouvoirs publics aux confins de l'intimité de chacun. Le citoyen lambda se doutait bien qu'avec les nouvelles technologies de l'information et de la télécommunication, le Léviathan numérique finirait bien par se retourner contre lui ; que, pouvant lui-même suivre ses proches, et moins proches, en surfant sur la toile, les yeux de BIG BROTHER se porteraient, un jour, sur ses données personnelles...

Mais, n'en déplaise à Montaigne, plus que douter, savoir nous est agréable.

Alors, oui Madame le Bâtonnier de Paris, vous avez raison de vous arc-bouter contre la Profession pour exiger, en matière de protection des données personnelles, une réglementation juridiquement plus lisible, un nouveau cadre renforçant le pouvoir de contrôle et de sanctions des autorités nationales, dans lequel l'avocat pourra y jouer tout son rôle ; un nouveau cadre faisant émerger la notion de l'accountability, puisque l'application des règles doit être prouvée, démontrée, tracée, l'avocat ayant toute sa place dans la production de la preuve ; et de demander le maintien du correspondant informatique et liberté qui permet à l'avocat d'être au coeur de l'entreprise.

"LA LUTTE ETAIT TERMINEE.
IL AVAIT REMPORTE LA VICTOIRE SUR LUI-MEME.
IL AIMAIT BIG BROTHER
".

Rappel bien ordonné commence à soi même ; et si la France ouvrait la voie européenne de la transparence sur la question et de la sécurité des données personnelles ? Chut... Secret défense...


* Molière, Dom Juan
** George Orwell, 1984

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Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] Vérification de comptabilité d'un avocat exerçant dans trois cabinets et à titre indépendant : procédure et nature des contrats entre l'avocat et les cabinets

Réf. : CAA Paris, 2ème ch., 30 avril 2013, n° 12PA04859, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9960KDA)

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par Frédéric Dal Vecchio, avocat à la cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 11 Juillet 2013

A la suite d'une procédure de vérification de comptabilité portant sur les exercices 2006 et 2007 et à un contrôle sur pièces pour l'année 2008 intéressant l'activité professionnelle d'un avocat, la cour administrative d'appel de Paris a rendu un arrêt par lequel elle éclaircit plusieurs questions de droit relatives à l'exercice de la profession au sein de trois cabinets différents et de manière indépendante. Après émission de propositions de rectification entraînant des rappels d'impôt sur le revenu et de TVA, assortis de majoration, le contribuable a obtenu de l'administration fiscale une décharge de l'impôt sur le revenu au titre des années 2006 et 2007 et une décharge de la TVA au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2008, prononcée par le tribunal administratif de Paris. Après avoir interjeté appel devant la cour administrative d'appel de Paris, c'est sans aucune surprise que les moyens soulevés par le contribuable ont tous été rejetés. En effet, tout d'abord, le juge du fond considère que l'avis de vérification peut avoir été envoyé en un seul lieu d'exercice de la profession, au lieu des quatre dans lesquels l'avocat peut se trouver, la signature de l'avis emportant connaissance, par lui, de l'enclenchement de la procédure. Ensuite, au vu du contrat signé entre les cabinets et le collaborateur, qui lui laissent à disposition les moyens matériels nécessaires au développement d'une clientèle personnelle, l'avocat est considéré comme exerçant en libéral, et non en salarié. En outre, la durée de la vérification de comptabilité de trois mois est confirmée. Enfin, la cour rejette le moyen relatif à l'égalité devant l'impôt présenté par le contribuable et portant sur le niveau de charges qu'il aurait fallu déduire, dans le cadre d'une reconstitution de chiffre d'affaires d'un avocat. 1 - La réception d'un avis de vérification de comptabilité et la signature d'un accusé réception

Avant le commencement de la vérification de comptabilité, l'administration fiscale adresse un avis en courrier recommandé avec accusé de réception, dès lors qu'elle supporte la charge de la preuve de son envoi (CAA Marseille, 3ème ch., 10 octobre 2002, n° 98MA00682 N° Lexbase : A8519A4B ; voir le BoFip - Impôts, CF-PGR-20-10 N° Lexbase : X8410AL3). La remise en mains propres n'emporte aucune conséquence procédurale quant à sa validité (CE 8° et 9° s-s-r., 3 novembre 1989, n° 55056, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1483AQY). Cet avis de vérification comprend une Charte des droits et obligations du contribuable vérifié, et mentionne, notamment, les années considérées et la possibilité de se faire assister par un conseil de son choix.

Le contribuable soutenait, en l'espèce, ne pas avoir reçu les pièces de procédure dans les trois cabinets dans lesquels il avait exercé sa profession, ainsi qu'à son domicile. Visiblement poursuivi par la malchance, l'instruction a toutefois permis d'établir que les accusés de réception avaient bien reçu signature, même si le contribuable a rétorqué qu'il n'en était pas l'auteur. Un tel moyen ne pouvait pas aboutir, dès lors que la jurisprudence du Conseil d'Etat reste très favorable à l'administration fiscale : il s'agit, en effet, de ne pas paralyser l'action du service dans le cadre du droit de vérification octroyé par le législateur. Il sera, par conséquent, vain d'opposer une "stratégie" visant à gribouiller une signature de circonstance sur l'accusé de réception pour prétendre échapper aux effets d'une notification par voie postale ou encore de le faire signer par un tiers, la jurisprudence ayant anticipé une telle attitude qui n'honore pas les destinataires de ces plis recommandés (v. notamment les conclusions du rapporteur public Mme Nathalie Escaut sous CE 8° et 3° s-s-r., 8 juin 2011, n° 330051, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4741HTR, BDCF, 8/9, 2011, n° 103). En effet, en cas de contestation, il appartient au contribuable d'apporter la preuve que la signature portée sur l'accusé de réception n'est pas la sienne ou que la personne ayant signé n'avait pas mandat aux fins de le représenter dans le cas d'une personne morale, ou n'avait pas avec lui un lien assez proche pour être habilité à le faire, dans le cas d'une personne physique (CE 9° et 8° s-s-r., 13 novembre 1987, n° 69967, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2547APZ ; CE Section, 11 juillet 1988, n° 52642, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7218APZ ; CE 9° et 7° s-s-r., 4 avril 1990, n° 65943, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4626AQE ; CE 8° et 7° s-s-r., 11 octobre 1991, n° 65084, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9633AQT ; CE 3° et 8° s-s-r., 28 novembre 2007, n° 288240, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9636DZW). L'hypothèse semble rare en pratique car elle reposerait sur la présentation -assez discutable quant à l'application de la législation relative au service postal- du pli recommandé à un tiers, parfaitement identifiable par le contribuable, mais n'ayant pas de lien de proximité avec ce dernier dont on pourrait déduire l'existence d'un mandat. En revanche, sont valablement notifiés, les plis recommandés réceptionnés par la concierge, les parents, le conjoint, un enfant même mineur mais d'un âge suffisant, les préposés du contribuable (BOFIP, CF-IOR-10-30, § 240 N° Lexbase : X6311ALC). Quelle que soit l'hypothèse envisagée, ce n'est pas à l'administration fiscale de vérifier la signature portée sur l'accusé de réception qui lui a été retourné (CE 15 novembre 1985, n° 45870, RJF, 1/86, n° 115 ; CAA Bordeaux, 28 juin 1995, n° 93BX01317, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7200BEE ; CAA Lyon, 9 octobre 1996, n° 94LY01775 ; nos obs., Notification des actes de l'administration fiscale par voie postale, fasc. 496, JCP Procédures fiscales, LexisNexis, 2013). C'est ainsi que la mise en demeure de déposer une déclaration est régulièrement notifiée à la dernière adresse communiquée au service, l'avis de réception postal du pli recommandé contenant cette mise en demeure ayant été retourné avec une signature lisible dont il n'est pas établi que la personne qui l'aurait apposée n'avait pas qualité pour recevoir ledit pli recommandé (CAA Bordeaux, 4ème ch., 9 juillet 2002, n° 98BX01668, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7934A3A). Enfin, dans l'hypothèse d'une contestation du contenu de l'enveloppe adressée par l'administration au contribuable, c'est à ce dernier de faire les démarches nécessaires en temps utile : il est donc exclu de soulever devant le juge l'absence d'une pièce de procédure, telle que la proposition de rectification ou la Charte des droits et obligations du contribuable vérifié par exemple, dès lors que l'on attend, de la part du contribuable, une attitude loyale lors des opérations de contrôle. A titre d'illustration, après avoir reçu, le 13 décembre, une notification de redressement, la démarche d'une contribuable d'attendre le 4 janvier avant de réclamer une copie d'intercalaires prétendument manquants n'emportera pas la conviction des juges du fond quant à son incomplète réception avant la prescription (CAA Paris, 5ème ch. A, 9 février 2006, n° 03PA2875 N° Lexbase : A7064DNX, RJF, 12/2006, n° 1578).

2 - La nature de l'activité professionnelle de l'avocat et la taxation de ses revenus

Aux termes de la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ), l'avocat exerce sa profession à titre individuel, au sein d'une association, d'une société d'exercice libéral ou d'une société civile professionnelle, ou en qualité de salarié d'un autre avocat. La plupart des jeunes collaborateurs qui intègrent des cabinets signent des contrats de collaboration aux termes desquels ils perçoivent une rétrocession d'honoraires. Ils ne sont donc pas salariés et ils peuvent développer leur propre clientèle. Cela suppose que le cabinet mette à leur disposition, dans des conditions normales d'utilisation, les moyens matériels nécessaires aux besoins de leur collaboration et au développement de leur clientèle personnelle. En pratique, la surprise semble être au rendez-vous : il n'est pas rare que des collaborateurs n'aient aucune possibilité de pouvoir développer leur clientèle, compte tenu de la charge de travail qui leur est imposée ou de la possibilité qui leur offerte d'utiliser la salle de réunion pour accueillir un client le week-end ou le soir, le plus tardivement possible. En fait, certains semblent confondre le statut d'avocat libéral et celui d'avocat salarié, et la jurisprudence confirme l'existence de conditions d'exercice pas tout à fait en accord avec la confraternité régissant les rapports entre les membres de la profession (CA Lyon, 21 janvier 2008, n° 06/07186 N° Lexbase : A7920EMB ; Cass. civ. 1, 27 février 2007, n° 04-13.897, FS-P+B N° Lexbase : A4074DUG).

Au cas particulier, selon la thèse du contribuable, l'administration fiscale avait commis une erreur de qualification en imposant ses revenus professionnels au titre des bénéfices non commerciaux (BNC) au lieu des traitements et salaires, du fait d'une activité exercée dans des conditions ne permettant pas le développement d'une clientèle personnelle. Il n'est pas précisé dans l'arrêt si un contentieux a existé entre le contribuable et ses anciens cabinets "employeurs", visant à requalifier les contrats de collaboration en contrats de travail.

Des attestations émanant de deux salariés des cabinets dans lesquels le contribuable avait exercé, certifiant l'existence d'un lien de subordination, ne suffiront pas à convaincre les conseillers de la cour administrative d'appel de Paris qui se borneront à constater, d'une part, la conformité des stipulations des contrats de collaboration de l'intéressé à la loi (loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises, art. 18 N° Lexbase : L7582HEK) ; d'autre part, à la possibilité prévue contractuellement de développer une clientèle personnelle en mettant à sa disposition des moyens matériels. Etait-ce si sûr dans les faits ? Tous les contrats de collaboration entre les avocats contiennent de telles clauses, et le juge de l'impôt sait se montrer très critique dans certaines circonstances, lorsque des parties lui opposent les stipulations d'un contrat qu'il n'hésite pas à écarter au profit d'éléments de fait qu'il estime plus vraisemblables (nos obs., L'opposabilité des conventions de droit privé en droit fiscal, Thèse Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, 2009). La cour fera en outre remarquer que l'une des attestations versées aux débats ne concernait que les années 2002 à 2005 et non l'année 2008, seule année restant en litige. Fondamentalement, la référence aux années antérieures à l'année 2008 ne devrait pas interférer dans le débat : les conditions de travail dans ces cabinets n'ont certainement pas évolué entre 2002 et 2008 quant à la possibilité de développer une clientèle personnelle. La permanence de cette situation en 2013 serait à peine surprenante : le management de ces cabinets d'avocats évolue rarement en fonction de la période d'imposition en litige de l'un de leurs collaborateurs...

Enfin, les conseillers de la cour administrative d'appel de Paris opposeront la déclaration d'impôt sur le revenu du contribuable qui a inscrit ses revenus professionnels dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. On rappellera toutefois que la détermination de la catégorie d'imposition de bénéfices ou de revenus relève d'un moyen d'ordre public soulevé d'office (notamment : CE 10° et 9° s-s-r., 19 décembre 2007, n° 270934, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1461D3I (1)) : ce serait l'hypothèse d'une confusion -considérée comme telle par le juge de l'impôt- commise par le contribuable entre des revenus de capitaux mobiliers et des plus-values (CE 9° et 10° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 179647, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1979AI7, concl. J. Courtial, BDCF, 3/2001, n° 38 (2)).

3 - La limitation de la durée des vérifications sur place

Propre aux vérifications de comptabilité et à peine d'irrégularité de la procédure (CE 9° et 8° s-s-r., 23 juin 1993, n° 96477, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0139ANH), la garantie prévue par l'article L. 52 du LPF (N° Lexbase : L0281IWC) limite la durée de la vérification sur place à trois mois pour les contribuables dont le chiffre d'affaires ou le montant annuel des recettes brutes n'excède pas la limite d'admission au régime simplifié d'imposition (3). Cette garantie ne profite pas aux sociétés qui exercent une activité civile de location immobilière de locaux nus, même sous la forme d'une société à responsabilité limitée (CE 8° et 3° s-s-r., 9 juillet 2003, n° 230168, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1937C9M ; v. également pour les holdings : LPF, art. L. 52 A N° Lexbase : L2421DAW ; CE 10° et 9° s-s-r., 28 mars 2008, n° 284548, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5935D7X). On précisera qu'une vérification globale de plusieurs exercices peut durer plus de trois mois, dès lors que le chiffre d'affaires d'un seul d'entre eux excède les limites fixées par la loi (CE 8° et 9° s-s-r., 6 janvier 1993, n° 95353, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7985AMP). Certaines dérogations sont opposables par l'administration fiscale en cas d'instruction des observations du contribuable, lors de l'examen de comptes mixtes ou de comptes utilisés pour l'exercice d'activités distinctes, dans l'hypothèse de la mise en oeuvre de la procédure de flagrance ou d'une enquête judiciaire pour fraude fiscale, d'une comptabilité non probante ou du recours à des traitements informatiques quant à la comptabilité vérifiée. En l'espèce, la vérification de comptabilité ayant commencé le 4 novembre 2008 pour se terminer le 22 janvier 2009, le délai de trois mois était bien respecté, quand bien même l'administration fiscale aurait effectué, à la suite de la vérification de comptabilité, un contrôle sur pièces pour l'année 2008, dès lors qu'il portait sur une période distincte. De plus, la garantie prévue par l'article L. 52 du LPF est propre à la vérification de comptabilité : elle vise à limiter les conséquences subies par les contribuables du fait de la présence d'un fonctionnaire des impôts au sein de leur entreprise. Or, un contrôle sur pièces ne nécessite aucunement la présence du vérificateur dans l'entreprise, puisqu'il s'effectue dans les locaux de l'administration fiscale.

4 - L'égalité des contribuables devant l'impôt

L'égalité devant l'impôt est très souvent invoquée par les contribuables (Cons. const., décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990 N° Lexbase : A8228ACQ ; CE 8° et 3° s-s-r., 24 juin 2010, n° 338581, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2809E3G ; CAA Bordeaux, 5ème ch., 30 décembre 2003, n° 00BX01945, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7949DAN), mais ce principe ne concerne que des contribuables placés dans des conditions comparables. Au cas particulier, après exercice du droit de communication auprès de l'un des cabinets d'avocats dans lequel avait exercé le contribuable, l'administration fiscale a évalué d'office les bénéfices non commerciaux de l'intéressé (LPF, art. L. 73 N° Lexbase : L0715ITN), en retenant un montant de charges représentant 9,68 % de son chiffre d'affaires. N'apportant pas la preuve de la sous-évaluation des charges prises en compte pour la détermination de ses BNC par l'administration fiscale, le contribuable a alors prétendu pouvoir opposer une rupture du principe de l'égalité devant l'impôt, car les avocats relevant du régime micro-BNC bénéficient d'un abattement forfaitaire pour charges de 34 % (CGI, art. 102 ter N° Lexbase : L4934IQS). Mais le contribuable ayant perçu une rétrocession d'honoraires de 110 500 euros pour l'année considérée, il ne pouvait pas être éligible au régime micro-BNC. Par conséquent, le moyen relatif à la rupture de l'égalité devant l'impôt ne pouvait pas aboutir, dès lors que le contribuable invoquait deux situations juridiques parfaitement distinctes.


(1) "Considérant toutefois qu'eu égard à la nature particulière du prêt à usage, les revenus tirés par M. [X] du commodat consenti à la SCI [Y] ne peuvent être regardés comme des revenus d'immeubles donnés en location' au sens de l'article 29 du CGI (N° Lexbase : L1068HL7), sur le fondement desquels ils ont été imposés ; qu'il appartenait à la cour administrative d'appel de relever d'office ce moyen, qui ressortait des pièces du dossier ; que dans cette mesure, son arrêt doit être annulé".
(2) "Le requérant n'a pas soulevé la question de savoir si le boni de cession devait être soumis à un régime d'imposition des plus-values ou au régime d'imposition des revenus mobiliers. Pour lui, cette question ne se posait manifestement pas. Sinon, il n'aurait pas recouru au montage constitutif d'abus de droit. Il y a tout de même lieu d'examiner ce point car si vous deviez considérer que l'imposition du 'boni de cession' comme revenu de capitaux mobiliers procède d'une erreur sur la catégorie d'imposition, vous devriez sanctionner la cour pour ne pas avoir relevé d'office un moyen d'ordre public".
(3) "En droit strict, l'administration est autorisée à prolonger au-delà du délai de trois mois une vérification portant sur plusieurs exercices, dès lors que le chiffre d'affaires ou le montant des recettes d'un seul d'entre eux excède le seuil prévu à l'article L. 52 du LPF (CE 9° et 8° s-s-r., 17 février 1971, n° 79529, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1614B8B, RJ, 1971, n° IV, p. 32 ; CE 7° et 8° s-s-r., 7 mars 1990, n°s 46361 N° Lexbase : A4951AQG et 46363 N° Lexbase : A4953AQI, inédits au recueil Lebon)", BOFIP, CF-PGR-20-30, § 40 N° Lexbase : X4087ALX).

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Concurrence

[Chronique] Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Juillet 2013

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par Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat

Le 18 Juillet 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la concurrence et de la distribution, animée par Maître Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat. L'auteur commente, tout d'abord, les dispositions issues de la proposition de Directive, adoptée le 11 juin 2013 par la Commission européenne, visant à faciliter l'introduction d'actions en dommages et intérêts par les victimes de pratiques anticoncurrentielles. Une attention particulière est également portée à l'actualité jurisprudentielle puisque Maître Le More a sélectionné deux décisions importantes : la première, rendue le 24 juin 2013 par le Conseil d'Etat, a trait aux sanctions administratives pour défaut de notification d'une opération de concentration (CE 9° et 10° s-s-r., 24 juin 2013, n° 360949, publié au recueil Lebon) ; la seconde, rendue le 11 juin 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, constitue le dernier épisode en date de l'affaire dite des "Parfums" en matière d'entente verticale sur les prix (Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-13.961, FS-P+B).
  • Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l'Union européenne, adoptée le 11 juin 2013 par la Commission européenne

Le 11 juin 2013, la Commission européenne a adopté la proposition de Directive visant à promouvoir les actions en réparation, intentées par les personnes physiques ou morales et fondées sur une infraction des règles de concurrence nationale et communautaire.

Dans l'Union européenne, et malgré les études et travaux entrepris (cf., par ex., Parlement européen, (2012), 475-120, Etude Collective Redress in Antitrust, IP/A/ECON/ST/2011-19 ; Commission européenne, Projet de document d'orientation - La quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, juin 2011), le contentieux indemnitaire des pratiques anticoncurrentielles demeure peu développé.

Au niveau communautaire, seuls 25 % de l'ensemble des décisions constatant une infraction aux règles communautaires de concurrence, à savoir les ententes et abus de position dominante, dans le cadre de décisions intervenues les sept dernières années, donnent lieu à des actions en dommages et intérêts initiées par les victimes desdites pratiques (consommateurs finaux ou partenaires commerciaux), selon le communiqué de presse de la Commission (Commissions européenne, communiqué IP/13/525 du 11 juin 2013), qui se garde bien de faire état de leurs résultats effectifs... Le bilan français ne semble pas beaucoup plus brillant (voir par ex., M. Chagny, Le contentieux indemnitaire des pratiques anticoncurrentielles devant la Cour de cassation : en attendant les initiatives européennes ?, Comm. com. électr., 2010, comm. 122), même si les études chiffrées et exhaustives à ce sujet manquent. Les règlements amiables ne sont certes pas pris en compte dans ces données chiffrées. Pour autant, il existe depuis plusieurs années un consensus sur le caractère "sous-développé" de ce contentieux aux niveaux national et communautaire.

La proposition de Directive tente de palier ces difficultés en interpellant tant les juridictions nationales que les autorités nationales de concurrence, et en encourageant la mise en oeuvre de règles procédurales, et ce pour faciliter la mise en oeuvre effective de telles actions.

Sont ainsi, notamment, préconisés :

- l'instauration d'un pouvoir d'injonction des juridictions nationales pour obtenir auprès des entreprises la communication des éléments de preuve permettant aux victimes des infractions de faire valoir leur droit à réparation. Or, en France du moins, la circulation des pièces détenues par l'Autorité de la concurrence est régie par l'article L. 462-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L4964IUE), issu de la loi du 20 novembre 2012 (loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 , relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer N° Lexbase : L4861IUL, JORF du 21 novembre 2012). L'Autorité de la concurrence exclut toute transmission aux juridictions de pièces élaborées ou recueillies dans le cadre d'une procédure de clémence, visée aux articles L. 464-2, IV N° Lexbase : L4967IUI et R. 464-5 (N° Lexbase : L8657IBA) du Code de commerce et détient un pouvoir discrétionnaire pour accorder la divulgation de ces pièces dans les autres types de procédure. Il convient de noter que la proposition de Directive prévoit également des limites à la divulgation en cas de procédure de clémence ou de transaction (article 6) ;

- que les décisions des autorités de concurrence nationale constatant une infraction prouvent automatiquement l'existence de l'infraction devant les juridictions nationales de tous les Etats membres, et ce afin de faciliter la charge de la preuve de la faute incombant aux demandeurs à l'action. Or là encore en France, à la différence d'autres Etats membres, tels que l'Allemagne ou la Suède, les juridictions françaises ne sont pas liées par les décisions d'autorités de concurrence étrangères ou par les propres décisions de l'Autorité de la concurrence française. Les décisions de l'autorité de concurrence française ou étrangère (à l'exception de celles de la Commission européenne) ne constituent, en effet, pour le juge national français, que de simples éléments parmi d'autres à prendre en considération.

D'autres corpus de règles sont également visés par la proposition de Directive. Ils concernent les délais de prescription, les règles en matière de responsabilité en cas de répercutions des prix causés par l'infraction anticoncurrentielle, ainsi que le règlement consensuel des litiges. Le calendrier du processus législatif européen demeure encore inconnu.

Le même jour, était diffusée la communication de la Commission relative à la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur les infractions à l'article 101 (N° Lexbase : L2398IPI) ou 102 (N° Lexbase : L2399IPK) TFUE (2013/C JOUE167/07 du 13 juin 2013).

Peut-être ces initiatives européennes donneront-elles d'ores et déjà une nouvelle impulsion aux actions judiciaires menées par les victimes d'infractions de concurrence et actuellement pendantes devant les juridictions françaises ?

  • Défaut de notification d'une opération de concentration : la régularité des sanctions pécuniaires infligées par l'Autorité de la concurrence (CE 9° et 10° s-s-r., 24 juin 2013, n° 360949, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2160KHH)

L'article L. 430-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L2090ICE) impose aux personnes physiques et morales acquérant le contrôle de tout ou partie d'une entreprise de notifier l'opération à l'Autorité de la concurrence. Les opérations sujettes à cette obligation sont définies à l'article L. 430-1 du même code (N° Lexbase : L6589AIU), aux termes duquel "I. - Une opération de concentration est réalisée :
1° Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ;
2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises
".

A défaut de notification, l'Autorité de la concurrence peut enjoindre les parties défaillantes sous astreinte de notifier l'opération, à moins de revenir à l'état antérieur à la concentration (C. com., art. L. 430-8, I, al. 1er N° Lexbase : L2125ICP). Selon l'alinéa 2 du même article, "en outre, l'autorité peut infliger aux personnes auxquelles incombait la charge de la notification une sanction pécuniaire dont le montant maximum s'élève, pour les personnes morales, à 5 % de leur chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu'a réalisé en France durant la même période la partie acquise et, pour les personnes physiques, à 1,5 million d'euros". La notification incombe à l'entreprise qui acquiert le contrôle et, en cas de fusion ou de contrôle commun, à toutes les parties. Elle doit, en principe, être effectuée avant la réalisation effective de l'opération de concentration sauf en cas de nécessité particulière motivée.

En l'espèce, à la suite d'un audit interne mené par la filiale à 100 % de la société belge Etablissements Fr. Colruyt, la société Colruyt France, exploitant des supermarchés dans le quart nord-est de la France, s'est rendue compte que trois opérations d'acquisition du groupe Colruyt n'avaient pas été notifiées à l'Autorité de la concurrence française, alors qu'elles auraient dues l'être aux termes des articles L. 430-1 et suivants du Code de commerce.

Après que l'Autorité de la concurrence se soit saisie d'office le 6 mai 2011 sur le fondement de l'article L. 462-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L4970IUM) de ce défaut de notification des trois opérations, les deux sociétés du groupe Colruyt ont officiellement notifié ces opérations près d'un mois plus tard, soit le 10 juin 2011. Par décisions des 28 novembre 2011, 20 décembre 2011 et 6 février 2012, l'Autorité de la concurrence a autorisé sans conditions particulières ces trois opérations. Ces décisions sont, à défaut de recours, devenues définitives. (Aut. conc., décision n° 11-DCC-172 du 28 novembre 2011 N° Lexbase : X1583AKT ; Aut. conc., décision n° 11-DCC-198 du 20 décembre 2011 N° Lexbase : X1625AKE ; Aut. conc., décision n° 12-DCC-11 du 6 février 2012 N° Lexbase : X1768AKP).

La procédure administrative pour défaut de notification avant la réalisation des opérations suivait néanmoins parallèlement son cours. Par décision du 11 mai 2012, l'Autorité de la concurrence (Aut. conc., décision n° 12-D12, 11 mai 2012 N° Lexbase : X2478AKY) infligeait une amende de 392 000 euros à la société mère, Ets. Fr. Colruyt en raison du défaut de notification de la prise de contrôle exclusif de la société UCGA Unifrais et de ses filiales le 30 avril 2009. Elle ne sanctionnait pas, en revanche, le défaut de notification de l'acquisition en date du 31 mars 2003 de la société Etablissements Jean Didier et Cie SA, d'une part, et de l'acquisition en date du 30 juin 2004 de huit sociétés constituant le groupe Mallet, d'autre part, en raison de la prescription quinquennale des faits conformément à l'article L. 462-7, I du Code de commerce (N° Lexbase : L4976IUT).

Ce type de décisions de sanctions, qui relevait antérieurement de la compétence du ministre de l'Economie, n'est pas nouveau (cf. arrêté du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, relatif à l'absence de notification d'une concentration consistant en la prise de contrôle de certains actifs de la société Arcadie Centre Est par le Groupe Bigard, BOCCRF, n° 7 bis, 25 septembre 2008 ; arrêté du ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, relatif à l'absence de notification d'une concentration consistant en la prise de relatif à l'absence de notification d'une concentration consistant en la prise de contrôle de Novatrans par SNCF Participations, BOCCRF n° 2 bis, 28 février 2008 ; lettre de sanction du ministre de l'Economie et de l'Industrie, relatif à l'absence de notification d'une concentration consistant en la prise de 8 décembre 2007, à Monsieur le Président de la société Pan Fish, relative à une concentration dans le secteur du saumon, BOCCRF n° 1 bis, 25 janvier 2007). Plus récemment, par décision du 1er février 2013, l'Autorité de la concurrence sanctionnait l'association sommitale Réunica à hauteur de 400 000 euros en raison de l'absence de notification de la fusion entre les groupes Reunica et Arpège, actifs dans le secteur des prestations sociales complémentaires (Aut. conc., décision n° 13-D-01 du 31 janvier 2013 N° Lexbase : X1795AMG).

Dans l'affaire Colruyt, les entreprises ont saisi le Conseil d'Etat d'un recours. Les arguments des entreprises du groupe Colruyt se fondaient essentiellement sur les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'Autorité de la concurrence aurait manqué d'impartialité prônée par l'article 6 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR) en s'auto-saisissant, d'une part. Les dispositions de l'article L. 430-8 du Code de commerce contreviendraient au principe de légalité des délits et des peines, prévu à l'article 7 de la Convention (N° Lexbase : L4797AQQ), d'autre part. Enfin, à titre subsidiaire, les requérants contestaient le caractère proportionné de l'amende infligée.

Le Conseil d'Etat rejette l'ensemble de ces moyens.

Il balaye le reproche classiquement fait à l'Autorité contre le manque de séparation organique entre les services de l'instruction et décisionnaires. Selon les Conseil d'Etat, "les conditions dans lesquelles l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office" et "la circonstance que l'acte par lequel elle s'est saisie d'office a été adopté par le président et trois des vice-présidents membres du collège, qui ont ensuite participé au délibéré de la décision de sanction du 11 mai 2012, ne peuvent être regardées comme ayant porté atteinte au principe d'impartialité rappelé par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales".

Le Conseil d'Etat rappelle, ensuite, que le principe de légalité des délits et des peines, notamment garanti par l'article 7 de ladite Convention ne fait pas davantage obstacle, lorsqu'il est appliqué à des sanctions qui n'ont pas le caractère de sanctions pénales, à ce que les infractions soient définies par référence aux obligations auxquelles est soumise une personne en raison de l'activité qu'elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l'institution dont elle relève. Or, les dispositions combinées des articles L. 430-3 et L. 430-1 du Code de commerce sont suffisamment claires et précises pour permettre aux professionnels concernés de déterminer si l'opération à laquelle ils sont parties est une opération de concentration et d'identifier la ou les personnes tenues de notifier l'opération à l'Autorité de la concurrence. En l'espèce, en imputant le manquement à l'obligation de notification à la société mère de la société Colruyt France, l'Autorité de la concurrence a fait une exacte application des règles d'imputabilité du manquement constaté.

La Cour administrative suprême souligne, en outre, le caractère grave du manquement à l'obligation de notification préalable d'une opération de concentration pour justifier l'importance de la sanction, quels que soient les effets anticoncurrentiels de cette opération sur le ou les marchés pertinents concernés.

Enfin, elle met en évidence le caractère proportionné de la sanction, l'Autorité de la concurrence ayant tenu compte des circonstances invoquées par la société pour expliquer le manquement qu'elle avait commis et apprécié les difficultés financières dont la société se prévalait. Or, la sanction de 392 000 euros ne représente "que" 0,05 % du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise en France, alors que la sanction maximum encourue aurait pu atteindre 5 % de ce chiffre d'affaires.

Cet arrêt, comme la décision de l'Autorité de la concurrence en la matière, est un avertissement clair donné aux entreprises qui doivent être particulièrement vigilantes en amont des opérations d'acquisitions envisagées. L'absence d'effets anticoncurrentiels de celles-ci ne saurait justifier une absence de notification, voire une minoration du calcul des amendes encourues.

  • Entente verticale et preuve de la concertation (Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-13.961, FS-P+B N° Lexbase : A5726KG8)

La longue procédure de l'affaire dite des "Parfums" donne à la Cour de cassation une nouvelle occasion, dans un ultime (et troisième) soubresaut, d'examiner les critères de preuve de la concertation d'une entente verticale anticoncurrentielle.

On se rappelle que le 13 mars 2006, le Conseil de la concurrence, devenue Autorité de la concurrence, condamnait treize sociétés exploitant des marques de parfums et cosmétiques de luxe pour s'être entendues avec leurs distributeurs sur les prix de vente au consommateur à la fin des années quatre-vingt dix. Pour les mêmes faits, elle infligeait des sanctions pécuniaires à l'encontre de trois chaînes nationales de distribution. Réformé par un premier arrêt de cour d'appel, l'arrêt été cassé par la Cour de cassation. La première cour de renvoi annulait alors la décision du Conseil pour durée excessive de la procédure et violation des droits de la défense. Toutefois, la Cour de cassation, une nouvelle fois saisie, cassait l'arrêt. La deuxième cour de renvoi réduisait alors les amendes infligées (Cons. conc., décision n° 06-D-04, 13 mars 2006 N° Lexbase : X6215ADK ; infirmé par CA Paris, 1ère ch., sect. H, 26 juin 2007, n° 2006/07821 N° Lexbase : A9298DWB ; cassé par Cass. com., 10 juillet 2008, n° 07-17.276 N° Lexbase : A7963D9S ; renvoi CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 10 novembre 2009, n° 2008/18277 N° Lexbase : A4437ENN ; cassé par Cass. com., 23 novembre 2010, n° 09-72.031, FS-D N° Lexbase : A7610GLG ; renvoi CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 26 janvier 2012, n° 2010/23945 N° Lexbase : A5938IBK, cassé par l'arrêt rapporté).

Par ce troisième arrêt, et sans entrer dans les détails d'un arrêt qui a l'instar des précédentes décisions est particulièrement long et étayé, la Cour de cassation se place davantage sur le terrain des critères de preuve d'une entente verticale anticoncurrentielle. En présence de pratiques de prix minimaux conseillés, il n'est pas nécessaire de mettre dans la cause et d'incriminer chaque distributeur, pourvu que le périmètre de l'entente dénoncée soit bien circonscrit. Pour autant, en matière de fixation de la sanction, encore faut-il apporter la preuve de la participation effective du distributeur incriminé pendant toute la période de référence des pratiques en cause. Au visa de l'article 455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6565H7B), aux termes duquel, entre autres, "le jugement doit être motivé", la Cour de cassation censure l'arrêt de la cour d'appel sur ce seul point.

Une troisième Cour de renvoi devra donc se prononcer sur la sanction de 3 150 000 euros infligée à l'un des distributeurs. La Cour européenne des droits de l'Homme sera-t-elle à son tour sollicitée en raison de la durée particulièrement longue de cette procédure ?

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Emploi

[Textes] Commentaire de l'article 18 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi : la réforme de la procédure de licenciement pour motif économique collectif

Réf. : Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU)

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N7934BTZ

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 11 Juillet 2013

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi, publiée au Journal officiel du 16 juin 2013, contient de nombreuses dispositions intéressant tant la protection sociale que la formation professionnelle, les relations collectives, la mobilité du salarié, le licenciement économique ou encore le temps de travail ou la conciliation prud'homale. Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose de revenir, avec Sébastien Tournaux, sur l'article 18, relatif aux nouvelles règles concernant la procédure de licenciement pour motif économique collectif.

I - L'aménagement de la procédure de licenciement collectif

  • Accords d'aménagement de la procédure

L'article 18 de la loi du 14 juin 2013 modifie un certain nombre de dispositions du Code du travail relatives au licenciement pour motif économique avec pour volonté de "renforcer l'encadrement des licenciements collectifs et instaurer une obligation de recherche de repreneur en cas de fermeture de site".

L'objet principal de cet article tient à renforcer l'attrait des anciens accords de méthode qui permettent d'anticiper et d'aménager la procédure de licenciement pour motif économique collectif (1).

A cet effet, un nouvel article L. 1233-24-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0630IXM) prévoit la possibilité, dans les entreprises de cinquante salariés et plus, de conclure un accord collectif qui déterminera "le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi [...] ainsi que les modalités de consultation du comité d'entreprise et de mise en oeuvre des licenciements". Comme pour les accords de maintien de l'emploi, une véritable majorité d'engagement est exigée des syndicats signataires qui devront avoir recueilli au moins 50 % des suffrages aux dernières élections des représentants du personnel pour valablement conclure l'accord. Les organisations syndicales pourront bénéficier, à l'initiative du comité d'entreprise, de l'analyse d'un expert-comptable (2). Cette mesure fait écho au droit du comité d'entreprise de bénéficier de cette expertise dans le cadre de la consultation traditionnelle en cas de projet de licenciement pour motif économique.

La liste non exhaustive des mesures qui peuvent être envisagées par cet accord est établie par l'article L. 1233-24-2 du Code du travail(N° Lexbase : L0631IXN). Pour l'essentiel, cela concernera le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise, les critères d'ordre de licenciement et leur pondération, le calendrier des licenciements, le nombre de suppression d'emploi et les catégories professionnelles concernées ou, encore, les modalités de reclassement, d'adaptation ou de formation des salariés concernés. L'article L. 1233-24-3 (N° Lexbase : L0632IXP) établit une liste, limitative cette fois, de mesures auxquelles il est interdit de déroger par cet accord : obligation d'adaptation, de formation et de reclassement ; règles générales relatives à la consultation du comité d'entreprise et obligation d'information des représentants du personnel ; obligation de proposer la conclusion au salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle ; règles spécifiques au cas de redressement ou de liquidation judiciaires.

  • Document unilatéral de l'employeur

Comme l'accord avant elle, la loi autorise faute d'accord que ce dispositif soit établi par un document unilatéral de l'employeur ce qui, pour certains aspects, constitue un changement fondamental. En effet, si l'employeur avait déjà unilatéralement le pouvoir d'établir le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ou les critères de l'ordre des licenciements, il n'était jusqu'ici pas autorisé à aménager seul les règles relatives à la consultation des représentants du personnel.

II - Rationalisation des délais de procédure

L'accord du 11 janvier 2013 (N° Lexbase : L9638IUI) avait pour ambition de réduire les durées excessives des procédures de licenciement collectif en posant des délais préfix maximaux que la procédure ne devait pas excéder (3). Le respect de ces délais dans lesquels l'intégralité de la procédure devait être effectuée paraissait peu réaliste, mais la mesure était guidée par une volonté d'endiguement de certaines manoeuvres dilatoires qui retardaient artificiellement l'aboutissement de la procédure. Cette idée est reprise par l'insertion d'un avant-dernier alinéa à l'article L. 1233-30 du Code du travail (N° Lexbase : L0709IXK). Cet article fixe des délais maximums qui peuvent séparer les réunions du comité d'entreprise en cas de projet de licenciement collectif, délai variant selon le nombre de licenciement en cause (4). Désormais, "en l'absence d'avis du comité d'entreprise dans ces délais, celui-ci est réputé avoir été consulté", ce qui devrait dissuader les membres du comité d'entreprise de jouer au jeu de la politique de la "chaise vide".

Dans le même ordre d'idée de rationalisation des durées de procédure, l'article L. 1233-35 du Code du travail (N° Lexbase : L1176H9G), dans sa nouvelle rédaction, détermine des délais de communication entre l'expert-comptable mandaté par le comité d'entreprise et l'employeur afin que les demandes d'informations complémentaires interviennent dans des délais raisonnables mais, aussi, que la communication des pièces demandées ait lieu rapidement. La même raison guide l'article L. 1233-45-1 (N° Lexbase : L0634IXR) qui permet désormais, après avis du comité d'entreprise, à l'employeur de proposer des mesures de reclassement interne avant l'écoulement des délais minimums qui doivent séparer les réunions du comité d'entreprise par l'effet de l'article L. 1233-30. Même si cela n'aura, probablement, pas d'importantes conséquences, la place de ce nouveau texte est curieuse puisqu'elle vient s'insérer à la suite des dispositions relatives à la priorité de réembauche alors qu'on aurait pu l'attendre après l'article L. 1233-4 (N° Lexbase : L3135IM3), relatif à l'obligation de reclassement mise à la charge de l'employeur.

III - Le rôle accru de l'administration du travail

  • Entreprises de moins de cinquante salariés

D'une manière générale, le rôle de l'administration du travail demeure inchangé s'agissant des licenciements collectifs projetés dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Ainsi, les articles L. 1233-53 (N° Lexbase : L0715IXR) et suivants du Code du travail, qui conservent pour l'essentiel la procédure antérieure à la loi, seront, désormais, réservés aux entreprises ne dépassant pas ce seuil d'effectif.

S'agissant, en revanche, des projets de licenciements élaborés dans les entreprises de plus de cinquante salariés, les nouveaux articles L. 1233-57 (N° Lexbase : L1227H9C) à L. 1233-57-8 du Code du travail instituent une procédure nouvelle et adaptée à la mise en valeur des accords d'aménagement de la procédure de licenciement et à la faculté d'adapter la procédure par voie de document unilatéral de l'employeur.

  • Entreprises de cinquante salariés et plus : intervention en cours de procédure

A l'article L. 1233-57, relatif aux propositions que peut présenter l'administration du travail en vue de compléter ou de modifier le plan de sauvegarde de l'emploi, la loi ajoute un nouvel alinéa qui impose à l'employeur d'adresser à l'autorité administrative "une réponse motivée" à ces propositions.

L'article L. 1233-57-6 du Code du travail (N° Lexbase : L0643IX4) prévoit qu'à tout moment de la procédure, l'administration peut faire des observations ou propositions concernant le déroulement de la procédure ou les "mesures sociales" désormais visées par l'article L. 1233-22 du Code du travail (N° Lexbase : L1147H9D). Ces observations seront bien entendu présentées à l'employeur, mais également, au comité d'entreprise ou à défaut aux délégués du personnel et, lorsqu'une négociation d'aménagement de la procédure est en cours, aux syndicats représentatifs de l'entreprise. Outre que la réponse, que l'employeur doit apporter à l'administration, doit être motivée, elle devra encore être communiquée aux représentants du personnel et aux syndicats lorsqu'elle porte sur le déroulement de la procédure ou les mesures sociales. En pratique, l'immense majorité des observations de l'administration du travail devrait porter sur ces éléments si bien que les employeurs seront bien avisés de transmettre automatiquement toute observation ou proposition administrative aux représentants du personnel.

  • Validation de l'accord collectif, homologation du document unilatéral de l'employeur

En outre, l'accord collectif (5) ou le document unilatéral (6) aménageant la procédure de licenciement devra, impérativement, être transmis à l'autorité administrative, le premier pour validation, le second pour homologation. L'administration aura la charge de vérifier que le contenu de l'accord ou du document est conforme aux articles L. 1233-24-1 (N° Lexbase : L0630IXM) à L. 1233-24-3 et aux articles L. 1233-61 (N° Lexbase : L6215ISY) et L. 1233-63 (N° Lexbase : L1242H9U), tous relatifs au contenu du plan de sauvegarde de l'emploi. Elle s'assurera, en outre, que la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est régulièrement envisagée par l'accord ou le document.

La décision administrative est enserrée dans des délais précis puisque l'article L. 1233-57-4 (N° Lexbase : L0641IXZ) prévoit que la décision de validation devra intervenir sous quinze jours alors que la décision d'homologation devra être rendue dans un délai de vingt-et-un jours (7). Cette décision devra être notifiée à l'employeur (8), au comité d'entreprise et aux syndicats s'il s'agit d'un accord d'aménagement. Ces représentants du personnel ou des syndicats pourront, ainsi, s'appuyer sur les remarques et propositions effectuées par l'administration du travail pour tenter de faire évoluer le projet voire, en cas de blocage, pour argumenter un recours contentieux dirigé contre la procédure engagée. La décision de validation ou d'homologation sera, enfin, portée à la connaissance des salariés par voie d'affichage sur les lieux de travail.

En cas de refus d'homologation ou de validation, l'employeur peut reprendre son projet de licenciement après l'avoir amendé et avoir présenté une nouvelle demande d'homologation ou de validation.

  • Sanctions

Après analyse de ces différentes dispositions, on peut, légitimement, se demander quelle mesure viendra sanctionner l'absence de demande d'homologation ou de validation ou la poursuite du projet après un refus d'homologation ou de validation. Si le paragraphe comportant les articles étudiés n'aborde pas la question de la sanction, le législateur a tout de même modifié l'article L. 1233-39 du Code du travail (N° Lexbase : L1189H9W), relatif à la notification du licenciement.

Deux alinéas sont ajoutés à ce texte. Le premier précise que la notification du licenciement intervient après la notification de la décision de validation ou d'homologation ce qui semble faire de la décision administrative une condition de validité du licenciement. Ce sentiment est confirmé par l'alinéa suivant qui dispose que l'employeur "ne peut procéder, à peine de nullité, à la rupture des contrats de travail avant la notification de cette décision d'homologation ou de validation".A la suite de la modification de l'article L. 1235-10 du Code du travail (N° Lexbase : L6214ISX), la nullité viendra encore sanctionner la procédure et les éventuels licenciements subséquents en cas d'annulation de la décision d'homologation ou de validation.

Si le principe de la réintégration du salarié à la suite de la nullité de son licenciement est maintenu, les conséquences de celle-ci varieront selon qu'est en cause l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi ou une autre cause ayant justifié l'annulation. Dans le premier cas, la règle ancienne de l'article L. 1235-11 du Code du travail (N° Lexbase : L0725IX7) est maintenue : le salarié sera réintégré sauf si cette modalité est devenue impossible ; à défaut de réintégration, est servie une indemnité qui ne peut être inférieure à douze mois de salaire. Dans le second cas, l'article L. 1235-16 du Code du travail (N° Lexbase : L0724IX4) dispose que la réintégration ne peut, en principe, être évitée par la preuve d'une quelconque impossibilité, mais que l'indemnité servie au salarié faute de réintégration ne peut être inférieure à six mois de salaire.

  • Contentieux

D'une certaine manière, la procédure nouvelle consiste dans le rétablissement d'une autorisation administrative de licenciement pour les licenciements collectifs, autorisation qui diffère, cependant, sensiblement de celle qui s'appliquait avant 1986 puisqu'elle n'aura pour objet que de vérifier le respect des règles procédurales, le contenu suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi et les "mesures sociales" envisagées. En favorisant des délais courts, cette mesure pourrait intéresser les entreprises qui seront mieux assurées de la validité des procédures engagées. Mais ce n'est pas là le plus grand des intérêts de cette procédure nouvelle.

A l'image de ce qui est prévu s'agissant de la rupture conventionnelle du contrat de travail qui, elle aussi, fait l'objet d'une homologation administrative, le nouvel article L. 1235-7-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0653IXH) dispose que l'accord, le document unilatéral, le contenu du plan et les décisions de l'administration "ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation" administrative. Contrairement au contentieux de la rupture conventionnelle, ce nouveau bloc de compétence est attribué au juge administratif "à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux". Pris au pied de la lettre, ce texte exclut donc la compétence du juge prud'homal pour apprécier la validité ou la régularité de la procédure de licenciement économique collectif, seules les questions de fond consistant à l'appréciation du motif de licenciement et de cause réelle et sérieuse du licenciement demeurant de sa compétence. Indirectement, le juge prud'homal ne devrait donc plus être mesure de prononcer la nullité d'un plan de sauvegarde de l'emploi ni, subséquemment, des licenciements prononcés.


(1) V. C. Figerou, Accords de méthode : vers des licenciements économiques négociés ?, Lexbase Hebdo n° 168 du 18 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4282AIG). V., également, F. Gaudu, Les accords de méthode, Dr. soc., 2008, p. 915 ; R. Vatinet, L'accord de méthode en quête de cohérence, Gaz. Pal., 12-14 août 2007, p. 10 ; P.-H. Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005 : la positive attitude, Dr. soc., 2005, p. 399 ; S. Nadal, Négociation collective et licenciement économique : propos introductifs sur le nouvel article L. 320-2 du Code du travail, Dr. ouvrier, 2005, p. 303.
(2) C. trav., art. L. 1233-34 (N° Lexbase : L6216ISZ) dans sa nouvelle rédaction.
(3) V. nos obs., Commentaire des articles 18 à 21 et article 25 de l'Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels des salariés, Lexbase Hebdo n° 514 du 31 janvier 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5539BTC).
(4) Le texte est, également, modifié s'agissant du nombre de réunions qui n'est plus impérativement limité à deux, ce chiffre devenant un minimum.
(5) C. trav. art. L. 1233-57-2 (N° Lexbase : L0639IXX).
(6) C. trav. art. L. 1233-57-3 (N° Lexbase : L0640IXY).
(7) Ces délais sont encore raccourcis par l'effet de l'article L. 1233-58 du Code du travail (N° Lexbase : L0712IXN) à huit jours en cas de redressement judiciaire, à quatre jours en cas de liquidation judiciaire.
(8) A rebours de la règle classique en droit administratif, mais de plus en plus commune en droit du travail, l'absence de réponse de l'administration du travail dans ces délais vaut décision de validation ou d'homologation. L'idée est toujours de ne pas aboutir à un blocage de la procédure qui en accroîtrait sensiblement la durée.

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Famille et personnes

[Jurisprudence] Administration des biens d'un mineur par un tiers : l'intérêt de l'enfant n'est pas un critère !

Réf. : Cass. civ. 1, 26 juin 2013, n° 11-25.946, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6859KHI)

Lecture: 7 min

N7944BTE

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP

Le 11 Juillet 2013

Aux termes de l'article 389-3, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L8356HWE) "ne sont pas soumis à l'administration légale, les biens qui auraient été donnés ou légués au mineur sous la condition qu'ils seraient administrés par un tiers. Ce tiers administrateur aura les pouvoirs qui lui auront été conférés par la donation ou le testament ; à défaut, ceux d'un administrateur légal sous contrôle judiciaire". Cette règle ancienne se justifie par l'idée que le gratifiant, libre de faire ou non une libéralité, peut a fortiori la soumettre à toute modalité qu'il juge utile, sous la réserve de l'ordre public. L'exclusion de l'administrateur légal par le donateur peut s'expliquer soit par ses doutes quant aux capacités de gestion de ce dernier soit par le fait qu'il entretient avec lui des relations difficiles. L'intérêt d'une clause d'exclusion de l'administration légale est notamment évident lorsqu'un parent divorcé souhaite transmettre des biens à son enfant en écartant l'autre parent de l'administration et de la jouissance de ces biens. De même des grands-parents pourront vouloir éviter que leur ex-gendre ou ex-belle fille ne tire avantage de la libéralité réalisée au bénéfice de leurs petits-enfants.

Le donateur désigne un tiers pour gérer les biens qu'il donne à l'enfant en précisant ses pouvoirs. Ce faisant, il porte atteinte aux prérogatives du représentant légal, ce qui évidemment peut susciter un certain mécontentement de la part de ce dernier qui doit supporter l'intervention d'un tiers dans la gestion des biens de son enfant mineur.

L'arrêt de la Cour de cassation du 26 juin 2013 s'inscrit dans cette hypothèse. En l'espèce, la mère d'un enfant mineur, prématurément décédée, avait institué, par testament du 31 décembre 2009, son fils légataire universel de ses biens et désigné son père, et à défaut sa soeur, administrateur des biens ainsi légués à son fils mineur. Pour empêcher la gestion que le père de l'enfant voulait faire des biens en question, les grands-parents maternels de l'enfant avaient contesté en justice sa qualité d'administrateur légal sous contrôle judiciaire.

De manière surprenante, la cour d'appel, pour réputer non écrites les dispositions testamentaires prises par la mère le 4 juin 2010 instituant un administrateur des biens de son fils, retient que "cette désignation est contraire à l'intérêt de l'enfant", s'attirant les foudres de la Cour de cassation qui casse l'arrêt pour violation de la loi.

Cette décision permet de rappeler que l'article 389-3, alinéa 3, du Code civil offre une prérogative discrétionnaire à l'auteur d'une libéralité en faveur d'un mineur (I), dont les modalités méritent par ailleurs d'être précisées (II).

I - Un droit inconditionnel de l'auteur de la libéralité

Silence du texte. La formule de l'article 389-3, alinéa 3, ne conditionne pas l'exclusion de l'administration légale à l'intérêt de l'enfant. Certains auteurs avaient pourtant estimé qu'une telle exclusion devait être conforme aux intérêts de l'enfant, considérant que ce critère doit seul justifier l'exclusion expresse du disposant et non une vengeance posthume ou une volonté de nuire ; selon cette analyse, le juge pourrait déclarer une clause ayant cet objet non écrite s'il l'estimait contraire à l'intérêt de l'enfant, par exemple si la gestion par un tiers des biens donnés ou légués s'avère manifestement contraire aux principes d'une bonne gestion (1). Cette conception peut évidemment être confortée par l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL) selon lequel, dans toute décision concernant un enfant, son intérêt supérieur doit primer.

Exclusion de l'intérêt de l'enfant. C'est cette analyse qu'avait reprise la cour d'appel dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté. Les juges du fond ont considéré que l'exclusion de l'administration légale était contraire à l'intérêt de l'enfant, sans préciser si cette contrariété était générale ou spécifique à l'affaire concernée. La Cour de cassation rejette en tout état de cause fermement cette solution en affirmant que la cour d'appel a violé la loi en ajoutant au texte de l'article 389-3, alinéa 3, du Code civil. Ce faisant, la Haute Cour s'en tient à une approche littérale du texte qui privilégie la liberté de l'auteur de la libéralité de subordonner celle-ci à toute condition qu'il juge nécessaire. Toutefois, cette solution n'est pas sans susciter quelques interrogations quant à sa compatibilité avec l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant.

Critique. L'exclusion de toute référence à l'intérêt de l'enfant pour une décision qui le concerne forcément paraît excessive. Même si le texte de l'article 389-3, alinéa 3, du Code civil ne vise pas ce critère, on ne peut l'écarter totalement dès lors que la décision concerne l'enfant et que la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant constitue un principe supra-législatif, qui plus est d'applicabilité directe en droit positif depuis 2005. Une solution intermédiaire pourrait être de considérer que, en principe, l'exclusion de l'administration légale sur les biens transmis gratuitement au mineur est conforme à son intérêt -elle permet en effet à un enfant d'obtenir des biens qu'il n'aurait peut-être pas reçus si son parent avait conservé son droit d'administration légale sur ceux-ci-, mais que le juge peut écarter cette exclusion lorsque celle-ci est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant apprécié in concreto. Une telle contrariété pourrait relever de l'incompétence manifeste de la personne désignée pour gérer les biens donnés au mineur ou du risque de conflits que cette gestion pourrait susciter avec les représentants légaux du mineur. Il semble que l'arrêt du 26 juin 2013 ne s'inscrit pas dans cette analyse et qu'elle fait primer la volonté du disposant sur l'intérêt supérieur de l'enfant ! D'autant que, dans cette affaire, le donateur était la mère du mineur...

II - Les modalités du transfert de l'administration légale à un tiers

Domaine de l'article 389-3, alinéa 3, du Code civil. La Cour de cassation avait, dans un arrêt ancien (2), limité l'exclusion de l'administration légale aux biens relevant de la quotité disponible. Toutefois il était de plus en plus admis, par analogie de la règle posée à propos de la clause d'exclusion de communauté (3), que le tiers désigné peut recevoir mission de gérer non seulement la quotité disponible, sphère normale de liberté du testateur ou du donateur, mais aussi la réserve héréditaire, qui normalement lui échappe (4). Une telle solution paraissait plutôt opportune, "il est parfois de l'intérêt de l'enfant de voir son patrimoine administré par un tiers, loin des conflits conjugaux et du risque de mauvaise gestion du patrimoine par un administrateur légal incompétent" (5). Dans un arrêt du 6 mars 2013 (6), la Cour de cassation a clairement affirmé que l'article 389-3 du Code civil est une disposition générale qui ne comporte aucune exception pour la réserve héréditaire. La clause peut ainsi aboutir à priver l'administrateur légal de ses pouvoirs sur l'ensemble des biens du mineur, comme c'était le cas dans l'espèce jugée par la Cour de cassation le 26 juin 2013.

Pouvoirs du tiers administrateur. L'article 389-3, alinéa 3, du Code civil dispose que les pouvoirs du tiers administrateur sont précisés dans la donation ou le testament. L'auteur de la libéralité peut en effet limiter les pouvoirs du représentant légal à la seule administration des biens et conditionner les actes de disposition à l'intervention d'un tiers. A l'inverse, l'auteur de la libéralité peut souhaiter que le tiers administrateur ait davantage de pouvoirs que ceux que lui conférerait la loi. En effet, le texte prévoit qu'à défaut de précision dans la libéralité, le tiers administrateur se voit conférer les pouvoirs d'un administrateur légal sous contrôle judiciaire. Il bénéficie ainsi seulement de pouvoirs d'administration, à l'exclusion de pouvoirs de disposition. L'auteur de la libéralité peut donc permettre que l'administrateur spécial reçoive des pouvoirs plus larges que ceux d'un administrateur légal ou d'un tuteur (7), et même, selon la lettre du texte, soit dispensé de tout contrôle ou autorisation du juge des tutelles ; en pareil cas, celui-ci n'engagera pas sa responsabilité (8). En l'espèce, la donatrice pouvait conférer à son propre père davantage de pouvoirs sur les biens légués que ceux que le père de l'enfant avait sur les autres biens du mineur. Les pouvoirs conférés à l'auteur de la libéralité peuvent donc être extrêmement étendus, fait d'autant plus remarquable que le régime de l'administration légale et de la tutelle est d'ordre public.

Exclusion de la jouissance légale. L'article 387 du Code civil exclut de la jouissance légale dont bénéficient les parents sur les revenus des biens du mineur, les biens qui lui ont été donnés ou légués sous la condition expresse que les père et mère n'en jouiront pas (9). Même si l'arrêt ne le précise pas, on peut penser que la clause qui écartait l'administration légale du père sur les biens légués contenait également une exclusion de la jouissance légale comme c'est souvent le cas en pratique. L'objectif poursuivi par la mère de l'enfant était en effet certainement que le père de celui-ci, dont elle était séparé, ne s'enrichisse pas de quelle que manière que ce soit, en profitant des biens qu'elle a laissé à leur enfant commun. On peut cependant s'interroger sur le fait de savoir si la clause d'exclusion de l'administration légale n'emporte pas exclusion automatique de la jouissance légale. En effet, l'article 387 du Code civil vise une condition  expresse. Gérard Cornu (10) considérait cependant que si l'administration légale était écartée, le droit de jouissance se trouve, lui-même indirectement exclus à la base : l'absence de gestion du bien par les parents implique que les revenus de celui-ci ne sont pas perçus par eux mais le tiers chargé de les administrer. Si cette analyse paraît tout à fait logique et opportune, il convient de se méfier de l'interprétation littérale que la Cour de cassation pourrait faire de l'article 389-3, alinéa 3, et conseiller aux donataires d'exclure expressément à la fois l'administration et la jouissance légale, d'autant que l'exclusion doit être expresse mais n'exige pas de formule sacramentelle. Il suffit que l'intention du disposant d'affranchir les biens donnes ou légués de l'administration légale du ou des titulaires de l'autorité parentale soit non équivoque et certaine (11).


(1) Y. Favier, La constitution du patrimoine du mineur par les libéralités, AJ Famille, 2002, p. 360.
(2) Civ., 27 juin 1933, Defrénois 1933, art. 23658 ; DP, 1934, 1, 94, note Savatier ; S., 1933, 1, 326.
(3) Cass. civ. 1, 10 juin 1975, n° 73-11.265 (N° Lexbase : A9250CGP), Defrénois, 1975, art. 30986, note G. Morin ; JCP éd. G, 1975, II, n° 18141, note R. Savatier.
(4) En ce sens, D. Boulanger, L'efficacité totale des clauses d'exclusion de la jouissance ou de l'administration légale, JCP éd. N, 1994, I, 363 ; J. Massip, Les incapacités, étude théorique et pratique, Ed. Defrénois, 2002, n° 24.
(5) Y. Favier, art. préc..
(6) Cass. civ. 1, 6 mars 2013, n° 11-26.728, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0604I9A), JCP éd. N, 2013, n° 18, p. 47, obs. D. Boulanger ; Dr. fam., 2013, comm. n° 57, obs. A. Mangiavillano ; RJPF, 2013, n° 4, p. 43, obs. F. Sauvage.
(7) T. civ. Seine, 17 avril 1894, DP, 1896, 2, 427, pour une donation avec dispense d'emploi des fonds ; Adde, Douai, 4 octobre 1967, JCP éd. A, 1968, IV, 5214, obs. J. A.
(8) TGI Paris, 28 octobre 1992.
(9) Boulanger, art. préc..
(10) Droit civil, La famille, n° 97, Précis Domat 3ème éd., 1993.
(11) F. Sauvage, obs. préc..

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Finances publiques

[Le point sur...] Vers la disparition de la gestion de fait ?

Lecture: 20 min

N7938BT8

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences à l'Université de Caen

Le 11 Juillet 2013

La gestion de fait, notion ancienne s'il en est puisque le premier arrêt recensé remonte à 1834, semble être en voie de disparition. Le nombre d'arrêts rendus par les juridictions financières décroît, en effet, régulièrement depuis plusieurs années. Pourtant, rien ne semble indiquer que les actes constitutifs de gestion de fait seraient, eux aussi, en diminution. Côté recettes, la gestion occulte consiste, pour une personne dépourvue de la qualité de comptable public, à s'immiscer dans le recouvrement de recettes publiques. Côté dépenses, elle se traduit par l'extraction irrégulière de fonds de la caisse publique. Elle intervient, le plus souvent, par le biais d'un mandat fictif ou d'une subvention. Aucune réforme majeure des pratiques administratives mises en oeuvre ces dernières années ne conduit à réduire le nombre de cas possibles de gestion de fait. On doit donc chercher ailleurs la cause de cette évolution. Elle trouve son origine, au moins partiellement, dans la réforme de la procédure réalisée par la loi n° 2008-1091 du 28 octobre 2008, relative à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes (N° Lexbase : L6974IBW). En réformant de fond en comble la procédure juridictionnelle devant les juridictions financières, le législateur a, en réalité, littéralement étouffé cette notion. Après avoir, sous l'influence de la CESDH, supprimé la règle du double arrêt (I), la loi a instauré une procédure inadaptée à la gestion de fait (II). I - La disparition de la règle du double arrêt

La règle du double arrêt, qui permettait de garantir le principe du contradictoire, a été supprimée par la loi du 28 octobre 2008, adoptée sous l'influence des principes de la CESDH.

A - Le principe du double arrêt

La règle du double arrêt était énoncée par l'arrêté du 29 frimaire an IX et sera reprise par le décret n° 85-199 du 11 février 1985, puis par l'article L. 140-7 du Code des juridictions financières abrogé, lequel disposait que "la Cour statue sur ces comptes par arrêts successivement provisoires et définitifs". Elle permettait au comptable de présenter ses observations écrites en réponse aux injonctions contenues dans le premier arrêt afin que le juge ne puisse statuer définitivement qu'après avoir pris connaissance de ses moyens de défense. Les deux arrêts "constituent deux décisions juridictionnelles distinctes" (1). Les dispositions provisoires "font partie d'une procédure contradictoire devant le juge de première instance qui peut les modifier à l'issue de ladite procédure" (2).

Le respect de cette règle imposait la succession d'au moins deux décisions. L'arrêt définitif devait répondre intégralement aux moyens de défense du comptable (3) et correspondre précisément à l'arrêt provisoire, en particulier quant aux personnes dont la responsabilité est mise en cause : un arrêt définitif ne pouvait mettre en débet solidairement deux comptables successifs, alors que, seul, l'un d'entre eux a été mis en cause et, de ce fait a été destinataire des injonctions, par l'arrêt provisoire (4). De même, une décision définitive ne pouvait reposer sur des éléments de fait qui n'ont pas été évoqués dans la décision provisoire et "dont le comptable ne pouvait avoir eu connaissance" (5). Une personne n'ayant pas été visée dans la déclaration provisoire de gestion de fait ne pouvait ainsi être déclarée comptable de fait à titre définitif (6).

Puisqu'elle a disparu, la règle du double arrêt mérite donc qu'on en fasse le bilan.

Elle présentait des avantages indéniables. L'arrêt provisoire permettait en effet de connaître avec exactitude la pensée et le raisonnement du juge avant que celui-ci ne statue définitivement. Ce constat peut sembler banal. Il traduit pourtant une réalité essentielle. En effet, la concordance obligatoire entre les deux décisions interdisait toute surprise dans les motifs et le dispositif de la seconde décision. Or, étant donné la complexité des questions abordée par la juridiction financière, il était particulièrement utile, pour la défense du comptable, de circonscrire exactement le débat contentieux. Cela ne signifie pas qu'il pouvait conduire le juge à changer sa position entre les deux décisions, car ceci relève d'un autre aspect, lié notamment au déclenchement de la procédure. Mais, on finit parfois, à force d'intoxication à la CESDH, à confondre les droits de la défense avec le droit à ne pas être condamné. Plus que tout autre, le contentieux financier est profondément objectif. La plupart des irrégularités comptables relevées par l'instruction ne sont pas susceptibles d'être contestées, qu'il s'agisse de la gestion de fait ou de la comptabilité patente.

Aussi bien, la double décision permettait-elle d'établir un dialogue entre le juge et le comptable. Celui-ci ne voyait pas surgir soudain une décision surprenante après une instruction dans laquelle il aurait eu l'impression de faire valoir ses arguments. Il faut certes reconnaître que ce dialogue était parfois un dialogue de sourds, en particulier avec les chambres régionales des comptes. Toutefois, il convient de ne pas confondre la cause du phénomène et sa manifestation. Ce n'est pas parce que ce dialogue de sourds (on pense à la reconnaissance d'utilité publique des dépenses ou à l'application du principe de l'interdiction du contrôle de légalité) se manifestait lors de l'application de la règle du double arrêt que cette règle en était la cause. Certaines positions hautement discutables des juridictions financières demeureront, quelle que soit la procédure. En conséquences, deux hypothèses peuvent se présenter : soit l'appréciation du juge sur l'existence ou la nature de l'irrégularité comptable est contestable et dans ce cas, aucune règle procédurale nouvelle ne permettra d'emporter son adhésion ; soit la contestation de l'irrégularité comptable n'est pas sérieuse et le double arrêt permettait alors au comptable, qui savait précisément ce qui lui était reproché grâce à l'arrêt provisoire, de préparer correctement sa défense.

La succession des deux décisions, souvent présentées de manière théorique comme une sorte de pré-jugement, constituait, en réalité, une aide précieuse pour le comptable.

On reprochait également à la procédure actuelle de n'informer le comptable des charges qui étaient retenues contre lui qu'à l'occasion de la notification de la décision provisoire ce qui est inexact. Les comptables patents doivent déposer leurs comptes régulièrement devant le juge. Ils doivent donc s'attendre, à chaque dépôt, à ce que des irrégularités puissent leur être reprochées. Les gestions de fait donnaient également lieu à des échanges entre le rapporteur et le comptable de fait présumé. Le sens des demandes de pièces des rapporteurs ainsi que de leurs demandes d'explication ne laissaient guère de doutes quant à leur appréciation. Le comptable de fait ne pouvait être surpris en recevant la notification de l'arrêt provisoire.

B - L'influence de la CESDH

La règle du double arrêt a disparu sous les assauts répétés de la CESDH.

La Cour des comptes a longtemps résisté à toute tentative d'intrusion de la part des ordres juridiques européens : la CESDH ne lui était pas applicable, bien que le contenu de l'article 6 § 1 de cette Convention (N° Lexbase : L7558AIR) ne lui fût pas étranger. Avant que le Conseil d'Etat ne commence à faire évoluer sa jurisprudence sur ce point (7), la Cour rappelait que la procédure suivie devant les juridictions financières n'était pas "substantiellement contraire" (8) aux principes posés par la CESDH et que la cause des parties était entendue équitablement "conformément au principe posé" (9) par cette Convention. La juridiction financière considérait que si l'article 6 § 1 ne lui était pas directement applicable, "les principes qui sont à la base de la CESDH et des libertés fondamentales s'imposent au juge des comptes statuant sur le point de savoir si des personnes n'ayant pas la qualité de comptable public se sont constituées comptables de fait" (10).

Le Conseil d'Etat a fini par admettre l'applicabilité de la CESDH à l'occasion des amendes pour gestion de fait infligées par la Cour (11), puis à l'intégralité de la procédure pour gestion de fait (12) et enfin à l'occasion de la mise en débet d'un comptable patent à titre définitif (13). Parallèlement le Conseil d'Etat, interdisait, d'une part, au juge des comptes de statuer sur une gestion de fait ayant été évoquée préalablement dans un rapport public de la Cour des comptes (14). On relèvera que, pour être constitutive de pré-jugement, la mention doit constituer une véritable qualification juridique des faits (15). D'autre part, il excluait, de lui-même et dans un premier temps sans référence à la CESDH, de la formation de jugement le magistrat qui avait eu à connaître de l'affaire lors d'un contrôle de gestion (16).

Ces exigences, assez curieuses de la part d'une juridiction qui pratiquait, à l'époque, le principe de double appartenance, n'ont d'ailleurs pas été sans rencontrer de résistance de la part de la Cour des comptes. Un arrêt du 26 avril 2001 de la quatrième chambre mettait ainsi le Conseil d'Etat devant les contradictions de la jurisprudence Labor metal (17). La Cour, constatant que les faits reprochés aux comptables occultes avaient fait l'objet d'insertion au rapport public, "dans des termes suffisamment précis pour permettre le rapprochement avec la procédure de gestion de fait" en question, en avait tiré la conséquence logique qu'elle ne pouvait plus statuer en appel, refusant ainsi aux comptables de fait le droit de bénéficier de la règle du double degré de juridiction. Se conformant strictement, tant à l'esprit qu'à la lettre de l'arrêt du Conseil d'Etat n° 195715 23 février 2000 (18), la Cour violait ainsi consciencieusement le principe du double degré de juridiction prévu par l'article L. 111-1 du Code des juridictions financières (N° Lexbase : L7056IBX). Le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi, s'en était sorti par une pirouette et avait annulé l'arrêt d'appel au motif que la Cour avait décliné sa compétence sans transmettre l'appel au Conseil d'Etat. Celui-ci, "dans le cadre des ses pouvoirs généraux de régulation de l'ordre juridictionnel administratif" était en effet seul compétent pour juger des suites à donner à cette situation et le cas échant, pour se prononcer sur les conclusions d'appel. Fort heureusement pour le Conseil, et d'ailleurs pour les comptables de fait, les circonstances lui permettaient d'éviter de statuer sur la gestion de fait et sur le compte : l'irrégularité de la formation de jugement le conduisaient à annuler les jugements de première instance (19).

Le législateur a également suivi le mouvement. La loi n° 2001-1248 du 21 décembre 2001, relative aux chambres régionales des comptes et à la Cour des comptes (N° Lexbase : L2854AWM), a ainsi modifié l'article L. 140-7 du Code des juridictions financières en excluant, pour les gestions de fait, le rapporteur du délibéré et en imposant une audience publique.

La Cour européenne des droits de l'Homme a également puissamment contribué à ébranler la procédure financière. Elle affirme dans un arrêt du 7 octobre 2003 (20) que l'article 6 § 1 est applicable à la gestion de fait puis à la gestion patente, par un arrêt du 13 janvier 2004 (21). En conséquence, elle condamne la France pour délai excessif de la première (22), puis de la seconde procédure (23). La procédure du double arrêt se trouvait donc mise en cause directement mise en cause : bien qu'elle vise à protéger les droits de la défense du comptable, elle finissait, par l'allongement excessif de la procédure qu'elle provoque, par nuire à ces mêmes droits.

La réforme de la procédure financière s'avérait donc indispensable pour éviter de nouvelles condamnations de la France. C'est ainsi qu'à la demande du Président de la République, le premier président de la Cour des comptes a lancé une vaste réforme de l'organisation et des missions des juridictions financières. La loi du 28 octobre 2008 a donc réformé entièrement la procédure de jugement des comptes. Entrée en vigueur au 1er janvier 2009, elle est accompagnée de deux décrets d'application du 19 décembre 2008 (décret n° 2008-1397 N° Lexbase : L3799ICP et décret n° 2008-1398 N° Lexbase : L3800ICQ).

C - La procédure de jugement des comptes

L'objectif du législateur est de raccourcir et de simplifier la procédure en supprimant la règle du double arrêt et la possibilité de s'auto-saisir d'une gestion de fait. La nouvelle procédure, comme l'actuelle est applicable au jugement des comptes patents et des comptabilités occultes.

Le déroulement de la procédure

Le nouvel article L. 131-1 du Code des juridictions financières (N° Lexbase : L7073IBL) rappelle que les comptables publics qui relèvent de la juridiction de la Cour des comptes sont tenus de lui produire leurs comptes dans les délais fixés par décret en Conseil d'Etat. Le dépôt des comptes opère donc saisine du juge et l'instruction à fin de jugement des comptes est réalisée par le rapporteur nommé par le président de chambre. Le rapport identifie les points susceptibles de provoquer un débet et ceux qui pourront donner lieu à des observations relatives à la gestion. Il peut également identifier des éléments susceptibles d'être qualifiés de gestion de fait. Le rapport est alors transmis au parquet.

Si le ministère public ne relève aucune charge ou constate l'absence de gestion de fait, il conclut à la décharge du comptable. Le président de la formation de jugement ou son délégué, rend alors, éventuellement après un rapport complémentaire, une ordonnance de décharge. La demande de rapport complémentaire doit être faite dans un délai d'un mois à compter de la réception des conclusions du parquet (C. jurid. finan., art. R. 142-3 N° Lexbase : L5471IWK). A défaut de demande de rapport complémentaire dans ce délai la décharge est rendue par une ordonnance motivée. Le comptable patent sortant de fonctions et à l'encontre duquel ne subsiste aucune charge est déclaré quitte par la même ordonnance. L'ordonnance de décharge et de quitus est notifié au comptable, à l'ordonnateur et, s'agissant de l'Etat, au ministre du Budget.

On notera, tout d'abord, que les conclusions du parquet prévalent sur l'avis du rapporteur. Ensuite, la nouvelle procédure, en cas de conclusions de décharge du parquet après le rapport complémentaire, supprime tout pouvoir d'appréciation de la formation de jugement. Le président ne dispose d'aucune liberté et doit suivre les conclusions du parquet. Ce mécanisme assez original s'explique sans doute par le souci de rapidité et de protection des comptables. Il fait peser sur le parquet une responsabilité nouvelle et importante. Enfin, le texte ne précise pas la solution adoptée lorsque le parquet conclut à l'absence de comptabilité occulte. Mais on peut penser que l'ordonnance juridictionnelle ne peut être rendue. En effet, le comptable de fait présumé n'étant pas justiciable du juge des comptes, celui-ci n'est pas compétent pour prendre une décision juridictionnelle le concernant, quand bien même cette décision viendrait constater l'absence de gestion de fait et conduirait donc à confirmer le fait que la personne en question n'est pas justiciable du juge des comptes.

Si le ministère public relève l'existence d'une ou plusieurs charges, il prend un réquisitoire écrit et motivé en droit (C. jurid. finan., art. R. 112-8-I N° Lexbase : L4175IU8) qui conduit à une instruction contradictoire au cours de laquelle le comptable et l'ordonnateur ont accès au dossier. Concrètement, ils peuvent ainsi avoir accès, avant l'audience, au réquisitoire du parquet et au rapport à fins de jugement du rapporteur. Ces échanges avec le comptable permettent d'assurer le caractère contradictoire de la procédure. Le changement par rapport à la règle du double arrêt doit être souligné. Le comptable a désormais accès à des documents couverts, auparavant, par le secret. En particulier, dès qu'une instruction est ouverte sur réquisition du parquet, le réquisitoire et le nom du magistrat chargé de l'instruction sont transmis aux comptables, aux personnes mises en cause, ainsi qu'à l'ordonnateur. Ces personnes ont accès au dossier constitué des pièces sur lesquelles le réquisitoire est fondé (C. jurid. finan., art. R. 142-4 N° Lexbase : L5469IWH).

Le rapporteur est désigné parmi les magistrats de la Cour par le premier président (Code jur. fin., art. R. 112-18). Il doit instruire les comptes à charge et à décharge. Le décret oublie de préciser, sur ce point, que cette instruction à charge et à décharge doit également concerner la déclaration de gestion de fait. Les comptables, ordonnateurs et toutes les personnes mises en cause sont tenus de déférer aux demandes d'explication ou de production de pièces dans un délai qui ne peut être inférieur à quinze jours. Les parties, qui ont accès au dossier et qui peuvent obtenir copie des pièces auprès du greffe, peuvent adresser des observations écrites au rapporteur. Ces productions sont notifiées à chaque partie et versées au dossier (C. jurid. finan., art. R. 142-5 N° Lexbase : L5496IWH).

La clôture de l'instruction intervient par le dépôt au greffe du rapport. On relèvera que, dans les procédures juridictionnelles, le contre-rapporteur disparaît et est remplacé par un réviseur dont les fonctions ne sont pas précisément définies par le décret. Le rapport et les conclusions du ministère public sont versés au dossier. Les parties sont informées de la clôture mais le décret ne prévoit pas que l'information des parties est réalisée préalablement à la clôture. Les parties auxquelles le réquisitoire a été notifié sont informées de la clôture, du dépôt des conclusions du ministère public, des productions faites par les parties ainsi que de la possibilité de consulter ces pièces. Il faut noter qu'en cas de dépôt d'observations ou de pièces nouvelles entre la clôture et la mise en délibéré de l'affaire, celles-ci sont communiquées au rapporteur et au parquet. Les autres parties sont informées de la production de ces observations ou pièce nouvelles ainsi que de la possibilité de les consulter (C. jurid. finan., art. R. 142-6 N° Lexbase : L5453IWU).

A l'issue de l'instruction, l'affaire est évoquée au cours d'une audience publique. La loi généralise donc le recours à l'audience qui devient systématique. Les parties sont informées par lettre recommandée au moins sept jours avant l'audience (C. jurid. finan., art. R. 142-8 N° Lexbase : L5455IWX). L'ordre de parole est désormais le suivant : l'exposé du rapporteur est suivi des conclusions du ministère public puis des observations des parties qui, en tout état de cause, doivent avoir la parole en dernier. La formation délibère en dehors de la présence du rapporteur et du ministère public. Cette exclusion est également systématique, afin d'écarter du délibéré les deux magistrats qui ont, avant l'audience, une idée arrêtée sur les faits et sur la responsabilité du comptable. Le projet d'arrêt est établi par le réviseur (C. jurid. finan., art. R. 142-13 N° Lexbase : L5460IW7).

La décision doit viser les comptes jugés, les pièces et les dispositions législatives et réglementaires dont il est fait application. On relèvera que le décret impose explicitement à la juridiction de statuer sur les propositions du rapporteur, les conclusions du ministère public et les observations des parties. La décision peut ensuite faire l'objet des voies de recours ordinaires et extraordinaires classiques : appel pour les jugements des chambres régionales des comptes, cassation pour les arrêts de la Cour et révision devant la juridiction qui a rendu la décision pour toutes les juridictions financières. La rectification d'erreur matérielle est également prévue. La procédure juridictionnelle issue de la loi de 2008 ne va pas sans poser de difficultés au regard des principes de la gestion de fait.

II - Une procédure inadaptée à la gestion de fait

La loi du 28 octobre 2008 opère donc un changement radical de la procédure qui rassemble désormais des caractéristiques communes à la procédure administrative et à la procédure pénale. Cette nouvelle procédure méconnaît les spécificités de la gestion de fait.

A - La déclaration de gestion de fait

La loi du 28 octobre 2008 réitère le principe selon lequel les juridictions financières n'ont pas juridictions sur les ordonnateurs, hormis sur ceux qu'elles ont déclarés comptable de fait. Contrairement aux autres ordres de juridictions, les juridictions financières n'ont pas, en effet, de compétence générale. Leur compétence concerne exclusivement les comptables patents. Ceux-ci sont en effet soumis à un statut qui les rend directement justiciables du juge des comptes. Aucun acte introductif d'instance n'est nécessaire pour entamer la procédure à leur égard. Ils sont contraints de déposer leurs comptes au greffe des juridictions à intervalles réguliers et ce dépôt opère saisine du juge.

Rien de tel avec les comptables de fait. Le comptable de fait n'est pas justiciable du juge des comptes tant qu'il n'a pas été déclaré tel par une décision définitive, au sens de la règle du double arrêt. Durant le déroulement de la gestion de fait le comptable occulte n'est pas soumis à l'obligation de rendre des comptes et, par voie de conséquence, ne supporte aucune responsabilité financière.

La déclaration de gestion de fait constitue donc un préalable indispensable pour contraindre le comptable de fait à compter devant le juge financier. En l'absence de ce préalable, le juge ne peut assujettir personne à sa juridiction, laquelle qui se limite exclusivement à juger les comptes des comptables patents. Et il faut insister sur le fait que la déclaration doit être prononcée par une décision de justice rendue à l'issue d'une procédure contradictoire. En effet, les conséquences d'une telle déclaration sur le comptable sont trop graves pour que cette exigence ne soit pas respectée. Le comptable de fait doit être en mesure de contester utilement sa qualité et la qualification juridique des faits sur laquelle elle repose. C'est la raison pour laquelle la Cour des comptes a toujours veillé attentivement au respect de la règle de la double décision en cette matière.

Il faut également insister sur le fait que la déclaration de gestion de fait est une étape nécessaire et indispensable pour parvenir à ce qui constitue le coeur de la procédure : le jugement du compte. Or, tout se passe comme si le législateur avait succombé à l'obsession de la doctrine dominante qui n'évoque, depuis plus de quinze ans, la procédure de gestion de fait qu'au travers des garanties procédurales et de la CESDH. On a oublié que cette procédure est, avant tout, une régularisation comptable : l'évocation préalable de l'affaire ou la situation du rapporteur ne sont que des aspects périphériques, certes moins austères et plus dans l'air du temps. Ils ne sont pas la raison d'être de la procédure qui demeure l'établissement et le jugement du compte.

Dès lors, la nouvelle procédure de jugement des comptes apparaît, dans un premier temps, assez peu cohérent avec les principes fondateurs de la gestion de fait. Le prononcé d'une seule décision de justice pour juger une gestion de fait est incompatible avec les principes qui régissent la juridiction du juge des comptes. Ce n'est que par le décret n° 2008-1397 du 19 décembre 2008 que la comptabilité de la nouvelle procédure avec la gestion de fait est assurée. L'article R. 131-13 du Code des juridictions financières (N° Lexbase : L5286IWP) prévoit désormais qu'après avoir déclaré une gestion de fait, la Cour juge les comptes et statue sur l'amende selon la nouvelle procédure. Le jugement du compte est fait au vu de conclusions du ministère public mais sans nouvelle réquisition du procureur général. Cette nouvelle situation appelle plusieurs observations.

En premier lieu, on ne pourra que s'étonner du silence des parlementaires sur cette question lors de l'adoption de la loi. A aucun moment, ni dans les rapports, ni dans les débats, la question de l'incompatibilité manifeste de la loi avec les principes de la gestion n'a été soulevée. On ne sait comment expliquer ce silence. Si l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) ne réserve à la compétence législative que la seule procédure pénale, il aurait été rassurant que la question soit posée. Il est en effet courant, y compris au Parlement, d'assimiler à tort procédure pénale et procédure financière. Le silence du Parlement est donc très surprenant et un peu inquiétant.

En deuxième lieu, le fait de laisser le pouvoir réglementaire préciser et combler une lacune grave de la loi, n'est pas cohérent. Etant donné l'importance des conséquences de la gestion de fait pour les intéressés, on aurait pu imaginer que les dispositions de l'article R. 131-13 seraient intégrées à la loi. Celle-ci aurait gagné en clarté et en cohérence. De plus, cette disposition se serait parfaitement intégrée à la suite du rappel du principe selon lequel la Cour des comptes n'a pas compétence pour juger les ordonnateurs, sauf ceux qu'elle a déclarés comptables de fait.

En troisième lieu, l'idée de simplification qui sous-tend la loi sort très amoindrie de ce bricolage. L'esprit du projet de loi était en effet de simplifier la procédure et, pour ce faire, d'abandonner la règle du double arrêt. Mais c'était sans compter avec les spécificités de la gestion de fait. On aboutit ainsi à une nouvelle règle du double arrêt puisqu'une procédure pour gestion de fait ne peut que conduire à l'édiction de deux décisions. Avec un inconvénient supplémentaire : la publicité de la première décision, alors que la déclaration provisoire demeurait toujours confidentielle. Autant dire que les garanties du justiciable n'est sortent pas nécessairement renforcées et que la portée de la suppression du double arrêt est pour le moins réduite. La plupart des comptables de fait ne comprennent toujours pourquoi il leur faut passer deux fois devant le même juge.

B - Une procédure en trompe l'oeil

La nouvelle procédure doit être analysée au regard des ses objectifs.

En premier lieu, force est de constater qu'aucune disposition législative ne garantit, en l'état actuel, le raccourcissement des délais de jugement. On pouvait penser que les décrets d'application fixeraient des délais impératifs à la charge des intervenants (parquet, rapporteur et comptable), faute de quoi, cet objectif ne sera pas atteint. Or, tel n'est pas le cas. On notera que la règle du double arrêt n'était pas structurellement plus longue.

En second lieu, le renforcement de l'équilibre de la procédure n'est pas si incontestable. Tout se passe comme si le législateur pensait s'être dédouané des critiques adressées à l'ancienne procédure en appliquant les principes issus de la CESDH, sans se préoccuper concrètement de l'application de ces principes. Deux points doivent retenir l'attention.

D'une part, la jurisprudence et la doctrine ont beaucoup insisté sur la notion de pré-jugement de l'affaire, notamment en matière de gestion de fait. C'est le principal reproche adressé au double arrêt : en permettant au juge de rendre un arrêt provisoire, la loi conduisait ce dernier à émettre une première opinion avant de statuer définitivement. De même, en permettant au juge de s'auto-saisir d'une gestion de fait, la loi lui permettait de tirer les conséquences de l'opinion qu'il manifeste en déclenchant lui-même la procédure. On en convient : ces deux éléments traduisaient effectivement l'existence d'une opinion du juge avant que ce dernier ne statue définitivement.

Toutefois, il faut mettre fin à cette obsession du pré-jugement qui peut tout aussi bien être reprochée à la nouvelle procédure. Tout d'abord, en effet, si la formation de jugement ne "découvre" le dossier qu'au jour de l'audience, on ne peut pas soutenir sérieusement que le seul fait qu'une procédure soit ouverte ne l'influence pas de manière déterminante. Le fait de savoir que le ministère public et conjointement, de manière quasi-systématique, le rapporteur, estiment que la déclaration de gestion de fait est encourue ne peut pas ne pas constituer un pré-jugement. En effet, la gestion occulte n'est pas un délit reposant sur un élément matériel et un élément intentionnel. Elle se traduit par une violation des règles comptables qui est constituée indépendamment de l'intention de son auteur. Dès lors que, par exemple, des deniers sont extraits irrégulièrement de la caisse publique et qu'ils sont manipulés par une personne qui, n'ayant pas la qualité de comptable public, procède à des opérations de recettes et de dépenses, la gestion de fait est constituée. Ce caractère objectif a pour conséquence que la qualification juridique des faits est rarement contestable. Comment, dès lors, ne pas voir dans l'intervention du parquet et du rapporteur un élément participant à un pré-jugement de l'affaire ? L'objection selon laquelle le double arrêt manifestait l'opinion du juge lui-même n'est pas convaincante : l'impartialité du juge ne doit pas être mise en doute que ce soit par son intervention directe ou par la prise en compte officieuse des opinions de magistrats dont il respecte naturellement les appréciations juridiques. Les lacunes de la nouvelle procédure démontrent le caractère excessif de l'obsession du pré-jugement qui règne dans la jurisprudence et la doctrine depuis plusieurs années.

D'autre part, l'effet de l'audience publique est surestimé. Il est, en effet, vain de croire qu'à l'occasion d'une audience, le comptable pourra produire des observations orales convaincantes. La complexité des faits et la longueur théorique des observations orales que le comptable, ou son avocat, peuvent présenter interdisent d'envisager sérieusement cette hypothèse. Cette généralisation de l'audience, destinée à permettre au juge d'appréhender l'ensemble d'un compte, traduit un oubli des leçons de l'expérience passée. Le juge financier a traditionnellement écarté l'audience publique pour des raisons pratiques. Les chambres délibèrent en effet sur les rapports après chaque observation afin d'éviter les oublis et d'entamer le débat alors que les magistrats ont encore l'observation présente à l'esprit. Cette démarche est résolument pragmatique. On voit mal l'impact que pourront avoir, au moment du délibéré, les observations orales du comptable, présentées en bloc lors de l'audience.

De plus, l'effet de l'audience publique, si elle est en elle-même absolument nécessaire dans son principe, est surestimé. Devant les juridictions administratives, l'audience publique demeure très formelle et tend à le devenir de plus en plus devant les juridictions civiles. La complexité du débat technique donnera de manière certaine, un caractère pour le moins rébarbatif et austère à l'audience. Il faut le dire clairement, l'audience ne mobilise l'attention qu'en fonction de son caractère dramatique. Or, le contentieux financier est certes passionnant pour les initiés, mais on ne peut affirmer qu'il pourra conduire à la tenue d'audience dramatique. A vouloir protéger les droits du comptable, on risque de créer rapidement un sentiment particulièrement négatif chez ces derniers qui pourraient bien ressentir l'apparente inutilité de cette nouvelle audience.

En conclusion, force est de constater que le jugement de la gestion de fait, qui sous l'empire de la règle antérieure conduisait le juge à prononcer au moins deux décisions, donne lieu, désormais à deux procédures conduisant chacune à une décision. On peut donc vraiment s'interroger sur l'efficacité de la procédure issue de la loi du 28 octobre 2008. La disparition progressive de la gestion de fait semble confirmer cette interrogation.


(1) Cour des comptes, 4ème ch., Commune de Nice.
(2) Cour des comptes, 4ème ch., 13 mars 1986, Région de la Martinique.
(3) Cour des comptes, 4ème ch., 4 février 1993, Perception de Montcuq.
(4) Cour des comptes, 4ème ch., 1er mars 1990, Ville de Paris.
(5) Cour des comptes, 4ème ch., 9 décembre 1993, Région de Franche-Comté.
(6) Cour des comptes, 4ème ch., 9 juillet 1992, Syndicat des eaux de Damazan-Buzet.
(7) CE 2° et 6° s-s-r., 19 juin 1991, n° 104979, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9961AQY).
(8) Cour des comptes, 4ème ch., 11 mars 1993, Commune de Grenoble.
(9) Cour des comptes, 4ème ch., 4 mai 1993, Commune de la Ciotat ; Cour des comptes, 4ème ch., 9 décembre 1993, Commune de Nice.
(10) Cour des comptes, 4ème ch., 26 mai 1992.
(11) CE 2° et 6° s-s-r., 16 novembre 1998, n°172820, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9088ASE).
(12) CE 4° et 6° s-s-r., 30 décembre 2003, n° 251120, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0958D3U).
(13) CE 1° et 6° s-s-r., 30 mai 2007, n° 270410, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5238DWW).
(14) CE, S., 23 février 2000, n° 195715, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9362AGT).
(15) CE 1° et 6° s-s-r., 10 mai 2004, n° 251090, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1767DCG).
(16) CE, S., 6 avril 2001, n° 200764 et n° 200767, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6635ATW).
(17) Cour des comptes, 4ème ch., 26 avril 2001, Département de l'Essonne.
(18) CE, S., 23 février 2000, n° 195715, publié au recueil Lebon, préc..
(19) CE, S., 17 octobre 2003, n° 237290, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8525C9M).
(20) CEDH, 7 octobre 2003, Req. 53929/00 (N° Lexbase : A3956KID).
(21) CEDH, 13 janvier 2004, Req. 58675/00 (N° Lexbase : A3957KIE).
(22) CEDH, 1er juin 2004, Req. 53929/00 (N° Lexbase : A2910DCR).
(23) CEDH, 12 décembre 2006, Req. 49699/99 (N° Lexbase : A8529DSP).

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Rel. collectives de travail

[Brèves] Modification de l'objet statutaire ou du caractère intercatégoriel ou catégoriel d'une organisation syndicale : absence de perte de la personnalité juridique

Réf. : Cass. soc., 14 mars 2018, n° 17-21.434, F-P+B (N° Lexbase : A2104XHE)

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N3239BXA

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par Blanche Chaumet

Le 23 Mars 2018



La modification de l'objet statutaire ou du caractère intercatégoriel ou catégoriel d'une organisation syndicale décidée conformément à ses statuts ne fait pas perdre à cette organisation sa personnalité juridique. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 mars 2018 (Cass. soc., 14 mars 2018, n° 17-21.434, F-P+B N° Lexbase : A2104XHE ; voir également Cass. soc., 3 mars 2010, n° 09-60.283, FS-P+B+R, N° Lexbase : A6615ESS et Cass. soc., 17 avril 2013, n° 12-18.430, F-D N° Lexbase : A4115KCE).
En l'espèce, le Syndicat national de transport aérien (SNTA-CFDT), syndicat intercatégoriel, a, lors d'un congrès extraordinaire du 5 avril 2016, décidé de modifier ses statuts pour devenir un syndicat catégoriel représentant le personnel navigant technique (PNT) sous la nouvelle dénomination de Syndicat des pilotes de ligne (SPL-CFDT). Le même jour, d'anciens adhérents du SNTA-CFDT ont créé le Syndicat national du transport aérien et des aéroports (SNTA-CFDT), à vocation intercatégorielle. A la suite des élections à la délégation du personnel et au comité d'entreprise qui se sont tenues en juin 2016 au sein de la société Aigle Azur transports aériens au cours desquelles le SPL-CFDT a obtenu 25 % des suffrages au sein du collège réservé au personnel navigant technique, ce syndicat a désigné successivement un représentant syndical au comité d'entreprise et un délégué syndical. Le Syndicat national des pilotes de ligne France Alpa (le SNPL) a contesté ces désignations au motif que le SPL-CFDT ne remplissait pas la condition d'ancienneté de deux ans.
Le tribunal d'instance ayant rejeté cette contestation, le SNPL s'est pourvu en cassation.
Cependant en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi après avoir rappelé que l'acquisition de la personnalité juridique par les syndicats ne peut être subordonnée à des conditions de nature à mettre en cause l'exercice de leur liberté d'élaborer leurs statuts, d'élire leurs représentants, de formuler leur programme d'action et de s'affilier à des fédérations ou confédérations, l'exercice de ces libertés par un syndicat ne peut entraîner la perte de sa personnalité juridique. Par conséquent, le tribunal d'instance, qui a constaté que lors d'un congrès extraordinaire le syndicat SNTA-CFDT avait décidé de se concentrer sur la représentation de la catégorie des personnels navigants techniques et de changer de dénomination, a décidé à bon droit que, quelle que soit la finalité de cette modification, le SPL-CFDT conservait l'ancienneté acquise antérieurement à la modification de ses statuts (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E1791ETI).

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Emploi

[Textes] Commentaire de l'article 18 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi : la réforme de la procédure de licenciement pour motif économique collectif

Réf. : Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU)

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N7934BTZ

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 11 Juillet 2013

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi, publiée au Journal officiel du 16 juin 2013, contient de nombreuses dispositions intéressant tant la protection sociale que la formation professionnelle, les relations collectives, la mobilité du salarié, le licenciement économique ou encore le temps de travail ou la conciliation prud'homale. Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose de revenir, avec Sébastien Tournaux, sur l'article 18, relatif aux nouvelles règles concernant la procédure de licenciement pour motif économique collectif.

I - L'aménagement de la procédure de licenciement collectif

  • Accords d'aménagement de la procédure

L'article 18 de la loi du 14 juin 2013 modifie un certain nombre de dispositions du Code du travail relatives au licenciement pour motif économique avec pour volonté de "renforcer l'encadrement des licenciements collectifs et instaurer une obligation de recherche de repreneur en cas de fermeture de site".

L'objet principal de cet article tient à renforcer l'attrait des anciens accords de méthode qui permettent d'anticiper et d'aménager la procédure de licenciement pour motif économique collectif (1).

A cet effet, un nouvel article L. 1233-24-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0630IXM) prévoit la possibilité, dans les entreprises de cinquante salariés et plus, de conclure un accord collectif qui déterminera "le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi [...] ainsi que les modalités de consultation du comité d'entreprise et de mise en oeuvre des licenciements". Comme pour les accords de maintien de l'emploi, une véritable majorité d'engagement est exigée des syndicats signataires qui devront avoir recueilli au moins 50 % des suffrages aux dernières élections des représentants du personnel pour valablement conclure l'accord. Les organisations syndicales pourront bénéficier, à l'initiative du comité d'entreprise, de l'analyse d'un expert-comptable (2). Cette mesure fait écho au droit du comité d'entreprise de bénéficier de cette expertise dans le cadre de la consultation traditionnelle en cas de projet de licenciement pour motif économique.

La liste non exhaustive des mesures qui peuvent être envisagées par cet accord est établie par l'article L. 1233-24-2 du Code du travail(N° Lexbase : L0631IXN). Pour l'essentiel, cela concernera le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise, les critères d'ordre de licenciement et leur pondération, le calendrier des licenciements, le nombre de suppression d'emploi et les catégories professionnelles concernées ou, encore, les modalités de reclassement, d'adaptation ou de formation des salariés concernés. L'article L. 1233-24-3 (N° Lexbase : L0632IXP) établit une liste, limitative cette fois, de mesures auxquelles il est interdit de déroger par cet accord : obligation d'adaptation, de formation et de reclassement ; règles générales relatives à la consultation du comité d'entreprise et obligation d'information des représentants du personnel ; obligation de proposer la conclusion au salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle ; règles spécifiques au cas de redressement ou de liquidation judiciaires.

  • Document unilatéral de l'employeur

Comme l'accord avant elle, la loi autorise faute d'accord que ce dispositif soit établi par un document unilatéral de l'employeur ce qui, pour certains aspects, constitue un changement fondamental. En effet, si l'employeur avait déjà unilatéralement le pouvoir d'établir le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ou les critères de l'ordre des licenciements, il n'était jusqu'ici pas autorisé à aménager seul les règles relatives à la consultation des représentants du personnel.

II - Rationalisation des délais de procédure

L'accord du 11 janvier 2013 (N° Lexbase : L9638IUI) avait pour ambition de réduire les durées excessives des procédures de licenciement collectif en posant des délais préfix maximaux que la procédure ne devait pas excéder (3). Le respect de ces délais dans lesquels l'intégralité de la procédure devait être effectuée paraissait peu réaliste, mais la mesure était guidée par une volonté d'endiguement de certaines manoeuvres dilatoires qui retardaient artificiellement l'aboutissement de la procédure. Cette idée est reprise par l'insertion d'un avant-dernier alinéa à l'article L. 1233-30 du Code du travail (N° Lexbase : L0709IXK). Cet article fixe des délais maximums qui peuvent séparer les réunions du comité d'entreprise en cas de projet de licenciement collectif, délai variant selon le nombre de licenciement en cause (4). Désormais, "en l'absence d'avis du comité d'entreprise dans ces délais, celui-ci est réputé avoir été consulté", ce qui devrait dissuader les membres du comité d'entreprise de jouer au jeu de la politique de la "chaise vide".

Dans le même ordre d'idée de rationalisation des durées de procédure, l'article L. 1233-35 du Code du travail (N° Lexbase : L1176H9G), dans sa nouvelle rédaction, détermine des délais de communication entre l'expert-comptable mandaté par le comité d'entreprise et l'employeur afin que les demandes d'informations complémentaires interviennent dans des délais raisonnables mais, aussi, que la communication des pièces demandées ait lieu rapidement. La même raison guide l'article L. 1233-45-1 (N° Lexbase : L0634IXR) qui permet désormais, après avis du comité d'entreprise, à l'employeur de proposer des mesures de reclassement interne avant l'écoulement des délais minimums qui doivent séparer les réunions du comité d'entreprise par l'effet de l'article L. 1233-30. Même si cela n'aura, probablement, pas d'importantes conséquences, la place de ce nouveau texte est curieuse puisqu'elle vient s'insérer à la suite des dispositions relatives à la priorité de réembauche alors qu'on aurait pu l'attendre après l'article L. 1233-4 (N° Lexbase : L3135IM3), relatif à l'obligation de reclassement mise à la charge de l'employeur.

III - Le rôle accru de l'administration du travail

  • Entreprises de moins de cinquante salariés

D'une manière générale, le rôle de l'administration du travail demeure inchangé s'agissant des licenciements collectifs projetés dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Ainsi, les articles L. 1233-53 (N° Lexbase : L0715IXR) et suivants du Code du travail, qui conservent pour l'essentiel la procédure antérieure à la loi, seront, désormais, réservés aux entreprises ne dépassant pas ce seuil d'effectif.

S'agissant, en revanche, des projets de licenciements élaborés dans les entreprises de plus de cinquante salariés, les nouveaux articles L. 1233-57 (N° Lexbase : L1227H9C) à L. 1233-57-8 du Code du travail instituent une procédure nouvelle et adaptée à la mise en valeur des accords d'aménagement de la procédure de licenciement et à la faculté d'adapter la procédure par voie de document unilatéral de l'employeur.

  • Entreprises de cinquante salariés et plus : intervention en cours de procédure

A l'article L. 1233-57, relatif aux propositions que peut présenter l'administration du travail en vue de compléter ou de modifier le plan de sauvegarde de l'emploi, la loi ajoute un nouvel alinéa qui impose à l'employeur d'adresser à l'autorité administrative "une réponse motivée" à ces propositions.

L'article L. 1233-57-6 du Code du travail (N° Lexbase : L0643IX4) prévoit qu'à tout moment de la procédure, l'administration peut faire des observations ou propositions concernant le déroulement de la procédure ou les "mesures sociales" désormais visées par l'article L. 1233-22 du Code du travail (N° Lexbase : L1147H9D). Ces observations seront bien entendu présentées à l'employeur, mais également, au comité d'entreprise ou à défaut aux délégués du personnel et, lorsqu'une négociation d'aménagement de la procédure est en cours, aux syndicats représentatifs de l'entreprise. Outre que la réponse, que l'employeur doit apporter à l'administration, doit être motivée, elle devra encore être communiquée aux représentants du personnel et aux syndicats lorsqu'elle porte sur le déroulement de la procédure ou les mesures sociales. En pratique, l'immense majorité des observations de l'administration du travail devrait porter sur ces éléments si bien que les employeurs seront bien avisés de transmettre automatiquement toute observation ou proposition administrative aux représentants du personnel.

  • Validation de l'accord collectif, homologation du document unilatéral de l'employeur

En outre, l'accord collectif (5) ou le document unilatéral (6) aménageant la procédure de licenciement devra, impérativement, être transmis à l'autorité administrative, le premier pour validation, le second pour homologation. L'administration aura la charge de vérifier que le contenu de l'accord ou du document est conforme aux articles L. 1233-24-1 (N° Lexbase : L0630IXM) à L. 1233-24-3 et aux articles L. 1233-61 (N° Lexbase : L6215ISY) et L. 1233-63 (N° Lexbase : L1242H9U), tous relatifs au contenu du plan de sauvegarde de l'emploi. Elle s'assurera, en outre, que la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est régulièrement envisagée par l'accord ou le document.

La décision administrative est enserrée dans des délais précis puisque l'article L. 1233-57-4 (N° Lexbase : L0641IXZ) prévoit que la décision de validation devra intervenir sous quinze jours alors que la décision d'homologation devra être rendue dans un délai de vingt-et-un jours (7). Cette décision devra être notifiée à l'employeur (8), au comité d'entreprise et aux syndicats s'il s'agit d'un accord d'aménagement. Ces représentants du personnel ou des syndicats pourront, ainsi, s'appuyer sur les remarques et propositions effectuées par l'administration du travail pour tenter de faire évoluer le projet voire, en cas de blocage, pour argumenter un recours contentieux dirigé contre la procédure engagée. La décision de validation ou d'homologation sera, enfin, portée à la connaissance des salariés par voie d'affichage sur les lieux de travail.

En cas de refus d'homologation ou de validation, l'employeur peut reprendre son projet de licenciement après l'avoir amendé et avoir présenté une nouvelle demande d'homologation ou de validation.

  • Sanctions

Après analyse de ces différentes dispositions, on peut, légitimement, se demander quelle mesure viendra sanctionner l'absence de demande d'homologation ou de validation ou la poursuite du projet après un refus d'homologation ou de validation. Si le paragraphe comportant les articles étudiés n'aborde pas la question de la sanction, le législateur a tout de même modifié l'article L. 1233-39 du Code du travail (N° Lexbase : L1189H9W), relatif à la notification du licenciement.

Deux alinéas sont ajoutés à ce texte. Le premier précise que la notification du licenciement intervient après la notification de la décision de validation ou d'homologation ce qui semble faire de la décision administrative une condition de validité du licenciement. Ce sentiment est confirmé par l'alinéa suivant qui dispose que l'employeur "ne peut procéder, à peine de nullité, à la rupture des contrats de travail avant la notification de cette décision d'homologation ou de validation".A la suite de la modification de l'article L. 1235-10 du Code du travail (N° Lexbase : L6214ISX), la nullité viendra encore sanctionner la procédure et les éventuels licenciements subséquents en cas d'annulation de la décision d'homologation ou de validation.

Si le principe de la réintégration du salarié à la suite de la nullité de son licenciement est maintenu, les conséquences de celle-ci varieront selon qu'est en cause l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi ou une autre cause ayant justifié l'annulation. Dans le premier cas, la règle ancienne de l'article L. 1235-11 du Code du travail (N° Lexbase : L0725IX7) est maintenue : le salarié sera réintégré sauf si cette modalité est devenue impossible ; à défaut de réintégration, est servie une indemnité qui ne peut être inférieure à douze mois de salaire. Dans le second cas, l'article L. 1235-16 du Code du travail (N° Lexbase : L0724IX4) dispose que la réintégration ne peut, en principe, être évitée par la preuve d'une quelconque impossibilité, mais que l'indemnité servie au salarié faute de réintégration ne peut être inférieure à six mois de salaire.

  • Contentieux

D'une certaine manière, la procédure nouvelle consiste dans le rétablissement d'une autorisation administrative de licenciement pour les licenciements collectifs, autorisation qui diffère, cependant, sensiblement de celle qui s'appliquait avant 1986 puisqu'elle n'aura pour objet que de vérifier le respect des règles procédurales, le contenu suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi et les "mesures sociales" envisagées. En favorisant des délais courts, cette mesure pourrait intéresser les entreprises qui seront mieux assurées de la validité des procédures engagées. Mais ce n'est pas là le plus grand des intérêts de cette procédure nouvelle.

A l'image de ce qui est prévu s'agissant de la rupture conventionnelle du contrat de travail qui, elle aussi, fait l'objet d'une homologation administrative, le nouvel article L. 1235-7-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0653IXH) dispose que l'accord, le document unilatéral, le contenu du plan et les décisions de l'administration "ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation" administrative. Contrairement au contentieux de la rupture conventionnelle, ce nouveau bloc de compétence est attribué au juge administratif "à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux". Pris au pied de la lettre, ce texte exclut donc la compétence du juge prud'homal pour apprécier la validité ou la régularité de la procédure de licenciement économique collectif, seules les questions de fond consistant à l'appréciation du motif de licenciement et de cause réelle et sérieuse du licenciement demeurant de sa compétence. Indirectement, le juge prud'homal ne devrait donc plus être mesure de prononcer la nullité d'un plan de sauvegarde de l'emploi ni, subséquemment, des licenciements prononcés.


(1) V. C. Figerou, Accords de méthode : vers des licenciements économiques négociés ?, Lexbase Hebdo n° 168 du 18 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4282AIG). V., également, F. Gaudu, Les accords de méthode, Dr. soc., 2008, p. 915 ; R. Vatinet, L'accord de méthode en quête de cohérence, Gaz. Pal., 12-14 août 2007, p. 10 ; P.-H. Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005 : la positive attitude, Dr. soc., 2005, p. 399 ; S. Nadal, Négociation collective et licenciement économique : propos introductifs sur le nouvel article L. 320-2 du Code du travail, Dr. ouvrier, 2005, p. 303.
(2) C. trav., art. L. 1233-34 (N° Lexbase : L6216ISZ) dans sa nouvelle rédaction.
(3) V. nos obs., Commentaire des articles 18 à 21 et article 25 de l'Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels des salariés, Lexbase Hebdo n° 514 du 31 janvier 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5539BTC).
(4) Le texte est, également, modifié s'agissant du nombre de réunions qui n'est plus impérativement limité à deux, ce chiffre devenant un minimum.
(5) C. trav. art. L. 1233-57-2 (N° Lexbase : L0639IXX).
(6) C. trav. art. L. 1233-57-3 (N° Lexbase : L0640IXY).
(7) Ces délais sont encore raccourcis par l'effet de l'article L. 1233-58 du Code du travail (N° Lexbase : L0712IXN) à huit jours en cas de redressement judiciaire, à quatre jours en cas de liquidation judiciaire.
(8) A rebours de la règle classique en droit administratif, mais de plus en plus commune en droit du travail, l'absence de réponse de l'administration du travail dans ces délais vaut décision de validation ou d'homologation. L'idée est toujours de ne pas aboutir à un blocage de la procédure qui en accroîtrait sensiblement la durée.

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Taxes diverses et taxes parafiscales

[Jurisprudence] Taxe "Copé" : l'inattendue défaite des opérateurs Télécoms

Réf. : CJUE, 27 juin 2013, aff. C-485/11 (N° Lexbase : A7712KH4)

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 11 Juillet 2013

En 2009, la nouvelle avait réjoui tous les téléspectateurs : aucune publicité ne sera plus diffusée après 20 heures sur les chaînes de télévision publique (loi n° 2009-258 du 5 mars 2009, relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision N° Lexbase : L9881ICX). L'enthousiasme créé par cette mesure permettant de regarder le téléfilm du soir sans coupure est pourtant vite retombé. En effet, les chaînes publiques se sont trouvées devant un manque à gagner impressionnant. Or, dans un Etat-providence, statut dont se réclame la France, il est prévu que chacun contribue au bien-être de tous, ce qui se traduit, en pratique, par la contribution de certains au profit d'autres. Ainsi, la brillante idée de la taxe "Télécoms" est née. Issue d'un rapport rédigé par un groupe de travail présidé par Jean-François Copé, relatif au financement de la télévision publique -d'où son nom de "taxe Copé"-, cette taxe a été mise en place par l'article 33 de la loi du 5 mars 2009, et codifiée aux articles 302 bis KH (N° Lexbase : L0689IP9) et 1693 sexies (N° Lexbase : L0184IKZ) du CGI. Cette taxe fonctionne de la manière suivante : tout opérateur de communications électroniques, qui fournit un service en France et qui a fait l'objet d'une déclaration préalable auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), doit s'acquitter d'une taxe de 0,9 % assise sur la fraction excédant cinq millions d'euros des recettes tirées des abonnements et autres sommes acquittés par les usagers en rémunération des services de communications électroniques.

La taxe "Télécoms", aussi appelée taxe "Copé", pèse donc sur les opérateurs de communications électroniques qui vont, ainsi, compenser partiellement la perte des recettes due à la fin de la publicité après 20 heures sur les chaînes publiques. Cette injustice criante est légale.

A partir de l'institution de cette taxe, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, s'est engagé un bras de fer entre, d'une part, la France et d'autres pays européens ayant adopté le même modèle (l'Espagne et la Hongrie) et, d'autre part, la Commission européenne et les opérateurs. Ce bras de fer donne, contre toute attente, la France gagnante, par KO prononcé par la Cour de justice de l'Union européenne. Pourtant, si des paris avaient été lancés sur cette affaire, la France n'aurait pas reçu beaucoup de soutien.

I - Historique d'une décision surprenante : des opérateurs convaincus, une France gênée

Le projet de loi instituant, entre autres, la taxe "Copé", déposé le 22 octobre 2008, a été critiqué dès le 30 juin 2008 par la Commission européenne, après qu'elle ait pris connaissance du rapport préconisant sa création. Malgré de nombreuses levées de boucliers, la France s'est entêtée. L'histoire dira qu'elle a eu raison.

A - La taxe "Copé" critiquée dès ses débuts

C'est "la dernière chose à faire" déclare Viviane Reding, commissaire européenne à la Société de l'information, le 30 juin 2008 au quotidien Les Echos.

Le rapport "Copé" est plus enthousiaste : "Taxer le chiffre d'affaires des opérateurs télécoms et FAI, en lien avec les nouveaux modes de consommation de l'image, est légitime [...] le chiffre d'affaires de ces entreprises, en 2007, est supérieur à 42 milliards d'euros et connaît un fort dynamisme et un fort taux de marge [...] leur recours aux images de la filière télévisuelle justifie pleinement leur contribution au financement de la télévision publique [...]" (page 45 du rapport).

L'ARCEP, qui a donné son avis sur l'article 21 du projet de loi (Avis n° 2008-1108 du 14 octobre 2008 N° Lexbase : X3176AML), souligne les risques de discrimination d'une telle taxe, qui n'excluait pas, au départ, de son assiette, les services audiovisuels proposés par les opérateurs Télécom.

Qualifiée de "saugrenue" par Didier Mathus, député, il est reproché à la taxe de compenser des pertes budgétaires subies par la télévision, et ainsi de "faire financer la vieille économie par la nouvelle". La députée Laure de La Raudière ajoute judicieusement "je ne suis pas contre le fait que les opérateurs télécoms contribuent au financement de la télévision publique, dès lors qu'ils la véhiculent sur leurs infrastructures. En revanche, je trouve tout à fait inéquitable que la taxe soit assise sur la totalité de leur chiffre d'affaires et je crains, moi aussi, qu'elle soit répercutée sur les consommateurs".

Les débats parlementaires qui ont suivi ont été houleux. Jean Dionis du Séjour, député, reprend l'argument de Laure de La Raudière, en estimant à moins de 5 % des 42 milliards d'euros de chiffre d'affaires des opérateurs Télécoms les transports de données mobiles et l'accès à l'internet haut débit, seuls à avoir un lien avec la télévision. "Illégitime", "antiéconomique", "catastrophique", "très mauvais choix", "lourde" (le paiement de la taxe représente, selon l'évaluation du projet de loi, 7 % du résultat des opérateurs !), "dépourvue de toute logique", etc., les reproches ne manquent pas (voir les débats parlementaires, séance du 12 décembre 2008).

Finalement, la taxe a été adoptée par une majorité de droite qui laissait sa place aux résistances, mais pas à sa défaite.

Le Conseil constitutionnel a été saisi de l'article 33 de la loi définitive. Dans une décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009 (N° Lexbase : A5008EDT), les Sages de la rue de Montpensier ont décidé que cet article 33 était conforme à la Constitution. Fondée sur des critères objectifs et rationnels, en rapport direct avec l'objectif que le législateur s'est assigné, la taxe n'est pas contraire à l'égalité devant les charges publiques. Le Conseil d'Etat, saisi le 10 octobre 2011 d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 302 bis KH du CGI, refuse de la renvoyer au Conseil constitutionnel, car aucun changement de circonstance de droit ne peut justifier un réexamen de sa conformité à la Constitution (CE 8° et 3° s-s-r., 10 octobre 2011, n° 350872, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7489HYZ).

La taxe entre en vigueur le 1er janvier 2009, au grand dam des opérateurs Télécoms et de la Commission européenne. Bientôt, la France aura le bonheur d'inspirer ses voisins.

B - L'entêtement français contagieux mais combattu

Le choix de la France de voter l'instauration de la taxe "Télécoms" a inspiré certains de ses voisins européens.

La Commission européenne a non seulement demandé à la France de revoir sa copie concernant la taxe "Copé", mais elle s'est aussi attaquée aux taxes similaires en Hongrie et en Espagne. En Hongrie, une loi de 2010 a imposé aux prestataires de services de communications électroniques une obligation de paiement supplémentaire, en plus de la redevance pour les services administratifs, ainsi que de celle du régulateur. En Espagne, une loi de 2009 a institué une taxe de 0,9 % (notons la similitude avec le taux français) sur les entreprises qui fournissent un service ou un réseau, afin de financer la Corporación de Radio y Televisión espagnole.

Si la taxe "Télécoms" est imitée, elle est particulièrement mal vécue en France. En effet, si l'on compare le niveau de la fiscalité spécifique aux télécommunications (toutes taxes confondues) en France et dans d'autres pays, la France est l'Etat qui met le plus à contribution le secteur. Ainsi, en 2011, la France a obtenu des opérateurs 1,2 milliard d'euros de recettes, soit 2,98 % de leur chiffre d'affaires annuel. L'Espagne se place juste derrière, avec 2,43 % du chiffre d'affaires et 813 millions d'euros. Aux Etats-Unis, la fiscalité spécifique sur les opérateurs de télécommunications a permis la levée de 2,263 milliards d'euros, soit 0,8 % du chiffre d'affaires. En Allemagne, 0,08 % du chiffre d'affaires a été versé à l'Etat, par le biais d'une fiscalité spécifique qui a permis la levée de 44 millions d'euros. Enfin, au Royaume-Uni, les recettes ont été de 32 millions d'euros, soit 0,07 % du chiffre d'affaires du secteur. Alors qu'en France cette fiscalité représente 20 % des investissements réalisés par les opérateurs Télécoms, en Allemagne cette proportion n'est que de 1,33 %. Au final, en 2011, le niveau de taxation des opérateurs de communications électroniques français est 40 fois plus élevé que celui des mêmes opérateurs au Royaume-Uni.

Le 28 janvier 2010, la Commission ouvre une procédure d'infraction contre la France au sujet de la "taxe télécoms". Viviane Reding avait pourtant averti l'Etat : "j'ai exprimé mes doutes à plusieurs reprises quant à la 'taxe télécoms'". La Commission considère que la taxe "Copé" est incompatible avec l'article 12 de la Directive "Autorisations" (Directive 2002/20/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002 N° Lexbase : L7187AZ9).

Cet article prévoit que "les taxes administratives imposées aux entreprises fournissant un service ou un réseau au titre de l'autorisation générale ou auxquelles un droit d'utilisation a été octroyé : a) couvrent exclusivement les coûts administratifs globaux qui seront occasionnés par la gestion, le contrôle et l'application du régime d'autorisation générale, des droits d'utilisation et des obligations spécifiques visées à l'article 6, paragraphe 2, qui peuvent inclure les frais de coopération, d'harmonisation et de normalisation internationales, d'analyse de marché, de contrôle de la conformité et d'autres contrôles du marché, ainsi que les frais afférents aux travaux de réglementation impliquant l'élaboration et l'application de législations dérivées et de décisions administratives, telles que des décisions sur l'accès et l'interconnexion [...]". Or, la taxe française, de même que les taxes hongroises et espagnoles, ne servent pas à compenser ces coûts, mais bien à compenser une perte de recettes de France Télévisions, alimenter les recettes générales de l'Etat hongrois, et combler la perte de recettes du secteur public espagnol sur la radio et la télévision.

La Commission semblait donc dans son bon droit. La France l'avait d'ailleurs implicitement reconnu, puisque l'Etat a provisionné, pour le budget 2013, 1,3 milliard d'euros, au cas où cette taxe serait déclarée contraire au droit de l'Union par la Cour de justice. Cette dernière n'en a pourtant rien fait...

II - Epilogue d'une décision désarmante : des opérateurs abattus, une France soulagée

Le couperet tombe : la taxe "Copé" est conforme au droit de l'Union européenne, plus particulièrement à la Directive "Autorisations". La France, en plein débat sur le financement de la culture et sur la taxation du secteur électronique et numérique, se frotte les mains, et rêve de nouvelles taxes suivant le modèle de la taxe validée.

A - La taxe "Copé" validée par la CJUE

Selon la Commission européenne, la taxe "Copé" est contraire à l'article 12 de la Directive "Autorisations" car son fait générateur est la détention d'une autorisation et son assiette n'est pas basée sur les coûts administratifs du régime d'autorisation établi par la législation, mais sur des éléments liés à l'activité ou au chiffre d'affaires de l'opérateur. Or, les Etats membres ne peuvent pas imposer aux opérateurs de communications électroniques, du seul fait de cette qualité, matérialisée par la possession d'une autorisation ou par une déclaration préalable, des charges pécuniaires autres que celles prévues par la Directive "Autorisations" et la Directive du 10 avril 1997, relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services de télécommunications (Directive 97/13/CE N° Lexbase : L7467AU4).

La France rétorque que la taxe "Copé" ne ressort pas de l'article 12 de la Directive "Autorisations". N'étant pas une taxe administrative, elle ne viole pas la Directive qui ne s'applique pas. En effet, son fait générateur ne serait pas relié à la demande d'autorisation. La France reprend la solution d'un arrêt du 8 septembre 2005 (CJUE, aff. C-544/03 et aff. C-545/03 N° Lexbase : A4068DKU), et en tire trois conclusions. Ainsi, en premier lieu, l'Etat considère que le seul fait qu'un opérateur de communications électroniques soit titulaire d'une autorisation n'implique pas que les taxes auxquelles il est assujetti relèvent du champ d'application des dispositions fiscales de la Directive du 10 avril 1997 ou, par analogie, de la Directive "Autorisations". En deuxième lieu, l'existence d'un lien direct entre la détention d'une autorisation et l'imposition d'une taxe n'est pas un critère pertinent pour définir le champ d'application des dispositions fiscales des deux Directives précitées. En troisième et dernier lieu, la France estime que le champ d'application de l'article 12 de la Directive "Autorisations" est défini et délimité par le fait générateur de la taxe. Lorsque la taxe est liée à la gestion, au contrôle ou à l'application du système d'autorisation, elle relève du champ d'application de l'article 12 de la Directive et doit respecter le régime fixé par cet article. En revanche, lorsque la taxe n'est pas liée à un tel fait générateur, elle ne relève pas de la Directive, et n'est donc pas tenue de respecter ce régime.

La Commission n'est pas d'accord avec ce raisonnement. Selon elle, il ressort de trois arrêts (CJUE, 18 septembre 2003, aff. C-292/01 et C-293/01 N° Lexbase : A5826C9N ; CJUE, 8 septembre 2005, précité ; CJUE, 18 juillet 2006, aff. C-339/04 N° Lexbase : A4758DQB) que, dès lors qu'il existe un lien direct entre la taxe et la qualité d'opérateur en communications électroniques, ou entre la taxe et la fourniture de réseaux de télécommunications publiques ou de services de communications, cette taxe relève du champ d'application de l'article 12 de la Directive "Autorisations" et est prohibée par cet article si son assiette n'est pas directement liée aux coûts administratifs qui y sont spécifiés.

Les trois Etats membres visés par les procédures de la Commission, c'est-à-dire la France, mais aussi l'Espagne et la Hongrie, qui ont présenté leurs observations à la Cour, considèrent qu'une obligation pécuniaire imposée par un Etat membre ne peut pas relever du champ d'application matériel de la Directive "Autorisations" du simple fait que ses débiteurs sont des opérateurs de communications électroniques opérant en vertu de l'autorisation générale. Selon eux, la Commission confond les critères déterminant la qualité de redevable de la taxe avec le fait générateur de celle-ci.

Les juges de l'Union sont convaincus par ce raisonnement. Tout d'abord, ils retiennent qu'une taxe dont le fait générateur est lié à la procédure d'autorisation générale permettant d'accéder au marché des services de communications électroniques relève du champ d'application de l'article 12 de la Directive "Autorisations". En revanche, une taxe dont le fait générateur n'est pas lié à la procédure d'autorisation générale permettant d'accéder au marché des services de communications électroniques, mais à l'activité de l'opérateur consistant à fournir des services de communications électroniques aux usagers finaux en France, ne relève pas du champ d'application de cet article. Or, le fait générateur de la taxe française litigieuse est lié à la fourniture d'un service en France par tout opérateur de communications électroniques et qui a fait l'objet d'une déclaration préalable auprès de l'ARCEP. L'opérateur ne devient redevable de cette taxe litigieuse que lorsque ses revenus pour les services aux usagers finaux excèdent cinq millions d'euros. Les opérateurs de communications électroniques qui fournissent des prestations d'interconnexion, d'accès, de diffusion ou de transport des services de communications audiovisuelles ne sont pas redevables de la taxe litigieuse. Dès lors, la taxe est imposée non pas à tous les opérateurs de communications électroniques titulaires d'une autorisation générale ou d'un droit d'utilisation des radiofréquences ou des numéros, mais aux opérateurs titulaires d'une autorisation générale qui fournissent déjà leurs services sur le marché des services de communications électroniques aux usagers finals. La taxe n'est pas imposée du seul fait de la détention d'une autorisation générale ou d'un octroi d'un droit d'utilisation des radiofréquences ou des numéros, mais elle est liée à l'activité de l'opérateur consistant à fournir des prestations de communications électroniques aux usagers finals en France. Par conséquent, l'article 302 bis KH du CGI ne relève pas du champ d'application de l'article 12 de la Directive "Autorisations".

La taxe "Copé" est donc valable. La subtilité de la rédaction de l'article 302 bis KH, qui relie l'application de la taxe à l'activité de l'opérateur et non à la procédure d'autorisation générale délivrée par l'ARCEP, aura eu raison des critiques. Plus aucun recours n'est aujourd'hui possible contre cette taxe. Il n'est pas envisageable de saisir la Cour européenne des droits de l'Homme, les enjeux étant purement économiques.

La France, surprise, est ravie. Dans un communiqué du 27 juin 2013, date de l'arrêt, Pierre Moscovici, ministre de l'Economie et des Finances, Aurélie Filipetti, ministre de la Culture et de la Communication, et Bernard Cazeneuve, ministre chargé du Budget, ont salué une décision par laquelle "le financement du service public de l'audiovisuel est [...] sécurisé". De son côté, la Fédération française des télécoms -FFT, regroupant Orange, SFR et Bouygues Télécom, à l'exclusion de Free (Iliad)-, est surprise aussi, mais surtout déçue. La fédération, qui avait saisi la Commission européenne de la taxe "Copé" et avait été très active dans ce contentieux, estime que cette décision est une "vraie déception, en particulier au moment où [...] la pression sur les investissements dans les réseaux de nouvelle génération se renforce du fait des déploiements attendus dans le très haut débit, en fibre optique pour le fixe et en 4G pour le mobile".

Cette décision était inattendue. Ainsi, il est intéressant de noter que certains opérateurs (SFR et Bouygues Telecom) avaient cédé leur créance éventuelle sur l'Etat, qui aurait dû découler de la décision de la CJUE, à des groupes bancaires qui font le commerce du rachat de créances adossées à des risques juridiques (dont la Société générale, notamment). Si la France avait perdu, la banque aurait récupéré 100 % de la créance avec, en plus, les intérêts. Mais la victoire de Paris cause une perte à l'établissement bancaire. En effet, l'opérateur ne lui rend pas le prix d'achat de la créance. Il est à noter, toutefois, que les systèmes d'assurance et de réassurance limitent les enjeux financiers. En revanche, Orange et Free (Iliad) n'avaient pas cédé cette créance. Ces deux entreprises ne pourront pas récupérer les sommes versées au titre de la taxe.

B - Les velléités d'une France en manque de recettes encouragées

Quelles sont les conséquences de la validation de la taxe "Copé" au regard du droit ? Tout d'abord, la Hongrie et l'Espagne sont forts d'un précédent dans le cadre des procédures de la Commission envers leurs propres taxes "Télécoms".

Ensuite, la France peut se sentir encouragée dans l'instauration de ce type de taxe. En effet, on ne le dira jamais assez, la crise financière, qui date de 2008, a mis (et met toujours) la France dans une situation budgétaire délicate. Tous les moyens sont bons pour obtenir de nouvelles recettes fiscales, et le monde politique est ainsi fait que ces moyens s'accompagnent régulièrement de dénonciations et de culpabilisations. Les grands groupes du CAC 40 peuvent en témoigner. Le secteur du numérique est particulièrement touché par cette tendance. Google ne cesse d'être la proie de diatribes assassines, et ses résultats et sa réussite titillent le Trésor public français. Outre les problématiques de justice fiscale, qui sont présentes mais pas uniquement, l'argent du secteur des télécommunications et du numérique représente, pour l'Etat français, une "poule aux oeufs d'or" dont il est bien temps de récolter la production.

Ainsi, le ministère de la Culture, qui avait fait des effets d'annonce à propos de l'extension de la contribution à l'audiovisuel public (CGI, art. 1605 N° Lexbase : L9842IWG) aux ordinateurs, smartphones et tablettes, pourrait bien confirmer son idée.

De même, la taxe sur les services de télévision (C. cinéma et image animée, art. L. 115-6 N° Lexbase : L5202IR4), d'abord limitée aux téléviseurs puis étendue, en 2007, aux opérateurs de télécommunication proposant des services de télévision, pourrait être remodelée. En effet, la taxe s'applique aujourd'hui à la partie télévision des offres "triple play" (téléphone fixe, haut débit, télévision par l'ADSL), selon un système de barèmes complexe. Or, Free a réussi à contourner cette taxe, en sortant artificiellement de son offre "triple play" une "option TV" à seulement 1,99 euro par mois, réduisant drastiquement l'assiette de l'impôt. La perte de recettes pour le Centre national de la cinématographie a été de 20 millions d'euros. Le Gouvernement de Nicolas Sarkozy avait contre-attaqué en élargissant l'assiette de l'impôt, qui devait prendre en compte toutes les offres d'accès à Internet comportant un volet télévision, y compris la téléphonie mobile. Mais Bruxelles s'y était opposée.

Fin 2012, SFR a choisi d'imiter son concurrent Free. Fleur Pellerin, l'actuelle ministre déléguée au Numérique, a donc présenté à la Commission une nouvelle version de la taxe, qui deviendrait forfaitaire (son montant serait de 70 centimes par abonnement). Cette nouvelle version, présentée à Bruxelles, profitera peut-être de la décision de la Cour de justice.

Enfin, la taxe "Lescure" (voir le rapport "Culture-acte 2" de Pierre Lescure, page 25 ; lire N° Lexbase : N7001BTH), destinée à inclure, dans le financement de la rémunération pour copie privée (C. prop. intell., art. L. 311-1 N° Lexbase : L4189IRL), tous les appareils connectés fabriqués hors de France, pourrait aussi bénéficier du rayonnement de cette décision. En effet, Bernard Heger, délégué général du Simavelec (Syndicat des industries de matériels audiovisuels électroniques), a menacé de saisir la justice de l'Union sur le fondement suivant : "il y a un principe qui dit qu'on ne taxe pas une industrie pour en financer une autre", en se référant à l'affaire de la taxe "Copé", qui n'était pas encore jugée à l'époque du propos. Or, cette dernière a été validée.

Si le débat juridique semble fermé, reste le débat politique...

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