La lettre juridique n°536 du 18 juillet 2013

La lettre juridique - Édition n°536

Éditorial

L'imbroglio de la saisie conservatoire en matière pénale : micmac ou tactique ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Le rapport parlementaire sur le projet de loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale rappelait que, sous l'Ancien Régime, la confiscation générale constituait une peine accessoire de la peine de mort et les juridictions seigneuriales y recouraient fréquemment. Et, en vertu de l'adage de Loisel selon lequel "qui confisque le corps confisque les biens", cette peine n'accompagnait plus que les peines capitales à partir du XIVème siècle. A la Révolution, la confiscation générale des biens fut abolie au nom du principe de la personnalité des peines par le Code pénal de 1791. Elle fut, ensuite, réintroduite par le décret du 10 mars 1793 organisant le tribunal révolutionnaire et maintenue à titre de peine principale par le Code pénal de 1810. Plusieurs fois supprimée par les différents textes constitutionnels du XIXème siècle, elle fut ponctuellement réappliquée à partir de 1918 pour des cas précis tels que les traîtres et les déserteurs au lendemain de la première Guerre mondiale, ou les collaborateurs en 1944. Enfin, les articles 37 et suivants de l'ancien Code pénal prévoyaient jusqu'en 1994 la confiscation générale comme peine complémentaire pour les crimes contre la sûreté de l'Etat.

Mais, on notera que, d'un point de vue pénal donc, le caractère conservatoire d'une saisie, c'est-à-dire ordonnée sans attendre le prononcé d'une quelconque peine, est un trait relativement récent. Et c'est bien la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 qui développe, dès le stade de l'enquête et de l'instruction, les possibilités de saisie patrimoniale, afin d'assurer la pleine effectivité des peines de confiscation susceptibles d'être ordonnées au moment du jugement. La loi de 2010 a donc étendu les possibilités de saisie à l'ensemble des biens susceptibles d'être confisqués ce qui permet, d'une part, de marquer très clairement le lien entre saisie et confiscation et, d'autre part, de préciser la nature des biens saisissables (biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels) dans un souci de clarification. Inscrites aux articles 706-141 à 706-157 du Code de procédure pénale, ces dispositions permettent d'appréhender, du moins fictivement, l'ensemble des biens corporels et incorporels intéressant le patrimoine d'un prévenu accusé, notamment, d'escroquerie en bande organisée.

Si la question de la saisissabilité des assurances-vie peut faire grand bruit en matière civile, au regard de l'impossibilité de principe de saisir des biens ou capitaux qui n'appartiennent plus au débiteur (sauf exception caractérisée de fraude), dans le cadre notamment d'une stipulation pour autrui telle que le contrat d'assurance-vie, cette même question n'a pas lieu d'être en matière pénale, sous réserve de certaines conditions. L'article 706-155, alinéa 2, du Code de procédure pénale dispose, en effet, que "lorsque la saisie porte sur une créance figurant sur un contrat d'assurance sur la vie, elle entraîne la suspension des facultés de rachat, de renonciation et de nantissement de ce contrat, dans l'attente du jugement définitif au fond. Cette saisie interdit également toute acceptation postérieure du bénéfice du contrat dans l'attente de ce jugement et l'assureur ne peut alors plus consentir d'avances au contractant. Cette saisie est notifiée au souscripteur ainsi qu'à l'assureur ou à l'organisme auprès duquel le contrat a été souscrit". Par conséquent, la loi pénale prévoit bien, dans le cadre d'ouverture des saisies des articles 706-141 à 706-157 du Code de procédure pénale, que les assurances-vie puissent faire l'objet d'une telle procédure. Il n'est point besoin d'attendre une éventuelle disposition figurant dans le projet de loi sur la transparence et l'évasion fiscale, examinée actuellement par le Parlement, pour asseoir une telle confiscation, ou plus précisément, dans le cadre conservatoire, un tel "gel". D'ailleurs, la Cour de cassation a, déjà, eu l'occasion de se prononcer sur le sujet, en précisant que, si l'article 706-155 du Code de procédure pénale permet au juge d'instruction, dans l'attente d'un jugement sur le fond, de suspendre les facultés de rachat, de renonciation et de nantissement des créances figurant sur un contrat d'assurance sur la vie, le juge d'instruction ne peut pas procéder, en application de l'article 706-153 du même code, à la saisie des sommes placées sur de tels comptes qui correspondent, au sens de l'article 131-21, alinéa 3, du Code pénal, aux produits directs ou indirects de l'infraction poursuivie. Le cadre de saisie des assurances-vie est donc formel et protégé de manière exégétique par les Hauts juges.

Bien évidemment, ce "gel" des assurances-vie, comme celui des comptes bancaires, du prévenu éventuellement saisi ne permet pas l'emploi des fonds en cause ; et lorsque ces derniers soutiennent une entreprise en pleine difficulté financière, on ne peut être que sensible aux craintes et contestations formulées, non plus par le seul prévenu, mais par ces créanciers directs et indirects. L'Etat dispose d'une arme redoutable qui le place en tête des créanciers susceptibles de recouvrer leurs créances ou amendes. Mais rappelons que les biens sont désormais saisis par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), établissement public sous la tutelle des ministères de la Justice et du Budget, mais également gérés par elle. Donc, rien n'empêche une gestion précautionneuse dans l'intérêt de l'Etat mais aussi des salariés superprivilégiés de l'entreprise du prévenu qui, lui même, reste aux commandes de son activité. L'agence pourra même réaliser, dans la limite du mandat qui lui est confié, tous les actes juridiques et matériels nécessaires à la conservation, l'entretien et la valorisation des biens, y compris les parts sociales saisies de l'entreprise en cause...

Tout ceci pour permettre de replacer dans son contexte, si besoin est, l'extraordinaire feuilleton des saisies conservatoires ordonnées sur l'ensemble du patrimoine d'un actuel patron de presse et néanmoins bénéficiaire d'un arbitrage présumé trop avantageux.

"Si le vassal ne venait point faire foi et hommage, s'il ne s'acquittait point des droits de mutation [...] dans un délai qui était ordinairement de quarante jours, et s'il n'avait pas obtenu souffrance, c'est-à-dire la prorogation de ce délai, il y avait lieu à la saisie féodale. Selon le langage énergique des coutumes, le seigneur mettait la main sur le fief, et faisait les fruits siens jusqu'au jugement de réintégration, ou jusqu'à la prescription acquise par le seigneur contre le vassal" (François Frédéric Poncelet et Pierre Nicolas Rapetti, Précis de l'Histoire du droit civil en France, p. 88).

Où tout est affaire de vassalité vis-à-vis du Pouvoir en fait...

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Avocats/Champ de compétence

[Pratique professionnelle] Comment marier les usages des agents avec les règles des avocats ? Les réponses de la déontologie - Compte-rendu de la réunion de la Commission Avocat mandataire d'artistes et d'auteurs du barreau de Paris du 5 juin 2013

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par Anne-Lise Lonné Clément, Rédactrice en chef

Le 27 Mars 2014

La Commission Avocat mandataire d'artistes et d'auteurs tenait, le 5 juin 2013, sous la co-responsabilité de Basile Ader, Virginie Lapp, et Bruno Illouz, avocats, une réunion sur le thème "Comment marier les usages des agents avec les règles des avocats ? Les réponses de la déontologie", à laquelle intervenaient également Christophe Thévenet, membre du conseil de l'Ordre, secrétaire de la Commission de la déontologie, Guillaume Le Foyer de Costil, membre du CNB et ancien membre du conseil de l'Ordre, Alexandra Clert, ancien avocat, scénariste et écrivain, Elisabeth Tanner, Présidente du syndicat national des agents artistes et littéraires, et Jean Ennochi, avocat à la cour. Présentes à cette occasion, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de retrouver le compte-rendu de cette réunion. 1. Les réponses de la déontologie

A titre introductif, Basile Ader, avocat à la cour, coresponsable de la Commission Avocat mandataire d'artistes et d'auteurs du barreau de Paris, a rappelé les difficultés récentes rencontrées par les avocats face au ministère de la Culture quant à leur inscription sur la liste des agents d'artistes. Il semble qu'un refus soit actuellement opposé de manière systématique aux avocats, sur le fondement de l'article L. 7121-11 du Code du travail (N° Lexbase : L3118H9D), aux termes duquel "l'activité d'agent artistique présente un caractère commercial au sens des dispositions du Code de commerce", dès lors que le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), prévoit l'incompatibilité de la profession d'avocat avec toutes les activités à caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée. Il indique qu'un recours est envisagé, rappelant que, sur le terrain de la déontologie, il appartient aux avocats eux-mêmes de fixer leurs règles et les sanctions applicables, que ce soit au sein des Ordres ou par le CNB, et que la lecture des dispositions du décret de 1991 a évolué au regard des nouvelles activités d'avocats.

C'est ainsi qu'un certain nombre de questions ont été soumises à la Commission de déontologie du barreau de Paris, sur le périmètre déontologique de l'avocat mandataire d'artistes et d'auteurs, sur lesquelles la Commission a rendu un avis, présenté par Christophe Thévenet, membre du conseil de l'Ordre, secrétaire de la Commission de la déontologie.

L'Ordre n'a pas pour vocation d'empêcher l'avocat de développer son activité. Sa mission est de vérifier que, quelle que soit l'activité de l'avocat, elle est bien compatible avec les règles déontologiques.

Les questions soulevées par l'activité d'agent d'artistes se posent, en premier lieu, au niveau de la rédaction des contrats. Sans grande difficulté, l'avocat doit ici simplement veiller à l'efficience des actes qu'il rédige, ainsi qu'au respect des règles de la confidentialité dans les échanges précontractuels lorsqu'il est confronté à un autre avocat.

La rémunération de l'avocat agent d'artistes constitue une deuxième difficulté. En effet, la perception par les agents des fameux "10 %" sur les cachets de l'artiste, apparaît comme une forme de commission et se heurte à l'interdiction du pacte de quota litis. Mais il faut savoir que le pacte de quota litis, comme son nom l'indique, correspond à un pourcentage du litige. Si les honoraires de 10 % sont effectivement perçus en cas de résultat, à savoir mener à bien les négociations jusqu'à l'obtention du placement de son client, ils ne sont pas basés sur une activité de litige. Il s'agit donc d'une rémunération qui n'est pas un honoraire de résultat issue d'un procès. C'est ainsi que la Commission de déontologie a estimé que la pratique d'une rémunération sous forme de commission, ou pourcentage fixé à 10 %, était parfaitement compatible avec une activité d'avocat conseil. Il s'agit d'honoraires facturés sur du papier à en-tête d'avocat, et qui sont soumis à cotisations sociales comme l'ensemble de ses honoraires, ainsi qu'à TVA.

S'agissant de l'activité de placement de l'artiste, elle consiste à représenter l'artiste et à tenter de lui faire signer des contrats. Cette activité non juridique, de négociation, n'est pas naturelle pour l'avocat. On peut se demander dans quelle mesure elle ne serait pas une forme de démarchage, étant rappelé que le démarchage est autorisé pour l'avocat, pour autant qu'il respecte les principes essentiels, à savoir la dignité et la délicatesse. La Commission a donc estimé que l'activité de placement n'était pas incompatible pour autant que l'avocat respecte ces principes essentiels.

Quant au problème de l'exclusivité, Christophe Thévenet a rappelé, en effet, que, traditionnellement, l'agent d'artiste conclut un contrat à durée déterminée qui emporte l'exclusivité dans ses relations avec l'artiste. Cette pratique se heurte ici avec le principe de la liberté absolue de choix du client. Pour contourner cette difficulté, la seule solution consiste à conclure un contrat à durée indéterminée ; il faut alors prévoir que le contrat peut être rompu à tout moment, sans pénalité, en respectant un préavis d'une durée relativement courte (un à deux mois). Ce type de contrat représenterait d'ailleurs un avantage concurrentiel à faire valoir par l'avocat, par rapport aux agents classiques.

Enfin, une dernière question peut se poser concernant la communication de l'avocat sur sa qualité d'agent d'artiste. En l'état actuel du RIN, il n'est pas permis aux avocats de faire mention de cette qualité d'agent d'artiste sur le papier à en-tête et sur les cartes de visite ; cela est possible, en revanche, sur le site internet. Mais l'on peut espérer, prochainement, une évolution du RIN à cet égard, afin d'assurer un développement convenable de l'activité. Quoi qu'il en soit, dans l'attente de cette évolution, Christophe Thévenet indique que rien n'empêche l'avocat dans son courrier à en-tête, de mentionner en première ligne "Je vous écris, par la présente, en ma qualité d'avocat agent d'artiste mandataire de M. X".

Quant à Guillaume Le Foyer de Costil, membre du CNB et ancien membre du conseil de l'Ordre, il a signalé, tout d'abord, que la Commission "Règles et usages" du CNB étudiait une modification de l'article 10 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) sur la publicité de l'avocat, proposant notamment d'en extraire les restrictions relatives au papier à lettres, confirmant ainsi une évolution prochaine à cet égard.

S'agissant des dispositions de l'article 6 du RIN relatives au mandat, l'intervenant relève que, objectivement, rien n'empêche l'avocat de recevoir un mandat.

Sur la question du démarchage, il ajoute que l'interdiction de démarchage ne concerne, en tout état de cause, que le démarchage de clients, ce qui n'est donc nullement incompatible avec le démarchage, par l'avocat agent d'artistes, des producteurs pour le placement de l'artiste.

De la même façon que le CNB a publié un vade mecum de l'avocat agent immobilier, il est envisagé une publication similaire d'ici un an, concernant l'avocat agent d'artiste.

2. Les interrogations pragmatiques

Alexandra Clert, ancien avocat, scénariste et écrivain, s'est intéressée, non à la question de la compatibilité de l'activité d'agent d'artiste avec la profession d'avocat, mais à celle de savoir si l'exercice d'une telle activité est bien réaliste. La réponse, selon elle, est très clairement négative.

Il faut savoir que ce qu'attend l'auteur, en l'occurrence scénariste, de son agent est qu'il le situe parmi les autres auteurs, ce qui suppose une connaissance totale du milieu, et de tous les projets en cours. L'agent doit être totalement implanté dans l'univers de la production et de la culture pour pouvoir réussir ; il doit entretenir des liens avec des directeurs littéraires, des producteurs, et surtout les chargés de programmes ; cela nécessite un temps considérable qui, selon Alexandra Clert, est inconciliable avec le métier d'avocat, sauf à ce que cela se fasse au détriment de ce dernier. Cette même question se retrouve du point de vue de la rémunération, dans la mesure où l'agent doit suivre énormément d'auteurs pour se rémunérer correctement, ce qui suppose donc une activité à temps plein, donc totalement incompatible avec l'exercice en parallèle du métier d'avocat.

Elle ajoute que l'avocat peut également être associé à un risque de contentieux, ce qui peut desservir l'auteur.

Elisabeth Tanner, Présidente du syndicat national des agents artistes et littéraires, a rappelé qu'une activité d'"accompagnement d'artiste" a effectivement toujours été pratiquée par certains avocats, pour le compte d'artistes très autonomes, sur un plan sociologique et psychologique, et qui ne nécessitent qu'un accompagnement lors de la négociation et la conclusion d'actes.

Mais elle a insisté sur l'étendue de la mission de l'agent, qui s'avère extrêmement large et ne consiste donc pas uniquement, contrairement à ce que l'on pourrait croire, en une mission de placement, laquelle n'est qu'une infime part de son activité.

Elle relève, à l'instar d'Alexandra Clert, que l'exercice de l'activité d'agent par un avocat pose effectivement un problème de principe quant à la réalité du métier.

Si l'accompagnement d'un artiste par un avocat ne pose aucun problème, la pratique à part entière du métier d'agent artistique, qui nécessite une véritable ingénierie propre à ce métier, à savoir une connaissance parfaite du milieu lui permettant d'avoir un point de vue sur les choix de carrière de l'artiste, semble incompatible dans la pratique, compte tenu du temps que cela nécessite.

Rejoignant Elisabeth Tanner, Jean Ennochi, avocat à la cour, s'est interrogé sur la crédibilité de l'avocat à conseiller l'artiste sur le plan artistique. Le caractère artistique est-il compatible avec le métier d'avocat ? Est-ce le talent de l'avocat d'être conseil artistique ?

De même, selon l'avocat, l'agent artistique est réellement au service de son artiste, et l'on peut se demander si l'avocat est vraiment à même d'assurer un tel service.

Quant à la rémunération, l'intervenant s'est interrogé, déontologiquement, sur le problème de la rémunération proportionnelle qui est versée à l'agent ou à l'avocat durant toute la durée de la protection de l'oeuvre.

Bruno Illouz, avocat à la cour, coresponsable de la Commission Avocat mandataire d'artistes et d'auteurs du barreau de Paris et créateur de l'Association des avocats mandataires d'artistes et d'auteurs, estime, pour sa part, que les avocats ont, selon lui, objectivement, toutes les capacités pour aborder la profession d'agent artistique.

Il a insisté sur le fait que l'inscription au registre national des agents tenu par le ministère de la Culture est un préalable indispensable, puisqu'il est prévu que le défaut d'inscription fait encourir une contravention de la cinquième classe. Revenant sur les questions déontologiques, il a rappelé que l'activité d'agent étant une activité de services, elle bénéficie à ce titre des piliers du droit communautaire, à savoir la liberté d'établissement, la libre prestation de services, sauf restriction justifiée par un intérêt particulier. Le principe est donc celui de la liberté, et l'exception la restriction. Le problème du refus du ministère de la Culture d'inscrire les avocats sur le registre devrait donc être résolu très prochainement.

3. Etude comparée des pratiques à l'étranger

Virginie Lapp, avocat à la cour, coresponsable de la Commission Avocat mandataire d'artistes et d'auteurs du barreau de Paris, a enfin proposé un éclairage sur les pratiques à l'étranger s'agissant des règles déontologiques et usages des agents d'artistes.

Force est de constater qu'il existe un besoin de plus en plus important des jeunes artistes en matière juridique, notamment lors de leur premier contrat qui s'avère d'une complexité remarquable, ce qui légitime la place de l'avocat.

Virginie Lapp est revenue, tout d'abord, sur une étude réalisée au Québec, en 2002, sous l'égide du ministère de la Culture intitulée "Etude des besoins en formation artistique, Représentation d'artistes (agentes, agents, gérantes et gérants)". Cette étude avait été commandée car il a été constaté que beaucoup d'artistes choisissaient de s'autogérer.

Il en est ressorti que le choix de l'autogestion par les artistes s'expliquait au regard : de la pénurie d'agents dans ce domaine ; d'une expertise inexistante ; d'une expérience insuffisante ; du coût trop élevé des agents ; de l'évolution des besoins personnels ; d'un manque d'honnêteté et d'efficacité ; de l'illégalité des contrats.

Il faut déduire de cela que les agents doivent présenter une offre organisée, structurée, lisible et dans un rapport économique compréhensible.

En Allemagne, le droit n'interdit pas en principe à l'avocat d'exercer en tant qu'agent d'artiste ou d'auteur ; néanmoins, cette légalité de principe est assortie de trois restrictions : l'activité d'agent ne doit pas être susceptible de créer un conflit d'intérêts ; elle ne doit pas empêcher l'avocat qui exerce la mission d'agent d'artistes d'exercer réellement sa profession d'avocat (problème du caractère chronophage de l'activité d'agent) ; l'avocat ne peut exercer en qualité d'agent pour un artiste pour lequel il serait intervenu antérieurement en qualité d'avocat.

Quant au droit anglais, il permet aux avocats d'exercer en tant qu'agent artistique, sachant toutefois que le Code de déontologie réglemente le cumul des deux activités en énonçant un certain nombre de règles qui garantissent la pratique indépendante de ces deux professions. Autrement dit, contrairement au droit français, lorsqu'il intervient en qualité de mandataire d'artiste ou d'auteur, il doit veiller à informer son client qu'il n'est pas réglementé par la law society et que son activité revêt un caractère distinct de celle de solicitor ; inversement il doit veiller à ne pas empiéter sur son activité de solicitor et il doit prendre le soin de conserver de manière distinctive tout document se rapportant à l'une ou l'autre des activités. Il ne peut pas percevoir de rémunération, lorsqu'il intervient en qualité d'agent, sur le compte de son cabinet ; il doit donc disposer d'un compte spécifique susceptible de recevoir les rémunérations perçues dans le cadre de ses activités d'agent artistique.

Enfin, en droit américain, l'entertainment lawyer est totalement identifiable et visible, et sa compétence va bien au-delà d'une spécialisation. Dès son cursus universitaire, il se dirige dans cette voie, puisqu'il possède des diplômes spécifiques en entertainment law ; il existe même aux Etats-Unis un classement des meilleures écoles de droit en la matière. Dès l'université, les étudiants rencontrent les professionnels et développent un réseau. L'entertainment lawyer intervient comme un agent et comme un avocat, c'est-à-dire que, outre le conseil juridique, il gère totalement la carrière de l'artiste et l'accompagne dans toutes les facettes de son activité professionnelle. Il en résulte qu'il gère un nombre restreint d'artistes, compte tenu de l'expertise et du temps qui doit être consacré à cette activité.

Virginie Lapp a conclu en indiquant que, selon elle, si l'avocat souhaite exercer l'activité d'agent d'artiste, il doit être totalement spécialisé dans son domaine.

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] L'extension de procédure, pour quoi faire ?

Réf. : Cass. avis, 3 juin 2013, n° 15010 P (N° Lexbase : A5917KGA)

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

Le 18 Juillet 2013

Le Code de commerce prévoit, en son article L. 621-2 (N° Lexbase : L3851ISG), la possibilité d'étendre une procédure collective, soit sur le fondement de la fictivité, soit sur celui de la confusion des patrimoines. Ces extensions de procédure, aujourd'hui prévues par la loi, sont des créations prétoriennes, belles inventions de la Cour de cassation.
La première cause d'extension ne se rencontre guère en pratique. Laissons-la de côté. La seconde, en revanche, est beaucoup plus fréquente.
Deux critères sont utilisés par cette dernière pour justifier l'extension de la procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines : l'imbrication des comptes et les relations financières anormales. Précisons immédiatement qu'un auteur, dans sa remarquable thèse, avait cru devoir reléguer au stade de simples indices ces deux critères, pour les remplacer par le critère unique de l'indéterminabilité de la consistance patrimoniale (1). Pour l'heure, et en dépit de la profondeur de l'analyse, l'auteur n'a pas été suivi par la Cour de cassation. Précisons aussi que l'étude de la jurisprudence fait apparaître que seul le second critère est utilisé de façon autonome, l'imbrication des comptes venant en réalité, lorsqu'elle est invoquée, conforter les relations financières anormales par l'impossibilité d'en donner une explication comptable.
Ainsi, en centrant les développements sur les relations financières anormales comme critère principal d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines, la question première, essentielle, qui vient à l'esprit et dont la réponse doit permettre d'apporter un éclairage précis sur le mécanisme de l'extension, est la suivante : à quelle finalité répond l'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines ? La question mérite d'être débattue de lege lata (I), puis de lege ferenda (II)

I - De lege lata

La question de la finalité de l'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines apparaît presque impertinente, plus de cinquante ans après l'entrée dans notre droit positif du mécanisme de l'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines (2). Et pourtant ! Des flottements ont émaillé la construction, portant sur la qualité à agir aux fins de saisine en extension de la procédure. Or, derrière la question de la qualité à agir, se cache une autre question : quelle est la finalité de l'extension de procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines ? Cette question est au centre d'un avis rendu par la Cour de cassation. La question suivante était posée à la Cour : "L'article L. 622-20 du Code de commerce(N° Lexbase : L3879HBB) qui autorise un contrôleur à suppléer la carence du mandataire judiciaire est-il applicable dans le cadre d'une action en extension d'une procédure collective alors que cette action ne sert pas nécessairement l'intérêt collectif des créanciers et n'a pas pour effet de recouvrer des sommes d'argent et de les faire entrer dans le patrimoine du débiteur ?".

A cette question, la Cour de cassation va répondre positivement en ces termes : "L'article L. 622-20 du Code de commerce confère au créancier nommé contrôleur, en cas de carence du mandataire judiciaire, qualité à agir en extension d'une procédure collective sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité".

Pour comprendre la portée de la solution, il faut d'abord apporter quelques précisions sur ce pouvoir particulier accordé au contrôleur depuis la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT).

Commençons par indiquer que l'expression "créancier nommé contrôleur" conduit à exclure le contrôleur de droit des professions libérales représentant l'autorité compétente ou l'Ordre professionnel, car, d'une part, il n'est pas nommé et, d'autre part, l'Ordre ou l'autorité dont il relève ne sera pas nécessairement créancier.

La loi de sauvegarde des entreprises fait du contrôleur nommé un organe subsidiaire. Il ne pourra agir que si le mandataire judiciaire reste inactif. Il semble possible de résumer ainsi la fonction du contrôleur nommé : c'est un assistant du mandataire judiciaire, qui surveille la procédure et qui, dans le cadre de la défense de l'intérêt collectif des créanciers, devient un organe subsidiaire (3). Il importe de remarquer que, contrairement à sa fonction générale qui n'est pas celle de défendre l'intérêt collectif des créanciers, dans le cadre de l'engagement à titre subsidiaire des actions tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers, il représente collectivement les créanciers, puisqu'il se substitue alors au mandataire judiciaire, pour en prendre la fonction principale.

Nous avions annoncé que la difficulté la plus grande serait sans doute de déterminer la notion d'action mettant en jeu l'intérêt collectif. On peut penser aux actions pauliennes (4), ainsi qu'à diverses actions attitrées de la procédure collective, telles les actions en nullités de la période suspecte (5) ou encore les actions en responsabilité civile délictuelle contre les tiers (6), notamment les établissements de crédit et les fournisseurs. Nous avions aussi estimé que si l'on considère que l'action en extension sur le fondement de la confusion des patrimoines participe de la défense de l'intérêt collectif des créanciers, en ce qu'elle permet la reconstitution de leur gage, il faut identiquement admettre qu'elle puisse être mise en oeuvre subsidiairement par un contrôleur (7). Cette suggestion doctrinale avait été suivie par une juridiction du fond, qui avait cependant, sur le fond, rejeté la demande (8).

Au coeur de la question posée à la Cour de cassation, se trouvait précisément cette problématique : le contrôleur a t-il qualité à agir en extension de procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines, alors que, selon la question objet de l'avis, "cette action ne sert pas nécessairement l'intérêt collectif des créanciers". On a déjà précisé que la Cour de cassation avait apporté une réponse positive, suivant en cela les remarquables conclusions de son avocat général Régine Bonhomme. En résumant la solution, on peut énoncer qu'"il importe peu que cet intérêt [collectif] ne soit pas le seul enjeu possible de l'action", dès lors que l'action a notamment pour objet d'assurer cette défense de l'intérêt collectif (9).

Il était évidemment impossible de reconnaître qualité à agir au contrôleur, devenu un organe subsidiaire de défense de l'intérêt collectif, s'il n'était pas question de défendre cet intérêt collectif.

Si l'on admet que les actions tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers sont celles qui ont pour objet la protection, l'accroissement ou la mise en oeuvre du gage commun, c'est-à-dire le gage que partagent, en théorie au moins, tous les créanciers, alors l'on mesure que l'action en extension de procédure ne pourra être initiée subsidiairement par le contrôleur qu'autant qu'elle va permettre la reconstitution du gage commun, atteint par des actes d'appauvrissement.

Or, la jurisprudence de la Cour de cassation a démontré des cas dans lesquels l'extension de procédure avait été initiée par l'administrateur judiciaire. En question, généralement, le sauvetage d'un groupe de sociétés. Alors que la procédure collective n'avait été ouverte que contre une filiale ou que la procédure avait été ouverte contre une filiale à tel endroit, contre une autre filiale ou la société mère, à tel autre endroit, le besoin d'une centralisation du dossier devant une seule juridiction et la désignation d'un seul administrateur judiciaire pouvant avoir tous les leviers du sauvetage de l'entreprise entre ses mains se faisait sentir.

La question avait été posée à la Cour de cassation de savoir si l'administrateur avait bien qualité à agir. Oui, a répondu la Haute cour (10). La solution pouvait se justifier par l'observation que le plan présuppose la prise en compte des actifs des sociétés auxquelles on entend étendre la procédure. Dès lors, il peut apparaître logique de reconnaître qualité pour agir en extension à l'administrateur judiciaire en charge de l'élaboration du plan. En posant en 2009 la solution, la Cour de cassation ne faisait qu'en anticiper l'application de l'article L. 621-2, alinéa 2, du Code de commerce, tel qu'il venait d'être modifié par l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 N° Lexbase : L2777ICT, art. 13) précisant que la saisine en extension appartient notamment à l'administrateur.

Si l'action en extension a pour objet de permettre la concentration de la solution de sauvetage d'un groupe de sociétés entre les mains d'un seul administrateur judiciaire, il n'est pas question de défense de l'intérêt collectif des créanciers. Le seul ayant intérêt, et par voie de conséquence, qualité à agir sera à notre sens l'administrateur judiciaire. La qualité à agir du défenseur de l'intérêt collectif des créanciers s'efface, en ce cas, et, en même temps qu'elle, celle du contrôleur agissant subsidiairement en défense de l'intérêt collectif des créanciers.

Cette solution, qui consiste à reconnaître à l'administrateur judiciaire qualité à agir en extension de la procédure lorsqu'il est question de la concentration entre ses mains des leviers destinés au sauvetage d'un groupe de sociétés, et partant à dénier qualité à agir au défenseur de l'intérêt collectif, et qui au contraire aboutit à reconnaître qualité à agir au mandataire judiciaire, au liquidateur, et subsidiairement au contrôleur, lorsqu'il est question de rétablir le gage commun des créanciers, brouille considérablement l'analyse et rend plus délicat le régime procédural de l'action en extension de procédure. Mais cela n'est que la conséquence de l'affirmation selon laquelle il n'y pas une, mais bien plusieurs finalités de l'extension de la procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines.

C'est la légitimité de cette affirmation qui mérite, de lege ferenda, d'être discutée.

II - De lege ferenda

Faut-il revenir à la conception qui semblait bien initialement être celle de la Cour de cassation en matière d'extension de la procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines ? Au départ, il s'agissait de stigmatiser ou, n'hésitons pas à employer le mot, à sanctionner des personnes entretenant avec le débiteur des relations anormales. Il ne s'agissait pas de sanctionner pour sanctionner, dans la mesure où l'extension ne constituait pas, stricto sensu, une sanction. Ces relations anormales étaient préjudiciables aux créanciers de la personne placée sous procédure collective. Il était donc question de rétablir leur gage, atteint par les relations anormales, constituant autant de sources d'appauvrissement du débiteur et, partant, de réduction du gage commun de ses créanciers. Si ces derniers n'avaient pas à souffrir des relations financières, s'ils en étaient au contraire les bénéficiaires, il n'était aucune bonne raison -juridiquement on dirait qu'il n'y avait pas d'intérêt- à agir en extension.

Puis les praticiens ont aperçu l'attrait que pouvait présenter l'extension de procédure et se sont posés moins de questions. Les administrateurs judiciaires, spécialement, ont compris que le mécanisme de l'extension pouvait constituer un cadre rêvé à la réorganisation d'un groupe de sociétés. Même si les critères de l'extension n'étaient pas réunis (11), des demandes d'extension ont pu prospérer. Le débiteur, via son administrateur, devenait en quelque sorte demandeur à l'extension de la procédure afin que le traitement des difficultés se trouve centralisé devant une seule juridiction ; l'administrateur initialement désigné devenait l'administrateur de l'ensemble à patrimoine confondu. Une seule solution pouvait alors être adoptée au profit du groupe, du fait de l'unicité de masse active et passive conduisant à une unicité de solution. Initialement de nature strictement contentieuse, la demande en extension prend alors un tour gracieux, ce qui a pu expliquer que des demandes aient été présentées par simple requête, comme s'il s'agissait d'une simple habilitation.

Mais la pratique a démontré que la solution ne présentait peut-être pas que des avantages. En effet, si un plan de continuation ou de redressement unique est adopté, sa résolution est symétriquement indivise (12). L'ensemble devait alors être placé en liquidation judiciaire, en cas de cessation des paiements, un problème d'appréciation de cet état se posant au demeurant en pareil cas (13).

Si les critères de la confusion des patrimoines sont réunis, l'émotion juridique n'existe pas. Mais si l'extension a été sollicitée "par confort", l'émoi s'empare de l'observateur. Quoi que les conditions de la confusion des patrimoines n'aient pas été réunies, l'ensemble est placé en liquidation judiciaire, alors qu'un traitement structure par structure aurait peut-être permis d'en sauver certaines.

On comprend bien le souhait des administrateurs judiciaires de réparer la malfaçon législative qui consiste à ne pas prendre en considération une réalité économique, celle du groupe de sociétés et leur volonté de pallier cette carence.

Mas il est une autre façon de procéder, respectueuse des textes, et qui ne fait pas courir de risques abusifs à des filiales. Elle réside dans l'application des règles dérogatoires de compétence.

L'article L. 662-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3363ICK) prévoit en ce sens que "lorsque les intérêts en présence le justifient, la cour d'appel peut décider de renvoyer l'affaire devant une autre juridiction de même nature compétente dans le ressort de la cour pour connaître du mandat ad hoc, de la procédure de conciliation ou des procédures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, dans des conditions fixées par décret. La Cour de cassation, saisie dans les mêmes conditions, peut renvoyer l'affaire devant une juridiction du ressort d'une autre cour d'appel".

Les intérêts en présence le justifient notamment lorsqu'il est question de centraliser sur une seule juridiction la connaissance des procédures ouvertes contre plusieurs sociétés d'un même groupe (14), devant des tribunaux différents, dès lors du moins qu'une extension sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité n'aura pas été prononcée (15). Les juridictions du fond ont donc pris en compte la préoccupation sur laquelle nous raisonnons et il n'y a donc aucune difficulté à appliquer le texte en question. Un observateur averti confesse que le mécanisme fonctionne plutôt bien au moins lorsqu'il est question de sauvegarde ou de redressement judiciaire, beaucoup moins s'il s'agit d'une procédure de conciliation (16).

Sur le plan procédural, le renvoi devant une autre juridiction peut avoir pour initiative le président du tribunal ou le ministère public.

Dans le premier cas, le président du tribunal transmettra immédiatement le dossier par ordonnance motivée au premier président de la cour d'appel. La formule employée par l'article R. 662-7, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L1165HZ8 anct décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005, art. 343, al. 1er N° Lexbase : L3297HET) est expéditive, puisque le texte indique que le renvoi "peut être effectué d'office par le président du tribunal saisi qui transmet sans délai le dossier par ordonnance motivée au premier président de la cour d'appel". Si le président du tribunal estime que l'affaire relève de la compétence d'une juridiction du ressort d'une autre cour d'appel, la transmission du dossier est assurée par ses soins au premier président de la Cour de cassation.

Dans le second cas, le ministère public saisira le premier président de la cour d'appel ou de la Cour de cassation, selon le cas, par requête motivée. Il a été jugé que la requête aux fins de renvoi de l'affaire devant une autre juridiction présentée par le ministère public peut être présentée oralement (17). La transmission du dossier sera ici assurée par le greffier, qui devra notifier immédiatement aux parties la requête du ministère public.

La mise en oeuvre procédurale apparaît donc simple. Elle est en outre rapide.

Il faut encore mentionner la précision contenue à l'article R. 662-7, alinéa 3, qui indique que la demande de dérogation aux règles de compétence territoriale peut être présentée avant même l'ouverture de la procédure, le tribunal devant en ce cas surseoir à statuer. Ainsi, l'administrateur judiciaire nommé dans une procédure collective, qui estime que le sauvetage de l'entreprise ne peut passer que par la réorganisation du groupe, peut anticiper l'ouverture des procédures concernant d'autres sociétés du même groupe, en se rapprochant du tribunal saisi ou du ministère public, pour que la demande soit présentée soit par le tribunal d'office, soit par le ministère public.

Il existe ainsi déjà un moyen procédural efficace et parfaitement encadré sur le plan légal, qui permet de concentrer devant une même juridiction et au profit d'un seul administrateur judiciaire, la tentative de sauvetage d'un groupe de sociétés.

C'est pourquoi le recours le plus souvent contra legem, en l'absence de critères jurisprudentiels classiques, à l'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines nous apparaît, de lege ferenda, devoir être supprimé. Il conviendrait de modifier l'alinéa 2 de l'article L. 621-2 en supprimant la saisine par l'administrateur judiciaire. Ce faisant, on éviterait d'ailleurs une problématique qui peut se rencontrer : le chef d'entreprise a chois à l'occasion d'une procédure de sauvegarde son administrateur. Ce dernier pense que le sauvetage de l'entreprise suppose le traitement au niveau du groupe, mais le chef d'entreprise s'y oppose. Dans quel embarras se trouve l'administrateur judiciaire, qui tient de la loi la qualité pour demander l'extension de la sauvegarde, procédure pourtant strictement volontariste, mais qui est confronté à un chef d'entreprise qui l'a choisi. Mais peut-être n'est-ce là qu'une vue de l'esprit ?

On pourrait aller plus loin et affirmer plus clairement que l'extension de la procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines a pour seule finalité la reconstitution du gage commun atteint par les relations anormales entretenues par le débiteur avec d'autres personnes, à son préjudice. Dès lors, il faudrait réserver cette extension à l'hypothèse d'une procédure liquidative, une procédure de distribution du gage commun, procédure au cours de laquelle la question de sa reconstitution se pose pour les créanciers. Ainsi, l'extension de la procédure collective sur le fondement de la confusion des patrimoines ne devrait avoir pour initiateur que le liquidateur (18).

D'évidence, la saisine d'office doit ici disparaître. Déjà discutée lorsqu'il est question d'ouverture, elle est encore plus sujette à critique s'il s'agit d'extension de procédure.

Celle du ministère public ne se justifie pas véritablement. Il n'est pas ici question de jouer le "redresseur de tort". Il n'est question que de reconstituer le gage commun des créanciers de la procédure collective qu'il est question d'étendre. Seul le défenseur de l'intérêt collectif des créanciers devrait donc pouvoir agir. S'il s'abstient, alors le contrôleur, organe subsidiaire de défense de l'intérêt collectif des créanciers, agira.

On peut encore aller plus loin dans la prise en compte de la nécessité de raisonner au niveau du groupe de sociétés, lorsqu'il est question de sauvetage de l'entreprise. Pour cela, il peut être suggéré au législateur de créer, pour les seules procédures de sauvegarde et de redressement, non pour celles de liquidation judiciaire, un critère de compétence tel que celui qui existe dans le Règlement européen n° 1346/2000 (N° Lexbase : L6914AUM), tel qu'il est interprété par la CJUE, à savoir le centre des intérêts principaux du groupe de sociétés.

En acceptant cette idée, on pourrait créer une nouvelle obligation déclarative reposant sur le représentant légal de la société détentrice des parts ou actions des filiales. Il déclarerait l'adresse du centre des intérêts principaux. Cette déclaration permettrait, en cas d'ouverture de procédures collectives impliquant au moins deux sociétés d'un même groupe, que toutes les procédures collectives ouvertes le soient par la même juridiction, celle du centre des intérêts principaux du débiteur, qui pourrait ainsi nommer des organes identiques dans toutes les procédures ouvertes. En revanche, il y aurait bien ouverture indépendante des procédures et non unicité de procédure, afin de ne pas faire peser sur toutes les sociétés dont la procédure collective a été ouverte par la même juridiction, les risques d'une résolution indivise du plan.

Au final, l'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines serait réservée aux seules procédures liquidatives. Il y serait question de reconstitution du gage commun des créanciers, atteints par les relations financières anormales au préjudice du débiteur. S'il est question de sauvetage d'un groupe de sociétés, le recours à l'extension de procédure serait exclu. Il pourrait être remplacé par la création d'un critère spécifique de compétence territoriale, celui du centre des intérêts principaux, observation faite que, en droit positif, l'article L. 662-2 du Code de commerce offre déjà aux administrateurs un moyen de répondre à la préoccupation du traitement des difficultés d'un groupe de sociétés, en attendant l'émergence véritable d'un droit des entreprises en difficulté comportant un dispositif spécial de traitement des difficultés du groupe de sociétés...


(1) Fl. Reille, La notion de confusion des patrimoines, cause d'extension des procédures collectives, Bibl. Dr. entr., t. 74, Litec 2006, sp. p. 517 s., n° 588 et s. ; adde partageant l'analyse, F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 9ème éd., Lgdj, 2012, n° 327.
(2) Dans une première phase, le mécanisme de l'extension de procédure "visait à soumettre à la faillite celui qui s'était véritablement dissimulé derrière le masque de la personne morale pour conduire une activité personnelle. La faillite de la personne morale était déclarée commune au véritable maître de l'affaire" (Fl. Reille, op. cit., n° 11). L'arrêt fondateur est celui du 29 juin 1908 (Cass. Req., 29 juin 1908, DP 1910, I, 233, note Percerou). Il faut attendre les années 1960 pour voir apparaître l'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines telle que nous la connaissons aujourd'hui. Un article est à cet égard cité (Fl. Reille, op. cit., n° 11) comme étant celui de référence, pour rendre compte de l'évolution jurisprudentielle (A.-J. Bellanger, Entretien sur la pluralité de masses, RJ com., 1962, p. 160).
(3) Rappr. P. Le Cannu, Droit commercial, Entreprises en difficulté, refonte de l'ouvrage de M. Jeantin, "Précis", Dalloz, 2006, 7ème éd., n° 451.
(4) En ce sens aussi, G. Jazottes, Les innovations des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, Rev. proc. coll., 2005/4, p. 358 et s., sp. p. 361 ; Ph. Roussel Galle, Les contrôleurs, gardiens de l'intérêt collectif, Gaz. Pal., n° sp. 9-10 septembre 2005, p. 3 et s., sp. p. 5, n° 14 ; J.-CL. COM., Amlon, fasc. 2245, [Organes - Contrôleurs], éd. 2006, n° 51.
(5) En ce sens aussi, G. Jazottes, Les innovations des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, op. cit., loc cit. ; Ph. Roussel Galle, Les contrôleurs, gardiens de l'intérêt collectif, op. cit., loc cit. ; P. Cagnoli, La qualité pour agir, questions procédurales, Rev. proc. coll., 2006/2, p. 209 et s., sp. p. 210 ; F. Pérochon, op. cit., n° 497 et n° 1292 ; J.-L. Vallens, Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), éd. Lamy, 2013, n° 3670 ; J.-CL. COM., Amlon, fasc. 2245 [Organes - Contrôleurs], éd. 2006, n° 51.
(6) Aussi, Ph. Roussel Galle, Réforme du droit des entreprises en difficulté - De la théorie à la pratique, 2ème éd., Litec, 2007, n° 493 ; J.-CL. COM., Amlon, fasc. 2245, [Organes - Contrôleurs], éd. 2006, n° 51 ; J.-L. Vallens, op. cit., n° 3670.
(7) Nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 7ème éd., 2013/2014, n° 612.24. En ce sens aussi, Ph. Roussel Galle, op. cit. n° 493 ; du même auteur, Les contrôleurs, gardiens de l'intérêt collectif, op cit. loc cit. P. Cagnoli, op cit. loc cit., F. Pérochon, op. cit., n° 497 ; D. Gibirila, Droit des entreprises en difficulté, Defrénois, 2009, n° 224.
(8) CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 1er mars 2011, n° 10/19932 (N° Lexbase : A2997G9U), Act. proc. coll., 2011/11, comm. 164.
(9) R. Bonhomme, concl. sur Cass. avis, 3 juin 2013, n° 15010 P.
(10) Cass. com., 15 décembre 2009, n° 08-20.934, F-P+B (N° Lexbase : A7149EPH), Bull. civ. IV, n° 170 ; D., 2010, AJ, 86, note A. Lienhard ; Gaz. Pal., 16 et 17 avril 2010, n° 6, 106 et 107, p. 20, note Fl. Reille ; Dr. sociétés, 2010/3, § 56, p. 35, note J.-P. Legros ; Procédures, 2010, comm. 41, note B. Rolland ; Rev. proc. coll., 2010/3, §94, p. 55, note P. Cagnoli ; Dr. et patr., 2010, n° 196, p. 89, note C. Saint-Alary-Houin et H. Monsèrié-Bon.
(11) Sur ce constat, P. Rossi, La simplification des procédures collectives et du droit des entreprises en difficulté, Rev. proc. coll., mai 2013, Table ronde n° 2, p. 87 et s., sp. p. 89.
(12) Cass. com., 23 juin 1998, n° 96-19.997 (N° Lexbase : A8209AHI), RJDA, 1998/11, p. 938, n° 1247 ; RTDCom., 1998. 924, obs. C. Saint-Alary-Houin ; CA Montpellier, 2ème ch., sect. B, 5 octobre 2004, n° 01/03687 (N° Lexbase : A9092DIL), Act. proc. coll., 2005/10, no 124, note C. Régnaut-Moutier.
(13) Sur la question, nos obs., L'apparition de l'état de cessation des paiements et la résolution d'un plan arrêté au profit de diverses sociétés à patrimoines confondus, Bull. Joly Sociétés, 2009, § 230, p. 1137.
(14) CA Douai, 2ème ch., 5 avril 2002, Act. proc. coll., 2002/10, no 131, obs. P. Cagnoli. Sur la question, E. Etienne-Martin et R. Montagnon, La réforme de la justice commerciale à l'épreuve des règles de compétence territoriale des groupes de sociétés en difficulté, Rev. proc. coll., mars 2013, Etudes 8.
(15) CA Douai, 2ème ch., 3 juillet 1986, D., 1987, somm. 5, obs. F. Derrida.
(16) C.-H. Carboni, La simplification des procédures collectives et du droit des entreprises en difficulté, Rev. proc. coll., mai 2013, Table ronde n° 2, p. 87 et s, sp. p. 88.
(17) CA Douai, 31 mars 1988, D., 1989, somm. 7, obs. F. Derrida.
(18) Sur des questionnements sur la saisie aux fins d'extension de la procédure, M. Menjucq, La simplification des procédures collectives et du droit des entreprises en difficulté, Rev. proc. coll., mai 2013, Table ronde n° 2, p. 87 et s, sp. p. 89.

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Expropriation

[Chronique] Chronique de droit de l'expropriation - Juillet 2013

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N8057BTL

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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE)

Le 23 Octobre 2014

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit de l'expropriation rédigée par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE). Elle traitera, tout d'abord, d'un arrêt rendu le 20 mars 2013 par lequel la Cour de cassation retient que le passage d'un plan d'occupation des sols à un plan local d'urbanisme n'a pas d'incidence sur le droit de préemption urbain, ni sur la détermination de la date de référence pour la fixation des indemnités d'expropriation (Cass. civ. 3, 20 mars 2013, n° 11-19.239, FS-P+B). Dans la deuxième décision commentée, la Cour suprême précise que, si l'ordonnance d'expropriation éteint le droit au bail, elle ne fait pas disparaître le fonds de commerce (Cass. civ. 3, 20 mars 2013, n° 11-28.788, FS-P+B). Enfin, dans le troisième arrêt étudié, les juges du Quai de l'Horloge rappellent que la renonciation par des expropriés à leur droit au relogement ne peut pas être tacite (Cass. civ. 3, 27 février 2013, n° 12-11.995, FS-P+B).
  • Le passage d'un plan d'occupation des sols à un plan local d'urbanisme n'a pas d'incidence sur le droit de préemption urbain, ni sur la détermination de la date de référence pour la fixation des indemnités d'expropriation (Cass. civ. 3, 20 mars 2013, n° 11-19.239, FS-P+B N° Lexbase : A5805KAA)

Dans son arrêt n° 11-19.239 du 20 mars 2013, la troisième chambre civile de la Cour de cassation apporte une précision utile sur les conséquences de l'adoption d'un plan local d'urbanisme sur une délibération établissant le droit de préemption urbain en application du plan d'occupation des sols anciennement en vigueur. Une commune avait instauré le 30 juin 1987 un droit de préemption urbain sur la totalité de son territoire, conformément au document d'urbanisme alors en vigueur. Par la suite, un arrêté préfectoral du 9 juillet 2003 avait déclaré d'utilité publique la création d'une réserve foncière et avait autorisé un EPA à acquérir les terrains nécessaires à cette opération. Une délibération du conseil municipal de la commune du 24 septembre 2007 est alors intervenue pour approuver un plan local d'urbanisme, se substituant à l'ancien plan d'occupation des sols. La première question qui se pose en l'espèce consiste à déterminer si la disparition du plan d'occupation des sols devait entraîner celle du droit de préemption urbain (I). Après avoir répondu par la négative à cette question, les juges appliquent au cas d'espèce les règles qui permettent de déterminer la date de référence pour la fixation des indemnités d'expropriation concernant des biens soumis à préemption (II).

I - Le passage du plan d'occupation des sols au plan local d'urbanisme n'entraîne pas la caducité de la délibération instituant le droit de préemption urbain

La Cour de cassation constate d'abord qu'aucune disposition du Code de l'urbanisme ne prévoit expressément la caducité de la délibération instituant le droit de préemption urbain au passage du plan d'occupation des sols au plan local d'urbanisme. L'article L. 211-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3035IDR) se borne en effet à préciser que "les communes dotées d'un plan d'occupation des sols rendu public ou d'un plan local d'urbanisme approuvé peuvent, par délibération, instituer un droit de préemption urbain sur tout ou partie des zones urbaines et des zones d'urbanisation future délimitées par ce plan". En conséquence, l'existence d'un plan d'occupation des sols ou d'un plan local d'urbanisme est nécessaire à l'institution du droit de préemption urbain.

En revanche, le texte ne précise rien concernant l'hypothèse d'un passage du plan d'occupation des sols (ou d'un plan local d'urbanisme) à un nouveau plan local d'urbanisme. Il a seulement été jugé qu'en cas d'annulation de l'acte rendant public ou portant approbation du plan, la délibération portant institution d'un droit de préemption urbain sur les zones délimitées par le plan d'occupation des sols ou le plan local d'urbanisme sera également considérée comme illégale (1). Cette solution est toutefois contestée par certaines juridictions du fond qui considèrent que l'institution du droit de préemption urbain ne constitue pas un acte d'application du plan local d'urbanisme ou du plan d'occupation des sols. Il en résulte que pour ces juridictions, la constatation par le juge de l'excès de pouvoir de l'illégalité d'une disposition du plan n'entraîne pas de plein droit celle de l'acte qui institue le droit de préemption (2). La jurisprudence demeure toutefois assez incertaine sur cette question. Ainsi, dans un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 12 novembre 1997 (3), il a été jugé que, si "la constatation par le juge de l'illégalité d'une disposition du plan d'occupation des sols n'entraîne pas de plein droit celle de l'acte instituant un droit de préemption urbain qui est intervenu sous l'empire de ce plan [...]", il en en va autrement dans le "cas où cette illégalité affecte une disposition ayant pour objet de rendre possible cet acte", ce qui concerne principalement l'hypothèse où elle porterait sur un classement erroné de parcelles en zone urbaine ou zone d'urbanisation future.

En l'espèce, il ne s'agissait toutefois pas d'annulation d'un plan d'occupation des sols mais de sa sortie de vigueur du fait de l'approbation d'un nouveau plan local d'urbanisme. Dans cette hypothèse précise, les juges considèrent, dans le silence des textes, que le passage à un nouveau plan local d'urbanisme n'emporte pas la caducité de la délibération instituant le droit de préemption urbain. Il n'en irait autrement, très certainement, que dans l'hypothèse où ce plan rendrait impossible l'exercice du droit de préemption urbain. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce, les juges précisant au contraire que les documents graphiques joints au plan local d'urbanisme faisaient expressément référence au droit de préemption urbain précédemment institué.

II - La détermination de la date de référence pour la fixation des indemnités d'expropriation

L'existence du droit de préemption urbain étant reconnue, il s'agissait ensuite pour les juges de fixer la date à laquelle les bien préemptés devaient être évalués, ce qui posait beaucoup moins de difficultés. Lorsque l'expropriation porte sur des biens soumis à préemption, la date de référence doit être déterminée en fonction des règles définies par les dispositions combinées des articles L. 213-6 (N° Lexbase : L7388ACM) et L. 213-4 (N° Lexbase : L4939IMU) du Code de l'urbanisme. Selon l'article L. 213-4, pour les biens qui ne sont pas situés dans une zone à aménagement différé, la date de référence est celle "à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien". Par conséquence, c'est la date du 24 septembre 2007, c'est-à-dire celle à laquelle le plan local d'urbanisme délimitant la zone dans laquelle les biens étaient situés avait été approuvé et était devenu opposable aux tiers, qui doit être prise en compte comme date de référence pour l'évaluation des biens expropriés. Le pourvoi formé par l'EPA est donc rejeté.

  • Si l'ordonnance d'expropriation éteint le droit au bail, elle ne fait pas disparaître le fonds de commerce (Cass. civ. 3, 20 mars 2013, n° 11-28.788, FS-P+B [LXB=A5818KAQ)])

Selon l'article L. 12-2 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2906HL9), "l'ordonnance d'expropriation éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels ou personnels existant sur les immeubles expropriés". Si ces dispositions impliquent notamment l'extinction du droit au bail, elle n'emporte pas automatiquement la disparition du fonds de commerce, comme le précise dans la présente affaire la Cour de cassation. En l'espèce, le juge de l'expropriation avait transféré la propriété d'un immeuble dans lequel était exploité un commerce de peinture décoration et revêtement de sols et murs. Mais postérieurement à la publication au bureau des hypothèques de l'ordonnance d'expropriation, l'exploitant avait cédé son fonds de commerce à une société. La commune a alors considéré qu'elle n'était redevable d'aucune indemnité d'éviction à l'égard de cette société, au motif que l'effet extinctif des droits réels et personnels de l'ordonnance d'expropriation s'opposait au transfert de droits sur le fonds de commerce après que celle-ci a été prononcée.

La Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel (4) qui avait fait droit à la demande de la commune. Elle rappelle que "l'ordonnance d'expropriation, qui éteint le droit au bail, ne fait pas disparaître le fonds de commerce et que la cession de ce fonds emporte, sauf clause contraire incluse dans l'acte, cession de la créance d'indemnité d'éviction due au cédant".

Si c'est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation est amenée à se prononcer sur cette question, il est utile de relever que cette solution est conforme à une jurisprudence ancienne du Conseil d'Etat qui a toujours opéré cette distinction entre droit au bail et fonds de commerce dans des arrêts concernant des officines pharmaceutiques. Dans un arrêt "Fauroux-Lionnet" du 6 décembre 1967 (5), la juridiction administrative suprême avait ainsi considéré qu'était légal un arrêté préfectoral autorisant une pharmacienne à transférer son officine à la suite de l'expropriation de l'immeuble dans lequel elle était exploitée. Les juges ont estimé que la licence demeurait attachée au fonds de commerce, lequel n'avait pas disparu du fait de l'expropriation. Cette solution avait été ensuite confirmée dans un arrêt "Rollet et a." du 6 avril 1979 (6). Dans cette affaire, les juges confirment que, "si l'ordonnance d'expropriation [...] portant sur un immeuble dans lequel une officine de pharmacie était exploitée a éteint par elle-même et à sa date tous les droits personnels existant sur l'immeuble exproprié, et notamment le droit au bail détenu par l'exploitant de l'officine, cette circonstance n'a pas eu pour effet de faire disparaître le fonds de commerce dont celui-ci restait propriétaire, quel que soit le montant des indemnités pour éviction décidé par le juge de l'expropriation".

  • La renonciation par des expropriés à leur droit au relogement ne peut pas être tacite (Cass. civ. 3, 27 février 2013, n° 12-11.995, FS-P+B N° Lexbase : A8831I8L)

Dans un arrêt du 27 février 2013, la troisième chambre civile de la Cour de cassation apporte des précisions utiles sur l'application des dispositions du Code de l'expropriation relatives au droit au relogement des personnes expropriées (7). L'article L. 14-1 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2957HL4) fait en effet bénéficier d'un droit de priorité pour le relogement les propriétaires occupant des locaux d'habitation. Cette priorité peut s'exercer selon plusieurs modalités différentes : pour le relogement en qualité de locataires dans un local soumis à la législation sur les HLM ou dans un local dont le loyer n'excède pas celui d'un local HLM de même consistance ; pour l'accession à la propriété au titre de la législation applicable en matière d'HLM ainsi que pour l'octroi, le cas échéant, des prêts correspondants ; sur un local de type analogue situé dans la même commune ou une commune limitrophe lorsque l'expropriation a porté sur une maison individuelle. Dans tous les cas, le texte fixe comme condition que les ressources des personnes concernées ne doivent pas excéder les plafonds fixés pour l'attribution de logements construits en application de la législation relative aux HLM. Pour la mise en oeuvre de ces dispositions, l'article R. 14-10 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3235HLE) précise qu'il ne peut être offert de local de relogement au propriétaire occupant d'un immeuble exproprié que si cette offre a été acceptée par celui-ci avant que ne soit rendu le jugement fixant les indemnités. Il s'agit ainsi, comme le précise le même article, de permettre au juge de l'expropriation et le cas échéant à la chambre de l'expropriation statuant en appel, de tenir compte de ce relogement lors de la fixation des indemnités d'expropriation. La question qui se pose en l'espèce consiste à déterminer si la renonciation par des expropriés de leur droit au relogement peut être seulement tacite et résulter de l'absence de débat sur cette question devant le juge de l'expropriation, avant que ne soit rendu ce jugement.

Les requérants avaient été expropriés d'un immeuble au profit de la communauté urbaine de Bordeaux. L'indemnité d'expropriation avait été fixée par le juge qui l'avait calculée sur une valeur libre de toute occupation. Les anciens propriétaires refusant de quitter les lieux, la communauté urbaine de Bordeaux a alors demandé leur expulsion au juge de l'expropriation, compétent pour statuer en référé en application des dispositions des articles R. 13-39 (N° Lexbase : L3158HLK) et R. 14-11 (N° Lexbase : L3236HLG) du Code de l'expropriation (8). L'expulsion a été prononcée par la chambre des expropriations de la cour d'appel de Bordeaux dans un arrêt du 30 novembre 2011 (9).

La juridiction d'appel avait fait une application souple des dispositions de l'article R. 14-10 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3235HLE) concernant les modalités de la renonciation de leur droit au relogement par les propriétaires. Elle avait relevé que l'indemnité avait été fixée sans que les parties n'évoquent la question du relogement dans le débat contentieux. La juridiction d'appel avait alors considéré que les propriétaires avaient implicitement renoncé à leur droit au relogement. La demande de relogement présentée postérieurement au jugement de fixation des indemnités était donc considérée comme tardive.

Cependant, la cour relève qu'avant que n'ait été rendu ce jugement, la communauté urbaine de Bordeaux avait fait deux propositions de logement aux requérants, portant sur des locaux satisfaisant aux normes visées par l'article L. 314-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7429AC7). Rappelons ici que ces dispositions se réfèrent aux normes d'habitabilité définies par application du troisième alinéa de l'article L. 322-1 du Code de la construction et de l'habitation aujourd'hui abrogé, ainsi qu'aux conditions prévues à l'article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948, portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement (N° Lexbase : L4772AGT).

La Cour de cassation, après avoir relevé qu'il n'est pas contesté que les requérants bénéficiaient d'un droit au relogement, considère que les expropriés n'ont pas renoncé de façon "claire et non équivoque à leur droit". En d'autres termes, le fait que la question du relogement n'ait pas été abordée durant les débats devant le juge de l'expropriation chargé de fixer l'indemnité ne saurait été assimilé à une renonciation implicite à ce droit. En effet, d'une part, l'exproprié n'avait aucune obligation de faire mention devant le juge de sa demande de relogement, cette demande n'étant pas un préalable à l'exercice de ce droit au regard des textes applicables. D'autre part, et en sens contraire, c'est à l'expropriant qu'il appartenait d'aviser le même juge qu'il avait proposé des solutions de relogement en faveur des expropriés. En conséquence, la Cour casse l'arrêt contesté et renvoie les parties devant la chambre des expropriations de la cour d'appel de Bordeaux.


(1) CE, S., 1er décembre 1993, n° 136705, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1608ANU), AJDA, 1994, p. 152, concl. J. Arrighi de Casanova ; CAA Marseille, 1ère ch., 23 avril 2010, n° 08MA01384, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8837EW9).
(2) CAA Nantes, 2ème ch., 12 novembre 1997, n°165073, n° 94NT00912, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2458BHI), Rec. CE, 1997, p. 1122, AFDUH, 1999, p. 317, chron. J.-F. Struillou ; CAA Douai, 1ère ch., 22 avril 2010, n° 09DA00266, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1421EXW).
(3) CAA Nantes, 2ème ch., 12 novembre 1997, n°165073, n° 94NT00912, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc..
(4) CA Versailles, 4ème ch., 22 novembre 2011, n° 11/02194 (N° Lexbase : A8626IB4).
(5) CE, S., 6 décembre 1967, n° 63518, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4602B7L), Rec. CE, p. 471.
(6) CE 1° et 4° s-s-r., 6 avril 1979, n° 08753, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4204B7T), Rec. CE, p. 760.
(7) Voir également Cass. civ. 3, 27 février 2013, n° 12-11.996, FS-D (N° Lexbase : A8882I8H).
(8) Cass. civ. 3, 4 novembre 2009, n° 08-17.381 (N° Lexbase : A8108EMA), Bull. civ. III, 2009, n° 243.
(9) CA Bordeaux, 30 novembre 2011, n° 11/01795 (N° Lexbase : A2319H3B).

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Procédure civile

[Chronique] Chronique de procédure civile - Juillet 2013

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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France

Le 18 Juillet 2013

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique trimestrielle d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II, membre de l'Institut universitaire de France. Dans la première partie de sa chronique, l'auteur revient en détail sur un arrêt rendu le 9 avril 2013 par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui constitue un arrêt de principe sur un droit processuel fondamental, à savoir le droit d'accès à un tribunal (Cass. civ. 1, 9 avril 2013, n° 11-27.071, FP-P+B+R+I). La seconde partie constitue un sommaire des décisions importantes, rendues au cours du mois de juin 2013 : sur l'indépendance de l'expert judiciaire (Cass. civ. 2, 27 juin 2013, 2 arrêts, n° 12-60.608, et n° 13-60.025) ; sur le calcul du taux de ressort en appel en cas de condamnation à une obligation de faire (Cass. civ. 2, 6 juin 2013, n° 12-20.062, F-P+B) ; et sur la procédure d'appel (Cass. Avis, 3 juin 2013, n° 15011 P ; Cass. civ. 2, 27 juin 2013, n° 12-20.529, FS-P+B) I - Le droit d'accès à un tribunal et le délai pour exercer l'action en justice : un arrêt de principe sur un droit processuel fondamental (Cass. civ. 1, 9 avril 2013, n° 11-27.071, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8063KBA)

"Le droit à un tribunal, dont le droit d'accès concret et effectif constitue un aspect, n'est pas absolu, les conditions de recevabilité d'un recours ne peuvent toutefois en restreindre l'exercice au point qu'il se trouve atteint dans sa substance même".

Le droit d'accès à un tribunal est consacré par de nombreux textes qui protègent les droits fondamentaux. Pourtant, rares sont les arrêts de la Cour de cassation qui visent précisément ce principe et lui font jouer un rôle de contrôle de conformité de la loi au regard de la CESDH.

Dans l'arrêt étudié, la Cour de cassation était saisie d'une question relative au droit de l'action sociale et des familles et plus particulièrement au délai accordé aux grands-parents pour contester une décision de placement de leur petit-fils. En l'espèce, un enfant, né sans filiation paternelle établie, avait fait l'objet d'un placement à sa naissance. Quelques mois après, sa mère était décédée et un procès-verbal de recueil de l'enfant par l'aide sociale à l'enfance en vue de son admission en qualité de pupille de l'Etat a été établi à la suite de ce décès. Le président du conseil général avait alors admis l'enfant comme pupille de l'Etat par arrêté rendu le même jour. L'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5365DKW) prévoit que cet arrêté peut faire l'objet d'un recours dans les trente jours à compter de sa date, par les parents de l'enfant, ses alliées et toute personne justifiant d'un lien avec lui. C'est ce que fit la grand-mère de l'enfant, mais cette dernière forma son recours après l'expiration du délai.

La cour d'appel déclara le recours irrecevable et la procédure a alors pris un tour complexe. A la suite d'un pourvoi, la Cour de cassation a rendu un premier arrêt le 6 juin 2012 mettant en oeuvre une procédure QPC (1). La Haute juridiction a alors saisi le Conseil constitutionnel de la question de savoir si la procédure de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles était conforme à la Constitution. Le juge constitutionnel se prononça par une décision du 27 juillet 2012 (2), dans laquelle il déclarait cette disposition contraire à la Constitution et il reportait son abrogation au 1er janvier 2014 pour laisser au législateur le temps de remédier à la déclaration d'inconstitutionnalité. La décision d'inconstitutionnalité reposait sur une violation de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D) et plus particulièrement sur une atteinte au droit au recours.

C'est dans un tel contexte que l'affaire fut renvoyée une nouvelle fois devant la première chambre civile de la Cour de cassation (3). Celle-ci se trouvait dans une situation inconfortable, puisqu'elle devait trancher une affaire au regard d'une disposition contraire à la Constitution, alors que cette disposition n'avait pas encore été abrogée. Elle a résolu cette difficulté en ayant recours à la CESDH. Au visa de l'article 6, elle a rappelé le principe général selon lequel, "si le droit à un tribunal, dont le droit d'accès concret et effectif constitue un aspect, n'est pas absolu, les conditions de recevabilité d'un recours ne peuvent toutefois en restreindre l'exercice au point qu'il se trouve atteint dans sa substance même". De ce principe général, elle a déduit que ce droit d'accès à la justice fait l'objet d'une atteinte caractérisée lorsque "le délai de contestation d'une décision, tel que celui prévu par l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles, court du jour où la décision est prise non contradictoirement et que n'est pas assurée l'information des personnes admises à la contester".

En conséquence, elle a cassé l'arrêt d'appel qui avait déclaré le recours irrecevable, car la grand-mère de l'enfant placé n'avait pas été informée, en temps utile, de l'arrêté du président du conseil général et de la faculté de contester cet acte.

Cette décision est très riche en enseignements. Elle montre, si cela était nécessaire, que les droits processuels fondamentaux trouvent à s'appliquer dans les contentieux les plus techniques, mais également que la combinaison des principes constitutionnels et de ceux de la CESDH, permet à la Cour de cassation de mettre en oeuvre ces droits fondamentaux de façon concrète et rapide.

- Le droit au juge, fondement de la décision

Le droit au juge est un principe consacré par la CEDH depuis un célèbre arrêt "Golder c/ RU" du 21 février 1975 (4). Dans cet arrêt, elle a déduit de l'article 6 CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), l'existence d'un droit d'accès au juge alors même que ce droit n'était pas expressément prévu par la Convention. En droit interne, le Conseil constitutionnel a consacré progressivement le droit au juge, d'abord dans une décision de 1993 (5). Il a rattaché le droit à un recours à l'article 16 de la DDHC, qui prévoit de façon générale un principe de "garantie des droits". En d'autres termes, le droit au juge constitue une garantie de mise en oeuvre des droits substantiels. Plus précisément, dans une importante décision de 1996 (6), le Conseil a considéré qu'"il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction". Cette formule est essentielle, car elle définit l'étendue du droit au juge et ouvre des possibilités de dérogations.

Comme tous les grands principes du droit processuel, le droit au juge a donné lieu à de très nombreuses applications techniques, tant dans la jurisprudence européenne que dans les décisions du Conseil constitutionnel. Le contenu du principe apparaît à la fois riche et complexe.

Par exemple, c'est sur le fondement du droit au juge que la CEDH examine la validité de la renonciation au droit d'agir en justice (7), ou encore qu'elle condamne un Etat qui refuse d'octroyer à un mouvement religieux la personnalité juridique lui permettant d'exercer l'action en justice (8). Le droit d'agir en justice comprend également le droit à une assistance juridique, à une aide financière (sous condition de ressource), le droit d'obtenir une décision de justice ou encore le droit à l'exécution de cette décision. Mais la CEDH admet des limites au droit d'agir en justice. C'est le cas de la prescription par exemple, qui ferme l'accès au juge pour assurer la sécurité juridique (9), ou encore des privilèges et immunités de juridictions, qui assurent la stabilité des relations internationales et le bon fonctionnement des organisations internationales (10).

Le Conseil constitutionnel a également mis en oeuvre le principe à plusieurs reprises. Par exemple, il a jugé que le droit d'exercer un recours juridictionnel effectif doit être assuré dès qu'une personne fait l'objet d'une sanction qui a le caractère d'une punition. Cette solution a été appliquée principalement en matière pénale (11), mais également s'agissant de sanctions qui peuvent avoir un caractère civil plus prononcé (coupure de l'accès internet) (12). Autre exemple, le Conseil constitutionnel admet que des autorités non juridictionnelles puissent délivrer des actes ayant un effet exécutoire, mais à la condition que le débiteur dispose d'un recours effectif tant sur le bien-fondé desdits titres que sur l'obligation de payer ou sur le déroulement de la procédure d'exécution forcée (13). Comme dans la jurisprudence européenne, le droit au recours ne revêt pas de caractère absolu. Par exemple, le législateur peut refuser d'accorder aux mineurs la suspension d'une prescription, dès lors que durant la minorité, les droits de l'enfant pouvaient être exercés en justice par l'intermédiaire du représentant légal (14).

- Le droit au juge et l'atteinte substantielle dans la décision QPC du Conseil constitutionnel

Le droit au juge doit se comprendre dans sa dimension de droit fondamental, c'est-à-dire comme un principe dont l'application est fonction du critère de proportionnalité. C'est pour cette raison que les juridictions supérieures utilisent le concept de l'atteinte substantielle. La CEDH juge de façon constante depuis l'arrêt "Philis c/ Grèce" (15) que le droit d'accès à la justice ne constitue pas un droit absolu, mais qu'il "peut donner lieu à des limitations, lesquelles ne sauraient cependant restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même". La solution est la même dans la jurisprudence constitutionnelle (16) et dans l'affaire étudiée, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision QPC en rappelant qu'il résultait de l'article 16 DDHC qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction" (cons. 4).

La notion d'atteinte substantielle au droit d'accès en justice est vague et les juridictions supérieures l'appliquent au cas par cas. S'agissant de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles, le Conseil constitutionnel a jugé que l'arrêté du président du conseil général ne pouvait être notifié à l'ensemble des personnes disposant d'un droit d'agir, car la disposition en cause avait conféré la qualité pour agir à une liste de personnes non limitative (les parents, alliés et personnes justifiant d'un lien avec l'enfant). Dès lors, les formalités d'information étaient réduites. Sans donner d'indication précise le Conseil constitutionnel a reproché au législateur de ne n'avoir pas défini "les cas et conditions dans lesquels celles des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l'enfant sont effectivement mises à même d'exercer ce recours". C'est cette carence qui a constitué l'atteinte substantielle au droit fondamental. Toutefois, le Conseil constitutionnel dispose d'outils limités pour mettre fin à l'inconstitutionnalité. S'il avait abrogé l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles, il aurait fait disparaître dans le même temps le recours contre l'arrêté. L'atteinte au droit au juge aurait été plus grave. Pour cette raison, l'abrogation a été reportée au 1er janvier 2014. En revanche, cette solution ne permettait pas à la Cour de cassation de faire cesser l'atteinte au droit au juge dans l'affaire qui lui était soumise.

- La cessation de l'atteinte substantielle par la Cour de cassation

Comme elle en a désormais l'habitude, la Cour de cassation a utilisé la CESDH pour relayer la décision d'inconstitutionnalité. En se fondant sur l'article 6 de la Convention, elle a affirmé que "si le droit à un tribunal, dont le droit d'accès concret et effectif constitue un aspect, n'est pas absolu, les conditions de recevabilité d'un recours ne peuvent toutefois en restreindre l'exercice au point qu'il se trouve atteint dans sa substance même". La Cour de cassation s'inscrit ainsi dans le courant jurisprudentiel initié par la CEDH et le Conseil constitutionnel. Cette formule donne une portée particulière à l'arrêt, car la Cour de cassation ne l'a utilisé que très rarement dans le passé (17). On sent ici, non seulement le signe d'un arrêt de principe, mais également la volonté d'inscrire la décision dans un contrôle de conformité de la loi française vis-à-vis de la CESDH.

La Cour de cassation relève ensuite plusieurs éléments qui permettent de caractériser l'atteinte substantielle au droit d'accès concret et effectif à un tribunal : l'arrêté n'a pas été rendu de façon contradictoire ; les personnes admises à le contester n'en ont pas été informées et enfin, le délai pour contester cette décision court à compter de sa date (et non pas à compter de sa publication (18)).

Ce qui fait la force de la Cour de cassation dans cet arrêt, c'est qu'en utilisant l'outil de la cassation, elle déclare implicitement recevable l'action en justice de la grand-mère ; et cette recevabilité n'est apparemment soumise à aucune condition de délai. En effet, le délai de l'article L. 224-8 est neutralisé par la Cour de cassation, car il porte une atteinte substantielle au droit d'accès au juge. La Cour corrige ainsi l'atteinte au droit au juge, sans toucher à l'ensemble de l'article critiqué, mais simplement en excluant de la disposition, la règle relative au délai d'exercice du recours. Mais la Cour de cassation ne pose aucun autre délai, ni aucune modalité d'information des personnes liées à l'enfant. Elle n'apporte ainsi qu'une correction imparfaite au problème soulevé par l'espèce. Et surtout, elle n'améliore pas l'information des personnes liées à l'enfant. Sans une réforme de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles, la Cour de cassation devra juger au cas par cas, le temps pris par un demandeur pour exercer le recours, au regard des conditions dans lesquelles ce demandeur aura été informé de l'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat (19).

En définitive, l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 avril 2013 est exemplaire à plusieurs titres. D'abord, il contribue au renforcement des droits fondamentaux de la procédure dans la jurisprudence de la Cour de cassation, ensuite, il montre que les limitations à l'accès à la justice font l'objet d'un examen de plus en plus attentif par la Cour de cassation, enfin, il se situe dans ce nouveau courant d'interprétation qui conduit la Cour de cassation à statuer in concreto lorsqu'elle est saisie d'une question qui met en jeu des droits fondamentaux, et à faire jouer la balance des intérêts en présence (20). En revanche, l'arrêt montre une nouvelle fois les limites du contrôle de conformité de la loi à la CESDH. La Cour de cassation peut neutraliser une disposition de la loi française, mais elle n'est pas en mesure de la réécrire lorsque cela s'avère nécessaire.

II - Sommaire des arrêts importants

La jurisprudence parue depuis la dernière chronique de procédure civile est particulièrement abondante. Il est ainsi proposé une analyse rapide des arrêts les plus importants.

  • Indépendance de l'expert judiciaire - relation d'affaire avec un assureur - critères du défaut d'indépendance

- Cass. civ. 2, 27 juin 2013, n° 13-60.025, F-P+B (N° Lexbase : A3891KIX)

Pour être inscrits sur la liste des experts d'une cour d'appel, les techniciens doivent offrir des garanties d'indépendance vis-à-vis des futurs plaideurs. Dans cette affaire, un expert inscrit sur la liste (dans la catégorie architecture/ingénierie) avait formé un pourvoi contre la décision de l'assemblée générale des magistrats du siège de ne pas le réinscrire.

La Cour de cassation confirme la décision de l'assemblée générale en relevant que l'expert réalisait 80 % de son activité pour un assureur privé et 20 % pour la juridiction. Il avait ainsi créé "une relation d'affaire susceptible d'interférer avec son activité d'expert judiciaire" et la Haute juridiction a pu en déduire que cette relation "était incompatible avec l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de missions judiciaires d'expertise au sens des dispositions de l'article 2.6° du décret du 23 décembre 2004".

- Cass. civ. 2, 27 juin 2013, n° 12-60.608, F-P+B (N° Lexbase : A3889KIU)

Dans cette affaire jugée le même jour, un médecin avait sollicité son inscription sur la liste des experts de la cour d'appel ; inscription qui lui avait été refusée au motif qu'il exerçait son activité, "en tout ou en partie, pour le compte de sociétés d'assurances".

Cette fois, la Cour de cassation annule la décision de l'assemblée générale des magistrats du siège au motif que le fait qu'un candidat "ait réalisé des missions d'expertise pour des sociétés d'assurances ne constitue pas, en soi, l'exercice d'une activité incompatible avec l'indépendance nécessaire à l'exercice de missions judiciaires d'expertise".

La distinction avec l'espèce précédente est nette. D'une part, le médecin exerçait son activité pour plusieurs compagnies d'assurances, d'autre part, la part d'activité exercée pour ces compagnies vis-à-vis de son activité globale n'était pas connue. Il n'était donc pas possible d'établir une "relation d'affaire" de nature à nuire à l'indépendance de l'expert.

  • Appel - calcul du taux de ressort en cas de condamnation à une obligation de faire (Cass. civ. 2, 6 juin 2013, n° 12-20.062, F-P+B N° Lexbase : A3274KGD)

L'arrêt rendu le 6 juin 2013 est intéressant car il tranche une difficulté d'application dans le calcul du taux de ressort. En l'espèce, deux cadres dirigeants avaient convenu de se répartir à parts égales les actions d'une société dont ils avaient repris la direction. L'un des dirigeants ayant acquis seul 125 000 actions de cette société, l'autre agit en justice pour obtenir la cession de la moitié de ces actions. Le demandeur avait évalué la valeur de ces actions à 1 euro. Les juges du fond avaient rejeté sa demande dans un jugement qualifié "en dernier ressort".

L'associé débouté interjeta tout de même appel de cette décision, mais son recours fut jugé irrecevable, car, selon les juges d'appel, le taux de ressort de 4 000 euros n'avait pas été atteint.

La Cour de cassation casse cette décision et dans un attendu très clair, elle affirme que "toute demande tendant à la condamnation du défendeur à l'exécution d'une obligation de faire constitue en elle-même une demande indéterminée". Elle en déduit que le taux de ressort ne pouvait pas être appliqué à cette demande, qui par nature était indéterminée et se voyait appliquer l'article 40 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1192H4W) (21).

  • Procédure d'appel - Les délais du décret "Magendie" ne s'appliquent pas à la procédure dite "courte" ou "à bref délai" (Cass. Avis, 3 juin 2013, n° 15011 P N° Lexbase : A2155KHB)

Un nouvel avis de la Cour de cassation était sollicité pour savoir si le circuit court de l'article 905 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0374IGX) -qui prévoit que le président de la chambre fixe l'audience "à bref délai" dans plusieurs hypothèses- était soumis aux dispositions relatives aux délais pour conclure (3 mois pour l'appelant, 2 mois pour l'intimé).

La Cour de cassation répond clairement que :

"Les dispositions des articles 908 (N° Lexbase : L0162IPP) à 911 du Code de procédure civile ne sont pas applicables aux procédures fixées selon les dispositions de l'article 905 du même code".

En d'autres termes, les délais fixés par la nouvelle procédure d'appel ne s'appliquent par lorsque le président de la chambre fixe l'audience à bref délai.

Cet avis confirme une solution rendue le 13 mai 2013 (Cass. civ. 2, 16 mai 2013, n° 12-19.119 N° Lexbase : A5179KD8) dans laquelle la Cour de cassation avait exclu l'application des délais du décret "Magendie" à une procédure d'appel contre une ordonnance de référé (il s'agit d'un des trois cas visés par l'article 905).

  • Procédure d'appel - Le délai pour signifier les conclusions d'appel aux parties qui n'ont pas constitué avocat (Cass. civ. 2, 27 juin 2013, n° 12-20.529, FS-P+B N° Lexbase : A2974KIY)

La combinaison des délais du décret "Magendie" n'est pas toujours aisée. Pour rappel, l'appelant dispose d'un délai de 3 mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure (C. pr. civ., art. 908) et d'un mois supplémentaire pour signifier les conclusions aux parties qui n'ont pas constitué avocat (C. pr. civ., art. 911 N° Lexbase : L0351IT8).

Dans cette affaire, l'appelant avait conclu dans les délais, mais il avait signifié ses conclusions plus d'un mois après avoir déposé ses conclusions au greffe de la cour d'appel. La question se posait alors de savoir si le délai pour signifier les conclusions (C. pr. civ., art. 911) courait à compter du dépôt des conclusions ou à compter de l'expiration du délai de 3 mois pour conclure (C. pr. civ., art. 908).

La Cour de cassation fait une stricte application de l'article 911 du Code de procédure civile (qui d'ailleurs était explicite à ce sujet). Elle affirme ainsi que :

"l'appelant dispose d'un délai d'un mois, courant à compter de l'expiration du délai de trois mois prévu pour la remise de ses conclusions au greffe, pour les signifier aux parties qui n'ont pas constitué avocat".

Le délai de signification aux parties qui n'ont pas constitué avocat est donc invariablement de 4 mois à compter de la déclaration d'appel.


(1) Cass. QPC, 6 juin 2012, n° 11-27.071, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4080ING).
(2) Cons. const., décision n° 2012-268 QPC du 27 juillet 2012 (N° Lexbase : A0584IR3).
(3) Pour un commentaire de cette décision, orienté autour des questions de droit de la famille, Y. Favier, Pupilles de l'Etat : une réforme désormais urgente, JCP éd. G, 2013, 700.
(4) CEDH, 21 février 1975, Req. 4451/70 (N° Lexbase : A1951D7E), série A, n° 18, AFDI, 1975, 330, note R. Pelloux.
(5) Cons. const., 13 août 1993, décision n° 93-325 DC (N° Lexbase : A8285ACT), RFDA, 1993, p. 871.
(6) Cons. const., 9 avril 1996, décision n° 96-373 DC (N° Lexbase : A8338ACS).
(7) Par exemple, CEDH, 16 décembre 1992, Req. 87/1991/339/412, Geouffre de la Pradelle c/ France, n° 253-B (N° Lexbase : A6547AWE).
(8) CEDH, 16 décembre 1997, Req. 143/1996/762/963 (N° Lexbase : A7745AWR).
(9) CEDH, 22 octobre 1996, Req. 36-37/1995/542 (N° Lexbase : A8348AW4), Justices 1997-5, p. 199.
(10) CEDH 18 février 1999, Req. 26083/94 (N° Lexbase : A7659AWL), RTDH, 2000, p. 77.
(11) Cons. const., décision n° 2010-38 QPC du 29 septembre 2010 (N° Lexbase : A4883GA4) (à propos de l'amende forfaitaire).
(12) Cons. const., décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, loi "DAVDSI" (N° Lexbase : A5780DQ7).
(13) Cons. const., décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, loi portant création d'une couverture maladie universelle (N° Lexbase : A8782ACA).
(14) Cons. const., décision n° 2012-256 QPC du 18 juin 2012 (N° Lexbase : A8705INQ), à propos de la prescription des créances contre les personnes publiques.
(15) CEDH, 27 août 1991, Req. 12750/87 (N° Lexbase : A6541IBU).
(16) Cf. Cons. const., 9 avril 1996, décision n° 96-373 DC (N° Lexbase : A8338ACS).
(17) On relève seulement quatre arrêts dans lesquels la Cour de cassation utilise la formule et aucun de la première chambre civile : Cass. civ. 2, 9 avril 2009, n° 07-20.193 F-D (N° Lexbase : A0993EGU) ; Cass. civ. 2, 7 avril 2001, n° 10-18.784, F-D (N° Lexbase : A3621HNG) ; Cass. civ. 2, 10 janvier 2013, n° 11-13.248 (N° Lexbase : A0778I39) et Cass. soc., 16 décembre 2009, n° 08-44.886, F-D (N° Lexbase : A7221EP7).
(18) Publication qui n'est d'ailleurs pas prévue par les textes.
(19) Cf. en ce sens E. Dreyer, Recevabilité d'un moyen "CEDH" développé pour la première fois devant la Cour de cassation, JCP éd. G, 2013, 699.
(20) Le critère de l'atteinte substantielle rejoint ici celui de la proportionnalité.
(21) L'appel est par principe recevable à l'égard des demandes indéterminées.

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Absence de délai entre entretien et signature de la rupture conventionnelle : que reste-t-il du droit des parties à se faire assister ?

Réf. : Cass. soc., 3 juillet 2013, n° 12-19.268, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5419KIK)

Lecture: 7 min

N8072BT7

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 18 Juillet 2013

A un rythme régulier à défaut d'être intense, les précisions au régime de la rupture conventionnelle du contrat de travail continuent d'être apportées par la Chambre sociale de la Cour de cassation comme l'illustre un arrêt rendu le 3 juillet 2013. Dans cette affaire, la Chambre sociale rappelle quelques règles qu'elle avait déjà eu l'occasion d'affirmer. Ainsi, l'appréciation d'une éventuelle altération du consentement des parties lors de la conclusion de la convention relève du pouvoir souverain des juges du fond. De la même manière, la Haute juridiction retient, à nouveau, que l'existence d'un différend entre les parties au moment de la conclusion de la convention ne suffit pas, à elle seule, à affecter la validité de la rupture. La décision présente cependant un intérêt supplémentaire en ce qu'elle permet d'affiner le régime de la négociation de la convention de rupture qui n'exige pas qu'un délai sépare l'entretien de négociation de la signature de la convention de rupture (I). Fort logique au regard des textes du Code du travail, cette solution a tout de même pour conséquence de sérieusement amoindrir l'efficience de la faculté légale d'assistance des parties au cours de l'entretien mais, aussi, de voir s'éloigner l'éventualité de l'introduction d'une obligation d'information sur le droit d'être assisté au cours du ou des entretiens (II).
Résumé

L'article L. 1237-12 du Code du travail (N° Lexbase : L8193IAP) n'instaure pas de délai entre, d'une part, l'entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat et, d'autre part, la signature de la convention de rupture conventionnelle.

L'existence d'un différend entre les parties au contrat de travail n'affecte pas par elle-même la validité de la rupture conventionnelle.

Commentaire

I - L'affirmation de l'absence de délai obligatoire entre l'entretien et la conclusion de la rupture

  • Procédure de conclusion d'une rupture conventionnelle

La conclusion d'une rupture conventionnelle entre un employeur et un salarié est enserrée dans une procédure parfois lacunaire.

La négociation de la convention ne fait l'objet que de rapides développements. Aux termes de l'article L. 1237-12 du Code du travail, le principe de la rupture convenue doit être négocié au cours d'un ou de plusieurs entretiens réunissant les parties qui, à cette occasion, peuvent être assistées (1). La convention de rupture doit prévoir le montant de l'indemnité spéciale servie au salarié et la date de rupture du contrat de travail. La phase de négociation est en réalité fort peu encadrée si bien que les juges du fond acceptent, par exemple, que la convocation à l'entretien soit verbale (2).

La suite de la procédure est, en revanche, bien mieux détaillée : le salarié et l'employeur disposent d'un délai de rétractation de quinze jours après avoir conclu la convention. Une fois ce délai écoulé, l'une des parties peut adresser la convention à la DIRECCTE aux fins d'homologation. L'administration devra délivrer sa réponse dans un délai de quinze jours, le silence gardé valant homologation.

Deux types de délais semblent donc revêtir une importance particulière dans la procédure : le délai de rétractation, qui s'apparente à un droit de repentir du droit de la consommation d'une part, le délai d'homologation, d'autre part. Le cumul de ces deux durées permet qu'un délai d'un mois, au maximum, sépare la date de conclusion de la convention et la rupture effective du contrat de travail. Aucun délai n'est en revanche prévu pour séparer l'entretien de négociation de la conclusion de la convention de rupture.

  • Espèce

Un employeur et une salariée organisent un unique entretien le 1er mars 2010 et concluent, le jour même, une convention de rupture qui sera homologuée par l'administration du travail. La salariée saisit la juridiction prud'homale afin d'obtenir la requalification de la rupture en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. A cette fin, elle fait valoir plusieurs arguments.

Elle avance, tout d'abord, qu'un délai raisonnable est requis entre l'entretien et la signature de la convention de rupture, délai permettant de prendre les dispositions nécessaires afin de se faire assister. Elle prétend, ensuite, que la rupture a été conclue dans un contexte de pression et de manoeuvres exercées par son employeur afin de la voir accepter la rupture. Elle soutient, enfin, que la rupture a été conclue alors que les parties connaissaient un différend et que, partant, sa validité doit être remise en cause.

La cour d'appel de Poitiers, saisie de l'affaire, déboute la salariée de l'ensemble de ses demandes (3). La salariée forme un pourvoi en cassation. Par un arrêt rendu le 3 juillet 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la salariée et répond clairement et précisément à chacun des arguments présentés (4).

S'agissant du déni de l'existence de pressions ou de manoeuvres ayant forcé le consentement de la salariée, la Chambre sociale refuse de contrôler la situation factuelle et maintient sa position consistant à abandonner la question au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (5).

S'agissant de l'existence d'un litige entre les parties au moment de la conclusion de la rupture, la Chambre sociale réitère, là encore, une position qu'elle a déjà plusieurs fois adoptée : "l'existence d'un différend entre les parties au contrat de travail n'affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture" (6). Les termes "par elle-même" laissent clairement penser que l'existence d'un différend peut constituer un indice afin de démontrer que le consentement de l'une des parties a été vicié, mais qu'il ne suffit pas, seul, à démontrer l'insuffisance du consentement.

S'agissant, enfin, des délais de négociation et de conclusion de la convention, la Chambre sociale juge que "l'article L. 1237-12 du Code du travail n'instaure pas de délai entre, d'une part, l'entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat et, d'autre part, la signature de la convention de rupture prévue à l'article L. 1237-11 du Code du travail (N° Lexbase : L8512IAI)". C'est cette question, en particulier, qui retiendra notre attention.

II - Les effets de l'absence de délai obligatoire entre l'entretien et la conclusion de la rupture

  • Une interprétation conforme aux textes

L'interprétation des textes opérée par la Chambre sociale s'agissant de l'absence de délai entre l'entretien et la signature de la convention de rupture est parfaitement rigoureuse. En effet, l'article L. 1237-12 du Code du travail prévoit que la rupture est négociée au cours d'un ou plusieurs entretiens et que c'est au cours de ce ou ces entretiens qu'est conclue la convention. Pris à la lettre, le texte implique donc qu'il est possible de n'organiser qu'un unique entretien au cours duquel la rupture est conclue (7).

Si la pierre ne peut donc être jetée au juge, la solution rendue met en exergue une des insuffisances les plus criantes du régime juridique de la rupture conventionnelle du contrat de travail en ce qu'il prive de fait les parties d'un droit qu'il leur est pourtant conféré.

  • L'effectivité très relative du droit à assistance

En principe, les parties peuvent être assistées au cours de l'entretien. Le salarié peut être assisté par un membre du personnel ou, en l'absence d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, par un conseiller du salarié. Lorsque le salarié est assisté, l'employeur peut lui aussi être assisté par un membre du personnel ou, si l'entreprise compte moins de cinquante salariés, par un membre de l'organisation patronale à laquelle il est adhérent ou, encore, par un autre employeur relevant de la même branche d'activité.

Ce droit à être assisté reste cependant lettre morte si les parties organisent un entretien et qu'au cours de celui-ci est conclue une rupture conventionnelle. En effet, contrairement à ce qui existe en matière de licenciement, l'employeur n'a aucune obligation de convoquer formellement le salarié à un entretien de négociation d'une rupture conventionnelle (8). De la même manière, le droit du licenciement impose à l'employeur d'informer le salarié du droit de se faire assister lors de l'entretien préalable, disposition qui n'a pas été reprise par le Code du travail s'agissant du ou des entretiens de rupture conventionnelle (9).

Il pourrait certes être objecté que le salarié, censé connaître ses droits, peut refuser de conclure la rupture conventionnelle au cours du premier entretien pour organiser son assistance lors d'un second. Il n'en reste pas moins que l'on peut se demander pourquoi un droit offert par le Code du travail en matière de licenciement donne lieu à information alors que le même droit prévu s'agissant de la rupture conventionnelle est dépourvu d'une telle publicité. L'adage "nul n'est censé ignorer la loi" ne peut donc être avancé sauf à considérer qu'il est à géométrie variable.

A cela s'ajoute, encore que l'on peut se demander si le consentement donné par le salarié à la rupture conventionnelle est pleinement valable alors même qu'il n'a pas été informé de la teneur de l'entretien et qu'il n'a pas eu, de fait, la possibilité effective d'être assisté.

  • Le rejet implicite de l'obligation précontractuelle d'information

Si les textes sont donc clairement insuffisants ou, du moins, qu'ils sont inopérants puisqu'ils ne permettent pas que le droit à assistance qu'ils prescrivent soit effectif, on pouvait espérer que la Chambre sociale introduise une obligation d'information dans le processus de négociation puisqu'une telle obligation a souvent été ajoutée à de nombreux contrats avant la rupture conventionnelle (10). Si la décision commentée ne prend pas expressément partie sur cette question, faute d'ailleurs qu'elle lui soit posée, elle permet tout de même de douter que la Chambre sociale s'engage sur ce terrain alors pourtant qu'il s'agirait là d'une interprétation rendant la loi plus effective, permettant la réalité de l'assistance au cours de l'entretien.

Bien sûr, on pourrait craindre que le "forçage" de la négociation par l'introduction d'une obligation d'information préalable ait des effets trop importants puisque, l'obligation n'étant pas prévue par la loi, les parties ne l'auraient presque jamais anticipée. Il est cependant possible de modérer les effets d'une telle introduction, d'abord en refusant que le manquement à l'obligation d'information puisse avoir à lui seul pour effet d'affecter la validité de la rupture. Le manquement à l'obligation serait sanctionnée comme un manquement à la loyauté précontractuelle sauf à démontrer l'existence d'une altération concomitante du consentement. Pour limiter les effets d'une telle position, il serait encore envisageable de moduler dans le temps les effets de l'introduction de cette obligation nouvelle même s'il est vrai que la Chambre sociale hésite souvent à utiliser un tel procédé (11).


(1) Rappelons cette particularité du texte qui prévoit que l'employeur ne peut se faire assister qu'à la condition que le salarié soit lui-même assisté.
(2) CA Riom, 16 octobre 2012, n° 11/01589 (N° Lexbase : A5247IUU). Autre exemple de cette absence de formalisme, l'entretien de rupture conventionnelle peut valablement avoir lieu dans un bar, v. CA Bourges, 9 novembre 2012, n° 11/01636 (N° Lexbase : A6499IWM).
(3) CA Poitiers, 14 mars 2012, n° 11/04281 (N° Lexbase : A6315IEM).
(4) Le pourvoi incident formé par l'employeur s'agissant de l'existence d'un préjudice justifiant l'allocation d'une somme de cinq cents euros est lui aussi rejeté pour des raisons procédurales, l'argument n'ayant pas au préalable été présenté en cause d'appel.
(5) Elle jugeait déjà, le 29 janvier 2013, que "la cour d'appel a souverainement estimé que la salariée était au moment de la signature de l'acte de rupture conventionnelle dans une situation de violence morale", Cass. soc., 29 janvier 2013, n° 11-22.332, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6245I43) et nos obs., Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, Lexbase Hebdo n° 516 du 14 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5793BTQ) ; RDT, 2013, p. 258, obs. F. Taquet ; JCP éd. S, 2013, 1112 , obs. C. Leborgne-Ingelaere.
(6) V. déjà Cass. soc., 23 mai 2013, n° 12-13.865, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9246KDS) et nos obs., La rupture conventionnelle conclue avec l'avocat collaborateur salarié, Lexbase Hebdo n° 529 du 30 mai 2013 - édition professions (N° Lexbase : N7295BTD) ; JCP éd. G, 2013, 834, obs. D. Corrignan-Carsin. Adde. Cass. soc., 26 juin 2013, n° 12-15.208, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2990KIL).
(7) La solution avait déjà été adoptée par quelques juridictions du fond, v., par ex., CA Angers, 21 mai 2013, n° 11/00690 (N° Lexbase : A7035KDW).
(8) C. trav., art. L. 1232-2 (N° Lexbase : L1075H9P).
(9) C. trav., art. L. 1232-4 (N° Lexbase : L1079H9T).
(10) V. déjà, nos obs., Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, préc..
(11) V. par ex. Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 08-45.242, F-P+B ([LXB=A2407GNH ]) et les obs. de Ch. Radé, La Chambre sociale de la Cour de cassation et l'application dans le temps de sa propre jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 423 du 13 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0481BRA).

Décision

Cass. soc., 3 juillet 2013, n° 12-19.268, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5419KIK)

Rejet, CA Poitiers, 14 mars 2012, n° 11/04281N° (N° Lexbase : A6315IEM)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et art. L. 1237-12 (N° Lexbase : L8193IAP)

Mots-clés : rupture conventionnelle, entretien, signature de la convention, délai (non)

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] "Association Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau" : subventions imposables à la TVA, oui mais...

Réf. : CAA Marseille, 4ème ch., 4 juin 2013, n° 10MA01746, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3462KGC)

Lecture: 11 min

N8074BT9

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par Bernard Thévenet, Conservateur des hypothèques honoraire, Avocat au barreau de Lyon

Le 18 Juillet 2013

L'association Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau, qui exerce une activité d'entrepreneur de spectacles, a bénéficié de subventions de la part de l'Etat et du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD). Ces subventions ayant été soumises à la TVA, l'association en a demandé la restitution. Par un jugement du 23 février 2010, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Cette décision a été confirmée par la cour administrative d'appel de Marseille, par un arrêt du 4 juin 2013.

En effet, selon la cour administrative d'appel de Marseille, c'est à juste titre que l'administration fiscale a estimé que les subventions versées par l'Etat et le FASILD constituaient des compléments de prix et étaient versées en contrepartie de l'engagement de l'association de pratiquer des tarifs conformes à sa mission de service public, à savoir inférieurs aux prix du marché. Il existe bien une relation directe entre les subventions ainsi versées et la diminution des prix pratiqués par l'association, puisqu'en effet le soutien financier du ministère avait notamment pour objectif la mise en oeuvre d'une politique tarifaire très modérée vis-à-vis du public défavorisé et plus particulièrement du jeune public. Ces subventions permettent donc la pratique de tarifs inférieurs au coût réel des prestations et constitue donc la contrepartie d'un service rendu. Peu importe l'absence de stricte proportionnalité entre le montant des subventions et les prix pratiqués, dès lors que le rapport entre ces subventions et la diminution du prix de la prestation fournie reste significatif. Cette décision confirme, pratiquement dans les mêmes termes, celle prononcée par la même cour administrative d'appel concernant l'Association Théâtre de Cavaillon (CAA Marseille, 3ème ch., 30 novembre 2012, n° 10MA00993, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6617IZ4), à ceci près que, dans cette affaire, la cour administrative d'appel de Marseille avait indiqué que la qualification de "subvention d'aide au fonctionnement" donnée à ses versements par la direction régionale des affaires culturelles était sans influence sur sa nature, autrement dit la qualification donnée aux aides versées au théâtre de Cavaillon par la DRAC ne pouvait pas leur faire perdre leur véritable destination : une diminution des prix des places des spectacles.

I - Les subventions et la TVA

A - Ce que dit la loi

L'article 266 du CGI (N° Lexbase : L0373IWQ) définit la base d'imposition à la TVA. Elle est notamment constituée "pour les livraisons de biens, les prestations de services et les acquisitions intracommunautaires, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations [...]".

B - Ce que disent la doctrine et la jurisprudence

Selon la doctrine administrative, lorsqu'un organisme est financé par des subventions, il convient de rechercher successivement :

- si les sommes versées constituent en fait la contrepartie d'une opération réalisée au profit de la partie versante ;

- à défaut, si les sommes versées complètent le prix d'une opération imposable.

1 - Subventions constituant la contrepartie d'un service rendu

Lorsque les circonstances de droit ou de fait permettent d'établir l'existence d'un engagement de fournir un bien ou un service déterminé ou de constater la réalisation d'un tel engagement par le bénéficiaire de la subvention, les sommes versées constituent la contrepartie d'une prestation de services entrant dans le champ d'application de la TVA.

Ont été ainsi jugées taxables à la TVA, les subventions reçues par une association qui a assuré, à la demande de l'association Partenariat et développement Elf Aquitaine, la réalisation artistique de deux opéras qui ont donné lieu à des représentations publiques. En effet, ces subventions ont constitué la contrepartie de l'opération promotionnelle commanditée par l'association Elf Aquitaine (CAA Paris, 2ème ch., 14 mai 2004, n° 00PA00942, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1018DEG).

Sont également imposables à la TVA, les subventions versées par la communauté urbaine de Lyon à une association interprofessionnelle créée pour regrouper les professionnels de l'immobilier, des organismes liés à ce secteur, la chambre de commerce et d'industrie de Lyon et des établissements financiers. Les versements de la communauté urbaine de Lyon sont destinés à la création d'un outil très précis et complet d'observation de l'immobilier d'entreprise, lequel lui est d'une grande utilité pour arrêter son action dans le domaine de la réalisation des missions d'aménagement économique qui sont lui sont dévolues de plein droit. Ces versements à l'association ont été, à juste titre, soumis à la TVA, dès lors qu'ils avaient bien pour contrepartie une prestation de services dont la communauté urbaine de Lyon tirait un bénéfice immédiat (CAA Lyon, 5ème ch., 12 mai 2011, n° 10LY01230, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4113HTI).

A l'inverse, il a été jugé que les subventions versées par le centre national de la cinématographie, la commune de Morzine, le conseil général de Haute-Savoie, le conseil régional de Rhône-Alpes et l'office du tourisme d'Avoriaz à une association organisant le festival international d'Avoriaz du film fantastique étaient sans lien direct avec les manifestations organisées par cette association, en dépit du caractère de recettes accessoires qu'elles revêtaient pour la bénéficiaire, et quel que soit l'intérêt commercial qu'auraient les organismes publics versants à la préservation des activités de l'association. Contrairement à ce que soutenait l'administration, ces subventions n'avaient pas le caractère de complément représentatif du prix réel des prestations rendues aux participants du festival, à inclure, à ce titre, dans la base d'imposition de ces prestations, et ne représentaient pas la contrepartie d'une prestation de publicité et d'animation rendue par l'association aux organismes versants (CAA Paris, 2ème ch., 21 novembre 1995, n° 93PA1281, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1127BIL).

2 - Subvention complément de prix

Selon la doctrine, une subvention ne peut être considérée comme constituant un complément de prix, et donc être assujettie à la TVA, que si certaines conditions sont réunies.

a - Subvention versée par un tiers

Une subvention complément de prix doit être versée par un tiers à celui qui réalise la livraison ou la prestation. En conséquence, les virements financiers internes, constatés entre différents budgets de l'Etat, des collectivités locales ou des établissements publics, ne répondent pas à la définition des subventions, dès lors qu'ils ne sont pas versés par une personne différente du bénéficiaire.

b - Subvention identifiable comme la contrepartie d'une opération taxable

La subvention doit être spécifiquement versée à l'organisme subventionné afin qu'il fournisse un bien ou effectue un service déterminé. Elle doit donc être identifiable comme la contrepartie d'une opération taxable et non versée globalement pour couvrir les coûts de l'organisme subventionné (il ne suffit pas que son versement permette indirectement à cet organisme de pratiquer des prix moins élevés). On notera que, dans l'affaire ici commentée, la cour administrative d'appel de Marseille considère que : "l'existence d'un lien direct entre les subventions et les prestations artistiques de l'association, ainsi que la politique tarifaire de celle-ci, doit être regardée comme établie", dès lors notamment que la convention signée entre le ministère de la Culture et de la Communication et le théâtre en cause stipule : "Le ministère s'engage à soutenir financièrement le Théâtre-Scène Nationale de Sète pour la réalisation de son projet culturel et artistique, pour la mise en oeuvre d'une politique tarifaire très modérée vis-à-vis du public défavorisé et plus particulièrement du jeune public [...] La participation du ministère de la Culture et de la communication a un lien direct avec les prix pratiqués par la structure bénéficiaire de la subvention. Elle permet aux bénéficiaires la pratique de tarifs inférieurs au coût réel des prestations et constitue donc la contrepartie d'un service rendu".

c - La subvention octroyée permet aux acheteurs du bien ou aux preneurs du service d'en tirer profit

Il est nécessaire que le prix à payer par l'acheteur ou le preneur soit fixé de telle façon qu'il diminue à proportion de la subvention accordée au vendeur, laquelle constitue alors un élément de détermination du prix exigé. Ainsi, une subvention ne saurait être qualifiée de complément de prix dès lors qu'elle n'est pas calculée de manière à couvrir spécialement l'insuffisance de recettes résultant de la tarification, mais a pour objet de prendre en charge des coûts fixes et/ou variables. Toujours pour la même affaire, la cour administrative d'appel de Marseille considère que "[...] l'absence de stricte proportionnalité entre le montant de la subvention et les prix pratiqués ne suffit pas à contredire cette analyse [selon laquelle il s'agit d'une subvention complément de prix], dès lors que le rapport entre les subventions et la diminution du prix de la prestation fournie reste significatif".

d - La subvention permet au client de payer un prix inférieur au prix de marché ou, à défaut, au prix de revient

La notion de subvention directement liée au prix d'opérations imposables doit s'appliquer strictement. La taxation des subventions ne doit pas conduire à une surtaxation de l'opération, notamment lorsque le bénéficiaire de la subvention ne pratique pas, en définitive, un prix inférieur au prix de marché.

II - Régime particulier des scènes nationales

Il est admis que les subventions versées par le ministère de la Culture ou les collectivités locales aux maisons de la culture, aux centres d'action culturelle, dénommés à présent scènes nationales, et aux théâtres se consacrant uniquement aux activités théâtrales soient globalement soumises au taux particulier (2,10 %) de la TVA, lorsqu'elles complètent le prix des activités théâtrales.

Les droits d'entrée afférents aux représentations excédant la cent quarantième sont soumis au taux réduit dans les conditions de droit commun. En revanche, les maisons de la culture, centres d'action culturelle ou théâtres qui ont d'autres activités (séances de cinéma, spectacles de variétés, expositions, etc.) doivent soumettre ces dernières au taux qui leur est propre.

Les subventions perçues sans affectation précise doivent être ventilées en fonction de la répartition par taux des autres recettes afférentes aux activités concernées. Compte tenu des difficultés pratiques que peut soulever la répartition des subventions imposables entre les différentes activités, il est admis que les maisons de la culture et les centres d'action culturelle soumis à des taux différents de TVA effectuent cette répartition de la manière qui suit :
- 80 % pour les spectacles vivants soumis au taux de 2,10 % (création et représentation théâtrale d'oeuvres dramatiques, lyriques, musicales et chorégraphiques) ;
- 8 % pour les séances cinématographiques soumises au taux de 5,5 % ;
- 12 % pour les autres activités imposables au taux normal de 19,6 % (BOI-TVA-LIQ-30-20-40-20121011, n° 190 N° Lexbase : X8932ALE).

III - Les spectacles subventionnés d'une scène nationale ne devraient-ils pas être exonérés de TVA ?

Cette question mérite d'être posée si l'on se réfère aux précisions données par l'administration fiscale s'agissant de la possible exonération des impôts commerciaux au bénéfice des associations de création artistique (rescrit n° 2008/25 du 4 novembre 2008 N° Lexbase : L0872IRQ).

L'exonération qui est possible pour les associations de création artistique ne le serait pas pour les scènes nationales ?

En ce qui concerne les associations de création artistique, l'administration fiscale précise, en particulier, qu'elles ont un rôle d'animation de la vie sociale et culturelle, qu'elles atteignent ces buts par la production d'oeuvres, de spectacles, par l'organisation de manifestations artistiques, par la diffusion des oeuvres produites, par des actions de formation, par l'encadrement de pratiques amateurs, etc..

Sous réserve que la gestion de ces associations soit désintéressée, dans les conditions prévues par le d de l'article 261-7-1° du CGI (N° Lexbase : L0402IWS), leur lucrativité doit être appréciée selon les critères définies par la doctrine et validée par la jurisprudence (la méthode des 4 "P" : Produit, Prix, Public, Publicité), si elles exercent leurs activités en concurrence avec des entreprises du secteur concurrentiel.

"[...] Une association pourra notamment se distinguer d'une entreprise commerciale dès lors qu'elle :
- propose des créations artistiques, c'est-à-dire des oeuvres dont la caractéristique artistique est d'être innovante ou expérimentale et de connaître une faible notoriété. Dans tous les cas, les oeuvres proposées ne s'inscrivent pas dans une exploitation de type commercial (réseaux de grande diffusion organisée et exploitation médiatique) ;
- propose des créations d'artistes amateurs ou professionnels sans moyens financiers et dont la notoriété ou le projet artistique est à établir. Ces artistes trouvent souvent au sein de ces associations l'occasion unique de produire et de diffuser leurs oeuvres ;
- développe et organise autour de la production artistique un projet éducatif et d'action culturelle clairement identifié en direction de populations spécifiques issues des quartiers défavorisés ou de zones rurales sous-équipées et mal pourvues en offre culturelle et artistique ;
- fonctionne grâce à la participation active de bénévoles dans la production et la valorisation des créations artistiques.

Les créations artistiques proposées peuvent s'adresser à tout type de public de manière indifférenciée. Néanmoins, les actions que les associations peuvent mener auprès de publics défavorisés issus de quartiers ou de zones rurales sous-équipés et mal pourvus en offre culturelle et artistique, en leur permettant d'assister aux spectacles et aux animations proposées et/ou de participer à l'organisation même des activités permettent de considérer que le critère "Public" est rempli...

Lorsque le public participe au financement de la prestation artistique (notamment lors de spectacles), les prix proposés doivent être dans tous les cas inférieurs d'au moins un tiers au prix proposé par les organismes du secteur concurrentiel et peuvent être modulés en fonction de la situation des spectateurs.

Les associations peuvent proposer des opérations d'informations (plaquettes de présentations, publipostages, affiches, site internet, etc.), notamment pour informer les personnes auxquelles s'adressent les créations qu'elles réalisent, sans que soit remise en cause leur non-lucrativité à condition que les moyens mis en oeuvre ne puissent s'assimiler à de la publicité par l'importance et le coût de la campagne de communication [...]" (BOI-IS-CHAMP-10-50-30-10-20120912 N° Lexbase : X7996ALQ).

Si ces conditions sont remplies, les associations de création artistique sont donc exonérées des impôts commerciaux.

Ces précisions données par l'administration fiscale, relatives au statut fiscal des associations de création artistique, n'appellent pas de critique dans la mesure où elles sont parfaitement conformes à la doctrine et à la jurisprudence désormais bien établies, mais posent une question s'agissant des associations gérant des "scènes nationales" ?

Cette doctrine relative aux associations de création artistique ne serait-elle pas applicable à certaines des activités des scènes nationales ?

Les missions des scènes nationales définies par le ministère de la Culture sont les suivantes : "s'affirmer comme lieux de production artistique de référence nationale dans les divers domaines de la culture contemporaine ; organiser la diffusion et la confrontation des formes artistiques en privilégiant la création contemporaine ; participer, dans leur aire d'implantation, à une action de développement culturel favorisant de nouveaux comportements à l'égard de la création artistique et une meilleure insertion sociale de celle-ci". Ces missions étant relativement proches de celles évoquées par l'administration fiscale s'agissant des associations de création artistique, on peut se poser la question de savoir pourquoi les activités des scènes nationales ne sont pas analysées comme le sont celles des organismes sans but lucratif selon la méthode des "4 P" ?

Au contraire, on part d'un postulat selon lequel les opérations du théâtre sont imposables à la TVA.

Ce postulat étant apparemment posé, la seule question restant en litige était donc celle de savoir si les subventions versées au théâtre étaient ou non liées à ces prétendues opérations imposables, mais était-ce la bonne question ?

En effet, avant de considérer, a priori, que les opérations du théâtre étaient imposables à la TVA, ne fallait-il pas s'interroger sur le caractère imposable de ses différentes activités au regard d'une part de sa mission concernant la création artistique innovante et d'autre part du public auquel certaines de ces activités sont destinées ? On note, à cet égard, que, parmi les conditions mises au soutien financier apporté au théâtre, figure notamment "la mise en oeuvre d'une politique tarifaire très modérée vis-à-vis du public défavorisé et plus particulièrement du jeune public [...]". Dès lors, n'y avait-t-il pas lieu de considérer que les opérations réalisées dans ce cadre pouvaient s'analyser comme des opérations à caractère social au sens du b de l'article 261-7-1°, sous réserve, bien entendu, que la gestion de l'association concernée soit désintéressée ?

D'une manière générale, l'exonération de TVA de l'article 261-7-1° prévue en faveur des organismes sans but lucratif étant de droit, n'y a-t-il pas lieu, dans le cas d'un contentieux fiscal portant un aspect de l'imposition d'un OSBL (la base d'imposition, le taux applicable...) de rechercher, en premier lieu et en tout état de cause, si les opérations de cet organisme sont imposables ou non compte tenu des différentes conditions mises à l'exonération : gestion désintéressée, concurrence, lucrativité ?

Quand une exonération pourrait prendre l'allure d'une catastrophe, ceci explique cela

Cette possible exonération de TVA de certaines des activités des scènes nationales serait sans doute très défavorable financièrement. En effet, compte tenu de l'application du taux de TVA de 2,10 % aux 140 premières représentations et du taux de 5,5 % aux représentions suivantes, l'assujettissement à la TVA peut être une aubaine pour les entreprises de spectacles, car le montant de la taxe déductible est le plus souvent supérieur au montant de la taxe collectée. Par ailleurs, l'exonération de TVA peut induire l'assujettissement à la taxe sur les salaires : une catastrophe !

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