La lettre juridique n°534 du 4 juillet 2013

La lettre juridique - Édition n°534

Éditorial

Accès au logement et urbanisme rénové : "et si l'humble garni qui nous servait de nid ne payait pas de mine"...

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N7801BT4

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


La loi "Duflot" 2 vient d'être annoncée à grand renfort de communication gouvernementale. Dispositif se targuant de vertus ouvertement sociales, il n'est point l'heure, ici, d'effectuer l'analyse exégétique de l'ensemble des dispositions composant le texte de 200 pages et 84 articles présenté en conseil des ministres le 26 juin 2013 -avant donc la batterie d'amendements qu'un tel texte affichant de hautes ambitions réformatrices ne manquera pas de susciter-. Tout juste relèverons-nous, avec et après tant d'autres, quelques "perles" ayant déjà, et qui ne manqueront pas encore, de provoquer l'ire des propriétaires, des professionnels de l'immobilier, des syndics et, effet boomerang oblige, des locataires eux-mêmes.

La mesure la plus emblématique semble être l'encadrement des prix des loyers (d'habitation). Le mécanisme est une usine à gaz comme seul sait le faire un gouvernement républicain du XXIème siècle, c'est-à-dire un système fondé sur la coopération aléatoire, la restriction punitive et la sanction pécuniaire. Outre le fait que le dispositif repose en grande partie sur la remontée des prix des loyers dans toutes les régions et suivant toutes les configurations, ce à quoi les professionnels de l'immobilier ne se sentent pas obligés à l'heure actuelle, la détermination du loyer médian risque fort de relever d'un certain arbitraire. Et, que se passerait-il, d'ailleurs, si ce fameux indicateur s'avérait trop élevé ? Le jeu de l'offre et de la demande en matière de biens n'emporte souvent que peu de variation tarifaire, du moins de manière non suffisamment significative pour que l'intérêt des clients, ici les locataires, soit remarquable. Si ce ne sont pas les professionnels du secteur qui encadrent déjà les loyers, ce sont les sites d'annonces et autres journaux spécialisés qui marquent le pas.

Et, quand bien même le loyer pratiqué serait plus élevé que le loyer médian, il s'agira alors d'ouvrir un précontentieux devant la commission de conciliation ad hoc pour obtenir une réduction de ce dernier : au mépris donc de la force obligatoire du contrat. En soi cette atteinte aux dispositions de l'article 1134 du Code civil n'est pas nouvelle... Les juristes la connaissent bien dans le cadre de la rescision pour cause de lésion ; les avocats en connaissent les incongruités dans le cadre du contentieux de l'honoraire au regard des pouvoirs du juge taxateur de réduire leur montant selon la prestation servie. Mais bien évidement cette réduction du montant du loyer ne serait pas sans conséquence, d'abord, sur le climat des relations entre les locataires et les bailleurs -ces derniers étant déjà parfois frileux à l'idée de louer compte tenu de certains risques d'impayés ou d'effectuer des réparations et autres aménagements de modernisation lorsque le rendement du bien peut en être amputé- ; ensuite, sur d'autres contrats dits nécessaires ou de la vie courante (assurance, énergie, transport, alimentation...) -pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? La boîte de Pandore sera dès lors ouverte...-. On comprend qu'une telle réfaction du bail soit permise en supposant que la liberté contractuelle ait été initialement viciée par la force économique exercée par le bailleur sur le marché de l'offre. Mais cette configuration est malheureusement monnaie courante dans nombre de relations contractuelles, sans que cela n'émeuve les pouvoirs publics (cf. cas précités, à l'exception du marché de l'énergie domestique). Par ailleurs, le projet de loi prévoit d'ores et déjà de notables dérogations au contrôle des loyers, en cas de travaux ou de prix antérieur anormalement bas, notamment ; exceptions venant alourdir, même si c'est ici fort heureusement, le régime proposé aux parlementaires.

Ne nous méprenons pas, le contrôle des prix n'a pas disparu avec celui de la baguette de pain. Les gouvernements successifs contrôlent directement ou indirectement le prix de certains biens ; la TIPP flottante et son avatar récent en matière de carburant en est l'exemple le plus patent. Mais ce contrôle, souvent pas le biais d'une modulation de taxes, est parfois juridiquement critiqué -on pense naturellement au feuilleton des annulations des arrêtés réglementant le prix du gaz en France-. Mais, dans ce dernier cas, l'opérateur est détenu encore principalement par l'Etat lui-même. Et il est rare que le contrôle des prix soit directement réglementé lorsqu'il y va d'un marché tout ce qu'il y'a de plus privé : c'est le droit constitutionnel de propriété qui risque bien d'enrayer la dynamique gouvernementale, si ce n'est le principe de la liberté d'entreprendre.

Autre dispositif remarqué : la professionnalisation des professionnels de l'immobilier (sic) ! La loi "Hoguet" avait omis d'obliger la majorité des intermédiaires de l'immobilier à effectuer une déclaration préalable et surtout à se former de manière continue. Cela serait désormais chose faite : une certification qui justifiera sans doute le relèvement des honoraires. On imagine mal un commerçant relever son niveau d'exigence et de compétence au bénéfice de son client sans lui en faire payer le prix de quelconque manière...

Enfin, autre marotte gouvernementale, l'encadrement des frais d'intermédiation pour limiter le coût de l'accès à la location d'un bien. Outre que faire supporter le coût de l'honoraire exclusivement à la charge du propriétaire décourage le recours à un intermédiaire et paupérise à terme les professionnels de l'immobilier, il faut préciser que l'ensemble des actes et frais particuliers sera à la charge des deux parties. Autrement dit étant donné la liberté contractuelle en la matière, il faut s'attendre à des tours de "passe passe" pour une répartition égalitaire in fine de la charge. Passons sur le fait que l'extension du périmètre du droit permette aujourd'hui aux professionnels de l'immobilier de rédiger un bail ; bien entendu les propriétaires se dispensant du concours de ces professionnels afin de s'en dispenser le coût, recourront aux services plus volontiers des notaires dont les honoraires ne sont guère plus abordables... au détriment des locataires.

Non chacun le sait, il ne sert à rien de traiter les seules conséquences d'un marché locatif tendu, mais, sauf à imiter Sisyphe, il convient de s'attaquer aux causes. Et, ces causes, contrairement à une idée répandue, notamment par la précédente majorité parlementaire, ne résident pas foncièrement dans l'insuffisance du parc immobilier sauf à penser que la densification urbaine soit la panacée absolue.

Le véritable problème locatif réside, chacun le sait, essentiellement dans les grandes agglomérations et plus singulièrement à Paris et sa proche banlieue. La clé de la libération du marché locatif réside dans la décentralisation économique. Désengorger Paris des milliers d'entreprises qui pourraient officier en Province ou ailleurs, et le tissu socio-économique suit, la demande parisienne décroît, les prix baissent et le marché n'est plus tendu.

Ce n'est pas une énième loi réformant le droit immobilier qu'il faut, c'est une nouvelle loi de décentralisation, cette fois économique, incitant les entreprises à fuir les grandes agglomérations lorsque leur présence n'est pas fondamentale ou requise, et les encourager à aller ailleurs que dans les zones prioritaires ou sensibles pas nécessairement adaptées non plus à leurs activités. Et le reste suivra : décentralisation culturelle, technologique, etc.. La France est malade de son poumon économique (l'Ile-de-France), et c'est une bonne saignée qu'il lui faudrait. Un remède à la monsieur Purgon, mais faute de mieux...

Le développement systématique des nouvelles méthodes et organisations du travail concourrait aussi à ce désengorgement souhaitable. Les avancées en la matière sont encore trop timides. L'organisation du travail en entreprise est encore fondée sur le schéma industriel ; l'usine avait pour vertu de réunir et de mettre en commun l'appareil productif et les compétences requises. Les nouvelles technologies permettent l'éclatement des sites selon d'ailleurs la singularité des pôles de compétences. C'est là encore un rapprochement entre pôles de compétence et pôle de formations universitaires ou professionnelles qu'il faut accentuer. Et ces pôles ne sont, fort heureusement, pas tous en région parisienne !

Comme en matière de circulation et de pollution, le courage politique et l'antique ordre public de direction commandent l'équitable répartition du tissu socio-économique sur tout le territoire ; répartition possible singulièrement en France compte tenu de ses réseaux routier, ferroviaire, aérien et numérique. Augmenter l'offre comme augmenter les voies de circulation intramuros ou encadrer de manière dirigiste la location comme taxer l'utilisation de la voiture à tout va sera un énième coup d'épée dans l'eau. Convaincre de la richesse de la délocalisation des entreprises parisiennes en province, en adaptant le droit commercial et le droit du travail, tel pourrait être l'ambition d'un traitement des causes plutôt que des conséquences d'un marché locatif tendu.

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Agent immobilier

[Jurisprudence] Agents immobiliers : attention aux conséquences du changement de débiteur de la commission au cours des négociations

Réf. : Cass. civ. 1, 24 avril 2013, n° 11.26.876, F-P+B+I (N° Lexbase : A5204KCQ)

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N7841BTL

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par Jean-Philippe Confino, Avocat associé, et Antonella Figaro, Avocat, Cabinet Confino

Le 04 Juillet 2013

Les agents immobiliers n'ignorent pas le caractère rigoureux des dispositions auxquelles ils sont soumis par application de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dite loi "Hoguet" (N° Lexbase : L7536AIX) et de son décret d'application n° 72-678 du 20 juillet 1972 (N° Lexbase : L8042AIP), en ce qui concerne tant les conditions d'exercice de la profession que les conditions d'exigibilité de leur rémunération. Toutefois, même les plus avisés d'entre eux peuvent encore se laisser surprendre par l'interprétation très stricte de ces textes à laquelle se livrent constamment les juridictions de l'ordre judiciaire, notamment la plus haute d'entre elles. C'est ainsi que par un arrêt en date du 24 avril 2013, la première chambre civile de la Cour de cassation n'a pas hésité à prononcer la cassation d'un arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 20 septembre 2011, n° 10/13311 N° Lexbase : A7636H7X) qui avait reconnu le droit à rémunération de l'agent immobilier, dûment mandaté, par l'entremise duquel avait été réalisée la vente d'un terrain à bâtir, au motif que le débiteur de la commission de l'agent désigné dans l'acte constatant l'engagement des parties n'était pas le même que celui prévu dans le mandat.

Prévisible au regard du droit positif, cette solution n'en est pas moins surprenante compte tenu des circonstances de l'espèce.

Les faits étaient les suivants.

Le 31 août 2004, une société P. a confié à la société T., exerçant l'activité d'agent immobilier sous l'enseigne "E. Immo", un mandat non exclusif portant sur la vente d'un terrain à bâtir situé à Eguilles dans les Bouches-du-Rhône, pour un prix de 275 000 euros.

Le mandat prévoyait, en cas de réalisation de l'opération par l'intermédiaire du mandataire, une rémunération de ce dernier à hauteur de 25 000 euros, à la charge du mandant.

Une promesse synallagmatique de vente sous conditions suspensives a ensuite été conclue le 21 décembre suivant pour un prix de 180 000 euros entre la société venderesse et deux personnes physiques, Mme G. et M. B. avec faculté de substitution. Il était convenu par les parties que la rémunération de l'agent immobilier -dont le montant n'était pas modifié- serait à la charge des acquéreurs.

Certainement conscient de ce que cette modification du débiteur de sa commission pourrait l'exposer à des difficultés de recouvrement, l'agent immobilier a pris le soin de faire signer aux acquéreurs, le même jour que le compromis, un acte par lequel ceux-ci se reconnaissaient débiteurs de la commission pour un montant de 25 000 euros.

L'acte authentique de vente a été conclu, une fois les conditions suspensives levées, le 28 avril 2006 entre une SCI S. (semblant venir aux droits de la société mandante, bien que cela ne soit pas spécifié) et la SCI C., représentée par son gérant, M. B., se substituant aux signataires de la promesse synallagmatique.

L'opération ainsi réalisée, l'agent immobilier a établi une facture du montant de sa commission -étrangement adressée à la société mandante- qui ne s'en est pas acquittée.

Une procédure de liquidation judiciaire ayant été ouverte à l'encontre de la société T., c'est le liquidateur judiciaire qui a introduit l'instance tendant à obtenir paiement de ladite commission, qu'il a dirigée à l'encontre des acquéreurs, Mme G. et M. B., sollicitant en outre la condamnation de SCI C. à garantir les condamnations prononcées.

Le tribunal de grande instance de Marseille a fait droit à la demande en paiement à l'encontre des personnes physiques, qu'il a donc condamnées à s'acquitter de la somme de 25 000 euros en principal (mais non à celle contre la société), par une décision en date du 24 juin 2010, confirmée par la cour d'appel de la cour d'Aix-en-Provence le 20 septembre 2011 (précité).

C'est dans ce contexte qu'est intervenu l'arrêt de cassation du 24 avril 2013 qui énonce que "l'agent immobilier ne peut réclamer une commission ou une rémunération à l'occasion d'une opération visée à l'article 1er de la loi [du 2 janvier 1970] d'une personne autre que celle mentionnée comme en ayant la charge dans le mandat et dans l'engagement des parties ; que si, par une convention ultérieure, les parties peuvent s'engager à rémunérer les services de l'agent immobilier, cette convention n'est valable que si elle est postérieure à la vente régulièrement conclue".

La Cour suprême reproduit ainsi une nouvelle fois (voir notamment déjà : Cass. civ. 1, 3 avril 2002, n° 99-20.206, FS-P+B N° Lexbase : A4528AYD ; Cass. civ. 1, 21 février 2006 n° 04-14.538, F-D N° Lexbase : A1761DNK également cités infra), à l'invitation du pourvoi formé par les acquéreurs, un attendu de principe devenu classique par lequel elle tient à rappeler régulièrement que le débiteur de la commission doit être identique dans le mandat et dans l'acte constatant l'engagement des parties, soulignant néanmoins l'importance de sa décision par une décision de publication au Bulletin civil.

Cette position réitérée résulte de la combinaison de trois textes d'ordre public dont le premier (article 6 de la loi du 2 janvier 1970 précitée) prévoit notamment que le mandat doit préciser "les conditions de détermination de la rémunération, ainsi que l'indication de la partie qui en aura la charge", et les deux autres (article 73 du décret 20 juillet 1972 précité, faisant référence à l'article 72 du même décret) disposent qu'un mandat est un préalable à toute entremise et que "le montant de la rémunération ou de la commission, ainsi que l'indication de la ou des parties qui en ont la charge, sont portés dans l'engagement des parties".

Dans son avant-dernier alinéa, l'article 73 ajoute enfin : "le titulaire de la carte ne peut demander, ni recevoir, directement ou indirectement, des commissions ou des rémunérations à l'occasion de cette opération d'une personne autre que celle mentionnée comme en ayant la charge, dans le mandat et dans l'engagement des parties".

Or en l'espèce, le problème se situait précisément dans le fait qu'il existait une contrariété entre les stipulations du mandat, selon lequel c'était le mandant (vendeur) qui devait s'acquitter de la commission de l'agent immobilier, et celles de la promesse synallagmatique de vente, qui prévoyait au contraire que cette commission serait à la charge des acquéreurs.

Devant la cour d'appel, le liquidateur de l'agent immobilier avait soutenu qu'il convenait de donner effet à cet engagement, parfaitement régulier au regard des règles du droit civil, tandis que les acquéreurs excipaient de sa contrariété non seulement aux dispositions de l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK), mais encore à celles de la loi "Hoguet" prévoyant une identité du débiteur de la commission, ce qui les amenaient à conclure à son inefficacité.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence s'est manifestement laissé séduire par l'argumentation du liquidateur, considérant tout d'abord que l'engagement pris par les acquéreurs dans le compromis constituait une stipulation au profit d'un tiers au sens de l'article 1121 du Code civil (N° Lexbase : L1209ABE) et était dès lors invocable par ce tiers, l'article 1165 du Code civil prévoyant expressément que les conventions, qui ne peuvent nuire aux tiers, profitent à ces dernier dans le cas visé à l'article à l'article 1121.

Autrement dit, selon les magistrats aixois, il était loisible aux acquéreurs de prendre, dans le compromis, un engagement au profit d'un tiers (en l'espèce l'agent, tiers à la promesse synallagmatique), et cet engagement valable de verser une commission devait être honoré dès lors que la vente avait été effectivement conclue.

L'arrêt d'appel ajoute ensuite que les dispositions de la loi "Hoguet" ne font pas obstacle à la validité de cet engagement dès lors :

- tout d'abord, que les dispositions de l'article 6 de la loi "Hoguet" concernant les mentions du mandat ne seraient pas invocables par des tiers au mandat ;

- et ensuite, qu'était respectée l'obligation prévue à l'article 73 du décret d'application, de mentionner, dans l'acte unique constituant l'engagement des parties, celle ayant la charge de la commission.

Les juges du fond semblent donc avoir privilégié, pour rendre leur décision, la question du consentement des acquéreurs au paiement de la commission de l'agent, et le respect de l'une des finalités des dispositions impératives de la loi "Hoguet", à savoir la protection des parties à l'acte objet de l'intermédiation. Or, au cas présent, de quoi pouvaient donc se plaindre les acquéreurs dès lors que, par les stipulations du compromis qu'ils ont signé, et de l'engagement qu'ils ont par ailleurs pris par acte séparé au profit de l'agent, ils étaient dûment et formellement informés -conformément aux dispositions de la loi "Hoguet"- de ce que la commission de l'agent était à leur charge (et s'engageaient à s'en acquitter).

C'était faire une interprétation téléologique de l'avant-dernier alinéa de l'article 73 du décret du 20 juillet 1972, qui après tout, ne dit nullement (du moins pas expressément) qu'il doit y avoir une identité, dans le mandat et l'acte unique des parties, de la personne débitrice de la rémunération de l'agent.

Cette interprétation raisonnable, que la Cour de cassation n'aurait, par le passé, pas démentie, était néanmoins, au regard du droit positif actuel, vouée à la cassation.

En effet, à plusieurs reprises la Cour régulatrice s'était précédemment prononcée en faveur d'une application stricte des dispositions issues de la loi du 2 janvier 1970 et de son décret d'application, et plus particulièrement de celles consistant à exiger une identité entre le débiteur désigné dans le mandat et dans l'acte constatant l'engagement des parties.

C'est ainsi qu'elle avait notamment déjà censuré des juges du fond d'avoir fait droit à la demande en paiement de la commission d'un agent immobilier à l'encontre de l'acquéreur alors que, si celui-ci était bien désigné dans le mandat comme ayant la charge de la rémunération de l'agent immobilier, cette mention ne figurait pas à l'acte de vente, peu important que le bon de visite, signé par le candidat acquéreur, fasse mention de cet engagement (Cass. civ. 1, 3 avril 2002, précité).

Encore pouvait-on penser que cette solution sanctionnait, non la contrariété d'identité, mais plutôt l'absence de la mention du débiteur dans l'acte constituant l'engagement des parties, prévue à l'article 73 du décret du 20 juillet 1972, le bon de visite signé sur lequel figurait le montant et le débiteur de la commission ne pouvant être évidemment considéré comme "l'engagement des parties".

Une autre affaire a cependant, quelques années plus tard, précisément fourni à la Cour de cassation l'occasion de lever toute ambiguïté sur ce point (Cass. civ. 1, 21 février 2006, précité).

Les faits étaient très similaires à ceux de la présente espèce. La commission due au mandataire était, dans le mandat, mise à la charge des mandants (vendeurs), mais la promesse synallagmatique de vente indiquait au contraire que "l'acquéreur devra faire son affaire personnelle de la commission de négociation due à l'agence".

L'arrêt d'appel, qui avait fait droit à la demande en paiement du mandataire, s'est trouvé censuré à défaut d'avoir constaté l'identité de débiteur de la commission dans le mandat et dans l'acte constituant l'engagement des parties.

Dans la droite ligne de cette jurisprudence, la Cour de cassation réitère donc le principe posé sept ans plus tôt -en reproduisant même l'attendu de principe- : il faut une identité de débiteur dans le mandat et l'acte unique constatant l'engagement des parties.

La Haute juridiction fait donc une interprétation stricte de l'article 73 du décret du 20 juillet 1972, qui prévoit que la personne à laquelle l'agent demande paiement de sa rémunération doit être "celle mentionnée comme en ayant la charge, dans le mandat et dans l'engagement des parties" dont elle déduit une nécessaire identité de personne.

Un engagement peut donc être parfaitement valable au regard des règles du droit civil, mais paralysé dans ses effets par les dispositions de la loi "Hoguet", dont la Cour suprême rappelle qu'elles sont d'ordre public et dont on peut ajouter qu'elles sont sanctionnées pénalement.

Et c'est peut-être là que réside la raison de la rigueur de cette décision : la loi "Hoguet" n'a pas seulement pour but de protéger les mandants, ou même les parties à l'acte objet de l'intermédiation, elle a pour finalité première la réglementation d'une profession toute entière.

Les dispositions de la loi "Hoguet" et de son décret d'application ont donc vocation à régir les activités des agents immobiliers, peu important que celui qui se prévaut de leur violation soit tiers ou partie au contrat de mandat.

Le tiers au contrat peut donc non seulement invoquer :

- comme un fait juridique lui faisant grief, le manquement, par les parties au mandat, à la loi "Hoguet" qui s'impose à elles ;

- mais également les dispositions de la loi "Hoguet" elle-même, pour s'opposer au paiement réclamé par l'agent.

La portée de la solution dégagée est dénuée ainsi de toute ambiguïté : l'agent immobilier doit s'assurer que, s'agissant du débiteur de sa commission, l'acte constituant l'engagement des parties est l'exact reflet du mandat. A défaut, il ne peut prétendre à un quelconque paiement, peu important les engagements pris antérieurement ou concomitamment.

Tout principe, aussi rigoureux soit-il, connaît des limites.

Aussi la Cour de cassation prend-elle le soin de rappeler le (seul) cas dans lequel, à titre d'exception -qui se rencontrera extrêmement rarement en pratique-, un agent peut prétendre au paiement de sa commission malgré une discordance entre les stipulations du mandat et celles de l'acte de vente concernant le débiteur de l'opération : celui dans lequel l'engagement à rémunérer les services de l'agent a été souscrit postérieurement à la convention des parties.

La Cour régulatrice admet en effet depuis longtemps qu'une partie puisse valablement s'engager à rémunérer les services de l'agent immobilier en cas de non-respect des dispositions de la loi "Hoguet", mais à condition que cet engagement soit postérieur à la conclusion de l'opération, laquelle intervient à la signature de l'acte authentique de vente (ou à la signature du contrat de bail) (voir par exemple : Cass. civ. 1, 15 novembre 2003, n° 01-12.654, FS-D N° Lexbase : A3095DAU ; Cass. civ. 1, 25 janvier 2005, n° 02-10.764, F-D N° Lexbase : A2847DGK ; Cass. civ. 1, 27 juin 2006, n° 04-20.710, F-D N° Lexbase : A1038DQI).

Et cela n'a rien de singulier puisque la Cour de cassation admet de longue date, en d'autres matières, que l'on puisse renoncer à un droit statutaire une fois que la partie protégée est en pleine possession de tous ses droits (par exemple en matière de baux commerciaux, s'agissant du droit au renouvellement découlant du statut : solution constante depuis un arrêt du 10 juin 1960, Cass. com., 10 juin 1960, n° 57-10.578 N° Lexbase : A2574AUU, Bull. civ. IV, n° 222).

En l'occurrence, le droit de refuser le paiement de la commission (pour violation de la loi "Hoguet") ne naît, par définition, que postérieurement à l'acte définitif, puisqu'avant ce dernier il est fait interdiction à l'agent de solliciter le paiement de celle-ci.

En cas de non-respect des dispositions de la loi "Hoguet", on ne pourra donc valablement accepter de payer les services de l'agent, et donc renoncer au droit de refuser un tel paiement, qu'une fois ce droit né, c'est-à-dire postérieurement à l'acte définitif.

L'originalité de cette solution provient du fait qu'ici, on le rappellera, c'est un tiers à la convention soumise à la loi "Hoguet" qui bénéficie et peut invoquer l'ensemble de ses règles protectrices et régulatrices.

Dans cette hypothèse, on aura cependant compris que l'agent immobilier est alors, tant pour le principe que pour le montant de sa rémunération, soumis au bon vouloir, ou, pourrait-on dire, à l'honnêteté morale des parties à son égard.

La question se pose, en outre, de savoir quelle forme cette convention doit prendre, et quelles autres conditions elle doit le cas échéant respecter. A cette question l'arrêt commenté ne répond rien.

Il faut considérer que ce sont cette fois les seules règles du droit civil qui s'appliquent et non plus celles découlant de la loi "Hoguet" qui, par hypothèse, auront été méconnues.

Un écrit est-il nécessaire ? Il est en tout cas hautement recommandé (et probablement indispensable pour se prémunir de tout risque de mise en cause de la responsabilité pénale de l'agent).

Il a en effet été jugé que l'agent immobilier ne pouvait prétendre à obtenir la somme représentant le solde de sa rémunération dans une affaire où l'acquéreur s'était pourtant acquitté d'un paiement partiel -fût-il substantiel- après la signature de l'acte authentique de vente, ce dont il pouvait pourtant s'induire qu'il se reconnaissait débiteur de ladite commission (Cass. civ. 1, 3 avril 2002, précité).

Il faut donc en déduire que cet engagement à rémunérer les services de l'agent immobilier doit non seulement être pris postérieurement à la conclusion de l'opération, mais encore en connaissance du vice affectant le droit à commission (bien que la Cour de cassation ne se soit pas encore prononcée expressément sur ce point).

En l'espèce, l'agent immobilier n'avait aucune chance d'obtenir gain de cause en invoquant cette exception.

S'il disposait effectivement d'un engagement écrit très clair des acquéreurs résultant non seulement des stipulations du compromis acceptées par ces derniers mais encore d'un engagement unilatéral de paiement, cet engagement était concomitant à la promesse et donc antérieur à la réitération de la vente par acte authentique.

Dans cette situation, la pratique des professionnels est donc de conclure -plutôt qu'un engagement unilatéral- un mandat par lequel l'acquéreur s'engage à rémunérer l'agent. Les stipulations du compromis ultérieurement conclu, prévoyant que les honoraires sont à la charge de l'acquéreur, se trouvent ainsi identiques à celles du mandat de recherche de bien.

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Avocats/Déontologie

[Pratique professionnelle] Déontologie et fiducie - Compte rendu de la Commission ouverte "Patrimoine et fiducie" du barreau de Paris du 4 juin 2013

Lecture: 9 min

N7664BTZ

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef

Le 04 Juillet 2013

Le 4 juin 2013, dans la salle Gaston de Monnerville de la Maison du barreau à Paris, la Commission ouverte "Patrimoine et fiducie" de l'ordre des avocats au barreau de Paris regroupait les avocats autour du thème de la conciliation entre déontologie et fiducie. Silvestre Tandeau de Marsac, co-responsable de la commission, associé du cabinet Fischer, Tandeau de Marsac, Sur & Associés et co-fondateur de l'association des avocats fiduciaires, est intervenu sur ce sujet. Si la fiducie ne rencontre pas encore un franc succès parmi les avocats, elle intéresse de plus en plus la profession, et doit être traitée avec précaution. En effet, même si un avocat fiduciaire est avocat avant d'être fiduciaire, les règles de sa déontologie, telles qu'il les connaît dans l'exercice de sa profession de tous les jours, rencontrent quelques aménagements lorsqu'il s'agit de revêtir le costume de fiduciaire. I - Le rôle de l'avocat dans la fiducie

Depuis la loi de modernisation de l'économie, dite "LME" (loi n° 2008-776 du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR), l'avocat peut participer à une fiducie en tant que fiduciaire. Ses atouts ? Un professionnalisme protégé par une déontologie et un Ordre, une assurance de responsabilité et une garantie de représentation des actifs à hauteur de 5 % des biens immeubles et 20 % des actifs mobiliers placés en fiducie.

A la suite de l'entrée légale de l'avocat dans la fiducie, le Conseil national des barreaux a modifié le règlement intérieur national de la profession d'avocat (N° Lexbase : L4063IP8), afin d'y intégrer une disposition particulière encadrant la déontologie de l'avocat fiduciaire :

"6.2.1 L'activité de fiduciaire [...]

6.2.1.1 Principes

L'avocat fiduciaire demeure, dans l'exercice de cette activité, soumis aux devoirs de son serment et aux principes essentiels de sa profession ainsi que, plus généralement, à l'ensemble des dispositions du présent règlement intérieur national.
Dans le cadre de sa mission fiduciaire, l'avocat ne peut exercer une activité incompatible avec sa profession au sens des articles 111 et suivants du décret du 27 novembre 1991
(décret n° 91-1197, organisant la profession d'avocat N° Lexbase : L1114ARP).

6.2.1.2 Déclarations à l'Ordre

L'avocat qui entend exercer l'activité de fiduciaire doit souscrire à titre individuel une assurance spéciale pour garantir tant sa responsabilité civile professionnelle que la restitution des fonds, effets, titres et valeurs concernés. Il en fait alors la déclaration à l'Ordre par lettre adressée au Bâtonnier en justifiant de la souscription de l'assurance spéciale.
Le Bâtonnier accuse réception de cette déclaration sans délai.
L'avocat justifie chaque année au Bâtonnier du maintien des garanties d'assurance.

6.2.1.3 Correspondances

Dans toute correspondance, quel qu'en soit le support, qu'il établit dans le strict cadre de sa mission de fiducie, l'avocat doit indiquer expressément sa qualité de fiduciaire. Il doit par ailleurs attirer l'attention du destinataire sur le caractère non-confidentiel, à l'égard des organes de contrôle de la fiducie, des correspondances échangées avec lui au titre de cette mission.
Une correspondance dépourvue de la mention "officielle", adressée à l'avocat fiduciaire par un confrère non avisé de cette qualité, demeure confidentielle au sens de l'article 3 du présent règlement et couverte par le secret professionnel au sens de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971
(loi n° 71-1130, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ).

6.2.1.4 Protection du secret professionnel

L'avocat exerçant une activité de fiducie reste soumis à son secret professionnel, mais doit prendre toutes dispositions permettant aux autorités judiciaires, administratives et ordinales d'effectuer les contrôles et vérifications prévus par la loi et les règlements en ce domaine sans qu'il soit porté atteinte au secret professionnel et à la confidentialité des correspondances attachés aux autres activités de son cabinet et à ceux qui y exercent.
Il doit notamment utiliser un papier à lettres distinct et veiller à une identification claire et spécifique des dossiers de fiducie, lesquels doivent faire l'objet d'un rangement et d'un archivage séparés des autres dossiers. De même, tous les supports informatiques utilisés dans l'exercice de l'activité de fiducie doivent être consacrés exclusivement à cette activité et identifiés distinctement.

6.2.1.5 Obligations particulières de l'avocat fiduciaire

Indentification des parties

L'avocat vérifie l'identité des parties contractantes et des bénéficiaires effectifs de l'opération. Il les informe des dispositions des articles 6.2.1.1 et suivants du RIN.
Les conflits d'intérêts s'apprécient par rapport au constituant et au(x) bénéficiaire(s). L'avocat désigné par le constituant en qualité de tiers, au sens de l'article 2017 du Code civil
(N° Lexbase : L6970IC7), ne peut appartenir à la même structure d'exercice que celle à laquelle appartient l'avocat fiduciaire.

Rémunération

Dans le contrat de fiducie, la rémunération de l'avocat doit être distinguée de celle des autres intervenants.

Comptabilité

Les activités de l'avocat fiduciaire doivent faire l'objet d'une comptabilité distincte de ses comptes professionnels et personnels et de son sous-compte Carpa. L'activité fiduciaire peut faire l'objet d'un contrôle de comptabilité conformément à l'article 17.9° de la loi du 31 décembre 1971.
Chaque fiducie fait l'objet d'un compte identifié et clairement séparé dans la comptabilité tenue par l'avocat.

Obligation de compétence

L'avocat s'oblige à suivre une formation spécifique dans les matières liées à l'exécution de ses missions fiduciaires".

Comment l'avocat peut-il intervenir dans le cadre d'une fiducie ?

A - L'avocat conseil des parties

Tout d'abord, l'avocat peut intervenir, dans l'expression la plus pure de sa profession, en tant que conseil. Lorsque c'est le cas, et qu'il participe à la rédaction du contrat de fiducie et veille à son efficacité, son rôle est délicat. A ce stade, il doit se demander qui est son client (le constituant, le bénéficiaire ?) et quels sont les objectifs de son client (afin d'éviter de se placer dans un situation de conflit d'intérêts).

Il est, de manière générale, fortement déconseillé à l'avocat d'arborer les deux casquettes : conseil et fiduciaire.

B - L'avocat fiduciaire

Car, en effet, l'avocat peut, depuis la "LME", agir comme fiduciaire. Il sera amené à gérer les droits et biens mis en fiducie, dans le respect du contrat de fiducie et dans l'intérêt du bénéficiaire.

Si classiquement la fiducie se divise en, d'une part, la fiducie-gestion et, d'autre part, la fiducie-sûreté, le contrat de fiducie est, en réalité, pourvu d'une liberté contractuelle qui lui permet de gérer de nombreuses situations, de façons différentes. Par exemple, l'avocat peut agir comme fiduciaire dans l'intérêt de majeurs incapables. Ou alors, lorsqu'une entreprise rencontre une difficulté, l'avocat peut être amené à agir dans une fiducie constituée afin de gérer des biens dans l'intérêt des salariés (ce fut le cas pour Pétroplus).

C - L'avocat tiers protecteur

Enfin, l'avocat peut intervenir comme tiers protecteur dans la fiducie (C. civ., art. 2017). Dans ce cas, il n'est pas le fiduciaire, mais il veille à la bonne exécution du contrat de fiducie.

Attention, il n'est pas permis à un avocat fiduciaire et à un avocat tiers protecteur de faire partie de la même fiducie.

II - Les règles déontologiques de l'avocat fiduciaire

Quelles sont les règles déontologiques s'imposant à l'avocat dans les trois rôles détaillés supra ?

Un principe fondamental irrigue cette question : l'avocat, qu'il soit conseil, fiduciaire ou tiers protecteur, demeure tenu à la déontologie de l'Ordre des avocats. Cette règle est rappelée dans le RIN, depuis sa modification par la décision du CNB des 3 et 4 avril 2009.

A - Le secret professionnel

L'avocat doit prendre toutes les dispositions permettant aux autorités judiciaires, administratives et ordinales d'avoir accès aux informations dans le cadre des contrôles et vérifications prévus par la loi. Comment une telle exigence peut-elle s'accorder avec le secret professionnel de l'avocat ?

Il convient, pour protéger l'activité "habituelle" de l'avocat, et ses clients, d'opérer une stricte distinction entre les deux activités : celle de conseil et celle de fiduciaire.

Comment cela se réalise-t-il en pratique ? Pour l'exercice de son activité de fiduciaire, il est vivement conseillé à l'avocat de séparer les locaux abritant ses dossiers de conseil de ceux hébergeant ses dossiers en rapport direct avec la fiducie. A titre d'exemple, les avocats suisses, qui exercent tant l'activité de conseil que de fiduciaire, disposent souvent de deux entrées dans leurs locaux, chacune correspondant à une activité. Concernant l'informatique, certains supports doivent être dédiés à la fiducie, et ne pas entrer en interaction avec les supports utilisés pour l'activité de conseil. La comptabilité doit aussi être séparée.

Pour la correspondance de l'avocat, un papier à en-tête spécifique doit être utilisé, mentionnant sa qualité de fiduciaire, et introduisant une mention destinée à avertir le destinataire du caractère non secret de cette correspondance.
Un point de détail a retenu l'attention du CNB : si un avocat adresse à l'avocat fiduciaire un courrier, sans savoir qu'il agit en tant que fiduciaire, alors son courrier est marqué du sceau de la confidentialité.

B - L'indépendance

Il est exigé une totale transparence de la rémunération de l'avocat fiduciaire. Dans les contrats passés en application du contrat de fiducie, cette rémunération est distinguée de celle des autres intervenants.

En outre, l'avocat fiduciaire exerce sa mission dans l'intérêt du constituant, du bénéficiaire et du contrat de fiducie. Il n'est donc pas permis de se faire rétrocéder ses commissions.

C - Le conflit d'intérêts

L'avocat doit apprécier l'existence d'un conflit d'intérêts par rapport au constituant et au bénéficiaire.

Or, par exemple, il peut exister un risque de conflit d'intérêts lorsque l'avocat conseille un créancier et agit dans une fiducie à la demande du débiteur de ce créancier.

La question de l'objectif des protagonistes est donc essentielle, ainsi que celle de leurs relations avant et pendant la fiducie : quels sont leurs projets, les risques afférents, et quelles informations leur seront communiquées ?

D - La lutte contre le blanchiment

La vigilance du législateur en matière de blanchiment d'argent par le biais de fiducies est accrue. Cela explique pourquoi l'avocat doit identifier précisément les parties au contrat. Il doit se renseigner sur les bénéficiaires économiques, et contrôler leur identité avec les bénéficiaires juridiques.

E - La compétence

On sait que l'avocat fiduciaire doit s'engager à suivre une formation continue dans les domaines dans lesquels il sera amené à intervenir. Cette exigence est rassurante pour les constituants et les bénéficiaires, et permet à l'avocat d'être plus compétent et efficace dans l'exercice de son activité de fiduciaire.

F - Les incompatibilités

L'avocat ne peut pas exercer certaines professions. L'article 111 du décret du 27 novembre 1991 est clair :

"La profession d'avocat est incompatible :
a) avec toutes les activités de caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée ;
b) avec les fonctions d'associé dans une société en nom collectif, d'associé commandité dans les sociétés en commandite simple et par actions, de gérant dans une société à responsabilité limitée, de président du conseil d'administration, membre du directoire ou directeur général d'une société anonyme, de gérant d'une société civile à moins que celles-ci n'aient, sous le contrôle du conseil de l'ordre qui peut demander tous renseignements nécessaires, pour objet la gestion d'intérêts familiaux ou professionnels
".

Dans le cadre d'une fiducie, il n'est évidemment pas possible de contourner cette règle. L'avocat devra mandater des tiers pour effectuer les missions qu'il ne peut pas accomplir lui-même. C'est d'ailleurs aussi pour cela que les avocats sont sollicités dans le cadre de fiducies ; en effet, un avocat est un professionnel, qui connaît le monde des affaires et sait s'entourer d'experts compétents et efficaces.

G - Le maniement de fonds

La fiducie n'est pas conciliable avec les règles de la Carpa. Les actifs transmis à l'avocat fiduciaire ne peuvent donc pas transiter par des comptes de la Carpa. Cela explique aussi pourquoi les activités de l'avocat fiduciaire et celles de l'avocat conseil doivent faire l'objet de comptabilités séparées.

Il ne serait peut-être pas inopportun de réfléchir à un service commun pour les avocats fiduciaires mais distinct de la Carpa.

H - L'assurance de responsabilité du fiduciaire

Lorsque la fiducie a été ouverte aux avocats par la "LME", ces derniers ont souhaité mettre en avant deux atouts qui leur seraient propres : la déontologie de l'avocat et l'assurance de responsabilité du fiduciaire, distincte de la responsabilité classique de l'avocat. Cette dernière prévoit que 5 % des actifs immobiliers, et 20 % des actifs mobiliers inclus dans le contrat de fiducie se sont représentés. En réalité, cette garantie a été compliquée à mettre en place. En effet, les assureurs ont refusé d'émettre cette garantie, considérant qu'il ne s'agissait pas d'une assurance. En 2011, un décret (décret n° 2011-1319 du 18 octobre 2011, relatif à l'exercice de l'activité fiduciaire des avocats, art. 2 N° Lexbase : L1984IRW) a modifié le décret du 27 novembre 1991, afin de permettre à d'autres institutions de prendre en charge cette garantie.

Finalement, une banque a récemment accepté de proposer aux avocats fiduciaires ce type de garantie (lire Les assurances et garanties de l'avocat fiduciaire - Compte rendu de la Commission ouverte "Patrimoine et fiducie" du 9 avril 2013, Lexbase Hebdo n° 149 du 15 mai 2013 - édition Professions N° Lexbase : N7064BTS).

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Baux commerciaux

[Chronique] Chronique d'actualité jurisprudentielle en droit des baux commerciaux

Lecture: 14 min

N7930BTU

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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

Le 04 Juillet 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, une chronique de droit des baux commerciaux revenant sur les dernières décisions en la matière, réalisée par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris et Directeur scientifique de l’Ouvrage "baux commerciaux". Ce dernier a choisi de revenir sur trois arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation. Dans le premier, en date du 5 juin 2013 et promis aux honneurs du Bulletin, la Haute juridiction retient, en matière de bail dérogatoire, l'absence de conséquence de l'inaction du bailleur après la délivrance d'un congé (Cass. civ. 3, 5 juin 2013, n° 12-19.634, FS-P+B). Dans le deuxième arrêt commenté, rendu le 11 juin 2013, également publié au Bulletin, la Cour régulatrice énonce que la demande tendant à la reconnaissance du statut des baux commerciaux est soumise au délai de prescription biennale de l'article L. 145-60 du Code de commerce qui court à compter de la conclusion du contrat, même s'il a été tacitement reconduit (Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-16.103, F-P+B). Enfin, le dernier arrêt de cette chronique, rendu le 18 juin 2013, est l'occasion pour la troisième chambre civile de rappeler que lorsque la loi réduit la durée d'une prescription, la prescription réduite commence à courir, sauf disposition contraire, du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, de sorte que la demande de restitution de charges indument réglées par le preneur et relatives à un exercice antérieur à plus de cinq ans à compter de la demande de restitution ne sont pas nécessairement prescrites en application de l'ancien article 2277 du Code civil (Cass. civ. 3, 23 avril 2013, n° 11-27.798, F-D).
  • Bail dérogatoire : de l'absence de conséquence de l'inaction du bailleur après la délivrance d'un congé (Cass. civ. 3, 5 juin 2013, n° 12-19.634, FS-P+B N° Lexbase : A3320KG3)

Solution

A suffisamment manifesté sa volonté de ne pas voir le preneur rester dans les lieux et bénéficier d'un bail commercial de droit commun, le bailleur qui, avant le terme du bail, donne congé à son locataire pour cette date, la renonciation du bailleur à son droit de demander au preneur de quitter les lieux ne pouvant se déduire de son silence ou de son inaction postérieure.

Faits

En l'espèce, un bailleur avait consenti un bail dérogatoire à compter du 1er septembre 2003 pour se terminer le 30 juin 2005. Par acte du 27 mai 2005, le bailleur avait délivré congé au preneur pour le terme du bail. Le locataire était demeuré dans les lieux et après échec des négociations en vue de la conclusion d'un bail commercial de droit commun, le preneur a assigné le bailleur en reconnaissance du bénéfice d'un bail soumis au statut. Les juges du fond ayant accueilli cette demande (CA Aix-en-Provence, 24 février 2012, n° 09/23503 N° Lexbase : A2716IDX), le bailleur s'est pourvu en cassation.

Observations

Les parties à un bail soumis de plein droit au statut des baux commerciaux peuvent décider, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, de déroger aux dispositions de ce statut à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans (C. com., art. L. 145-5 N° Lexbase : L2320IBK). Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère, à compter du premier jour suivant le terme du bail dérogatoire (Cass. civ. 3, 25 novembre 1975, n° 74-13.075 N° Lexbase : A7109AGE ; Cass. civ. 3, 25 juin 2003, n° 02-12.545 N° Lexbase : A9843C83) un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux.

Le loyer du bail commercial qui se crée par l'effet de la loi à l'issue d'un ou des baux dérogatoires doit, à défaut d'accord entre les parties, être fixé au montant de la valeur locative, sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un motif de déplafonnement (Cass. civ. 3, 14 décembre 2005, n° 05-12.587, FS-P+B+I N° Lexbase : A9536DLR ; Cass. civ. 3, 5 février 2008, n° 06-21.999, F-D N° Lexbase : A7241D4X).

Le bailleur peut également se prévaloir de la création d'un bail commercial à l'issue d'un bail dérogatoire (Cass. civ. 3, 24 novembre 2004, n° 03-12.605, FS-P+B N° Lexbase : A0339DEB). Si, en revanche, il souhaite s'opposer à la création d'un tel bail, il lui appartient de manifester, avant le terme convenu (Cass. civ. 3, 24 novembre 1999, n° 96-13.484 N° Lexbase : A8637AHD), sa volonté de ne pas poursuivre sa relation contractuelle avec le locataire (Cass. civ. 3, 4 mai 2010, n° 09-11.840, F-D N° Lexbase : A0732EXE), aucune clause du bail ne pouvant avoir pour effet de dispenser le bailleur de faire connaître au preneur son opposition à son maintien dans les lieux en cours d'exécution du bail (Cass. civ. 3, 4 mai 2010, n° 09-11.840, préc.). La preuve de la volonté de ne pas voir le preneur laisser en possession des lieux incombe alors au bailleur (Cass. civ. 3, 27 juin 1990, n° 88-16.424 N° Lexbase : A7841AGI).

Dans l'arrêt rapporté, le bailleur avait, au regard de cette jurisprudence, effectué les diligences nécessaires pour faire obstacle à la création d'un bail commercial puisqu'il avait manifesté sa volonté de voir le preneur partir en lui délivrant un congé antérieurement au terme du bail dérogatoire pour cette dernière date. Toutefois, un délai de plus de vingt mois s'était écoulé entre la fin des pourparlers entre les parties sur la conclusion d'un nouveau bail et la date à laquelle le bailleur avait été assigné par le preneur. Ce dernier prétendait, en conséquence, que cette inaction était constitutive d'un accord tacite du bailleur sur son maintien dans les lieux.

La Cour de cassation rejette cette argumentation en précisant que "la renonciation à un droit ne se déduit pas de la seule inaction ou du silence de son titulaire". Il est, en effet, de jurisprudence constante que la renonciation à un droit, si elle peut être tacite, ne doit pas être équivoque (voir, par exemple, Cass. civ. 1, 29 mai 2013, n° 12-17.952, F-D N° Lexbase : A9512KEZ ; Cass. civ. 3, 23 novembre 2010, n° 09-68.685, F-D N° Lexbase : A7579GLB). L'inaction du bailleur est équivoque car il paraît difficile d'y voir avec certitude l'expression d'une volonté de renoncer au congé préalablement notifié.

Dans une espèce similaire cependant, la Cour de cassation, dans un arrêt inédit, avait approuvé les juges du fond qui avaient jugé qu'un nouveau bail soumis au statut s'était créé à l'issue d'un bail dérogatoire, alors même que le bailleur avait, par deux lettres adressées au preneur avant le terme du dernier en date des baux dérogatoires, manifesté une opposition de principe au maintien dans les lieux du preneur et annoncé différentes diligences aux fins d'une reprise des locaux à ce terme (Cass. civ. 3, 28 juin 2011, n° 10-19.236, F-D N° Lexbase : A6413HU3). Les faits ayant donné lieu à cette décision justifiaient, peut-être, cette solution, la Cour de cassation ayant relevé que le bailleur souhaitait, en réalité, amener le preneur à un accord sur les modalités d'une poursuite de leurs relations contractuelles et qu'il n'avait, d'ailleurs, accompli aucune des diligences annoncées.

Il semblerait, en conséquence, que si l'inaction ou le silence du bailleur ne peut à elle seule, si un congé a été notifié avant la fin du bail, valoir renonciation du bailleur à ce congé, il n'est pas exclu, en fonction des raisons motivant cette inaction, qu'elle puisse être considérée comme valant accord du bailleur sur le maintien dans les lieux du preneur. La prudence impose donc au bailleur de solliciter rapidement le départ du preneur après le terme du bail.

  • Sur la prescription de l'action en requalification d'un contrat de location-gérance (Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-16.103, F-P+B N° Lexbase : A5785KGD)

Solution

La demande tendant à la reconnaissance du statut des baux commerciaux est soumise au délai de prescription biennale de l'article L. 145-60 du Code de commerce (N° Lexbase : L8519AID) qui court à compter de la conclusion du contrat, même s'il a été tacitement reconduit.

Faits

Par contrat d'une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, une société avait donné son fonds de commerce, dépendant de locaux indivis, en location-gérance. Estimant que le contrat était, en réalité, un bail commercial, le "locataire-gérant" avait fait assigner les propriétaires et le "loueur" pour obtenir sa requalification. Les juges du fond ayant considéré que sa demande était irrecevable, comme prescrite en application de l'article L. 145-60 du Code de commerce (CA Bordeaux, 2ème ch., 14 novembre 2011, n° 08/04737 N° Lexbase : A9038IR8), il s'est pourvu en cassation.

Observations

1 - Sur le principe de la requalification d'un contrat de location-gérance en bail commercial

Le contrat de location-gérance est une convention par laquelle le propriétaire ou l'exploitant d'un fonds de commerce ou d'un établissement artisanal en concède totalement ou partiellement la location à un gérant qui l'exploite à ses risques et périls (C. com., art. L. 144-1 N° Lexbase : L5716AIK). Le bail commercial se distingue du contrat de location-gérance en ce que l'objet du premier est constitué d' "un immeuble bâti", tandis que le second porte sur un fonds de commerce, "bien meuble incorporel" (Cass. com., 16 février 1993, n° 91-13.277 N° Lexbase : A5618ABP). Le contrat de location-gérance ne peut, en principe, être qualifié de sous-location, dès lors "la jouissance des locaux n'est que la conséquence accessoire et nécessaire" (Cass. civ. 3, 19 mars 2008, n° 07-11.805, FS-P+B N° Lexbase : A4905D7S).

Le statut des baux commerciaux, applicable aux baux portant sur un immeuble dans lequel est exploité un fonds appartenant au preneur, n'est donc pas en principe applicable au contrat de location-gérance, le locataire-gérant n'étant pas propriétaire du fonds de commerce (Cass. com., 21 mars 1995, n° 93-11.868 N° Lexbase : A1118ABZ).

Toutefois, si aucun fonds de commerce n'est en réalité donné à bail, le contrat de location-gérance pourra être requalifié de bail commercial (Cass. civ. 3, 17 juin 1975, n° 74-10.605 N° Lexbase : A7098AGY). A ainsi pu être qualifié de sous-location le contrat dénommé "contrat de location-gérance" qui ne portait en réalité "ni sur la clientèle du magasin, ni sur les éléments corporels de ce fonds de commerce, ni sur le nom commercial" (Cass. civ. 3, 10 mai 2001, n° 99-18.235, inédit N° Lexbase : A3972ATB).

Dans l'arrêt rapporté, le "locataire-gérant" avait assigné les propriétaires indivis, puis le "loueur" afin de voir requalifier le contrat dénommé "location-gérance" en bail commercial. La cour d'appel avait rejeté sa demande, non en tant qu'elle était mal fondée, mais en raison de son irrecevabilité du fait d'une prescription.

2 - Sur la prescription de l'action en requalification

Les actions exercées en vertu du chapitre V du Code de commerce, relatif aux baux commerciaux, se prescrivent par deux ans (C. com., art. L. 145-60 N° Lexbase : L8519AID).

Il peut être soutenu que l'action tendant à voir restituer à un contrat dénommé "location-gérance" sa véritable qualification de bail commercial est une action qui repose sur l'application des articles L. 145-1 (N° Lexbase : L2327IBS) ou L. 145-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5741ISG) qui déterminent le champ d'application du statut des baux commerciaux.

Elle serait, en conséquence, soumise au délai de prescription de l'article L. 145-60 du Code de commerce. C'est en ce sens que s'est prononcée la Cour de cassation dans un arrêt du 29 octobre 2008 (Cass. civ. 3, 29 octobre 2008, n° 07-16.185, FS-D N° Lexbase : A0591EBI). Dans l'espèce ayant donné lieu à cette décision, les parties avaient signé deux baux dérogatoires (C. com., art. L. 145-5 N° Lexbase : L2320IBK) successifs puis, aux termes du second, un contrat de location-gérance. Le "loueur" avait ensuite notifié un congé au "locataire-gérant" puis assigné ce dernier en expulsion. Le "locataire-gérant" avait reconventionnellement sollicité la requalification du contrat de "location-gérance" en bail commercial. La Cour de cassation l'avait débouté de sa demande au motif qu'elle était prescrite dans la mesure où elle avait été formée plus de deux ans après la date d'effet du contrat.

A propos de la requalification en bail commercial d'un contrat dénommé par les parties "bail professionnel", la Cour de cassation a expressément précisé que la demande de requalification du preneur (formée par voie d'action), en vertu de l'article L. 145-2, 1° du Code de commerce était prescrite dès lors que l'action avait été engagée plus de deux ans après la date de signature et d'effet du contrat (Cass. civ. 3, 23 novembre 2011, n° 10-24.163, FS-P+B N° Lexbase : A0082H3G ; cf. nos obs. in Chronique d'actualité de droit des baux commerciaux, Lexbase Hebdo n° 278 du 5 janvier 2012 - édition affaires N° Lexbase : N9511BS3).

Cette solution n'est pas exempte de critiques.

La question se pose en effet de savoir si l'action en requalification s'exerce réellement sur le fondement d'une disposition du statut des baux commerciaux et s'il peut être admis de retenir la date de signature ou d'effet de la convention litigieuse alors que certains droits, au demeurant d'ordre public, dont le droit au renouvellement, ne naîtront que postérieurement (voir notamment, P.-H. Brault, Loyers et copr., 2012, étude n° 11 et J. Monéger, AJDI, 2012, p. 266).

La solution a pourtant été ensuite réaffirmée expressément à propos d'un contrat qualifié de "location-gérance" par un arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 2013 (Cass. civ. 3, 22 janvier 2013, n° 11-22.984, F-D N° Lexbase : A8768I37). Les parties avaient signé un contrat de location-gérance que le "loueur" avait dénoncé pour son terme contractuel. Le "locataire-gérant" l'avait alors assigné "en requalification de contrat en bail commercial". Les juges du fond, approuvé par la Cour de cassation, avaient jugé cette demande irrecevable en tant que prescrite, au motif que "la demande tendant à la reconnaissance du statut des baux commerciaux est soumise à la prescription biennale et que le délai court à compter de la conclusion du contrat". La Haute cour avait relevé que cette prescription était encourue dans la mesure où l'existence d'un contrat postérieur entre les parties (par l'effet d'une tacite reconduction selon le premier moyen annexé à l'arrêt) n'était pas établie.

Toujours à propos de la requalification d'un contrat de location-gérance, l'arrêt rapporté du 11 juin 2013 rappelle cette règle : "la demande qui tend à la reconnaissance du statut des baux commerciaux est soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du Code de commerce et ce délai court à compter de la conclusion du contrat". Le preneur agissait, en l'espèce, par voie d'action.

La Cour de cassation rejette également l'argument du "crédit-preneur", qui consistait à soutenir que le délai de prescription ne devait pas courir à compter de la conclusion du contrat initial, mais de sa dernière reconduction tacite. D'un point de vue logique, l'argument était en effet discutable car contradictoire avec la demande de requalification en bail commercial qui aurait conduit, si elle avait été accueillie, à rejeter toute tacite reconduction avant l'expiration d'une durée de neuf ans (C. com., art. L. 145-12 N° Lexbase : L5733IS7).

La question se pose de savoir si la soumission de l'action en requalification d'un contrat de location-gérance en bail commercial ne devrait pas être écartée dans deux hypothèses. Celle, tout d'abord, d'une fraude aux droits du preneur. Il pourrait être, en effet, refusé au bailleur de se prévaloir de la prescription qui a couru contre le preneur, à titre de sanction d'une fraude (cf., Cass. civ. 3, 8 avril 2010, n° 08-70.338, FS-P+B N° Lexbase : A5821EU7, qui précise que la fraude commise lors de la conclusion de baux dérogatoires successifs interdit au bailleur de se prévaloir de la renonciation du preneur au droit à la propriété commerciale ; cf. nos obs. De la fraude en matière de bail dérogatoire, Lexbase Hebdo n° 392 du 22 avril 2010 - édition privée N° Lexbase : N9499BN7). Celle, ensuite, où le preneur invoquerait à son profit, et à titre d'exception, l'existence d'un bail commercial pour s'opposer à une demande contraire du bailleur en vertu de l'adage "quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipendium" (voir, à propos d'une demande du preneur tendant à voir reconnaître à son profit un bail commercial à l'issue d'un bail dérogatoire : Cass. civ. 3, 1er juin 1994, n° 92-12.186, N° Lexbase : A8034CKR).

  • Sur l'application dans le temps des anciennes dispositions de l'article 2277 du Code civil (Cass. civ. 3, 18 juin 2013, n° 11-28.466, F-D (N° Lexbase : A2044KH8)

Solution

Lorsque la loi réduit la durée d'une prescription, la prescription réduite commence à courir, sauf disposition contraire, du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. En conséquence, la demande de restitution de charges indument réglées par le preneur et relatives à un exercice antérieur à plus de cinq ans à compter de la demande de restitution ne sont pas nécessairement prescrites en application de l'ancien article 2277 du Code civil (N° Lexbase : L2564ABL).

Faits

En l'espèce, le propriétaire d'un local commercial donné à bail, après avoir délivré au preneur un commandement visant la clause résolutoire, l'a assigné en résiliation de bail, expulsion et paiement d'une indemnité d'occupation. A titre reconventionnel, le preneur a demandé l'annulation du commandement et la restitution de loyers et charges indûment versés. Les juges du fond ayant jugé cette demande comme prescrite (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 5 octobre 2011, n° 09/24741 N° Lexbase : A1963H7T), le preneur s'est pourvu en cassation.

Observations

L'article 2277 du Code civil (N° Lexbase : L2564ABL), avant sa modification par la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49), disposait que : "se prescrivent par cinq ans les actions en paiement :
Des salaires ;
Des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires ;
Des loyers et des fermages ;
Des intérêts des sommes prêtées,
et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts
".

La Cour de cassation avait précisé que "si l'action en paiement de charges locatives, accessoires aux loyers, se prescrit par cinq ans, l'action en répétition des sommes indûment versées au titre de ces charges, qui relève du régime spécifique des quasi-contrats, n'est pas soumise à la prescription abrégée de l'article 2277 du Code civil" (Cass. mixte, 12 avril 2002, n° 00-18.529, publié N° Lexbase : A0398AZR).

La loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale, en complétant l'article 2277 du Code civil (N° Lexbase : L5385G7L), a expressément soumis à la prescription quinquennale "les actions en répétition des loyers, des fermages et des charges locatives".

Dans l'arrêt rapporté, la cour d'appel avait considéré que la demande de restitution d'un trop-versé de charges formée le 24 mars 2006 ne pouvait concerner des charges relatives à l'exercice 1999 exigible à compter du 1er janvier 2000 compte tenu d'une prescription.

La Cour de cassation censure cette solution en rappelant que "lorsque la loi réduit la durée d'une prescription, la prescription réduite commence à courir, sauf disposition contraire, du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure" (cf., dans le même sens, Cass. civ. 3, 21 janvier 2009, n° 07-18.533, FS-P+B N° Lexbase : A6380ECB).

La loi du 18 janvier 2005 devant être considérée comme ayant réduit le délai de prescription, dès lors qu'avant son entrée en vigueur, le délai de prescription, tel qu'appréhendé par la jurisprudence, était de droit commun, soit trente ans, le nouveau délai de cinq ans devait courir à compter de l'entrée en vigueur de cette loi sans que la durée total excède trente ans.

En conséquence, même si l'année 1999 était prise en considération, le délai de prescription de l'action relative à la restitution de charges n'aurait dû expirer sous l'empire de la loi ancienne que trente ans plus tard. L'entrée en vigueur de la loi nouvelle a réduit ce délai à cinq ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 18 janvier 2005, dans la mesure où plus de cinq ans restaient à courir sur la base de l'ancien délai. La demande formée en 2006, interruptive de prescription, pouvait donc valablement concerner des charges antérieures de plus de cinq ans à cette demande.

Il doit être rappelé que l'article 2277 du Code civil a été abrogé par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile et que, désormais, le délai de cinq ans est le délai de prescription de droit commun des actions personnelles et mobilières (C. civ., art. 2244 N° Lexbase : L7184IAC).

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Social général

[Textes] Commentaire de l'article 1er de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi sur la généralisation de la couverture santé, la fin des clauses de désignation et la réforme de la portabilité

Réf. : Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU)

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N7808BTD

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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Rennes 1 (IODE - UMR CNRS 6262)

Le 09 Juillet 2013

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU), publiée au Journal officiel du 16 juin 2013, contient de nombreuses dispositions intéressant tant la protection sociale que la formation professionnelle, les relations collectives, la mobilité du salarié, le licenciement économique ou encore le temps de travail ou la conciliation prud'homale. Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose de revenir, avec Marion Del Sol, sur l'article 1er énonçant de nouvelles règles en matière de généralisation de la couverture "frais de santé", la nouvelle impossibilité d'introduire des clauses de désignation et, enfin, la réforme de la portabilité. Les accords de maintien dans l'emploi vont, peut-être, faire entrer le droit du travail dans une nouvelle ère. Et, pourtant, ce ne sont pas les dispositions que la loi de sécurisation de l'emploi, consacre à ces accords qui ont été déférées au Conseil constitutionnel. Le contrôle des Sages a, en effet, porté pour l'essentiel sur l'article 1er de la loi, c'est-à-dire sur les dispositions organisant le processus de généralisation de la couverture santé au bénéfice des salariés et, plus précisément, sur la question de la constitutionnalité des clauses conventionnelles de désignation des organismes assureurs. L'attente de la décision du Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2013-672 DC, du 13 juin 2013, loi relative à la sécurisation de l'emploi N° Lexbase : A4712KGM) a tenu en haleine les acteurs de la protection sociale complémentaire, tout particulièrement les institutions paritaires de prévoyance très présentes sur le marché de la couverture collective. L'annonce de la décision a, quant à elle, fait l'effet d'une onde de choc dans ce "Landerneau" car la déclaration d'inconstitutionnalité des clauses de désignation de branche "rebat les cartes" entre les organismes assureurs à l'heure où les parts de marché vont, substantiellement, augmenter sous l'effet de la généralisation de la couverture santé, puis de la prévoyance.

Cet article se propose d'analyser les principales dispositions contenues dans l'article 1er de la loi du 14 juin 2013. Dans un premier temps, il s'intéressera au processus, aux modalités et à l'encadrement de la généralisation de la couverture santé des salariés qui constituent le coeur de cet article dont l'objet, ne l'oublions pas, est d'instituer de nouveaux droits pour les salariés. Dans un second temps, il portera le regard sur les évolutions du dispositif de la portabilité qui ont l'ambition de rendre pleinement effectif cet outil de sécurisation des parcours dont l'origine conventionnelle remonte à 2008.

I - Processus, modalités et encadrement de la généralisation de la couverture santé des salariés

Afin de créer de nouveaux droits pour les salariés, l'article 1er de la loi du 14 juin 2013 prévoit des dispositions devant permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d'une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de "frais de santé" d'accéder à une telle couverture à l'horizon de 2016. Pour y parvenir, le législateur donne une sorte de priorité à la négociation collective. Mais il fait, en même temps, le choix d'encadrer la généralisation tant dans son contenu que dans sa mise en oeuvre... sans oublier que le Conseil constitutionnel s'est quant à lui chargé d'ouvrir la concurrence.

A - Une généralisation encadrée dans son contenu

Bien que les modalités d'instauration de la couverture santé puissent varier d'une branche à l'autre, voire d'une entreprise à l'autre, les pouvoirs publics ont, manifestement, souhaité éviter que la généralisation se fasse au rabais. A cet effet, le nouvel article L. 911-7 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0435IXE), créé par l'article 1er-II de la loi, fixe les exigences qui s'imposent a minima aux négociateurs de branche, d'entreprise et aux employeurs. Ces exigences sont au nombre de trois.

Les contrats conclus avec l'organisme assureur doivent satisfaire aux conditions des contrats "solidaires et responsables". Ce qui n'était jusqu'à présent qu'une condition pour le bénéfice d'un traitement fiscal et social de faveur devient, désormais, une exigence légale. Pour rappel, cela signifie, d'une part, que les contrats doivent être conformes aux conditions posées à l'article 1001 2° bis du Code général des impôts (N° Lexbase : L1296IRG) et donc ne pas fixer des cotisations en fonction de l'état de santé des assurés. Cela emporte, d'autre part, que les conditions de prise en charge prévues à l'article L. 871-1 du Code de la Sécurité sociale ([LXB=L. 871-1]) soient respectées, ce qui rend le contrat "responsable" au sens de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004, relative à l'assurance maladie (N° Lexbase : L0836GT7).

Les contrats doivent garantir une couverture minimale. Le nouvel article L. 911-7 du Code de la Sécurité sociale fait référence à une sorte de "panier" minimal de garanties dont tous les salariés couverts devront bénéficier, que ce soit dans un cadre négocié ou par décision unilatérale. La couverture minimale devra comprendre une prise en charge totale ou partielle du ticket modérateur au titre des prestations en nature de l'assurance maladie, du forfait journalier hospitalier et des frais exposés au-delà des tarifs de responsabilité pour des soins dentaires prothétiques ou d'orthopédie dentofaciale et pour certains dispositifs médicaux à usage individuel admis au remboursement.

La loi détermine en quelque sorte le paramétrage de la couverture minimale : en premier lieu, elle fixe une liste de garanties ou de prestations ; en second lieu, elle impose un niveau plancher pour ces garanties. Toutefois, il n'est pas possible à l'heure actuelle de mesurer la qualité de cette couverture minimale. En effet, la loi renvoie à un décret à paraître le soin de fixer la liste des dispositifs médicaux compris dans le "panier" ainsi que le niveau de la prise en charge des garanties (1). Il va sans dire que ce texte réglementaire donnera le "la" des ambitions des pouvoirs publics et, par voie de conséquence, du coût de la généralisation pour les entreprises et les salariés.

Les dispositions réglementaires à venir constitueront le curseur des négociations de branche et d'entreprise. Il conviendra de les mettre en perspective avec les couvertures professionnelles déjà existantes -souvent de bonne qualité (2)- mais aussi avec le dispositif de la CMU complémentaire dans le cadre individuel. Il importera surtout de regarder attentivement les effets induits de ce "panier" minimal afin de savoir s'il va contribuer à tirer vers le haut la généralisation ou, au contraire, à rendre globalement moins généreuses les prises en charge d'origine professionnelle, y compris pour les salariés déjà couverts aujourd'hui.

Le financement de la couverture doit être assuré au moins à 50 % par l'employeur (3). Ce seuil de 50 % ne surprend guère puisqu'il est assez proche des pratiques observées. Les termes de l'article L. 911-7 du Code de la Sécurité sociale laissent cependant planer une incertitude. En effet, l'alinéa 4 du point II précise que "l'employeur assure au minimum la moitié de cette couverture". Cela renvoie à la couverture minimale précédemment décrite aux alinéas 1 à 3.

En conséquence, lorsque la couverture instituée est plus avantageuse que la couverture minimale, la clé de répartition du financement pourrait être différente et ne pas faire peser sur l'employeur au moins la moitié du coût. Plus exactement, il y aurait lieu de distinguer la part de financement représentative de la couverture minimale, pour laquelle la contrainte légale devra être respectée, et le financement correspondant à la part de la couverture qui excède les minima pour lequel la clé de répartition pourrait être librement déterminée... ce qui peut être un enjeu de négociation.

B - Un processus de généralisation partiellement orienté par le législateur

Si la généralisation d'une couverture "prévoyance" est d'ores et déjà envisagée (4), l'objectif est, dans un premier temps, de généraliser la couverture complémentaire des frais de santé des salariés à échéance du 1er janvier 2016. À cet effet, la loi reprend le dispositif à tiroirs prévu par l'ANI.

Négociations de branche. Le premier "tiroir" oblige les négociateurs de branche à se saisir de cet objet de négociation dès à présent. Bien évidemment, sont concernées les branches dans lesquelles ne préexiste pas un accord instituant un régime "frais de santé" (5) ; s'y ajoutent les branches dans lesquelles le régime institué n'est pas, en termes de garanties et de financement, au moins aussi favorable que le cadre minimal applicable par défaut (v. supra).

La négociation doit, nécessairement, conduire les partenaires sociaux à discuter du niveau de générosité de la couverture puisqu'il leur est enjoint de faire porter les discussions sur la définition du contenu et du niveau des garanties ainsi que sur la répartition de la charge des cotisations entre employeur et salariés (6). Mais il peut, également, s'agir pour eux de s'interroger sur leurs ambitions : négocier des garanties ou instaurer un véritable régime "frais de santé". En effet, l'article 1er précise que, le cas échéant, la négociation peut porter sur "les modalités selon lesquelles des contributions peuvent être affectées au financement de l'objectif de solidarité, notamment pour l'action sociale et la constitution de droits non contributifs".

Mais l'impossibilité d'accorder, désormais, un monopole de gestion à un assureur (v. infra) peut faire fortement douter que des éléments de solidarité seront négociés car on voit mal comment des assureurs n'ayant qu'une part de marché pourront individuellement assumer le coût induit de la solidarité. L'inconstitutionnalité des clauses de désignation conduit, également, à douter que les branches s'engagent résolument dans la détermination d'un contrat de référence dont la tarification serait renvoyée à la discussion contractuelle de gré à gré entre chaque entreprise de la branche et l'assureur choisi par celle-ci (7).

Négociations d'entreprise. Le deuxième "tiroir" a vocation à être ouvert par les entreprises relevant de branches n'ayant pas réussi, avant le 1er juillet 2014, à conclure un accord ou encore dans lesquelles le régime préexistant n'est pas, en termes de garanties et de financement, au moins aussi favorable que le cadre minimal qui sera applicable par défaut. Cette obligation de négocier ne concerne, toutefois, que les entreprises où a été désigné un délégué syndical.

La situation ainsi créée se trouve en contradiction avec la liberté de choix du mode opératoire prévu par l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2615HIP) pour instituer un dispositif de protection sociale complémentaire au niveau "entreprise". Ce texte laisse, en effet, à l'employeur toute latitude pour décider de recourir à un accord collectif, un processus référendaire ou une décision unilatérale. Or, avec l'article 1er II-B de la loi, les entreprises où existe un délégué syndical sont tenues d'une obligation de négociation ; priorité est donc donnée à une mise en place par voie négociée... même s'il ne s'agit que d'une obligation de moyens.

Recours par défaut à la décision unilatérale. Le troisième "tiroir" s'imposera aux entreprises n'étant pas parvenues, au 1er janvier 2016, à instituer par la voie négociée une couverture des frais de santé pour leurs salariés. Dans cette hypothèse, par décision unilatérale, l'employeur devra faire bénéficier les salariés de son entreprise d'une couverture au moins aussi favorable que la couverture minimale dont les caractéristiques seront définies, prochainement, par voie réglementaire (CSS, art. L. 911-7 I).

De nouveau, on est surpris qu'aucune articulation n'ait été pensée avec les dispositions de l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale. Ainsi, aucune place n'est faite à la ratification, à la majorité des intéressés, d'un projet d'accord proposé par le chef d'entreprise (ou accord référendaire). Ce silence de la loi du 14 juin 2013 ne condamne pas, à notre sens, le recours au référendum. Sa dimension consensuelle et collective présente, d'ailleurs, des atouts que ne possède pas la décision unilatérale. Cependant, dans le nouveau cadre légal, en cas d'échec du référendum, le processus de généralisation suivra son cours avec l'adoption par l'employeur d'une décision unilatérale.

On pourrait, dès lors, objecter que, au final, référendum ou pas, cela ne change rien au résultat. Ce serait oublier le jeu de l'article 11 de la loi "Evin" (loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques N° Lexbase : L5011E4D) dont l'article L. 911-7 prend soin de préciser qu'il doit être respecté lorsque le bénéfice de la couverture résulte d'une décision unilatérale. En application de ce texte, tout salarié présent dans l'entreprise au moment où cette décision intervient "ne peut être contraint à cotiser contre son gré à ce système". Lui est, ainsi, reconnu le droit de refuser la couverture d'entreprise lorsqu'une quote-part de financement est mise à sa charge. Autrement dit, le mode opératoire utilisé ne sera pas neutre sur l'effectivité de la généralisation ; si l'effet obligatoire et général tant de l'accord collectif que de l'accord référendaire n'ouvre pas de "droit individuel de sortie", il n'en va pas de même de la décision unilatérale. On peut se demander si, notamment dans les petites entreprises, un risque d'instrumentalisation de l'article 11 n'est pas à craindre, l'employeur pouvant être tenté de "conseiller" aux salariés couverts en individuel de renoncer au bénéfice de la couverture professionnelle et ce afin d'alléger le coût que celle-ci représente pour lui.

Quoiqu'il en soit, en cas de décision unilatérale, l'article L. 911-7 prescrit à l'employeur d'informer les salariés concernés de cette décision (8). Eu égard à l'article 11 de la loi "Evin", il est nécessaire d'aller plus loin et d'organiser une procédure permettant de recueillir par écrit le choix de chaque salarié de cotiser ou non. Le formalisme s'en trouve alourdi mais est gage de sécurité juridique pour l'entreprise (9).

C - Une généralisation ouverte à la concurrence

Au niveau de la branche, la loi prescrit aux partenaires sociaux de négocier sur "les modalités de choix de l'assureur". Cependant, sur cette question, dire que la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013 a rebattu les cartes constitue un doux euphémisme, certains commentateurs n'hésitant pas à recourir à des métaphores guerrières pour évoquer l'onde de choc représentée par l'invalidation du dispositif de la désignation (10).

Quelques éléments de contexte. La loi du 8 août 1994 (11) avait reconnu aux partenaires sociaux la possibilité d'insérer des clauses de désignation en application desquelles les entreprises de la branche étaient tenues de souscrire le contrat de groupe auprès de l'organisme assureur désigné. Parfois même, en présence d'une clause de migration "impérative", elles pouvaient être obligées de changer d'assureur.

La validité de ces clauses au regard du droit de la concurrence a été très largement discutée avec en point d'orgue très récent l'affaire "AG2R". Sans revenir sur l'ensemble de ce contentieux (européen et national) trouvant sa source dans la désignation d'AG2R dans la branche de la boulangerie artisanale, il convient juste de rappeler que la Cour de cassation a considéré, d'une part, que l'obligation d'adhérer à l'organisme assureur désigné par les partenaires sociaux de la branche "revêt un caractère d'ordre public" et, d'autre part, que "l'adaptation en matière de garantie de niveau équivalent consiste nécessairement dans la mise en conformité de l'accord d'entreprise avec l'accord professionnel ou interprofessionnel de mutualisation des risques imposant l'adhésion de l'entreprise au régime géré par l'institution désigné par celui-ci" (validation des clauses de migration "impérative") (12).

Pour autant, l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2620HIU) qui ouvre, à certains conditions (notamment réexamen périodique), la voie aux clauses de désignation a été mis sur la sellette à l'occasion des négociations de l'ANI du 11 janvier 2013. En effet, l'article 1er de l'ANI a précisé que, dans le cadre des futurs accords de branche, "les partenaires sociaux [...] laisseront aux entreprises la liberté de retenir le ou les organismes assureurs de leur choix", éventuellement en guidant ce choix par une simple recommandation.

En arrière-plan, était pointée du doigt l'opacité de certaines pratiques de désignation bénéficiant massivement aux institutions paritaires de prévoyance. Ce quasi monopole de fait des institutions paritaires donnait lieu à de nombreuses critiques, spécialement de la part des autres organismes assureurs présents sur le marché de la protection sociale complémentaire (sociétés d'assurance et mutuelle) et des intermédiaires d'assurance. A l'occasion du processus de généralisation de la couverture santé des salariés, certaines de ces critiques avaient conduit une association de courtiers d'assurance (13), à saisir l'Autorité de la concurrence. Alors que le projet de loi de "transcription" législative de l'ANI était en cours de discussion au Parlement, celle-ci a rendu un avis le 29 mars 2013, relatif aux effets sur la concurrence de la généralisation de la couverture complémentaire collective des salariés (14).

Dans cet avis, l'Autorité de la concurrence formule des préconisations "destinées à restreindre l'atteinte à la concurrence que pourrait causer la généralisation de ces désignations dans un tel contexte". En particulier, elle invite à faire primer la liberté de choix de l'employeur, ce que permettrait une recommandation de branche encadrée (15). S'agissant de la désignation, l'Autorité affirme qu'elle constitue "la modalité la moins favorable au dynamisme de la concurrence" et qu'il ne devrait y être recouru que de façon très exceptionnelle et sous réserve qu'il y ait co-désignation d'organismes relevant de familles différentes.

Pourtant, le Parlement a fait fi des termes de l'ANI et de l'avis de l'Autorité de la concurrence en maintenant, dans la loi définitivement adoptée le 14 mai, le dispositif des clauses de désignation et en se contentant d'ajouter un alinéa à l'article L. 912-1 afin d'instituer une procédure transparente de mise en concurrence en cas de recours par les négociateurs de branche aux clauses de désignation (16). Ces dispositions ont, alors, fait l'objet d'un recours constitutionnel contestant la conformité à la Constitution de certaines dispositions de l'article 1er de la loi ainsi que celles de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale (y compris l'alinéa ajouté), recours dont l'issue était fébrilement attendue par tous les opérateurs d'assurance, tout spécialement les institutions paritaires.

La décision d'inconstitutionnalité des clauses de désignation et de migration. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé le 13 juin (17). Il conclut à l'inconstitutionnalité de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale par un raisonnement en trois temps.

En premier lieu, les Sages soulignent que le mécanisme des clauses de désignation et de migration peut conduire à imposer à des entreprises le prix, les modalités de la protection sociale complémentaire et le choix de l'assureur, ce qui porte a priori atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui ont valeur constitutionnelle (18). Puis, ils précisent que de telles atteintes peuvent être prévues par le législateur dans un but d'intérêt général dont relève la recherche d'une mutualisation des risques, à condition cependant que l'atteinte soit proportionnée au regard de l'objectif poursuivi de mutualisation des risques. Confrontant les clauses de désignation à cette "grille de lecture", ils en concluent que ce n'est pas le cas si l'entreprise est liée avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini. En conséquence, ils affirment que les dispositions du premier alinéa (clause de désignation) et du second alinéa (clause de migration) de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale méconnaissent la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre.

La décision déclare l'ensemble de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale inconstitutionnel. Le dispositif des clauses de désignation et de migration est donc supprimé avec une prise d'effet immédiate. Le recours aux clauses de désignation est, désormais, impossible pour toutes les opérations de protection sociale complémentaire : couverture santé, prévoyance, retraite. La généralisation de la couverture santé, puis ultérieurement de la prévoyance, va donc se réaliser dans un cadre concurrentiel réaménagé puisque les accords de branche ne peuvent plus contraindre les entreprises à contracter avec un organisme désigné par eux ni à migrer vers celui-ci. Le tonnerre est donc tombé sur les institutions paritaires !

Les questions en suspens. La décision du Conseil constitutionnel laisse, cependant, deux questions en suspens. La première, classique mais aux implications pratiques redoutables pour les organismes désignés, concerne l'application dans le temps de cette décision. En effet, le considérant 14 précise que la déclaration d'inconstitutionnalité n'est pas applicable aux contrats en cours pris sur le fondement de l'article L. 912-1 et liant les entreprises à un organisme d'assurance désigné. Quant au propre commentaire du Conseil constitutionnel sur sa décision, il mentionne que "les conventions déjà conclues continueront de produire leurs effets jusqu'à leur terme normal". On ne sait donc pas de façon certaine si la décision du 13 juin permet aux entreprises d'exercer dès à présent leur faculté de résiliation annuelle du contrat souscrit auprès de l'assureur désigné, ou si ces entreprises restent engagées avec cet organisme jusqu'au terme de la clause de désignation (19), ce qui suppose alors d'admettre que ces clauses peuvent perdurer temporairement malgré la déclaration d'inconstitutionnalité. Or, l'enjeu est considérable puisque, de la réponse apportée dépend le "respect des équilibres techniques des organismes désignés, que l'exode [massif et quasi immédiat d'entreprises adhérentes vers le marché concurrentiel] risquerait de mettre à mal" (20).

La seconde incertitude induite par la décision du Conseil constitutionnel concerne les marges de manoeuvre restantes pour les partenaires sociaux de branche. En effet, dans le considérant 11, les Sages admettent que le législateur puisse porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle dans le but de mutualisation des risques, "notamment en prévoyant que soit recommandé au niveau de la branche un seul organisme de prévoyance proposant un contrat de référence y compris à un tarif d'assurance donné ou en offrant la possibilité que soient désignés au niveau de la branche plusieurs organismes de prévoyance proposant au moins de tels contrats de référence". Si le recours à une simple recommandation peut s'envisager, dès à présent, sans modification législative, car elle préserve la liberté contractuelle des entreprises de la branche, il n'en va sans doute pas de même de la co-désignation. A notre sens, un encadrement législatif est nécessaire qui pourrait s'inspirer utilement des préconisations émises par l'Autorité de la concurrence dans son avis du 29 mars dernier.

II - Légalisation et réforme du dispositif de la portabilité

La généralisation de la couverture santé et la disparition des clauses de désignation ont été sous les feux de la rampe et ont laissé quelque peu dans l'ombre la légalisation du dispositif de la portabilité qui se matérialise par l'insertion dans le Code de la Sécurité sociale d'un nouvel article L. 911-8 (N° Lexbase : L0437IXH). Mais, par comparaison avec le cadre conventionnel antérieur, il importe de souligner que cette légalisation ne se réalise pas à droit constant. En effet, la loi du 14 juin 2013 modifie, opportunément nous semble-t-il, le régime conventionnel.

A - Les effets de la légalisation du dispositif de la portabilité

Jusqu'à présent, la portabilité des couvertures complémentaires santé et prévoyance était organisée dans un cadre conventionnel issu de l'ANI du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail (21). La création, par l'article 1er II de la loi du 14 juin 2013, de l'article L. 911-8 du Code de la sécurité légale, lui confère, désormais, une assise légale. Par voie de conséquence, ce dispositif est généralisé alors que son champ antérieur d'application, quoique large, n'en était pas moins limité. En effet, étaient exclus du bénéfice de la portabilité les salariés des entreprises relevant de secteurs d'activité non couverts par les organisations patronales signataires de l'ANI de janvier 2008 (Medef, UPA, CGPME). Il en allait ainsi, par exemple, des salariés des secteurs agricole et de l'économie sociale.

La légalisation emporte droit à la portabilité pour tous les salariés, à compter du 1er juin 2014 au titre des garanties "frais de santé" et du 1er juin 2015 au titre de la prévoyance. Mise en perspective avec la généralisation à venir tant de la couverture santé que prévoyance, cette légalisation doit être saluée car elle permettra de rendre effective la continuité de la protection sociale complémentaire d'origine professionnelle pour les salariés ayant perdu leur emploi et en situation d'indemnisation chômage. Ces périodes de transition professionnelle seront, donc, en principe neutres en matière de couverture sociale tant de l'ex-salarié que, le cas échéant, de ses ayants droit.

B - Le nouveau régime juridique de la portabilité

Le législateur a, manifestement, tiré les enseignements des difficultés d'application et des lacunes du cadre conventionnel. Le nouvel article L. 911-8 réforme à propos le régime juridique afin de donner une effectivité maximale à la portabilité.

D'une possibilité de portabilité à un véritable droit. L'avenant n° 3 de l'ANI de 2008 ouvrait un droit à la portabilité au salarié, auquel celui-ci pouvait renoncer. Le financement de la portabilité étant, rarement, mutualisé, le salarié renonçait souvent au bénéfice du maintien de la couverture en raison du coût que cela pouvait emporter pour lui à un moment où il basculait dans l'indemnisation chômage ; en effet, il devait continuer de supporter la quote-part qui était à sa charge en tant qu'actif et il n'était pas rare que l'employeur retienne sur le solde de tout compte le montant dû pour l'intégralité de la période de portabilité (22), à charge, bien évidemment, pour l'employeur de restituer ultérieurement l'éventuel trop-perçu.

L'alinéa 1er de l'article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale change résolument de logique. Il dispose en effet que "les salariés garantis collectivement [...] bénéficient du maintien à titre gratuit de cette couverture en cas de cessation du contrat de travail [...] ouvrant droit à prise en charge par le régime d'assurance chômage ". C'est donc un véritable droit à la portabilité qui se trouve ainsi affirmé dont l'effectivité réside dans l'abandon du financement "à la sortie" par l'ancien employeur et l'ancien salarié (23).

Certes, la question du financement n'est pas directement évoquée, mais le droit au maintien de la couverture à titre gratuit signifie que le financement de la portabilité sera, dorénavant, supporté par l'employeur et les actifs de l'entreprise. En d'autres termes, une part des cotisations finançant la couverture collective sera consacrée au financement de la portabilité.

Aménagements "techniques". En sus de ce changement conceptuel de la portabilité, l'article L. 911-8 modifie certaines modalités plus techniques du dispositif. Le maintien des garanties reste conditionné, d'une part, à une cessation du contrat de travail ouvrant droit à prise en charge par le régime d'assurance chômage (à l'exception d'un licenciement pour faute lourde) et, d'autre part, à l'ouverture préalable des droits à remboursements complémentaires chez le dernier employeur.

En revanche, les règles relatives à la durée de la portabilité sont modifiées. Cette durée est, certes, toujours égale à la durée de la période d'indemnisation chômage dans la limite de la durée du dernier contrat de travail (24), mais c'est dans une limite maximale portée à douze mois par la loi du 14 juin 2013 (contre neuf en application du cadre conventionnel).

Sur un plan pratique, l'article L. 911-8 impose à l'employeur de signaler le maintien des garanties dans le certificat de travail remis au salarié à son départ de l'entreprise. Elle lui impose, également, d'informer l'organisme assureur de la cessation du contrat de travail. Ainsi, cela permettra que la portabilité soit complètement externalisée à compter de la rupture de la relation d'emploi et ce d'autant qu'il appartient à l'ancien salarié de justifier auprès de l'assureur des conditions du bénéfice de la portabilité (notamment de son indemnisation chômage) (25).

Articulation de la portabilité avec l'article 4 de la loi "Evin". Dès l'adoption du mécanisme de la portabilité, il avait été souligné l'absence d'articulation avec l'article 4 de la loi "Evin" (26). En effet, pour les régimes à adhésion obligatoire "frais de santé", ce texte oblige l'organisme assureur à maintenir le même niveau de couverture au salarié dont le contrat de travail vient à cesser (27) et ce à la demande de ce dernier formulée dans les six mois (28). L'article 4 vise les hypothèses où, consécutivement à la cessation de son contrat, l'ancien salarié perçoit une pension de retraite, une rente d'invalidité ou d'incapacité ou des allocations chômage.

Cette dernière hypothèse recoupe, donc, les situations visées par la portabilité, ce dont tient compte le nouveau cadre légal institué. En effet, la loi du 14 juin 2013 complète l'article 4 de la loi "Evin" afin de rendre les dispositifs complémentaires. Ainsi, la demande de maintien à titre individuel fondée sur l'article 4 pourra, désormais, être sollicitée au terme de la période de portabilité, plus exactement dans les six mois qui suivent l'expiration de cette période.


(1) Le décret aura, également, pour objet de fixer les catégories de salariés dispensés, à leur initiative, de l'obligation d'affiliation eu égard à la nature ou aux caractéristiques de leur contrat de travail ou au fait qu'ils disposent, par ailleurs, d'une couverture complémentaire. Il devra, enfin, préciser les conditions dont fait l'objet la couverture des salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle et ce en raison de la couverture garantie par ce régime.
(2) Il ne sera pas inintéressant de comparer les dispositions du décret avec le "panier" minimaliste qui figurait dans l'ANI du 11 janvier 2013 : 100 % de la base de remboursements des consultations, actes techniques et pharmacie en ville et à l'hôpital (c'est-à-dire prise en charge du ticket modérateur) -prise en charge totale du forfait journalier hospitalier- 125 % de la base de remboursement des prothèses dentaires et un forfait optique de 100 euros par an.
(3) Un décret déterminera les modalités spécifiques du financement de la couverture en cas d'employeurs multiples et pour les salariés à temps partiel.
(4) Avant le 1er janvier 2016, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels devront engager une négociation en vue de permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d'une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de prévoyance au niveau de leur branche ou de leur entreprise d'accéder à une telle couverture.
(5) Branches dont le nombre est estimé à 260. V. le rapport d'activité de la COMAREP (Commission des accords de retraite et de prévoyance), rendu public le 25 avril 2012, qui montre qu'en 2011, seules 48 branches disposent d'une couverture des frais de santé.
(6) La négociation doit, également, s'intéresser aux cas dans lesquels la situation particulière de certains salariés ou ayants droit, lorsque ceux-ci bénéficient de la couverture, peut justifier des dispenses d'adhésion à l'initiative du salarié.
(7) Cependant, si la négociation de branche aboutit à un accord, un délai d'au moins à dix-huit mois et expirant au plus tard le 1er janvier 2016, doit être laissé aux entreprises pour se mettre en conformité avec le nouveau cadre conventionnel.
(8) L'employeur étant débiteur de cette obligation d'information, il lui appartient de se ménager la preuve de la remise d'un document informatif précis aux salariés.
(9) Sera, ainsi, évité un risque de redressement par les URSSAF, puisque l'absence de justificatif de refus peut faire perdre au dispositif institué son caractère obligatoire et, par voie de conséquence, son traitement social de faveur (v. dans sa version actuelle, la circulaire DSS n° 2009/32 du 30 janvier 2009 [LXB=2009/32], spéc. fiche n° 6, p. 17).
(10) F. Wismer, Impact après déflagration, SSL, n° 1590-1591, 2013, p. 12 ; J. de Baudus, La bombe du 13 juin n'a pas fini d'exploser..., Blog de Jacques de Baudus, 14 juin 2013.
(11) Loi n° 94-678 du 8 août 1994, relative à la protection sociale complémentaire des salariés et portant transposition des directives n° 92-49 et n° 92-96 des 18 juin et 10 novembre 1992 du Conseil des communautés européennes (N° Lexbase : L5156A4Q).
(10) Cass. soc., 5 décembre 2012, n° 11-18.716, F-D (N° Lexbase : A5766IY9) et 11-24.233, F-D (N° Lexbase : A5763IY4) ; 27 novembre 2012, n° 11-18.556 à 11-18.560, F-D (N° Lexbase : A8626IXR), 11-18.554, F-D (N° Lexbase : A8716IX4) et 11-19.781, F-D (N° Lexbase : A8735IXS) ; 21 novembre n° 10-21.254 à 10-21.257, F-D (N° Lexbase : A5052IXE).
(13) L'APAC : Association pour la promotion de l'assurance collective.
(14) Autorité de la concurrence, avis n° 13-A-11 du 29 mars 2013, relatif aux effets sur la concurrence de la généralisation de la couverture complémentaire collective des salariés en matière de prévoyance (N° Lexbase : X2504AMP).
(15) Au regard de l'avantage concurrentiel dont disposeraient les organismes recommandés, l'Autorité de la concurrence préconise qu'ils soient tenus de proposer un contrat de référence identique pour l'ensemble de la branche et qu'ils ne puissent refuser d'assurer certaines entreprises de la branche ni mettre fin aux prestations pendant la durée de la recommandation.
(16) L'alinéa en question précise que la mise en concurrence doit être réalisée "dans des conditions de transparence, d'impartialité et d'égalité de traitement entre les candidats et selon des modalités prévues par décret". À cette fin, un décret devra, notamment, fixer règles destinées à garantir une publicité préalable suffisante, à prévenir les conflits d'intérêts et à déterminer les modalités de suivi du contrat.
(17) Cons. const., décision n° 2013-672 DC, du 13 juin 2013, loi relative à la sécurisation de l'emploi, préc.
(18) Contrairement à l'avis de l'Autorité de la concurrence, l'analyse des clauses de désignation n'est pas abordée sous l'angle de l'éventuelle atteinte à la libre concurrence. Cela s'explique par le fait que la libre concurrence ne présente pas de valeur constitutionnelle.
(19) C'est-à-dire jusqu'à la date prévue par les partenaires sociaux pour son réexamen.
(20) F. Wismer, Impact après déflagration, SSL, n° 1590-1591, 2013, p. 13.
(21) En réalité, c'est l'avenant n° 3 à l'ANI, conclu le 18 mai 2009 (N° Lexbase : L8800IEN), qui est le texte conventionnel opérationnel du dispositif de la portabilité.
(22) En fait, c'était un moyen de dissuader le salarié de demander le jeu du dispositif de la portabilité. Par conséquent, l'entreprise était dispensée alors de financer sa propre quote-part.
(23) Il est, également, à noter que la portabilité est étendue aux ayants droit du salarié qui bénéficient effectivement des garanties collectives à la date de la cessation du contrat de travail.
(24) Le cas échéant, pour les salariés enchaînant des CDD, sera retenue la durée cumulée des derniers contrats de travail "lorsqu'ils sont consécutifs chez le même employeur".
(25) Comme dans le cadre conventionnel, les garanties maintenues au bénéfice de l'ancien salarié sont celles en vigueur dans l'entreprise. La loi prend, toutefois, soin de préciser que "le maintien des garanties ne peut conduire l'ancien salarié à percevoir des indemnités d'un montant supérieur à celui des allocations chômage qu'il aurait perçues au titre de la même période".
(26) J. Barthélémy, La portabilité des garanties collectives de prévoyance, Dr. soc., 2008, p. 325-328.
(27) L'article 4 peut également être mobilisé par les ayants droit du salarié dans les six mois qui suivent le décès de celui-ci.
(28) L'article 4 peut, également, être mobilisé par les ayants droit du salarié dans les six mois qui suivent le décès de celui-ci.

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Public général

[Le point sur...] L'exécution des décisions administratives

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par Lauréline Fontaine, Professeur de droit public, Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris III

Le 23 Octobre 2014

L'arrêt "Huglo" (1), fort daté maintenant, a indiqué que le caractère "exécutoire" des décisions administratives était une "règle fondamentale du droit public". La mention de ce caractère induit dans l'esprit du lecteur quelques idées quant au mode d'exécution des décisions administratives. Ce thème nourrit bien des mythes, séparant les véritables spécialistes des néophytes, souvent d'ailleurs administrés. La raison en est bien l'usage du terme "exécutoire", qui entretient l'idée d'une similarité entre les décisions administratives et les décisions de justice. La similarité en question se trouverait dans les "privilèges" dont bénéficie l'administration par rapport aux décisions des particuliers. Mais, du point de vue de l'exécution, ses décisions ne sont pas des décisions de justice, et il n'est pas question de leur attribuer les mêmes effets. L'emploi d'un terme identique pour désigner les deux types de décision trouve à la fois son explication et sa résolution dans l'histoire du pouvoir administratif et de la doctrine qui le décrit et l'ordonnance. L'origine du qualificatif "exécutoire" accordé aux décisions administratives se trouve dans le fait que l'administration fut longtemps son propre juge. Pourtant, lorsque le qualificatif est employé dans les lois sur l'administration municipale du XIXème siècle, il ne s'agit même pas de désigner des décisions ayant pour objet de trancher des litiges administratifs. On peut de toute évidence conclure à une maladresse de langage, nonobstant le fait que l'on repère déjà quelques confusions conceptuelles chez les différents acteurs. Dans les ouvrages de droit administratif écrits à la suite de la création des universités impériales, le terme "exécutoire" est employé dans trois cas très distincts : pour désigner l'entrée en vigueur des décisions municipales, d'une part, pour désigner les décisions rendues dans le cadre de l'administration-juge, d'autre part, et, enfin, pour désigner les décisions de contrainte émises par l'administration fiscale. Aucune relation n'est faite entre les trois hypothèses, non plus qu'une interrogation sur l'usage commun du terme "exécutoire" alors que, de toute évidence, il désigne plusieurs types d'effets des décisions administratives, qui ne sont pas les différentes faces d'un même dé. L'usage du terme sert plus tard, chez Edouard Laferrière tout d'abord, chez Maurice Hauriou ensuite, à organiser une théorie de l'action administrative. La catégorie "décision exécutoire" va, dès lors, désigner de manière globale l'action administrative, en raison de ses "privilèges" et traits caractéristiques, qui la distinguent de l'action des particuliers.

A partir de ce moment là, l'ordre juridique et doctrinal fait coexister deux types de "décisions exécutoires" : celles judiciaires, de toujours ou presque (on trouve "officiellement" la première trace du terme exécutoire dans la procédure judiciaire en 1437), et celles administratives, beaucoup plus récentes, qui n'ont que par exception les mêmes effets exécutoires que les premières. Ce que, dans ce cas, elles ont de commun, c'est le fait d'être un "titre exécutoire", au sens de l'article L. 111-2 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5790IRU), c'est-à-dire que "le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution". Et, à la lecture de l'article L. 111-3 du même code (N° Lexbase : L5791IRW) (qui établit une liste des titres exécutoires, liste en principe limitative), les décisions administratives ne constituent des titres exécutoires que s'ils sont "qualifiés comme tels par la loi", ou lorsque la loi leur "attache les effets d'un jugement", ce qui ne vise pas les situations courantes de l'action administrative.

Pour autant, il est bien établi que, une fois régulièrement prises et entrées en vigueur, les décisions de l'administration doivent être exécutées, tant par ses destinataires que par son auteur, et il en est ainsi dans la plupart des cas. En cas d'inaction de l'administration elle-même, il est possible d'obtenir de l'administration qu'elle mette en oeuvre ses propres décisions, dans un délai raisonnable, y compris sous astreinte. En cas d'inaction des administrés, l'exécution des décisions administratives correspond à des réalités distinctes, à la fois en fonction du domaine d'administration concerné, en fonction des moyens que l'administration, à tort ou à raison, utilise pour vaincre cette inaction, et en fonction enfin de ce qu'il s'agit effectivement d'exécuter. Il faut envisager la notion d'exécution au sens large : l'exécution est aussi bien une action qu'une abstention, comme une obligation est aussi bien une obligation de faire que de ne pas faire. En s'abstenant d'agir lorsque c'est une obligation de ne pas faire qui est espérée, il y a, volontairement ou involontairement, exécution. Mais, lorsqu'on parle de l'exécution d'une décision administrative, ce n'est pas pour viser ce qui résulte de l'acte lui-même. Il faut ainsi distinguer les effets proprement décisionnaires de l'acte, des effets attendus de la part de ses destinataires, effets correspondant à la notion d'exécution. L'effet de la décision est de faire naître l'obligation, l'exécution est de réaliser effectivement l'obligation, quelle qu'elle soit.

L'administration dit le droit : elle prend, d'elle-même, unilatéralement comme on a l'habitude de le souligner, mais selon le droit et en suivant les procédures, des décisions qui créent des droits et des obligations à la charge de leurs destinataires, particuliers, personnes morales ou personnes publiques, de manière individualisée (actes individuels) ou générale (actes réglementaires). D'une certaine manière, on peut parler d'"auto-réalisation", la relation juridique s'en trouve immédiatement modifiée, qu'elle confère ou retire des droits, permette, défende ou commande une action. Du point de vue de la volonté de faire naître de nouveaux droits et obligations, les décisions de l'administration emportent donc leur propre réalisation, sans intervention spécifique nouvelle et sans le bon gré des sujets de droit qui se trouvent d'emblée saisis par ces nouveaux droits et obligations. Cela ne signifie pas que la décision prise n'est pas contestable, devant l'administration comme devant un juge, ni que les droits et obligations créés sont immuables, puisque tant le juge que l'administration elle-même peuvent, en suivant certaines règles, les annuler, les modifier ou les faire disparaître. Mais il reste que les droits et obligations peuvent demeurer à l'état de prescriptions si aucune exécution ne s'ensuit.

L'exécution peut être le fait de l'administration comme de l'administré, en fonction de la décision considérée. Dans de nombreux cas, il n'y a pas de difficultés. Par exemple, la décision fixant les conditions d'attribution d'une bourse d'études sera suivie de décisions individuelles attribuant lesdites bourses aux personnes remplissant les conditions, puis, pour exécuter ses décisions, suivra l'ordre donné au service comptable de verser la somme d'argent aux personnes bénéficiaires, puis, enfin, interviendra le versement effectif de cette somme. Les premières décisions sont des mesures juridiques d'exécution, tout en constituant elles-mêmes des décisions à exécuter ; la dernière est une mesure matérielle d'exécution. Lorsque l'administré est le principal acteur de l'exécution de la décision, il y a peu de difficultés lorsque celle-ci lui confère un "droit". C'est le cas, par exemple, pour le titulaire d'un permis de construire qui construit effectivement l'immeuble pour lequel il a obtenu le permis. A l'inverse, le débiteur d'une obligation de démolir peut effectivement démolir son immeuble.

La question de l'exécution, et surtout, des moyens d'exécution des décisions administratives, ne se posent donc presqu'exclusivement que lorsque les administrés n'obtempèrent pas de leur propre gré, ou lorsque l'administration décide de manière inopportune de procéder à l'exécution matérielle et contrainte de ses décisions. Cela dit, il existe des hypothèses où l'administré ne peut résister à l'exécution de la décision (I) ; dans d'autres cas, l'administration dispose de moyens importants pour l'inciter à passer lui-même à l'exécution de la décision (II) ; parfois encore, mais plus rarement, l'administration recourt à la contrainte, sur les biens ou même sur les personnes (III). Dans tous les cas, l'intervention de l'administration n'exclut pas le juge, auquel il peut être recouru tant pour obtenir l'exécution des décisions administratives, que pour l'empêcher (IV).

I - L'exécution des décisions administratives à laquelle l'administré ne peut résister

Certaines décisions sont pleinement exécutées, soit du seul fait de leur édiction, soit, parfois, du fait de l'édiction d'autres décisions administratives juridiques. Elles ne nécessitent donc jamais l'usage de la force, et, c'est une particularité notable, l'administré ne peut jamais leur opposer de réelle résistance. La décision type qui ne nécessite pas l'emploi de moyens particuliers propres à son exécution est la mesure de révocation d'un fonctionnaire (2). L'administration dispose, quand elle prend ce type de décision, de tous les moyens destinés à en assurer l'exécution : ces moyens se trouvent quasiment dans la décision elle-même. Le fonctionnaire révoqué perd en effet, du seul fait de l'émission et de l'entrée en vigueur de la mesure de révocation, ses attributions et son traitement. La cessation du versement de son traitement peut être considérée comme une mesure d'exécution matérielle de la décision de révocation, sans que le fonctionnaire ait la capacité d'y faire obstacle. Il subit en quelque sorte un "coup de force juridique", sans avoir été physiquement contraint, ni sur ses biens (il n'y a par exemple aucune saisie sur salaire), ni sur sa personne (on ne peut le contraindre physiquement à ne plus être fonctionnaire puisqu'il ne l'est déjà plus du fait de la décision qui lui fait perdre son statut juridique). Le fonctionnaire n'a aucun moyen de résister à la décision : il dispose seulement d'un pouvoir de provoquer ultérieurement sa disparition, par exemple en exerçant un recours devant le juge administratif, recours qui n'est pas suspensif. En revanche, il peut y avoir absence d'exécution de la part des organes internes de l'administration, involontaire ou volontaire : ainsi, le service comptable va continuer à verser le traitement au fonctionnaire révoqué.

II - Les moyens d'incitation à l'exécution des décisions administratives

Quand la résistance de l'administré fait obstacle à l'exécution de la décision administrative, l'administration, sans procéder d'office à leur exécution, dispose parfois de moyens spécifiques, propres à inciter l'administré à abandonner son attitude récalcitrante. Ces moyens sont les sanctions que l'administration peut infliger aux administrés se trouvant dans un rapport de droit avec elle. Si les sanctions ont un caractère punitif de la violation d'une obligation mise à la charge d'un administré, elles se présentent également en amont comme un moyen de dissuasion : l'administré sait qu'en résistant, il s'expose à une sanction. En principe, toute sanction administrative doit avoir été prévue par le législateur. Mais le Conseil d'Etat a jugé que, dès lors que le pouvoir réglementaire était compétent pour fixer certaines règles d'exercice d'une profession, il l'était également pour prévoir des sanctions administratives en rapport, par leur objet et leur nature, avec cette réglementation (3).

Les sanctions administratives se présentent souvent sous la forme de sanctions pécuniaires (amendes), d'interdiction d'exercer une activité, de retrait d'une carte professionnelle, ou de fermeture d'un établissement. Les mesures disciplinaires peuvent apparaître, du point de vue de la faute qu'elles sanctionnent, comme de véritables sanctions, mais elles n'ont pas toujours pour objet l'exécution d'une décision administrative préalable. En principe, les mesures de police administrative ne peuvent être assimilées à des sanctions car elles n'ont pas pour objet légal de sanctionner une faute (4).

III - Les conditions -restrictives- de l'usage de la contrainte pour parvenir à l'exécution des décisions administratives

Parfois, en cas de récalcitrance de l'administré, ou parce que l'exécution d'une décision apparaît insuffisante, l'usage de la force peut s'avérer être le seul moyen de réaliser l'exécution d'une décision, en contraignant le débiteur. Or, il se trouve que le détenteur unique de la force publique est, en droit français, l'administration. Mais le recours à la force publique, c'est-à-dire l'usage de la contrainte physique sur les biens ou les personnes -qu'on appelle "voies d'exécution"- n'est, en droit français, rendu possible que pour les titulaires d'un titre exécutoire, qui a seul cette fameuse force exécutoire. Les titres exécutoires permettent de procéder aux saisies, aux ventes forcées, et autres actes d'exécutions sur les biens, ou parfois sur la personne du débiteur, dans le but de réaliser les obligations visées par le titre. La simple décision administrative n'est en principe pas un titre exécutoire, sauf qualification du législateur ou s'il lui a attribué les effets d'un jugement. Toutefois, en dehors de l'autorisation particulière de la loi, l'urgence ou l'impossibilité de parvenir à l'exécution de la décision administrative par un autre moyen peuvent justifier le recours à l'exécution forcée, comme cela a été reconnu depuis la jurisprudence "Société immobilière de Saint-Just" (5).

Les autorisations législatives. Les dernières années tendent à montrer une multiplication des autorisations législatives dans le sens de l'exécution forcée, même si l'intervention du juge est souvent prévue a priori. Il est intéressant de noter qu'il existe une matière où les autorités administratives ont une compétence quasi-générale pour procéder à l'exécution forcée de leurs décisions : c'est le recouvrement des créances financières des personnes publiques. En effet, à partir du moment où une personne publique détient une créance à l'égard d'une autre personne, qu'elle a fait elle-même naître, elle dispose du pouvoir de se délivrer un véritable titre exécutoire au sens de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L9124AGZ), codifiée au Code des procédures civiles d'exécution, et ainsi de recouvrer sa créance par les moyens de la coercition. Les titres exécutoires des personnes morales de droit public recouvrent des catégories d'actes d'origines très diverses. Aux termes de l'article L. 252-A du LPF (N° Lexbase : L3929AL4), "constituent des titres exécutoires, les arrêtés, états, rôles, avis de mise en recouvrement, titres de perception ou de recettes que l'Etat, les collectivités territoriales ou les établissements publics dotés d'un comptable public délivrent pour le recouvrement des recettes de toute nature qu'ils sont habilités à recevoir".

Les créances des personnes publiques qui donnent lieu à recouvrement peuvent être distinguées selon qu'elles ont une nature fiscale ou non. Il y a donc, d'une part, les titres exécutoires en matière fiscale (impôts directs et taxes assimilées, contributions indirectes et assimilées) et, d'autre part, les titres exécutoires des créances non fiscales (autrement dénommées créances étrangères à l'impôt et au domaine, ou créances ordinaires). En matière non fiscale, on peut noter que l'origine des créances faisant l'objet de titres exécutoires est très diversifiée : des titres de perception peuvent être émis aussi bien pour des créances se rattachant à l'exercice d'une prérogative de puissance publique, et correspondant à des prestations non acquittées (taxe de séjour, taxe sur la publicité, de balayage, d'enlèvement des ordures, droit de voirie ou de stationnement, etc.), que pour des créances contractuelles (prêt du crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises -ou du crédit municipal, bail souscrit auprès d'un office public d'aménagement et de construction), quasi-contractuelles (répétition d'une subvention versée indûment), quasi-délictuelles (indemnité due à une personne publique victime d'un dommage), ou encore des créances résultant d'amendes ou de sanctions pécuniaires prononcées par des juridictions ou des autorités administratives indépendantes (Autorité de la concurrence, Conseil supérieur de l'audiovisuel, Autorité des marchés financiers, etc.). Ces titres se manifestent par différents actes selon leur auteurs : ce sont des ordres de recette quand ils sont émis par l'Etat ou ses établissements publics (sauf pour les créances domaniales) ; ce sont des arrêtés, états et rôles quand ils résultent des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics ; ce sont enfin des arrêtés de débet (non revêtus en principe de la contrainte) quand ils sont édictés par les ministres, ainsi que par les comptables publics ou les régisseurs d'avance ou de recettes à l'encontre de tout entrepreneur, fournisseur ou soumissionnaire de marché public détenteur de deniers publics.

La désobéissance à la loi non susceptible d'être combattue par un autre moyen. C'est l'hypothèse où, sans être directement prévue par la loi, l'exécution forcée d'une décision administrative trouve son fondement dans la loi. La légalité de l'exécution forcée est cependant subordonnée à la réunion de quatre conditions, exposées par le commissaire du Gouvernement Romieu dans ses conclusions précitées.

- L'obligation mise à la charge du débiteur trouve son fondement dans la loi. Les tribunaux envisagent toutefois cette condition avec une certaine souplesse et justifient légalement l'obligation faisant l'objet de l'exécution forcée par la nécessité du maintien de l'ordre public, mission conférée aux maires et aux préfets depuis la loi municipale du 5 avril 1884 (6).

- L'obligation mise à la charge du débiteur doit nécessairement être exécutée dans la mesure où le débiteur est effectivement récalcitrant. Le commissaire du Gouvernement Romieu disait que "l'exécution administrative ne se conçoit que par la nécessité de contraindre les citoyens à obéir à la loi [...]" ; ainsi, "quand l'exécution forcée n'est plus nécessaire, elle n'est plus licite". Il suffit que la résistance de l'administré soit prouvée, qu'elle soit légitime ou non, mais cette condition n'est pas toujours facile à déterminer.

- Il faut qu'il n'existe aucun autre moyen que celui de l'exécution forcée pour vaincre la résistance de l'administré. L'exécution forcée ne doit être employée qu'à défaut de toute autre procédure qui permettrait de parvenir au même résultat. La jurisprudence a d'ailleurs évolué sur ce point. A l'origine, il suffisait qu'il n'existe aucune sanction pénale pour que l'emploi de l'exécution forcée soit considérée comme légal, mais rapidement il fallut également l'absence de sanctions civiles, puis de sanctions administratives. En revanche, la possibilité du recours au juge n'est pas reconnue comme un moyen légal de parvenir à l'exécution de l'acte. Les procédures qui empêchent l'exécution forcée sont toujours des procédures spéciales par rapport au droit commun du recours au juge. C'est ainsi que les règlements de police ne sont, en principe, pas susceptibles d'être exécutés par la force. La règle peut conduire à ce que l'exécution forcée soit impossible dans la mesure où malgré l'existence de sanctions pénales, le juge répressif refuse de les appliquer, car il estime illégale la décision à exécuter alors qu'elle est jugée légale par le juge administratif. Dans ce cas, la résistance de l'administré est victorieuse.

- Les mesures d'exécution forcée ne doivent pas aller au-delà de l'exécution de l'obligation qui trouve son fondement dans la loi, directement ou indirectement (notion d'ordre public par exemple) (7). C'est le principe de l'adéquation des moyens aux fins. La responsabilité de l'administration pourra être engagée toutes les fois que l'autorité administrative aura abusé du procédé de l'exécution forcée en dépassant le strict nécessaire au respect de la loi. La nécessaire réunion de ces quatre conditions limite donc considérablement l'action de l'administration.

L'urgence. L'urgence enfin peut justifier l'exécution forcée d'une décision administrative, que l'administré ait résisté ou non à son exécution, que d'autres procédures, pénales, civiles ou administratives visant à obtenir l'exécution de la décision, existent ou non (8). La très célèbre formule du commissaire du Gouvernement Romieu s'impose ici. La voici : "tout le monde reconnaît qu'il est de l'essence même du rôle de l'administration d'agir immédiatement et d'employer la force publique sans délai ni procédure lorsque l'intérêt immédiat de la conservation publique l'exige : quand la maison brûle, on ne va pas demander au juge l'autorisation d'y envoyer les pompiers ; sur ce point, il n'y a jamais eu de contestation" (9).

Le juge contrôle strictement l'existence de l'urgence. Il paraît, en effet, naturel que la réquisition forcée d'un local, qui n'est pas suivie d'une prise de possession de celui-ci deux mois après indique l'absence d'urgence (10). Il faut remarquer que les mesures de police ne présument en rien de l'existence de l'urgence, mais le juge apprécie plus ou moins souplement l'urgence, notamment en cas de troubles graves ou de circonstances exceptionnelles. L'urgence, en tant qu'elle légalise parfois l'exécution forcée d'une décision administrative, peut légaliser également l'absence de décision préalable, notamment en matière de réquisition (comme elle est susceptible d'empêcher la qualification de voie de fait).

A la différence des voies d'exécution du droit commun, dont l'administration elle-même peut solliciter l'usage auprès du juge, les voies d'exécution que l'on qualifiera d'administratives, permettent très souvent de parvenir à l'exécution d'une obligation en nature. L'administration peut, en effet, dans de nombreuses hypothèses, se substituer au débiteur et réaliser à ses frais et à sa place, l'exécution en question. Qu'elles soient prévues par la loi, justifiées par l'urgence, ou rendues possibles par l'inexistence de toute autre sanction et la nécessité d'exécuter l'obligation résultant en premier lieu de la loi, les mesures d'exécution forcée destinées à vaincre la résistance des administrés face à des décisions administratives, sont susceptibles de porter sur les biens ou sur la personne même du débiteur.

Les mesures d'exécution forcée portant sur les biens. Elles recouvrent une variété de procédés : elles peuvent être constituées par une utilisation des biens du débiteur (droit de réquisition, justifiée par une loi ou par l'urgence, ou servitude de passage par exemple), ou par l'occupation temporaire de terrains privés (on peut citer la loi du 29 décembre 1892, relative aux dommages causés à la propriété privée par l'exécution des travaux publics N° Lexbase : L1804DN7), sur l'occupation temporaire de terrains privés en vue de l'exécution de travaux publics et sur le droit de pénétration des agents de l'administration sur les propriétés privées). Elles peuvent être constituées par l'exécution de travaux sur des biens, généralement immobiliers. Les mesures d'exécution forcée peuvent être aussi des mesures classiques de saisies de biens (11). Il peut encore s'agir d'enlèvements, comme l'enlèvement de barrières édifiées sur des voies communales, justifié par l'urgence (12), d'immobilisations, ou de transferts de biens, le célèbre ancien article L. 25 du Code la route prévoyant ainsi l'immobilisation ou la mise en fourrière d'un véhicule en stationnement interdit compromettant la sécurité des usagers de la route, "la tranquillité ou l'hygiène publique, l'esthétique des sites et des paysages classés, la conservation ou l'utilisation normale des voies ouvertes à la circulation publique et de leurs dépendances". Si l'article L. 25 offre un large pouvoir à l'administration, son exercice est strictement contrôlé. Enfin, il peut s'agir de la mise hors d'usage ou de la destruction de biens.

Les mesures d'exécution forcée portant sur les personnes. Pour l'exécution des décisions administratives, les mesures destinées à employer l'usage de la force sur la personne même du débiteur de l'obligation sont assez rares, et font, comme en droit commun, l'objet d'un certain nombre de garanties. On citera comme le cas le plus connu, celui des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français, dont le régime est organisé par l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France (N° Lexbase : L4788AGG). Il peut s'agir de l'exécution de mesures d'expulsion, de reconduites à la frontière ou d'un rapatriement forcé d'un étranger qui voudrait entrer illégalement sur le territoire. On peut citer également les contrôles d'identité, les mesures prises en matière de police des aliénés, ou l'hypothèse d'une manifestation qui dégénère en attroupement et qui permet alors l'usage direct de la force par les agents de police "si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent" (sur le fondement de l'article R. 431-1 du Code pénal N° Lexbase : L6907IQU). En outre, l'urgence peut justifier ponctuellement des mesures d'expulsion de personnes d'un lieu déterminé où elles sont susceptibles de provoquer des troubles à l'ordre public..

Les conséquences du recours illégal à la contrainte pour l'exécution des décisions administratives. Le principe demeurant l'impossibilité pour l'administration de recourir à l'exécution forcée de ses propres décisions, elle engage, en cas d'agissement contraire, sa responsabilité devant les tribunaux, administratifs ou judiciaires. Deux hypothèses sont concernées : l'administration ne disposait en aucune façon du droit d'exécuter sa décision par la force, que celle-ci soit légale ou illégale ; l'administration avait le droit d'exécuter sa décision par la force, mais la décision exécutée est illégale. Quand l'illégalité de l'exécution forcée porte de surcroît atteinte au droit de propriété ou à la liberté individuelle, l'administration commet généralement ce qu'on appelle une voie de fait, justiciable de la juridiction judiciaire. La formulation du Tribunal des conflits est même très claire : "il est de principe que l'exécution forcée par l'administration de ses propres décisions constitue une voie de fait" (13). Si l'exécution forcée est constitutive d'une voie de fait, cela entraîne que le juge judiciaire dispose d'une compétence plénière, d'une part pour donner réparation à la victime de la voie de fait, d'autre part pour enjoindre à l'administration de cesser son comportement irrégulier. L'administration peut ainsi être contrainte d'évacuer des locaux occupés dont elle aurait pris irrégulièrement possession ; elle peut être contrainte de restituer des objets qu'elle a irrégulièrement saisis. Dans tous les cas, les injonctions du juge judiciaire peuvent être assorties d'astreintes. Il existe en réalité des cas peu nombreux d'exécution forcée régulière. Il arrive toutefois que, en dépit de l'illégalité de l'exécution forcée d'une décision administrative, le juge refuse d'accorder des indemnités au demandeur parce que celui-ci ne respectait de toute façon pas ses obligations, et que le préjudice résulte alors principalement de ses propres agissements (14). Mais le refus du juge d'accorder des indemnités peut aussi provenir du fait que, si elle a procédé irrégulièrement à l'exécution forcée de sa décision, l'administration serait parvenue au même résultat en utilisant un autre procédé, légal.

IV - Le recours au juge pour obtenir ou empêcher l'exécution d'une décision administrative

Le recours au juge peut être envisagé dans deux hypothèses : soit pour obtenir qu'il prononce une sanction, qui a été prévue par le législateur, soit pour obtenir qu'il prononce une condamnation de l'administré à exécuter la décision administrative, avec le recours éventuel à la force publique exercé sur la base du titre juridictionnel. Quelle que soit l'hypothèse, le recours au juge pénal est incontesté, alors que le recours au juge civil et au juge administratif souffre de discussions.

Le recours au juge pénal. L'article 111-3 du Code pénal (N° Lexbase : L2104AMU) établit la possibilité pour un règlement d'être assorti d'une peine contraventionnelle. Plus spécifiquement, l'article R. 610-5 (N° Lexbase : L0961AB9) permet d'exercer, en vue de l'infliction d'une amende, toutes poursuites contre ceux qui auront contrevenu aux "obligations édictées par les décrets et arrêtés de police". Ce texte concerne tout spécialement les mesures de police et ne trouve application que dans l'hypothèse où la répression pénale de l'inexécution de ces mesures n'aurait pas été organisée par un autre texte. En dehors de cette hypothèse, le juge pénal applique restrictivement la possibilité légale de réprimer pénalement la violation des mesures de police. Il n'est ainsi pas applicable en matière de remembrement (15), ni lorsque l'arrêté de police a un objet financier ou fiscal (16). Il ne s'applique, par ailleurs, qu'à la violation des mesures de police administrative générale, et pas à celle des mesures de police spéciale (17).

Parmi les procédures spécifiques de répression pénale de l'inexécution des décisions administratives, on peut citer la célèbre loi du 11 juillet 1938, sur les réquisitions, dont le refus d'exécution de la part de l'administré est susceptible de sanctions pénales. On citera également la sanction du refus de déférer à une mesure d'expulsion du territoire organisée par l'article 27 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée, ou encore la répression devant le juge pénal du refus de publier les mises au point demandées par la commission des sondages électoraux, organisée par l'article 12 de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977, relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion (N° Lexbase : L7776AIT).

Le recours au juge civil. L'intervention du juge civil, et notamment celui des référés est parfois prévue par la loi, comme par exemple l'article 30 du Code de la santé publique ([LXB=]) qui permet au juge des référés d'autoriser l'exécution d'office des mesures prises par le maire ou le préfet pour faire cesser l'insalubrité d'un immeuble, ou encore l'article L. 651-2 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L2029HPT) qui prévoit que le président du tribunal de grande instance peut infliger une amende civile en cas d'infraction à certaines dispositions de ce code.

En dehors des autorisations législatives de recourir au juge civil, le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires a pu faire penser qu'il serait anormal de permettre au juge civil de s'immiscer dans le processus d'exécution des décisions administratives. Pourtant, le juge civil considère que la non-exécution d'une décision administrative, même si elle est sanctionnée pénalement, peut constituer un trouble manifestement illicite qui l'autorise à enjoindre le contrevenant d'obéir et à autoriser l'administration à intervenir sur le fondement de la décision de justice (18). Il considère également que l'administration peut parfois renoncer au privilège du préalable, notamment en matière contractuelle, et demander au juge de condamner l'administré à remplir ses obligations.

Le recours au juge administratif. Sauf textes, celui-ci refuse en général d'autoriser l'exécution forcée des décisions unilatérales (19). Cependant, il existe certaines hypothèses où la loi prévoit l'intervention du juge administratif, notamment celui des référés, dans l'exécution forcée des décisions administratives, quand aucune sanction pénale n'est prévue, par exemple pour obtenir l'expulsion de personnes occupant sans titre le domaine public, ou de ceux qui perturbent le bon fonctionnement du service public, ou encore même quand aucun mécanisme spécifique n'a été prévu par le législateur tel que celui du recouvrement des créances (20). Parmi les hypothèses prévues par la loi, on peut également mentionner le Code de la construction et de l'habitation sur les édifices menaçant ruine qui prévoit, dans son article L. 511-2 (N° Lexbase : L5334IMI), que le tribunal administratif peut ordonner des travaux d'office en cas de péril imminent. Le juge administratif, dans cette hypothèse, peut même substituer sa propre décision aux mesures de réparation ou à la démolition décidées par le maire dans l'arrêté de péril (CCH, art. L. 511-1 N° Lexbase : L8421HEM).

Les cas de suspension judiciaire de l'exécution des décisions administratives. Les recours juridictionnels contre les décisions administratives n'ayant, sauf exception, pas d'effet suspensif d'exécution, les administrés se trouvent toujours dans l'obligation d'exécuter les décisions faisant l'objet du recours. C'est pour éviter que ne se produisent des conséquences préjudiciables et irréversibles que le juge peut, selon certaines conditions, prononcer le sursis à l'exécution des décisions administratives. C'est la procédure de référé qu'il faut utiliser, par laquelle le juge, statuant comme juge unique, suspend l'exécution des décisions administratives.

Toutes les procédures de référé ne visent pas à la suspension de l'exécution des décisions administratives, mais consistent à ce que le juge ordonne les mesures utiles en fonction des circonstances. S'agissant de la suspension d'exécution, elle est possible dans le cadre des référés "généraux" prévus par le Code de justice administrative (référé-suspension, référé-liberté ou même référé-urgence), ou dans le cadre de référés spéciaux (par exemple le référé précontractuel prévu à l'article L. 551-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1591IEN, ou le référé en matière d'urbanisme, prévu aux articles L. 554-10 N° Lexbase : L3092AL4 à L. 554-12 du même code).


(1) CE, Ass., 2 juillet 1982, n° 25288, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1806ALH).
(2) CE 4° et 6° s-s-r., 18 octobre 2000, n° 208168, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1833AIQ).
(3) CE Ass. 7 juillet 2004, n° 255136, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7719KHD).
(4) A cet égard, la création indirecte de sanctions par l'usage du pouvoir de police est illégale, voir CE 5° et 10° s-s-r., 7 mars 1986, n° 65012 (N° Lexbase : A5710AMG).
(5) T. confl., 2 décembre 1902, n° 00543 (N° Lexbase : A8069BD9), Rec. p.713, conclusions J. Romieu.
(6) Voir, par exemple, le déplacement d'une stèle de granit placée à l'avant d'une tombe, et le déplacement de la plaque portant le nom du défunt : "eu égard à la position initiale de ce monument, au pied même de l'escalier conduisant à l'église paroissiale, la mesure prise par le maire a été décidée légalement sur le fondement de l'article L. 131-2 du Code des Communes, dans un but de sécurité publique" (CE 3° et 8° s-s-r., 24 mars 1997, n° 165273, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9008ADY).
(7) Par exemple, dans l'arrêt "Action française" (T. confl., 8 avril 1935, n° 00822 N° Lexbase : A8174BD4), la mesure d'interdiction et de saisie des journaux était trop générale car frappant indifféremment les lieux où le trouble à l'ordre public était manifeste et les lieux où le risque n'existait pas ou quasiment pas.
(8) Par exemple, l'exécution d'office d'une décision enjoignant à un forain de quitter le champ de foire, en dépit de l'existence d'une sanction pénale encourue par le forain, et ce parce qu'il y avait une menace à la salubrité.
(9) L'absence d'urgence entraîne bien entendu la responsabilité de l'administration : CE, S., 8 avril 1961, n° 46746, Lebon, p. 216.
(10) CE, Ass., 22 novembre 1946, Mathian, Lebon, p. 278.
(11) Les saisies peuvent être justifiées par la loi, comme auparavant pour les armes fabriquées ou commercialisées illicitement (ancien article 24 du décret-loi du 18 avril 1939, sur le matériel de guerre, armes et munitions), ou comme les films diffusés sans visa d'exploitation ( C. industr. cin., art. 22 N° Lexbase : L6408G99), ou encore les saisies conservatoires et ventes de biens saisis pour le recouvrement de créances publiques prévues initialement par le décret n° 63-608 du 24 juin 1963 ; elles peuvent être justifiées également par l'urgence, TC 7 décembre 1950, Bailly, Lebon p. 672.
(12) CE, S., 8 avril 1961, n° 46746, préc..
(13) T. confl., 16 janvier 1995, n° 02938 (N° Lexbase : A5579BQP), Lebon, p. 838.
(14) CE, S., 20 juin 1980, n° 04592, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3801B8B).
(15) Cass. crim., 12 mars 1969, n° 68-90736, publié au bulletin (N° Lexbase : A1362CHW), Bull. crim., n° 114.
(16) Cass. crim., 25 mai 1978, n° 76-90995, publié au bulletin (N° Lexbase : A9510CI3), Bull. crim., n° 167.
(17) Cass. crim., 13 mars 1952, Sirey, 1952, I, p. 175 (police de la chasse) ; Cass. crim., 1er mars 1973, n° 71-93481, publié au bulletin (N° Lexbase : A6379CEY), Bull. crim., n° 107 (police des étrangers) ; Cass. crim., 7 mai 1975, n° 71-92014, publié au bulletin ([LXB=A4534CGZ ]), Bull. crim., n° 120 (police de la presse).
(18) Cass. civ. 1, 2 mai 1978, n° 77-11930, publié au bulletin (N° Lexbase : A7445CEH), Bull. civ., I, n° 169 ; Cass. civ. 1, 14 mai 1991, n° 89-20.492 (N° Lexbase : A4854AHA), Bull. civ., I, n° 158.
(19) CE, Ass., 21 octobre 1994, n° 153458, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0201AIB), Lebon, p. 451.
(20) CE, Ass., 1er mars 1991, n° 118382, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1130B7Y).

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Recouvrement de l'impôt

[Jurisprudence] Nécessité, pour un AMR émis au nom de l'un des débiteurs solidaires d'une imposition, d'une motivation conforme à l'article R. 256-1 du LPF

Réf. : CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 21 mai 2013, n° 2011/20065 (N° Lexbase : A5613KDA)

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N7802BT7

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par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes

Le 04 Juillet 2013

La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 21 mai 2013, vient de rappeler les conditions de régularité de l'envoi d'un avis de mise en recouvrement (AMR) à celui des cohéritiers contre lequel elle exerce son droit de poursuite.

Les faits dans cette affaire sont les suivants : une femme est décédée le 8 août 2004, laissant pour lui succéder ses deux neveu et nièce, héritiers légaux. La déclaration de succession comprenait, notamment, un immeuble de rapport d'une valeur déclarée de 700 000 euros. Le 24 mai 2005, le service a notifié au neveu une proposition de rectification, aux termes de laquelle il a procédé à une rectification de la valeur vénale de cet immeuble, qui a été portée à 930 000 euros. Cette insuffisance d'évaluation a été approuvée par la commission de conciliation dans son avis rendu lors de la séance du 9 décembre 2005. L'avis de mise en recouvrement correspondant a été notifié au neveu, le 24 mars 2006.
Par ailleurs, une copie de cet AMR a été transmise à la nièce, codébitrice solidaire, par courrier du 28 mars 2006, portant la mention "notification de redressement succession". Ce courrier l'informait qu'un redressement avait été notifié le 24 mai 2005 sur les droits de succession de la de cujus et que l'obligation de solidarité s'appliquait au cas particulier à elle-même et à son frère, neveu de la défunte. Ce même courrier lui faisait parvenir, pour information, une copie de l'avis de recouvrement adressée à son cohéritier et lui précisait qu'elle pouvait présenter une réclamation de l'imposition en cause auprès du service à l'origine du redressement. Alors que les impositions ont été soldées par les deux cohéritiers solidaires suivant une réclamation datée du 18 décembre 2009, la nièce a demandé le dégrèvement des impositions qu'elle a estimé avoir acquittées à tort. En l'absence de réponse du service des impôts dans un délai de six mois, la requérante a assigné l'administration des impôts devant le tribunal de grande instance de Créteil, afin de prononcer la nullité de l'avis de mise en recouvrement. Dans cet arrêt, postérieur au décret du 29 août 2006 (décret n° 2006-1092, relatif à la forme et au contenu des avis de mise en recouvrement et modifiant la partie réglementaire du LPF N° Lexbase : L7054HKH), qui impose la notification d'un AMR individuel à celui des cohéritiers contre lequel le service exerce son droit de poursuite, la cour d'appel de Paris précise à quelles conditions la procédure mise en oeuvre est régulière. Le juge du fond apporte de précieuses informations, notamment sur l'étendue de la motivation dont l'AMR doit faire l'objet, en application des dispositions de l'article R. 256-1 du LPF (N° Lexbase : L1501HSE) et juge, en l'espèce, que la procédure suivie à l'encontre de la requérante était régulière, dès lors qu'eu égard à la motivation de l'AMR, le redevable était en mesure d'en comprendre le sens et la portée et de présenter à l'administration des impôts, ainsi qu'elle l'a d'ailleurs fait, une réclamation contentieuse. Cet arrêt semble consacrer ainsi, pour l'indication de la dette, un abandon de la motivation par référence.

I - Obligation pour l'administration d'adresser un avis de mise en recouvrement à tout cohéritier solidaire pour le paiement des droits de succession

L'obligation supportée par l'administration de notifier un titre exécutoire, en l'occurrence un avis de mise en recouvrement, résulte de la loi.

A - Obligation d'envoi d'un AMR à la cohéritière, même si l'administration peut poursuivre n'importe lequel des cohéritiers solidaires

Les dispositions de l'article L. 256 du LPF (N° Lexbase : L1498IP8) prévoient qu'"un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public à tout redevable de sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité". Depuis l'intervention de l'ordonnance n° 2003-1325 du 22 décembre 2003 (ordonnance n° 2003-1325, relative à des mesures de simplification en matière fiscale et supprimant le droit de timbre devant les juridictions administratives N° Lexbase : L9729DLW) et du décret du 29 août 2006, précité, l'avis de mise en recouvrement est individuel et doit être adressé à toute personne tenue conjointement ou solidairement à la dette avant que des poursuites puissent être engagées contre elle, à l'exception, depuis le 1er octobre 2011, des personnes qui ont la qualité de représentant ou d'ayant cause du contribuable.

Pour l'application de l'article L. 256 du LPF, l'article R. 256-2 du LPF (N° Lexbase : L1502HSG) dispose que, "lorsque le comptable poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un avis de mise en recouvrement". Les dispositions de l'article R. 256-2 du LPF ont été mises en conformité avec la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a jugé que l'administration est tenue de notifier un avis de mise en recouvrement préalable à tout cohéritier solidaire pour le paiement des droits de succession avant d'engager des poursuite contre lui (Cass. com., 8 novembre 2005, n° 03-19.570, FS-P+B N° Lexbase : A5077DLM). Antérieurement, les dispositions de l'article R. 256-2 du LPF prévoyaient que, lorsque les sommes d'argent figurant sur l'avis de mise en recouvrement concernaient plusieurs redevables tenus à leur paiement conjointement ou solidairement, la notification pouvait être effectuée soit au moyen d'AMR individuels établis au nom de chacun de ces redevables, soit au moyen d'un AMR collectif.

B - Restriction des effets de la solidarité fiscale à celles qui résultent du Code civil

L'administration peut notifier un redressement à l'un quelconque des débiteurs solidaires de la dette fiscale (Cass. com., 15 mars 1994, n° 92-15.415, inédit N° Lexbase : A5564CTA). L'administration peut choisir le co-débiteur à qui elle demande le paiement de l'intégralité de la dette, la solidarité ne dispensant pas le créancier de disposer d'un titre exécutoire. Le comptable en charge du recouvrement peut alors agir auprès des héritiers en vue d'obtenir le règlement de la totalité des impositions qui sont dues par la succession, lorsque ceux-ci ne l'ont pas refusée. L'obligation qui pèse sur l'héritier emporte que celui-ci a qualité pour contester un acte de poursuite exercé à l'encontre d'un cohéritier à raison d'impositions dont il est le co-débiteur solidaire.

L'abandon des avis de mise en recouvrement collectifs nécessite un surcroît de précision dans le titre exécutoire, d'où la mention de l'article 1709 du CGI (N° Lexbase : L4051ICZ), précisant que les cohéritiers à l'exception de ceux exonérés de droit de mutation par décès sont solidaires. Cette solution repose sur la même technique que celle retenue par la Cour de cassation en matière de donation, qui est fondée sur l'article 1705 du CGI (N° Lexbase : L3350HMZ), dont elle a eu l'occasion de préciser l'interprétation (Cass. com., 21 janvier 1997, n° 95-10.180 N° Lexbase : A1691ACM).

II - Obligation pour l'administration de notifier un AMR motivé

Dès lors que l'AMR est motivé et que cette motivation permet au contribuable de comprendre le sens et la portée de la poursuite engagée et ainsi de présenter, le cas échéant, à l'administration des impôts une réclamation contentieuse, la procédure prévue par les dispositions combinées des articles L. 256 et R. 256-1 du LPF n'est pas entachée d'irrégularité.

A - L'administration n'a pas à notifier à la cohéritière solidaire une proposition de rectification

La de cujus avait laissé pour lui succéder ses deux neveu et nièce, héritiers légaux, la requérante et son frère. L'AMR émis au nom de l'un quelconque des débiteurs solidaires d'une imposition doit être motivé et répondre aux exigences de motivation de l'article R. 256-1 du LPF. Toutefois, l'administration n'est pas tenue de notifier une proposition de redressement à tous les débiteurs solidaires de la dette fiscale, chacun d'eux pouvant opposer, outre les exceptions qui lui sont personnelles, toutes celles résultant de la nature de l'obligation, ainsi que celles qui sont communes à tous les débiteurs. Le service pouvait donc adresser, sans entacher la procédure d'irrégularité, au frère de la requérante, cohériter solidairement tenu au paiement des droits de mutation par décès, la proposition de rectification sur laquelle figurait la mention de la solidarité avec la requérante, puis, après rejet de ses observations et avis de la commission de conciliation, notifier au neveu l'AMR précisant les droits rappelés en vertu de la proposition de rectification.

En l'espèce, la cohéritière solidairement tenue au paiement des droits de mutation par décès avait reçu, par courrier explicatif du 28 mars 2006, une copie de l'AMR régulièrement notifié à l'autre cohéritier solidaire, ce courrier lui indiquant expressément qu'elle pouvait présenter une réclamation de l'imposition en cause auprès du service à l'origine du redressement.

B - Abandon de la motivation par référence pour l'AMR destiné au cohéritier solidaire

La cour d'appel juge que la procédure suivie a été régulière et que l'AMR est suffisamment motivé au regard des dispositions de l'article R. 256-1 du LPF. En l'espèce, l'AMR notifié est régulier pour trois raisons : en premier lieu, l'AMR fait référence à la proposition de rectification, aux observations du contribuable, ainsi qu'à la notification de l'avis de la commission de conciliation. Il justifie, en outre, en droit et en fait, les droits et pénalités rappelés et précise le détail de leur liquidation. En deuxième lieu, l'AMR vise régulièrement, sans contradiction avec les causes de la rectification, l'article 641 du CGI (N° Lexbase : L7673HLR), relatif à l'obligation de déposer une déclaration de succession, ainsi que l'article 777 du même code (N° Lexbase : L9400ITC), sur le tarif des droits de mutation par décès, qui sont l'objet de la créance du Trésor constatée par l'avis litigieux. En troisième et dernier lieu, les droits, taxes et pénalités résultant des rectifications n'ont pas été modifiés ultérieurement à la baisse, dans le cadre de la procédure qui a suivi la rectification.

En jugeant que l'AMR doit être motivé et en précisant le contenu que doit recouvrir cette motivation, la cour d'appel de Paris souligne implicitement que, pour l'indication de la dette, les mentions nécessaires ne peuvent découler d'une simple référence à la proposition de rectification. En effet, le débiteur peut ne pas l'avoir reçue (Cass. com., 19 avril 2005, n° 03-12.911, F-D N° Lexbase : A9574DH3). La motivation de l'AMR est une motivation propre à cet acte. Les mentions que doit comporter l'AMR ne sont donc pas compatibles à la simple référence à la proposition de rectification.

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Social général

[Textes] Commentaire de l'article 1er de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi sur la généralisation de la couverture santé, la fin des clauses de désignation et la réforme de la portabilité

Réf. : Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU)

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N7808BTD

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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Rennes 1 (IODE - UMR CNRS 6262)

Le 09 Juillet 2013

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU), publiée au Journal officiel du 16 juin 2013, contient de nombreuses dispositions intéressant tant la protection sociale que la formation professionnelle, les relations collectives, la mobilité du salarié, le licenciement économique ou encore le temps de travail ou la conciliation prud'homale. Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose de revenir, avec Marion Del Sol, sur l'article 1er énonçant de nouvelles règles en matière de généralisation de la couverture "frais de santé", la nouvelle impossibilité d'introduire des clauses de désignation et, enfin, la réforme de la portabilité. Les accords de maintien dans l'emploi vont, peut-être, faire entrer le droit du travail dans une nouvelle ère. Et, pourtant, ce ne sont pas les dispositions que la loi de sécurisation de l'emploi, consacre à ces accords qui ont été déférées au Conseil constitutionnel. Le contrôle des Sages a, en effet, porté pour l'essentiel sur l'article 1er de la loi, c'est-à-dire sur les dispositions organisant le processus de généralisation de la couverture santé au bénéfice des salariés et, plus précisément, sur la question de la constitutionnalité des clauses conventionnelles de désignation des organismes assureurs. L'attente de la décision du Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2013-672 DC, du 13 juin 2013, loi relative à la sécurisation de l'emploi N° Lexbase : A4712KGM) a tenu en haleine les acteurs de la protection sociale complémentaire, tout particulièrement les institutions paritaires de prévoyance très présentes sur le marché de la couverture collective. L'annonce de la décision a, quant à elle, fait l'effet d'une onde de choc dans ce "Landerneau" car la déclaration d'inconstitutionnalité des clauses de désignation de branche "rebat les cartes" entre les organismes assureurs à l'heure où les parts de marché vont, substantiellement, augmenter sous l'effet de la généralisation de la couverture santé, puis de la prévoyance.

Cet article se propose d'analyser les principales dispositions contenues dans l'article 1er de la loi du 14 juin 2013. Dans un premier temps, il s'intéressera au processus, aux modalités et à l'encadrement de la généralisation de la couverture santé des salariés qui constituent le coeur de cet article dont l'objet, ne l'oublions pas, est d'instituer de nouveaux droits pour les salariés. Dans un second temps, il portera le regard sur les évolutions du dispositif de la portabilité qui ont l'ambition de rendre pleinement effectif cet outil de sécurisation des parcours dont l'origine conventionnelle remonte à 2008.

I - Processus, modalités et encadrement de la généralisation de la couverture santé des salariés

Afin de créer de nouveaux droits pour les salariés, l'article 1er de la loi du 14 juin 2013 prévoit des dispositions devant permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d'une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de "frais de santé" d'accéder à une telle couverture à l'horizon de 2016. Pour y parvenir, le législateur donne une sorte de priorité à la négociation collective. Mais il fait, en même temps, le choix d'encadrer la généralisation tant dans son contenu que dans sa mise en oeuvre... sans oublier que le Conseil constitutionnel s'est quant à lui chargé d'ouvrir la concurrence.

A - Une généralisation encadrée dans son contenu

Bien que les modalités d'instauration de la couverture santé puissent varier d'une branche à l'autre, voire d'une entreprise à l'autre, les pouvoirs publics ont, manifestement, souhaité éviter que la généralisation se fasse au rabais. A cet effet, le nouvel article L. 911-7 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0435IXE), créé par l'article 1er-II de la loi, fixe les exigences qui s'imposent a minima aux négociateurs de branche, d'entreprise et aux employeurs. Ces exigences sont au nombre de trois.

Les contrats conclus avec l'organisme assureur doivent satisfaire aux conditions des contrats "solidaires et responsables". Ce qui n'était jusqu'à présent qu'une condition pour le bénéfice d'un traitement fiscal et social de faveur devient, désormais, une exigence légale. Pour rappel, cela signifie, d'une part, que les contrats doivent être conformes aux conditions posées à l'article 1001 2° bis du Code général des impôts (N° Lexbase : L1296IRG) et donc ne pas fixer des cotisations en fonction de l'état de santé des assurés. Cela emporte, d'autre part, que les conditions de prise en charge prévues à l'article L. 871-1 du Code de la Sécurité sociale ([LXB=L. 871-1]) soient respectées, ce qui rend le contrat "responsable" au sens de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004, relative à l'assurance maladie (N° Lexbase : L0836GT7).

Les contrats doivent garantir une couverture minimale. Le nouvel article L. 911-7 du Code de la Sécurité sociale fait référence à une sorte de "panier" minimal de garanties dont tous les salariés couverts devront bénéficier, que ce soit dans un cadre négocié ou par décision unilatérale. La couverture minimale devra comprendre une prise en charge totale ou partielle du ticket modérateur au titre des prestations en nature de l'assurance maladie, du forfait journalier hospitalier et des frais exposés au-delà des tarifs de responsabilité pour des soins dentaires prothétiques ou d'orthopédie dentofaciale et pour certains dispositifs médicaux à usage individuel admis au remboursement.

La loi détermine en quelque sorte le paramétrage de la couverture minimale : en premier lieu, elle fixe une liste de garanties ou de prestations ; en second lieu, elle impose un niveau plancher pour ces garanties. Toutefois, il n'est pas possible à l'heure actuelle de mesurer la qualité de cette couverture minimale. En effet, la loi renvoie à un décret à paraître le soin de fixer la liste des dispositifs médicaux compris dans le "panier" ainsi que le niveau de la prise en charge des garanties (1). Il va sans dire que ce texte réglementaire donnera le "la" des ambitions des pouvoirs publics et, par voie de conséquence, du coût de la généralisation pour les entreprises et les salariés.

Les dispositions réglementaires à venir constitueront le curseur des négociations de branche et d'entreprise. Il conviendra de les mettre en perspective avec les couvertures professionnelles déjà existantes -souvent de bonne qualité (2)- mais aussi avec le dispositif de la CMU complémentaire dans le cadre individuel. Il importera surtout de regarder attentivement les effets induits de ce "panier" minimal afin de savoir s'il va contribuer à tirer vers le haut la généralisation ou, au contraire, à rendre globalement moins généreuses les prises en charge d'origine professionnelle, y compris pour les salariés déjà couverts aujourd'hui.

Le financement de la couverture doit être assuré au moins à 50 % par l'employeur (3). Ce seuil de 50 % ne surprend guère puisqu'il est assez proche des pratiques observées. Les termes de l'article L. 911-7 du Code de la Sécurité sociale laissent cependant planer une incertitude. En effet, l'alinéa 4 du point II précise que "l'employeur assure au minimum la moitié de cette couverture". Cela renvoie à la couverture minimale précédemment décrite aux alinéas 1 à 3.

En conséquence, lorsque la couverture instituée est plus avantageuse que la couverture minimale, la clé de répartition du financement pourrait être différente et ne pas faire peser sur l'employeur au moins la moitié du coût. Plus exactement, il y aurait lieu de distinguer la part de financement représentative de la couverture minimale, pour laquelle la contrainte légale devra être respectée, et le financement correspondant à la part de la couverture qui excède les minima pour lequel la clé de répartition pourrait être librement déterminée... ce qui peut être un enjeu de négociation.

B - Un processus de généralisation partiellement orienté par le législateur

Si la généralisation d'une couverture "prévoyance" est d'ores et déjà envisagée (4), l'objectif est, dans un premier temps, de généraliser la couverture complémentaire des frais de santé des salariés à échéance du 1er janvier 2016. À cet effet, la loi reprend le dispositif à tiroirs prévu par l'ANI.

Négociations de branche. Le premier "tiroir" oblige les négociateurs de branche à se saisir de cet objet de négociation dès à présent. Bien évidemment, sont concernées les branches dans lesquelles ne préexiste pas un accord instituant un régime "frais de santé" (5) ; s'y ajoutent les branches dans lesquelles le régime institué n'est pas, en termes de garanties et de financement, au moins aussi favorable que le cadre minimal applicable par défaut (v. supra).

La négociation doit, nécessairement, conduire les partenaires sociaux à discuter du niveau de générosité de la couverture puisqu'il leur est enjoint de faire porter les discussions sur la définition du contenu et du niveau des garanties ainsi que sur la répartition de la charge des cotisations entre employeur et salariés (6). Mais il peut, également, s'agir pour eux de s'interroger sur leurs ambitions : négocier des garanties ou instaurer un véritable régime "frais de santé". En effet, l'article 1er précise que, le cas échéant, la négociation peut porter sur "les modalités selon lesquelles des contributions peuvent être affectées au financement de l'objectif de solidarité, notamment pour l'action sociale et la constitution de droits non contributifs".

Mais l'impossibilité d'accorder, désormais, un monopole de gestion à un assureur (v. infra) peut faire fortement douter que des éléments de solidarité seront négociés car on voit mal comment des assureurs n'ayant qu'une part de marché pourront individuellement assumer le coût induit de la solidarité. L'inconstitutionnalité des clauses de désignation conduit, également, à douter que les branches s'engagent résolument dans la détermination d'un contrat de référence dont la tarification serait renvoyée à la discussion contractuelle de gré à gré entre chaque entreprise de la branche et l'assureur choisi par celle-ci (7).

Négociations d'entreprise. Le deuxième "tiroir" a vocation à être ouvert par les entreprises relevant de branches n'ayant pas réussi, avant le 1er juillet 2014, à conclure un accord ou encore dans lesquelles le régime préexistant n'est pas, en termes de garanties et de financement, au moins aussi favorable que le cadre minimal qui sera applicable par défaut. Cette obligation de négocier ne concerne, toutefois, que les entreprises où a été désigné un délégué syndical.

La situation ainsi créée se trouve en contradiction avec la liberté de choix du mode opératoire prévu par l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2615HIP) pour instituer un dispositif de protection sociale complémentaire au niveau "entreprise". Ce texte laisse, en effet, à l'employeur toute latitude pour décider de recourir à un accord collectif, un processus référendaire ou une décision unilatérale. Or, avec l'article 1er II-B de la loi, les entreprises où existe un délégué syndical sont tenues d'une obligation de négociation ; priorité est donc donnée à une mise en place par voie négociée... même s'il ne s'agit que d'une obligation de moyens.

Recours par défaut à la décision unilatérale. Le troisième "tiroir" s'imposera aux entreprises n'étant pas parvenues, au 1er janvier 2016, à instituer par la voie négociée une couverture des frais de santé pour leurs salariés. Dans cette hypothèse, par décision unilatérale, l'employeur devra faire bénéficier les salariés de son entreprise d'une couverture au moins aussi favorable que la couverture minimale dont les caractéristiques seront définies, prochainement, par voie réglementaire (CSS, art. L. 911-7 I).

De nouveau, on est surpris qu'aucune articulation n'ait été pensée avec les dispositions de l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale. Ainsi, aucune place n'est faite à la ratification, à la majorité des intéressés, d'un projet d'accord proposé par le chef d'entreprise (ou accord référendaire). Ce silence de la loi du 14 juin 2013 ne condamne pas, à notre sens, le recours au référendum. Sa dimension consensuelle et collective présente, d'ailleurs, des atouts que ne possède pas la décision unilatérale. Cependant, dans le nouveau cadre légal, en cas d'échec du référendum, le processus de généralisation suivra son cours avec l'adoption par l'employeur d'une décision unilatérale.

On pourrait, dès lors, objecter que, au final, référendum ou pas, cela ne change rien au résultat. Ce serait oublier le jeu de l'article 11 de la loi "Evin" (loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques N° Lexbase : L5011E4D) dont l'article L. 911-7 prend soin de préciser qu'il doit être respecté lorsque le bénéfice de la couverture résulte d'une décision unilatérale. En application de ce texte, tout salarié présent dans l'entreprise au moment où cette décision intervient "ne peut être contraint à cotiser contre son gré à ce système". Lui est, ainsi, reconnu le droit de refuser la couverture d'entreprise lorsqu'une quote-part de financement est mise à sa charge. Autrement dit, le mode opératoire utilisé ne sera pas neutre sur l'effectivité de la généralisation ; si l'effet obligatoire et général tant de l'accord collectif que de l'accord référendaire n'ouvre pas de "droit individuel de sortie", il n'en va pas de même de la décision unilatérale. On peut se demander si, notamment dans les petites entreprises, un risque d'instrumentalisation de l'article 11 n'est pas à craindre, l'employeur pouvant être tenté de "conseiller" aux salariés couverts en individuel de renoncer au bénéfice de la couverture professionnelle et ce afin d'alléger le coût que celle-ci représente pour lui.

Quoiqu'il en soit, en cas de décision unilatérale, l'article L. 911-7 prescrit à l'employeur d'informer les salariés concernés de cette décision (8). Eu égard à l'article 11 de la loi "Evin", il est nécessaire d'aller plus loin et d'organiser une procédure permettant de recueillir par écrit le choix de chaque salarié de cotiser ou non. Le formalisme s'en trouve alourdi mais est gage de sécurité juridique pour l'entreprise (9).

C - Une généralisation ouverte à la concurrence

Au niveau de la branche, la loi prescrit aux partenaires sociaux de négocier sur "les modalités de choix de l'assureur". Cependant, sur cette question, dire que la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013 a rebattu les cartes constitue un doux euphémisme, certains commentateurs n'hésitant pas à recourir à des métaphores guerrières pour évoquer l'onde de choc représentée par l'invalidation du dispositif de la désignation (10).

Quelques éléments de contexte. La loi du 8 août 1994 (11) avait reconnu aux partenaires sociaux la possibilité d'insérer des clauses de désignation en application desquelles les entreprises de la branche étaient tenues de souscrire le contrat de groupe auprès de l'organisme assureur désigné. Parfois même, en présence d'une clause de migration "impérative", elles pouvaient être obligées de changer d'assureur.

La validité de ces clauses au regard du droit de la concurrence a été très largement discutée avec en point d'orgue très récent l'affaire "AG2R". Sans revenir sur l'ensemble de ce contentieux (européen et national) trouvant sa source dans la désignation d'AG2R dans la branche de la boulangerie artisanale, il convient juste de rappeler que la Cour de cassation a considéré, d'une part, que l'obligation d'adhérer à l'organisme assureur désigné par les partenaires sociaux de la branche "revêt un caractère d'ordre public" et, d'autre part, que "l'adaptation en matière de garantie de niveau équivalent consiste nécessairement dans la mise en conformité de l'accord d'entreprise avec l'accord professionnel ou interprofessionnel de mutualisation des risques imposant l'adhésion de l'entreprise au régime géré par l'institution désigné par celui-ci" (validation des clauses de migration "impérative") (12).

Pour autant, l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2620HIU) qui ouvre, à certains conditions (notamment réexamen périodique), la voie aux clauses de désignation a été mis sur la sellette à l'occasion des négociations de l'ANI du 11 janvier 2013. En effet, l'article 1er de l'ANI a précisé que, dans le cadre des futurs accords de branche, "les partenaires sociaux [...] laisseront aux entreprises la liberté de retenir le ou les organismes assureurs de leur choix", éventuellement en guidant ce choix par une simple recommandation.

En arrière-plan, était pointée du doigt l'opacité de certaines pratiques de désignation bénéficiant massivement aux institutions paritaires de prévoyance. Ce quasi monopole de fait des institutions paritaires donnait lieu à de nombreuses critiques, spécialement de la part des autres organismes assureurs présents sur le marché de la protection sociale complémentaire (sociétés d'assurance et mutuelle) et des intermédiaires d'assurance. A l'occasion du processus de généralisation de la couverture santé des salariés, certaines de ces critiques avaient conduit une association de courtiers d'assurance (13), à saisir l'Autorité de la concurrence. Alors que le projet de loi de "transcription" législative de l'ANI était en cours de discussion au Parlement, celle-ci a rendu un avis le 29 mars 2013, relatif aux effets sur la concurrence de la généralisation de la couverture complémentaire collective des salariés (14).

Dans cet avis, l'Autorité de la concurrence formule des préconisations "destinées à restreindre l'atteinte à la concurrence que pourrait causer la généralisation de ces désignations dans un tel contexte". En particulier, elle invite à faire primer la liberté de choix de l'employeur, ce que permettrait une recommandation de branche encadrée (15). S'agissant de la désignation, l'Autorité affirme qu'elle constitue "la modalité la moins favorable au dynamisme de la concurrence" et qu'il ne devrait y être recouru que de façon très exceptionnelle et sous réserve qu'il y ait co-désignation d'organismes relevant de familles différentes.

Pourtant, le Parlement a fait fi des termes de l'ANI et de l'avis de l'Autorité de la concurrence en maintenant, dans la loi définitivement adoptée le 14 mai, le dispositif des clauses de désignation et en se contentant d'ajouter un alinéa à l'article L. 912-1 afin d'instituer une procédure transparente de mise en concurrence en cas de recours par les négociateurs de branche aux clauses de désignation (16). Ces dispositions ont, alors, fait l'objet d'un recours constitutionnel contestant la conformité à la Constitution de certaines dispositions de l'article 1er de la loi ainsi que celles de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale (y compris l'alinéa ajouté), recours dont l'issue était fébrilement attendue par tous les opérateurs d'assurance, tout spécialement les institutions paritaires.

La décision d'inconstitutionnalité des clauses de désignation et de migration. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé le 13 juin (17). Il conclut à l'inconstitutionnalité de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale par un raisonnement en trois temps.

En premier lieu, les Sages soulignent que le mécanisme des clauses de désignation et de migration peut conduire à imposer à des entreprises le prix, les modalités de la protection sociale complémentaire et le choix de l'assureur, ce qui porte a priori atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui ont valeur constitutionnelle (18). Puis, ils précisent que de telles atteintes peuvent être prévues par le législateur dans un but d'intérêt général dont relève la recherche d'une mutualisation des risques, à condition cependant que l'atteinte soit proportionnée au regard de l'objectif poursuivi de mutualisation des risques. Confrontant les clauses de désignation à cette "grille de lecture", ils en concluent que ce n'est pas le cas si l'entreprise est liée avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini. En conséquence, ils affirment que les dispositions du premier alinéa (clause de désignation) et du second alinéa (clause de migration) de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale méconnaissent la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre.

La décision déclare l'ensemble de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale inconstitutionnel. Le dispositif des clauses de désignation et de migration est donc supprimé avec une prise d'effet immédiate. Le recours aux clauses de désignation est, désormais, impossible pour toutes les opérations de protection sociale complémentaire : couverture santé, prévoyance, retraite. La généralisation de la couverture santé, puis ultérieurement de la prévoyance, va donc se réaliser dans un cadre concurrentiel réaménagé puisque les accords de branche ne peuvent plus contraindre les entreprises à contracter avec un organisme désigné par eux ni à migrer vers celui-ci. Le tonnerre est donc tombé sur les institutions paritaires !

Les questions en suspens. La décision du Conseil constitutionnel laisse, cependant, deux questions en suspens. La première, classique mais aux implications pratiques redoutables pour les organismes désignés, concerne l'application dans le temps de cette décision. En effet, le considérant 14 précise que la déclaration d'inconstitutionnalité n'est pas applicable aux contrats en cours pris sur le fondement de l'article L. 912-1 et liant les entreprises à un organisme d'assurance désigné. Quant au propre commentaire du Conseil constitutionnel sur sa décision, il mentionne que "les conventions déjà conclues continueront de produire leurs effets jusqu'à leur terme normal". On ne sait donc pas de façon certaine si la décision du 13 juin permet aux entreprises d'exercer dès à présent leur faculté de résiliation annuelle du contrat souscrit auprès de l'assureur désigné, ou si ces entreprises restent engagées avec cet organisme jusqu'au terme de la clause de désignation (19), ce qui suppose alors d'admettre que ces clauses peuvent perdurer temporairement malgré la déclaration d'inconstitutionnalité. Or, l'enjeu est considérable puisque, de la réponse apportée dépend le "respect des équilibres techniques des organismes désignés, que l'exode [massif et quasi immédiat d'entreprises adhérentes vers le marché concurrentiel] risquerait de mettre à mal" (20).

La seconde incertitude induite par la décision du Conseil constitutionnel concerne les marges de manoeuvre restantes pour les partenaires sociaux de branche. En effet, dans le considérant 11, les Sages admettent que le législateur puisse porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle dans le but de mutualisation des risques, "notamment en prévoyant que soit recommandé au niveau de la branche un seul organisme de prévoyance proposant un contrat de référence y compris à un tarif d'assurance donné ou en offrant la possibilité que soient désignés au niveau de la branche plusieurs organismes de prévoyance proposant au moins de tels contrats de référence". Si le recours à une simple recommandation peut s'envisager, dès à présent, sans modification législative, car elle préserve la liberté contractuelle des entreprises de la branche, il n'en va sans doute pas de même de la co-désignation. A notre sens, un encadrement législatif est nécessaire qui pourrait s'inspirer utilement des préconisations émises par l'Autorité de la concurrence dans son avis du 29 mars dernier.

II - Légalisation et réforme du dispositif de la portabilité

La généralisation de la couverture santé et la disparition des clauses de désignation ont été sous les feux de la rampe et ont laissé quelque peu dans l'ombre la légalisation du dispositif de la portabilité qui se matérialise par l'insertion dans le Code de la Sécurité sociale d'un nouvel article L. 911-8 (N° Lexbase : L0437IXH). Mais, par comparaison avec le cadre conventionnel antérieur, il importe de souligner que cette légalisation ne se réalise pas à droit constant. En effet, la loi du 14 juin 2013 modifie, opportunément nous semble-t-il, le régime conventionnel.

A - Les effets de la légalisation du dispositif de la portabilité

Jusqu'à présent, la portabilité des couvertures complémentaires santé et prévoyance était organisée dans un cadre conventionnel issu de l'ANI du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail (21). La création, par l'article 1er II de la loi du 14 juin 2013, de l'article L. 911-8 du Code de la sécurité légale, lui confère, désormais, une assise légale. Par voie de conséquence, ce dispositif est généralisé alors que son champ antérieur d'application, quoique large, n'en était pas moins limité. En effet, étaient exclus du bénéfice de la portabilité les salariés des entreprises relevant de secteurs d'activité non couverts par les organisations patronales signataires de l'ANI de janvier 2008 (Medef, UPA, CGPME). Il en allait ainsi, par exemple, des salariés des secteurs agricole et de l'économie sociale.

La légalisation emporte droit à la portabilité pour tous les salariés, à compter du 1er juin 2014 au titre des garanties "frais de santé" et du 1er juin 2015 au titre de la prévoyance. Mise en perspective avec la généralisation à venir tant de la couverture santé que prévoyance, cette légalisation doit être saluée car elle permettra de rendre effective la continuité de la protection sociale complémentaire d'origine professionnelle pour les salariés ayant perdu leur emploi et en situation d'indemnisation chômage. Ces périodes de transition professionnelle seront, donc, en principe neutres en matière de couverture sociale tant de l'ex-salarié que, le cas échéant, de ses ayants droit.

B - Le nouveau régime juridique de la portabilité

Le législateur a, manifestement, tiré les enseignements des difficultés d'application et des lacunes du cadre conventionnel. Le nouvel article L. 911-8 réforme à propos le régime juridique afin de donner une effectivité maximale à la portabilité.

D'une possibilité de portabilité à un véritable droit. L'avenant n° 3 de l'ANI de 2008 ouvrait un droit à la portabilité au salarié, auquel celui-ci pouvait renoncer. Le financement de la portabilité étant, rarement, mutualisé, le salarié renonçait souvent au bénéfice du maintien de la couverture en raison du coût que cela pouvait emporter pour lui à un moment où il basculait dans l'indemnisation chômage ; en effet, il devait continuer de supporter la quote-part qui était à sa charge en tant qu'actif et il n'était pas rare que l'employeur retienne sur le solde de tout compte le montant dû pour l'intégralité de la période de portabilité (22), à charge, bien évidemment, pour l'employeur de restituer ultérieurement l'éventuel trop-perçu.

L'alinéa 1er de l'article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale change résolument de logique. Il dispose en effet que "les salariés garantis collectivement [...] bénéficient du maintien à titre gratuit de cette couverture en cas de cessation du contrat de travail [...] ouvrant droit à prise en charge par le régime d'assurance chômage ". C'est donc un véritable droit à la portabilité qui se trouve ainsi affirmé dont l'effectivité réside dans l'abandon du financement "à la sortie" par l'ancien employeur et l'ancien salarié (23).

Certes, la question du financement n'est pas directement évoquée, mais le droit au maintien de la couverture à titre gratuit signifie que le financement de la portabilité sera, dorénavant, supporté par l'employeur et les actifs de l'entreprise. En d'autres termes, une part des cotisations finançant la couverture collective sera consacrée au financement de la portabilité.

Aménagements "techniques". En sus de ce changement conceptuel de la portabilité, l'article L. 911-8 modifie certaines modalités plus techniques du dispositif. Le maintien des garanties reste conditionné, d'une part, à une cessation du contrat de travail ouvrant droit à prise en charge par le régime d'assurance chômage (à l'exception d'un licenciement pour faute lourde) et, d'autre part, à l'ouverture préalable des droits à remboursements complémentaires chez le dernier employeur.

En revanche, les règles relatives à la durée de la portabilité sont modifiées. Cette durée est, certes, toujours égale à la durée de la période d'indemnisation chômage dans la limite de la durée du dernier contrat de travail (24), mais c'est dans une limite maximale portée à douze mois par la loi du 14 juin 2013 (contre neuf en application du cadre conventionnel).

Sur un plan pratique, l'article L. 911-8 impose à l'employeur de signaler le maintien des garanties dans le certificat de travail remis au salarié à son départ de l'entreprise. Elle lui impose, également, d'informer l'organisme assureur de la cessation du contrat de travail. Ainsi, cela permettra que la portabilité soit complètement externalisée à compter de la rupture de la relation d'emploi et ce d'autant qu'il appartient à l'ancien salarié de justifier auprès de l'assureur des conditions du bénéfice de la portabilité (notamment de son indemnisation chômage) (25).

Articulation de la portabilité avec l'article 4 de la loi "Evin". Dès l'adoption du mécanisme de la portabilité, il avait été souligné l'absence d'articulation avec l'article 4 de la loi "Evin" (26). En effet, pour les régimes à adhésion obligatoire "frais de santé", ce texte oblige l'organisme assureur à maintenir le même niveau de couverture au salarié dont le contrat de travail vient à cesser (27) et ce à la demande de ce dernier formulée dans les six mois (28). L'article 4 vise les hypothèses où, consécutivement à la cessation de son contrat, l'ancien salarié perçoit une pension de retraite, une rente d'invalidité ou d'incapacité ou des allocations chômage.

Cette dernière hypothèse recoupe, donc, les situations visées par la portabilité, ce dont tient compte le nouveau cadre légal institué. En effet, la loi du 14 juin 2013 complète l'article 4 de la loi "Evin" afin de rendre les dispositifs complémentaires. Ainsi, la demande de maintien à titre individuel fondée sur l'article 4 pourra, désormais, être sollicitée au terme de la période de portabilité, plus exactement dans les six mois qui suivent l'expiration de cette période.


(1) Le décret aura, également, pour objet de fixer les catégories de salariés dispensés, à leur initiative, de l'obligation d'affiliation eu égard à la nature ou aux caractéristiques de leur contrat de travail ou au fait qu'ils disposent, par ailleurs, d'une couverture complémentaire. Il devra, enfin, préciser les conditions dont fait l'objet la couverture des salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle et ce en raison de la couverture garantie par ce régime.
(2) Il ne sera pas inintéressant de comparer les dispositions du décret avec le "panier" minimaliste qui figurait dans l'ANI du 11 janvier 2013 : 100 % de la base de remboursements des consultations, actes techniques et pharmacie en ville et à l'hôpital (c'est-à-dire prise en charge du ticket modérateur) -prise en charge totale du forfait journalier hospitalier- 125 % de la base de remboursement des prothèses dentaires et un forfait optique de 100 euros par an.
(3) Un décret déterminera les modalités spécifiques du financement de la couverture en cas d'employeurs multiples et pour les salariés à temps partiel.
(4) Avant le 1er janvier 2016, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels devront engager une négociation en vue de permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d'une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de prévoyance au niveau de leur branche ou de leur entreprise d'accéder à une telle couverture.
(5) Branches dont le nombre est estimé à 260. V. le rapport d'activité de la COMAREP (Commission des accords de retraite et de prévoyance), rendu public le 25 avril 2012, qui montre qu'en 2011, seules 48 branches disposent d'une couverture des frais de santé.
(6) La négociation doit, également, s'intéresser aux cas dans lesquels la situation particulière de certains salariés ou ayants droit, lorsque ceux-ci bénéficient de la couverture, peut justifier des dispenses d'adhésion à l'initiative du salarié.
(7) Cependant, si la négociation de branche aboutit à un accord, un délai d'au moins à dix-huit mois et expirant au plus tard le 1er janvier 2016, doit être laissé aux entreprises pour se mettre en conformité avec le nouveau cadre conventionnel.
(8) L'employeur étant débiteur de cette obligation d'information, il lui appartient de se ménager la preuve de la remise d'un document informatif précis aux salariés.
(9) Sera, ainsi, évité un risque de redressement par les URSSAF, puisque l'absence de justificatif de refus peut faire perdre au dispositif institué son caractère obligatoire et, par voie de conséquence, son traitement social de faveur (v. dans sa version actuelle, la circulaire DSS n° 2009/32 du 30 janvier 2009 [LXB=2009/32], spéc. fiche n° 6, p. 17).
(10) F. Wismer, Impact après déflagration, SSL, n° 1590-1591, 2013, p. 12 ; J. de Baudus, La bombe du 13 juin n'a pas fini d'exploser..., Blog de Jacques de Baudus, 14 juin 2013.
(11) Loi n° 94-678 du 8 août 1994, relative à la protection sociale complémentaire des salariés et portant transposition des directives n° 92-49 et n° 92-96 des 18 juin et 10 novembre 1992 du Conseil des communautés européennes (N° Lexbase : L5156A4Q).
(10) Cass. soc., 5 décembre 2012, n° 11-18.716, F-D (N° Lexbase : A5766IY9) et 11-24.233, F-D (N° Lexbase : A5763IY4) ; 27 novembre 2012, n° 11-18.556 à 11-18.560, F-D (N° Lexbase : A8626IXR), 11-18.554, F-D (N° Lexbase : A8716IX4) et 11-19.781, F-D (N° Lexbase : A8735IXS) ; 21 novembre n° 10-21.254 à 10-21.257, F-D (N° Lexbase : A5052IXE).
(13) L'APAC : Association pour la promotion de l'assurance collective.
(14) Autorité de la concurrence, avis n° 13-A-11 du 29 mars 2013, relatif aux effets sur la concurrence de la généralisation de la couverture complémentaire collective des salariés en matière de prévoyance (N° Lexbase : X2504AMP).
(15) Au regard de l'avantage concurrentiel dont disposeraient les organismes recommandés, l'Autorité de la concurrence préconise qu'ils soient tenus de proposer un contrat de référence identique pour l'ensemble de la branche et qu'ils ne puissent refuser d'assurer certaines entreprises de la branche ni mettre fin aux prestations pendant la durée de la recommandation.
(16) L'alinéa en question précise que la mise en concurrence doit être réalisée "dans des conditions de transparence, d'impartialité et d'égalité de traitement entre les candidats et selon des modalités prévues par décret". À cette fin, un décret devra, notamment, fixer règles destinées à garantir une publicité préalable suffisante, à prévenir les conflits d'intérêts et à déterminer les modalités de suivi du contrat.
(17) Cons. const., décision n° 2013-672 DC, du 13 juin 2013, loi relative à la sécurisation de l'emploi, préc.
(18) Contrairement à l'avis de l'Autorité de la concurrence, l'analyse des clauses de désignation n'est pas abordée sous l'angle de l'éventuelle atteinte à la libre concurrence. Cela s'explique par le fait que la libre concurrence ne présente pas de valeur constitutionnelle.
(19) C'est-à-dire jusqu'à la date prévue par les partenaires sociaux pour son réexamen.
(20) F. Wismer, Impact après déflagration, SSL, n° 1590-1591, 2013, p. 13.
(21) En réalité, c'est l'avenant n° 3 à l'ANI, conclu le 18 mai 2009 (N° Lexbase : L8800IEN), qui est le texte conventionnel opérationnel du dispositif de la portabilité.
(22) En fait, c'était un moyen de dissuader le salarié de demander le jeu du dispositif de la portabilité. Par conséquent, l'entreprise était dispensée alors de financer sa propre quote-part.
(23) Il est, également, à noter que la portabilité est étendue aux ayants droit du salarié qui bénéficient effectivement des garanties collectives à la date de la cessation du contrat de travail.
(24) Le cas échéant, pour les salariés enchaînant des CDD, sera retenue la durée cumulée des derniers contrats de travail "lorsqu'ils sont consécutifs chez le même employeur".
(25) Comme dans le cadre conventionnel, les garanties maintenues au bénéfice de l'ancien salarié sont celles en vigueur dans l'entreprise. La loi prend, toutefois, soin de préciser que "le maintien des garanties ne peut conduire l'ancien salarié à percevoir des indemnités d'un montant supérieur à celui des allocations chômage qu'il aurait perçues au titre de la même période".
(26) J. Barthélémy, La portabilité des garanties collectives de prévoyance, Dr. soc., 2008, p. 325-328.
(27) L'article 4 peut également être mobilisé par les ayants droit du salarié dans les six mois qui suivent le décès de celui-ci.
(28) L'article 4 peut, également, être mobilisé par les ayants droit du salarié dans les six mois qui suivent le décès de celui-ci.

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