La lettre juridique n°533 du 27 juin 2013

La lettre juridique - Édition n°533

Éditorial

Les "robots létaux autonomes" et la fin de la "théorie des baïonnettes intelligentes"

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N7673BTD

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Il y a peu nous nous interrogions, à la suite d'Alain Bensoussan, sur l'opportunité d'accorder certains attributs de la personnalité aux robots munis d'une intelligence artificielle (IA). Tout cela faisait un peu "oeuvre de science-fiction", de l'Isaac Asimov revisité, mais le débat naissant sur les "armes autonomes" et autres "robots létaux autonomes" (RLA) pourrait bien poser, bientôt, les termes d'une prospective sur la responsabilité de ces intelligences, et pire, sur l'irresponsabilité des hommes "derrière les machines"...

La lecture du Monde, en ce 19 juin 2013, a de quoi glacer le sang : "'Deux des trois gars que nous pourchassions étaient morts, mais le troisième avait perdu sa jambe droite, et il courait encore... Et je regardais ce type se vider de son sang'. Brandon Bryan observait sur l'écran de contrôle les conséquences du tir, depuis un drone Predator, de trois missiles qu'il venait de déclencher en Afghanistan, à plus de 10 000 km du cockpit climatisé où il était assis, dans le Nevada. Là-bas, l'homme était en train de mourir : il le savait car, sur l'image thermique, son sang prenait peu à peu la même couleur que le sol. En fermant les yeux, je continuais à voir chaque petit pixel. C'est moi qui avais guidé les missiles, j'avais perdu le respect de la vie'". Et l'article poursuit : "L'ancien opérateur n'est pas certain que les trois hommes qu'il a tués ce jour-là étaient des talibans ni même qu'ils étaient menaçants. Mais il n'était pas en position, dit-il, de se poser de questions" (in Les blessures à l'âme des tueurs à distance).

Depuis, l'on sait que plusieurs de ces soldats d'un nouveau genre sont atteints d'un syndrome de stress post-traumatique. Aucune guerre ne laisse indemne, mais ces "guerres à distance" semblent laisser encore plus de séquelles depuis qu'il y a ce détachement entre la prise de risque et le crime contre l'ennemi ou supposé tel ; comme si c'était cette prise de risque, justement, qui légitimait, alors, le fait de tuer son adversaire, dont les instincts meurtrier et/ou belliqueux sont similaires. Là, tranquillement installé à des milliers de kilomètres du lieu du crime, il y a une déconnexion avec la réalité de la guerre qui, finalement, si elle n'avait pas pour effet de troubler les consciences, serait, comble de l'horreur, le symbole d'une déshumanisation de l'assassinat : ce que les drones tueurs et autres RLA du futur seront à même d'offrir au genre humain, la tranquillité d'esprit.

"Non seulement il n'existera jamais aucune méthode objective (informatique) pour établir les coûts et avantages d'une opération militaire et permettre d'engager la force dans des conditions éthiques satisfaisantes, mais la vitesse des robots ne permettra plus à l'homme d'intervenir. Ils ne pourront respecter ni la discrimination ni la proportionnalité. Et comme le savent tous ceux qui ont des notions informatiques, si deux machines de programmes inconnus se rencontrent, le résultat est aléatoire et peut créer un dommage imprévisible'"... Nous livre un autre article du même jour (in Le spectre des robots tueurs)... Rassurant, n'est-il pas ?

Alors se pose inéluctablement la question de la responsabilité. Avec ces nouvelles intelligences artificielles autonomes, non seulement l'Homme n'aura plus de sentiment de culpabilité, mais il ne sera plus responsable : mieux qu'avec le sang contaminé !

Il y a peu encore, on invoquait la "théorie des baïonnettes intelligentes" pour condamner celui qui avait obéi à un ordre manifestement illégal émanant d'une autorité légitime : hier, des cantonniers ayant reçu l'ordre de jeter des déchets dans une rivière (1955), un préfet ayant collaboré à la Shoah, sur ordre du gouvernement de Vichy (1997), ou des gendarmes ayant incendié une paillote sur les sables corses (2004) ; demain, quid de l'application de l'article 122-4 du Code pénal ? Et, l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983 peut bien disposer que "tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas ou l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public" ; mais qu'en sera-t-il pour nos drones de demain ? Non point que le fait de commettre un crime, dans le cadre d'un conflit armé soit illégal en soi -c'est le domaine réservé du droit de la guerre-, mais l'on sait que l'erreur, même informatique, est possible et que des "dommages collatéraux" sont, parfois, à déplorer.

On a essayé de nous faire croire que la "guerre propre" était celle qui n'entraînait ni morts, ni blessés ; alors, qu'elle permet, au mieux, à l'un des belligérants de ne pas avoir de sang sur les mains ; et demain, de pointer sa "baïonnette autonome intelligente" sans qu'il soit responsable, lui, d'un quelconque libre arbitre. Il ne nous restera plus, après avoir accordé moult droits aux robots du futur, qu'à envisager leur propre responsabilité pénale -de la personnalité des peines oblige-.

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Atteinte à la profession d'avocat en Turquie : le soutien de l'Union Internationale des Avocats - Questions à Jean-Marie Burguburu, président de l'UIA et ancien Bâtonnier du barreau de Paris

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N7665BT3

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef

Le 27 Juin 2013

Le 17 mars 2013, s'est tenue l'assemblée générale extraordinaire du barreau d'Istanbul. Jean-Marie Burguburu, Président de l'Union Internationale des Avocats, s'est exprimé, dans un discours prononcé devant les avocats turcs sur les atteintes portées à la liberté d'exercice de la profession. En effet, depuis quelques années, de nombreux avocats ont été victimes de harcèlement judiciaire pour avoir exercé leur métier. Notamment, une assimilation a été parfois opérée entre leurs clients ou leurs causes, et eux-mêmes. D'autres avocats turcs sont victimes de harcèlement parce qu'ils s'impliquent dans la promotion des principes universels des droits de l'Homme. L'Union Internationale des Avocats apporte son soutien au barreau d'Istanbul, "l'un des plus grands et des plus courageux barreaux du monde", dixit Jean-Marie Burguburu. L'UIA, qui rassemble plus de 2 000 membres individuels et 200 barreaux, fédérations et associations répartis dans plus de 110 pays, défend les avocats harcelés ou menacés dans le monde, par des actions de lobbying, de missions d'observation et de contacts directs avec les autorités des pays considérés. Afin de faire le point sur la situation en Turquie, à l'heure d'une impulsion démocratique explosive et contestataire vis-à-vis du pouvoir en place, Lexbase Hebdo - édition Professions a interrogé Jean-Marie Burguburu, président de l'UIA et ancien Bâtonnier du barreau de Paris.

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter l'Union internationale des avocats ? Quelles sont ses missions ? Qui rassemble-t-elle ?

Jean-Marie Burguburu : L'Union Internationale des Avocats (UIA) est la plus ancienne association internationale d'avocats. En 1927, à l'époque de sa création, elle s'était fixée pour mission notamment de contribuer à l'établissement d'un ordre juridique international basé sur les principes des droits de l'Homme et de la justice entre nations par la loi et pour la paix.

Aujourd'hui, c'est une association ouverte à tous les avocats du monde, généralistes ou spécialistes, qui défend la profession d'avocat, stimule les contacts internationaux, la coopération et l'échange de connaissances. Pour ce faire, elle organise de nombreux séminaires thématiques internationaux partout dans le monde. L'UIA était à Prague il y a quelques jours pour un forum de Centres de médiation, elle sera très prochainement à Ljubljana où je me rendrai personnellement pour un séminaire sur la négociation et la gestion des contrats de distribution, et dans quelques mois elle organisera à Macao, en Chine, son congrès annuel.

Afin d'assurer le caractère vraiment international de l'UIA, la présidence ne dure qu'un an. Pendant cette année, le Président est mobilisé pour agir dans le monde entier au nom de l'UIA. Ainsi, je reviens de plusieurs voyages à Pékin, Montréal, Tokyo, Séoul, Hong Kong et Macao, pour préparer notre congrès.

Dans tous les pays dans lesquels elle se rend, l'UIA est attentive au respect de l'exercice de la profession : elle suit de près les évolutions liées à la pratique du métier (par exemple la mise en place des Alternative Business Structures dans les pays de Common law) et les libertés qui entourent l'avocat. C'est l'une des raisons pour lesquelles, en ma qualité de Président, je me suis rendu à Istanbul soutenir le Bâtonnier Ümit Kocasakal. La situation en Turquie est très tendue ces derniers temps, ce qui se passe au niveau de la profession d'avocat en est la triste illustration.

Lexbase : Comment est perçue la profession d'avocat en Turquie ? Pourquoi le pouvoir en place ne défend-il pas l'intégrité de ses membres ?

Jean-Marie Burguburu : La profession d'avocat en Turquie est bien perçue par la société civile. Ce sont ses relations avec le Gouvernement qui posent problème. Le barreau d'Istanbul compte à peu près 25 000 membres, comme celui de Paris.

En Turquie, les avocats participent aux mouvements d'opinion. Le 11 juin dernier, 45 avocats ont encore été mis en détention car ils protestaient contre les interventions de police et contre l'attitude du Gouvernement vis-à-vis des protestations populaires.

Ce n'est pas tout. De nombreux autres avocats turcs poursuivis ces derniers temps l'ont été car ils sont injustement confondus avec les clients qu'ils défendent, notamment les opposants politiques. Le pouvoir turc a une fâcheuse propension à confondre l'avocat des opposants politiques avec les opposants politiques eux-mêmes. C'est ce que j'ai dénoncé lorsque je me suis exprimé devant l'Assemblée générale extraordinaire du barreau d'Istanbul, le 17 mars dernier, en rappelant qu'on ne confondait pas l'avocat d'un criminel avec un criminel, et en soulignant que la liberté d'exercice doit être respectée.

Le Bâtonnier d'Istanbul, Ümit Kocasakal, a refusé de désigner des avocats commis d'office lorsque des opposants kurdes ont décidé de demander à leurs avocats de ne pas comparaître. C'est la cause initiale des poursuites et, malheureusement, rien n'est encore réglé.

Lexbase : Quelles sont les actions que peut mettre en place l'Union internationale des avocats ?

Jean-Marie Burguburu : L'Union Internationale des Avocats participe, avec un nombre considérable d'organisations nationales et internationales, de toute l'Europe et du monde entier, à des missions d'observation, notamment dans ce procès où le Bâtonnier Ümit Kocasakal est poursuivi. La présence d'observateurs étrangers est essentielle et la presse s'en fait le relai pour autant qu'elle veuille bien ne pas suivre le diktat du pouvoir. L'UIA, par sa position prééminente, est leader dans la défense des avocats poursuivis : c'est ce que nous appelons la "défense de la défense". Cette défense de la défense nous amène dans tous les pays du monde où les avocats sont empêchés d'exercer leur profession.

Lexbase : Le harcèlement des avocats est-il une pratique courante ? Quels sont les Etats les plus concernés ?

Jean-Marie Burguburu : On ne peut pas dire que ce soit une pratique courante ; elle est rare dans les pays véritablement démocratiques ; elle est plus fréquente dans des pays politiquement moins développés. Ces derniers temps, l'UIA a apporté son soutien dans des dossiers d'atteinte à l'exercice de la profession d'avocat en Inde, en Guinée équatoriale, en République démocratique du Congo, au Zimbabwe, mais aussi en Colombie ou en Iran.

A chaque fois, il s'agit d'avocats menacés ou harcelés par rapport aux dossiers qu'ils défendent : ce sont souvent des dossiers politiques sensibles ou concernant des opposants politiques.

Lexbase : Pensez-vous qu'une "charte" mondiale, signée par l'ONU par exemple, pourrait être signée pour protéger la profession à travers le monde ?

Jean-Marie Burguburu : Une telle charte existe déjà. Il s'agit des Principes de base relatifs au rôle du Barreau, adoptés par le huitième Congrès des Nations-Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, qui s'est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990, et auquel la plupart des pays du monde était représentée. En cela, c'est un texte essentiel pour la défense de la profession. Ces principes sont formulés pour aider les Etats à veiller au respect des droits des avocats à exercer librement leur profession dans le cadre de leur législation et de leur pratique nationales.

Je pense également à la recommandation 2000/21 du Conseil de l'Europe sur la liberté d'exercice de la profession d'avocat (adoptée par le Comité des ministres le 25 octobre 2000). C'est un texte particulièrement pertinent au sujet de la Turquie, puisque cette dernière est membre du Conseil de l'Europe.

Enfin, je peux encore vous citer en exemple les directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique, adoptées par la Commission africaine des droits de l'Homme. Ces textes démontrent le caractère universel des garanties et protections dont doivent bénéficier les avocats et ont une valeur contraignante au titre de la coutume internationale.

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] La réalisation de la condition suspensive hors-délai ou la caducité automatique de la promesse

Réf. : Cass. civ. 3, 29 mai 2013, n° 12-17.077, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9409KE9)

Lecture: 10 min

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par Séverin Jean, Maître de conférences à l'Université Toulouse 1 Capitole (IEJUC EA1919)

Le 27 Juin 2013

Le visa de certains arrêts ne trompe pas ! Que penser, par exemple, de l'arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 29 mai 2013, au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) ? Sans le lire attentivement, le juriste sait qu'il sera question, soit de la force obligatoire des conventions, soit de leur exécution de bonne foi. Il aura naturellement raison, mais s'apercevra, après une lecture approfondie, que seule la force obligatoire est concernée et invoquée pour prononcer la caducité d'une promesse synallagmatique de vente en raison de l'irrespect de la réalisation d'une condition suspensive dans le délai convenu. En effet, une société vendit, par une promesse synallagmatique de vente, un terrain et des bâtiments à une autre société. L'acte prévoyait d'une part, une condition suspensive consistant, pour l'acquéreur, à obtenir un prêt avant le 30 novembre 2010 et d'autre part, une stipulation par laquelle la régularisation de la vente par acte authentique devait intervenir avant le 31 décembre 2010. Deux jours avant l'arrivée du terme pour l'obtention du prêt, le bénéficiaire de la promesse demanda par courrier, resté sans réponse, au promettant une prorogation du délai pour l'accomplissement de la condition suspensive. L'année suivante, le bénéficiaire indiqua au promettant qu'il avait enfin obtenu le prêt et qu'il sollicitait, dès lors, une date pour la régularisation de la vente. Après que le promettant répondit au bénéficiaire que la promesse était caduque, ce dernier l'assigna en exécution forcée de la vente.

La cour d'appel de Dijon, par un arrêt du 26 janvier 2012 (1), considéra que la promesse n'était pas caduque dans la mesure où, d'une part, la condition suspensive avait été prévue dans l'intérêt exclusif du bénéficiaire et, d'autre part, parce qu'aucune sanction comme la caducité n'avait été prévue en cas d'irrespect du terme fixé pour régulariser la vente. Dès lors, pour la cour d'appel, le bénéficiaire pouvait légitimement poursuivre la vente, d'autant que le promettant ne l'avait pas mis en demeure de s'exécuter et n'avait pas agi en résolution. Le promettant forma alors un pourvoi en cassation obligeant alors les magistrats du Quai de l'Horloge à se demander si l'irrespect de la réalisation d'une condition suspensive dans le délai convenu emportait caducité de la promesse ?

La Cour de cassation, au visa de l'article 1134 du Code civil, prononça la caducité de la promesse au motif "qu'un délai était prévu pour la réalisation de la condition suspensive et qu'à la date prévue pour la régularisation de la vente par acte authentique, cette condition n'était pas accomplie". En outre, elle précise que le promettant n'avait aucunement accepté un report du délai de signature. Si par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle l'importance de la réalisation de la condition suspensive afin de rendre la promesse synallagmatique efficace (I), elle affirme autoritairement, mais à juste titre, qu'il convient de respecter la volonté des parties en réalisant la condition suspensive dans le délai convenu (II).

I - L'importance de la réalisation d'une condition suspensive

Condition suspensive et promesse synallagmatique de vente. La présence d'une condition suspensive dans une promesse synallagmatique de vente portant sur un immeuble est en soit classique. En effet, on sait alors que l'efficacité de la vente sera conditionnée par l'accomplissement de la condition suspensive (A). En revanche, si l'on sait aussi que la condition défaillie emporte caducité de la vente, cet arrêt apporte un éclairage intéressant quand la condition est, certes réalisée, mais hors délai (B).

A - L'efficacité de la vente conditionnée par la réalisation de la condition suspensive

Promesse synallagmatique de vente vaut vente. La promesse synallagmatique de vente est le contrat par lequel les parties s'engagent l'une -le promettant- à vendre et l'autre -le bénéficiaire- à acheter un bien pour prix déterminé. Dès lors, on comprendra que, par principe, la vente est parfaite dans la mesure où toutes les conditions de sa formation sont remplies, c'est-à-dire la détermination de la chose et du prix conformément à l'article 1589 du Code civil (N° Lexbase : L1675ABN) (2). Toutefois, à l'image de la décision commentée, le prix, en matière de vente immobilière, est souvent payé à l'aide d'un prêt. Or, il est bien évident que son obtention n'est pas certaine, de sorte qu'il est régulièrement inséré dans l'acte une clause par laquelle la vente ne sera parfaite que si l'acquéreur obtient le prêt. En d'autres termes, la promesse synallagmatique de vente peut être assortie d'une condition suspensive.

De la condition suspensive. L'article 1181, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1283AB7) dispose que "l'obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d'un événement futur et incertain, ou d'un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties". En l'espèce, la vente est déjà formée mais n'est pas définitive puisque l'événement conditionnel, incertain et futur -l'obtention du prêt- peut ne pas se réaliser. Par conséquent, ce n'est que lorsque la condition est réalisée que la vente produit rétroactivement ses effets. On notera qu'en tout état de cause, la réalisation de la condition n'est pas une condition de la formation du contrat, mais elle lui confère son efficacité, de sorte que son accomplissement est tout autant important (3). En effet, à défaut de réalisation de la condition de la promesse synallagmatique de vente, celle-ci est caduque (4) en ce sens qu'elle ne produira aucun effet, et plus encore, elle sera réputée n'avoir jamais existée. En d'autres termes, la défaillance de la condition suspensive a pour effet de faire comme si le droit soumis à condition suspensive n'était jamais né ; il est caduc rétroactivement. Si ce schéma est parfaitement logique, la question de la caducité est plus délicate, lorsqu'il s'agit de l'envisager quand la condition suspensive est certes réalisée, mais hors délai.

B - La caducité de la vente consécutive à la réalisation hors délai de la condition suspensive

De la condition suspensive avec ou sans délai. L'article 1176 du Code civil (N° Lexbase : L1278ABX) dispose que "lorsqu'une obligation est contractée sous la condition qu'un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivé. S'il n'y a point de temps fixe, la condition peut toujours être accomplie [...]". Cette disposition distingue donc clairement selon que la condition -suspensive- doit être accomplie ou non dans un délai déterminé.

De la condition suspensive sans délai. Quand aucun délai n'est prévu, il est bien naturel que la réalisation de la condition suspensive puisse toujours intervenir (5). C'est d'ailleurs l'argumentation principale développée par le bénéficiaire de la promesse synallagmatique de vente pour demander l'exécution forcée de la vente. En effet, selon lui, bien que la condition suspensive ne se soit pas réalisée à la date prévue et bien que son accomplissement ne soit intervenu qu'après la date fixée pour la régularisation de la vente par acte authentique, il n'en demeure pas moins que la vente doit être considérée parfaitement efficace. En réalité, le défendeur au pourvoi -le bénéficiaire- se fonde sur la jurisprudence généralement invoquée quand la condition suspensive est réalisée après le terme fixé pour la régularisation de la vente par acte authentique. Dans cette hypothèse, la jurisprudence refuse de prononcer la caducité de la promesse synallagmatique de vente (6) sauf en présence d'une clause (7) prévoyant comme sanction, par exemple, la caducité (8). A vrai dire, si cette jurisprudence se conçoit, lorsqu'aucun terme pour la réalisation de la condition n'est prévu, et ce quand bien même la condition serait accomplie après le terme fixé pour la régularisation de la vente par acte authentique, il en va, en revanche, autrement, lorsqu'un délai de réalisation de la condition a été contractuellement prévu.

De la condition suspensive avec délai. L'article 1176 du Code civil est très clair : quand "une condition est contractée sous la condition qu'un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivéun délai était prévu pour la réalisation de la condition suspensive et qu'à la date prévue pour la régularisation de la vente par acte authentique, cette condition n'était pas accomplie [...]". Aussi, il faut croire que les juges du fond ont tenté d'appliquer à l'espèce la jurisprudence relative à la condition suspensive lorsqu'aucun délai n'est prévu pour sa réalisation, alors même précisément, qu'un délai était justement contractuellement stipulé. Mais la réalité est tenace et la clarté de l'article 1176 du code précité conduisent à une seule solution possible : lorsque la condition suspensive n'est pas accomplie dans le délai déterminé, la promesse synallagmatique de vente contenant cette modalité est caduque. Dans cette situation, seul le consentement mutuel des parties à la réalisation de la condition suspensive hors délai permet de remédier à sa défaillance (9) et s'analyse alors, non pas comme une prorogation du délai, mais comme le maintien de l'acte "entre les parties [...] en dehors des obligations précises prévues par l'acte initial [...]" (10). La présence d'un délai pour réaliser la condition suspensive apparaît ainsi comme le point d'ancrage de cette jurisprudence et justifie pleinement la cassation de l'arrêt d'appel.

II - L'incidence d'un délai de réalisation d'une condition suspensive

Du délai, que du délai. Pour la Cour de cassation, le délai de réalisation de la condition suspensive témoigne de la volonté du promettant de pouvoir se délier une fois celui-ci expiré. Aussi, les magistrats du Quai de l'Horloge ne sauraient accepter l'argument tenant à dire que la condition a été prévue dans l'intérêt exclusif du bénéficiaire de la promesse (A), tout comme ils ne sauraient déduire du silence, gardé par le promettant, une acception à la demande de report du délai d'accomplissement de la condition (B).

A - L'impossible intérêt exclusif du bénéficiaire à la condition suspensive

Notion. La cour d'appel, en indiquant que "la condition d'obtention de prêts était prévue dans l'intérêt de l'acquéreur [...]", semble insinuer que le fait que la condition suspensive n'ait été accomplie qu'après le terme prévu pour sa réalisation et qu'après le terme fixé pour la régularisation de la vente par acte authentique, ne fait pas obstacle à la poursuite de la vente. En effet, la jurisprudence considère que lorsque la condition est stipulée dans l'intérêt exclusif de l'une des parties (en l'espèce du bénéficiaire de la promesse), seule cette dernière est en droit de se prévaloir des conséquences juridiques attachées à la défaillance de cette condition (11). En d'autres termes, si la condition suspensive -l'obtention du prêt- n'est prévue que dans l'intérêt de l'une des parties -le bénéficiaire de la promesse-, alors la condition peut toujours être réalisée et ce, même après le terme fixé pour la régularisation de la vente par acte authentique. Pourtant, cette argumentation est rejetée à juste titre par la Cour de cassation, car l'intérêt exclusif ne saurait être retenu lorsqu'un délai pour accomplir la condition suspensive est stipulé par les parties.

L'exclusion de l'intérêt exclusif en présence d'un délai de réalisation de la condition suspensive. Si on peut effectivement avancer l'idée selon laquelle la condition suspensive tenant à l'obtention d'un prêt est stipulée dans l'intérêt exclusif du bénéficiaire, ce n'est plus le cas lorsque les parties à la promesse synallagmatique de vente ont précisé un délai dans lequel la condition doit être réalisée. En effet, la fixation de ce délai témoigne assurément de l'intérêt pour le promettant de pouvoir se délier de son engagement si le bénéficiaire n'obtient pas le prêt. En d'autres termes, l'existence d'une condition suspensive, dont l'accomplissement doit intervenir dans un délai déterminé, conduit à considérer que les parties ont un intérêt commun à cette stipulation (12). Dès lors, le visa de l'article 1134 du Code civil s'explique aisément, puisqu'en obligeant le bénéficiaire de la promesse à obtenir le prêt dans le délai convenu, on ne fait que respecter la force obligatoire des conventions ; l'un a certes voulu conditionner l'efficacité de la vente à l'obtention d'un prêt, mais l'autre a aussi souhaité que cette situation ne dure pas indéfiniment. Aussi, dans une telle situation, il est normal que les deux parties puissent se prévaloir de la défaillance de la condition suspensive. En outre, et c'est l'autre enseignement de cet arrêt, le fait que le bénéficiaire ait demandé le report du délai de la réalisation de la condition suspensive est inopérant si le promettant ne l'a pas expressément accepté.

B - L'impossible prorogation tacite du délai de réalisation de la condition suspensive

Silence ne vaut point prorogation de délai. Là encore, la présence d'un délai dans lequel la condition suspensive doit être accomplie tend à considérer que le silence gardé par le promettant à la demande de report dudit délai ne peut valoir acceptation. La raison en est que la stipulation de ce délai pour le promettant est pour lui un élément essentiel de la vente, tout comme l'est la présence de la condition suspensive pour le bénéficiaire. Par conséquent, la présence de ce délai conduit à penser que le promettant a voulu, en cas d'irrespect de la réalisation de la condition suspensive dans le délai convenu, être délié de son engagement. En d'autres termes, la fixation d'un délai a expressément pour finalité de rendre caduque la promesse synallagmatique de vente, lorsque la réalisation de la condition n'intervient pas à la date prévue. Aussi, on ne voit pas pourquoi le promettant en gardant le silence après réception de la demande de report du délai l'aurait acceptée. Au contraire, puisque l'expression de la volonté du promettant est claire, celle-ci ne peut être modifiée qu'expressément. Ainsi, cet argument, tout comme ceux tendant à dire que le promettant n'a pas mis en demeure le bénéficiaire de s'exécuter et n'a pas agi en résolution de la convention, doivent être rejetés pour la même raison. En définitive, cette décision apparaît au commentateur parfaitement justifiée, dans la mesure où la fixation d'un délai pour réaliser la condition suspensive témoigne de la volonté du promettant de pouvoir se délier à l'arrivée du terme.

Une question. En définitive, une seule interrogation demeure : que penser d'une condition suspensive qui serait accomplie entre le délai de sa réalisation et celui de la régularisation de la vente par acte authentique ? En d'autres termes, doit-on considérer que la caducité de la promesse synallagmatique de vente est acquise, alors même que le terme pour régulariser la vente n'est pas encore arrivé ? Pour le commentateur, la caducité de la promesse devrait être privilégiée, dans la mesure où celle-ci a pour effet de faire comme si la promesse n'avait jamais existé, de sorte que l'on voit mal comment on pourrait régulariser quelque chose qui n'a jamais existé. Cela étant, en indiquant "qu'un délai était prévu pour la réalisation de la condition suspensive et qu'à la date prévue pour la régularisation de la vente par acte authentique, cette condition n'était pas remplie", la Cour de cassation semble choisir une autre voie. En effet, elle estime implicitement, que c'est davantage la date de régularisation de la vente qui doit être prise en compte. Par conséquent, il faudrait considérer que la condition réalisée après le délai convenu, mais avant la date de régularisation de la vente, confère la pleine efficacité à la vente. En définitive, les magistrats du Quai de l'Horloge se prononcent en faveur de la caducité quand tous les délais sont expirés (réalisation de la condition et régularisation de la vente), mais la refusent, lorsque la date de régularisation de le vente par acte authentique est préservée... Donnez-nous une boussole !!!


(1) CA Dijon, 26 janvier 2012, n° 11/01582 (N° Lexbase : A4983ICK).
(2) L'article 1589 du Code civil dispose que "la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur prix".
(3) On pourrait aussi estimer que la condition suspensive n'est autre qu'une autre condition de formation du contrat. En effet, rien n'interdit aux parties d'ajouter des éléments supplémentaires à la formation du contrat.
(4) La caducité en tant que sanction du défaut de réalisation de la condition suspensive peut surprendre, puisque la caducité n'intervient, en principe, que lorsque un élément essentiel à la validité du contrat disparaît. Or, en concevant la condition comme une modalité de l'obligation, il est certain qu'en son absence l'obligation n'en n'est pas moins valable. Cela étant, cette modalité est bien souvent essentielle pour au moins l'une des parties (l'obtention d'un prêt), de sorte que l'on peut raisonnablement penser que, subjectivement du moins, la caducité se justifie car la condition suspensive apparaît alors comme un élément de validité de la promesse.
(5) D'ailleurs, la Cour de cassation sanctionne les juges du fond qui retiennent l'existence d'un délai raisonnable lorsque la condition suspensive est assortie aucun délai pour sa réalisation. En ce sens, v. Cass. civ. 3, 19 décembre 2001, n° 99-15.682, FS-P+B (N° Lexbase : A7161AXI), Bull. civ. III, n° 158.
(6) Cass. civ. 3, 21 novembre 2012, n° 11-23.382, FS-P+B (N° Lexbase : A5130IXB) : "mais attendu que la vente devait être réitérée par acte authentique au plus tard le 31 décembre 2004 [...], la cour d'appel, en l'absence d'une date fixée pour la réalisation des conditions suspensives, a retenu à bon droit que la vente intervenue le 29 octobre 2001 était parfaite dès la réalisation de ces conditions [...]".
(7) Cass. civ. 3, 9 juin 2010, n° 09-15361, FS-P+B (N° Lexbase : A1001E3H), JCP éd. G, 2010, 968, Hocquet-Berg.
(8) Cass. civ. 3, 18 février 2009, n° 08-10.677, FS-P+B (N° Lexbase : A2692ED3), Bull. civ. III, n° 47 ; JCP éd. N 2009, 1209, obs. Sévély-Fournié, RDC, 2009, 1100, obs. Lardeux.
(9) Cass. civ. 1, 24 octobre 1978, n° 76-13.811, publié au bulletin (N° Lexbase : A8648CI7), Bull. civ. I, n° 321.
(10) Cass. civ. 3, 24 mai 1989, n° 87-18.919 (N° Lexbase : A3124AH8), Bull. civ. III, n° 119.
(11) V., par ex., Cass. civ. 1, 17 octobre 2012, n° 11-16.951 F-D (N° Lexbase : A7305IU4).
(12) Déjà dans ce sens : Cass. civ. 3, 13 juillet 1999, n° 97-20.110 (N° Lexbase : A5290AWT). V. encore plus récemment : Cass. civ. 3, 19 mars 2013, n° 12-14.282, F-D (N° Lexbase : A5965KA8).

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Marchés publics

[Jurisprudence] Les modalités du rejet d'une offre anormalement basse

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 29 mai 2013, n° 366606, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3749KEL)

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623)

Le 02 Juillet 2013

Dans une décision rendue le 29 mai 2013, le Conseil d'Etat précise les conditions dans lesquelles un pouvoir adjudicateur peut identifier et rejeter une offre anormalement basse. Il appartient notamment à l'acheteur public de solliciter toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, et cela sous le contrôle restreint du juge administratif. Les offres anormalement basses présentent bien des risques pour les pouvoirs adjudicateurs et les opérateurs économiques. Elles peuvent être à l'origine d'une distorsion de la concurrence, précisément lorsqu'elles émanent d'une entreprise en situation de position dominante sur un marché et qui est en mesure de proposer des prix prédateurs de nature à faire obstacle à tout développement de la concurrence. Elles peuvent également causer préjudice aux acheteurs publics, précisément lorsque le prix proposé ne correspond aucunement à la valeur de la prestation, au travail ou à la fourniture proposés. Dans ce cas, l'offre anormalement basse présage bien souvent des difficultés d'exécution du marché par l'opérateur qui ne pourra pas raisonnablement tenir ses engagements. Le prix proposé étant sous-estimé, le titulaire ne manquera pas de demander, en cours d'exécution, des demandes de rémunération complémentaires que l'administration ne pourra pas refuser si elle veut poursuivre l'exécution du contrat. L'offre anormalement basse peut également être à l'origine d'un important risque de qualité (prestations ne répondant pas aux exigences du cahier des charges, délais d'exécution non respectés, etc.). Enfin, de telles offres font évidemment courir un risque juridique aux pouvoirs adjudicateurs en ce sens que le juge administratif peut être conduit à censurer une procédure de passation au terme de laquelle une offre anormalement basse a été retenue.

Pour toutes ces raisons (1), le Code des marchés publics pose un principe qui vise à protéger les personnes publiques et les deniers publics. Son article 55 (N° Lexbase : L1297IND) dispose que, "si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et vérifié les justifications fournies". Cet article 55 du Code des marchés publics, qui ne fait que reprendre sur ce point les Directives européennes (article 57 de la Directive (CE) 2004/17 du 31 mars 2004 N° Lexbase : L1895DYT et article 55 de la Directive (CE) 2004/18 du 31 mars 2004 N° Lexbase : L1896DYU), pose des difficultés pratiques redoutables tenant notamment à l'identification de l'offre anormalement basse et au traitement qui doit lui être réservé.

Sur ces deux points, l'arrêt rapporté du Conseil d'Etat du 29 mai 2013 apporte des précisions intéressantes. En l'espèce, le ministre de l'Intérieur avait lancé une procédure d'appel d'offres en vue de l'attribution d'un marché de maintenance multiservices et multitechniques pour les centres de rétention du Mesnil Amelot n° 2 et n° 3. La société X, titulaire des deux lots du précédent marché, a été informée que son offre pour le lot n° 1 n'avait pas été retenue, que l'offre qu'elle avait présentée pour le lot n° 2 avait été déclarée irrégulière (ce qui était effectivement le cas puisqu'elle avait proposé un chef de site à temps plein commun pour les deux lots alors que le cahier des clauses techniques particulières imposait clairement la présence d'un responsable de site à temps plein, pour chacun des deux lots) et que ces lots avaient été attribués à d'autres entreprises. Elle a alors saisi le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Versailles qui a annulé l'ensemble de la procédure de passation. Au soutien de cette décision, le juge des référés a relevé que l'administration avait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la qualité respective des offres des deux sociétés concurrentes pour le lot n° 1, du fait du caractère anormalement bas de l'offre de la société attributaire. Il a relevé que cette dernière avait présenté une offre dont le prix était nettement inférieur à celui que proposait la société X et que les explications fournies n'étaient pas de nature à justifier la différence de prix entre les deux offres. Le Conseil d'Etat censure cette ordonnance pour erreur de droit au motif que le juge des référés n'aurait pas dû se fonder sur le seul écart de prix avec l'offre concurrente, sans rechercher si le prix en cause était en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. De plus, la Haute juridiction précise les modalités selon lesquelles l'offre anormalement basse doit être rejetée par le pouvoir adjudicateur

I - L'identification de l'offre anormalement basse

L'identification d'une offre anormalement basse n'est pas chose aisée car elle n'est définie ni par le Code des marchés publics, ni par les Directives "marchés publics". Cependant, la doctrine administrative nous enseigne qu'une offre peut être qualifiée d'anormalement basse lorsque son prix ne correspond pas à une réalité économique.

C'est précisément à ce stade qu'apparaissent les difficultés les plus sérieuses. Comment apprécier la réalité économique d'un prix ? Selon quels paramètres l'administration peut-elle effectuer la comparaison ? La jurisprudence administrative retient plusieurs éléments de comparaison qui sont autant d'indicateurs permettant de différencier l'offre admissible (qui peut être basse tout en demeurant concurrentielle) et l'offre anormalement basse (qui est anticoncurrentielle en ce qu'elle porte atteinte au principe d'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public, ainsi que le rappelle le Conseil d'Etat dans l'arrêt rapporté au considérant n° 4).

Le premier indice qui peut être utilisé par l'acheteur public est constitué, et on n'en sera pas surpris, par la prise en compte du prix de l'offre. Un prix manifestement sous-évalué au regard de l'importance des prestations fournies doit en effet attirer la plus grande attention du pouvoir adjudicateur. Seulement, ce prix ne doit pas être appréhendé en lui-même. D'une certaine façon, on peut dire qu'il doit être contextualisé, c'est-à-dire qu'il faut l'appréhender en prenant en compte les exigences du cahier des charges (marché à forte main d'oeuvre par exemple), mais aussi les caractéristiques principales des offres remises. C'est une solution logique car un même opérateur économique peut tout à fait proposer des prix nettement différents pour des marchés publics ayant rigoureusement le même objet, dès lors que les cahiers des charges imposent des sujétions particulières (délais d'exécution différents par exemple).

Le deuxième indice fréquemment employé par les pouvoirs adjudicateurs est constitué par la comparaison entre l'offre douteuse et les autres offres. L'existence d'une différence importante entre le prix proposé par un candidat et celui de ses concurrents permet bien souvent de détecter une offre anormalement basse. La jurisprudence est constante sur ce point (2). Elle admet aussi que la comparaison soit faite au regard des moyennes nationales (3) ou des prix habituellement pratiqués par le candidat lui-même (à condition de prendre en compte les spécificités de chacun des marchés) (4). Toutefois, et c'est l'une des précisions apportées par l'arrêt du 29 mai 2013, il ne suffit pas de mettre en évidence un écart de prix, fut-il significatif, pour en déduire que l'offre est anormalement basse. En effet, le Conseil d'Etat censure l'erreur de droit du juge des référés précontractuels qui avait conclu en ce sens, sans avoir recherché si le prix en cause était en lui-même manifestement sous-évalué (considérant n° 5). La solution est également très logique car l'exercice de comparaison a ses limites. Par exemple, l'Autorité de la concurrence a parfaitement mis en évidence qu'une offre pouvait paraître anormalement basse, alors qu'elle ne l'était pas en réalité, dès lors que l'entreprise qui l'a formulée était la seule à ne pas avoir participé à une entente qui visait à majorer les prix (5). La Direction des affaires juridiques du ministère de l'Economie et des Finances a également souligné que "la moyenne pouvait [...] être faussée par les offres de 'courtoisie' remises par certains candidats qui n'ont pas l'intention de remporter le marché, mais qui souhaitent montrer leur intérêt ou se faire connaître du pouvoir adjudicateur".

Un troisième indice peut être tiré de la comparaison entre le prix proposé et le prix estimé par le pouvoir adjudicateur (6). Cependant, cet indice doit être utilisé avec la plus grande prudence car l'estimation de l'administration est souvent déterminée par ses capacités financières (autrement dit par le budget qu'elle est disposée à consacrer au marché) et non par la valeur réelle des prestations.

En définitive, il ressort de la jurisprudence que les éléments précités ne sont que des indices et certainement pas des critères qui permettraient à eux seuls d'identifier de façon certaine une offre anormalement basse. Autrement dit, il appartient à l'acheteur public de croiser les indices pour s'assurer que l'offre soumise est véritablement basse. C'est sur la base de ces indices que se déclenche alors la procédure contradictoire prévue par l'article 55 du Code des marchés publics.

II - Les modalités du rejet de l'offre anormalement basse

Une fois qu'il a identifié une offre qu'il considère ou qu'il suspecte d'être anormalement basse, le pouvoir adjudicateur est tenu de demander "par écrit les précisions qu'il juge utiles" et il doit vérifier les "justifications fournies" (C. marchés publ., art. 55). De cette disposition, l'on peut déduire plusieurs étapes qui sont autant de contraintes (mais aussi de garanties) pour le pouvoir adjudicateur.

En premier lieu, obligation est faite au pouvoir adjudicateur de demander des explications au candidat ayant déposé l'offre douteuse. Concrètement, un courrier doit lui être adressé afin de l'informer de la situation et du fait qu'il doit fournir les justificatifs du prix proposé. Cette procédure contradictoire est essentielle car elle vise à confronter l'impression de l'administration (qui peut être totalement fausse) avec des éléments objectifs que seuls le candidat est à même de fournir. Pour cette raison, elle est une obligation et non une simple faculté, tant pour la Cour de justice de l'Union européenne (7) que pour le Conseil d'Etat. Dans la présente espèce, le juge administratif rappelle bien que, "quelle que soit la procédure de passation mise en oeuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé" (considérant n° 4).

En deuxième lieu, obligation est faite au pouvoir adjudicateur de porter une appréciation sur la pertinence des justifications fournies par le candidat. L'article 55 du Code des marchés publics est très précis sur ce point puisqu'il fixe une liste des justifications qui peuvent être prise en compte :

- les modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, les procédés de construction ;
- les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou pour réaliser les prestations de services ;
- l'originalité de l'offre ;
- les dispositions relatives aux conditions de travail en vigueur là où la prestation est réalisée ;
- l'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le candidat.

En troisième lieu, cette procédure contradictoire doit provoquer une décision de l'administration, soit d'admission, soit de rejet de l'offre. Dans ce dernier cas, le pouvoir adjudicateur doit motiver sa décision.

En quatrième lieu, cette décision finale du pouvoir adjudicateur fait l'objet d'un contrôle restreint du juge administratif (8), c'est-à-dire d'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation (9). Cela signifie que le juge administratif n'hésite pas à censurer les erreurs grossières de qualification juridique en recherchant, par exemple, si le prix proposé était en lui-même sous évalué. En l'espèce, après avoir censuré l'erreur de droit commise par la juge des référés précontractuels, qui n'avait pas réalisé cette analyse, le Conseil d'Etat a réglé l'affaire au fond. Il a considéré que l'offre proposée par la société X était une offre irrégulière car elle ne respectait pas les exigences du cahier des charges (elle ne proposait qu'un chef de site alors que le cahier des charges en imposait deux). Dans ces conditions, le manquement qu'elle invoquait, et qui résidait dans le rejet de son offre en application de l'article 55 du Code des marchés publics, n'était pas susceptible de l'avoir lésée au sens de la jurisprudence "Smirgeomes" (10).


(1) Voir la fiche de la Direction des affaires juridiques consacrée aux offres anormalement basses, mise à jour en avril 2012.
(2) CAA Marseille, 6ème ch., 12 juin 2006, n° 03MA02139, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9720DPP), Contrats Marchés publ., 2006, comm. 251, note G. Eckert.
(3) CAA Marseille, 27 juin 2002, n° 00MA01402, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3981KHW), Contrats Marchés publ., 2003, comm. 28, note F. Olivier.
(4) TA Cergy-Pontoise, 18 février 2011, Contrats Marchés publ., 2011, comm. 143, obs. F. Llorens.
(5) Avis n° 96-A-08 du 2 juillet 1996, relatif aux propositions formulées dans un rapport portant réforme sur le droit de la commande publique (N° Lexbase : X5451ACU) ; voir la fiche précitée de la DAJ, p. 2.
(6) Par exemple : TA Grenoble, 31 juillet 2007, JCP éd. A, 2008, n° 2040, note B. Neveu ; TA Toulouse, 23 novembre 2010, Contrats Marchés publ., 2011, comm. 47, obs. F. Llorens.
(7) CJUE, 29 mars 2012, aff. C-599-10 (N° Lexbase : A8587IG7).
(8) Notons que le contrôle du caractère anormalement bas d'une offre relève de la seule compétence du juge administratif, l'Autorité de la concurrence n'étant compétente que pour se prononcer sur l'infraction de prix abusivement bas définie par l'article L. 420-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L3779HBL).
(9) CE 5° et 7° s-s-r., 29 janvier 2003, n° 208096, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0431A74), BJCP, 2003, p. 243.
(10) CE, S., 3 octobre 2008, n° 305420, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5971EAE).

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Procédures fiscales

[Jurisprudence] Affaire "Association varoise d'aide aux travailleurs handicapés - AVATH-Ermitage" : une victoire qui vient de loin

Réf. : CAA Marseille, 7ème ch., 7 mai 2013, n° 10MA03605, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6139KDQ)

Lecture: 11 min

N7746BT3

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par Bernard Thévenet, Conservateur des hypothèques honoraire, Avocat au barreau de Lyon

Le 27 Juin 2013

Par un arrêt du 7 mai 2013, la cour administrative d'appel de Marseille est revenue sur une problématique favorable aux contribuable et gênante pour l'administration : celle de la réouverture du délai de réclamation en cas de remise en cause d'une législation par le prononcé de sa non-conformité à une règle de droit supérieure. Les contentieux relatifs à la limitation de la déductibilité de la TVA en cas de versement de subvention publique en constituent le meilleur exemple, et l'arrêt commenté paraît donner le mot de la fin à cette saga, qui sonne comme un "happy end" pour les justiciables. En l'espèce, l'AVATH-Ermitage est une association loi 1901 issue de la fusion, en l'an 2000, de deux associations varoises : Les Amis de l'Ermitage, créée en juin 1954 et l'Association Varoise d'Aide aux Travailleurs Handicapés (AVATH), créée en 1976. Son principal objet est l'aide à l'insertion des enfants et des adultes en difficulté.

En vertu de 3° de l'article 261-7 du CGI (N° Lexbase : L0402IWS), sont exonérées de TVA "les ventes portant sur les articles fabriqués par des groupements d'aveugles ou de travailleurs handicapés, agréés dans les conditions prévues par la loi n° 72-616 du 5 juillet 1972, ainsi que les réparations effectuées par ces groupements. Ils peuvent toutefois, sur leur demande, renoncer à l'exonération [...]".

Les ESAT peuvent donc renoncer à l'exonération et choisir de soumettre volontairement à la TVA les recettes qui proviennent des activités de production et de commercialisation effectuées par les personnes handicapées. Dans ce cas, les établissements réalisent à la fois des opérations soumises à la TVA (ventes d'objets fabriqués ou services rendus par les personnes handicapées) et des opérations exonérées de taxe (opérations à caractère socio-éducatif), regroupées au sein de deux secteurs distincts d'activité, dans les conditions prévues à l'article 209 de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L4429IQ4).

Au cours de l'année 2003, l'association a procédé à une opération de construction d'un immeuble abritant une partie d'un établissement ou service d'aide par le travail (ESAT) et d'une entreprise adaptée (EA). Les activités réalisées dans ces établissements étant soumises à la TVA, l'association aurait dû pouvoir procéder à la déduction de la TVA grevant les travaux de construction de l'immeuble concerné. Mais, cette déduction n'a pas pu être opérée au motif que la construction de cet immeuble avait été financée par des emprunts dont le remboursement était assuré grâce à des subventions perçues par l'association.

Cette théorie de l'administration est réfutée par le juge administratif. En effet, par un jugement du 2 juin 2010, le tribunal administratif de Toulon décide que l'association est fondée à demander la restitution de la TVA non imputée, l'administration ne pouvant lui refuser le bénéfice du délai spécial prévu par l'article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L0307IWB) (TA Toulon, n° 0704744, N° Lexbase : A9998KDN). Selon le tribunal, les subventions perçues par l'association ne s'analysent pas comme des subventions d'exploitation mais d'équipement, et donc sa réclamation n'est pas tardive, au regard des dispositions de l'article R. 196-1 du LPF (N° Lexbase : L6486AEX). Par un arrêt rendu le 7 mai 2013, la cour administrative d'appel de Marseille confirme le jugement.

La question des conditions de déduction de la TVA par les assujettis qui était à l'origine du litige entre l'association et l'administration fiscale n'a pas constitué le coeur du litige. En effet, la question essentielle soumise aux juges était celle de savoir si la réclamation de l'association devait être frappée de forclusion ou non.

I - La non-déductibilité de la TVA en cas d'obtention de subventions publiques sanctionnée par la CJUE

A - Sur la question de la déductibilité de la TVA

En principe, la TVA qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la TVA applicable à cette opération. Pour qu'une opération soit imposable à la TVA, elle doit non seulement se trouver dans le champ d'application de la TVA, mais encore ne pas être expressément exonérée. Par exemple, les activités de service public sont, en principe, hors du champ d'application de la TVA. En revanche, les activités des ESAT sont dans le champ d'application de la TVA, mais exonérées par les dispositions du 3° de l'article 261-7 du CGI, étant précisé que ce même article autorise ces établissements à opter pour leur assujettissement à la TVA. L'association, ayant procédé à cette option, était donc assujettie à la TVA pour les activités de l'ESAT et de l'EA.

Mais, pour autant, la TVA grevant les travaux, facturations et paiements intervenus pour l'essentiel en 2003, dans le cadre d'une opération de construction d'un immeuble abritant une partie d'un ESAT et d'une EA, n'a fait l'objet d'aucune déduction, dès lors que le financement avait été assuré par des emprunts dont le remboursement s'est opéré au moyen de subventions perçues par l'association. En effet, la doctrine administrative prévoyait, à cette période, que : "[...] la taxe afférente aux investissements financés par la subvention peut être en effet déduite dans les conditions habituelles lorsque le redevable intègre dans le prix de ses opérations les dotations aux amortissements des biens financés en totalité ou partiellement par cette subvention. S'il s'avère que la condition de répercussion des amortissements de ces biens dans les prix n'est pas respectée, la TVA afférente à ces mêmes biens ne pourrait pas être déduite pour la quote-part du montant financée par la subvention d'équipement [...]" (instruction du 8 septembre 1994, 3 CA-94 N° Lexbase : X0377AA9).

Cette doctrine a été sanctionnée par la le juge de l'Union européenne (CJCE, 6 octobre 2005, n° C-243/03 N° Lexbase : A6729DKG), qui a jugé que la France avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire en instaurant une règle particulière limitant la déductibilité de la TVA afférente à l'achat de biens d'équipement en raison du fait qu'ils ont été financés au moyen de subventions.

A la suite de cette décision, l'administration fiscale, par une instruction du 27 janvier 2006 (BOI 3 D-1-06 N° Lexbase : X5689AD3), a modifié sa doctrine antérieure et indiqué que : "[...] La déduction de la TVA afférente aux dépenses supportées par un assujetti n'est plus subordonnée à la preuve de la répercussion de leur coût dans le prix de ses opérations ouvrant droit à déduction. L'exercice du droit à déduction n'est désormais subordonné qu'au seul respect cumulatif des conditions issues des dispositions de l'article 271 du CGI (N° Lexbase : L0385IW8), selon lesquelles les dépenses doivent :
- être utilisées pour les besoins d'une opération économique réalisée à titre onéreux (opération imposable) ouvrant droit à déduction ;
- être justifiées par une facture comportant l'ensemble des mentions visées à l'article 242 nonies A de l'annexe II au CGI (
N° Lexbase : L6875IWK).

La TVA déductible doit être mentionnée sur la déclaration déposée au titre du mois au cours duquel la taxe est devenue exigible chez le fournisseur ou, en cas d'omission, sur les déclarations déposées jusqu'au 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission (CGI, ann. II, art. 224-1, [plus en vigueur] N° Lexbase : L0878HNT) [...]".

B - Conséquences de cette décision de la CJCE pour l'association

La question de la déductibilité de la TVA grevant la construction de l'immeuble devant abriter l'ESAT et l'EA ayant été réglée dans un sens favorable à l'association par la Cour de l'Union, il était encore temps pour l'association de faire figurer la TVA déductible au titre de l'année 2003 sur la déclaration de chiffre d'affaires de novembre ou décembre 2005.

En effet, selon la doctrine administrative, les entreprises doivent mentionner le montant de la taxe déductible sur les déclarations qu'elles déposent pour le paiement de la TVA. Cette mention doit figurer sur la déclaration souscrite au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance, c'est-à-dire au titre du mois pendant lequel la taxe est devenue exigible chez le fournisseur ou le prestataire de service. Toutefois, à condition qu'elle fasse l'objet d'une inscription distincte, la taxe dont la déduction a été omise sur la déclaration idoine peut figurer sur les déclarations ultérieures déposées avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission (CGI, annexe II, art. 208 N° Lexbase : L3742HZM). Il est probable que le délai était trop court entre la décision de la CJCE, le 6 octobre 2005, et le 31 décembre de la même année pour opérer cette régularisation. En tout état de cause, cette possibilité ne lui aurait pas permis d'obtenir la restitution de la TVA non déduite au titre des années 2001 et 2002, ainsi que la taxe sur les salaires indûment acquittée au titre de la période en litige.

Il restait donc à l'association la voie de la réclamation contentieuse.

II - La réouverture du délai de réclamation provoquée par la décision de la CJUE

A - Les délais de réclamation contentieuse

En principe, le délai de réclamation, prévu notamment en matière de TVA, expire le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est contestée.

En effet, l'article R. 196 du LPF dispose que "pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas :
a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement ;
b) Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement ;
c)
De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation [...]".

Peut constituer un événement qui motive une réclamation, la révélation par une décision juridictionnelle ou par un avis rendu au contentieux qu'une imposition était fondée sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure.

Dans un tel cas, le délai de recours est décompté à partir de l'événement motivant la demande, en l'occurrence, la première décision juridictionnelle révélant la non-conformité. Selon la Cour de cassation, ce délai court du prononcé de l'arrêt considéré comme un événement et non de la date à laquelle le contribuable a pu en avoir connaissance certaine (Cass. com., 14 décembre 1999, n° 97-20.625 N° Lexbase : A4249CTK).

Mais ce nouveau délai de réclamation est limité par un autre délai, qui est celui de la période répétible. En effet, en vertu des dispositions de l'article L. 190 du LPF, applicable au titre des années en litige, les actions en restitution ou en paiement d'une somme ne peuvent porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision ou l'avis révélant la non-conformité est intervenu. A partir du 1er janvier 2005, ce délai a été réduit à trois ans et a, de nouveau, été modifié par la loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7970IUQ). Désormais, l'article L. 190 A du LPF prévoit que l'action en réparation du préjudice subi fondée sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure ne peut porter que sur une période postérieure au 1er janvier de la deuxième année précédant celle au cours de laquelle l'existence de la créance a été révélée au demandeur. Autrement dit, la période répétible est passée de quatre ans à partir du 1er janvier 1990 à trois ans à compter du 1er janvier 2006 et enfin à deux ans depuis le 1er janvier 2013.

Au cas d'espèce, la décision de la CJCE étant intervenue en 2005, la période répétible applicable était celle de quatre ans, ce qui a permis à l'association de comprendre dans sa réclamation l'année 2001.

B - Appréciation différente de la portée de la décision de la CJCE

A la suite de l'arrêt de la CJCE du 6 octobre 2005, condamnant la doctrine de l'administration fiscale française limitant la déductibilité de la TVA afférente à l'achat de biens d'équipement en raison du fait qu'ils ont été financés au moyen de subventions, l'association a introduit une réclamation le 19 décembre 2006, c'est-à-dire avant le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la réalisation de l'événement qui motive la réclamation (au cas d'espèce, la décision de la CJCE date du 6 octobre 2005).

L'administration a rejeté cette réclamation, en ce qu'elle concernait les années 2001 à 2003, au motif que l'association ne pouvait pas bénéficier du délai spécial prévu par l'article L. 190 du LPF, dès lors que les subventions perçues par l'association s'analysant comme des subventions d'exploitation et non d'équipement, sa réclamation serait tardive au regard des dispositions de l'article R. 196-1 du LPF. Autrement dit, la décision de la CJCE ne constituait pas, pour l'association concernée, un élément nouveau susceptible de lui ouvrir le délai de réclamation applicable en ce cas. L'association aurait donc dû, selon l'administration, présenter sa réclamation dans le délai de droit commun, c'est-à-dire avant le 31 décembre 2005 s'agissant des impositions litigieuses de l'année 2003, étant précisé que les années précédentes étaient frappées de forclusion.

La motivation de la décision de rejet de la réclamation présentée par l'association, telle qu'elle est rapportée par le tribunal administratif de Toulon et la cour administrative d'appel de Marseille, apparaît peu convaincante. En effet, dire que la décision de la CJCE du 6 octobre 2005 ne pouvait pas être considérée comme un événement au sens de l'article L. 190 au motif que cette décision ne concernerait que les subventions d'équipement et non les subventions de fonctionnement n'est pas fondé. D'ailleurs, selon le Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit en considérant qu'en jugeant que les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 6 octobre 2005 qui condamnent, à titre général, tout mécanisme, direct ou indirect, de limitation des droits à déduction non prévus par la 6ème Directive-TVA (Directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 N° Lexbase : L9279AU9), ne pouvaient être regardés comme des décisions juridictionnelles de nature à révéler la non-conformité du dispositif français litigieux de taxation des subventions à une règle de droit supérieure au sens de l'article L. 190 du LPF, et comme constituant un événement nouveau au sens du c de l'article R. 196-1 du même livre (CE 3° s-s., 12 mars 2012, n° 342966, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0593IG3 ; lire N° Lexbase : A0593IG3). Autrement dit, la décision de la CJCE doit être interprétée comme l'affirmation que les dérogations au droit à déduction de la TVA ne sont permises que dans les cas expressément prévus par la 6ème Directive-TVA. Il est contraire au droit de rechercher si cette décision vise tel ou tel type de subvention et s'il est possible d'échapper à ses conséquences sur le traitement du contentieux en faisant appel à des distinctions sémantiques.

On ajoute que, dans son instruction du 21 janvier 2006, ayant pour objet de prendre acte de la décision de la CJCE du 6 octobre 2005, l'administration précise que : "[...] est sans incidence sur son droit à déduction la circonstance qu'un assujetti qui ne réalise que des opérations ouvrant droit à déduction finance tout ou partie de ses dépenses grevées de TVA par voie de subventions, dès lors que celles-ci ne constituent ni la contrepartie d'une opération imposable, ni le complément du prix d'une telle opération (subventions d'équipement, de fonctionnement, d'équilibre...) [...]". Et donc, après une telle prise position, comment expliquer le rejet de la réclamation de l'association ?

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Santé

[Jurisprudence] Des conséquences d'un "avis d'aptitude provisoire" dressé par le médecin du travail

Réf. : Cass. soc., 29 mai 2013, n° 12-15.313, F-P+B (N° Lexbase : A9626KEA)

Lecture: 7 min

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 27 Juin 2013

La visite médicale de reprise, qui doit être organisée à l'initiative de l'employeur dans un certain nombre d'hypothèses visées par l'article R. 4624-22 du Code du travail (N° Lexbase : L1004ISY), a pour effet premier de mettre un terme à la période de suspension du contrat de travail consécutive à la maladie ou l'accident dont a été victime le salarié. A compter de ce moment, la situation du salarié n'est donc plus soumise au régime juridique de la maladie, mais à celui de l'aptitude ou de l'inaptitude, selon l'avis dressé par le médecin du travail, seul à même de faire passer la visite précitée. Les textes applicables ne paraissent ouvrir à celui-ci qu'une option entre l'aptitude et l'inaptitude, cette dernière ne pouvant être constatée, sauf exception, qu'au terme de deux examens médicaux, séparés par quinze jours. Il est, toutefois, des hypothèses que l'on est tenté de qualifier d'intermédiaires, ainsi que le révèle l'affaire ayant conduit à l'arrêt rendu le 29 mai 2013, dans lequel un salarié victime d'un accident du travail avait été déclaré, à l'issue de la visite de reprise, provisoirement apte pendant quinze jours. Pour la Cour de cassation, un tel avis impose à l'employeur de faire procéder, à l'issue de la période d'aptitude provisoire, à une nouvelle visite médicale afin de prendre en compte les préconisations définitives du médecin du travail.
Résumé

Dès lors que le salarié, victime d'un accident du travail, a été déclaré, à l'issue de la visite de reprise, provisoirement apte, l'employeur est tenu, au moment d'engager la procédure de licenciement pour motif économique ou pendant son déroulement, de faire procéder, à l'issue de la période d'aptitude provisoire, à une nouvelle visite médicale afin de prendre en compte les préconisations définitives du médecin du travail.


Observations

I - Le choix d'un avis d'aptitude provisoire

La nécessité de l'avis du médecin du travail. En application de l'article R. 4624-22 du Code du travail, le salarié bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail : après un congé maternité ; après une absence pour cause de maladie professionnelle ; après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel (1). Dès lors que l'absence du salarié entre dans les prévisions de ce texte, l'employeur ne peut l'admettre à reprendre le travail sans avoir pris l'initiative de le soumettre à un examen médical par le médecin du travail. Il en va, pour l'employeur, du respect de son obligation de sécurité de résultat.

On sait que c'est cette visite médicale de reprise qui met fin à la période de suspension du contrat de travail provoquée par la maladie ou l'accident (2). A compter de ce moment, le salarié n'est plus régi par les règles applicables au salarié malade mais entre dans celles de l'aptitude ou de l'inaptitude (3) ; ce qui déclenche un certain nombre d'obligations à la charge de l'employeur. Ces obligations étant différentes selon l'avis délivré par le médecin du travail, on mesure sans peine l'importance de son contenu.

L'importance du contenu de l'avis. A s'en tenir aux dispositions du Code du travail, le médecin du travail n'a d'autre choix que de déclarer le salarié apte ou inapte. L'avis, selon qu'il constate l'aptitude ou l'inaptitude du salarié, produit des effets bien différents. Dans le premier cas, le salarié retrouve son emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente (4). Dans le second cas, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités (5). Si cela ne lui est pas possible, il est alors en mesure de licencier le salarié. Ce côté quelque peu manichéen des textes n'est guère en adéquation avec ce qui se passe en pratique.

Il n'est, en effet, pas rare que le médecin du travail rende un avis d'aptitude partielle ou avec réserves ou encore un avis d'inaptitude, elle-même partielle. On est tenté de considérer qu'il revient au même d'être partiellement apte ou d'être partiellement inapte. Ce n'est, pourtant, pas la même chose, dans la mesure où, nous l'avons vu, les avis n'auront pas les mêmes conséquences. Tandis que le salarié déclaré partiellement apte doit être réintégré dans son emploi (6), celui qui est partiellement inapte bénéficie de l'obligation de reclassement, dont est débiteur son employeur. A défaut de postes susceptibles de convenir au salarié, ou en cas de refus de sa part des postes proposés, l'employeur doit le licencier.

Compte tenu de cela, le médecin du travail doit réfléchir à deux fois avant de dresser un avis d'inaptitude. A dire vrai, cette réflexion lui est imposée par la réglementation puisque, faut-il le rappeler, le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail que s'il a réalisé deux examens médicaux de l'intéressé espacés de deux semaines (7). L'obligation ainsi faite au médecin du travail de procéder à un double examen du salarié place le salarié dans une situation inconfortable. En effet, la période de suspension du contrat de travail ayant pris fin avec le premier examen, le salarié ne peut plus prétendre au paiement d'indemnités journalières, éventuellement complétées par les garanties de ressources. Il n'a pas droit non plus à son salaire puisqu'il n'effectue aucune prestation de travail (8).

Ces difficultés sont écartées si, comme dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen, le médecin du travail dresse un avis d'aptitude provisoire (9). Dans ce cas, et comme il l'a été dit, le salarié doit retrouver son ancien emploi et doit, dès lors, recevoir son salaire. Mais là n'est pas la seule conséquence de ce type d'avis pour l'employeur.

2 - Les conséquences d'un avis d'aptitude provisoire

L'affaire. En l'espèce, un salarié victime d'un accident du travail s'était trouvé en arrêt de travail du 21 février 2002 au 30 novembre 2003. A la suite de la visite de reprise effectuée le 1er décembre 2003, le médecin du travail avait rendu un avis d'aptitude provisoire pendant quinze jours, excluant les efforts de manutention manuelle. Le 11 décembre 2003, soit avant l'expiration de ce délai, le salarié a été licencié pour motif économique. Il a alors saisi la juridiction prud'homale.

L'employeur reprochait à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à payer au salarié une somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. A l'appui de son pourvoi, il soutenait, principalement, qu'en cas de suspension du contrat du salarié à la suite d'un accident de travail, la visite de reprise met fin à cette suspension. En l'espèce, M. X ayant été déclaré, par le médecin du travail, le 1er décembre 2003, apte à reprendre, cette visite de reprise, fût-elle provisoire, mettait fin à la suspension du contrat, ce qui permettait à l'employeur de prononcer son licenciement pour motif économique. Dès lors, en considérant que la société employeur n'ayant pas mis M. X en mesure de se soumettre à une seconde visite médicale, ce qui avait pour conséquence qu'elle n'avait pu valablement lui proposer des postes de reclassement, et rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a entaché l'arrêt d'une violation des articles L. 1226-7 (N° Lexbase : L9746INB), L. 1233-3 (N° Lexbase : L8772IA7) et R. 4624-31 (N° Lexbase : L0995ISN) du Code du travail.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle affirme, tout d'abord, que "dès lors que le salarié, victime d'un accident du travail, a été déclaré, à l'issue de la visite de reprise, provisoirement apte, l'employeur est tenu, au moment d'engager la procédure de licenciement pour motif économique ou pendant son déroulement, de faire procéder, à l'issue de la période d'aptitude provisoire, à une nouvelle visite médicale afin de prendre en compte les préconisations définitives du médecin du travail". Elle relève, ensuite, "qu'ayant constaté que le salarié, qui avait, à l'issue d'une visite de reprise le 1er décembre 2003, été déclaré provisoirement apte, devait être revu par le médecin du travail dans le délai de quinze jours, la cour d'appel, qui a exactement retenu qu'en ne mettant pas ce salarié en mesure de se soumettre à une nouvelle visite médicale, l'employeur n'avait pas pu proposer valablement au salarié un poste de reclassement, a, sans être tenue de procéder à une recherche ni de répondre à des conclusions que ses énonciations rendaient inopérantes, légalement justifié sa décision".

Une solution troublante mais justifiée. Afin de comprendre les ressorts de la décision de la Cour de cassation, il convient de partir du fait que le médecin du travail avait dressé un avis d'aptitude. En conséquence, et comme il a été démontré précédemment, c'est bien le régime légal de l'aptitude qui devait être appliqué, avec comme conséquence première la réintégration du salarié dans son emploi ; ce qui, visiblement, avait été fait. Une visite de reprise avait donc, par hypothèse, eu lieu. Il en résulte que la suspension du contrat en raison de l'accident du travail subi par le salarié avait pris fin et que, par un effet d'enchaînement, le droit commun du licenciement avait repris son empire. A s'en tenir là, rien ne paraissait donc s'opposer à ce que l'employeur licencie le salarié pour motif économique.

La difficulté découle du fait que le médecin du travail avait donné un avis d'aptitude provisoire pendant quinze jours. Le Code du travail ne connaît pas ce type d'avis, ainsi que cela a été relevé. Il ne l'interdit pas non plus, habilitant, d'ailleurs, le médecin du travail à proposer des mesures individuelles à l'employeur, qu'il est tenu de prendre en considération (10). En relevant que le salarié était provisoirement apte, qui plus est pendant quinze jours, le médecin du travail laissait, nécessairement, entendre qu'il avait un doute quant à l'aptitude définitive du salarié. Cela revient à dire qu'il avait quelques raisons de penser que le salarié pouvait, au final, être déclaré inapte. Or, cette inaptitude ne pouvant être constatée qu'au terme d'un second examen, il appartenait à l'employeur de faire procéder à celle-ci (11).

On peut, néanmoins, s'étonner de la formule de la Cour de cassation, au terme de laquelle "l'employeur est tenu, au moment d'engager la procédure de licenciement pour motif économique ou pendant son déroulement, de faire procéder, à l'issue de la période d'aptitude provisoire, à une nouvelle visite médicale". On admettra qu'il y a là une forme de contradiction. Comment, au moment d'engager la procédure, faire procéder à une visite médicale à l'issue de la période d'aptitude ? La conciliation des termes se conçoit mieux pendant le déroulement de la procédure. Mais elle accrédite l'idée que l'obligation disparaît si la procédure est achevée au moment où la période d'aptitude provisoire se termine. Pourtant les faits de l'espèce contredisent cette assertion, puisque le licenciement avait été prononcé avant la fin de la période en question.

Toujours est-il que l'employeur n'avait pas mis le salarié en mesure de se soumettre à une nouvelle visite médicale. Par suite, et ainsi que le relève la Cour de cassation, l'employeur n'avait pu proposer valablement au salarié un poste de reclassement. Elle approuve en conséquence la cour d'appel pour avoir jugé que le licenciement du salarié était sans cause réelle et sérieuse (12). On pourrait, certes, avancer que le salarié licencié pour motif économique avait, certainement, bénéficié de l'obligation de reclassement lié à ce type de licenciement (C. trav., art. L. 1233-4 N° Lexbase : L3135IM3), dont le régime juridique n'est pas sans rappeler celui applicable à l'obligation de reclassement consécutive à l'inaptitude du salarié. Mais, à la différence de la première, la seconde dépend des capacités du salarié, que seul le médecin du travail est en mesure d'apprécier (13). Mais, pour ce faire, encore faut-il qu'il ait pu examiner le salarié au cours du second examen médical.


(1) Ce texte a été modifié par un décret n° 2012-135, 30 janvier 2012, relatif à l'organisation de la médecine du travail (N° Lexbase : L9907IRD). Antérieurement à cette date la visite de reprise était requise après une absence d'au moins huit jours pour cause d'accident du travail et une absence d'au moins vingt et un jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel.
(2) Solution constante depuis Cass. soc., 22 mars 1989, n° 86-43.655, publié (N° Lexbase : A3999AG9), Bull. civ. V, n° 235.
(3) Faute de visite médicale de reprise, le contrat de travail est donc toujours suspendu d'un point de vue juridique, peu important que le salarié ait repris le travail. Cela peut conduire à des situations pour le moins cocasses. V. à cet égard, Cass. soc., 7 mars 2007, n° 05-42.279, FP-P+B (N° Lexbase : A6005DUX), Bull. civ. V, n° 42.
(4) C. trav., art. L. 1226-8 (N° Lexbase : L1022H9Q).
(5) C. trav., art. L. 1226-10 (N° Lexbase : L6283ISI).
(6) Mais si la restriction mentionnée dans l'avis est telle qu'elle ne permet pas la poursuite du travail aux conditions antérieures, elle renverra, en réalité, au régime de l'inaptitude. V. en ce sens, S. Bourgeot et M. Blatman, L'état de santé du salarié, éd. Liaisons, 2ème éd., 2009, p. 400.
(7) C. trav., art. R. 4624-31 (N° Lexbase : L0995ISN). L'avis d'inaptitude médicale peut être délivré après un seul examen lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers ou, depuis le décret du 30 janvier 2012, lorsqu'un examen de reprise a eu lieu dans un délai de trente jours au plus.
(8) Le salarié ne peut pas plus exiger de son employeur d'être réintégré dans son ancien emploi ou d'être reclassé dans un autre.
(9) En revanche, "un avis d'inaptitude temporaire écartera le salarié de son lieu de travail tant que durera la période d'attente du second examen" (S. Bourgeot et M. Blatman, ouvrage préc., p. 417).
(10) C. trav., art. L. 4624-1.
(11) En bonne logique, c'est au médecin du travail qu'il appartient de fixer la date de cet examen, spécialement lorsqu'il dresse un avis d'aptitude provisoire pour quinze jours. L'arrêt ne permet pas de savoir ce qu'il en avait été en l'espèce.
(12) On sait que c'est là la sanction normale du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement.
(13) L'article L. 1226-10 du Code du travail ajoute que la proposition de reclassement "prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indication qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise".

Décision

Cass. soc., 29 mai 2013, n° 12-15.313, F-P+B (N° Lexbase : A9626KEA)

Rejet, CA Paris, pôle 6, 10ème ch., 10 janvier 2012 (N° Lexbase : A1062IAL)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1226-7 (N° Lexbase : L9746INB), L. 1226-10 (N° Lexbase : L6283ISI), L. 4624-1 (N° Lexbase : L1874H9B) et R. 4624-31 (N° Lexbase : L0995ISN)

Mots-clés : accident du travail, visite de reprise, aptitude provisoire, seconde visite médicale, obligation de reclassement

Lien base : (N° Lexbase : E3105ET8)

newsid:437663

Transport

[Chronique] Chronique de droit des transports - Juin 2013

Lecture: 12 min

N7695BT8

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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole

Le 27 Juin 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique trimestrielle d'actualité en droit des transports de Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole. Ce mois-ci l'auteur a choisi de revenir, en premier lieu, sur un arrêt, publié au Bulletin et sur le site internet de la Cour de cassation, rendu le 13 mars 2013 par la première chambre civile de la Cour de cassation, dans lequel cette dernière se prononce sur les causes d'exonération de responsabilité du transporteur aérien et précise quel texte doit être appliqué en la matière (Cass. civ. 1, 13 mars 2013, n° 09-72.962, FS-P+B+I). Le Professeur Paulin commente ensuite un arrêt rendu le 22 mai 2013 par la Chambre commerciale, selon lequel, sont soumises à la prescription annale, sauf en cas de fraude ou d'infidélité, les actions nées du contrat de transport, mais également toutes les autres actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu, y compris celles qui naissent de l'article 1269 du Code de procédure civile relatif à l'exception de compte arrêté (Cass. com., 22 mai 2013, n° 11-27.352, FS-P+B). Enfin, l'auteur de cette chronique revient rapidement sur un arrêt rendu par la Chambre commerciale le 23 avril 2013, également publié au Bulletin, arrêt qui revient sur l'importante question de l'établissement d'une cause d'exonération de responsabilité, ici appelée cas excepté, du transporteur maritime tenu, comme tout transporteur, d'une obligation de résultat (Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-12.101, F-P+B).
  • Transport aérien de voyageurs : quel texte appliquer ? (Cass. civ. 1, 13 mars 2013, n° 09-72.962, FS-P+B+I N° Lexbase : A6912I9U)

Nous avions signalé, dans notre précédente chronique (nos obs., dernier com., in Chronique de droit des transports - Mars 2013, Lexbase Hebdo n° 332 du 28 mars 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N6353BTH), cet important arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, qui bénéficie d'une large publication. Il est temps de le présenter plus complètement.

Les faits, d'abord, témoignent de la diversité des opérations de transport aérien. En l'espèce, un établissement bancaire organise un voyage à l'occasion d'un match de rugby. Il s'adresse à la société C. qui, faisant office d'agent de voyage, conclut avec la société B., en France, un contrat ayant pour objet l'affrètement d'un aéronef et la fourniture de titres de transports. Malheureusement, l'aéronef ne se présente pas au jour prévu pour l'embarquement et la proposition de retarder le vol est refusée, le retard ne permettant pas aux passagers d'assister au match de rugby, qui était le but du voyage. La société C. assigne alors la société B. afin d'obtenir le remboursement du prix et une indemnisation.

La cour d'appel déboute la société C. de sa demande d'indemnisation. Selon elle, l'absence de l'aéronef est consécutive à un cas de force majeure au sens de l'article 1148 du Code civil (N° Lexbase : L1249ABU), constitué par les contraintes de rotation de l'aéronef et les conditions climatiques sur l'aéroport d'origine (CA Bordeaux, 2ème ch., 28 octobre 2009, n° 06/01205 N° Lexbase : A0045HSH). La cour d'appel estime, d'autre part, que, tous les moyens ayant été mis en oeuvre pour permettre de réaliser le transport, la responsabilité de la société B. ne peut être recherchée conformément à l'article 20 de la Convention de Varsovie.

Sans mettre en cause l'application de la Convention de Varsovie, le pourvoi contestait l'appréciation de l'exonération du prestataire. La Cour de cassation, se place quant à elle sur le terrain de la Convention de Montréal, du 28 mai 1999, dont elle relève d'office l'application. Reconnaissant à la société Bailly la qualité de "transporteur contractuel", elle estime que la cour d'appel n'a pas caractérisé ses causes d'exonération au regard de l'article 19 de la Convention de Montréal, dont l'application est exclusive de celle de l'article 1148 du Code civil.

S'agissant de l'appréciation de l'exonération du prestataire, l'arrêt n'innove guère : il était acquis en l'espèce que l'absence de l'aéronef était consécutive aux contraintes de rotation, c'est-à-dire à la succession de vols. C'est pour cette raison que l'aéronef devait décoller d'un aéroport parisien pour ensuite se rendre sur l'aéroport où il devait prendre les passagers. Nulle force majeure, bien évidemment, dans cette contrainte imputable à l'organisation interne du prestataire.

En revanche, l'application de la Convention de Montréal, relevée d'office par la juridiction, semble particulièrement surprenante. Tout autant l'est cette appréciation de l'application d'une convention intégrée dans le droit européen, sans recours à une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.

En effet, comme la Convention de Varsovie, la Convention de Montréal régit le contrat de transport aérien. En l'espèce, cependant, il s'agissait d'un contrat d'affrètement. Les deux contrats sont distincts : le premier vise au déplacement de personnes ou de biens, le second, la mise à disposition d'un véhicule, en l'occurrence, un aéronef. L'application de la Convention de Montréal au litige est alors surprenante, cette convention ne régissant pas le contrat d'affrètement, pas davantage que celle de Varsovie. La première Chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 6 juin 1990 (Cass. civ. 1, 6 juin 1990, n° 88-18.991, publié N° Lexbase : A4012AH3, Bull. civ. I, n° 151) avait affirmé clairement cette solution.

Certes, l'énigmatique article L. 323-2 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L4209AWS), devenu l'article L. 6412-6 du Code des transports (N° Lexbase : L6165INN), dispose que "toute entreprise frétant un aéronef pour une opération de transport est soumise aux lois et règlements applicables au transport aérien public". Cependant, la Cour de cassation ne fait pas application de ce texte. Du reste, signifie-t-il que le fréteur peut se prévaloir de la réglementation du contrat de transport ou, seulement, que l'entreprise est soumise aux mêmes règles que les entreprises de transport aérien, par exemple en matière d'exercice de l'activité, sociale voire fiscale ?

La qualification de transporteur aérien contractuel, attribuée à la société Bailly par la première chambre civile et déterminante de l'application de la Convention de Montréal n'emporte pas davantage la conviction. La Convention de Montréal soumet en effet à ses règles celui qui exécute le transport et celui qui a conclu le contrat de transport aérien, le transporteur contractuel. Encore faut-il que ce soit un contrat de transport, expressément visé par le texte (Convention de Montréal, art. 39) et non un contrat d'affrètement. Dans le cas où le prestataire aurait conclu un contrat d'affrètement avec l'organisateur du voyage (ici, la société Carte Blanche) et un contrat de transport avec les passagers (par la délivrance d'un titre de transport), la qualité de transporteur contractuel devrait logiquement lui être attribuée dans ses rapports avec les passagers et non avec l'organisateur, ici en cause.

Enfin, l'application de l'article 19 de la Convention de Montréal, relatif au retard, renforce l'incompréhension. En l'espèce, en effet, les passagers avaient plutôt été victimes d'une annulation que d'un retard. L'argument, développé par le rapporteur, selon lequel le dommage aurait été le même en cas de retard, de sorte qu'il fallait ici assimiler l'annulation à un retard, n'emporte pas la conviction. Il serait plus légitime de considérer qu'il conviendrait, lorsque le dommage est le même, d'assimiler le retard à une annulation. Du reste, cette interprétation de la Convention de Montréal aurait dû faire l'objet d'un renvoi préjudiciel.

Le pourvoi contestait l'appréciation de l'exonération du prestataire, tant sur le fondement de la Convention de Varsovie que sur celle de l'article 1148 du Code civil. A supposer le droit national applicable au contrat d'affrètement, la Cour de cassation pouvait donc légitimement se prononcer sur l'application de l'article 1148 et, également, écarter l'application de la Convention de Varsovie, tout aussi inapplicable que celle de Montréal. Le contrat d'affrètement aérien, en effet, n'est pas soumis à une réglementation spécifique et relève du droit commun des contrats et de la responsabilité, du moins lorsque les passagers ne sont pas en cause.

Il n'y avait donc nulle contrainte pour la Cour de cassation de faire application de la réglementation du contrat de transport, qu'elle relève pourtant d'office, de manière, semble-t-il, peu appropriée.

La portée de la solution va bien au-delà de l'appréciation des causes d'exonération d'un prestataire aérien. Ainsi, la responsabilité du fréteur à l'égard de l'organisateur de transport serait soumise aux conventions aériennes et non au droit commun. Le prestataire serait certes responsable, mais bénéficierait tout autant des limitations de responsabilités établies par ces conventions.

En l'espèce, cela ne constituera peut-être pas un problème, le plafond institué par la Convention de Montréal étant d'environ 4 000 euros par passagers et le vol devant en embarquer 94. Le montant total devrait suffire à indemniser le demandeur. Néanmoins, si la cour de renvoi devait confirmer l'application de la Convention de Montréal, le plafond d'indemnisation ainsi institué devrait être au coeur des litiges à venir, où la gravité du dommage ne sera pas compensée par le nombre de voyageurs.

  • Affaire "'Frigo 7/Gefco"... suite : peut-on reprocher une fraude ou une infidélité au donneur d'ordre, de nature à faire échec à la prescription ? (Cass. com., 22 mai 2013, n° 11-27.352, FS-P+B N° Lexbase : A9097KDB)

L'affaire "Frigo 7/Gefco" est une affaire célébrissime dans le transport routier français de marchandises. Frigo 7 est le sous-traitant de Gefco depuis 1972. En 2008, il lui réclame vainement l'indexation du prix du transport sur le coût du carburant, conformément à la loi du 5 janvier 2006 (loi n° 2006-10, relative à la sécurité et au développement des transports N° Lexbase : L6671HES). La même année, Gefco met un terme à la relation commerciale. D'où deux assignations, l'une pour obtenir paiement des sommes dues à l'indexation, estimées à 2 millions d'euros, l'autre sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales. Devant la cour d'appel de Versailles, en 2010 (CA Versailles, 12ème, 9 mars 2010, n° 09/00740 N° Lexbase : A2582EWK), tout se présente bien pour Frigo 7. Rejetant la prescription annale au motif de l'infidélité du commissionnaire de transport, la cour admet le principe d'une indexation depuis 2006 et nomme un expert afin d'en déterminer le montant. S'agissant de la rupture brutale des relations commerciales, la cour alloue à Frigo 7 une indemnité de près de 10 millions d'euros, Gefco n'ayant accordé à Frigo 7 qu'un préavis de 6 mois alors que, compte tenu de l'ancienneté des relations, il aurait dû être de 20 mois. Les commissionnaires de transport s'inquiètent...

Las ! La rentrée de septembre devait détruire tous les espoirs de Frigo 7. D'abord, à la suite du rapport de l'expert, la cour d'appel de Versailles, le 22 septembre 2011 (CA Versailles, 22 septembre 2011, n° 09/06744 N° Lexbase : A5464HYZ), statuait sur le montant de la somme due à Frigo 7 en vertu de l'indexation. Et, au lieu des 2 millions réclamés, elle accordait une somme de... 122 000 euros, tenant compte des augmentations de prix que Gefco avait déjà accordé dans le passé. Pour mettre une touche finale, le 4 octobre 2011, la Cour de cassation censurait purement et simplement l'arrêt, retenant la rupture brutale de la relation commerciale, au motif que Gefco avait respecté le délai stipulé dans le contrat type sous-traitance (Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-20.240, FS-P+B N° Lexbase : A5964HYK ; cf. nos obs .in Chronique trimestrielle de droit des transports - Novembre 2011, Lexbase Hebdo n° 274 du 24 novembre 2011 - édition affaires N° Lexbase : N8888BSY).

Mais la déroute de Frigo 7 ne s'arrête pas là. La Cour de cassation vient de se prononcer sur le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel, en ce qu'il admettait l'application de l'indexation aux relations des parties en dépit de la prescription annale et sur le calcul des modalités d'indexation.

S'agissant du second point, la réponse de la Cour de cassation est certes la plus technique, mais non la moins concrète. On sait en effet que la loi du 5 janvier 2006 impose dans le contrat de transport routier de marchandises une indexation du prix du transport sur celui du carburant, obligeant à défaut de clause ad hoc, à indexer le prix de chaque commande de transport à partir d'un indice publié par le comité national routier (C. transports, art. L. 3222-2 N° Lexbase : L7637IN8). On comprend alors immédiatement que, dans le cas de relations ayant une certaine durée, un calcul ponctuel s'avère d'une complexité telle qu'il en devient irréalisable. Pour cette raison, à la suite d'un calcul d'expert, la cour d'appel avait appliqué un indice calculé d'après une moyenne des indices CNR, sur une période déterminée. Le pourvoi avait alors beau jeu de rappeler la lettre du texte, imposant que l'indice servant de base à l'appréciation de la variation du coût du carburant est celui du jour de la commande de transport.

La Cour de cassation casse alors l'arrêt d'appel, pour refus d'application et fausse application de la loi.

On soulignera de surcroît que l'indexation, selon le texte, s'applique pour chaque transport, entre la date de la commande et la date de la réalisation de celui-ci. Dès lors, et même lorsque les relations ont duré dans le temps, le transporteur devrait demander une indexation distincte pour chacun des transports qu'il a réalisés !

L'autre question, plus juridique, tenait à l'application de la prescription annale à la demande d'indexation. L'article L. 133-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L4810H9Z) établit en effet une prescription annale, applicable à toute action née du contrat de transport. La demande d'indexation excédant cette période, la question se posait de sa recevabilité.

Pour faire échec à la prescription, le demandeur invoquait la "fraude ou l'infidélité", qui substituent à la prescription annale celle, quinquennale, de droit commun. La Cour de cassation fait justice du premier argument du pourvoi : en dépit de la lettre du texte, la fraude ou l'infidélité peuvent être invoquées non seulement lorsqu'elles émanent du transporteur.

La question se posait alors de savoir si on pouvait reprocher une fraude ou une infidélité au donneur d'ordre, de nature à faire échec à la prescription.

La doctrine et de nombreux arrêts ont tendance à considérer comme purement redondants les termes de fraude et d'infidélité employés par le législateur. Pourtant, de rares arrêts et commentateurs les distinguent et nous adhérons à leur analyse. Ainsi, la fraude serait constituée par les comportements visant à faire échec à l'action en justice, en favorisant indûment l'acquisition de la prescription. La fraude sanctionne clairement les manoeuvres dilatoires. En revanche, l'infidélité constituerait simplement un manquement du contractant à la bonne foi, sanctionné en tant que tel, indépendamment de ses conséquences sur la prescription. On mesure rapidement l'influence d'une conception moniste ou dualiste, alors que le donneur d'ordre n'avait pas adopté de comportement dilatoire.

La Cour de cassation ne tranche pas expressément cette problématique. Néanmoins, elle casse l'arrêt ayant retenu la fraude ou l'infidélité du donneur d'ordre, soulignant que le mécanisme d'indexation qui avait été mis en place entre les parties et qui aurait eu pour conséquence de faire échec à l'indexation légale avait été établi d'un commun accord. La solution est pratiquement importante : il convient en effet d'éviter que le transporteur accepte un mécanisme conventionnel et cherche ensuite à échapper à la prescription en faisant valoir qu'il lui a été imposé dans un rapport de force.

  • Transport maritime : la question de l'établissement d'un cas excepté (Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-12.101, F-P+B N° Lexbase : A6818KCI)

Le transporteur maritime étant, comme tout transporteur, tenu d'une obligation de résultat, la question de l'établissement d'une cause d'exonération de responsabilité, ici appelée cas excepté, prend toute son importance.

Tant le Code des transports, codifiant la loi du 18 juin 1966 (loi n° 66-420 du 18 juin 1966, sur les contrats d'affrètement et de transport maritimes N° Lexbase : L8010GTT), que la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 établissent divers cas exceptés.

En l'espèce, il s'agissait d'huile de tournesol qui, transportée en cuves, était arrivée à destination à l'état d'émulsion et ayant formé une vase nauséabonde. L'expert, s'appuyant sur une analyse de laboratoire, soulignait que cette pollution pouvait être due à l'huile transportée elle-même, non raffinée, en raison des composés organiques qu'elle contenait.

L'exonération pouvait alors être fondée, selon le pourvoi, sur le "vice propre" de la marchandise, c'est-à-dire "sa propension à se détériorer dans des conditions normales de transport". Les auteurs faisaient du reste une certaine confusion, le vice propre supposant l'existence d'un vice, absent en l'espèce et se distinguant ainsi de la "nature spéciale", autre cause d'exonération, spécifique à la Convention de Bruxelles et n'exigeant pas que la marchandise soit viciée. L'arrêt en fournit alors un exemple intéressant et rare. En tout état de cause, il convient que le cas excepté soit prouvé par le transporteur qui cherche à s'exonérer. En l'espèce, ce n'était pas le cas, l'expert n'ayant émis que des hypothèses. La Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette alors le pourvoi dirigé contre l'arrêt (CA Douai, 8 novembre 2011, n° 10/00318 N° Lexbase : A9118H34) condamnant le transporteur, faute de preuve du cas excepté.

S'il n'est pas original, l'arrêt souligne d'abord l'importance de la preuve et, donc, du rapport d'expert. Celui-ci est en effet trop souvent rédigé sur un ton dubitatif ou incertain. La question du fondement du cas excepté doit être également bien réfléchie, alors que plusieurs cas peuvent se recouper. Ainsi, en l'espèce, le transporteur se fondait sur le vice propre, qu'il déduisait de la "nature particulière" et la Cour lui reprochait de ne pas prouver le vice allégué. Aurait-il encouru pareil grief s'il s'était fondé sur la nature de la marchandise ?

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