La lettre juridique n°451 du 1 septembre 2011

La lettre juridique - Édition n°451

Éditorial

"Laïcité positive" : le Conseil d'Etat donne le "la" et crée l'émoi

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N7332BSD

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Sur les traces du premier Consul auquel il demeure sans cesse -ironiquement- comparé, le 20 novembre 2007, le tout nouveau "premier et unique chanoine d'honneur" de l'Archibasilique Saint-Jean-de-Latran, et néanmoins nouveau Président de la République française, affirmait que "la République a intérêt à ce qu'il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses", ou encore que "la laïcité n'a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes" ; enfin "dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur". Et, il introduisait, ce faisant, une nouveau concept sur l'échiquier politique -certains parlent d'habilité rhétorique- : la "laïcité positive". En ces lieux, Bonaparte avait, en juin 1800, fait plus concis et tout aussi percutant, affirmant sans ambages qu'"une société sans religion est un vaisseau sans boussole".

Première salve, premier tollé : du Grand Orient de France à l'Observatoire chrétien de la laïcité, en passant par la Ligue de l'enseignement, et plusieurs collectifs d'intellectuels et philosophes, tous fustigent le discours et le syntagme, les considérant comme "une remise en cause violente et globale" de la laïcité, une "offensive [de] la plus grande brutalité". Pour eux, cette expression -la "laïcité positive"- vide le concept de laïcité de son sens, la définition de la laïcité étant forcément négative et minimaliste. La laïcité, c'est dire qu'il n'est pas nécessaire de croire en quoi que ce soit pour fonder le lien politique. Et, de craindre le danger du communautarisme ; l'expression "laïcité positive" n'étant pas sans rappeler celle de "discrimination positive".

"Le sage tourne sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler" nous livre Salomon, dans le Livre des proverbes. Mais, c'est sans compter sur la ténacité de notre proto-chanoine de la cathédrale Notre-Dame d'Embrun. Devant le Conseil consultatif de Riyad, le 14 janvier 2008, il prêchait littéralement : "Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le coeur de chaque homme. Dieu qui n'asservit pas l'homme mais qui le libère. Dieu qui est le rempart contre l'orgueil démesuré et la folie des hommes. Dieu qui par-delà toutes les différences ne cesse de délivrer à tous les hommes un message d'humilité et d'amour, un message de paix et de fraternité, un message de tolérance et de respect" ; ou encore, un brin plus Président que proto-chanoine : "en tant que chef d'un Etat qui repose sur le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, je n'ai pas à exprimer ma préférence pour une croyance plutôt que pour une autre. [...] J'ai le devoir de faire en sorte que chacun, qu'il soit juif, catholique, protestant, musulman, athée, franc-maçon ou rationaliste, se sente heureux de vivre en France, se sente libre, se sente respecté dans ses convictions, dans ses valeurs, dans ses origines". Seconde salve, même accueil que la première.

Enfin, n'y tenant plus, persuadé de son déterminisme kantien, le chanoine honoraire de la cathédrale de Saint-Jean-de-Maurienne précisait sa pensée, s'il l'eût fallu, le 12 septembre 2008, sur le perron de son Palais, recevant le Pape : "La laïcité positive, la laïcité ouverte, c'est une invitation au dialogue, à la tolérance et au respect. C'est une chance, un souffle, une dimension supplémentaire donnée au débat public". Et de poursuivre : "Nous ne mettons personne devant l'autre, mais nous assumons nos racines chrétiennes" ; "ça ne nous empêche pas de tout faire pour que nos compatriotes musulmans puissent vivre leur religion à égalité avec toutes les autres". Troisième salve, même succès... auprès des instances religieuses de tout bord.

Pourtant, avec ce troisième discours, si la vivacité avec laquelle le chanoine honoraire de Saint-Hilaire de Poitiers bouscule la loi de 1905 et la tradition laïque française, plutôt accommodée à la neutralité statique, est la même, la teneur semble modifier la définition du concept de "laïcité positive" au gré de l'impopularité soulevée précédemment. Si les discours de Latran et de Riyad faisaient appel à la transcendance divine et à la morale religieuse comme ciment entre les hommes, le discours de Paris, bien que reprenant la même pensée, s'attache, non plus aux croyances en tant que telles, ni à l'exercice du culte, mais plus volontiers aux conditions de cet exercice et à la mémoire culturelle aux accents historiques cultuels. La "laïcité positive", ce n'était plus affirmer qu'il n'est pas obligatoire de croire en la transcendance, bien que cela soit tout de même mieux pour l'Humanité et la société politique. Mais, si la laïcité oblige la neutralité de l'Etat à l'égard des religions, aux interdictions permettant d'assurer cette neutralité et l'équilibre -"laïcité négative"-, est pendante une action politique chargée d'assurer les conditions de la liberté de toutes les consciences au regard de l'Histoire française et de l'équité nécessaire entre les différentes religions -"laïcité positive"-.

Il faut dire que du rapport "Baroin", en mai 2003, prônant la création d'un Code de la laïcité qui regrouperait les textes existants, au rapport "Rossinot", en décembre 2005, sur la laïcité dans les services publics, en passant par le rapport "Stasi", de décembre 2003, légitimant les "accommodements raisonnables", pour l'octroi de permis pour l'édification de nouveaux lieux de culte, l'aménagement des menus de la restauration collective, le respect des exigences liées aux principales fêtes religieuses, les rites mortuaires, ou l'enseignement du fait religieux, on ne peut pas dire que, sauf à se cristalliser sur la question du "foulard islamique" à l'école, les pouvoirs publics surent appréhender la laïcité dans la France du XXIème siècle et faire évoluer de manière efficace, et dans le consensus, la loi de 1905.

A vrai dire, c'est le rapport "Machelon", en septembre 2006, qui fait les propositions les plus pragmatiques, visant à adapter le droit des cultes. Ces propositions portent sur la question immobilière et la construction de lieux de culte, le statut juridique des associations cultuelles, les carrés confessionnels dans les cimetières. Sont également examinés la protection sociale des ministres du culte et les régimes particuliers d'Alsace-Moselle et de la Guyane. Loin des imprécations fondamentalistes et conscient que la France ne peut plus s'accommoder d'une laïcité à la neutralité toute dogmatique, le rapport, intitulé Les Relations des cultes avec les pouvoirs publics, tient ses promesses. Mais, il n'en demeure pas moins dépourvu de traduction législative, faute, encore une fois, de consensus pour déroger aux canons de la loi de séparation.

Alors, c'est en traversant la Seine que le chanoine honoraire de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, trouve le réconfort, en cette maussade journée du 11 juillet 2011. Son "appel du 12 septembre" a été entendu par ses fidèles conseillers d'Etat. Et, leurs salves ne seront pas moins bruyantes. Ce n'est pas moins de cinq arrêts, rendus en formation d'Assemblée, qui définissent ce qu'est, aux yeux des précieux conseillers, la "laïcité positive" chère au Président consulaire. Accusé d'avoir trop promu une "laïcité négative", dans ces colonnes mêmes, lorsque, par quatre décisions en date du 5 décembre 2007, il faisait application des dispositions de l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation issues de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, et prohibant le port de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, le Haut conseil souhaite, désormais, montrer le visage d'une laïcité, non plus d'interdiction, mais de liberté (cf., avec une certaine prophétie, D. Kessler, commentant la portée de l'avis du 27 novembre 1989 dans ses conclusions sous l'arrêt "Kherouaa").

Ainsi, une commune peut attribuer une subvention en vue de la réalisation d'un ascenseur facilitant l'accès des personnes à mobilité réduite à une basilique (n° 308817) ; elle peut aménager un équipement permettant l'exercice de l'abattage rituel si un intérêt public local le justifie (n° 309161) ; elle peut permettre l'utilisation d'un local qui lui appartient pour l'exercice d'un culte dans le respect des principes de neutralité et d'égalité (n° 313518). Par ailleurs, une collectivité territoriale peut participer au financement d'un orgue dans une église (n° 308544). Enfin, la loi de 1905 n'est pas applicable à un litige concernant la conclusion, par une collectivité territoriale, d'un bail emphytéotique administratif en vue de la construction d'une mosquée (n° 320796).

Ces cinq décisions, mentionnées au recueil Lebon, feront chaud au coeur de notre chanoine honoraire de Saint-Martin de Tours. Et, "l'insoumis du cap Nègre", à l'image de l'hôte de la maison de Longwood, pourra commencer à forger sa légende... avant de trancher, à la lumière de cette récente jurisprudence, la question, moins médiatique, mais plus philosophique, de la "théorie des genres" qui, contre l'avis des légats du Vatican, fait son entrée dans les livres scolaires, cette année... La neutralité laïque, ce n'est assurément pas de rester statique, mais de rassembler autour de la laïcité, que cela soit avec le glaive de l'interdiction ou la balance des libertés.

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Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Le droit disciplinaire des avocats soumis à l'examen du Conseil constitutionnel

Réf. : Cass. QPC, 12 juillet 2011, 2 arrêts, n° 11-40.035, FS-D (N° Lexbase : A0391HWE) et n° 11-40.036, FS-D (N° Lexbase : A0392HWG)

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N7468BSE

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par Xavier Berjot, avocat associé Ocean Avocats

Le 01 Septembre 2011

Dans deux arrêts du 12 juillet 2011, la première chambre civile de Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), relatives, d'une part, à la procédure disciplinaire applicable aux avocats du barreau de Paris et, d'autre part, à la définition des règles de déontologie et la fixation des sanctions disciplinaires. Ces deux QPC, commentées ci-après, offrent également l'occasion de rappeler les principales règles applicables au traitement des QPC, instaurées par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 (loi n° 2008-724 N° Lexbase : L7298IAK). I - Rappel des principales règles applicables au traitement des QPC

Selon l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), "lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé".

Le dispositif de la QPC, qui constitue une réforme majeure, permet à toute personne physique ou morale, partie à un litige, de soutenir qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution (au sens large) garantit.

La QPC peut être posée à l'occasion de toute instance devant une juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire, et tant en première instance (sauf devant la cour d'assises) qu'en appel ou en cassation.

L'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), définit les conditions de recevabilité de la QPC, qui sont au nombre de quatre.

Tout d'abord, à peine d'irrecevabilité, la QPC doit être présentée dans un écrit distinct et motivé (article 23.1 de l'ordonnance).

Par ailleurs, il appartient à la juridiction de transmettre la QPC au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation, si les conditions cumulatives suivantes sont remplies (article 23.2 de l'ordonnance) :

1° la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

La juridiction devant laquelle la QPC est soulevée constitue donc un premier filtre, étant précisé que le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige (article 23-2 susvisé).

La décision de transmettre la QPC est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties (article 23-2 susvisé) et la juridiction doit surseoir à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel (article 23-3 de l'ordonnance).

Une fois saisi, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation dispose d'un délai de trois mois pour se prononcer sur le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel, en se fondant sur les mêmes critères de recevabilité que ceux exposés ci-dessus.

Le Conseil constitutionnel doit statuer dans un délai de trois mois à compter de sa saisine, après avoir mis les parties à même de présenter contradictoirement leurs observations.

Si les Sages déclarent que la disposition législative contestée est contraire à la Constitution, leur décision a pour effet d'abroger cette disposition, qui disparaît de l'ordre juridique français.

II - Les QPC relatives au droit disciplinaire des avocats

Les deux QPC précitées ont été soulevées par un avocat, devant la cour d'appel de Paris, à l'occasion d'une instance disciplinaire l'opposant au Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris. Dans deux arrêts du 26 mai 2011 (1), la cour d'appel a pris la décision de transmettre ces QPC à la Cour de cassation, conformément à l'article 23.2 de l'ordonnance susvisé. La Cour de cassation a elle-même décidé de les transmettre au Conseil constitutionnel, dans ses arrêts du 12 juillet 2011, et elles sont actuellement en cours d'examen.

A - La QPC relative à la procédure disciplinaire applicable aux avocats du barreau de Paris

La première QPC (2) était posée en ces termes :

- "La loi n° 2004-130 du 11 février 2004 (N° Lexbase : L7957DNZ), article 28, qui a modifié l'article 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) en instituant des conseils de discipline distincts des conseils de l'ordre, en ce qu'elle a refusé dans l'alinéa 2 de ce texte le bénéfice de cette disposition aux avocats au barreau de Paris, a-t-elle porté atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, faute d'accès effectif à un juge indépendant et impartial, au travers des principes d'égalité des armes et du respect des droits de la défense, ainsi qu'au principe d'égalité devant la justice, en violation des articles 1er (N° Lexbase : L1365A9G), 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 ?"

En effet, il résulte de l'article 22, alinéa 1er, de la loi du 31 décembre 1971 modifiée qu'un conseil de discipline institué dans le ressort de chaque cour d'appel connaît des infractions et fautes commises par les avocats relevant des barreaux qui s'y trouvent établis.

Ce conseil de discipline est composé de représentants des conseils de l'Ordre du ressort de la cour d'appel, étant précisé qu'aucun conseil de l'Ordre ne peut désigner plus de la moitié des membres du conseil de discipline et que chaque conseil de l'Ordre doit désigner au moins un représentant.

Or, l'alinéa 2 du texte susvisé prévoit, par exception, que le conseil de l'Ordre du barreau de Paris connaît lui-même des infractions et fautes commises par les avocats qui y sont inscrits, en siégeant comme conseil de discipline.

Il existe donc manifestement une différence de traitement entre les avocats, selon qu'ils appartiennent ou non au barreau de Paris. Dans ce dernier cas, l'Ordre se trouve être à la fois autorité de poursuite et de jugement.

Est ainsi posée la question de l'accès effectif à un juge indépendant et impartial, comme n'a pas manqué de le relever la QPC.

Or, ce principe bénéficie de fondements constitutionnels solidement établis, que vise la QPC, et notamment l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 selon lequel "toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution".

Il n'est donc pas exclu que le Conseil constitutionnel abroge l'article 22, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971.

B - La QPC relative à la définition des règles de déontologie et la fixation des sanctions disciplinaires

La deuxième QPC transmise au Conseil constitutionnel (3) est formulée dans les termes suivants :

- "L'article 53, alinéas 1er et 3, de la loi n° 71-1130 modifiée du 31 décembre 1971, en ce qu'il renvoie à des décrets en Conseil d'Etat les conditions d'application du texte de loi, s'agissant plus spécialement de la définition des règles de déontologie et de la fixation des sanctions disciplinaires, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, consacrés par les principes d'égalité, de légalité de la procédure pénale, de respect des droits de la défense, ainsi que par le droit d'accès à un juge, notamment au travers du principe de légalité, violant de la sorte les articles 1er, 6, 7 (N° Lexbase : L1371A9N), 8 (N° Lexbase : L1372A9P) et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 ?"

Dans son arrêt de transmission de la QPC au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation relève que "la question posée présente un caractère sérieux en ce que le droit disciplinaire revêt un caractère punitif".

En effet, la QPC soulève la question de la légalité des délits et des peines.

L'article 53, alinéas 1er à 3, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dispose :

-"Dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions d'application du présent titre.

Ils présentent notamment :

2° Les règles de déontologie ainsi que la procédure et les sanctions disciplinaires". (nous soulignons).

Parce qu'elle renvoie à des décrets en Conseil d'Etat la possibilité d'édicter des sanctions, il est possible d'affirmer que la loi du 31 décembre 1971 s'est affranchie de ce principe de légalité des délits et des peines.

L'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose à cet égard que "la Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée".

Selon le Conseil constitutionnel (décision n° 2010-604 DC du 25 février 2010 N° Lexbase : A2529ESH), le législateur tient de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis.

Le principe de légalité des délits et des peines s'applique aux sanctions administratives ou ordinales (décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 à propos du CSA N° Lexbase : A8194ACH).

Précisons toutefois que les Sages admettent la possibilité de renvoyer à une norme inférieure, par délégation de la loi, pour ce qui concerne la définition d'une incrimination (décision n° 82-145 DC du 10 novembre 1982 N° Lexbase : A8047ACZ).

En l'espèce, l'article 53 a confié à des décrets en Conseil d'Etat le soin d'établir non seulement la définition des comportements fautifs des avocats, mais également les sanctions qu'ils encourent.

Par conséquent, ici encore, il n'est pas exclu que le Conseil constitutionnel abroge les alinéas 1er et 3 de l'article 53, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.


(1) CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 26 mai 2011, 2 arrêts, n° 11/07866 (N° Lexbase : A7550HSG) et n° 11/07865 (N° Lexbase : A7549HSE).
(2) Cass. QPC, 12 juillet 2011, n° 11-40.035.
(3) Cass. QPC, 12 juillet 2011, n° 11-40.036.

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Avocats/Institutions représentatives

[Manifestations à venir] XIXème congrès de l'ACE : faisons évoluer les métiers du droit

Lecture: 1 min

N7398BSS

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Le 01 Septembre 2011

Le XIXème congrès de l'association des Avocats conseils d'entreprises (ACE) se tiendra les 6 et 7 octobre 2011 à Perpignan, sous la présidence du Bâtonnier Hervé Germa, et sera consacré au thème de l'évolution des métiers du droit.
  • Jeudi 6 octobre 2011

9h00 - 10h30 : Accueil des participants, café d'accueil offert par nos partenaires

10h30 : Cérémonie officielle d'ouverture

- André-Philippe Dupont Champion, membre du Bureau national de l'ACE et membre du CNB
- Hervé Germa, Bâtonnier, président du congrès
- Pierre Becque, Bâtonnier de Perpignan
- Jean-Marc Pujol, Maire de Perpignan
- Antoine-Audoin Maggiar, Président de la Section internationale ACE
- Clarisse Berrebi, Présidente de la Section jeunes (ACE-JA)
- Jean-Jacques Uettwiller, Président d'honneur de l'ACE, Rapporteur général
- Thierry Wickers, Président du Conseil national des barreaux
- William Feugère, Président national de l'ACE
- Monsieur le Ministre de la Justice, ou son représentant

12h45 : Déjeuner

14h30 : De la parole à l'acte - la maîtrise de la rédaction d'acte après la réception de l'acte d'avocat dans le droit codifié

Présidé par Jean-Pierre Chiffaut Moliard, avocat (Paris), premier vice-président de l'ACE

Avec la participation de :

- Pierre Mousseron, Professeur à la Faculté de droit de Montpellier
- Michel Bénichou, Bâtonnier, Président d'honneur du Conseil national des barreaux (Grenoble)
- Pierre Lafont, avocat (Montpellier), Président d'honneur de l'ACE
- Pierre Berger, Bâtonnier (Hauts-de-Seine), Président de la Commission Règles et Usages du CNB
- Christophe Jamin, Professeur en charge du CREA au CNB
- Emmanuel Raskin, avocat (Paris), Président de la Commission procédure ACE
- Antoine-Audoin Maggiar, avocat (Paris), Président de la Section internationale ACE
- Philippe Rochmann, avocat (Paris), Président de la compagnie des avocats conseils de Paris et Ile-de-France

Modérateur Jean-Jacques Uettwiller, avocat (Paris), Président d'honneur de l'ACE

16h30 : Pause

17h00 : Poursuite des travaux du thème principal

18h30 : Fin des travaux et conclusion sur le thème principal

20h30 : Dîner de gala à l'Eglise des dominicains (smoking et robe longue)

  • Vendredi 7 octobre 2011

8h30 : Travaux en ateliers (voir la liste)

10h30 : Pause

11h00 : Ateliers complémentaires

12h30 : Déjeuner au centre des congrès

14h00 : Deuxième édition des travaux des ateliers

16h00 : Pause

16h30 : Travaux des commissions de l'ACE

17h30 : Vote des motions, rapport de synthèse, clôture du congrès

20h30 : Dîner au Neptune à Collioure

  • Renseignements et inscriptions

Pour plus de renseignements sur les ateliers et la grille tarifaire, voir le site de l'ACE.

newsid:427398

Divorce

[Chronique] Chronique de droit patrimonial du divorce - Septembre 2011

Lecture: 11 min

N7362BSH

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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var

Le 01 Septembre 2011

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualités en droit patrimonial du divorce réalisée par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var. Au sommaire de cette nouvelle chronique, on retrouve, en premier lieu, un arrêt rendu le 6 juillet 2011, par lequel la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle que les juges doivent statuer sur une demande de prestation compensatoire dans la même décision que le divorce (Cass. civ. 1, 6 juillet 2011, n° 10-22.850, F-D N° Lexbase : A9593HUT). En second lieu, l'auteur a choisi de revenir sur deux arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation qui permettent de rappeler ce que les juges doivent prendre en considération pour la fixation de la prestation compensatoire (Cass. civ. 1, 6 juillet 2011, n° 10-14.715, F-D et Cass. civ. 1, 16 juin 2011, n° 10-19.537, F-D).
  • Prestation compensatoire : les juges doivent statuer dans la même décision que le divorce (Cass. civ. 1, 6 juillet 2011, n° 10-22.850, F-D N° Lexbase : A9593HUT)

La prestation compensatoire, dont l'objet est de compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux, doit être demandée au cours de la procédure de divorce et, exceptionnellement, pour la première fois en appel. S'ils ne statuent pas sur celle-ci en même temps qu'ils prononcent le divorce, les juges ne peuvent plus, ensuite, décider d'en accorder une.

En octobre 2002, un tribunal a prononcé le divorce d'un couple, mais a sursis à statuer quant à l'allocation d'une prestation compensatoire sollicitée par l'épouse. Il a alors commis un notaire afin d'établir, en application de l'article 1116 du (Nouveau) Code de procédure civile (N° Lexbase : L1941ADA), un projet de règlement d'une éventuelle prestation compensatoire, au profit de l'épouse, au vu de la liquidation du régime matrimonial.

En novembre 2008, soit six ans plus tard, statuant à la suite d'un procès-verbal de difficultés dressé par le notaire, un juge aux affaires familiales a déclaré la demande de prestation compensatoire de l'épouse recevable et condamné l'époux à verser, à ce titre, la somme de 30 000 euros.

En juin 2010, une cour d'appel a confirmé cette décision. Elle a estimé que si, en octobre 2002, les juges n'ont pas fixé le montant de la prestation compensatoire, ils ont admis l'octroi de celle-ci à l'épouse, dans son principe, en appréciant la disparité de revenus des parties.

En juillet 2011, la Cour de cassation a cassé cet arrêt. Selon les Hauts magistrats, le jugement d'octobre 2002, sur lequel se fondait l'arrêt d'appel, n'avait pas tranché, dans son dispositif, la question de l'existence d'une disparité, créée par le divorce, dans les conditions de vie respectives des parties. Or, il doit être statué sur la prestation compensatoire et sur le divorce par la même décision. Par conséquent, la cour d'appel avait violé les articles 270 (N° Lexbase : L2837DZ4), 271 (N° Lexbase : L3212INB) et 1351 (N° Lexbase : L1460ABP) du Code civil. La Cour de cassation a ainsi cassé sans renvoi et mis fin au litige, en application de l'article 627, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6786H7H), au motif que les faits, tels qu'ils avaient été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui ont permis d'appliquer la règle de droit appropriée. La demande de l'épouse a définitivement été déclarée irrecevable et chaque partie a eu la charge de ses propres dépens de première instance, d'appel et de cassation.

Si elle est critiquable, du point de vue des parties, la solution est parfaitement logique, du point de vue de la Cour de cassation.

Du point de vue des parties, et notamment de l'épouse, cette décision est difficilement compréhensible. Il aura fallu dix ans de procédure pour qu'elle apprenne qu'elle aurait pu avoir 30 000 euros de prestation compensatoire, si les premiers juges n'avaient pas sursis à statuer. Parce que le tribunal qui a prononcé son divorce a préféré attendre, s'agissant de l'octroi de la prestation compensatoire, qu'un notaire ait établi "un projet de règlement des prestations et pensions après divorce" (NCPC, art. 1116), l'épouse n'a finalement pas obtenu de prestation compensatoire, même si, entre temps, un juge aux affaires familiales a constaté qu'il y avait bien disparité dans les conditions de vie des époux. Et l'affaire est définitivement close.

Du point de vue de la Cour de cassation, pourtant, la solution est parfaitement logique. La demande de prestation compensatoire est l'accessoire de la demande en divorce. Les juges ne peuvent pas se prononcer sur le second sans statuer sur la première. Exceptionnellement, il est admis que la demande de prestation compensatoire peut être présentée pour la première fois en appel, tant que la décision, en ce qu'elle prononce le divorce, n'a pas acquis la force de chose jugée (1). En revanche, si l'appel est limité aux conséquences du divorce ayant trait à la part contributive de l'époux à l'entretien et l'éducation des enfants, par exemple, la demande de prestation compensatoire est irrecevable, puisque le divorce est devenu définitif (2).

De plus, selon l'article 271 du Code civil, tel qu'il était rédigé avant la réforme du divorce du 26 mai 2004, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, "la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. Dans le cadre de la fixation d'une prestation compensatoire, [...], les parties fournissent au juge une déclaration certifiant sur l'honneur l'exactitude de leurs ressources, revenus, patrimoine et conditions de vie". Or, en pratique, plus le temps (les années en l'espèce) passe(nt), plus est difficile, pour les juges, de déterminer les besoins et ressources des époux au moment du divorce, et, pour les époux, d'établir une déclaration indiquant avec exactitude leurs ressources, revenus, patrimoine et conditions de vie. L'écoulement du temps permet seulement, éventuellement, de prouver plus facilement le déséquilibre dans les conditions de vie des époux, avant et après le divorce.

En l'espèce, contrairement à ce qu'a énoncé la cour d'appel, le tribunal, en 2002, n'a pas admis, dans son principe, l'octroi d'une prestation compensatoire à l'épouse, en appréciant la disparité de revenus des parties. Il n'a pas, dans son dispositif, tranché la contestation relative à l'existence d'une disparité, créée par le divorce, dans les conditions de vie respectives des parties. Ainsi, en accordant une prestation compensatoire à l'épouse, six ans plus tard, le JAF, et les magistrats de la cour d'appel qui l'ont approuvé, ont violé l'article 1351 du Code civil (N° Lexbase : L1460ABP) selon lequel "l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité".

Le tribunal n'aurait pas dû surseoir à statuer. L'article 1116 du (Nouveau) Code de procédure civile (désormais abrogé) disposait : "le juge aux affaires familiales peut, même d'office, charger un notaire ou un professionnel qualifié d'établir un projet de règlement des prestations et pensions après divorce. Il peut aussi donner mission à un notaire de dresser un projet de liquidation du régime matrimonial". Ce texte était situé dans un paragraphe du code relatif à "L'instance". Les juges devaient donc y recourir pendant l'instance et non après le jugement. Ils pouvaient surseoir à statuer, en attendant le projet du notaire, mais devait surseoir à statuer sur l'ensemble des demandes, c'est-à-dire y compris le divorce, et non seulement sur la prestation compensatoire.

Lors de la réforme du divorce du 26 mai 2004 (loi n° 2004-439 N° Lexbase : L2150DYB), le législateur a abrogé l'article 1116 du Code de procédure civile. A présent, c'est l'article 255 du Code civil (N° Lexbase : L2818DZE) qui permet au juge de "désigner tout professionnel qualifié en vue de dresser un inventaire estimatif ou de faire des propositions quant au règlement des intérêts pécuniaires des époux" ou de "désigner un notaire en vue d'élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager". Ce texte est situé dans un paragraphe du Code civil relatif aux mesures provisoires, avant celui intitulé "de l'introduction de l'instance en divorce". Espérons qu'il est ainsi plus clair, pour les juges, que la désignation de ces professionnels et, surtout, l'examen des résultats de leurs travaux, doivent avoir lieu avant le prononcé du divorce.

Espérons également, à propos de l'affaire commentée, que l'épouse, qui a vécu sans prestation compensatoire pendant six ans, avant d'apprendre qu'elle pouvait en avoir une, pourra continuer à s'en passer, maintenant qu'elle sait qu'elle n'en aura jamais.

  • Prestation compensatoire : rappel sur les éléments devant être pris en considération par les juges (Cass. civ. 1, 6 juillet 2011, n° 10-14.715, F-D N° Lexbase : A9576HU9 et Cass. civ. 1, 16 juin 2011, n° 10-19.537, F-D (N° Lexbase : A7426HT9)

Dans la première affaire commentée ce mois-ci, les juges du fond avaient commis une erreur, certes. Celle-ci a probablement été difficile à admettre, du point de vue du justiciable, en l'occurrence l'épouse, mais, d'un point de vue juridique, elle pouvait être excusée. Dans d'autres espèces, en revanche, les juges du fond adoptent des solutions que ni les justiciables, ni des confrères indulgents ne peuvent expliquer, justifier et excuser.

Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation, le 6 juillet 2011, un homme avait été condamné, lors de son divorce, à verser à son épouse la somme de 20 000 euros de prestation compensatoire. En novembre 2009, la cour d'appel avait retenu, pour fixer une telle somme, que l'époux, militaire, percevait une solde nette de 2 500 euros, qu'il allait être placé à la retraite en novembre 2010 avec une pension mensuelle de 1 562,36 euros, qu'il ne serait alors âgé que de 48 ans et qu'il serait disponible pour occuper un emploi rémunéré.

Or, selon l'article 271 du Code civil, "la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre". L'arrêt attaqué fut donc cassé au motif que la cour d'appel avait privé sa décision de base légale au regard des articles 270, 271 et 272 (N° Lexbase : L8783G8S) du Code civil. Cette dernière ne pouvait pas statuer en examinant uniquement les ressources de l'époux. Elle devait, aussi, prendre en considération les charges de celui-ci, énoncées dans ses conclusions d'appel.

Dans une autre affaire, jugée le 16 juin 2011, une cour d'appel avait pris en considération, en mai 2009, pour attribuer à une épouse un capital de 4 000 euros à titre de prestation compensatoire, la somme mensuelle de 417 euros, versée à l'époux, au titre de la rente servie pour l'accident du travail qui l'avait rendu invalide.

Or, depuis février 2005 (soit quatre ans avant que la cour d'appel statue dans cette affaire), l'alinéa 2 de l'article 272 du Code civil, créé par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (N° Lexbase : L5228G7R), indique clairement "dans la détermination des besoins et des ressources, le juge ne prend pas en considération les sommes versées au titre de la réparation des accidents du travail et les sommes versées au titre du droit à compensation d'un handicap". La cassation de l'arrêt attaqué était évidente. Deux ans de procédure supplémentaire et des dépens pour l'épouse... pour une violation flagrante de l'article 272 du Code civil.

Ces décisions sont signalées ici pour deux raisons. D'une part, elles renseignent, à défaut de justifier, sur l'une des raisons de l'encombrement, et donc de la lenteur, de la justice : l'erreur (par définition) humaine ! D'autre part, et surtout, elles donnent l'occasion de rappeler ce qu'il convient de prendre en considération, ou pas, lors de la fixation de la prestation compensatoire.

Selon l'article 271 du Code civil, "la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.

A cet effet, le juge prend en considération notamment :

- la durée du mariage ;
- l'âge et l'état de santé des époux ;
- leur qualification et leur situation professionnelles ;
- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
- leurs droits existants et prévisibles ;
- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa
".

L'adverbe "notamment", au début de la liste, indique que celle-ci n'est pas exhaustive. Il a ainsi été jugé que les magistrats devaient tenir compte :

- de tous les composants du patrimoine des époux "et notamment leurs biens propres ou personnels quelle qu'en soit l'origine", telle que, par exemple, la perception d'"une somme importante lors de la vente d'un bien propre, dont il (le défendeur) n'avait pas justifié l'emploi" (3) ;
- du concubinage d'un des conjoints, qu'il s'agisse de l'époux créancier (4) ou débiteur (5) ;
- de l'allocation chômage de l'époux débiteur (6) ;
- du RMI (revenu minimum d'insertion) du créancier (7) ;
- de l'indemnité de fonction perçue en tant que maire, par le mari (8) ;
- de la prestation compensatoire versée à une précédente épouse (9) ;
- de la contribution à l'entretien et l'éducation des enfants, pour déterminer les ressources de l'époux débiteur (10), mais pas celles du conjoint qui en a la garde (11).

En revanche, le juge ne doit pas prendre en considération des sommes versées au titre de la réparation des accidents du travail et les sommes versées au titre du droit à compensation d'un handicap (C. civ., art. 272, al. 2). De plus, selon la jurisprudence, les juges n'ont pas à tenir compte :

- de la vocation successorale de l'épouse créancière, au motif que celle-ci ne constitue pas un "droit prévisible" (12). Il est vrai qu'il est possible que la personne n'ait jamais cet héritage si, par exemple, ses parents dilapident tout, l'exhérèdent ou décèdent après elle ;
- des perspectives de versement d'une pension de réversion en cas de prédécès de l'ex mari, débiteur de la prestation compensatoire (13), dès lors que, comme la vocation successorale, la pension de réversion attribuée en cas de prédécès du conjoint est aléatoire, personne ne pouvant prédire qui va mourir en premier ;
- des prestations destinées aux enfants (allocations familiales, prestations dédiées à la naissance et au jeune enfant, aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée (AFEAMA), allocation de garde d'enfant à domicile (AGED), prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), allocation de soutien familial (ASF), complément familial, allocation de rentrée scolaire), qui ne constituent pas des revenus bénéficiant aux parents (14) ;
- de la durée du concubinage antérieur au mariage, même si celui-ci a duré vingt ans et le mariage seulement cinq (15) (en revanche, les juges peuvent tenir compte d'une période de séparation, dès lors que celle-ci est intervenue pendant le mariage (16)).

Lorsque l'ajout ou l'exclusion d'un élément, de la liste de ceux devant être pris en considération, ressort d'une décision de justice, les juges du fond ne sont pas obligés de s'y conformer. Ils ne sont pas tenus par "les choix" de leurs confrères et peuvent "juger différemment". En revanche, quand la loi énonce clairement qu'un élément doit être pris en considération, telles les ressources du débiteur de la prestation (C. civ., art. 271) ou, au contraire, qu'un élément ne doit pas être pris en compte, telles les sommes versées au titre de la réparation des accidents du travail et au titre du droit à compensation d'un handicap (C. civ., art. 272), les juges du fond sont obligés de s'y conformer. Ils sont tenus par "les choix" du législateur et ne peuvent pas "juger différemment".

Malheureusement, ce rôle de sanction et de régulation, qui incombe à la Cour de cassation, ne peut être exercé que si un pourvoi est formé. Les justiciables doivent alors parfois, pour "gagner" une "bonne" application des règles de droit, perdre du temps et souvent de l'argent.


(1) Cass. civ. 2, 13 juin 1985, n° 83-16.446 (N° Lexbase : A4371AA7), Bull. civ. II, n° 121 ; Cass. civ. 2, 26 septembre 2002, n° 00-17.627, FS-P+B (N° Lexbase : A4969AZ3), Bull. civ. II, n° 188 ; Cass. civ. 1, 6 juillet 2011, n° 10-14.816 (N° Lexbase : A9587HUM).
(2) CA Pau, 12 juin 1991, D., 1992, p. 199.
(3) Cass. civ. 1, 20 septembre 2006, n° 04-17.803 (N° Lexbase : A2974DRL).
(4) Cass. civ. 1, 16 mars 2004, n° 02-12.786 (N° Lexbase : A5981DB7) ; Cass. civ. 1, 25 avril 2006, n° 05-15.706, F-P+B (N° Lexbase : A2165DPU), Bull. civ. I, n° 203.
(5) Cass. civ. 1, 3 décembre 2008, n° 07-14.609, F-P+B (N° Lexbase : A5157EBM), Bull. civ. I, n° 278.
(6) Cass. civ. 2, 5 novembre 1986, n° 85-12.860 (N° Lexbase : A5739AAS), Bull. civ. II, n° 159.
(7) Cass. civ. 1, 9 mars 2011, n° 10-11.053, F-P+B+I (N° Lexbase : A3240G77).
(8) Cass. civ. 2, 14 janvier 1999, n° 96-22.150 (N° Lexbase : A3886CHE), Bull. civ. II, n° 10.
(9) Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 06-10.763, FS-P+B (N° Lexbase : A3036DUY), Bull. civ. I, n° 69. (10) Cass. civ. 2, 10 mai 2001, n° 99-17.255 (N° Lexbase : A4303ATK), Bull. civ. II, n° 93.
(11) Cass. civ. 1, 25 mai 2004, n° 02-12.922, FS-P+B (N° Lexbase : A2708DCB), Bull. civ. I, n° 148.
(12) Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-10.989 (N° Lexbase : A2205GBB). Voir déjà, sous l'empire de la législation antérieure : Cass. civ. 1, 21 septembre 2005, n° 04-13.977, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4773DMQ), Bull. civ. I, n° 339 ; Cass. civ. 1, 3 octobre 2006, n° 04-20.601 (N° Lexbase : A4962DR9).
(13) Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-15.346 (N° Lexbase : A2212GBK). Voir déjà : Cass. civ. 1, 23 mai 2006, n° 05-17.856, F-D (N° Lexbase : A6809DPU).
(14) Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-12.718 (N° Lexbase : A2208GBE). Voir déjà : Cass. civ. 2, 26 septembre 2002, n° 00-21.914, FS-P+B (N° Lexbase : A4916AZ4), Bull. civ. II, 2002, n° 186 ; Cass. civ. 1, 12 mai 2004, n° 03-10.249, F-P (N° Lexbase : A1696DCS), Bull. civ. I, n° 133.
(15) Cass. civ. 1, 16 avril 2008, n° 07-12.814, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9364D7X), Bull. civ. I, n° 112. Voir aussi, Cass. civ. 1, 1er juillet 2009, pourvoi n° 08-18.147 (N° Lexbase : A5903EIH) et Cass. civ. 1, 12 janvier 2011, n° 10-13.731, F-D (N° Lexbase : A9873GPD).
(16) Cass. civ. 1, 16 avril 2008, n° 07-17.652 (N° Lexbase : A9369D77), Bull. civ. I, n° 111.

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Droit pénal fiscal

[Chronique] Chronique de droit pénal fiscal - Août 2011

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N7360BSE

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par Christian Lopez, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise, Avocat fiscaliste

Le 18 Février 2012

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver la chronique d'actualités en droit pénal fiscal réalisée par Christian Lopez, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise, Avocat fiscaliste. Dans le cadre de cette chronique, notre auteur reviendra sur trois décisions rendues par le Conseil d'Etat : tout d'abord, une décision concernant l'obligation pesant sur l'administration de communiquer les documents dont elle a eu connaissance et qui ont fondé un redressement au contribuable qui en fait la demande. La Haute assemblée limite cette obligation en retenant que l'administration qui vérifie un contribuable dont une partie de la comptabilité a été saisie par l'autorité judiciaire n'a pas à l'inviter à assister à la consultation des documents conservés par le juge judiciaire, dès lors qu'elle les lui communique par la suite (CE 8° s-s., 16 juin 2011, n° 325382, inédit au recueil Lebon). Ensuite, une décision relative au champ d'application de la pénalité pour mauvaise foi sera étudiée par notre auteur. En effet, le juge suprême affirme que cette pénalité n'est pas applicable au co-débiteur solidaire appelé en paiement de la dette fiscale du débiteur initial (CE 9° s-s., 28 juillet 2011, n° 313279, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, sera analysée la décision rendue par le Conseil d'Etat par laquelle est validée l'application de la pénalité pour non révélation de l'identité du bénéficiaire de sommes réputées distribuées, même en cas de prononcé de l'irrégularité de la procédure de redressement. En effet, la pénalité est distincte de l'impôt sur les sociétés, les deux procédures sont donc indépendantes et la censure de l'une ne peut invalider l'autre (CE 9° et 10° s-s-r., 28 juillet 2011, n° 312582, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • L'administration qui vérifie un contribuable dont une partie de la comptabilité a été saisie par l'autorité judiciaire n'a pas à l'inviter à assister à la consultation des documents conservés par le juge judiciaire, dès lors qu'elle les lui communique par la suite (CE 8° s-s., 16 juin 2011, n° 325382, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6424HT4)

Cette décision soulève l'un des plus épineux problèmes que rencontrent les vérificateurs lors d'un contrôle sur place, à savoir le respect des droits essentiels du contribuable vérifié et notamment le débat oral et contradictoire, et la communication des informations au contribuable. Il s'agit là de deux droits distincts souvent confondus.

La loi ne subordonne la régularité de l'exercice du droit de communication au respect d'aucune garantie pour le contribuable. Toutefois, l'administration est tenue de respecter le principe général des droits de la défense pour utiliser les renseignements recueillis auprès de tiers. Elle doit donc informer suffisamment le contribuable vérifié de la nature des renseignements qu'elle a recueillis, et le mettre ainsi à même de contester la portée de ces informations (1). En effet, lorsque l'administration se fonde, pour établir les redressements, sur des renseignements dont elle a pris connaissance en usant de son droit de communication auprès d'un tiers, elle doit informer le contribuable de la nature et de la teneur des documents en cause de façon à mettre l'intéressé à même de demander, avant la mise en recouvrement des impositions, la communication des pièces (2). Toutefois, elle n'est pas tenue à cette obligation si les renseignements obtenus dans le cadre du droit de communication n'ont pas été utilisés pour motiver les redressements (3). L'article 27 de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, codifié à l'article L. 76 B du LPF, consacre la jurisprudence du 3 décembre 1990, en précisant que "l'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76", à savoir la procédure contradictoire ou d'office. L'administration doit communiquer, avant la mise en recouvrement des impositions supplémentaires, une copie des documents précités aux contribuables qui en feront la demande. L'administration a donc l'obligation d'envoyer au contribuable qui en fait la demande une copie des documents.

Le Conseil d'Etat a toutefois précisé que l'invitation à consulter les documents dans les locaux du service des impôts ne peut être imposée que si la nature ou la valeur des documents en cause l'exigent (4).

Il convient, par ailleurs, de ne pas confondre cette obligation de transmission d'information au contribuable sur sa demande explicite et le respect du débat oral et contradictoire. C'est ainsi qu'il a été jugé que le contribuable, qui a été informé de l'utilisation par l'administration de renseignements fournis par des tiers, ne peut soutenir qu'il a été privé d'un débat oral et contradictoire dès lors que, dans sa réponse à la notification de redressement et dans un courrier ultérieur, il s'est borné à déplorer l'absence de présentation de ces éléments, sans en demander explicitement la communication au vérificateur qui n'avait pas l'obligation de les lui produire spontanément (5). Précisons que l'omission de communiquer les documents ou copies demandés constitue un vice substantiel de la procédure d'imposition (6).

Dans un avis du 21 décembre 2006, le Conseil d'Etat a précisé que cette obligation d'information, à laquelle est astreinte l'administration, ne s'applique pas seulement dans le cas où l'administration exerce son droit de communication (7).

La jurisprudence relative au respect du débat oral et contradictoire sur des pièces obtenues dans le cadre du droit de communication et utilisées durant la vérification de comptabilité peut paraître contradictoire. Mais cette apparente contradiction s'explique par la qualification comptable ou non comptable des pièces concernées. En effet, si, au cours d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale met en oeuvre son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire pour consulter des pièces comptables saisies, celles-ci devront être soumises à un débat oral et contradictoire avant l'envoi de la notification de redressement (8).

Lors de la mise en oeuvre d'une vérification de comptabilité, l'administration peut consulter, dans le cadre de son droit de communication, des documents ou pièces comptables détenus par un tiers. La juridiction d'appel a précisé que l'administration était alors tenue de soumettre l'examen de ces pièces à un débat oral et contradictoire avec le contribuable. A défaut, les impositions découlant de l'examen de ces pièces étaient entachées d'irrégularité. Cette garantie s'applique, notamment, aux factures obtenues auprès des fournisseurs du contribuable vérifié, et utilisées par le vérificateur pour déterminer les achats réalisés par l'entreprise et reconstituer son chiffre d'affaires (9). Dans cette affaire, le commissaire du Gouvernement avait fait valoir que la jurisprudence du 2 octobre 2002, rendue à propos de documents comptables appartenant au contribuable et saisis par l'autorité judiciaire, devait être étendue à tous les documents de nature comptable, quelle que soit leur origine. En effet, dans la mesure où les documents comptables, saisis chez le contribuable, par l'autorité judiciaire, sont soumis à un débat oral et contradictoire, alors que ces documents sont connus du contribuable, ce débat est a fortiori nécessaire pour des documents étrangers à la comptabilité du contribuable, détenus par des tiers, dont il n'a, a priori, pas connaissance. En l'espèce, les factures appartenant à des fournisseurs concernent directement le contribuable vérifié.

Mais le Conseil d'Etat a infirmé un tel raisonnement, en limitant aux seules pièces comptables de l'entreprise vérifiée la jurisprudence qui oblige l'administration à soumettre au débat oral et contradictoire l'examen des pièces comptables détenues par un tiers et qu'elle consulte dans l'exercice de son droit de communication en cours de vérification. Ainsi, le fait, pour l'administration, de ne pas opposer à une entreprise vérifiée des pièces comptables appartenant à un tiers, et obtenues dans le cadre du droit de communication, n'est pas susceptible d'entacher d'irrégularité la procédure de vérification pour absence de débat oral et contradictoire (10).

Si l'administration procède à des rehaussements en reconstituant les achats à partir de l'analyse des factures émises par les fournisseurs, et concernant le contribuable vérifié, les documents ainsi consultés par l'administration fiscale s'inscrivent pleinement dans les obligations relatives au respect du débat oral et contradictoire. La garantie du débat oral et contradictoire est propre à la vérification de la comptabilité, et non au droit de communication (11).

Cette garantie ne peut donc porter que sur des pièces comptables susceptibles d'entraîner des conséquences sur la comptabilité du contribuable vérifié, ce qui semblerait exclure les écritures comptables proprement dites des tiers, comme celles des fournisseurs, dont l'administration fiscale aurait eu connaissance lors de l'exercice d'un droit de communication, indépendamment du moment auquel cette procédure est intervenue.

Ainsi, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, notamment, jugé que l'administration qui obtient, en cours de vérification de comptabilité, et dans l'exercice de son droit de communication auprès de tiers, des documents ou pièces comptables étrangers à la comptabilité du contribuable vérifié, tels des extraits du grand livre fournisseurs d'une autre société, n'était pas tenue de soumettre ces pièces à un débat oral et contradictoire avec le contribuable (12). Les documents ne présentant pas un caractère comptable sont exclus du débat oral et contradictoire. Ainsi, tous les documents étrangers à la comptabilité du contribuable vérifié, comme les pièces de la comptabilité d'une autre entreprise, sont en dehors de la garantie du débat oral et contradictoire, puisque l'exploitation de ces documents comptables ne peut pas constituer un élément de la vérification de comptabilité du contribuable en cause (13). Ce n'est que si l'administration procède à une reconstitution du chiffre d'affaires de l'entreprise vérifiée, en utilisant des pièces comptables qui auraient dû figurer dans la comptabilité, que l'opposabilité de ces documents devra intervenir. La cour considère donc que cette opposabilité ne peut jouer lorsque le service obtient des pièces comptables d'une autre entreprise, même si les écritures obtenues retracent des opérations effectuées avec le contribuable vérifié.

Dans l'affaire ayant donné lieu à la décision commentée, il apparaît que le vérificateur s'était rendu dans les locaux professionnels du contribuable, qui l'avait informé que sa comptabilité avait été saisie par l'autorité judiciaire, et que les documents qui restaient en sa possession avaient fait l'objet d'un examen en sa présence dans ses locaux professionnels. Le vérificateur avait ensuite averti le contribuable de son intention de se rendre au bureau du juge d'instruction pour consulter et prendre copie des pièces comptables. Avant la fin de la vérification de comptabilité, l'agent des impôts avait transmis une copie de ces documents au contribuable en lui proposant plusieurs rendez-vous dans son bureau afin d'examiner les pièces saisies. L'intéressé n'avait donné suite à aucune de ces propositions. Dans le respect des textes qui entourent la mise en oeuvre d'une vérification de comptabilité, et de sa jurisprudence, le Conseil d'Etat précise que l'administration est tenue de soumettre l'examen des pièces comptables obtenues à un débat oral et contradictoire avec le contribuable. Il en est ainsi des documents obtenus auprès de l'autorité judiciaire dans le cadre de l'exercice du droit de communication, par le service des impôts. Par ailleurs, l'administration n'est pas tenue, à peine d'irrégularité de la procédure, d'inviter le contribuable à assister à la consultation, par le vérificateur, des pièces chez le juge judiciaire.

Il ressort de ce qui précède deux points essentiels : d'une part, que l'administration n'était pas tenue d'inviter le contribuable à assister à la consultation des pièces dans le bureau du juge d'instruction, et, d'autre part, que le contribuable n'avait pas été privé d'un débat oral et contradictoire.

  • La pénalité pour mauvaise foi n'est pas applicable au co-débiteur solidaire appelé en paiement de la dette fiscale du débiteur initial (CE 9° s-s., 28 juillet 2011, n° 313279, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8260HWT)

Cette décision trouve son intérêt dans la distinction opérée entre la solidarité invoquée par les textes, en paiement de la dette fiscale du débiteur initial, et celle susceptible de s'appliquer dans le cadre de la pénalité pour mauvaise foi.

En vertu de l'article 1684, 3 du CGI (N° Lexbase : L3267HMX), le propriétaire d'un fonds de commerce est solidairement tenu au paiement des impôts dus par le locataire de ce fonds, à raison de l'exploitation de l'entreprise, sans d'ailleurs qu'il y ait lieu de faire la distinction suivant que ces impôts ont été établis avant ou après l'expiration du contrat de gérance. Le propriétaire peut être mis en cause pour les mêmes impôts, aussi bien lorsque le fonds est encore exploité par le contribuable que lorsque, le contrat de gérance ayant pris fin, le fonds de commerce a cessé d'être exploité ou est exploité par le propriétaire lui-même ou par le titulaire d'un nouveau bail. La solidarité légale ainsi instituée a un caractère absolu et, aucun texte ne prévoyant de dérogation aux dispositions de l'article 1684, 3 du CGI, le propriétaire du fonds ne peut pas se soustraire aux obligations qui lui sont imposées.

Si la solidarité entre le propriétaire d'un fonds de commerce et le locataire de ce fonds ne semble pas poser de difficulté pour le paiement des impôts liés à l'exploitation, celle invoquée dans le cadre des pénalités attachées à ces impôts a été discutée dans cette décision.

De plus, la jurisprudence et la doctrine administrative ont déjà précisé qu'en l'absence de toute disposition contraire, la solidarité du propriétaire du fonds de commerce s'étend à la majoration de 10 % pour paiement tardif, celle-ci devant être considérée comme un accessoire de l'impôt, même si cette majoration est causée par un retard imputable à l'exploitant (14). A ce stade, il convient de souligner que la majoration de 10 % sanctionne le retard de paiement des impôts recouvrés par les comptables du Trésor. L'instruction précise également que le propriétaire est responsable des majorations pour défaut ou insuffisance de déclaration, mais seulement en ce qui concerne les majorations appliquées aux cotisations d'impôt sur le revenu (15).

Dans la décision du 28 juillet 2011, la société requérante soutenait devant la cour qu'en vertu du 3 de l'article 1684 du CGI, la solidarité de paiement prévue par ces dispositions ne pouvait s'appliquer qu'aux impôts directs et non aux pénalités et amendes.

En l'occurrence, il s'agissait d'une pénalité pour mauvaise foi. Au moment des rehaussements l'article 1729 du CGI, en vigueur à la date de l'infraction (N° Lexbase : L4733ICB), précisait que "lorsque la déclaration ou l'acte mentionnés à l'article 1728 (N° Lexbase : L1715HNT) font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 (N° Lexbase : L1536IPL) et d'une majoration de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie". Le Conseil d'Etat décide que la solidarité de paiement prévue par les dispositions précitées du 3 de l'article 1684 du CGI ne s'étend pas à la majoration pour mauvaise foi dont les impôts directs peuvent être assortis.

Il s'agit là d'une remise en cause de la doctrine administrative, en ce sens que la solidarité relative à des pénalités appliquées au débiteur principal ne se présume pas et doit être prévue par un texte.

  • L'irrégularité de la procédure de redressement n'atteint pas la pénalité pour non révélation de l'identité du bénéficiaire de sommes réputées distribuées, qui est distincte de l'impôt sur les sociétés (CE 9° et 10° s-s-r., 28 juillet 2011, n° 312582, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8259HWS)

La décision du Conseil d'Etat du 28 juillet 2011 affirme que l'irrégularité de la procédure de redressement n'atteint pas la pénalité pour non révélation de l'identité du bénéficiaire de sommes réputées distribuées. En l'espèce, un gérant de société a été poursuivi en paiement solidaire des pénalités mises à la charge de cette société sur le fondement de l'article 1763 A du CGI (N° Lexbase : L4402HMY). Précisons que cette disposition a été transférée, par l'ordonnance 2005-1512 du 7 décembre 2005, relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités (N° Lexbase : L4620HDH), aux articles 1754 (N° Lexbase : L9525IQT) et 1759 (N° Lexbase : L1751HN8) du même code. Par jugement du tribunal administratif de Paris, confirmé sur ce point en appel (CAA Paris, 2ème ch., 26 mai 2010, n° 09PA00794, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2446E3Y), la demande de décharge de la pénalité due au titre d'un exercice par le gérant a été rejetée. Ce dernier se pourvoit en cassation en soulevant comme moyen que les irrégularités invoquées devant les juges du fond susceptibles de vicier la procédure de vérification de comptabilité dont la société avait fait l'objet, devaient atteindre la pénalité pour non révélation de l'identité du bénéficiaire de la distribution.

Il convient tout d'abord de rappeler que l'article 116 du CGI (N° Lexbase : L2096HL9) prévoit que, pour chaque période d'imposition à l'impôt sur les sociétés, la masse des revenus distribués est considérée comme répartie entre les bénéficiaires, pour l'évaluation du revenu de chacun d'eux, à concurrence des chiffres indiqués dans les déclarations fournies par les sociétés dans les conditions prévues à l'article 223, 2-2° du CGI (N° Lexbase : L4728IC4). En principe, il doit y avoir concordance absolue, pour une période d'imposition donnée, entre la masse des revenus distribués et le total des revenus individuels déclarés par la personne morale, et si cette concordance fait défaut, il est fait appel aux dispositions de l'article 117 du CGI (N° Lexbase : L1784HNE). Cet article prévoit que, lorsque la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116 du CGI, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. L'article 117 du CGI précise qu'en cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1759 du CGI (ancien 1763 A du CGI).

Au terme de l'article 1759 du CGI, les sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés, qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240 du CGI, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une pénalité égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. Le texte légal ajoute cependant que le taux de la pénalité est ramené à 75 % lorsque l'entreprise a spontanément fait figurer le montant des sommes en cause dans sa déclaration de résultat.

Aux termes du texte légal, la pénalité ainsi prévue est calculée sur le montant des sommes versées ou distribuées par la société à des personnes dont elle ne révèle pas l'identité "contrairement aux dispositions des articles 117 et 240". Cette formule couvre en fait l'ensemble des distributions occultes et des rémunérations occultes qui sont soumises au même régime fiscal.

Ce rappel étant fait, le Conseil d'Etat précise que les dispositions concernant les distributions qualifiées d'irrégulières ou d'occultes par la doctrine instaurent une pénalité fiscale qui sanctionne le refus, par une personne morale, de révéler l'identité des bénéficiaires de la distribution, que cette pénalité est distincte de l'impôt sur les sociétés et ne peut être regardée comme une pénalité afférente à cet impôt. Selon la Haute juridiction, la personne sanctionnée par cette pénalité ne peut contester que son principe, son montant et la procédure propre à la pénalité. Elle ne peut, en revanche, utilement se prévaloir de moyens relatifs à la procédure d'imposition ayant conduit à mettre à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés. Ainsi, l'irrégularité de la procédure d'imposition au terme de laquelle l'administration fiscale a établi des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés est sans incidence sur la régularité et le bien-fondé de la pénalité prévue par l'article 1759 du CGI. Par conséquent, les moyens soulevés par le gérant devant les juges du fond, tirés des irrégularités qui auraient vicié la procédure de vérification de comptabilité dont la société avait fait l'objet, étaient inopérants.

Avec la procédure prévue à l'article 117 du CGI, nous avons constaté que la pénalité de l'article 1759 du CGI est encourue en cas de défaut de réponse de la société à la demande qui lui a été adressée sur le fondement de l'article 117 du CGI. Afin de renforcer les moyens dont dispose l'administration pour le recouvrement de la pénalité visée à l'article 1759 du CGI, l'article 1754, V-3 du CGI (N° Lexbase : L9525IQT) prévoit que les dirigeants sociaux mentionnés à l'article 62 du CGI (N° Lexbase : L2354IBS) et aux 1°, 2° et 3° du b de l'article 80 ter du CGI (N° Lexbase : L1776HLD), ainsi que les dirigeants de fait, sont solidairement responsables du paiement de cette pénalité. L'article 1754, V-3 du CGI a donc pour objet de déclarer les dirigeants solidairement tenus au paiement de la pénalité instituée par l'article 1759 de ce même code. Il est vrai que la solidarité est fondée sur les fonctions exercées par les dirigeants au moment du fait générateur de la sanction. Elle n'est donc pas subordonnée à la preuve d'une faute des dirigeants. Elle constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public. Conformément aux règles de droit commun en matière de solidarité, le dirigeant qui s'est acquitté du paiement de la pénalité dispose d'une action récursoire contre le débiteur principal et, le cas échéant, contre les codébiteurs solidaires. Ainsi, cette solidarité ne revêt pas le caractère d'une punition au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L6813BHS) (16).

Par ailleurs, la cour administrative d'appel de Paris retient que la circonstance qu'une créance du Trésor à l'égard de la société redevable de pénalités pour distributions occultes soit éteinte du fait de sa production tardive au passif de la procédure collective n'a pas d'incidence sur l'obligation du dirigeant, débiteur solidaire, qui reste tenu au paiement de ces pénalités (17). Mais, à la différence d'un vice de procédure, susceptible d'entacher la régularité des impositions elle-même, la clôture pour insuffisance d'actif de la procédure collective, dont faisait l'objet la société, laisse subsister l'obligation distincte pesant sur le dirigeant, qui reste solidairement responsable du paiement des pénalités fiscales pour distributions occultes (18).

La pénalité instituée par l'article 1759 (ancien article 1763 A) du CGI a pour objet, d'une part, de réparer le préjudice pécuniaire subi par le Trésor du fait du refus de désigner les personnes bénéficiaires des distributions occultes et, d'autre part, d'instituer une sanction destinée à lutter contre la fraude fiscale, en incitant les personnes morales qu'elle vise à respecter leurs obligations déclaratives. La pénalité encourue par une société qui, bien que dûment informée de la sanction encourue, oppose un refus à la demande de l'administration fiscale est, dans son principe, en rapport direct avec l'objectif poursuivi. Toutefois, le rappel de ces principes fondamentaux ne saurait occulter l'importance des conséquences relatives aux nullités procédurales.


(1) CE 7° et 9° s-s-r., 31 octobre 1990, n° 51223, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5318AQZ), RJF, 12/90, n° 1513 ; CE 8° et 3° s-s-r., 27 janvier 2010, n° 294784, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7546EQK), RJF, 4/10 n° 311.
(2) CE 8° et 7° s-s-r., 9 novembre 1990, n° 78795, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4827AQT), Rec. CE, 1990, tables, p. 731, RJF, 1/91, n° 56 ; règle jurisprudentielle, constamment réaffirmée et désormais codifiée au LPF, art. L. 76 B (N° Lexbase : L7606HEG), cf. CE 8° et 9° s-s-r., 3 décembre 1990, n° 103101, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4680AQE), RJF, 2/91, n° 200, concl. Jean Arrighi de Casanova, Dr. fisc. 1991, n° 259 ; CE Section, 6 décembre 1995, n° 126826, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6988AN7), RJF, 1/96, n° 61, chr. Goulard G., concl. Gilles Bachelier, BDCF 01/96 ; CE 8° et 9° s-s-r., 13 octobre 1999, n° 181010 et n° 181209, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5023AXC), RJF, 12/99, n° 1582.
(3) CE 8° et 9° s-s-r., 30 septembre 1996, n° 139846, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0756APP), concl. Gilles Bachelier, BDCF 6/96, p. 38 ; CE 10° et 9° s-s-r., 3 mai 2004, n° 236669, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0629DCB), RJF, 07/04, n° 773 ; CE 9° et 10° s-s-r., 23 avril 2008, n° 290466, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1718D87), RJF, 7/08, n° 865 ; CE 10° et 9° s-s-r., 5 mai 2008, n° 291229, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4279D8Y), RJF, 8-9/08, n° 988 ; CE 9° et 10° s-s-r., 6 août 2008, n° 293106, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0715EAQ), RJF, 11/08, n° 1224; CE 8° et 3° s-s-r., 27 avril 2009 n° 295346, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6397EGZ), RJF, 07/09 n° 667.
(4) CE 9° et 10° s-s-r., 27 avril 2011 n° 320551, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4322HPR), RJF, 07/11 n° 852.
(5) CE, 4 août 2006, n° 284026, RJF, 5/07, n° 593.
(6) CE 3° et 8° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 297308, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1251EKK), RJF, 12/10, n° 1131.
(7) CE 8° et 3° s-s-r., avis, 21 décembre 2006, n° 293749, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1476DTT), RJF, 3/07, n° 314, conclusions du commissaire du Gouvernement Pierre Collin, BDCF 3/07 n° 32.
(8) CE 10° et 9° s-s-r., 2 octobre 2002, n° 224786, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9503AZY), Rec. CE, 2002, p. 324, RJF, 10/02, n° 1399, RJF, 1/03, p. 3, chr. Laurent Olléon ; cf. également, CE 8° et 9° s-s-r., 23 mars 1992, n° 99425 et n° 99426, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1040AID), Rec. CE, tables 1992, p. 870, RJF, 5/02, n° 704 ; CE 8° et 9° s-s-r., 13 novembre 1996, n° 148578, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1604AP4), Rec. CE tables 1996, p. 815, RJF, 1/97, n° 54 ; CE 8° et 3° s-s-r., avis, 25 avril 2003, n° 234812, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7683BSD), RJF, 7/03, n° 877.
(9) CAA Marseille, 4ème ch., 15 mars 2005, n° 99MA01835, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7143DHZ).
(10) CE 3° et 8° s-s-r., 22 novembre 2006, n° 280252, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5471DSG), RJF, 2/07, n° 180.
(11) CE 9° et 8° s-s-r., 6 juillet 1994, n° 120120, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0054AIT) ; CE 9° et 8° s-s-r., 6 juillet 1994, n° 120118, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2021ASN), RJF, 10/94, n° 1113 ; CE Section, 6 décembre 1995, n° 126826, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6988AN7), RJF, 1/96, n° 61, chron. Goulard G., BDCF 1/96, concl. Gilles Bachelier.
(12) CAA Bordeaux, 4ème ch., 12 mai 2005, n° 01BX01485, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6936DIQ), RJF, 12/05, n° 1428 ; CE, 7 mars 2007 n° 282551, refus d'admission de pourvoi, RJF, 7/08, n° 815.
(13) Cass. crim., 22 février 2006, n° 05-85.092, F-P+F (N° Lexbase : A5137DNL), Bull. crim., n° 54.
(14) CE 7° s-s., 10 mai 1952 n° 13640 ; Inst. codificatrice CP 14 mars 1994, 94-030-A titre 2 chap. 3.
(15) Inst. codificatrice CP 14 mars 1994, 94-030-A titre 2 chap. 3 ; en ce sens : QE n° 2007 de M. Tailhade, JO Sénat 18 octobre 1950, p. 1700.
(16) Cons. const., 21 janvier 2011, n° 2010-90 QPC (N° Lexbase : A1523GQH).
(17) CAA Paris, 5ème ch., 4 novembre 1999 n° 97PA00767, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6469BMK).
(18) CAA Paris, 1ère ch., 16 novembre 2007 n° 06PA06277, inédit au recueil Lebon.

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QPC

[Doctrine] QPC : évolutions procédurales récentes - avril à juin 2011

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par Pierre-Olivier Caille, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)

Le 01 Septembre 2011

La question prioritaire de constitutionnalité ("QPC") est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation que praticiens et théoriciens ne peuvent négliger. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Pierre-Olivier Caille, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la présente revue. I - Champ d'application : la portée de la Charte de l'environnement

Pour la première fois dans le cadre de la QPC, le Conseil constitutionnel a fait application de la Charte de l'environnement (Cons. const., décision n° 2011-116 QPC, du 8 avril 2011 N° Lexbase : A5886HMX). L'on sait que "l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement ont valeur constitutionnelle" (Cons. const., décision n° 2008-564 DC, du 19 juin 2008 N° Lexbase : A2111D93, consid. n° 18). Il n'était donc guère douteux que les droits reconnus par elle puissent être qualifiés de "droits et libertés garantis par la Constitution" au sens de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), mais une difficulté spécifique se posait dès lors que plusieurs articles de la Charte renvoient à la compétence du législateur. Or, dans sa décision du 8 avril 2011, le juge de la rue de Montpensier opère une distinction entre les dispositions qui font expressément référence aux "conditions définies par la loi" et celles qui, bien que rédigées "en termes généraux", ne renvoient pas à la compétence du législateur (consid. n° 5 et n° 6).

Dans le premier cas, le respect des droits et devoirs s'impose non seulement "aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif", comme il avait déjà été jugé dans la décision du 19 juin 2008 précitée, mais aussi "à l'ensemble des personnes" (consid. n° 5). Autrement dit, et c'est ce qu'affirme explicitement le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel, ces dispositions se voient reconnaître "une invocabilité directe" et un "effet horizontal" dans les rapports entre particuliers. De plus, la décision ajoute que "chacun est tenu à une obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement qui pourraient résulter de son activité", et qu'il revient au législateur de "définir les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée sur le fondement de la violation de cette obligation", celui-ci ne pouvant cependant, "dans l'exercice de cette compétence, restreindre le droit d'agir en responsabilité dans des conditions qui en dénaturent la portée". Dans le second cas, les dispositions de la Charte, en l'occurrence les obligations de prévention et de réparation, ne sont invocables que si elles ont été auparavant mises en oeuvre par le législateur. Il incombe, en effet, à ce dernier, "et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en oeuvre de ces dispositions".

II - Le fonctionnement de la QPC

A - Les interventions devant le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel

Si les participants à l'instance, qui y interviennent en demande ou en défense, tout en y restant tiers, existent de longue date dans le contentieux de la constitutionnalité des lois, les interventions étant admises sans formalisme dans le cadre du contrôle a priori sous le nom de "portes étroites" (1), la QPC les met aujourd'hui en lumière.

Le Conseil d'Etat a, en effet, d'abord été amené à préciser les conditions de recevabilité d'une intervention au soutien d'une QPC dont il est saisi (CE 2° et 7° s-s-r., 4 avril 2011, n° 345661, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8957HMP). En l'espèce, la question de la conformité des articles L. 111-2 (N° Lexbase : L5130IQ3) et L. 111-3 (N° Lexbase : L5131IQ4) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avec les droits et libertés que garantit la Constitution avait été soulevée par une requérante devant le tribunal administratif de Lyon qui avait renvoyé la question au Conseil d'Etat. Mais une autre requérante avait soulevé devant le tribunal administratif de Limoges une QPC visant les mêmes dispositions et soulevant les mêmes motifs d'inconstitutionnalité. Se fondant sur les dispositions de l'article R. 771-6 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5773IGW) aux termes desquelles un tribunal ou une cour n'est pas tenu de transmettre une QPC mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont le Conseil d'Etat ou le Conseil constitutionnel est déjà saisi et peut, alors, différer sa décision, le tribunal administratif de Limoges avait sursis à statuer. La requérante qui l'avait saisie avait alors formé une intervention au soutien de la QPC devant le Conseil d'Etat. La Haute juridiction administrative juge cette intervention recevable, la seconde requérante justifiant d'un intérêt la rendant recevable à intervenir devant lui au soutien de la demande de renvoi au Conseil constitutionnel de la QPC initialement invoquée. Toutefois, le Conseil d'Etat précise que l'intervenant n'est pas recevable à invoquer des motifs d'inconstitutionnalité qui n'ont pas été soumis au tribunal administratif qui lui a transmis la question, hormis le cas où il établirait les avoir soumis à la juridiction qui a différé sa décision. Dans le cas inverse, l'intervenant ne peut soulever, au soutien de son intervention, des motifs d'inconstitutionnalité différents de ceux présentés à l'appui de la première question transmise.

C'est ensuite le Conseil constitutionnel qui est venu modifier son règlement intérieur pour organiser la procédure d'intervention volontaire dans le cadre du contentieux de la QPC en édictant de nouvelles dispositions applicables aux QPC renvoyées à compter du 1er juillet 2011 (Cons. const., décision n° 2011-1, 21 juin 2011 N° Lexbase : A2972HUM, JCP éd. G, 2001, 789, étude B. Mathieu). Le site internet du Conseil indique, en effet, que des mémoires ou courriers lui sont régulièrement adressés par des tiers depuis l'entrée en vigueur de la QPC. La décision n° 2010-42 QPC du 8 octobre 2010 (Cons. const., 7 octobre 2010, n° 2010-42 QPC N° Lexbase : A2099GBD) avait, pour la première fois, visé des "observations en intervention" produites pour un syndicat par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ce dont il se déduisait que l'intervention avait été admise et qu'elle avait été soumise à la contradiction. Le Conseil avait ensuite admis, dès lors qu'une intervention est recevable, que l'intéressé présente des observations orales à l'audience (Cons. const., décision n° 2010-71 QPC, du 26 novembre 2010 N° Lexbase : A3871GLX). Le Conseil constitutionnel avait, ainsi, accueilli, par exemple, les interventions d'un établissement public comme la Française des Jeux (Cons. const., décision n° 2010-55 QPC, du 18 octobre 2010 N° Lexbase : A9272GBZ), de plusieurs entreprises de la grande distribution (Cons. const., décision n° 2010-85 QPC, du 13 janvier 2011 N° Lexbase : A8477GPN), de deux associations militantes (Cons. const., décision n° 2010-92 QPC, du 28 janvier 2011 N° Lexbase : A7409GQH), ou encore de deux départements (Cons. const., décision n° 2010-109 QPC, du 25 mars 2011 N° Lexbase : A3845HHU).

Désormais, l'admission d'une intervention est subordonnée à la justification d'un "intérêt spécial" : cette condition confère au Conseil une très grande marge de manoeuvre qui lui permettra d'admettre de manière quasi-discrétionnaire les seules interventions qu'il jugera pertinentes. Elle lui permet, également, de faire obstacle à l'intervention systématique d'associations dont l'objet serait défini de manière très large (la protection des droits et libertés, par exemple) ou de particuliers procéduriers. Une fois l'intervention admise, en revanche, l'intervenant est placé sur un pied d'égalité avec les auteurs de la question et les autorités visées à l'article premier du règlement, puisque "l'ensemble des pièces de la procédure lui est adressé". De même, les observations des intervenants sont transmises "aux parties et autorités mentionnées à l'article 1er" qui disposent d'un délai pour répondre. Les représentants des intervenants peuvent, enfin, présenter leurs observations orales devant le Conseil constitutionnel (article 10 modifié du règlement). Enfin, l'intervention doit être présentée dans un délai de trois semaines suivant la date de la transmission de la question au Conseil mentionnée sur son site internet. Si ce délai s'explique par celui imparti au Conseil pour statuer, cette condition renforce, également, la fonction informative du site du Conseil, la publication d'informations produisant, en l'espèce, des effets juridiques. Ce délai n'est, toutefois, pas opposable aux parties qui ont posé une QPC mettant en cause la même disposition législative et dont la question n'a pas été renvoyée ou transmise pour cette raison.

B - Le filtre de la Cour de cassation

Les arrêts rendus par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 20 mai 2011 (Ass. plén., 20 mai 2011, 4 arrêts, n° 11-90.025, P+B+R+I N° Lexbase : A2727HSS ; n° 11-90.032, P+B+R+I N° Lexbase : A2728HST ; n° 11-90.033, P+B+R+I N° Lexbase : A2729HSU et n° 11-90.042, P+B+R+I N° Lexbase : A2730HSW) (2) provoquent des réactions contrastées mais ne laissent sûrement pas indifférents. L'on sait que ces arrêts ont reçu un large écho médiatique indépendamment des questions de droit soulevées car ils sont intervenus dans le cadre des procès des emplois dits "fictifs" de la mairie de Paris et des HLM des Hauts-de-Seine, mais la QPC a moins attiré l'attention, que dans le cadre d'un procès pour assassinat-. Les QPC critiquaient, d'une part, "l'extension des effets d'un acte interruptif de prescription à l'égard d'une infraction aux infractions qui lui sont connexes" au regard du "principe fondamental reconnu par les lois de la République de prescription de l'action publique" et de ceux de "légalité et de prévisibilité de la loi", garantis par l'article 8 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P) et, d'autre part, le retardement du "point de départ de la prescription de l'abus de confiance et de l'abus de biens sociaux jusqu'au jour de leur apparition dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique" au regard des mêmes principes.

Formellement dirigées contre les articles 7 (N° Lexbase : L2876HID) et 8 (N° Lexbase : L7625IP4) du Code de procédure pénale, relatifs à la prescription des crimes et délits et l'article 203 du même code (N° Lexbase : L3583AZQ), qui définit la connexité, ces questions contestaient en réalité la jurisprudence prenant appui sur eux. Les requérants demandèrent, en outre, le renvoi sans examen au Conseil constitutionnel de la QPC transmise par le tribunal de grande instance de Paris, aux motifs que, lorsqu'elle examine une QPC qui intervient dans le cadre d'une procédure portant sur une accusation en matière pénale, il existe un risque que la Cour de cassation ne soit pas considérée comme un organe satisfaisant pleinement l'exigence d'impartialité objective, en violation du droit à un procès équitable, dès lors que la QPC en question porte sur une interprétation jurisprudentielle dont la Cour de cassation est l'auteur, et qu'elle a appliqué constamment et à de très nombreuses reprises. C'était soulever une exception d'incompétence et lui demander de renoncer à faire usage des pouvoirs que lui ont conféré les dispositions des articles 23-4 et 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3).

Celle-ci a été sèchement écartée par la Cour qui s'est contentée d'indiquer "qu'aux termes de l'article L. 411-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7926HNU), il y a, pour toute la République, une Cour de cassation [...] dès lors, la requête dirigée contre la Cour, dans son ensemble, ne peut être accueillie". Mais cette affirmation n'apprend pas grand-chose et l'unicité d'une juridiction ne la prémunit pas contre un défaut d'impartialité objective. Il faut, ainsi, se rapporter au communiqué accompagnant la décision pour en percevoir la portée. Celui-ci indique, en effet, qu'"il n'est pas possible [...] de mettre en cause la Cour de cassation dans son ensemble, alors même qu'il n'existe aucune autre juridiction du même ordre et de même nature qui pourrait se prononcer. Poussé jusqu'à l'absurde, un tel raisonnement mettrait, d'ailleurs, la Cour dans l'impossibilité d'accomplir sa mission, dès lors que les justiciables invoquent le plus souvent devant elle sa propre jurisprudence, qui n'est pas figée". Etonnant paradoxe : la Cour de cassation refuse ainsi de passer sous la coupe du Conseil constitutionnel en en faisant le juge de sa jurisprudence, mais elle fait en reprenant l'une de ses plus contestables pratiques, l'explicitation de ses décisions par le commentaire autorisé.

Dans le même temps, la Cour de cassation consacre l'abandon de sa jurisprudence (3) qui la voyait juger irrecevable une QPC qui, sous couvert de la contestation d'une loi, "tend en réalité à contester l'application qu'en fait la Cour de cassation" (Cass. QPC, 19 mai 2010, n° 09-82.582, P+F N° Lexbase : A8740EXY ; Cass. QPC, 11 juin 2010, n° 09-87.884, D N° Lexbase : A0820EZE). Alors qu'elle échappait auparavant au contrôle de constitutionnalité, l'Assemblée plénière vient solennellement y soumettre la jurisprudence en répondant au grief d'imprévisibilité du droit positif : ses quatre arrêts affirment, ainsi, que les règles attaquées sont "anciennes, connues, constantes et reposent sur des critères précis et objectifs". La jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui affirme que le contrôle a posteriori de constitutionnalité peut porter sur la loi comme sur l'interprétation qu'en donne la jurisprudence (Cons. const., déc. n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 N° Lexbase : A9923GAR) est donc suivie par la Cour de cassation. Mais ce n'est que pour mieux soumettre la jurisprudence de la Cour au régime applicable à la loi ! En effet, le contrôle de constitutionnalité des lois promulguées, tel qu'il a été établi par le constituant et le législateur organique, confie aux juridictions suprêmes le soin d'exercer un contrôle de constitutionnalité "négatif" en leur permettant de décider du renvoi, ou non, d'une question ne présentant pas un caractère sérieux. Comme l'avait lui-même jugé le Conseil constitutionnel, le constituant "a entendu permettre au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation d'apprécier l'intérêt de saisir le Conseil constitutionnel" (Cons. const., décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 N° Lexbase : A3193EPX, cons. n° 21). Autrement dit, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation sont, par construction, des juges de la constitutionnalité des lois, seul le Conseil constitutionnel étant juge de leur inconstitutionnalité.

La Cour de cassation était donc dans son rôle lorsqu'elle a affirmé que la prescription de l'action publique ne constitue pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République (4). Cette fois encore, c'est donc plus la forme que le fond de l'arrêt que l'on critiquera. En effet, en affirmant sans autre forme de procès que "la prescription de l'action publique ne revêt pas le caractère d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République", l'Assemblée plénière ne démontre rien. Or, elle aurait pu aisément relever que le législateur a déjà introduit des exceptions ou des limites à la prescription de l'action publique, ce qui fait obstacle à la reconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République (Cons. const., décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988 N° Lexbase : A8180ACX, consid. n° 12). La loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964, tendant à constater l'imprescriptibilité des crimes contre l'Humanité (N° Lexbase : L8892IQE), et l'article 213-5 du Code pénal (N° Lexbase : L4451GTZ) déclarent, ainsi, imprescriptibles les crimes contre l'Humanité, tandis que la loi n° 98-468 du 17 juin 1998, relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs (N° Lexbase : L8570AIA), retarde le point de départ de la prescription des crimes et délits contre les mineurs au jour de leur majorité. Or, la jurisprudence contestée retarde le point de départ de la prescription des délits considérés comme clandestins, parmi lesquels l'abus de confiance et l'abus de biens sociaux poursuivis dans les affaires à l'origine des arrêts commentés, au jour de leur apparition dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique au motif du caractère clandestin ou occulte de ces deux infractions. C'est dire que le rejet de la QPC, s'il emporte la conviction, aurait gagné à être mieux motivé.

C - L'impartialité du Conseil constitutionnel

Les affaires précédemment invoquées ont fait naître un joli débat sur la possibilité pour le Conseil constitutionnel de statuer sur une affaire intéressant directement l'un de ses membres (et quel membre ! l'ancien président de la République Jacques Chirac, qui a eu l'occasion de nommer ou promouvoir plusieurs des membres actuels du Conseil constitutionnel avant de rejoindre cette institution). Les décisions rendues par la Cour de cassation le 20 mai 2011 ont rendu cette discussion sans objet mais pas sans intérêt (5).

L'impartialité du Conseil constitutionnel a de nouveau été mise en cause quelques semaines plus tard à l'initiative d'Arnaud Montebourg, agissant ici en qualité de président du conseil général de Saône-et-Loire. Dans le litige opposant plusieurs départements à l'Etat à propos de la compensation financière par l'Etat des nouvelles charges pesant sur les départements (allocation personnalisée d'autonomie [APA], prestation de compensation du handicap [PCH] et revenu de solidarité active [RSA], une demande de récusation visant six des onze membres du Conseil a, en effet, été déposée. Seules deux d'entre elles ont été suivies d'effet, Jacques Barrot et Michel Charasse ayant décidé de ne pas siéger, tandis que l'une était sans objet, Jacques Chirac s'abstenant de participer aux séances du Conseil depuis mars 2011 (6).

Etaient, une nouvelle, fois en cause les dispositions de l'article 4 du règlement intérieur du Conseil aux termes desquelles : "Une partie ou son représentant muni à cette fin d'un pouvoir spécial peut demander la récusation d'un membre du Conseil constitutionnel par un écrit spécialement motivé accompagné des pièces propres à la justifier [...] le seul fait qu'un membre du Conseil constitutionnel a participé à l'élaboration de la disposition législative faisant l'objet de la question de constitutionnalité ne constitue pas en lui-même une cause de récusation". L'on a déjà eu l'occasion de dire ici que ces dispositions ne paraissent pas compatibles avec le droit à un procès équitable tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'Homme dans son arrêt "McGonnell c/ Royaume-Uni" du 8 février 2000 (CEDH, 8 février 2000, Req. 28488/95 N° Lexbase : A7164AWA), quand bien même les services du Conseil constitutionnel mettent en avant l'arrêt "Morel c/ France" du 6 juin 2000 (CEDH, 6 juin 2000, Req. 34130/96 N° Lexbase : A7094AWN). Peu importe à vrai dire : c'est une question qu'il n'appartiendra qu'à la Cour de Strasbourg de trancher définitivement -mais à l'occasion d'un autre litige, l'article 34 de la Convention (N° Lexbase : L4769AQP) n'autorisant pas une collectivité territoriale à saisir la Cour d'un litige l'opposant à un Etat-.

D - Les effets du contrôle

Quelques semaines après les importantes précisions données par le Conseil constitutionnel à propos des effets dans le temps de ses décisions QPC et des conditions dans lesquelles ces effets peuvent être modulés, le Conseil d'Etat s'est pour la première fois prononcé en tant que juge a quo après l'intervention du Conseil constitutionnel. Alors que toutes les demandes de renvoi de QPC au Conseil constitutionnel ont été examinées par des formations de jugement ordinaires, ces premières affaires en voie de règlement définitif ont été directement portées devant l'assemblée du contentieux qui s'est prononcée par trois arrêts du 13 mai 2011 (CE, Ass., 13 mai 2011, publiés au recueil Lebon, n° 316734 N° Lexbase : A8710HQN, n° 329290 N° Lexbase : A8726HQA, et n° 317808 N° Lexbase : A8711HQP). Le Conseil d'Etat a, ainsi, tranché deux questions de principe relatives à la portée à donner aux décisions QPC du Conseil constitutionnel.

Il s'est, d'abord, prononcé sur l'autorité devant être reconnue par le juge administratif aux décisions du 25 mars 2011 (Cons. const., décisions du 25 mars 2011, n° 2010-108 QPC N° Lexbase : A3844HHT et n° 2010-110 QPC N° Lexbase : A3846HHW) par lesquelles le Conseil constitutionnel a défini les effets dans le temps de ses décisions QPC. A cet égard, il est remarquable que l'assemblée ait choisi de citer dans ses visas et, même parfois dans ses motifs, non seulement les décisions QPC directement issues du litige mais encore la décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011 (arrêts n° 316734 et n° 329290). Il faut en conclure que, pour le Conseil d'Etat, la Constitution ayant confié au seul Conseil constitutionnel le soin de définir les effets dans le temps de ses décisions prises sur le fondement de l'article 61-1 (N° Lexbase : L5160IBQ), cette prérogative ne sera exercée que par lui, et ce autant qu'il souhaitera l'exercer, le juge a quo n'intervenant que pour interpréter, si nécessaire, le sens des prescriptions du juge de la rue Montpensier. La Haute juridiction administrative juge, ainsi, que, "lorsque le Conseil constitutionnel, après avoir abrogé une disposition déclarée inconstitutionnelle, use du pouvoir que lui confèrent les dispositions [des articles 61-1 et 62 (N° Lexbase : L0891AHH)], soit de déterminer lui-même les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause, soit de décider que le législateur aura à prévoir une application aux instances en cours des dispositions qu'il aura prises pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il appartient au juge, saisi d'un litige relatif aux effets produits par la disposition déclarée inconstitutionnelle, de les remettre en cause en écartant, pour la solution de ce litige, le cas échéant d'office, cette disposition, dans les conditions et limites fixées par le Conseil constitutionnel ou le législateur".

L'examen du pourvoi de Mme X dans l'affaire n° 316734, qui n'avait pas pensé à se prévaloir de la décision n° 2010-1 QPC (N° Lexbase : A6283EXY), a ensuite fourni au Conseil d'Etat l'occasion de juger de manière explicite que le moyen tiré de l'abrogation, par une décision du Conseil constitutionnel, d'une disposition législative applicable au litige se soulève d'office, même en cassation. Cette solution est logique : dès lors qu'il ressort des décisions n° 2010-108 et n° 2010-110 QPC du 25 mars que, sauf indication contraire, le Conseil constitutionnel entend donner à ses décisions une portée sur les instances en cours comparable à celle d'une annulation rétroactive, la prise en compte de leurs effets pour régler ces instances relève finalement de la détermination du texte législatif applicable et touche donc directement au champ d'application de la loi, dont la méconnaissance est toujours d'ordre public.

III - L'articulation avec le contrôle de conventionnalité

Est-il vraiment nécessaire (et possible, dans le cadre restreint de cette chronique) de revenir ici sur les décisions rendues par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 15 avril 2011 (Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts, n° 10-17.049 N° Lexbase : A5043HN4, n° 10-30.242 N° Lexbase : A5044HN7, n° 10-30.313 N° Lexbase : A5050HND et n° 10-30.316 N° Lexbase : A5045HN8) à propos de la garde à vue ? Par ces arrêts, la Cour de cassation n'a pas décidé de faire entrer en vigueur de manière anticipée les dispositions de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue (N° Lexbase : L9584IPN) -comment l'aurait-elle pu?- Ses décisions conduisent, en revanche, à s'interroger de nouveau sur la mise en oeuvre de garanties consacrées tant par la Constitution que par la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. L'on relèvera, alors, que, si le Conseil constitutionnel avait laissé au législateur un délai d'un an pour revoir des dispositions dont il était jugé qu'elles étaient contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution, la Cour de cassation, en jugeant, au visa de l'article 6 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR) et de l'article 63-4, alinéas 1 à 6, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9746IPN), "que les Etats adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation [...] pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires", a mis en lumière le caractère nettement plus exigeant de la protection conventionnelle des droits et libertés.

Enfin, cette question de l'articulation des contrôles s'est également posée au Conseil d'Etat qui a jugé, dans l'arrêt d'Assemblée n° 316734 du 13 mai 2011 que "les juridictions administratives et judiciaires, à qui incombe le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l'Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peuvent déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l'Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu'elles ont à trancher [...] il appartient, par suite, au juge du litige, s'il n'a pas fait droit à l'ensemble des conclusions du requérant en tirant les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une disposition législative prononcée par le Conseil constitutionnel, d'examiner, dans l'hypothèse où un moyen en ce sens est soulevé devant lui, s'il doit, pour statuer sur les conclusions qu'il n'a pas déjà accueillies, écarter la disposition législative en cause du fait de son incompatibilité avec une stipulation conventionnelle ou, le cas échéant, une règle du droit de l'Union européenne dont la méconnaissance n'aurait pas été préalablement sanctionnée". Il en ressort clairement, d'une part, que le contrôle de constitutionnalité est premier et, d'autre part, que le contrôle de conventionnalité ne peut pas être effectué d'office par le juge.


(1) G. Vedel, L'accès des citoyens au juge constitutionnel - La porte étroite, La vie judiciaire, n° 2344, 11-17 mars 1991, pp. 1, 13 et 14.
(2) Bulletin d'information de la Cour de cassation, n° 745, 1er juillet 2011.
(3) Contestée : v. le premier numéro de cette chronique, QPC : évolutions procédurales récentes - mars à décembre 2010, Lexbase Hebdo n° 185 du 19 janvier 2011 - édition publique (N° Lexbase : N1559BR8), n° 1, I, A, 2.
(4) Contra : B. Mathieu, La prescription de l'action publique ne constitue pas un principe constitutionnel, JCP éd. G, 2011, 670 : la Cour s'est avancée là sur un terrain qui n'appartenait jusque là qu'au Conseil constitutionnel.
(5) Et l'on renvoie donc le lecteur intéressé vers ce billet.
(6) Voir la demande de récusation et la réponse du secrétaire général du Conseil constitutionnel.

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Santé

[Textes] Loi relative à l'organisation de la médecine du travail

Réf. : Loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011, relative à l'organisation de la médecine du travail (N° Lexbase : L8028IQE)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 01 Septembre 2011

Avant que la loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011, relative à l'organisation de la médecine du travail (N° Lexbase : L8028IQE), ne soit adoptée cet été, l'organisation de la médecine du travail dans les entreprises françaises résultait pour l'essentiel de la loi du 11 octobre 1946, relative à l'organisation des services médicaux du travail. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette législation du siècle dernier avait vieilli. Bien que légèrement retouchée à différentes occasions (1), elle n'était plus adaptée ni à l'évolution des risques professionnels dans les entreprises, ni aux exigences renforcées de prévention. Elle devait encore évoluer pour tenter de pallier la désaffection chronique des médecins pour la spécialisation dans la médecine du travail ou pour adapter les services de santé au travail aux formes variées que connaît l'emploi d'aujourd'hui. C'est à l'ensemble de ces objectifs que la loi tente de parvenir (2). La réforme est profonde et modifie l'esprit même de la médecine du travail puisque les médecins du travail n'en seront plus le centre de gravité. Ils s'intégreront dans des services de santé au travail qui deviennent les pièces maîtresses du système. La réforme demeure encore incomplète car suspendue à de nombreux textes d'application. Elle suscite surtout un certain nombre d'interrogations, voire d'incertitudes, quant à la capacité des services de santé à assumer convenablement les tâches qui leurs sont assignées. Commentaire

I - Définition, organisation et missions des services de santé au travail

A - Missions des services de santé au travail

  • Les missions principales des services de santé au travail

La loi s'ouvre sur un article 1er relatif, notamment, à la définition des services de santé au travail. Elle modifie ainsi l'article L. 4622-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8186IQA) qui dispose désormais que "les services de santé au travail ont pour mission exclusive d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail". Avant la réforme, l'article L. 4622-2 disposait que les services de santé étaient assurés par un ou plusieurs médecins du travail. Le changement est loin d'être anodin. Comme nous aurons plusieurs fois l'occasion de le souligner, le médecin du travail n'est plus au centre du dispositif de la médecine du travail qui, désormais, repose davantage sur les services de santé pluridisciplinaires dans leur globalité. Ce déplacement du centre de gravité de la santé au travail vers l'institution que constitue le service de santé au travail avait déjà été pressentie lors de la publication du rapport "Conso-Frimat" en octobre 2007 (3) et, surtout, avec l'adoption du protocole d'accord du 11 septembre 2009 (4).

On relèvera avec intérêt que la mission consistant à éviter l'altération de la santé des travailleurs est la mission "exclusive" des services de santé au travail, terme de nature à rassurer ceux qui craignaient que la diversification des missions des services de santé au travail finisse par les transformer en une annexe de la médecine de ville. L'article L. 4622-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8186IQA) offre plusieurs outils aux services de santé destinés à leur permettre d'assurer cette mission.

Les services "conduisent les actions de santé au travail, dans le but de préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel". L'accent est clairement mis sur la prévention des atteintes à la santé, tendance conforme aux évolutions insufflées par le droit de l'Union européenne puisque la Directive européenne du 12 juin 1989 sur la santé et la sécurité au travail (5) avait, bien avant le droit français, donné une importance essentielle aux processus de prévention. Outre l'employeur (6) et le CHSCT (7), c'est donc l'ensemble du service de santé au travail qui aura prioritairement comme mission de prévenir les dommages que pourraient subir les salariés à l'occasion de leur travail. Bien entendu, cela ne signifie en aucune manière que l'employeur puisse se décharger de son obligation de sécurité du fait de l'intervention plus poussée de cette institution. En revanche, lorsque les services fonctionneront de manière optimale, ils devraient être en mesure d'éviter plus souvent qu'aujourd'hui qu'il soit porté atteinte à la santé des salariés.

En principe, il ne devrait s'agir que d'actions de "santé au travail", ce qui inclut bien entendu les actions de prévention de la santé mentale et de lutte contre les risques psychosociaux, mais devrait, en revanche, exclure les campagnes de lutte contre le tabagisme, l'alcoolisme, l'obésité et autres fléaux de santé publique qui ne sont pas en principe liés au travail. Cette idée n'a malheureusement pas été respectée puisque le 2° de l'article L. 4622-2 prévoit que les services de santé "conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d'éviter ou de diminuer les risques professionnels, d'améliorer les conditions de travail, de prévenir la consommation d'alcool et de drogue sur le lieu de travail, de prévenir ou de réduire la pénibilité au travail et la désinsertion professionnelle et de contribuer au maintien dans l'emploi des travailleurs". Si la mission de conseil à l'employeur, aux salariés et à leurs représentants ne peut qu'être saluée, les termes "prévenir la consommation d'alcool et de drogue" ont été ajoutés par la Commission des affaires sociales du Sénat (8) et donnent le désagréable sentiment que les services de santé au travail s'écartent alors de leur mission première.

Le 3° de l'article L. 4622-2 prévoit encore que les services de santé au travail "assurent la surveillance de l'état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur sécurité et leur santé au travail, de la pénibilité au travail et de leur âge". On observe ici une volonté de tendre vers une approche globale de la santé au travail que l'on retrouvera dans la rédaction du nouvel article L. 4624-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8097IQX). Néanmoins, la délimitation de cette mission de surveillance peut véritablement susciter des difficultés parce qu'elle pose les bases d'une modulation de la surveillance des salariés en fonction de leur âge, de leur état de santé, des risques auxquels ils sont exposés, de la pénibilité qu'ils subissent... Ainsi, un jeune homme de 25 ans qui travaille dans un bureau sera moins surveillé qu'un salarié quinquagénaire manutentionnaire, souffrant de hernies discales. Cette modulation repose sur une logique que l'on peut comprendre, il faut davantage surveiller les salariés "à risque". Mais cela implique-t-il une baisse d'intensité de la surveillance sur les salariés qui n'entrent pas dans les critères de surveillance accrue ? Le texte ne prévoit pas, en tous les cas, d'allongement de la fréquence des visites médiales obligatoires pour les salariés présentant moins de risques.

Enfin, dernière mission principale des services de santé, ils "participent au suivi et contribuent à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire". Cette exigence de traçabilité des expositions professionnelles vient faire écho aux dispositions de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9), qui instituait déjà plusieurs procédés de suivi de l'évolution de la santé des salariés exposés à différents risques (9). Quant à la volonté de faire participer les services de santé au travail à la veille sanitaire, quoiqu'elle relève davantage de questions de santé publique que de santé au travail, elle peut se justifier par la nécessité d'identifier tout danger susceptible de s'étendre au-delà du personnel de l'entreprise à la population dans son ensemble.

  • Aménagement contractuel des missions des services de santé au travail

Outre ces missions essentielles déterminées par la loi, "les priorités des services de santé au travail sont précisées [...] dans le cadre d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens conclu entre le service, d'une part, l'autorité administrative et les organismes de sécurité sociale compétents, d'autre part, après avis des organisations d'employeurs, des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et des agences régionales de santé". La durée, les conditions de mise en oeuvre et de révision de ces contrats d'objectifs et de moyens seront déterminés ultérieurement par décret. Ces contrats doivent, en tout état de cause, demeurer respectueux des missions générales prévues à l'article L. 4622-2 du Code du travail, des orientations de la politique nationale en matière de protection et de promotion de la santé et de la sécurité au travail, d'amélioration des conditions de travail. Elles doivent, enfin, tenir compte "des réalités locales", formule floue qui laissera aux services de santé et à leurs partenaires une marge de manoeuvre dans l'aménagement des missions des services.

L'idée d'adapter les missions et les priorités de chaque service de santé au travail en fonction des activités des entreprises qui y ont adhéré est bonne car il est certain que les risques présentés par les salariés d'un centre d'appel sont différents de ceux qu'encourent les salariés d'une entreprise du BTP. On doit, cependant, regretter la complexité qui entoure la conclusion de ces contrats qui impliquera l'action de nombreux intervenants soit pour avis, soit en qualité de signataire et qui devra respecter de nombreuses conditions. On peut également s'interroger sur les conséquences de l'absence de signature de convention. Faudra-t-il, dans ce cas, se contenter des dispositions légales ? Il est souhaitable que les décrets d'application prévus par le texte apportent une réponse à cette question et, notamment, prévoient des mesures supplétives applicables faute d'accord.

  • Etablissement des priorités de chaque service de santé au travail

L'article L. 4622-13 du Code du travail (N° Lexbase : L8100IQ3) dispose que "dans le service de santé au travail interentreprises, une commission médico-technique a pour mission de formuler des propositions relatives aux priorités du service et aux actions à caractère pluridisciplinaire conduites par ses membres". L'article L. 4622-14 ajoute que "le service de santé au travail interentreprises élabore, au sein de la commission médico-technique, un projet de service pluriannuel qui définit les priorités d'action du service et qui s'inscrit dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens prévu à l'article L. 4622-10. Le projet est soumis à l'approbation du conseil d'administration". Cette commission médico-technique n'est pas une création de la loi puisqu'elle existait déjà dans la partie réglementaire du Code du travail (10). Elle a pour objet de planifier les missions du service de santé au travail en organisant les priorités du service, en établissant un projet de service pluriannuel et des contrats d'objectifs. Là encore, il s'agit d'individualiser, pour chaque service de santé, les priorités et les missions auxquelles il devra faire face.

  • Fréquence des visites médicales

Malgré le constat du rapport de la commission des affaires sociales du Sénat selon lequel "la régularité bisannuelle des examens périodiques ne semble pas toujours adaptée aux nouvelles conditions de travail", la fréquence des examens médicaux obligatoires n'a pas été modifiée par la loi. Cependant, certains accords collectifs prévoyaient des fréquences plus courtes que celles prévues par le Code du travail. Dans l'attente d'une réflexion générale et plus approfondie sur la fréquence des examens médicaux, l'article 1-IV de la loi dispose qu'"à l'issue d'un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, les clauses des accords collectifs comportant des obligations en matière d'examens médicaux réalisés par le médecin du travail différentes de celles prévues par le code du travail ou le code rural et de la pêche maritime sont réputées caduques".

Cette disposition est éminemment contestable, cela pour au moins deux raisons. D'abord, sur le plan technique, la caducité n'est certainement pas la méthode appropriée pour faire disparaître les clauses de ces accords collectifs. En effet, la caducité peut se définir comme l'état d'un acte juridique valable mais qui se voit privé d'effet en raison de la disparition d'une de ses conditions de validité en cours d'exécution. Or, aucune des conditions de validité des accords collectifs en cause n'a disparu... Ensuite, sur le plan théorique, une telle disposition est très probablement entachée d'inconstitutionnalité. On se souviendra en effet que le Conseil constitutionnel avait censuré une partie de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 dite "Aubry II" (N° Lexbase : L0988AH3) au motif que celle-ci remettait en cause le contenu d'accords de réduction du temps de travail conclus sous l'empire de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 dite "Aubry I" (N° Lexbase : L7982AIH) (11). Au nom de la liberté contractuelle, le législateur ne peut remettre en cause les accords collectifs conclus avant l'entrée en vigueur de la loi. La loi du 20 juillet 2011 n'ayant pas fait l'objet d'une saisine préalable du Conseil constitutionnel, cette disposition est aujourd'hui de droit positif. Gageons que des requérants soulèveront, un jour ou l'autre, ce moyen par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité.

  • Protection collective de la santé des travailleurs

L'article 2 de la loi a pour ambition de donner une dimension collective et non plus seulement individuelle à la prévention de la santé des travailleurs. Ainsi, le nouvel article L. 4624-3-I du Code du travail (N° Lexbase : L8097IQX) dispose que "lorsque le médecin du travail constate la présence d'un risque pour la santé des travailleurs, il propose par un écrit motivé et circonstancié des mesures visant à la préserver" (12). Les médecins du travail assureront donc un rôle de prévention collectif en parallèle de celui déjà exercé par le CHSCT dont, rappelons-le tout de même, le médecin du travail est membre de droit (13).

Au terme du II, "l'employeur prend en considération ces propositions et, en cas de refus, fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite". Comme cela est d'usage depuis la recodification du Code du travail, l'usage du présent de l'indicatif implique une prescription obligatoire pour l'employeur qui sera tenu de prendre en compte les propositions faites. En cas de refus, il devra justifier par écrit des motifs qui le justifie, écrit qui pourra servir plus aisément de mode de preuve au cas où le risque pour la santé se transformerait en dommages subis par les salariés ou dans le cadre d'une action pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur. En toute logique, c'est au médecin du travail que l'employeur devra faire connaître les motifs pour lesquels il refuse de prendre en compte ses propositions. Pour autant, le III de l'article L. 4623-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1863H9U) organise l'information du CHSCT, de l'inspecteur ou du contrôleur du travail, du médecin inspecteur du travail ou des agents des services de prévention des organismes de Sécurité sociale et des organismes mentionnés à l'article L. 4643-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1888H9S). L'employeur sera donc sous haute surveillance et tout refus devra être véritablement justifié.

On peut, cependant, s'interroger sur les conséquences de ce refus. Pourra-t-il être jugé, par exemple, que dans pareil cas, l'employeur aura manqué à son obligation de sécurité de résultat ? Il est certain qu'aujourd'hui, il n'est plus nécessaire d'attendre que les salariés subissent une atteinte à leur santé pour caractériser un manquement à une obligation de sécurité (14). Pour autant, certains motifs de refus de l'employeur pourront-ils être justifiés ? Il est probablement exclu que l'employeur puisse s'exonérer en remettant en cause les prescriptions du médecin du travail, simplement parce que l'employeur n'est généralement pas apte à apprécier les conditions de dangerosité de telle ou telle situation professionnelle. En revanche, il est possible d'imaginer que les évolutions proposées par le médecin du travail soient d'une importance telle que l'entreprise ne puisse en assumer la charge financière. Entre risque pour la santé des salariés et mise en cause de la pérennité de leur emploi, le choix qu'aura à faire le juge ne sera pas simple...

B - Organisation et contrôle des services de santé au travail

  • Conseil d'administration et direction des services de santé au travail

Aux termes du nouvel article L. 4622-11 du Code du travail (N° Lexbase : L8098IQY) issu de l'article 3 de la loi, le service de santé "est administré paritairement par un conseil composé : 1° De représentants des employeurs désignés par les entreprises adhérentes ; 2° De représentants des salariés des entreprises adhérentes, désignés par les organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel". Les textes qui régissaient l'organisation des services de santé au travail, jusqu'alors de niveau réglementaire, sont hissés au niveau législatif, sans que cela n'emporte d'autres conséquences que symboliques.

En revanche, l'introduction du paritarisme dans la gestion des services de santé interentreprise est une nouveauté puisque, jusque là, le conseil d'administration de ces institutions était composé pour un tiers de représentants des salariés des entreprises concernées, pour deux tiers des employeurs des entreprises adhérentes. Le texte poursuit cependant en énonçant que "le président, qui dispose d'une voix prépondérante en cas de partage des voix, est élu parmi les représentants mentionnés au 1°. Il doit être en activité". Le président ayant voix prépondérante, le paritarisme n'est pas parfaitement respecté. Le rapport de la Commission des affaires sociales du Sénat justifie ce choix par le fait que le financement des services de santé interentreprise repose exclusivement sur des financements patronaux et sur le fait que la responsabilité en matière de sécurité incombe quasi exclusivement aux employeurs. Si le second argument ne peut que difficilement être contesté, il convient, en revanche, de relever l'incohérence entre les termes du rapport et ceux de la loi puisque le même article prévoit, ensuite, que "le trésorier est élu parmi les représentants mentionnés au 2°". Les cordons de la bourse sont donc tenus par les salariés alors même que, précisément, ce sont des questions de financement qui justifierait l'entorse faite au paritarisme.

Le texte conclut en précisant une fois de plus que "les modalités d'application du présent article sont déterminées par décret".

Outre l'organisation du conseil d'administration des services de santé, la loi crée une nouvelle fonction au sein de ceux-ci, celle de directeur d'un service de santé. En effet, l'article L. 4622-16 du Code du travail (N° Lexbase : L8129IQ7) dispose désormais que "le directeur du service de santé au travail interentreprises met en oeuvre, en lien avec l'équipe pluridisciplinaire de santé au travail et sous l'autorité du président, les actions approuvées par le conseil d'administration dans le cadre du projet de service pluriannuel". Cette mesure, destinée à assurer une meilleure gouvernance des services de santé au travail, est d'autant plus utile que certains services interentreprises peuvent atteindre des dimensions importantes.

  • Contrôle des services de santé au travail

Le nouvel article L. 4622-12 du Code du travail (N° Lexbase : L8099IQZ) dispose que "l'organisation et la gestion du service de santé au travail sont placées sous la surveillance : 1° Soit d'un comité interentreprises constitué par les comités d'entreprise intéressés ; 2° Soit d'une commission de contrôle composée pour un tiers de représentants des employeurs et pour deux tiers de représentants des salariés. Son président est élu parmi les représentants des salariés". Le principe d'une telle surveillance de la gestion et de l'organisation des services de santé au travail interentreprise existait déjà, mais n'avait été prévu qu'au niveau réglementaire (15). La légalisation de ces dispositions répond à la légalisation de celles relatives à la définition et à l'administration des services de santé au travail. Les missions du comité ou de la commission sont connues puisque établies par l'article D. 4622-43 du Code du travail (N° Lexbase : L8759H9B) : ils sont notamment sollicités sur les finances du service, sa compétence géographique, les créations, modifications ou suppressions de secteurs géographiques, la création ou suppression d'emploi de médecin du travail, les recrutements de médecins du travail en contrat à durée déterminée ou encore les décisions de recrutement et de licenciement des intervenants en prévention des risques professionnels.

Outre cette surveillance institutionnelle, des règles ont également été adoptées pour prévenir tout conflit d'intérêt au sein des services de santé interentreprise. Ainsi, l'article L. 4622-15 du Code du travail (N° Lexbase : L8126IQZ) dispose que "toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre le service de santé au travail et son président, son directeur ou l'un de ses administrateurs doit être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration". Il en va de même des conventions "auxquelles une des personnes visées au premier alinéa est indirectement intéressée". Sont enfin soumises à autorisation "les conventions intervenant entre le service de santé au travail et une entreprise si le président, le directeur ou l'un des administrateurs du service de santé au travail est propriétaire, associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, membre du conseil de surveillance ou, de façon générale, dirigeant de cette entreprise". Néanmoins, lorsque les conventions portent sur des opérations courantes, des actes d'administration serait-on tenté de dire, "elles font uniquement l'objet d'une communication au président et aux membres du conseil d'administration".

Ces dispositions, visant à prévenir tout conflit d'intérêt entre les administrateurs et le service de santé au travail qu'ils administrent, s'apparentent à celles instituées par l'article L. 225-38 du Code de commerce (N° Lexbase : L5909AIP) dans les sociétés anonymes. Il est vrai que les enjeux financiers de grands services de santé interentreprises peuvent être importants et susciter quelque convoitise.

  • Intégration des services sociaux du travail

Enfin, les services de santé au travail intégreront désormais "un service social du travail ou coordonne[ro]nt leurs actions (16) avec celles des services sociaux du travail prévus à l'article L. 4631-1 du Code du travail" (17). Cette disposition a pour effet de généraliser les services sociaux du travail qui, jusqu'ici, n'existaient que dans les entreprises comptant au moins 250 salariés (18). A priori, la mesure est intéressante car les difficultés sociales viennent souvent se greffer sur les problèmes de santé, ou vice versa. Néanmoins, on constate à nouveau l'éparpillement des missions des services de santé au travail et, avec lui, la crainte que ces services ne parviennent pas à toutes convenablement les assumer.

II - Le statut des personnels concourant aux services de santé au travail

A - Qualité des personnels concourant aux services de santé au travail

Les articles D. 4622-1 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L8843H9E) envisagent deux types d'organisation des services de santé au travail. Il peut s'agir de services de santé autonomes, petites structures qui n'ont la charge que des salariés d'une seule entité (19) ou de services de santé interentreprises, structures plus importantes qui ont la charge des salariés des entreprises qui y ont adhéré.

  • Les services de santé autonomes : le rôle central des médecins du travail

A propos des services de santé autonomes, l'article 1er de la loi insère un nouvel article L. 4622-4 au Code du travail (N° Lexbase : L8185IQ9) qui dispose que "dans les services de santé au travail autres que ceux mentionnés à l'article L. 4622-7, les missions définies à l'article L. 4622-2 sont exercées par les médecins du travail en toute indépendance. Ils mènent leurs actions en coordination avec les employeurs, les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou les délégués du personnel et les personnes ou organismes mentionnés à l'article L. 4644-1". Dans ces structures, les médecins du travail demeurent donc les maillons essentiels de la santé au travail mais doivent collaborer avec l'employeur, les IRP en charge de la santé au travail et, nouveauté instituée par le texte, avec un ou plusieurs salariés spécialisés en santé au travail tels qu'ils sont désormais prévus par l'article L. 4644-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8090IQP) (20).

  • Les services de santé interentreprises : l'ouverture de la pluridisciplinarité

Les services de santé interentreprises seront, pour leur part, davantage tournés vers la pluridisciplinarité. Ainsi, l'article L. 4622-8 du Code du travail (N° Lexbase : L8187IQB) prévoit désormais que "les missions des services de santé au travail sont assurées par une équipe pluridisciplinaire de santé au travail comprenant des médecins du travail, des intervenants en prévention des risques professionnels et des infirmiers. Ces équipes peuvent être complétées par des assistants de services de santé au travail et des professionnels recrutés après avis des médecins du travail. Les médecins du travail animent et coordonnent l'équipe pluridisciplinaire".

On retrouve la volonté d'ouverture à la pluridisciplinarité qui était déjà fortement avancée par le protocole d'accord conclu en 2009. Les missions des services de santé ne sont plus assurées par les médecins seuls mais par une équipe pluridisciplinaire qui, naturellement, comportera des médecins du travail. Si l'intervention des intervenants en prévention des risques professionnels est pérennisée (21), le texte introduit également la présence d'infirmiers, d'assistants des services de services de santé au travail et de "professionnels recrutés après avis des médecins du travail". Ces équipes sont animées et coordonnées par les médecins du travail.

Pour faire face au manque criant de médecins du travail et à la désaffection pour cette spécialité, la loi ouvre la porte au recrutement, de manière temporaire, d'internes en médecine placés sous la direction d'un médecin du travail. En effet, un alinéa a été ajouté à l'article L. 4623-1 (N° Lexbase : L8189IQD) et dispose qu'"un décret fixe les conditions dans lesquelles les services de santé au travail peuvent recruter, après délivrance d'une licence de remplacement et autorisation par les conseils départementaux compétents de l'ordre des médecins, à titre temporaire, un interne de la spécialité qui exerce sous l'autorité d'un médecin du travail du service de santé au travail expérimenté" (22). Cette mesure à certainement l'avantage de permettre de pallier à court terme les difficultés subies par la médecine du travail et de donner goût à des étudiants en médecine à cette profession particulière. Elle présente cependant l'inconvénient de remplacer les médecins qui font défaut par des étudiants...

On peut regretter que la loi n'apporte aucune précision sur les missions des différentes composantes des services de santé, alors même que le protocole d'accord de 2009 était, en la matière, bien plus disert. Ce texte pourrait servir de support aux différents décrets d'application que la loi envisage, en particulier s'agissant des missions et de l'organisation des services de santé au travail (23).

Il est également possible de s'interroger sur les effets secondaires que peut impliquer cette diversification des acteurs des services de santé. Un infirmier ou un interne en médecine n'est pas un médecin, leurs compétences sont différentes. Si la diversification des acteurs et la modulation de l'intensité de la surveillance des salariés en fonction des risques devaient mener à ce que les infirmiers ou les internes reçoivent les salariés soumis à peu de risque alors que les médecins recevront les salariés soumis à de forts risques, il faudrait alors craindre l'apparition de services de santé au travail "à deux vitesses".

  • Les salariés agents de prévention et de protection contre les risques professionnels

En marge des services de santé au travail, un nouvel acteur fait son apparition dans les entreprises afin de collaborer à la protection de la santé des travailleurs (24). En effet, l'article. L. 4644-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8090IQP) dispose que "l'employeur désigne un ou plusieurs salariés compétents pour s'occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l'entreprise". Il s'agit donc d'un salarié désigné non par élection ou par les syndicats, mais par l'employeur. Ces salariés, quant à leur statut, s'apparenteront ainsi davantage à des ingénieurs qualité ou à des correspondants informatique et libertés qu'à des représentants du personnel. Aucun nombre de salarié n'est déterminé si bien que les décrets d'application pourraient faire varier ce nombre en fonction de la taille de l'entreprise.

On ne peut s'empêcher de faire un rapprochement entre ces nouveaux agents de prévention et les salariés qui, depuis longtemps, assument dans l'entreprise une délégation de pouvoir en vue de faire respecter les réglementations de sécurité (25). La loi ne définit pas précisément quelles seront les compétences de ces agents de prévention. Si la compétence définie par l'employeur est très vaste, elle pourrait aboutir à une assimilation avec une délégation de pouvoir en matière de sécurité. Par voie de conséquence, la généralisation de ces agents de prévention dans les entreprises impliquerait la généralisation de la déresponsabilisation pénale des employeurs en matière de sécurité au travail. Dans un tel cas, il faudrait au minimum que les salariés concernés soient informés qu'ils supporteront dorénavant la charge de la responsabilité pénale en cas d'atteinte aux règles de sécurité. Mais la loi n'envisage nullement l'hypothèse d'une assimilation entre agent de prévention et délégation de pouvoir...

A défaut de disposer dans l'entreprise de salarié ayant les compétences suffisantes pour assumer ces fonctions d'agent de prévention, l'employeur pourra faire appel, après avis du CHSCT, aux intervenants en prévention des risques professionnels du service de santé au travail interentreprise auquel il aura adhéré. Si l'employeur a choisi de mettre en place un service de santé autonome, il pourra dans ce cas faire appel à un intervenant en prévention des risques professionnels dûment enregistré. Le texte ne précise pas quelles compétences l'employeur est en droit d'attendre d'un salarié de son entreprise pour pouvoir le désigner comme agent de prévention si bien qu'il disposera probablement, en la matière, d'une large marge de manoeuvre (26).

B - Protection des personnels concourant aux services de santé au travail

  • Indépendance et protection des médecins du travail

L'indépendance et la protection de l'emploi des médecins du travail sont nettement réaffirmées par la loi.

S'agissant de leur indépendance, elle est proclamée tant pour les médecins des services de santé autonomes (27) que pour ceux des services de santé interentreprises. Pour ces derniers, la loi crée un article L. 4623-8 au Code du travail (N° Lexbase : L8078IQA) qui dispose que "dans les conditions d'indépendance professionnelle définies et garanties par la loi, le médecin du travail assure les missions qui lui sont dévolues par le présent code" (28). Cette disposition, hautement symbolique, n'est pas un simple effet d'annonce puisque, nous le verrons, la protection de l'emploi des médecins du travail a été sensiblement renforcée. La proclamation de l'indépendance des médecins du travail était tout à fait indispensable tant il plane sur ces professionnels un soupçon, loin d'être toujours justifié, de connivence avec les employeurs qui les emploient.

S'agissant de la protection de l'emploi des médecins du travail, les articles 6 à 9 de la loi complètent la protection déjà mise en place par les articles L. 4623-4 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L1866H9Y). En effet, si le médecin du travail est un salarié protégé depuis la loi du 17 janvier 2002 (29), on oublie souvent qu'il ne s'agissait pas jusque là d'un salarié protégé comme les autres puisque seul le licenciement était encadré et devait être autorisé par l'inspecteur du travail.

Quatre nouveaux textes sont ainsi insérés au Code du travail pour exiger l'autorisation de l'inspecteur du travail, après avis du médecin inspecteur du travail, en cas de rupture conventionnelle (30), en cas de rupture anticipée ou même à l'issue naturelle du terme du contrat de travail à durée déterminée (31) ou en cas de transfert partiel d'entreprise (32). Il est ainsi joint les actes à la parole puisque l'affirmation de l'indépendance du médecin du travail s'accompagne effectivement de mesures destinées à la renforcer.

  • Indépendance et protection des autres personnels concourant aux services de santé

En revanche, aucune garantie d'indépendance ou de protection de leur emploi n'est assurée pour les autres personnels concourant aux missions des services de santé au travail. Les infirmiers, les intervenants en prévention des risques professionnels, les internes recrutés de manière temporaire, tous semblent n'être que des salariés lambdas sans statut particulier (33).

Il en va de même s'agissant des agents de prévention créés par l'article L. 4644-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8090IQP). La loi ne leur assure aucune garantie d'indépendance ni aucune protection de leur emploi. Le texte n'apporte aucune précision sur la rémunération du temps passé à assumer ces fonctions. Bref, aucun statut particulier ne leur est attribué. Le texte prévoit seulement que "le ou les salariés ainsi désignés par l'employeur bénéficient, à leur demande, d'une formation en matière de santé au travail dans les conditions prévues aux articles L. 4614-14 à L. 4614-16". Il s'agit là de la même formation que celle dont peuvent bénéficier les membres du CHSCT, c'est-à-dire, somme toute, une formation assez sommaire. Surtout, cette formation est facultative, à la demande du salarié, demande qu'il aura peut-être du mal à formuler compte tenu de l'absence totale de protection de ses fonctions.

Là encore, des décrets interviendront pour préciser l'application des dispositions relatives à ces agents de prévention. Pour autant, si les détails du statut peuvent raisonnablement être aménagés par voie réglementaire, l'énoncé du principe de leur indépendance dans cette fonction et d'un minimum de protection ne pouvait passer que par la loi. C'est ce que semble faire le dernier alinéa de l'article L. 4644-1 I qui prévoit, de manière un peu évasive il est vrai, que soient garanties "les règles d'indépendance des professions médicales et l'indépendance des personnes et organismes mentionnés au présent I".

III - Statuts particuliers

  • Activités spécifiques

La loi met, tout d'abord, en place des règles spécifiques pour l'organisation et le choix du service de santé au travail ainsi que pour les modalités de surveillance de l'état de santé des travailleurs pour plusieurs professions visées par la septième partie du Code du travail : les artistes et techniciens intermittents du spectacle, les mannequins, les VRP et les salariés du particulier employeur. En effet, dans ces professions, un accord collectif de branche étendu peut prévoir des dérogations aux règles légales exposées précédemment "dès lors que ces dérogations n'ont pas pour effet de modifier la périodicité des examens médicaux définie par le présent code". De manière dérogatoire, ces accords peuvent prévoir que les salariés des particuliers employeurs et les mannequins soient suivis par des médecins non spécialisés en médecine du travail, à condition que ces médecins aient signé un protocole avec un service de santé interentreprises.

Faute d'accord conclu dans un délai de douze mois après la publication de la loi, un décret en Conseil d'Etat supplétif déterminera les règles applicables à ces catégories de salariés.

La raison d'être de ces dérogations paraît reposer sur l'idée que la surveillance de l'état de santé de ces salariés, soit du fait de leur grande mobilité (artistes, mannequins, intermittents et VRP), soit du fait de la diversité de leurs emplois et de leurs employeurs (salariés du particulier employeur), soit particulièrement délicate à organiser. Un délai de douze mois est ménagé aux partenaires sociaux, principalement parce que, dans ces différentes branches, des négociations avaient déjà été engagées avant la loi pour aménager conventionnellement cette surveillance.

De la même manière, l'article 15 de la loi apporte quelques modifications au Code rural et de la pêche maritime afin d'adapter les organismes spécifiques de ces activités à cette réforme, notamment par l'introduction du paritarisme dans les organismes de surveillance de la santé des salariés ou pour introduire des dispositions en matière de prévention de la pénibilité du travail.

  • Catégories de travailleurs spécifiques

Aux termes de l'article L. 4625-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8157IQ8), "un décret détermine les règles relatives à l'organisation, au choix et au financement du service de santé au travail ainsi qu'aux modalités de surveillance de l'état de santé des travailleurs applicables" à différentes catégories de travailleurs que sont les salariés temporaires, les stagiaires de la formation professionnelle, les travailleurs des associations intermédiaires, les travailleurs mis à disposition, les travailleurs travaillant habituellement dans un autre département que celui de l'établissement qui les emploie, les travailleurs temporairement détachés par une entreprise non établie en France et les travailleurs saisonniers. Cette disposition a principalement pour effet de justifier l'existence de dérogations réglementaires déjà présentes dans le Code du travail.

Ces règles spécifiques ne pourront avoir pour effet de modifier la périodicité des examens médicaux ni les modalités de composition et de fonctionnement du conseil d'administration des services de santé au travail.

Enfin, le texte affirme, de manière un peu incantatoire compte tenu de la dérogation qu'il comporte, que "ces travailleurs bénéficient d'une protection égale à celle des autres travailleurs". Le principe d'égalité de traitement est donc affirmé et devra, en principe, être respecté par les décrets projetés.


(1) Loi n° 2002-73 de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (N° Lexbase : L1304AW9) ; arrêté du 24 décembre 2003, relatif à la mise en oeuvre de l'obligation de pluridisciplinarité dans les services de santé au travail ; décret n° 2004-760 du 28 juillet 2004, relatif à la réforme de la médecine du travail et modifiant le Code du travail (N° Lexbase : L5035E4A).
(2) Rappelons que la réforme avait déjà été adoptée à l'occasion de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9) (voir le numéro spécial de cette revue, Lexbase Hebdo n° 419 du 2 décembre 2010 - édition sociale), mais que les dispositions relatives à la médecine du travail avaient été censurées par le Conseil constitutionnel qui jugea qu'elles constituaient des cavaliers législatifs (Cons. const., n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 N° Lexbase : A6265GER) et les obs. de Ch. Radé, Le Conseil constitutionnel valide la réforme des retraites, Lexbase Hebdo n° 419 du 2 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N7024BQ9). Le texte a été repris sans modification substantielle.
(3) Rapport Conso-Frimat, Le bilan de réforme de la médecine du travail, octobre 2007.
(4) Protocole d'accord sur la modernisation de la médecine du travail du 11 septembre 2009 et nos obs., L'Ani du 11 septembre 2009 : réforme des services de santé au travail et du rôle préventif du médecin du travail, Lexbase Hebdo n° 364 du 24 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9275BL4). Ce protocole d'accord qui aurait dû devenir un accord national interprofessionnel n'a jamais été définitivement adopté par les partenaires sociaux.
(5) Directive (CE) 89/391 du Conseil du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (N° Lexbase : L9900AU9). L'accent sur la prévention avait également été posé par le protocole d'accord conclu en 2009, v. note préc..
(6) C. trav., art. L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ).
(7) C. trav., art. L. 4612-1 (N° Lexbase : L1737H99).
(8) Voir Rapport n° 232 (2010-2011) de A.-M. Payet, fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 19 janvier 2011 qui s'appuie sur un extrait du rapport de la mission d'Hervé Chabalie sur la prévention et la lutte contre l'alcoolisme pour justifier ce choix peu judicieux.
(9) Voir loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9) et nos obs., La prise en compte de la pénibilité par la loi portant réforme des retraites (articles 27, 60 à 89 et 103 à 106 de la loi), Lexbase Hebdo n° 419 du 2 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N8152BQY). Ces exigences apparaissaient déjà dans le protocole d'accord de 2009.
(10) C. trav., art. D. 4622-74 (N° Lexbase : L8696H9X) à D. 4622-76 (N° Lexbase : L8692H9S).
(11) Cons. const., 10 juin 1998, n°98-401 DC (N° Lexbase : A8747ACX, B. Mathieu, Liberté contractuelle et sécurité juridique, LPA, 1997, n° 125, p. 17 ; AJDA, 1998, p. 495, chron. J.-E. Schoettl ; RTD civ., 1999, p. 78, n° 1, obs. J. Mestre Adde ; Cons. const., 23 juillet 1999, n° 99-416 DC (N° Lexbase : A8782ACA) ; Cons. const., 13 janvier 2003, n° 2002-465 (N° Lexbase : A6295A4W) et les obs. de Ch. Radé, Le renforcement de l'autonomie des partenaires sociaux après la décision du Conseil constitutionnel concernant la loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, Lexbase Hebdo n° 54 du 16 Janvier 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N5514AAH).
(12) On relèvera qu'ici, le médecin du travail reprend un rôle central, ce qui n'est pas forcément cohérent avec l'esprit général de la loi.
(13) C. trav., art. R. 4614-2 (N° Lexbase : L8957H9M).
(14) Par exemple, l'employeur qui néglige de faire subir au salarié les visites médicales d'embauche, les visites périodiques ou, à plus forte raison, les visites de reprise, manque à son obligation de sécurité, voir Cass. soc., 28 février 2006, n° 05-41.555, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2163DNG), Dr. soc., 2006, p. 514, note J. Savatier ; JCP éd. S, 2006, 1278, note P. Sargos.
(15) C. trav., art. D. 4622-42 (N° Lexbase : L8761H9D).
(16) Une telle coordination était déjà prévue par l'article L. 4631-2, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L1880H9I), si bien que la disposition nouvelle paraît au moins en partie redondante.
(17) C. trav., art. L. 4622-9 (N° Lexbase : L8071IQY).
(18) L'article L. 4631-1 (N° Lexbase : L1877H9E) dispose qu'"un service social du travail est organisé dans tout établissement employant habituellement deux cent cinquante salariés et plus".
(19) Qu'il s'agisse d'un établissement, d'une entreprise ou des entreprises d'une unité économique et sociale.
(20) Cf. infra.
(21) V. C. trav., L. 4622-4, ancienne rédaction (N° Lexbase : L1847H9B).
(22) Les internes en médecine étaient déjà habilités à effectuer leur stage d'internat dans un service de santé au travail par les articles R. 4623-44 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L4012IAT).
(23) V. le nouvel article L. 4624-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8081IQD) qui dispose que "des décrets en Conseil d'Etat précisent les modalités d'action des personnels concourant aux services de santé au travail ainsi que les conditions d'application du présent chapitre".
(24) L'article 1-II de la loi subordonne l'entrée en vigueur de ces dispositions à la parution des décrets d'application ou, au plus tard, au 1er juin 2012.
(25) A propos de la délégation de pouvoir en matière de sécurité, v. Cass. soc., 18 mai 2008, n° 07-40.002, F-D (N° Lexbase : A5406D8Q) ; Cass. crim., 8 avril 2008, n° 07-80.535, F-P+F (N° Lexbase : A5440D8Y) et les obs. de G. Auzero, Du bon usage de la délégation de pouvoir, Lexbase Hebdo n° 306 du 29 mai 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9818BED).
(26) Cela d'autant que le rapport de la Commission des affaires sociales du Sénat appelle à une application souple de cette nouvelle obligation, v. Rapport préc..
(27) C. trav., art. L. 4622-4 (N° Lexbase : L8185IQ9).
(28) Le texte remplace l'ancien article L. 4622-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1841H93) qui énonçait les missions des médecins du travail, mais demeurait silencieux quant à leur indépendance.
(29) Loi n° 2002-73 de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (N° Lexbase : L1304AW9).
(30) C. trav., art. L. 1237-15, al. 2 (N° Lexbase : L8188IQC).
(31) C. trav., art. L. 4623-5-1 (N° Lexbase : L8106IQB) et L. 4623-5-2 (N° Lexbase : L8110IQG).
(32) C. trav., art. L. 4623-5-3 (N° Lexbase : L8113IQK).
(33) V. tout de même l'obligation de consulter le comité d'entreprise avant le recrutement ou le licenciement d'un intervenant en prévention des risques professionnels, C. trav., art. R. 4623-33 (N° Lexbase : L4042IAX) et l'article R. 4623-37 (N° Lexbase : L4032IAL) qui subordonne l'habilitation administrative à l'exercice de cette fonction à la garantie de l'indépendance de l'intervenant.

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Télécoms

[Textes] Transposition du "paquet télécom" et autres nouveautés de rentrée en matière de communications électroniques

Réf. : Ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011, relative aux communications électroniques (N° Lexbase : L0014IRX)

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N7427BSU

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 01 Septembre 2011

Le "paquet télécom" de 2002 est constitué de l'ensemble des textes communautaires relatifs au secteur des communications électroniques (1). Le 25 novembre 2009, le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne ont arrêté deux Directives et un Règlement révisant et complétant ce dispositif. D'une part, le Règlement n° 1211/2009 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 (N° Lexbase : L1051IGZ) institue l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE), nouvelle instance de dialogue et d'échanges entre les différents régulateurs nationaux et la Commission européenne, ainsi que l'Office, qui apporte un soutien aux travaux conduits par l'ORECE. Ce texte, d'application directe, est entré en vigueur le 7 janvier 2010.
D'autre part, la Directive 2009/140/CE du 25 novembre 2009, dite Directive "mieux réguler" (N° Lexbase : L1209IGU), a modifié les Directives "cadre", "accès" et "autorisation", tandis que la Directive 2009/136/CE du même jour, dite Directive "droits des citoyens" (N° Lexbase : L1208IGT), a modifié les Directives "service universel" et "vie privée". Outre le renforcement de la coopération au niveau communautaire, les objectifs des Directives réside essentiellement dans :
- le renforcement de l'indépendance et des pouvoirs des "autorités réglementaires nationales" (les ARN) ;
- le renforcement de la protection et des garanties accordées à l'ensemble des utilisateurs finals ;
- et la meilleure gestion du spectre.
L'article 17 de la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011, portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques (N° Lexbase : L8628IPA), a ainsi autorisé le Gouvernement à prendre, par ordonnance, les dispositions législatives nécessaires à la transposition des Directives 2009/136/CE et 2009/140/CE. Allant au-delà, il l'autorise également à prendre les dispositions nécessaires à l'accroissement de l'efficacité de la gestion des fréquences radioélectriques, à la lutte contre les faits susceptibles de porter atteinte à la vie privée et au secret des correspondances dans le domaine des communications électroniques et au respect des règles permettant de répondre aux menaces et prévenir et réparer les atteintes graves à la sécurité des systèmes d'information des autorités publiques et des opérateurs dits "d'importance vitale", à la correction et à la clarification des dispositions législatives du code des postes et des communications électroniques, ainsi qu'à leur extension à la Nouvelle-Calédonie et aux collectivités d'outre-mer.
Tel est donc l'objet de l'ordonnance du 24 août 2011, publiée au Journal officiel du 26 août 2011, qui met en oeuvre ces différentes habilitations. Cae texte se compose de cinq titres :
- le titre Ier transpose les Directives 2009/136/CE et 2009/140/CE dans le Code des postes et des communications électroniques (chapitre Ier), dans le Code de la consommation (chapitre II), dans la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS), et dans le Code pénal (chapitre III) ;
- le titre II des dispositions non explicitement requises par la transposition des Directives européennes mais poursuivant les mêmes objectifs et destinées à lutter contre les brouillages et à encourager le marché secondaire des fréquences ;
- le titre III contient les dispositions ne relevant pas de la transposition mais contribuant à renforcer les systèmes d'information des autorités publiques et des opérateurs dits "d'importance vitale" ;
- le titre IV comporte des modifications des dispositions législatives du Code des postes et des communications électroniques à des fins de correction et de clarification ;
- le titre V prévoit, enfin, les dispositions transitoires et finales.

Nous nous proposons en conséquence de reprendre le plan de l'ordonnance pour une présentation simplifiée et pédagogique de ce nouveau dispositif.

I - La transposition du nouveau cadre européen des communications électroniques

Il convient d'abord de relever que les nouvelles Directives de 2009 ne bouleversent pas le cadre juridique national car les changements introduits ne modifient pas les principes généraux mais constituent plutôt des aménagements du cadre juridique européen de 2002. Les principaux ajustements s'articulent autour de trois thèmes :
- assurer une meilleure régulation du secteur des communications électroniques ;
- permettre une gestion du spectre plus efficace et faciliter en conséquence l'accès des différents utilisateurs aux fréquences radioélectriques ;
- et renforcer la protection des consommateurs et des données personnelles.

A - Définition et objectifs généraux

L'ordonnance complète d'abord les définitions et les objectifs généraux fixés aux pouvoirs publics par le Code des postes et des communications électroniques afin de tenir compte, notamment, des adaptations nécessaires aux nouveaux enjeux et, principalement, favoriser le déploiement des nouveaux réseaux et garantir la neutralité des réseaux. L'article 2 modifie en conséquence l'article L. 32 du Code des postes et communications pour redéfinir la notion de "Service téléphonique au public" (7°) et ajouter celles de "Ressources associées" (19°) et de "Services associés" (20°). L'article 3 de l'ordonnance modifie, quant à lui, l'article 32-1 du même code, relatif aux objectifs assignés au ministre chargé des communications électroniques et à l'ARCEP.

B - Indépendance et compétences de l'ARCEP

L'ordonnance contient, par ailleurs, de nombreuses dispositions qui visent à donner des garanties supplémentaires concernant l'indépendance de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes sont introduites et l'extension de ses compétences.

  • Indépendance

Il est inséré par l'article 31 de l'ordonnance un nouvel alinéa à l'article L. 131 dans le CPCE, aux termes duquel "les membres et agents de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes exercent leurs fonctions en toute impartialité, sans recevoir d'instruction du Gouvernement, ni d'aucune institution, personne, entreprise ou organisme".

  • Pouvoirs du régulateur

Circonscrite aux litiges entre opérateurs, la compétence des ARN a été étendue, par l'article 20 de la Directive "cadre", aux litiges entre "ces entreprises et d'autres entreprises de l'Etat membre bénéficiant d'obligations d'accès et/ou d'interconnexion découlant de la présente directive ou des directives particulières". Concrètement et comme le relève l'avis de l'ARCEP sur le projet d'ordonnance (ARCEP, avis n° 2011-0524 du 10 mai 2011, portant sur un projet d'ordonnance relative aux communications électroniques N° Lexbase : X9583AIR), cette dernière pourra, désormais, régler des différends opposant un prestataire de la société de l'information (PSI) et un opérateur de communications électroniques. L'ordonnance complète, en conséquence le II de l'article L. 36-8 du CPCE, énumérant l'objet de certains différends dont l'Autorité peut être saisie, par un 5° ainsi rédigé : "Les conditions réciproques techniques et tarifaires d'acheminement du trafic entre un opérateur et une entreprise fournissant des services de communication au public en ligne". Parallèlement ses pouvoirs d'enquête sont élargies, puisqu'elle peut dès lors, recueillir auprès des personnes fournissant des services de communication au public en ligne les informations ou documents concernant les conditions techniques et tarifaires d'acheminement du trafic appliquées à leurs services (C. postes et com. électr., art. L. 32-4)

Concernant l'accroissement des ses pouvoirs, on relèvera, en outre, qu'elle dispose, désormais, et conformément à l'article 13 bis de la Directive "accès", de la possibilité d'imposer à un opérateur verticalement intégré et réputé exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques l'obligation d'organiser ses activités de fourniture en gros des produits concernés dans le cadre d'une entité économique fonctionnellement indépendante, lorsque d'importants problèmes de concurrence ou des défaillances du marché subsistent (C. postes et com. électr., art. L. 38-2). De même et en application de l'article 13 ter de la même Directive, l'article L. 38-2-1 du CPCE prévoit désormais les conditions dans lesquelles une entreprise qui déciderait la séparation fonctionnelle de ses activités doit en informer l'ARCEP, laquelle opère un contrôle sur l'impact des cessions des installations et équipements de réseau d'accès local sur la régulation mise en oeuvre

Elle est également dorénavant en mesure de fixer des obligations aux opérateurs puissants susceptibles d'exercer un effet de levier sur un segment de marché non régulé (C. postes et com. électr., art. L. 37-2 et L. 38).

Par ailleurs, l'article 10 de la Directive "autorisation" a modifié le pouvoir de sanction des ARN pour le rendre plus effectif. Ainsi, le délai dans lequel la mise en demeure adressée doit être respecté par la personne mise en cause est librement déterminé par l'ARN, de manière raisonnable. L'ordonnance supprime donc la durée minimale d'un mois accordée à la personne mise en cause pour respecter la mise en demeure, à l'article L. 36-11 du CPCE. On relèvera, toutefois que l'ordonnance ne tire pas toutes les conséquences des nouvelles dispositions communautaires, en ne transposant pas la possibilité, pour l'Autorité, de prononcer des astreintes à l'encontre des personnes sanctionnées, comme l'a soulevé l'ARCEP dans son avis du 10 mai 2011.

Afin de faciliter le déploiement des réseaux de nouvelle génération, des dispositions sont introduites pour réguler l'accès aux infrastructures physiques et aux câbles des opérateurs de communications électroniques (C. postes et com. électr., art. L. 34-8-4). Il est en substance prévu la possibilité pour l'ARCEP d'imposer aux opérateurs le partage des infrastructures actives et passives et la coordination des travaux de génie civil. Dans la même perspective le nouvel article L. 46 et L. 47-1 du CPCE encadre les délais de réponse aux demandes des opérateurs pour accéder au domaine public routier et non routier : l'autorité concessionnaire ou gestionnaire du domaine public concerné doit se prononcer dans les deux mois suivant la demande.

Enfin, l'ordonnance reconnaît au régulateur la possibilité de fixer des exigences minimales de qualité de service (C. postes et com. électr., art. L. 36-6), conformément à l'article 22 de la Directive "service universel". Elle doit informer au préalable la Commission européenne et l'organe des régulateurs européens des communications électroniques des motifs et du contenu de ces exigences et doit tenir le plus grand compte des avis ou recommandations de la Commission européenne lorsqu'elle prend sa décision.

Au demeurant et dans le but d'harmoniser les pratiques des régulateurs nationaux au sein du marché intérieur, des mécanismes de coopération renforcés, un contrôle par les pairs et par la Commission européenne est institué (C. postes et com. électr., art. L. 36-5, L. 36-8 et L. 37-3).

C - La protection des consommateurs

Les dispositions communautaires relatives aux utilisateurs, qui figurent au chapitre IV de la Directive "service universel", intitulé "Intérêts et droits des utilisateurs finals", concernent, principalement, l'information à destination des utilisateurs finals, les garanties des utilisateurs handicapés et la qualité de service.

  • L'information à destination des utilisateurs finals

Les articles 33, 34 et 35 de l'ordonnance du 24 août 2011 procèdent à un renforcement des obligations relatives à l'information des consommateurs. Ainsi l'article L. 121-83 du Code de la consommation, relatif à l'information contractuelle, modifié pour compléter de façon substantielle la liste des mentions obligatoires, est complété par un nouvel article L. 121-83-1, relatif à l'information extracontractuelle, imposant aux fournisseurs de services de communications électroniques de mettre à la disposition des consommateurs et de tenir à jour dans ses points de vente et par un moyen téléphonique ou électronique accessible en temps réel à un tarif raisonnable un certain nombre de données.

La Directive "service universel" met à la charge des opérateurs l'obligation de fournir l'ensemble de ces informations aux "utilisateurs finals", notion qui recouvre au sens des textes communautaires les consommateurs et les autres utilisateurs. Or, faute de définition légale en droit français, la Cour de cassation a jugé, à la lumière du droit communautaire, que la notion de consommateur ne vise que les personnes physiques (Cass. civ. 1, 15 mars 2005, n° 02-13.285, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2950DHQ). La transposition des dispositions de la Directive "service universel" dans le seul Code de la consommation, ne pouvait donc suffire pour couvrir le champ d'application couvert par la notion d'utilisateurs finals. L'ordonnance a donc modifié l'article L. 33-1 du Code des postes et télécommunications électroniques qui prévoit, désormais, que les utilisateurs professionnels peuvent exiger que le contrat qu'ils concluent avec un opérateur comporte les informations mentionnées à l'article L. 121-83 du Code de la consommation relatives aux prestations qu'ils ont souscrites ainsi que l'obligation, pour les fournisseurs, de mettre à disposition des utilisateurs les informations mentionnées à l'article L. 121-83-1 du Code de la consommation.

Or cet éclatement des obligations d'information entre le Code de la consommation et le Code des postes et communications électroniques a été pointé du doigt par l'ARCEP dans son avis du 10 mai 2011 qui dénonce un choix non conforme à la Directive et dépourvu de cohérence. En effet, les textes communautaires imposent un contrôle du respect des nouvelles obligations informations extracontractuelles par des "autorités réglementaires nationales". Or, sauf exception expresse l'ARCEP ne peut exercer son pouvoir de sanction qu'en cas de méconnaissance des seules dispositions du CPCE et de celles prises pour son application. Le choix de la transposition dans le Code de la consommation entraînerait donc, ipso facto, l'exclusion de toute responsabilité de l'ARCEP dans la mise en oeuvre des prescriptions de la Directive. L'Autorité verrait donc sa compétence circonscrite au contrôle du respect des obligations d'information extracontractuelle aux seules relations avec les utilisateurs professionnels et exclurait celles concernant des consommateurs et des utilisateurs non professionnels.

  • Les utilisateurs handicapés

La révision du "paquet télécom" a renforcé les garanties en faveur des utilisateurs handicapés. L'article 33-1 du CPCE pose, en conséquence, le principe d'un accès des utilisateurs handicapés à des services de communications électroniques et aux services d'urgence équivalent à celui dont bénéficient la majorité des utilisateurs, l'ARCEP devant inclure dans son rapport annuel le bilan des mesures prises à cette fin (article 56 de l'ordonnance, non codifié).

Dans son avis préalable, l'ARCEP a indiqué au Gouvernement qu'il serait opportun de prévoir des mesures concrètes permettant d'atteindre les objectifs fixés dans la Directive concernant les utilisateurs handicapés, mesures qui, compte tenu de l'atteinte à la liberté d'entreprendre qu'elles entraînent, ressortent, selon l'Autorité, de la compétence législative. Toutefois, l'ordonnance publiée au Journal officiel du 26 août 2011 ne contient aucune disposition en ce sens.

  • Dispositions en matière de numérotation

L'une des nouveautés du "paquet télécom" directement perceptible par les utilisateurs finals réside dans le délai dans lequel les abonnés peuvent transférer leur numéro d'un opérateur vers un autre, réduit à un jour, en application de l'article 30 de la Directive "service universel". L'ordonnance en parfaite conformité avec les textes communautaire prévoit donc à l'article L. 44 que "le délai de portage est d'un jour ouvrable, sous réserve de la disponibilité de l'accès, sauf demande expresse de l'abonné". Dans son avis du 10 mai 2011, l'ARCEP a souligné la nécessité de préciser, le cas échéant, par voie réglementaire, que ce délai d'un jour ne courra qu'à compter du moment où l'ancien opérateur a donné son accord au nouvel opérateur, par la transmission des informations nécessaires pour procéder à la mise en oeuvre technique de la conservation du numéro.

Par ailleurs, il est prévu, toujours à l'article L. 44 que "Sans préjudice des dispositions contractuelles relatives aux durées minimales d'engagement, le portage effectif du numéro entraîne de manière concomitante la résiliation du contrat qui lie cet opérateur à l'abonné". Cette précision peut apparaître en contradiction avec les dispositions de l'article L. 121-84-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L5746H9P), selon lesquelles la durée du préavis en vue de la résiliation de son contrat de services de communications électroniques par un abonné ne peut excéder dix jours. En effet, une contradiction pourrait apparaître entre le délai maximum de dix jours applicables à toutes les résiliations de contrats de services de communications électroniques, en vertu du Code de la consommation, et le délai maximum d'un jour, applicable uniquement à celles des résiliations qui sont assorties d'une demande de conservation du numéro. Dans son avis, l'ARCEP a ainsi appelé de ses voeux une modification de ce texte du Code de la consommation.

Toujours en matière de numérotation, la compétence du régulateur est, en outre, élargie pour que celle-ci puisse fixer les principes de tarification et puisse participer à la lutte contre les services frauduleux ou abusifs et les numéros qui permettent d'y accéder (C. postes et com. électr., art. L. 44, L. 44-2 et L. 44-3).

  • La médiation

L'ordonnance impose, enfin, aux fournisseurs d'un service de communications électroniques d'instituer un médiateur impartial et compétent auquel ses clients peuvent s'adresser en cas de différend relatif aux conditions de leur contrat ou à l'exécution de leur contrat. En outre, les modalités d'intervention du médiateur doivent être facilement accessibles, rapides, transparentes pour les deux parties et confidentielles (C. consom., art. L. 121-84-9)

D - La gestion du spectre

  • Les principes de neutralité technologique et de neutralité de services

L'un des objectifs de la révision du "paquet télécom" était une évolution des procédures en matière de gestion du spectre, en particulier afin de renforcer la mise en oeuvre des principes de neutralité technologique et à l'égard des services. Ainsi les points 3 et 4 de l'article 9 de la Directive "cadre" posent-ils une obligation de moyens à la charge des Etats membres de veiller à ce que tous les types de technologies utilisés pour les services de communications électroniques, d'une part, et tous les types de services de communications électroniques, d'autre part, "puissent être utilisés dans les bandes de fréquences déclarées disponibles pour les services de communications électroniques". Il ne peut être dérogé aux principes de neutralité ainsi posés que pour des motifs, notamment d'intérêt général, énumérés par la Directive.

L'ordonnance transpose l'ensemble du dispositif communautaire à l'article 42 du CPCE qui renforce donc le principe de neutralité technologique et introduit le principe de neutralité de services, pour ce qui concerne leurs dispositions pérennes. En effet, la Directive "cadre" a également introduit des dispositions transitoires permettant la mise en conformité progressive des conditions et autorisations dans le domaine de la fréquence qui se retrouvent à l'article 59 de l'ordonnance et ne sont pas codifiées.

Concernant l'article 42 du CPCE celui-ci mentionne les motifs permettant de déroger au principe de neutralité. Ainsi, l'ARCEP peut déroger au principe de neutralité technologique pour :
- éviter les brouillages préjudiciables ;
- protéger la santé publique ;
- assurer la qualité technique du service ;
- optimiser le partage des fréquences radioélectriques ;
- préserver l'efficacité de l'utilisation du spectre ; ou
- et réaliser les objectifs assignés à l'ARCEP et au ministre chargé des Communications électroniques.

De même, l'ARCEP peut déroger au principe de neutralité de services pour :
- la sauvegarde de la vie humaine ;
- la promotion de la cohésion sociale, régionale ou territoriale ;
- la préservation de l'efficacité de l'utilisation du spectre ;
- après avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel, la promotion de la diversité culturelle et linguistique ainsi que, après avis conforme du Conseil supérieur de l'audiovisuel, du pluralisme des médias.

Dans tous les cas, ces restrictions sont proportionnées et non discriminatoires.

  • Usages des fréquences radioélectriques

Afin d'assouplir et d'améliorer l'efficacité de l'usage des fréquences radioélectriques, plusieurs dispositions sont introduites dans le Code des postes et des communications électroniques. Le principe de la délivrance d'autorisations générales est, tout d'abord, réaffirmé à l'article L. 41-1 du CPCE, sous réserve de certaines dérogations, mentionnées à l'article 33-3, dans sa nouvelle rédaction (cf. infra II).

  • Utilisation du spectre

Enfin, des mesures destinées à améliorer l'efficacité de l'utilisation du spectre en permettant à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes de fixer un délai maximum dans lequel les fréquences attribuées doivent être utilisées, sous peine d'abrogation des autorisations délivrées, est prévu (C. postes et com. électr., L. 42-1). Ce même article favorise également l'innovation en permettant explicitement la délivrance d'autorisations à des fins expérimentales.

E - Protection de la vie privée et des données personnelles dans le cadre des services de communications électroniques

S'agissant de la protection de la vie privée et des données personnelles dans le cadre des services de communications électroniques, le Code des postes et des communications électroniques, le Code de la consommation et la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés sont complétés par de nouvelles obligations. Les opérateurs sont dorénavant contraints de notifier les éventuelles violations de données personnelles (C. postes et com. électr., L. 34-1 et loi n° 78-17, art 34 bis). En outre, il est interdit d'installer sur l'équipement d'un utilisateur des logiciels qui observent sa navigation sur internet tant qu'il n'a pas été informé et n'a pas donné son accord (loi n° 78-17, art. 32, II) et un dispositif visant à lutter contre les communications non sollicitées est institué. Ainsi l'article L. 121-15-1 du Code de la consommation est complété par une phrase qui imposent que ces message indiquent une adresse ou moyen électronique permettant effectivement au destinataire de transmettre une demande visant à obtenir que ces publicités cessent, et l'article 34-5 du CPCE interdit expressément la prospection directe au moyen de systèmes automatisés d'appel ou de communication, d'un télécopieur ou de courriers électroniques utilisant les coordonnées d'une personne physique, abonné ou utilisateur, qui n'a pas exprimé préalablement son consentement à recevoir des prospections directes par ce moyen.

G - Sécurité du réseau

Pour renforcer la sécurité et l'intégrité des réseaux publics, de nouvelles dispositions introduisent pour les opérateurs de communications électroniques l'obligation de notification des atteintes à la sécurité (C. postes et com. électr, L. 33-1) et l'obligation de se soumettre, à la demande du ministre, à un contrôle de sécurité effectué par un tiers (C. postes et com. électr., art. L. 33-10).

H - Service universel

Enfin, en matière de service universel, des modifications du code des postes et des communications électroniques ont été introduites, d'une part, pour tenir compte de la possibilité de désigner des opérateurs distincts en charge du raccordement au réseau et de la fourniture de service téléphonique et, d'autre part, pour introduire l'obligation d'informer le régulateur pour un opérateur désigné, en cas de cession d'une activité impactant la fourniture du service universel (C. postes et com. électr., art. L. 35-1 et L. 35-2).

II - Dispositions non explicitement requises par la transposition des directives européennes mais poursuivant les mêmes objectifs : lutte contre les brouillages et encouragement du marché secondaire des fréquences

Tout d'abord, et afin de mettre les dispositions du Code des postes et des communications électroniques en conformité avec l'acquis communautaire et de garantir la sécurité publique, il est prévu d'abroger le régime de libre utilisation des installations radioélectriques permettant de rendre inopérants les téléphones mobiles dans les salles de spectacles et d'encadrer strictement, conformément aux dispositions de la Directive 1999/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 1999 (N° Lexbase : L9134AUT), l'importation, la publicité, la cession à titre gratuit ou onéreux, la mise en circulation, l'installation, la détention et l'utilisation de tous les types de brouilleurs, en vue de ne les autoriser que pour les besoins de l'ordre public, notamment dans les salles de spectacles, de la défense et la sécurité nationale ou du service public de la justice (C. postes et com. électr., art. L. 33-3 et L. 33-3-1). Toutefois, ce nouveau régime est applicable dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente ordonnance et une période transitoire de cinq ans est instaurée pour les salles de spectacles déjà équipées (article 57 de l'ordonnance).

D'autres dispositions du même code sont, par ailleurs, modifiées afin de renforcer le dispositif de sanctions pénales existant en cas de brouillages, que ceux-ci soient dus à l'utilisation d'équipements électriques ou électroniques, au non- respect des conditions de l'autorisation d'utilisation d'une fréquence radioélectrique ou encore à l'absence de possession d'un certificat d'opérateur lorsque celui-ci est obligatoire (C. postes et com. électr., art. L. 39-1).

A titre préventif, il est prévu de renforcer le dispositif de recueil des réclamations et de traitement des brouillages en permettant à l'Agence nationale des fréquences d'instruire les cas de brouillages qui lui sont signalés et de préconiser des solutions pour y mettre fin. L'agence se voit également confier un pouvoir d'enquête dans le cadre de l'accomplissement de ses missions lorsqu'une personne est présumée ne pas respecter les obligations qui lui sont imposées par application du Code des postes et des communications électroniques ou des textes pris pour son application (C. postes et com. électr., art. L. 43).

Enfin, afin d'encourager le développement du marché secondaire des fréquences radioélectriques, le code des postes et des communications électroniques introduit la possibilité pour le ministre chargé des communications électroniques d'arrêter pour une bande de fréquence la liste des services de communications électroniques dont les autorisations d'utilisation de fréquences radioélectriques peuvent faire l'objet d'une cession et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes doit rendre publics les projets de cessions qui lui sont notifiés (C. postes et com. électr., art. L. 42-3).

III - Dispositions ne relevant pas de la transposition mais contribuant à renforcer les systèmes d'information des autorités publiques et des opérateurs dits "d'importance vitale"

Ces dispositions ont, d'abord, pour objet de renforcer, dans le Code des postes et des communications électroniques, la possibilité d'imposer aux opérateurs des mesures de sécurité exceptionnelles pour parer à des menaces informatiques détectées ou pour prévenir et limiter les conséquences de telles attaques sur des systèmes d'information dont l'indisponibilité risquerait de diminuer de façon importante la sécurité de la nation (C. postes et com. électr.., art L. 33-1).

Par ailleurs, les sanctions prévues par l'article 226-3 du Code pénal en cas de défaut d'autorisation et de publicité des appareils permettant de porter atteinte à la vie privée ou au secret des correspondances sont aggravées, les peines prévues précédemment (un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende) étant insuffisamment lourdes au regard des risques que peuvent présenter ces matériels pour la sécurité des réseaux de communications électroniques au sein desquels ils sont mis en oeuvre. Pour les mêmes raisons, cet article est complété par une nouvelle infraction consistant à prévoir les mêmes sanctions en cas de non-respect des obligations prescrites par l'autorisation précitée. Ces infractions sont désormais punies de cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende.

Enfin, pour permettre un contrôle efficace du respect de ce dispositif, l'article 45 de l'ordonnance prévoit que les agents de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information sont habilités à rechercher et constater les infractions prévues par l'article 226-3 du Code pénal dans les mêmes conditions que celles fixées par l'article 36 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC).

IV - Clarification des dispositions du Code des postes et télécommunication

Le titre IV de la présente ordonnance comporte des modifications des dispositions législatives du code des postes et des communications électroniques à des fins de correction et de clarification. Il s'agit pour l'essentiel d'adopter la terminologie la plus appropriée afin d'éviter toute ambiguïté dans l'application des dispositions en cause.

V - Dispositions transitoires

Les dispositions transitoires et finales de la présente ordonnance sont enfin prévues au titre V. Les dispositions transitoires prévues au chapitre Ier ont principalement pour objet de transposer les dispositions des Directives qui prévoient la mise en oeuvre différée de certaines obligations relatives à la gestion des fréquences radioélectriques. Les dispositions finales figurant au chapitre II rendent applicables dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie les modifications apportées par la présente ordonnance aux dispositions du Code des postes et des communications électroniques, du Code pénal, de la loi du 6 janvier 1978 précitée et de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée, relative à la liberté de communication (N° Lexbase : L8240AGB) qui y sont d'ores et déjà applicables.


(1) Le "paquet télécom" de 2002 est composé des cinq Directives suivantes :
- la Directive 2002/19/CE du 7 mars 2002, relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées ainsi qu'à leur interconnexion, dite Directive "accès" (N° Lexbase : L7190AZC) ;
- la Directive 2002/20/CE du 7 mars 2002, relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques, dite Directive "autorisation" (N° Lexbase : L7187AZ9) ;
- la Directive 2002/21/CE du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, dite directive "cadre" (N° Lexbase : L7188AZA) ;
- la Directive 2002/22/CE du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, dite directive "service universel" (N° Lexbase : L7189AZB) ;
- la Directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, dite Directive "vie privée et communications électroniques" (N° Lexbase : L6515A43).

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