La lettre juridique n°389 du 31 mars 2010

La lettre juridique - Édition n°389

Éditorial

La Femme : une espèce en voie d'apparition...

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N7185BNG

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Vous me croirez, si vous le voulez : mais, lorsque ma rédactrice en chef m'a suggéré d'écrire sur cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 17 mars 2010, retenant que le pré-contrat conclu avec un joueur de rugby professionnel et non homologué n'est pas nul, je me suis emporté tout de go ! Exit William Webb Ellis, essai, mêlée, drop et coup de pied arrêté ; moi, ce qui m'intéressait, cette semaine, c'était le Droit des femmes, ou plus précisément, les droits de la Femme... Car encore faut-il porter la majuscule au bon endroit, si l'on ne veut pas éviter le vrai débat.

Rassurez-vous, je vous ferais grâce de l'historique des conquêtes féminines : oubliant pêle-mêle le droit de vote (tardif) des femmes en France, le droit des femmes à disposer de leurs corps, Simone de Beauvoir, l'émancipation professionnelle des femmes, Gisèle Halimi, la loi sur la parité et la dernière "trouvaille" en faveur de l'égalité, toute juridique, des hommes et des femmes, la proposition de loi relative à la représentation des femmes dans les conseils d'administration et de surveillance... la belle affaire, la grande Révolution !

Tout cela n'aurait pour utilité que d'ouvrir les yeux des récalcitrants ; mais j'ose croire, comme André Frossard, que "l'égalité des sexes est acquise en droit. Certains hommes s'étonnent encore que les femmes exercent les mêmes fonctions qu'eux, mais je suppose que c'est par modestie".

Je dis "modestie", parce qu'il s'agit bien d'une certaine retenue dans la manière de penser et de parler... de soi, de nous les hommes, quoi ! Quelle propension à ramener tout à soi : la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, la Déclaration universelle des droits de l'Homme, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme... en portant la majuscule sur le sujet de droit, les hommes pensaient s'en tirer à bon compte et englober dans leurs sillons, les femmes, sans dénier les nommer précisément. Quelle gageure, quel manquement à la bienséance ! Pourquoi ? Et bien parce que l'Homme, c'est l'humanité, Candide ! L'Homme regroupe à la fois les hommes et les femmes ! Le neutre ayant disparu sous la France de Villers-Cotterêts, nous étions mûrs pour faire disparaître le genre féminin, autant que faire ce peut... jusqu'à ce que la ministre, la sous-préfète et la mairesse fassent leur apparition. Pour autant, malgré les mouvements féministes et les conquêtes indéniables en faveur de l'égalité, est-ce là les fruits du succès escompté ?

Et, on ne peut pas dire que les Lumières furent totalement éclairés pour nous porter secours dans cette affaire ; en oubliant, tout simplement, d'insuffler, au-delà des lois, mais dans les esprits la liberté des femmes. Remplaçant un vieux barbu sur son nuage par un Etre suprême, la laïcité aura feint de masquer l'inégalité homme-femme pendant plus d'un siècle. Car, si l'on en croit Nietzsche, l'idée d'égalité entre homme et femmes est un préjugé chrétien ! Le christianisme reconnaissant l'égalité des âmes et des personnes ! La religion au service de l'égalité homme-femme... Le monde, tel qu'il nous est pré-mâché, à l'envers, quoi !

Allez, je ne vous fais pas plus languir : il en va du Droit des femmes, comme de celui des minorités ethniques, des minorités visibles, des communautés religieuses non ancrées dans l'Histoire d'un pays. Ce droit est "nécessairement" octroyé par le genre (non majoritaire, pourtant) dominant, ou qui se croit comme tel : l'homme -occidental tant qu'à faire-. Même le Droit des "Autres", de l'alter, se définit par rapport à l'ego, au soi masculin ; à l'image de cette universalité des droits fondamentaux occidentaux qui a maille à partir avec la surdité outrancière des civilisations africaines et orientales -les trois-quarts du monde en sorte-. Et, à l'image de ce bon Louis XVIII "octroyant" une Charte constitutionnelle à son "bon" peuple, à la Restauration, oubliant la Révolution et l'Empire, l'homme s'anoblit d'un "H" majuscule et octroie aux femmes les mêmes droit que les siens... pas moins, mais pas plus, non plus... et surtout pas de nature différente...

Le fondement de l'inégalité relève de la modestie des hommes, vous dis-je ! Elle relève de la pudeur, de la décence, de l'intimité. Elle est, là, bien accrochée à sa roche tarpéienne... au bord du précipice des chambres à coucher, mais toujours aux aguets, en ce début de XXIème siècle. Il n'y a plus qu'à l'y pousser définitivement. Mais, pour cela, point besoin de mouvements féministes ; toutes les suffragettes du monde ne pourront allez dans les cuisines des couples socialisés dans l'inégalité. C'est une Révolution des mentalités dont l'Egalité à besoin.

"Une femme qui se croit intelligente réclame les mêmes droits que l'homme. Une femme intelligente y renonce" écrivait, avec toute la provocation qu'on lui connaissait, Colette. Pourquoi un tel renoncement ? Parce qu'il n'est plus temps du Droit des femmes, de celui calqué sur une humanité aux empreintes masculines, mais il l'heure de l'avènement des droits de la Femme : les droits politiques, les droits civils, les droits sociaux, les droits à l'intégrité physique et moral, les droits d'expression... mais aussi le droit d'être une femme active, administratrice d'une SA, une femme engagée dans le combat associatif, une femme mère de trois enfants (dépassant le modèle bourgeois du XIXème siècle), une femme "cougar"... pis encore : tout à la fois !

Aujourd'hui, en mettant l'accent sur le Droit, les hommes segmentent les femmes en plusieurs vies, plusieurs destins. On ne peut pas, sur le devant de la scène, "octroyer " -bien qu'arraché- l'égalité juridique et la promotion de la féminisation de la société civile, pour si tôt à la maison, reprendre les "bonnes" vieilles habitudes patriarcales... Finis les mouvements féministes, vous dis-je... la Révolution des mentalités ! L'acceptation de la différence des sexes, de l'égalité des rôles sociaux et professionnels dans la diversité des approches, une combinaison savante entre le respect de la nature singulière féminine et la féminisation plurielle des sociétés civiles et économiques. La communautarisation des femmes par l'octroi de droits éparses concoure à une sous-espèce d'égalité et dont l'exercice combinatoire relève des travaux d'Hercule. Ce n'est pas, à mon sens, à l'image de la communautarisation ethnique et religieuse, l'essence d'une Humanité une et indivisible. C'est une Déclaration d'indépendance, des droits et des libertés que les femmes doivent s'octroyer à elle-même, afin de réussir la combinaison de leurs aspirations personnelles, professionnelles et politiques. "Aide toi et le ciel t'aidera"...

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Avril 2010

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N7150BN7

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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique débute par la mise en oeuvre du droit de communication lors d'une opération de contrôle portant sur la cession de titres de sociétés appartenant à une personne physique (CE 3° et 8° s-s-r., 22 janvier 2010, n° 317026, mentionné aux tables du recueil Lebon) (I). Puis, le Conseil d'Etat prend position, en matière d'acte anormal de gestion, quant à la possibilité, pour une société sous-filiale, de venir en aide à la société mère en difficulté (CE 3° et 8° s-s-r., 22 janvier 2010, n° 313868, mentionné aux tables du recueil Lebon) (II). Enfin, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, la cour administrative d'appel de Paris apporte une importante précision quant au remboursement de la taxe grevant les frais engagés par un consortium italien lors de manifestations promotionnelles en France (CAA Paris, 7ème ch., 18 décembre 2009, n° 07PA03991, mentionné aux tables du recueil Lebon) (III).
I - Exercice loyal du droit de communication : CE 3° et 8° s-s-r., 22 janvier 2010, n° 317026, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4553EQP)

Dans une décision du 22 janvier 2010 annulant un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 10 avril 2008, pour avoir méconnu la compétence exclusive du ministre chargé du Budget pour représenter l'Etat dans l'instance d'appel (LPF, art. R 200-4 N° Lexbase : L5630AEA), le Conseil d'Etat, jugeant au fond (CJA, art. L 821-2 N° Lexbase : L3298ALQ), a été appelé à apprécier la régularité de la procédure menée par le service qui a usé de son droit de communication lui permettant (1) d'avoir connaissance de documents et de renseignements auprès de tiers (2) pour l'établissement et le contrôle de l'assiette de l'impôt.

Au cas particulier, un contribuable personne physique s'était engagé en juillet 1991, au moyen d'une promesse de vente, à céder à une entité du groupe Bolloré les titres d'une société. En 1994, un complément de prix a été versé au contribuable en application des stipulations de ladite promesse de vente. L'administration fiscale, après avoir vérifié la comptabilité des sociétés du groupe Bolloré, a opéré un contrôle sur pièces des revenus du contribuable et a mis à la charge de l'intéressé des cotisations d'impôt sur le revenu à raison de la plus-value omise et du complément de prix perçu.

Par un considérant de principe, le Conseil d'Etat dit pour droit que "lorsque le contribuable en fait la demande à l'administration, celle-ci est tenue de lui communiquer, avant la mise en recouvrement des impositions, les documents ou copies de documents contenant les renseignements qu'elle a obtenus auprès de tiers et qui lui sont opposés ; qu'il en va ainsi, alors même que le contribuable a pu avoir connaissance de ces renseignements ou de certains d'entre eux, afin de lui permettre d'en vérifier et, le cas échéant, d'en discuter l'authenticité et la teneur". La jurisprudence a, déjà, précisé que l'obligation, qui pesait sur l'administration fiscale d'informer le contribuable -à sa demande- de l'origine et de la teneur des renseignements ainsi obtenus avant la mise en recouvrement des impositions ne concernait que les renseignements effectivement utilisés pour fonder un redressement (CE 8° et 3° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 209523 N° Lexbase : A2117AIA ; CAA Paris, 2e ch., 30 août 2002, n° 97PA02868 N° Lexbase : A3865A3K).

Au cas d'espèce, l'administration fiscale n'a pas donné suite à la demande du contribuable portant sur la communication du registre des titres de la société dont les titres étaient cédés. Il en a été de même de la lettre du trésorier du groupe Bolloré dont les termes ont pourtant été reproduits dans la notification de redressements ainsi que la procédure de licenciement initiée par le groupe Bolloré à l'encontre du contribuable et la transaction conclue entre eux. Pour le Conseil d'Etat, l'absence de communication de ces documents, à partir desquels l'administration fiscale s'est appuyée pour fonder les redressements émis, entraîne une irrégularité substantielle de la procédure sans que le service puisse utilement opposer le fait que le contribuable avait, par ailleurs, connaissance de ces documents réclamés.

La solution offerte par la jurisprudence administrative est logique, si l'on veut bien admettre que le droit de communication ne peut s'exercer que dans le respect des droits du contribuable : si le but des autorités publiques est de pacifier le contrôle fiscal et de faire accepter par le contribuable les redressements -aujourd'hui appelés "proposition de rectification", ultime précaution sémantique !- ce dernier doit être à même de pouvoir les discuter. On rapprochera cette décision d'un récent arrêt du 11 décembre 2009 (CE 3° et 8° s-s-r., 11 décembre 2009, n° 301234 N° Lexbase : A4264EPM) portant sur le droit à un débat oral et contradictoire dans le cadre d'une vérification de comptabilité (3). Certes, la procédure suivie était différente de celle rapportée dans l'arrêt du 11 décembre 2009, mais ces deux jurisprudences visent un élément essentiel constituant la clef de voûte du contrôle fiscal : la loyauté (4) des débats entre les parties.

II - Acte anormal de gestion et aide financière consentie par une société sous-filiale à la société mère en difficulté : CE 3° et 8° s-s-r., 22 janvier 2010, n° 313868, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4550EQL)

Le Conseil d'Etat poursuit son oeuvre prétorienne en matière d'acte anormal de gestion (5) qui constitue une borne au principe de liberté de gestion des entreprises (6). Il est fréquent, dans les relations d'affaires, qu'une société mère vienne en aide à une société filiale en difficulté financière (CE Contentieux, 12 juillet 1978, n° 2138 N° Lexbase : A5131AIU ; CE 9° et 10° s-s-r., 11 avril 2008, n° 284274 N° Lexbase : A8672D7C) et ce afin d'éviter que la déconfiture d'une filiale n'atteigne le renom de la société mère (CE Contentieux, 11 mars 1988, n° 46846 N° Lexbase : A6674APU). La société mère peut, ainsi, abandonner des créances ou consentir un prêt rémunéré par exemple mais l'administration ne peut reprocher le mode opératoire arrêté par la société mère qui a octroyé une subvention et a abandonné des créances alors même qu'elle aurait pu souscrire à une augmentation de capital de sa filiale "précédée ou non d'une réduction de capital" (CE Contentieux, 30 avril 1980, n° 16253 N° Lexbase : A7174AIK ; CE Contentieux, 27 juin 1984, n° 35030 N° Lexbase : A2849AL4). Toutefois, la société mère ne pourra pas opposer l'intérêt général du groupe (CE Contentieux, 19 décembre 1988, n° 55655 N° Lexbase : A7455APS ; CE 3° et 8° s-s-r., 30 mai 2007, n° 285573 N° Lexbase : A5258DWN (7)) et l'aide qu'elle consentira devra répondre soit à son intérêt commercial, soit à son intérêt financier (CE 3° et 8° s-s-r., 10 mars 2006, n° 263183 N° Lexbase : A4850DNX). La question de l'aide d'une société mère à une sous-filiale a fait l'objet d'une jurisprudence favorable mais la décision rapportée inverse la perspective : il s'agissait ici d'une aide consentie par une sous-filiale à sa société mère -aïeule devrait-on dire !- en difficulté. La jurisprudence a, déjà, eu à connaître d'une aide de la filiale à sa société mère (v. ainsi : CE Contentieux, 3 juin 1992, n° 85067 N° Lexbase : A6879AR9 ; CE 9° et 10° s-s-r., 28 mars 2008, n° 277521 N° Lexbase : A5916D7A) et même de la prise en charge, par une sous-filiale, d'une indemnité due par la société mère à la suite de la rupture d'un contrat de distribution (CAA Bordeaux, 5ème ch., 21 novembre 2005, n° 01BX01819 N° Lexbase : A5086DMC).

Mais, au cas particulier, l'aide de la sous-filiale est motivée par des considérations financières et non commerciales : après avoir cédé son unique actif immobilier et apuré ses dettes, la sous-filiale a alors consenti une avance de trésorerie d'un montant de 1 935 000 francs (294 989 euros) à la société mère. Puis, à la clôture de son exercice au 31 décembre 1993, la sous-filiale a constitué une provision pour perte à hauteur de 1 460 000 francs (222 576 euros) compte tenu de la situation financière de la société aïeule emprunteuse. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a estimé qu'une telle opération était constitutive d'un acte anormal de gestion justifiant la mise en recouvrement de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés. Les juges d'appel (CAA Lyon, 5ème ch., 31 décembre 2007, n° 04LY01127 N° Lexbase : A7515D44) et le Conseil d'Etat estiment, par principe, que le fait qu'une sous-filiale qui consent une avance de trésorerie à la société mère en difficulté, avec laquelle elle n'entretient pas de relation commerciale, relève d'un acte anormal de gestion lorsque cette avance, même assortie d'un intérêt, est d'un montant hors de proportion avec la solvabilité du bénéficiaire sauf à avoir agi dans son propre intérêt, c'est-à-dire dans l'hypothèse où l'"avance était nécessaire pour éviter la liquidation de la société mère dans des conditions telles qu'elle entraînerait elle-même sa liquidation". Autrement dit, une sous-filiale ne peut, fiscalement, consentir une avance disproportionnée au regard de la solvabilité de la société mère que si elle est en présence d'un risque avéré de déconfiture par ricochet ; ce qui constitue, il faut bien l'admettre, une hypothèse ultime d'application de la jurisprudence rapportée pour le groupe de sociétés qui serait confronté à cette extrémité. En dehors de ce postulat, on scrutera les solutions offertes par la jurisprudence future au cas où la sous-filiale accorderait une avance proportionnée à la solvabilité de la société bénéficiaire.

III - TVA, réalisation d'activités promotionnelles en France et notion de prestation de services : CAA Paris, 7ème ch., 18 décembre 2009, n° 07PA03991, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5099EQW)

L'article 242-0 M de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L3010HP8) permet aux assujettis établis à l'étranger d'obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée régulièrement facturée ce qui suppose, par conséquent, que l'entreprise ne participe pas à une fraude à la TVA (v. pour des exemples de circuits frauduleux : CAA Paris, 5ème ch., 29 mars 2007, n° 04PA01833 N° Lexbase : A8351DUT ; CAA Paris, 2ème ch., 12 mars 2008, n° 07PA00020 N° Lexbase : A4706D8S) ; la Cour de justice de l'Union européenne ayant précisé qu'un assujetti n'ayant, ou ne pouvant savoir, qu'il participait à son insu à un circuit frauduleux pouvait déduire la taxe sur la valeur ajoutée (CJCE, 12 janvier 2006, aff. C-354/03 N° Lexbase : A3277DMC).

Le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée est également subordonné au respect d'un certain nombre de conditions : ainsi, au cours du trimestre civil ou de l'année civile auquel se rapporte la demande de remboursement, l'assujetti ne doit pas avoir eu en France le siège de son activité ou un établissement stable ou, à défaut, son domicile ou sa résidence habituelle et n'y a pas réalisé, durant la même période, de livraisons de biens ou de prestations de services entrant dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée.

La cour administrative d'appel de Paris nous livre une importante précision quant à cette dernière condition : les faits de l'espèce rapportent que le Consortium Moda in Italy, qui est un regroupement par contrat d'entreprises associées dans l'industrie et l'habillement visant à favoriser l'exportation de produits de ses membres par la réalisation d'activités promotionnelles, a demandé le remboursement de la TVA grevant les achats de biens et de services effectués en France pour les années 1999 et 2000 sur le fondement de l'article précité.

L'administration fiscale a rejeté la demande de remboursement du contribuable au motif que l'organisation de foires et salons en France est une prestation réputée se situer en France dès lors qu'elle y est matériellement exécutée.

Pour annuler le jugement de première instance rendu par le tribunal administratif de Paris qui avait validé la thèse de l'administration fiscale, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris s'appuie sur une décision de la Cour suprême de cassation italienne selon laquelle un tel consortium ne dispose pas de la personnalité juridique et que "ceux qui y sont préposés n'agissent pas pour un organisme distinct des membres du consortium mais directement pour ceux-ci" ; ce qui exclut par ailleurs l'application de la doctrine administrative qui admettait le remboursement de la TVA si, notamment, l'organisme en question n'agissait pas pour le compte d'entreprises déterminées (8). Puis, tout en remarquant que le financement du consortium reposait sur des contributions annuelles de ses membres et d'une répartition de frais à "l'euro près des dépenses engagées dans chaque pays où a lieu la foire, l'exposition ou le salon" ne permettant pas de dégager des bénéfices ou des pertes, la cour administrative d'appel conclut alors, au visa des articles 256 A (N° Lexbase : L5156HLK), 259 (N° Lexbase : L5197HL3) et 259 A (N° Lexbase : L5202HLA) du CGI, que le consortium ne pouvait être considéré comme ayant eu une activité de prestataire de services en France à l'égard de ses membres. On sait que le but lucratif, le bénéfice ou la perte constatée est un critère indifférent en matière de taxe sur le chiffre d'affaires (GAJF, 5ème édition, 2009, p. 708) (9). L'arrêt du juge d'appel prend, alors, soin de motiver sa décision sur le fait que le mode de répartition des frais "ne comporte pas pour le Consortium Moda in Italy, la possibilité de bénéfice ou de risque de perte". On peut rapprocher cet arrêt d'une décision du Conseil d'Etat (CE Contentieux, 24 février 1988, n° 28342 N° Lexbase : A6862APT (10)) et d'une doctrine récente qui a spécifié, s'agissant de sociétés en participation qui n'ont pas la personnalité morale (C. civ., art. 1871 N° Lexbase : L2069ABA) tout comme le Consortium Moda in Italy que "les opérations réalisées entre les associés, ne sont pas imposables à la TVA -parce que situées hors de son champ d'application- si elles sont effectuées dans le cadre du contrat de société et sont conformes à celui-ci. Pour être considérées comme étant effectuées dans le cadre du contrat de société, elles ne doivent entraîner ni possibilité de bénéfice, ni risque de perte pour l'associé qui les effectue par rapport aux autres associés" (E. Desmorieux, Société en participation et TVA, Dr. fisc., 2007, ét. 600).


(1) "Le droit de communication reconnu à l'administration fiscale [...], notamment auprès des entreprises industrielles ou commerciales ou des membres de certaines professions non commerciales, a seulement pour objet de permettre au service, pour l'établissement et le contrôle de l'assiette d'un contribuable de demander à un tiers ou, éventuellement au contribuable lui-même, sur place ou par correspondance, de manière ponctuelle, des renseignements disponibles sans que cela nécessite d'investigations particulières, ou dans les mêmes conditions, de prendre connaissance, et le cas échéant, copie de certains documents existants qui se rapportent à l'activité professionnelle de la personne auprès de laquelle ce droit est exercé ; que, sauf disposition spéciale, il est mis en oeuvre sans formalités particulières à l'égard de cette personne et, lorsqu'il est effectué auprès de tiers, n'est pas soumis à l'obligation d'informer le contribuable concerné ; qu'en revanche, l'administration procède à la vérification de comptabilité d'une entreprise ou d'un membre d'une profession non commerciale lorsqu'en vue d'assurer l'établissement d'impôts ou de taxes totalement ou partiellement éludés par les intéressés, elle contrôle sur place la sincérité des déclarations fiscales souscrites par cette entreprise ou ce contribuable en les comparant avec les écritures comptables ou les pièces justificatives dont elle prend alors connaissance et dont le cas échéant elle peut remettre en cause l'exactitude ; que l'exercice régulier du droit de vérification de comptabilité suppose le respect des garanties légales prévues en faveur du contribuable vérifié, au nombre desquelles figure notamment l'envoi ou la remise de l'avis de vérification auquel se réfère l'article L. 47 du même livre" : CE 8° s-s., 6 octobre 2000, n° 208765 (N° Lexbase : A9611AHG). Seules les personnes énumérées par les articles L. 81 (N° Lexbase : L3950ALU) à L. 102 A du LPF sont soumises au droit de communication. Par conséquent, la jurisprudence sanctionne l'hypothèse où l'administration laisserait croire à un tiers non visé par ces dispositions qu'il doit malgré tout s'y soumettre : CE Contentieux, 1er juillet 1987, n° 54222 (N° Lexbase : A2364APA). V. également : E. Glaser, Droit de communication : quelles garanties pour le contribuable ?, RJF, août/septembre 2008, p. 787.
(2) "Considérant que l'administration ne peut, en principe, fonder le redressement des bases d'imposition d'un contribuable sur des renseignements et des documents qu'elle a obtenus de tiers sans l'avoir informé, avant la mise en recouvrement, de la teneur et de l'origine de ces renseignements ; que, toutefois, lorsque l'administration fonde le redressement d'un contribuable, personne physique, sur des renseignements fournis par cette même personne mais obtenus dans le cadre d'une vérification de la comptabilité de la société dont elle est le mandataire social, les renseignements obtenus ne peuvent être regardés comme provenant de tiers" : CE 8° s-s., 21 mars 2008, n° 284799 (N° Lexbase : A5016D7W).
(3) "Considérant, en second lieu, qu'alors que M. C. soutient que les opérations de contrôle portant sur la période du 1er octobre 1992 au 30 septembre 1993 se sont déroulées du 16 novembre 1993 au 15 juin 1994 sans qu'à aucun moment il n'y ait eu de débat oral et contradictoire, l'administration, qui se borne à indiquer, sans donner aucune date précise, que la vérificatrice s'est rendue à plusieurs reprises sur place, ne fait état d'aucun entretien entre celle-ci et le contribuable, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il y ait eu une autre entrevue que celle du 16 novembre 1993 marquant le début de la vérification au cours de laquelle a été constaté le défaut de comptabilité ; que, par suite, dans les circonstances de l'espèce, M. C. apporte la preuve qui lui incombe de l'irrégularité de la vérification ; qu'il y a lieu, dans cette mesure, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande et de la requête sur ce point, de décharger M. C. des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er octobre 1992 au 30 septembre 1993 et des pénalités correspondantes".
(4) Loyauté par ailleurs rappelée dans La charte du contribuable de septembre 2005 (mise à jour juin 2007, p. 25). Certes, cette charte n'a pas de valeur légale contrairement à la Charte des droits et obligations du contribuable vérifié, cette dernière étant consacrée par l'article L. 10 du LPF (N° Lexbase : L4149ICN). Mais, La charte du contribuable a visiblement une valeur morale.
(5) Afin de mieux cerner la nature de la théorie de l'acte anormal de gestion, le commissaire du Gouvernement Pierre-François Racine a effectué une comparaison avec le concept juridique d'intérêt social pour les sociétés : "une entreprise, surtout lorsqu'elle est constituée sous forme de société, a pour objet la recherche et le partage de bénéfices. Tout acte qu'elle accomplit, pour réaliser cet objet, est présumé effectué dans son intérêt propre. Toutefois, à cet intérêt social, l'une des notions fondamentales du droit des sociétés, certains actes ou opérations peuvent apparaître contraires. Il est, alors, possible à ceux qui prétendent, ainsi, s'immiscer dans la gestion de l'entreprise de demander au juge commercial la nullité de ces actes et, le cas échéant, au juge pénal d'en réprimer l'auteur si l'acte anormal de gestion peut être qualifié de délit, ce qui est le cas, par exemple, pour l'abus de biens sociaux. En droit fiscal, l'acte anormal de gestion est un acte ou une opération qui se traduit par une écriture comptable affectant le bénéfice imposable que l'administration entend écarter comme étrangère ou contraire aux intérêts de l'entreprise [...]. En résumé sur ce premier point, le concept d'acte anormal de gestion est le fruit de l'acclimatation ou de la transplantation en droit fiscal du concept commercial d'acte non conforme à l'intérêt social, mais avec deux différences de taille : seule l'administration peut l'invoquer et elle peut agir d'office" : CE 27 juillet 1984, n° 34588 (N° Lexbase : A7122ALD), RJF, octobre 1984, n° 1233, concl. p. 562.
(6) CE 7 juillet 1958 n° 35977, Dr. fisc., 1958, comm. 938.
(7) "Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient la société requérante, les juges d'appel n'ont ni commis d'erreur de droit ni inversé la charge de la preuve en jugeant que ne pouvaient être regardés comme relevant d'une gestion commerciale normale des abandons de créances consentis, non dans l'intérêt de la société elle-même, mais dans l'intérêt du groupe auquel elle appartient".
(8) "L'Administration admet que les organismes publics ou privés qui ne commercialisent aucun produit, mais représentent leur pays pour un produit ou pour l'ensemble des produits d'un secteur d'activité, sans agir pour le compte d'entreprises déterminées, puissent obtenir le remboursement de la TVA qui leur est facturée au titre des locations et aménagements de stands dans les foires, expositions ou salons internationaux et, le cas échéant, de la diffusion d'annonces publicitaires relatives aux produits", Doc. adm. 3 D 1323, § 59, 2 novembre 1996.
(9) V. cependant le régime des services rendus à leurs adhérents par les groupements constitués par des personnes physiques ou morales exerçant une activité exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée ou pour laquelle elles n'ont pas la qualité d'assujetti (CGI, art. 261 B N° Lexbase : L1591HNA).
(10) "Qu'ainsi les sommes que la Compagnie des Salins du Midi prélève sur le produit des ventes ne peuvent, en raison du mode de répartition des charges qu'elle a adopté, être regardées comme une rémunération de services rendus par elle et pouvant, par là-même, comporter pour elle une possibilité de bénéfice ou un risque de perte ; qu'il s'ensuit que les prélèvements qu'elle opère sur le produit des ventes ne correspondent pas à des affaires au sens des dispositions précitées du Code général des impôts".

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Associations

[Questions à...] Présentation du colloque sur le droit des femmes en France - Questions à Nathalie Leroy, avocate associée de la SCP Lefevre Chevalier & associés et administratrice de l'Association française des femmes juristes (AFFJ)

Lecture: 4 min

N7237BND

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010



Nathalie Leroy, avocate associée de la SCP Lefevre Chevalier & associés et administratrice de l'Association française des femmes juristes (AFFJ), a pris l'initiative d'organiser un colloque sur le droit des femmes en France, qui s'est tenu à Lille le 8 mars 2010, jour de la célébration internationale de la Femme (Lire Etat des lieux du droit des femmes en France et en Europe, Lexbase Hebdo n° 25 du 1er avril 2010 - édition professions N° Lexbase : N7172BNX). Celle-ci a accepté de nous exposer plus en détail l'action de l'AFFJ, les motivations qui l'ont poussée à organiser cet événement, ainsi que ses espoirs et attentes quant à la reconnaissance en France, en Europe et dans le monde, d'une véritable égalité entre les hommes et les femmes.


Lexbase : Pouvez-vous nous présenter l'AFFJ ?

Nathalie Leroy : L'AFFJ a été créée en 2001, sous l'impulsion de Dominique de la Garanderie, première femme Bâtonnier de Paris.

Elle constitue un réseau français, européen et international d'éminentes juristes de tous les horizons, (professeurs de droit, juristes d'entreprises, conseillères d'Etat, notaires, magistrates, avouées, avocates, etc.).

Apolitique, l'association a pour objet de veiller à l'effectivité du droit des femmes, aussi bien dans leur vie professionnelle, civile, sociale, économique et politique, de "pousser" et de soutenir les femmes au sein des organisations et instances nationales et internationales. A cette fin, nous renforçons les liens et les échanges entre les femmes juristes dans le monde (nous travaillons, notamment, beaucoup avec l'European women lawyers association - EWLA) et nous contribuons activement aux actions et aux politiques menées sur le plan européen.

Depuis sa création, notre association a participé à de nombreuses actions (cf. la plaquette de l'AFFJ). Nous avons, en particulier, soutenu les motions concernant les femmes dans tous les pays où leurs droits fondamentaux sont bafoués.

Dernièrement, nous nous sommes lancées dans un lobbying, afin que les hommes cessent de cumuler de nombreux mandats au sein des conseils d'administration des sociétés cotées et laissent plus de sièges aux femmes.

Lexbase : Comment vous est venue l'idée d'organiser ce colloque ?

Nathalie Leroy : Bien que l'Association soit implantée à Paris et qu'une grande partie de son action se déroule en Ile-de-France, sa dimension est nationale et internationale. Nous tenons à garantir une dynamique forte sur l'ensemble du territoire. Des actions doivent, donc, être menées en province.

Ma récente installation à Lille me donne l'occasion de développer l'AFFJ dans cette région et l'idée m'est naturellement venue d'organiser dans cette ville ce premier colloque dédié aux droits des femmes.

Le thème m'était cher. A ma grande surprise, j'ai constaté qu'aucun point sur cette question n'a, jusqu'alors, réellement été fait. Je n'ai connaissance que d'un seul ouvrage très bref récapitulant les droits des femmes. Il m'apparaissait impératif de dresser un état des lieux à un instant "T". Car comment prétendre améliorer un système que l'on n'appréhende pas ?

Lexbase : Pourquoi un partenariat avec Sciences-Po Lille ?

Nathalie Leroy : Choisir Lille s'est d'autant plus imposé que Sciences -Po Lille acceptait d'être partenaire de l'événement.

Cette collaboration était opportune pour nous tous : la prestigieuse école aspire à développer des partenariats dans le domaine du droit, en particulier, avec les avocats, et leur approche enrichit la matière juridique des tenants politiques, sociologiques et économiques.

Nous avons prévu de continuer à travailler ensemble pour l'édition du prochain colloque, en 2011.

Lexbase : Les droits des femmes ont été abordés sous l'angle de trois thématiques : le droit civil, le droit social et la politique. Pourquoi avoir choisi ces trois thèmes ? Quelles matières pourraient être abordées lors de la prochaine édition du colloque ?

Nathalie Leroy : Ces thèmes ont été choisis de façon totalement arbitraire !

Plus sérieusement, bien que je puisse le regretter, la question du droit des femmes est si vaste qu'il faudrait y consacrer plusieurs journées. Si nous voulons faire un point exhaustif de la situation, il est impératif d'analyser chacune des matières juridiques dans lesquelles ces droits ont vocation à s'appliquer, or celles-ci sont nombreuses.

Nous avons, donc, choisi de nous concentrer sur les disciplines essentielles et qui faisaient l'objet d'une actualité importante. Se sont, alors, imposés :

- le droit social, parce qu'il s'agit d'un droit en mouvance permanente et dont une grande partie des problématiques (stress et souffrance au travail, harcèlement, etc.) touchent particulièrement les femmes ; par ailleurs, une échéance importante est fixée, au 31 décembre 2012, les salaires des femmes dans les entreprises devront être alignés sur celui des hommes ;

- le droit civil, qui a récemment connu la réforme du divorce, et qui est le pilier du droit, celui qui régit la plupart des aspects de notre vie ;

- et la politique, marquée, alors, par la campagne des élections régionales.

Nous estimons que trois éditions du colloque seront nécessaires pour dresser un état des lieux complet des droits des femmes en France.

Pour l'heure, nous avons identifié un sujet qu'il nous tient beaucoup à coeur de développer au cours de la deuxième édition, celui de la solidarité fiscale entre époux. Il s'agit, à mon sens d'une véritable zone de non-droit, dans la mesure où un époux peut être responsable des dettes fiscales de sa femme ou de son mari, ceci, quel que soit le contrat de mariage et alors même que le conjoint n'a rien à se reprocher. La situation est d'autant plus scandaleuse que le dernier recours permis est celui du recours gracieux, dans le cadre duquel la libre appréciation de l'administration fiscale fait loi.

Lexbase : Quelle conclusion pour cette journée d'échanges quant à la place de la femme dans notre société ?

Nathalie Leroy : Je constate, en premier lieu, que l'événement a réuni plus de deux cent participants, dont, parmi eux, beaucoup d'hommes. Je suis agréablement surprise par leur présence, qui témoigne de leurs préoccupations sur la question de la protection des femmes et de leur place dans notre société. Preuve que les choses évoluent.

Les travaux étaient d'autant plus intéressants que tous les sujets ont été abordés et approfondis en toute neutralité, sans aucune revendication déplacée. A la lumière de ceux-ci, il est évident que le droit des femmes est en marche. Le chemin risque, cependant, d'être encore long. Nombreux sont les textes qui ne sont pas encore conformes ou qui ne sont pas encore appliqués conformément.

Pour ma part, bien évidemment, je n'ai qu'un seul souhait : voir cette manifestation tomber en désuétude rapidement. Mais, je reste réaliste, tant les combats sont nombreux. René Despieghelaere, Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Lille, a mentionné en conclusion du colloque, l'ouvrage d'Elisabeth Badinter, publié début 2010 et intitulé Le conflit : la femme et la mère. Elle y constate un déclin inquiétant des droits de la femme et dénonce, en particulier, le retour en force d'une idéologie naturaliste, tendant à la confiner à son seul rôle de mère.

Indéniablement, la pression que la société impose aux femmes aujourd'hui et la culpabilité qui, pour elles en découle, sont encore "énormes".

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Quand l'employeur "épuise son pouvoir disciplinaire"

Réf. : Cass. soc., 16 mars 2010, n° 08-43.057, Association Sainte-Anne, FS-P+B (N° Lexbase : A8091ETT)

Lecture: 7 min

N7184BNE

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Le pouvoir disciplinaire dont dispose l'employeur dans l'entreprise constitue un véritable pouvoir de sanction comparable, par certains aspects, au pouvoir de sanction de l'administration fiscale, voire du juge pénal. Du fait de ces ressemblances, le régime juridique des sanctions disciplinaires emprunte parfois au régime de la sanction pénale. L'hypothèse la plus connue est bien sûr celle de l'utilisation implicite par le juge de l'adage non bis in idem. Lorsque l'employeur sanctionne un salarié pour un fait fautif, il est considéré comme ayant "épuisé son pouvoir disciplinaire". La Chambre sociale de la Cour de cassation nous offre, dans un arrêt rendu le 16 mars 2010, une nouvelle hypothèse d'épuisement de son pouvoir de sanction par l'employeur. En effet, cette décision précise que l'employeur qui choisit sciemment de sanctionner certains faits fautifs et d'en laisser d'autres impunis perd son pouvoir de sanctionner les faits ignorés lors de la première sanction (I). Cette règle, dont le fondement est difficile à identifier, peut tout de même être rapprochée de celle tirée de l'adage non bis in idem (II).
Résumé

Lorsque l'employeur, informé de l'ensemble des faits reprochés à une salariée, choisit de lui notifier un avertissement seulement pour certains d'entre eux, il épuise son pouvoir disciplinaire et ne peut prononcer un licenciement pour des faits antérieurs.

I - Une nouvelle hypothèse d'épuisement du pouvoir disciplinaire de l'employeur

  • L'application de l'adage non bis in idem en droit du travail

L'hypothèse classique d'épuisement du pouvoir disciplinaire de l'employeur correspond à l'application de l'adage non bis in idem. Malgré le silence du Code du travail en la matière, la Cour de cassation a très tôt transposé cette règle du droit pénal à la discipline dans l'entreprise (1).

Ce principe, consacré par l'article 4 du protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (2) et matérialisé par l'article 368 du Code de procédure pénale (3), implique que nul ne peut être condamné une seconde fois pour des faits pour lesquels il a déjà été définitivement jugé.

Après quelques hésitations (4), la Chambre sociale de la Cour de cassation a clairement formulé l'interdiction de sanctionner une deuxième fois une faute du salarié ayant déjà donné lieu à une sanction disciplinaire de l'employeur (5).

La règle s'applique de manière très stricte à deux conditions.

  • Première condition : l'existence d'une première sanction

D'abord, la règle ne limite la faculté de sanction de l'employeur qu'à la condition que la mesure envisagée soit effectivement une sanction. Ainsi, par exemple, a-t-il été jugé que le prononcé d'une mise à pied conservatoire n'amputait pas le pouvoir de l'employeur de prononcer une sanction puisque la mise à pied conservatoire n'a pas la nature d'une sanction (6). De la même manière, la Chambre sociale a pu juger que la révocation du mandat social du salarié n'était pas une sanction et ne s'opposait donc pas au licenciement disciplinaire pour les mêmes faits (7).

En revanche, lorsque la première mesure adoptée a bien la nature d'une sanction, la règle s'applique systématiquement. Selon la formule consacrée par la Cour de cassation, l'employeur dans cette hypothèse a "épuisé son pouvoir disciplinaire". La Cour de cassation permet néanmoins à l'employeur de tenir compte de faits antérieurs déjà sanctionnés pour venir à l'appui d'une sanction réprimant des faits nouveaux, ce afin de justifier le caractère aggravé de cette dernière (8), à condition toutefois que les faits invoqués ne soient pas plus anciens que trois ans (9).

  • Deuxième condition : la sanction d'un fait identique

Ensuite, la règle non bis in idem ne peut trouver à s'appliquer qu'à la condition que ce soient les mêmes faits que l'employeur entende sanctionner une seconde fois. Cette règle n'est, en effet, qu'une illustration de l'autorité de la chose jugée en matière pénale, si bien que la règle de la triple identité -identité d'objet, identité de parties et, surtout, identité de cause- délimite l'application de l'adage.

Or, l'espèce commentée semble faire une entorse à cette condition d'identité de faits sanctionnés.

  • En l'espèce

Une salariée, engagée en qualité de directrice d'une maison de retraite, a été licenciée pour faute grave par l'association qui l'employait. L'association formulait, dans la lettre de licenciement, plusieurs griefs à l'égard de la salariée. Il était, en effet, reproché à celle-ci de s'être unilatéralement octroyé une augmentation substantielle de sa rémunération ; d'avoir menti sur ses conditions d'emploi chez son précédent employeur ; d'avoir adopté un comportement inadmissible avec une candidate à l'embauche et de l'avoir ultérieurement menacé afin que celle-ci retire les griefs qu'elle avait formulé après l'entretien auprès du président de l'association ; enfin, d'avoir laissé se développer un climat délétère avec les partenaires habituels de l'association.

L'ensemble de ces faits avait eu lieu avant le mois de décembre 2004, au cours duquel l'association avait sanctionné la directrice par un avertissement en raison du comportement adopté par elle lors de l'entretien d'embauche de la candidate à l'emploi. S'appuyant sur l'antériorité de tous ces faits par rapport à l'avertissement, la cour d'appel de Lyon jugeait qu'en prononçant l'avertissement, l'employeur avait épuisé son pouvoir de sanction à l'égard de l'ensemble des faits antérieurs à celui-ci, si bien que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse (10).

Argumentant principalement sur le fondement de l'adage non bis in idem et de l'identité de cause qu'il implique, l'association appelait la Cour de cassation à casser cette décision, estimant ne pas avoir perdu son pouvoir disciplinaire par le prononcé de cet avertissement. La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette cependant le pourvoi par cet arrêt du 16 mars 2010. Elle juge, pour cela, "que, bien qu'informé de l'ensemble des faits reprochés à la salariée, l'employeur avait, le 17 décembre 2004, choisi de lui notifier un avertissement seulement pour certains d'entre eux", si bien que "la cour d'appel [avait] exactement décidé que ce dernier avait épuisé son pouvoir disciplinaire et ne pouvait prononcer un licenciement pour des faits antérieurs à cette date".

II - Le fondement incertain de l'épuisement du pouvoir disciplinaire

  • Une catégorie générique : l'épuisement du pouvoir de sanction de l'employeur

Il convient de relever que, comme à son habitude, la Chambre sociale ne se réfère pas à l'adage non bis in idem, alors qu'il s'agit d'une hypothèse de cumul de sanction. Cependant, il est probable que, contrairement aux hypothèses dans lesquelles il s'agit bien de refuser la faculté de sanctionner deux fois un même fait, il s'agisse plutôt ici de refuser la possibilité de sanctionner des faits qui n'ont pas été sanctionnés une première fois à l'occasion du prononcé d'une sanction.

Il faudrait, dès lors, considérer que l'usage par la Cour de cassation de la formule selon laquelle l'employeur a "épuisé son pouvoir disciplinaire" puisse faire référence à deux situations distinctes. Cela pourrait, d'abord, correspondre à une hypothèse d'application de la règle non bis in idem. Cela pourrait, également, correspondre à une hypothèse de sanction prononcée par l'employeur pour certains faits seulement, les autres faits étant d'une certaine manière considérés comme ne méritant pas d'être sanctionnés.

  • L'exigence de la connaissance par l'employeur des faits non sanctionnés

On relèvera que ce n'est pas la première fois que la Chambre sociale juge que l'employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire en prononçant une sanction pour certains faits seulement, laissant d'autres fautes impunies lors du prononcé de la sanction (11). L'espèce commentée apporte cependant une utile précision en disposant que l'employeur perd la faculté de sanctionner les faits antérieurs s'il était "informé de l'ensemble des faits reprochés à la salariée" au moment du prononcé de la sanction.

La grande difficulté soulevée par cette décision tient à ce qu'il paraît très compliqué d'en identifier le fondement. Certes, cela n'étonne guère puisque la Chambre sociale fait déjà application de l'adage non bis in idem à défaut de tout fondement textuel et alors même que cette maxime paraissait réservée à la matière criminelle. Cependant, la solution posée dans cet arrêt va plus loin puisqu'elle prive l'employeur non pas d'une double sanction, mais d'une sanction tout court.

  • Les interrogations quant au fondement de la solution

La solution peut tout de même s'expliquer au regard de deux considérations.

D'abord, cette solution permet de ne pas multiplier les procédures disciplinaires dans l'entreprise et, ainsi, d'éviter que le salarié fautif demeure toujours dans l'expectative et la crainte d'une nouvelle sanction pouvant intervenir tant que les faits ne sont pas prescrits. La privation du pouvoir de sanctionner ne constitue pas non plus une injustice à l'égard de l'employeur puisque celui-ci avait connaissance des fautes du salarié et qu'il les a volontairement laissées impunies.

Ensuite, la solution adoptée peut être implicitement rapprochée des origines de l'adage non bis in idem. En effet, si cette règle permet d'éviter une double sanction, elle permettait également, dès l'origine de son apparition, d'interdire toute sanction contre une faute dont l'auteur aurait judiciairement été disculpé ou pour laquelle il aurait expressément été décidé de ne pas lui infliger de sanction malgré sa culpabilité (12). C'est encore aujourd'hui cette idée qui émane de l'article 4 du protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'Homme et de l'article 368 du Code pénal : aucune sanction ne peut être prononcée contre une personne qui a été acquittée. Dans une certaine mesure, la décision de l'employeur de ne pas sanctionner un fait commis par le salarié dont il avait connaissance pour seulement en sanctionner d'autres peut être comparée à une décision d'acquittement prononcée par l'employeur.

  • Une règle d'un maniement délicat pour les employeurs

Il conviendra cependant que les employeurs soient très prudents en cas de fautes multiples d'un salarié puisqu'il leur faudra alors concilier avec habileté la volonté de sanctionner tous les faits fautifs et les délais de prescription qui, rappelons-le, sont relativement courts en matière disciplinaire (13).

En effet, l'affirmation de la règle posée par la Chambre sociale implique que l'employeur ne pourra pas, face à des fautes multiples, en sanctionner certaines et se réserver un temps de réflexion ou d'enquête avant de décider s'il entend sanctionner les autres fautes. L'employeur devra établir une stratégie de sanction globale de l'ensemble des faits reprochés, le tout en respectant le délai de deux mois imposé par la loi. Dans certaines affaires complexes, un tel calcul risque de ne pas être une sinécure, et devrait malheureusement inciter les employeurs à utiliser directement la sanction la plus lourde que constitue le licenciement...


(1) On relèvera, cependant, que la Cour de cassation ne fait pas expressément référence à cet adage qui est théoriquement réservé à la matière pénale et dont l'intitulé exact est non bis in idem crimen. Sur l'adage non bis in idem, v. H. Roland, L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 4ème éd., 1999, pp. 534 et s..
(2) Art. 4 : "Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat".
(3) C. proc. pén., art. 368 (N° Lexbase : L4375AZ3) : "Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente".
(4) V., par ex., Cass. soc., 15 mars 1973, n° 72-4.0009, Société Docks Rémois familistère SA c/ C. Stock, publié (N° Lexbase : A5335CH3) ; Cass. soc., 8 novembre1978, n° 76-41052, SNC Bancel et Choiset c/ Scholtes, publié (N° Lexbase : A6690CGU).
(5) Cass. soc., 27 septembre 1984, n° 82-41.346, SA Amystore c/ Pierre (N° Lexbase : A0614AAY) ; Cass. soc., 27 juin 2001, n° 99-42.216, M. Youssef Daouai c/ M. Daniel Bigot (N° Lexbase : A5738AGM) ; J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 4ème éd., 2008, pp. 319 et s..
(6) Cass. soc., 3 décembre 1987, n° 85-41.211, M. Squelart c/ Société Garage du Bugey (N° Lexbase : A9296AAK). Au contraire, la mise à pied disciplinaire constituant une sanction, elle ne peut être cumulée avec une autre sanction comme, par exemple, un licenciement. V. Cass. soc., 3 mai 2001, n° 99-40.936, Société Minoterie Jambon c/ M. Pascal Mazet (N° Lexbase : A3440ATL), Dr. soc., 2001, p. 890, obs. J. Savatier.
(7) Cass. soc., 7 avril 1993, n° 91-42.914, Duchat c/ SNEA (N° Lexbase : A8500AGW).
(8) Cass. soc., 18 octobre 1990, n° 88-44.579, SNC Pavillons Modernes c/ Vengeon (N° Lexbase : A1747ABC).
(9) C. trav., art. L. 1332-5 (N° Lexbase : L1869H94) : "Aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction".
(10) CA Lyon, ch. soc., sect. A, 29 avril 2008, n° 07/02531, Mme Huguette Lalli c/ Association Sainte-Anne (N° Lexbase : A6750EK9).
(11) Cass. soc., 7 février 1995, n° 93-43.573, Société anonyme Bouygues c/ M. Miloud Belgacem (N° Lexbase : A9412CNW), Jurispr. soc. UIMM, 1995, p. 212 ; Cass. soc., 12 octobre 1999, n° 96-43580, Société Paris Drive Mac Donald's c/ M. Fol (N° Lexbase : A2185CHE), TPS, 1999, comm. 412, P.- Y. Verkindt.
(12) Sur les origines de la règle, v. à nouveau H. Roland, L. Boyer, Adages de droit français, préc..
(13) C. trav., art. L. 1332-4 (N° Lexbase : L1867H9Z).


Décision

Cass. soc., 16 mars 2010, n° 08-43.057, Association Sainte-Anne, FS-P+B (N° Lexbase : A8091ETT)

Rejet, CA Lyon, ch. soc., sect. A, 29 avril 2008, n° 07/02531, Mme Huguette Lalli c/ Association Sainte-Anne (N° Lexbase : A6750EK9)

Textes cités : néant

Mots-clés : pouvoir disciplinaire ; cumul de sanctions ; faits fautifs non sanctionnés ; épuisement du pouvoir de sanction de l'employeur

Lien base : (N° Lexbase : E2788ETG)

newsid:387184

Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Avril 2010

Lecture: 21 min

N7183BND

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique, on retiendra, d'abord, un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 25 février 2010, qui revient sur l'absence de bonne foi de l'assuré comme de l'assureur en matière de renonciation à des contrats d'assurances vie ; ensuite, dans le domaine de l'assurance dommages-ouvrage, la troisième chambre civile de la Cour de cassation apporte, par un arrêt du 3 mars 2010, des précisions sur les désordres sécuritaires rendant l'ouvrage impropre à sa destination ; enfin, un arrêt rendu le 17 février dernier, par la première chambre civile, mérite également d'être signalé puisque s'il ne porte pas sur la technique du droit des assurances, à proprement parler, il pose, grâce à la pugnacité d'un assuré, une question qui intéressera tout plaideur.
  • L'absence de bonne foi de l'assuré comme de l'assureur en matière de renonciation à des contrats d'assurances vie (Cass. civ. 2, 25 février 2010, n° 09-11.352, FS-P+B N° Lexbase : A4486ESX)

Décidément, l'article L. 132-5-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L9839HE7) donne lieu à un contentieux nourri. L'intérêt est qu'il connaît des variations, fussent-elles sur un même thème. Il n'a désormais échappé à personne s'intéressant aux assurances vie au cours de ces dernières années, que le débat s'était cristallisé sur l'opportunité de la sanction en cas d'absence de respect du formalisme prévu par cet article L. 132-5-1. Ce dernier fait preuve d'exigences en matière d'informations devant être fournies à l'assuré par l'assureur lors de la formation du contrat d'assurance, à de rares exceptions près que nous avions espérées plus fréquentes (1). La Cour de cassation a, ainsi, admis que, même plusieurs mois après la conclusion du contrat d'assurance vie, l'assuré peut solliciter la sanction du texte, sans que les tribunaux aient à vérifier sa bonne foi.

La réitération de ce dernier propos s'effectue en quasi rafale de la part de la Cour de cassation, depuis plus de trois ans (2). Et, cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 25 février 2010, en est une énième illustration, pour employer un euphémisme courtois tant il serait tentant d'utiliser l'une de ces formules triviales relative à l'art de repeindre une pièce de son logement en prévoyant une épaisseur certaine... Si l'on a conservé ces premiers arrêts en mémoire, notre Haute juridiction rend donc, sur ce point, une décision qui ne surprend guère -même si elle ne manque pas d'étonner le civiliste qui, à tout le moins, sommeille dans tout spécialiste de droit des assurances-, par cette forme d'entêtement consistant à dire et redire encore que l'exercice de la faculté de renoncer au contrat est "discrétionnaire pour l'assuré dont la bonne foi n'est pas requise" alors que plusieurs années s'étaient écoulées entre la formation du contrat et la demande de renonciation, années au cours desquelles des opérations de gestion avaient eu lieu.

Ce qu'il est permis de penser de cette affirmation et de la prééminence du formalisme a déjà été souligné au sein même de cette revue. Il est donc inutile de répéter que l'affirmation du droit discrétionnaire par la Cour de cassation suffirait à légitimer la décision, sans qu'il soit indispensable de préciser que la bonne foi de l'assuré n'est pas examinée tant une telle affirmation ne peut que heurter le civiliste empreint de l'aura et des vertus pédagogiques comme juridiques de certaines dispositions. En revanche, il ne faut pas nier que les assureurs, maintenant au moins, peuvent difficilement ignorer qu'ils sont tenus de fournir à la fois certaines informations à leurs futurs assurés ou adhérents et qu'ils doivent également leur remettre un modèle de lettre ayant pour objectif de faciliter leur demande d'exercice de leur faculté de renonciation au contrat.

Encore une fois, que nos Hauts magistrats aient le souci de protéger les assurés ne peut que faire l'objet d'une totale approbation. Les contrats d'assurance vie sont devenus des produits financiers dont les titulaires ne mesurent pas toujours le sens même, la portée et les conséquences. Que le sens de leurs décisions ait été guidé par la complexité de ces contrats en unités de compte qui, même par les spécialistes de droit des assurances, ne sont pas toujours tout à fait compris, nul ne le conteste. Qu'une multiplication de précautions soit imposée au souscripteur de l'accord de volonté, lequel est, en réalité, un contrat d'assurance de groupe dont les énoncés de la seule définition dans le Code des assurances plonge le lecteur dans un abîme de perplexité, nous pouvons l'admettre volontiers.

Cependant, la contribution de cet arrêt à la construction jurisprudentielle sur ce sujet ne se limite toutefois pas à cet aspect. En 2000, une personne souscrit trois contrats d'assurance sur la vie en unités de compte. Cet assuré procède au rachat total de l'un des contrats et au rachat partiel des deux autres, traduction pratique, ordinaire de nos jours, des différentes facultés que lui accorde le Code des assurances. Les deux contrats ont fait, ensuite, l'objet d'une délégation de créance au profit d'une banque en garantie d'une ouverture de crédit plutôt modeste, toute proportion gardée, d'un peu plus de 60 000 euros. Or, deux ans plus tard, par lettre recommandée avec avis de réception, l'assuré demande à son assureur d'exercer sa faculté de renoncer aux deux contrats. Ce dernier refuse, rappelant des affaires antérieures.

Du procès engagé, l'élément nouveau qui retient l'attention provient de la position de la Cour de cassation, laquelle énonce que "le souscripteur d'un contrat d'assurance sur la vie, qui a exercé son droit de renonciation au contrat en application de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, peut y renoncer en poursuivant l'exécution du contrat". C'est que l'assureur, malin, tentait de démontrer que l'assuré avait renoncé à exercer son droit à renonciation au contrat d'assurance en prolongeant la délégation de créance qu'il avait accordée à la banque. Il oubliait seulement qu'il avait fait la sourde oreille à la demande de renonciation au contrat d'assurance de ce même assuré.

Si la cour d'appel s'était révélée sensible à l'argument, la Cour de cassation refuse d'entendre le propos. C'est que la loi prévoit que l'assureur doit répondre dans le délai d'un mois à compter de la demande de renonciation à un contrat d'assurance vie. En l'espèce, c'est par son silence que l'assureur s'était fait remarquer. En face d'une telle attitude, l'assuré ne disposait guère de possibilités : ou bien, il assignait aussitôt l'assureur afin de voir respecté son droit ; ou bien, il prenait acte de la violation des obligations de ce dernier et, pressé sans doute par son banquier, il procédait aux opérations réclamées par celui-ci. Entre deux maux, il faut choisir... encore que le choix soit cornélien. Il a commencé par la seconde option, pour opter, finalement, pour la première.

C'est sans doute aussi en raison de l'impasse dans laquelle se retrouve l'assuré en cas de silence de l'assureur à l'issue de sa demande de renonciation au contrat que la Cour de cassation apparaît intransigeante. Quoi qu'il en soit, elle mérite, là, d'être plutôt approuvée. Il est classique que la jurisprudence veille à ce que la renonciation d'une partie à un droit dont elle dispose soit claire, certaine et sans ambiguïté. Or, justement, l'attitude de l'assuré dans le cas présent ne laisse pas apparaître une telle volonté de sa part. Le prolongement de la délégation de créance ne traduit pas un souhait net. Elle consiste davantage en une sorte de mesure conservatoire adoptée par l'assuré échaudé par le refus de l'assureur de lui accorder le droit qui est le sien, quoique l'on puisse en penser par ailleurs.

Par conséquent, le second moyen de l'arrêt ne saurait, lui, faire l'objet d'une réprobation. La marge de manoeuvre de l'assureur s'avère donc étroite, pour ne pas dire inexistante. Et la protection de l'assuré maximale.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • Assurance dommages-ouvrage et "désordres sécuritaires" rendant l'ouvrage impropre à sa destination (Cass. civ. 3, 3 mars 2010, n° 07-21.950, FS-P+B N° Lexbase : A6471ESH)

L'article L. 242-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1892IBP) oblige "toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l'ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, fait réaliser des travaux de construction, [à] souscrire avant l'ouverture du chantier, pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1 (N° Lexbase : L1921ABR), les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l'article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ)".

L'assurance dommages-ouvrage se calque, ainsi, sur la responsabilité fondée sur l'article 1792 du Code civil, en vertu duquel "tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination".

La responsabilité décennale, loin de se restreindre à l'hypothèse de désordres compromettant la solidité de l'ouvrage, englobe les désordres rendant l'ouvrage impropre à sa destination. Il est possible qu'un désordre réponde à la fois aux deux critères. Il est également possible que, sans porter atteinte à la solidité de l'ouvrage, le désordre en affecte la destination.

Cette notion d'impropriété de l'ouvrage à sa destination n'est pas toujours aisée à cerner et une grande casuistique règne en ce domaine. La doctrine y voit, à raison, une notion "fonctionnelle" (3).

L'arrêt rapporté, rendu par la troisième chambre civile, le 3 mars 2010 et destiné au Bulletin, apporte une intéressante contribution à cette question de la délimitation du champ des assurances obligatoires en matière de construction. L'apport de l'arrêt tient essentiellement à sa nature d'arrêt de censure. En effet, la cour d'appel avait considéré que, pour les désordres litigieux, l'assureur dommages-ouvrage était fondé à contester sa garantie, puisque, dixit ces juges du fond, ceux-ci ne "saurai[ent] relever des dispositions des articles 1792 du Code civil et L. 242-1 du Code des assurances".

Pourtant, ce n'est pas la première fois que la Haute juridiction opère de la sorte, car tantôt elle censure des juridictions qui retiennent la responsabilité décennale sans constater que les désordres portent atteinte à la solidité de l'ouvrage ou le rendent impropre à sa destination (4), tantôt, comme en l'espèce, les Hauts magistrats condamnent pour manque de base légale lorsque les juges du fond n'ont pas examiné s'il n'y avait pas impropriété à la destination (5). Dans l'arrêt du 3 mars 2010, la Cour de cassation s'inscrit dans cette logique, opérant une double censure à l'encontre des juges n'ayant pas examiné si les désordres litigieux ne rendaient pas l'ouvrage impropre à sa destination.

Quels étaient donc ces "désordres de la discorde", considérés par les juges du fond comme extérieurs au champ de l'article 1792 du Code civil, donc de celui de l'article L. 242-1 du Code des assurances ? Il s'agit ici, en premier lieu, de "la largeur insuffisante du passage piéton le long de la porte basculante d'un garage" et, en second lieu, "du défaut de report d'alarme de la porte basculante du garage vers la loge du gardien". Sous ces deux formes, le désordre dénoncé a trait à la sécurité.

Par conséquent, l'arrêt nous semble propice à une réflexion sur la "destination sécuritaire" de l'ouvrage construit. Il y a, nous semble-t-il, matière à réfléchir autour du point de savoir si la sécurité des personnes constitue, en toute hypothèse, un critère de la destination de chaque ouvrage construit ou si l'usage d'un tel critère devrait être réservé aux seules constructions dont une sécurité supérieure à "la normale" est exigée, par exemple en raison du public hébergé dans le bâtiment construit (personnes âgées, enfants, handicapés, etc.) ?

La première analyse semble bien s'imposer en jurisprudence. La sécurité (à laquelle chacun peut légitimement s'attendre aussi en droit de la construction !) est une composante essentielle des ouvrages. Dans ce contexte, les juges du fond ont souvent retenu l'application de la garantie décennale chaque fois qu'il existe un risque pour la sécurité des usagers de l'ouvrage considéré et/ou des passants. Ainsi, un auteur (6) évoquait :

- un arrêt de la cour d'Aix-en-Provence du 14 novembre 2002 (7) qui a retenu l'application de l'article 1792 du Code civil justement à propos d'un défaut de conformité des immeubles aux règles de sécurité incendie ;
- un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 25 juin 2002 (8) qui a admis l'application de l'article 1792 du Code civil à propos du mauvais positionnement d'un conduit de fumée ne respectant pas les distances réglementaires, rendant l'ouvrage impropre à sa destination du fait du danger potentiel que présente le conduit dont s'agit pour la sécurité des occupants ;
- ainsi encore une décision ayant admis l'application de la garantie décennale en cas de non-respect de la réglementation sur l'accessibilité aux handicapés (9).

La doctrine approuve cette jurisprudence, considérant que la sécurité des personnes justifie ces analyses. En revanche, M. Karila (10) s'est élevé contre une approche trop extensive de l'impropriété de l'ouvrage à sa destination poussant à considérer comme de nature décennale tous les défauts de conformité aux réglementations en dehors de tout danger pour la sécurité des personnes, citant notamment l'hypothèse d'une non-conformité de toilettes à un règlement sanitaire départemental (hauteur sous plafond) (11).

La Cour de cassation, dès avant l'arrêt rapporté, a prêté main forte à cette analyse d'un risque d'atteinte à la sécurité des personnes en un désordre portant atteinte à la destination de l'ouvrage. Et l'on notera que le Conseil d'Etat partage cette même analyse, comme dans cette décision (12), ayant considéré que "engagent la responsabilité des constructeurs au titre de la garantie découlant des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du Code civil les défauts de conformité d'une construction aux normes de sécurité, désordres non apparents lors de la réception définitive et qui rendent l'ouvrage impropre à sa destination alors même qu'il a été mis en service".

C'est, notamment, à propos d'ouvrages conçus sans respecter la réglementation parasismique, que la Cour de cassation a eu l'occasion d'exprimer son analyse. Par un arrêt du 25 mai 2005 (13), la Haute juridiction a considéré que "les défauts de conformité aux règlements parasismiques étaient multiples, portaient sur des éléments essentiels de la construction et constituaient un facteur d'ores et déjà avéré et certain de perte de l'ouvrage par séisme, la cour d'appel a pu en déduire que la garantie décennale était applicable". Il est vrai qu'ici, se conjuguent à la fois atteinte à la sécurité des personnes et atteinte (potentielle) à la solidité de l'ouvrage, impropre à résister à un séisme. La démonstration doit-elle aussi convaincre du risque d'une réalisation probable au cours du délai décennal ?

A priori oui, car il en va du respect du caractère "actuel" du désordre. La Cour de cassation se fait ici parfois exigeante, notamment lorsqu'elle censure une cour d'appel ayant considéré "que la corrosion qui atteint les lames va nécessairement à terme entraîner leur destruction, ce qui empêcherait une utilisation des balcons conforme à leur destination, que les désordres devant entraîner à court terme, dans un avenir prévisible, une impropriété de l'ouvrage à la destination ressortissent à la garantie décennale prévue par l'article 1792 du Code civil", en énonçant : "qu'en statuant ainsi, sans constater que l'atteinte à la destination de l'ouvrage interviendrait avec certitude dans le délai décennal".

La Cour de cassation répond elle-même à cette exigence de certitude de l'atteinte lorsque, dans l'arrêt précité du 25 mai 2005, elle spécifie que le risque est "avéré et certain". Par une décision ultérieure (14), elle a confirmé son analyse. Alors que les juges du fond avaient considéré que la preuve n'était pas rapportée que "à raison des défauts de conformité la perte de l'ouvrage par séisme interviendrait avec certitude dans le délai décennal", la troisième chambre civile réplique : "les défauts de conformité à la norme parasismique étaient de nature décennale dès lors qu'ils étaient multiples, qu'ils portaient sur des éléments essentiels de la construction, qu'ils pouvaient avoir pour conséquence la perte de l'ouvrage, le risque de secousses sismiques n'étant pas chimérique dans la région où se trouve la construction, classée en zone de risque 1b, et qu'ils faisaient courir un danger important sur les personnes, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé" l'article 1792 du Code civil.

L'enseignement est clair : le risque probable, ici conjugué de perte de l'ouvrage et d'atteinte à la sécurité des personnes, justifie l'analyse en un désordre décennal. Il nous semble que, en toute occurrence, l'atteinte actuelle à la sécurité des personnes dispense de toute discussion sur une éventuelle atteinte à la solidité de l'immeuble du fait d'une réalisation du risque (qui à la fois détruirait l'immeuble et causerait des dommages aux personnes). En outre, on n'oubliera pas que l'impropriété à la destination de l'ouvrage s'apprécie d'abord au regard de la destination prévue par les parties. Au chapitre de la sécurité, il y a donc place pour la sécurité convenue. Mais, il y a également lieu de tenir compte de la sécurité "à laquelle on peut légitimement s'attendre", c'est-à-dire d'une conformité de l'ouvrage et de ses équipements à des conditions "normales" d'utilisation dans des conditions "normales" de sécurité.

Cette prise en compte du risque avéré car hautement probable est également confortée par la sanction des désordres dévolutifs. C'est ainsi, par exemple, qu'un arrêt du 10 janvier 1990 (15), a retenu que "les défauts notés à la réception définitive comme affectant l'installation électrique ne se sont révélés que par la suite dans toute leur ampleur et leurs conséquences sur l'ensemble de l'installation, au point de la rendre dangereuse, la cour d'appel a, souverainement et sans contradiction, décidé qu'ils constituaient un vice caché et en a exactement déduit qu'ils relevaient de la garantie décennale" L'arrêt examiné du 3 mars 2010 s'inscrit bien dans cette ligne jurisprudentielle très ferme pour sauvegarder la sécurité des personnes.

Les juges du fond sont ici censurés pour n'avoir pas voulu examiner si les désordres liés, en premier lieu, à "la largeur insuffisante du passage piéton le long de la porte basculante d'un garage" et, en second lieu, au "défaut de report d'alarme de la porte basculante du garage vers la loge du gardien", ne constituaient pas des causes d'atteinte à la destination de l'ouvrage.

Il appartiendra à la cour de renvoi d'en conduire l'analyse et seule une connaissance exacte du dossier permettrait de se faire une opinion. Toutefois, nul ne sera surpris qu'elle tienne pour impropre à sa destination un ouvrage qui expose les usagers de cet ouvrage et/ou des passants qui longeraient celui-ci à un risque pour leur personne. Or, si l'on suppute à partir de ces éléments, on croit comprendre que les désordres reprochés exposent :

- les usagers à ne pas pouvoir être secourus par le gardien de l'immeuble en cas de dysfonctionnement de la porte basculante du garage (faute de "report d'alarme"), et
- les piétons à un risque d'accident du fait de "la largeur insuffisante du passage piéton le long de la porte basculante d'un garage".

Il est, en outre, d'évidence de rappeler à chacun des acteurs concernés (maître de l'ouvrage, constructeur, architecte, assureurs, etc.) l'importance du critère de la sécurité des personnes au chapitre du risque décennal, pour que, parfaitement intégré lors de la conception et de la réalisation du projet, soit évitée toute "bataille juridique"...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit, Membre de l'Institut de Recherche en Droit privé (IRDP)

  • Sécurité juridique de l'assuré et principe prétendu de cohérence des décisions de justice : plaidoyer (involontaire) pour la connexité ? (Cass. civ. 1, 17 février 2010, n° 09-10.319, F-P+B N° Lexbase : A0488ESU)

C'est un arrêt très intéressant qu'a rendu la première chambre civile le 17 février 2010. Publié au Bulletin, il ne porte pas sur la technique du droit des assurances, mais pose, grâce à la pugnacité d'un assuré, une question qui intéressera tout plaideur.

Notre assuré, véritable "Don Quichotte", n'avait pas choisi une voie facile : celle de se prévaloir d'une atteinte au principe de sécurité juridique pour s'attaquer tout à la fois à la procédure de non-admission des pourvois et pour obtenir de l'Etat, sous forme d'indemnité pour dysfonctionnement du service public de la justice, l'indemnité d'assurance dont il a été privé par décision d'une cour d'appel à l'encontre de laquelle il a formé un pourvoi jugé non-admissible par la Cour de cassation au moyen de la procédure, expéditive, de non-admission des pourvois. Pour comprendre les "raisons de la colère" de cet assuré, il faut se plonger dans la lecture des faits et de la procédure.

Deux sociétés (appelons-les A et B), dirigée par une même gérante, exploitent, chacune, un commerce de parfumerie, la première à Tulle, la seconde à Ussel. Elles ont été victimes d'un vol commis selon le même mode opératoire, par des individus se faisant passer pour des clients. Leurs assureurs respectifs (appelons-les C et D) ont refusé de les indemniser en invoquant une clause identique dans les deux contrats. A lire l'arrêt, on croit comprendre que ces deux contrats ne couvraient que les vols commis par des personnes "qui se seraient introduites ou maintenues clandestinement dans les locaux où se trouvent les biens assurés". Le vol ayant été, apparemment, commis dans des conditions différentes de celles envisagées à titre de condition de garantie par ces deux polices d'assurance, les voleurs s'étant fait passer pour des clients, la garantie n'était vraisemblablement pas due.

Les sociétés A et B, sises dans des ressorts de cours d'appel différents, ont saisi les tribunaux aux fins de condamnation de leurs assureurs respectifs. Leurs procédures vont connaître une issue dissemblable. La cour d'appel de Limoges, par un arrêt infirmatif rendu le 19 novembre 1998 (la lecture du pourvoi annexé indique que le TGI de Tulle avait, en première instance, condamné l'assureur C), a débouté la société A tandis que, de son côté, la société B a obtenu la condamnation de son assureur D par un arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 20 janvier 2004. L'assuré A a formé un pourvoi que la Cour de cassation a rejeté par une décision de non-admission en date du 30 octobre 2002.

S'obstinant, l'assurée a recherché la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice. La cour d'appel de Limoges, par décision du 23 octobre 2008, a repoussé sa demande. L'assuré a formé un pourvoi excipant de ce que la décision de non-admission de son pourvoi par la décision du 30 octobre 2002 procéderait d'un "déni de justice d'autant plus flagrant que, victime des mêmes faits commis au même moment par les mêmes auteurs, la SARL BAC [B pour nous], obtenait, par arrêt de la cour d'appel de Poitiers en date du 20 janvier 2004, la condamnation de son assureur, Axa [D pour nous], dont les termes de la police sont exactement identiques à ceux de la Mutuelles du Mans [C pour nous], la cour d'appel de Limoges a violé, par refus d'application, les articles L. 141-1 (N° Lexbase : L7823HN3) et L. 141-3 (N° Lexbase : L4739H9E) du Code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 4 du Code civil (N° Lexbase : L2229AB8)".

La thèse du demandeur revient donc à reprocher à la Cour de cassation de n'avoir pas, lors de sa saisine primitive, censuré une cour d'appel pour assurer une unité jurisprudentielle entre deux décisions de cours d'appel. N'ayant pas procédé de la sorte, il y aurait, selon le demandeur, dysfonctionnement du service public de la justice et violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). Le raisonnement est curieux, car ce n'est pas ainsi que la Cour de cassation peut assurer l'unification jurisprudentielle. La Cour régulatrice peut seulement, en cas de contentieux multiple donnant lieu à des décisions de cours d'appel multiples saisies de faits identiques, donner, en droit, une solution unifiée, chaque fois qu'elle est saisie d'un pourvoi à l'encontre de ces arrêts d'appel.

En droit de la construction, le contentieux des EPERS donne une excellente illustration de ce type de problème. Dans un contentieux célèbre, concernant des panneaux isolants, des cours d'appel ont pu rendre, pour des situations de fait rigoureusement identiques, des arrêts contraires. Il est alors revenu à l'Assemblée plénière de la Cour de cassation d'unifier cette jurisprudence (16). Dans l'arrêt ici examiné, l'assuré A, moins chanceux que l'assuré B, n'a pas voulu se contenter de cette logique et a soutenu que la divergence de solutions entre deux arrêts de cours d'appel saisies d'un même problème de droit à propos de faits similaires constitue, en elle-même, une atteinte au principe de sécurité juridique et un dysfonctionnement du service public de la justice.

La première chambre civile, dans cette décision du 17 février 2010, repousse le grief par un attendu très bien rédigé : "Mais attendu qu'ayant retenu que la Cour de cassation n'avait pas eu à connaître à l'occasion de la première procédure de la difficulté juridique tranchée par la cour d'appel de Limoges dans l'autre instance opposant la compagnie Mutuelles du Mans à la société Pagegie Chauprade, la cour d'appel a pu en déduire que la circonstance que deux affaires identiques puissent être, en définitive, jugées différemment n'était pas révélatrice d'une faute commise par les juridictions mais n'était que la conséquence des règles de droit et procédurales applicables ; que le moyen ne peut être accueilli".

Une petite erreur semble toutefois s'être glissée dans la rédaction, car il ne s'agissait pas exactement de deux litiges opposant la même société à deux assureurs différents, mais de deux sociétés distinctes dirigées par la même personne. Ce détail factuel est toutefois sans incidence car, en droit, la réponse demeure identique. Cette réponse est d'une logique imparable : la Cour de cassation ne peut assurer l'unité qu'entre décisions dont elle est saisie. Lorsque, comme en l'espèce, un arrêt d'appel est devenu irrévocable faute de pourvoi, la Cour de cassation non seulement n'en connaîtra pas, mais, au surplus, elle ne sera d'aucun effet sur l'examen du pourvoi de l'affaire, connexe, dont la Cour de cassation est saisie.

Dans ce contexte, qu'une décision de non-admission soit rendue à l'encontre du pourvoi dont elle est saisie ne changera rien au fait que le traitement différencié de deux affaires ne doit, finalement, sa raison d'être qu'à l'absence de pourvoi formé dans l'affaire connexe. Il nous semble parfaitement exact de défendre, comme le fait ici la première chambre civile, "que la circonstance que deux affaires identiques puissent être, en définitive, jugées différemment n'était pas révélatrice d'une faute commise par les juridictions mais n'était que la conséquence des règles de droit et procédurales applicables".

La thèse portée par le demandeur au pourvoi était très audacieuse, qui consistait, tout bonnement, à créer un nouveau cas d'ouverture à cassation : censurer un arrêt d'appel pour aligner cette décision sur une autre décision d'appel devenue irrévocable. Une telle solution ne saurait être admise ! Cela reviendrait à accorder à l'arrêt d'appel irrévocable une portée et une autorité qu'il n'a pas. En effet, suivre la logique du pourvoi conduirait à accorder à cet arrêt une autorité positive de chose jugée et cantonnerait l'office du juge de cassation !

Le principe de sécurité juridique nous semble donc n'avoir pas été utilisé à bon escient. L'assuré malheureux a peut-être considéré qu'après la "bataille" contre les effets rétroactifs des revirements de jurisprudence, il était un nouveau "champ de bataille" pour le principe de sécurité juridique.

On aura sans doute gardé en mémoire, sur le terrain des revirements de jurisprudence, les formules ciselées de la Cour de cassation, telles que "nul ne peut se prévaloir d'un droit acquis à une jurisprudence figée" (17) ou encore "les exigences de sécurité juridique et la protection de la confiance légitime ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante". Toutefois, on sait que l'idée d'un revirement prospectif a fait son chemin (18) et que la jurisprudence elle-même s'y est montrée sensible, par respect des exigences du droit au procès équitable (CESDH, art. 6 § 1) (19).

Pour le profane, que l'interprétation de deux contrats d'assurance similaires puisse conduire deux cours d'appel à rendre des décisions contradictoires, heurte le bon sens. Une telle situation n'est toutefois pas, en droit, contraire aux exigences du procès équitable.

L'article 6 § 1 de la CESDH et le principe de sécurité juridique peuvent beaucoup, mais ils ne sont pas aptes à renverser un principe supérieur, celui de l'indépendance des juges !

En outre, il nous semble même que notre procédure civile comporte en elle-même un moyen de prévenir ce type de situations où des juridictions distinctes saisies de problèmes identiques statuent en sens opposé : l'exception de connexité.

On enseigne classiquement que la connexité permet d'éviter que, sur des questions semblables ou voisines, des décisions inconciliables soient rendues par des juridictions différentes. L'exception peut donc être soulevée lorsqu'il est "de bonne justice" de faire traiter ensemble deux litiges, comme il est dit à l'article 101 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1366H4D) (20).

Dans le contexte de l'affaire ici jugée par la première chambre civile, dans la mesure où les deux sociétés assurées étaient dirigées par la même gérante, il aurait été loisible à celle-ci de se prévaloir de la connexité entre les deux affaires. Ne l'ayant pas fait, elle s'expose à l'aléa judiciaire et à l'indépendance des juridictions qui peuvent, tantôt considérer que la garantie de l'assureur est due, tantôt qu'elle ne l'est pas...

L'absence d'harmonie entre décisions de cours d'appel est regrettable, mais elle ne constitue pas, en elle-même, un dysfonctionnement de la justice ! Quant à la Cour de cassation, elle ne peut, par définition, exercer sa mission régulatrice qu'à l'égard des décisions dont elle est saisie.

Pour toutes ces raisons, l'arrêt nous semble devoir être pleinement approuvé.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit, Membre de l'Institut de Recherche en Droit privé (IRDP)


(1) Reconnaissance de limites aux prétentions de certains assurés de contrats d'assurance vie après des rachats et arbitrages (Cass. civ. 2, 8 octobre 2009, n° 08-18.928, FS-P+B N° Lexbase : A8789EL4) et nos obs., L'obligation d'information de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances : confirmation et amplification, Lexbase Hebdo n° 316 - édition privée générale (N° Lexbase : N7363BGS).
(2) Cass. civ. 2, 5 octobre 2006, n° 05-16.329, Société Axa France vie, F-P+B sur les premier et troisième moyens (N° Lexbase : A4986DR4) ; Cass. civ. 2, 7 mars 2006, n° 05-10.366, Société Axa courtage c/ M. F. Varagne, FS-P+B (N° Lexbase : A5091DNU), Bull. civ. II, n° 63, p. 57 et Cass. civ. 2, 7 mars 2006, n° 05-12.338, Société La Mondiale Partenaire c/ Philippe Senacq, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4391DNX), Bull. civ. II, n° 63, p. 57 et nos obs. préc..
(3) Cf., J. Bigot et M. Périer, Risques et assurances construction, L'argus de l'assurance, 2007, spéc. p. 81 et s..
(4) Ex. : Cass. civ. 3, 23 octobre 2002, n° 00-19.538, M. Jean-Paul Colin c/ M. Jean-Paul Paccagnini, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3353A3L), Bull. civ. III, n° 208 ; Rapport annuel 2002, p. 410.
(5) Cf., déjà, Cass. civ. 3, 20 mai 1998, n° 96-19.521, Bureau d'études techniques et d'ingénierie et d'urbanisme pour les régions méditerranéennes c/ Assurances générales de France (AGF) et autres (N° Lexbase : A2841AC9), Bull. civ. III, n° 106.
(6) J.-P. Karila , Revue générale du droit des assurances, 1er juillet 2005, n° 2005-3, p. 668.
(7) CA Aix-en-Provence, 3ème ch. 14 novembre 2002, Cabinet d'Architectes A. Belhassen et J.-C. Laborde & autres c/ SDCP le Hameau de la Palmeraie & autres.
(8) CA Montpellier, 1ère ch., 25 juin 2002, Société Construction Traditionnelle Rénovation - SCTR c/ SA Winterthur.
(9) CA Aix-en-Provence, 3ème ch., 17 janvier 2002, SA Terre et Pierre c/ SDCP Résidence Nuit de Mai.
(10) Art. préc..
(11) CA Paris, 19ème ch., sect. A, 3 juillet 2002, Société Montana Pizza c/ M. Chicoisne.
(12) CE 2° et 6° s-s-r., 29 novembre 1989, n° 70215, Groupement permanent des architectes (N° Lexbase : A2199AQI), D., 1990 p. 248, note Philippe Terneyre.
(13) Cass. civ. 3, 25 mai 2005, n° 03-20.247, Société Continent Iard, venant aux droits de la société Le Continent c/ Mme Louisette Dubourdieu, épouse Senrain, FS-P+B (N° Lexbase : A4203DII).
(14) Cass. civ. 3, 7 octobre 2009, n° 08-17.620, Société SCMA, FS-P+B (N° Lexbase : A2665EMN).
(15) Cass. civ. 3, 10 janvier 1990, n° 88-14.656, M. Gleize et autres c/ Société Le Toit briviste et autres (N° Lexbase : A0078ABI), Bull. civ. III, n° 6.
(16) Cf. Ass. plén., 26 janvier2007, n° 06-12.165, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) c/ Société financière et industrielle du Peloux (SFIP), P+B+R+I (N° Lexbase : A6993DT8).
(17) Cass. civ. 1, 9 octobre 2001, n° 00-14.564, M. Franck Abel Coindoz c/ M. Louis Christophe (N° Lexbase : A2051AWU), Bull. civ. I, n° 249 ; Rapport annuel, p. 421.
(18) Cf. N. Molfessis, Les revirements de jurisprudence, Rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, Litec, 2005.
(19) Cf. Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n° 01-10.426, Société nationale de radiodiffusion Radio France c/ Mme Agnès Casero, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0975DDH), Bull. civ. II, n° 387 ; Rapport annuel, p. 374. Cette solution a été confirmée par Ass. Plén., 21 décembre 2006, n° 00-20.493, Société La Provence c/ Mme Véronique Danve, P+B+R+I (N° Lexbase : A0788DTD), Bull. civ., n° 15 ; Rapport annuel, p. 246.
(20) "S'il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l'une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l'état la connaissance de l'affaire à l'autre juridiction".

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Contrat de travail

[Jurisprudence] Le défaut d'homologation du contrat de rugbyman professionnel n'entraîne pas sa nullité

Réf. : Cass. soc., 17 mars 2010, n° 07-44.468, M. Santiago Delappe c/ Société Montpellier rugby club, F-P+B (N° Lexbase : A8028ETI)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Qu'il pratique le football ou le rugby, le joueur professionnel conclut avec le club qui l'emploie un contrat de travail soumis aux règles impératives du Code du travail. Ce contrat doit, en outre, respecter certaines exigences particulières édictées par des textes spéciaux propres à chacun de ces deux sports. Ces règles ont en commun d'imposer une procédure d'homologation. Si cette homologation s'applique au premier chef au contrat de travail et à ses éventuels avenants, elle concerne, en réalité, toutes les conventions qui viendraient à être conclues entre le joueur et le club professionnel et, notamment, les promesses synallagmatiques de contrat. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 mars 2010, rendu dans une affaire qui intéressait un joueur de rugby professionnel. En outre, et ainsi que l'affirme la Chambre sociale dans ce même arrêt, le défaut d'homologation ne saurait entraîner la nullité de la convention, dès lors qu'aucun texte ne prévoit cette sanction.
Résumé

S'il résulte des règlements de la Ligue nationale de rugby (LNR) que tout contrat et/ou avenant conclu entre un joueur et un club professionnel, pour les joueurs sous contrat professionnel, doit impérativement être adressé à la LNR dans un délai de huit jours à compter de sa signature, aucun texte ne prévoit que le non-respect de ces règles est sanctionné par la nullité du contrat.

I - L'exigence d'homologation

  • Principes

Comme n'importe quel autre salarié, le rugbyman professionnel conclut avec le club qui l'emploie un contrat de travail, dont on sait qu'il est habituellement à durée déterminée (1). Ce contrat se doit, à l'évidence, d'être conforme aux dispositions impératives du Code du travail pour être valide. Au-delà, les textes propres à cette profession imposent, à l'instar de ceux applicables aux joueurs de football professionnel, une procédure d'homologation (2).

Selon l'article 13 du Titre I des règlements généraux de la ligue nationale de rugby (LNR), les contrats conclus entre un club et les joueurs professionnels "sont soumis à la procédure d'homologation, dans les conditions fixées :

- par la Convention collective du rugby professionnel ;

- le présent règlement et son annexe n° 3 relative à la procédure d'homologation".

Ce même texte dispose que "la portée de l'homologation sur l'entrée en vigueur du contrat est fixée par la Convention collective du rugby professionnel". Il précise, toutefois, que l'homologation du contrat est un préalable à la qualification du joueur dans les compétitions professionnelles organisées par la LNR (3).

La qualification de l'homologation pose de sérieuses interrogations. On est, de prime abord, tenté d'y voir une simple condition suspensive. Cette qualification semble, cependant, devoir être rejetée, dès lors que l'on admet que cette condition "est un élément adventice, dont la volonté des parties fait dépendre l'effectivité ou la survie d'une obligation qui aurait pu ne pas être assortie de cette modalité" (4). La condition ne procédant pas ici de la volonté des parties, mais d'une norme contraignante extérieure, la qualification de condition suspensive paraît exclue. Il s'agirait plutôt d'une condition de validité ou de formation du contrat (5). A dire vrai, ces discussions peuvent s'avérer superficielles, dès lors que la Cour de cassation ne paraît guère s'embarrasser de telles considérations, ainsi qu'en témoigne l'arrêt sous examen (6).

  • Les actes juridiques soumis à homologation

En l'espèce, le 2 avril 2005, la société Montpellier rugby club avait signé, avec M. X, une convention stipulant l'engagement de celui-ci à compter du 1er juillet 2005 en qualité de joueur professionnel, cet engagement devant devenir définitif en cas de réalisation de conditions relatives, notamment, au maintien au sein du top 14, à un examen médical du joueur et à la ratification de cette convention par signature d'un contrat répondant au formalisme de la ligue dans les huit premiers jours de la période officielle des mutations. Il était, par ailleurs, stipulé que la partie lésée par le non-respect de cette dernière obligation pourrait réclamer des dommages-intérêts conformément à la clause pénale prévue à l'article 7 de cette convention.

M. X ayant, le 18 mai 2005, informé la société de la signature d'un nouveau contrat de travail avec un autre club, au sein duquel il souhaitait rester pour la prochaine saison, celle-ci a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en dommages-intérêts en application de cette clause. Le joueur faisait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à payer au club de Montpellier la somme de 114 000 euros. Pour échapper à cette condamnation, M. X soutenait, semble-t-il, à l'appui de son pourvoi, que la convention conclue avec le club précité aurait dû être soumise à homologation et que, ne l'ayant pas été, elle était sans effets.

On pouvait effectivement s'interroger sur le fait de savoir si cette convention devait être soumise à homologation. A priori, celle-ci paraît plutôt concerner le contrat de travail et ses éventuels avenants. Les textes applicables ne sont toutefois pas des plus clairs. Visant parfois le seul contrat et ses avenants, il se réfère, par ailleurs, à d'autres actes juridiques. Ainsi, l'article 2.2 de l'Annexe 3 aux règlements de la LNR dispose que "tout contrat, avenant, convention, contre-lettre, accord particulier, modification du contrat, non soumis à homologation dans les conditions prévues par la Convention collective du rugby professionnel et la réglementation de la LNR, et porté à la connaissance de la Commission juridique de la LNR, sera passible [de certaines sanctions]" (7). De même, l'article 2.2 du Titre 1 de la Convention collective du rugby professionnel vise "tout contrat, avenant, accord entre un Club et un joueur".

A lire ces textes, il apparaît que la procédure d'homologation n'a pas pour seul objet le contrat de travail stricto sensu et ses éventuels avenants. Par voie de conséquence, le joueur avait sans doute raison de considérer que la convention qu'il avait conclue avec le club de Montpellier devait être soumise à homologation. La Cour de cassation va d'ailleurs lui donner raison sur ce point, tout en rejetant néanmoins sa prétention, sur le fondement de la sanction de l'absence d'homologation.

II - L'absence d'homologation

  • Le rejet de la nullité de la convention

Pour la Cour de cassation, "s'il résulte des règlements de la Ligue nationale de rugby (LNR) que tout contrat et/ou avenant conclu entre un joueur et un club professionnel, pour les joueurs sous contrat professionnel, doit impérativement être adressé à la LNR dans un délai de huit jours à compter de sa signature, aucun texte ne prévoit que le non-respect de ces règles est sanctionné par la nullité du contrat".

Par conséquent, "la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé le contrat et qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ayant constaté que le joueur professionnel, lié au club d'Agen, avait signé, hors de la période des mutations, une convention avec le club de Montpellier par laquelle il s'engageait à jouer pour ce dernier club la saison suivante, a exactement décidé que l'absence d'homologation par la ligue nationale de rugby d'une telle convention, laquelle s'analysait en un pré-contrat, n'était pas de nature à affecter sa validité et que le joueur était tenu de respecter les engagements qu'il avait souscrits de sorte que le non respect de ses obligations justifiait l'application de la clause de dédit".

Deux principaux enseignements peuvent être tirés de cette décision. Tout d'abord, l'homologation n'est pas uniquement applicable au contrat de travail stricto sensu et à ses éventuels avenants. C'est toute convention intervenant entre un joueur et un club professionnel qui doit respecter cette exigence (8). Ensuite, le défaut d'homologation n'a pas pour effet d'entraîner la nullité du contrat.

Cette solution peut, de prime abord, troubler, dans la mesure où, dans plusieurs décisions antérieures, la Chambre sociale a jugé que, faute d'homologation, le contrat était dépourvu d'effets (9). On pourrait tenter d'expliquer cette dissonance en avançant que l'absence d'effets n'est pas assimilable à la nullité. Pour être juridiquement juste (10), cette affirmation ne constitue pas l'explication la plus pertinente. Dans les arrêts précités, étaient en cause des joueurs de football professionnels. Or, la Charte du football professionnel stipule expressément, en son article 256, que "tout contrat, ou avenant de contrat, non soumis à l'homologation ou ayant fait l'objet d'un refus d'homologation par la commission juridique est nul et de nul effet". Là est la différence fondamentale puisque, ainsi que le relève expressément la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, "aucun texte ne prévoit que le non-respect de ces règles est sanctionné par la nullité" (11).

On pourra s'étonner d'une telle affirmation dans la mesure où l'article 2.2 du Titre II de la Convention collective du rugby professionnel stipule que "tout contrat, avenant, accord entre un Club et un joueur non homologué est dépourvu d'existence et d'effets, sous réserve des dispositions de l'article 2.3.8.b ci-après relatives aux cas de refus d'homologation pour raisons financières". Mais il est vrai que, conclue le 29 mars 2005, cette convention n'est entrée en vigueur que le 1er juillet 2005 (art. 2.1.1 du Titre I), soit quelque temps après les faits de l'espèce. En d'autres termes, la solution retenue par la Cour de cassation dans la présente espèce doit être tenue pour inapplicable aujourd'hui, puisque l'on a un texte qui sanctionne le non-respect de l'homologation par la "nullité". Il faut, en outre, rappeler que le règlement de la LNR renvoie expressément à cette convention s'agissant de la détermination de la "portée" de cette formalité. Cette portée est désormais on ne peut plus clairement définie. Il aurait sans doute été souhaitable que la Cour de cassation se réfère aux textes "applicables aux faits de l'espèce". Pour ne l'avoir pas fait, la solution peut conduire à certaines conjectures : erreur ? Mise à l'écart des stipulations de la convention collective pour privilégier les seuls règlements de la LNR ?

  • Sort du contrat

L'absence d'homologation de la convention par la LNR n'étant pas de nature à en affecter la validité, celle-ci devait recevoir application et le joueur se devait donc de respecter les engagements qu'il y avait souscrits. Pour ne pas l'avoir fait, il s'est rendu coupable d'une inexécution contractuelle qui, comme telle, pouvait donner lieu à l'attribution de dommages-intérêts à l'autre partie contractante.

La désinvolture du joueur est d'autant plus étonnante que la convention renfermait une clause pénale que les juges du fond ne se sont pas privés d'appliquer, approuvés en cela par la Cour de cassation. Curieusement, cette clause pénale devient, dans la décision de la Chambre sociale, une "clause de dédit". On ne peut manquer de s'attarder sur ce changement de terminologie dans la mesure où il est classiquement enseigné qu'il ne faut pas confondre la clause de dédit avec la clause pénale (12). Distinction essentielle, notamment au regard du fait qu'à la différence de la seconde, la première ne saurait voir son montant modéré par le juge. Cela étant, et faute d'éléments plus précis sur le libellé de la clause en question, on se gardera d'aller plus loin.

On s'accordera, en revanche, avec la Cour de cassation pour considérer que la convention litigieuse était un "pré-contrat" ou, pour reprendre une terminologie plus classique, un "avant-contrat". Plus précisément, cette convention pouvait être qualifiée de promesse synallagmatique de contracter. Sans doute les parties s'étaient-elles mises d'accord sur les éléments essentiels du futur contrat. Ce n'était, toutefois, pas le contrat définitif car la conclusion de ce dernier nécessitait l'accomplissement de certaines formalités, au premier rang desquelles figurait l'homologation.

Il faut, pour conclure, relever qu'en application de l'article 46 ter du Titre I du règlement de la LNR, "il est interdit à un joueur (ou entraîneur) de conclure avant le 1er février 2010 un accord avec un club professionnel consistant en un engagement réciproque à conclure un contrat de travail pendant la période officielle des mutations (ou à toute autre date notamment pour les entraîneurs) en vue de la saison sportive 2010/2011 et/ou des saisons sportives suivantes". Cette disposition, applicable depuis le 2 avril 2009, apparaît, de par sa rigueur, contestable. Elle évite toutefois aux joueurs qui s'engagent à la légère, la même mésaventure que celle rencontrée par M. X.


(1) Il s'agit plus précisément d'un contrat à durée déterminée "d'usage" dont on apprend, à la lecture de la Convention collective du rugby professionnel qu'il est "obligatoire", par "souci d'équité sportive" (art. 1.1, du Titre 1). L'obligation ainsi faite de recourir au contrat à durée déterminée et, qui plus est, au contrat "d'usage" est extrêmement contestable, tant en droit qu'en fait.
(2) Exigence d'homologation qui participerait, elle aussi, de "l'équité sportive" (cf. le texte cité à la note précédente). Il faudrait s'interroger sur la conformité de cette procédure à la liberté du travail et à la liberté d'entreprendre. Mais on peut admettre qu'elle participe d'un légitime souci de protection du joueur professionnel.
(3) L'homologation relève de la compétence de la commission juridique de la LNR, après avis favorable de la DNACG au plan financier.
(4) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, § 1219.
(5) Ce qui conduirait à considérer que tant que l'homologation n'a pas été donnée, le contrat n'est pas formé et que l'on se trouve donc en présence d'un autre acte juridique ou en phase précontractuelle.
(6) Elle a, toutefois, par le passé, analysé l'homologation comme une condition suspensive (Cass. soc., 2 février 1994, n° 89-44.851, Association Les Chamois niortais et autre c/ M Steck, publié N° Lexbase : A0302ABS).
(7) En l'occurrence des peines d'amende.
(8) Sans que l'on sache très bien où se situe la limite. Ainsi, le contrat de vente par lequel le joueur cède son automobile à son club doit-il être soumis à homologation ? On pourra avancer que sont seuls concernés les contrats organisant la relation de travail entre le joueur et son club.
(9) Cass. soc., 2 février 1994, n° 89-44.851, préc. ; Cass. soc., 18 juin 1996, n° 92-42.638, M. Chatrefoux c/ M. Reau, ès qualités de liquidateur du Club olympique du Puy, et autres, publié (N° Lexbase : A9319ABR).
(10) Remarquons que l'absence d'effets est plus conforme à la qualification de condition suspensive, tandis que la nullité renvoie plutôt à celle de condition validité.
(11) C'est donc la "nullité" qui est ici visée et non "l'absence d'effets". Condition suspensive là, l'homologation serait une condition de validité ici. A notre sens, et nonobstant la référence à la nullité, c'est sans doute la qualification de condition suspensive que privilégie la Cour de cassation puisqu'elle fait produire effets à la convention, nonobstant l'absence d'homologation.
(12) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, ouvrage préc., § 481.


Décision

Cass. soc., 17 mars 2010, n° 07-44.468, M. Santiago Delappe c/ Société Montpellier rugby club, F-P+B (N° Lexbase : A8028ETI)

Rejet, CA Montpellier, 4ème ch. soc., 18 juillet 2007

Textes concernés : règlements de la ligue nationale de rugby ; convention collective du rugby professionnel

Mots-clefs : joueur de rugby professionnel ; conclusion d'un avant-contrat ; homologation ; défaut ; nullité (non) ; inexécution ; sanctions

Lien base : (N° Lexbase : E7649ES4)

newsid:387148

Licenciement

[Questions à...] Lettre de licenciement : employeurs, n'oubliez pas de mentionner les droits acquis au titre du Dif !... Questions à Maître Patrick Laurent, Avocat spécialiste en droit social, Cabinet Laurent

Réf. : Cass. soc., 17 février 2010, n° 08-45.382, M. Eric Margottin, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Pressing 49, F-D (N° Lexbase : A0473ESC)

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N6182BNB

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Le principe posé par le Code du travail est sans ambages : tout salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée et ayant au moins un an d'ancienneté dans l'entreprise bénéficie chaque année d'un droit individuel à la formation, ou Dif, d'une durée de vingt heures (C. trav., art. L. 6323-1 N° Lexbase : L3634H9H). Et, en cas de licenciement, hormis l'hypothèse du licenciement pour faute lourde, l'employeur est tenu de mentionner dans la lettre de licenciement les droits que le salarié a acquis au titre de ce Dif et la possibilité de demander, pendant le préavis, à bénéficier d'une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience (VAE) ou de formation. Le cas échéant, la lettre doit mentionner les dispositions spécifiques applicables en cas d'adhésion à une convention de reclassement personnalisé.
Pour autant, le principe ainsi posé, subsistent encore certaines zones d'ombre, notamment lorsque l'on pose la question de savoir quelle est la sanction applicable en cas d'omission des droits acquis au titre du Dif dans la lettre de licenciement. Si les juges du fond semblaient jusqu'à encore très récemment tâtonner, la Cour de cassation tranche, dans un arrêt du 17 février 2010, en faveur de l'octroi au salarié ainsi lésé de dommages et intérêts (1)... En effet, dans cette affaire, un salarié ayant été licencié n'avait pas été informé de ses droits en matière de Dif dans la lettre de licenciement. Les juges du Quai de l'Horloge retiennent que "la cour d'appel a justement retenu que le manquement de l'employeur à son obligation d'informer le salarié qu'il licencie de ses droits en matière de droit individuel à la formation lui causait nécessairement un préjudice dont elle a apprécié souveraineté le montant". Autrement dit, l'omission des droits acquis au titre du Dif dans la lettre de licenciement cause nécessairement un préjudice au salarié lui ouvrant, dès lors, l'octroi de dommages et intérêts s'il saisit les tribunaux. Cet arrêt est finalement assez logique et doit inciter les employeurs à davantage de vigilance dans la rédaction de la lettre de licenciement. Eléments d'explication avec Maître Patrick Laurent, Avocat spécialiste en droit social, Cabinet Laurent. Lexbase : Quel est le cadre juridique entourant l'obligation de mentionner dans la lettre de licenciement les droits acquis par le salarié au titre du Dif ?

Patrick Laurent : La réponse est à l'article L. 6323-19 du Code du travail (N° Lexbase : L9602IED), lequel prévoit que, "dans la lettre de licenciement, l'employeur informe le salarié, s'il y a lieu, de ses droits en matière de droit individuel à la formation. Cette information comprend les droits visés à l'article L. 6323-17 (N° Lexbase : L9632IEH) et, dans les cas de licenciements visés à l'article L. 1233-65 (N° Lexbase : L1247H93), les droits du salarié en matière de droit individuel à la formation définis par l'article L. 1233-66 (N° Lexbase : L1250H98)".
Ces dispositions obligent donc à mentionner expressément dans la lettre trois choses : le nombre d'heures acquises, la possibilité pour le salarié de demander -avant la fin du préavis- à utiliser ses droits pour financer une action de bilan de compétences, de VAE ou de formation, et le fait que, si cette action est réalisée pendant l'exercice du préavis, elle se déroulera pendant le temps de travail. (C. trav., art. L. 6323-17 N° Lexbase : L9632IEH).
Elles contraignent également à y préciser, s'agissant des licenciements pour motif économique, que lorsque le salarié accepte une convention de reclassement personnalisé (CRP), les droits au Dif sont doublés (C. trav., art. L. 1233-66 N° Lexbase : L1250H98).
Enfin, on peut se demander si elles ne rendent pas indirectement nécessaire l'insertion des dispositions de l'article L. 6323-18 (N° Lexbase : L9616IEU) relatives à la "portabilité" des droits au Dif.

Lexbase : Comment expliquer que les employeurs ne respectent pas toujours cette obligation ?

Patrick Laurent : Dans beaucoup de PME, le Dif -bien que créé il y a près de six ans (2)- reste assez peu utilisé. Je connais des petites entreprises dans lesquelles aucun salarié ne l'a encore demandé ! Peut-être parce ces employés ne sont pas informés chaque année de leurs droits, comme pourtant leur employeur en a l'obligation, en application de l'article L. 6323-7 du Code du travail (N° Lexbase : L3643H9S).
Il n'est donc pas très étonnant que le Dif ait été parfois oublié au moment du licenciement.
Je pense, quand même, que ce genre d'oubli va devenir plus rare. D'abord, parce qu'aujourd'hui, le plafond de 120 heures (C. trav., art. L. 6323-5 N° Lexbase : L3643H9S) étant atteint, on peut s'attendre à une augmentation des demandes en cours de contrat. Ensuite, parce que la "portabilité" du Dif, nouveau droit issu de la loi du 24 novembre 2009 (3), va accroître l'intérêt des salariés pour ce dispositif.

Lexbase : Et peut-être est-ce aussi en raison de la crainte d'une sanction financière, dont le principe est désormais reconnu par l'arrêt de la Cour de cassation du 17 février 2010 ?

Patrick Laurent : Le législateur n'avait pas prévu de sanction spécifique. Les juridictions du fond en ont donc créé une, mais sur deux bases juridiques différentes :
- soit le droit à l'indemnité légale pour procédure irrégulière de licenciement ;
- soit le droit à des dommages et intérêts pour le préjudice subi.
La Cour de cassation semble avoir tranché définitivement, par cet arrêt du 17 février dernier, en faveur des dommages et intérêts.
Le recours à l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) me paraît logique en droit.
Il convient de préciser que, dans ce cadre, le salarié n'a à démontrer ni le lien de causalité, ni la réalité de son préjudice engendré par la négligence de l'employeur : le manquement de celui-ci crée nécessairement un préjudice que les juges du fond doivent apprécier souverainement.
La solution pourra sembler sévère aux entreprises quand la rupture, intervenue pour faute lourde -ce qui entraîne la perte des droits au Dif-, aura ensuite été requalifiée en licenciement pour faute grave ou pour faute simple ou sans cause réelle et sérieuse.
Dans une décision de la cour d'appel de Bordeaux du 7 janvier 2010 (4), les juges ont ainsi accordé 750 euros de dommages et intérêts à une salariée licenciée pour faute grave (à l'époque des faits la faute grave était privative des droits au Dif (5)) après avoir dit la rupture sans cause réelle et sérieuse...
Par ailleurs, il faut s'attendre à la même logique s'agissant des mentions dans le certificat de travail des droits acquis au titre du Dif. (C. trav., art. L. 6323-21 N° Lexbase : L9643IEU) (6). Leur absence engendrera un préjudice, et donc des dommages et intérêts...

Lexbase : Ce défaut de sanction soulève une première "faille". N'existe-t-il pas d'autres incohérences, notamment en cas de faute grave ?

Patrick Laurent : La nouvelle loi du 24 novembre 2009, on l'a vu, oblige à mentionner dans la lettre de licenciement la possibilité d'utiliser le Dif pendant la période de préavis, alors que -par définition- dans un licenciement pour faute grave, il n'y a pas de préavis...
Pour ma part, il me paraît plus dangereux de tenter de reproduire cette mention -qui créerait un doute sur la qualification du licenciement (faute grave ou faute simple ?)- que de ne pas le faire. Attendons les premières décisions pour y voir plus clair.


(1) Cass. soc., 17 février 2010, n° 08-45.382, M. Eric Margottin, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Pressing 49, F-D (N° Lexbase : A0473ESC).
(2) Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Présentation de la réforme du dialogue social, Lexbase Hebdo n° 120 du 13 mai 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1585ABC).
(3) Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009, relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (N° Lexbase : L9345IET). Lire les obs. de Ch. Willmann, Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 : de nouveaux droits en matière d'orientation et de formation professionnelle (première partie), Lexbase Hebdo n° 374 du 3 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5875BMK) et Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 : rendre plus efficace l'organisation de l'orientation et de la formation professionnelle (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 375 du 10 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5967BMX).
(4) CA Bordeaux, 7 janvier 2010, n° 09/03269, SARL Algita c/ Madame Marie Josée Pelin (N° Lexbase : A2358EUU).
(5) Aujourd'hui, le salarié ne perd le bénéfice de son Dif que dans l'hypothèse d'une faute lourde.
(6) Ces mentions ont récemment été précisées (décret n° 2010-64 du 18 janvier 2010, relatif à la mention des droits acquis au titre du droit individuel à la formation dans le certificat de travail N° Lexbase : L3855IGU). Le certificat de travail doit désormais mentionner le solde du nombre d'heures acquises au titre du Dif et non utilisées, ainsi que la somme correspondant à ce solde, et l'organisme collecteur paritaire agréé compétent pour financer les actions de formation (C. trav., art. D. 1234-6 N° Lexbase : L4036IGL).

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Collectivités territoriales

[Jurisprudence] Chronique de droit des collectivités territoriales - Mars 2010

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N7182BNC

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit des collectivités territoriales, rédigée par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Trois arrêts du Conseil d'Etat rendus au mois de mars 2010 sont mis en évidence. Le premier arrêt affirme qu'un projet de fermeture d'une section de voie ferrée peut être décidé de bon droit par la commission permanente d'un conseil général, la délégation donnée par délibération du conseil pouvant couvrir l'ensemble des affaires relevant de sa compétence qui ne sont pas réservées par la loi à l'assemblée délibérante (CE 2° et 7° s-s-r., 2 mars 2010, n° 325255, Réseau Ferré de France, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le deuxième arrêt pose comme principe qu'une commune peut être contrainte de communiquer à un syndicat les arrêtés individuels d'attribution du régime indemnitaire de ses agents après simple occultation des mentions à caractère nominatif (CE 9° et 10° s-s-r., 10 mars 2010, n° 303814, Commune de Sète, publié au recueil Lebon). Enfin, le troisième arrêt confirme la révocation de l'ancien maire d'Hénin-Beaumont qui, malgré les nombreux avis et recommandations des autorités de contrôle, s'est rendu responsable de l'importante dégradation de la situation financière de sa commune (CE 2° et 7° s-s-r., 2 mars 2010, n° 328843, M. Dalongeville, publié au recueil Lebon).
  • La commission permanente d'un conseil général est compétente pour décider de la fermeture d'une section de voie ferrée (CE 2° et 7° s-s-r., 2 mars 2010, n° 325255, Réseau Ferré de France, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6451ESQ)

Alors que le législateur procède à une refonte partielle de nombreuses règles d'organisation et de fonctionnement des institutions locales (1), le Conseil d'Etat s'est prononcé sur l'étendue des compétences que le conseil général peut déléguer à sa commission permanente. La Haute juridiction était saisie par Réseau ferré de France d'un recours contre un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux qui avait annulé une décision de fermeture de ligne (2). La cour avait jugé irrégulier l'avis donné par le conseil général de la Gironde au motif qu'il émanait de la commission permanente agissant sur le fondement d'une délégation de compétence illégale. Aux termes de l'article L. 3211-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2444IEA), le conseil général peut déléguer une partie de ses attributions à la commission permanente, à l'exception de celles visées aux articles L. 3312-1 (N° Lexbase : L3110HPU) et L. 1612-12 (N° Lexbase : L9572DNT) à L. 1612-15 du même code, lesquels portent sur l'adoption du budget et des comptes, l'arrêté des comptes, la transmission du compte administratif au représentant de l'Etat, l'adoption de mesures de redressement en cas d'exécution en déficit du budget, et l'inscription au budget des dépenses obligatoires. Cette disposition, selon la cour de Bordeaux, ne permet pas la délégation de toutes les attributions du conseil général pour lesquelles la loi ne l'interdit pas (3). Le Conseil d'Etat juge, au contraire, "qu'eu égard tant à son objet, qui est d'assurer la continuité des fonctions de l'organe délibérant du département, qu'à sa portée, qui ne dessaisit pas le conseil général de ses attributions, la délégation ainsi prévue permet au conseil général d'habiliter la commission permanente à statuer sur toute affaire étrangère aux attributions visées aux articles L. 3312-1 et L. 1612-12 à L. 1612-15". En ce sens, Réseau ferré de France a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, décider la fermeture de la section de ligne en cause où le trafic avait cessé depuis décembre 1980, alors qu'aucune perspective de reprise n'était prévue.

L'on peut rappeler que la commission permanente a pour mission de statuer sur les affaires courantes du département, en assurant la permanence de l'assemblée départementale qui lui donne délégation entre chaque réunion ou session. Elle n'a que peu d'attributions propres, l'essentiel de ces compétences étant délégué par le conseil général. Ce dernier peut déléguer ses attributions à la commission permanente, sous réserve de deux exceptions : le budget (examen et vote du budget, procédure de contrôle budgétaire) et l'arrêté des comptes. Il ne peut le faire, au surplus, qu'à condition de ne pas déléguer toutes ses attributions, ce qui implique une délibération énumérative du conseil général et une liste précise des attributions concernées. Ainsi, une délibération portant délégation de compétence à la commission permanente ne peut se contenter d'indiquer qu'"elle renouvelle les délégations de pouvoir antérieurement données" (4). Il a, également, été jugé que, s'agissant du degré de précision de la délégation consentie, il pouvait s'agir de catégories de décisions, et non pas seulement de décisions ponctuelles (5).

Les juges d'appel ont déclaré la délégation irrégulière dans la mesure où elle couvrait l'ensemble des affaires relevant de la compétence du conseil général qui ne sont pas réservées par la loi à l'assemblée délibérante ou au président du conseil général, confirmant en cela une jurisprudence constante. La délégation de compétence ne doit pas être totale, le déléguant peut transférer une partie seulement de ses attributions. La délégation doit, en outre, toujours être faite avec une "précision suffisante" quant à l'étendue des compétences déléguées (6). Le Conseil d'Etat a jugé, au contraire, que la délégation ne dessaisissait pas le conseil général de ses attributions, la délégation prévue permettant d'habiliter la commission permanente à statuer sur toute affaire étrangère aux attributions concernant le budget et l'arrêté des comptes. Il y a là une interprétation assez large du juge suprême, mais qui s'inscrit parfaitement dans la continuité du travail accompli par le Comité pour la réforme des collectivités locales (7), qui avait rendu son rapport au Président de la République le 5 mars 2009. Celui-ci préconisait le développement des mécanismes de délégations de compétences pour ne pas occulter les réalités locales, quels que soient les textes attribuant une compétence.

  • Une commune peut être contrainte de communiquer à un syndicat la copie de l'ensemble des arrêtés individuels d'attribution du régime indemnitaire applicable au personnel communal (CE 9° et 10° s-s-r., 10 mars 2010, n° 303814, Commune de Sète, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1594ET9)

Par délibération en date du 16 décembre 2003, le conseil municipal de la ville de Sète a institué un complément de traitement distinct des autres éléments de rémunération pour les fonctionnaires territoriaux de la ville. Selon cette délibération, les attributions individuelles fixées par le maire dans ce régime indemnitaire tiennent compte de la qualité du service rendu, de la fonction d'encadrement, des responsabilités exercées, ainsi que des contraintes liées à la fonction. Sur le fondement de l'article L. 2121-26 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L7152G9R), le syndicat CGT "cadres et employés des fonctionnaires territoriaux" de la ville a demandé à cette commune de lui communiquer copie de l'ensemble des arrêtés individuels d'attribution aux agents de la commune des primes régies par cette délibération. Cette communication a été refusée par le maire de Sète, au motif que la demande du syndicat soulèverait des difficultés matérielles pour la satisfaire en raison du nombre élevé de documents en cause. Pour le Conseil d'Etat, les arrêtés individuels, notamment ceux qui sont relatifs aux agents de la commune, et contrairement à ce que soutient la commune, sont au nombre des arrêtés municipaux dont la communication peut être obtenue sur le fondement de l'article L. 2121-26 précité. Cependant, les arrêtés fixant le montant des primes, lesquelles comportent une part modulable en fonction de la manière de servir, contiennent une appréciation sur le comportement des fonctionnaires concernés. Par suite, ces arrêtés ne peuvent être communiqués qu'après occultation de la mention du nom des intéressés et, le cas échéant, des autres éléments permettant d'identifier la personne concernée. Le syndicat est donc fondé à demander l'annulation de la décision du maire refusant de lui communiquer les arrêtés individuels d'attribution des primes.

De prime abord, tous les documents qui traitent de la situation individuelle des fonctionnaires territoriaux présentent le caractère de documents administratifs soumis aux dispositions de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 (8). En application de cette loi, l'accès des tiers est possible lorsque les documents ne font état que de la situation statutaire et objective de l'agent (fonctions, adresse administrative, indice...), en dehors de toute considération liée à sa personne ou à sa manière de servir. Dans les faits, cet accès se trouve souvent limité par la nécessité de soustraire à leur curiosité les éléments de vie privée et d'appréciation le concernant. Cependant, dans certains cas, des textes spécifiques leur ouvrent un accès beaucoup plus étendu. Le régime de communication d'un arrêté ne sera pas le même selon l'administration qui en est l'auteur. Si l'arrêté émane d'un service de l'Etat (ministère, préfecture ou autre), c'est la loi du 17 juillet 1978 qui s'applique, l'arrêté ne pouvant être communiqué à un tiers qu'après occultation des mentions protégées. Si, en revanche, l'arrêté émane d'une collectivité territoriale, c'est alors l'article L. 2121-26 du Code général des collectivités territoriales qui s'applique. Or, cet article ne prévoit la possibilité d'occulter aucune mention, quelle qu'elle soit. Les arrêtés du personnel des collectivités sont, dès lors, intégralement communicables à toute personne qui en fait la demande, quel que soit leur contenu.

Parmi les documents relatifs à la gestion du personnel et, plus précisément, à la rémunération des agents publics, il importe de distinguer les documents à caractère nominatif des autres documents, les appréciations nominatives n'étant normalement accessibles qu'à la personne concernée. La plupart des informations relatives aux rémunérations perçues par les agents publics ne sont pas regardées comme étant couvertes par le secret de la vie privée. Certaines informations présentent un caractère nominatif : il s'agit de celles qui traduisent une appréciation sur la valeur ou la manière de servir des agents (par exemple, comme en l'espèce, la fixation du montant d'une prime comportant une part modulable en fonction de la manière de servir). Mais tous les éléments objectifs de rémunération, comme l'indice de rémunération, sont considérés comme étant communicables de plein droit à toute personne qui en fait la demande, car ils traduisent un élément du coût du service public à la charge de la collectivité.

Sont, ainsi, très largement communicables, selon le neuvième rapport d'activité de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), l'indice de rémunération d'un agent communal, la grille des salaires (9), la délibération d'un conseil général concernant le régime indemnitaire des fonctionnaires départementaux (10), ou une prime de fonction d'encadrement (11). En revanche, sont regardés comme nominatifs, et communicables à la seule personne concernée, les états d'heures supplémentaires, les relevés individuels d'indemnités diverses (12), le montant individuel des primes attribuées à chaque agent en fonction de sa manière de servir (13), et la liste des bénéficiaires d'une prime faisant apparaître le montant annuel versé à chaque agent, qui ne peut être communiquée à des tiers qu'après occultation du nom des agents concernés.

En comparaison à la jurisprudence ainsi fixée par la CADA, la décision du Conseil d'Etat va assez loin dans l'appréciation de la règle selon laquelle les documents par lesquels une appréciation ou un jugement de valeur, positif ou négatif, est portée sur une personne, ne peuvent être communiqués qu'à celle-ci. La notation d'un agent public ou les appréciations portées par l'autorité hiérarchique sur sa manière de servir ne peuvent logiquement être communiquées qu'à la personne concernée. Mais les documents qui font apparaître le comportement d'une personne ne sont pas communicables aux tiers si la divulgation de ce comportement peut lui porter préjudice. L'existence d'un tel risque s'apprécie, au cas par cas, en fonction des termes employés dans le document comme du contexte dans lequel il s'inscrit. Le Conseil d'Etat a jugé que le contexte est, en l'espèce, favorable à la communication après occultation de la mention du nom des agents ou des mentions permettant d'identifier la personne concernée.

  • Renforcement du contrôle du Conseil d'Etat sur les sanctions disciplinaires infligées aux maires, en l'occurrence une mesure de révocation en raison de l'importante dégradation de la situation financière de la commune (CE 2° et 7° s-s-r., 2 mars 2010, n° 328843, M. Dalongeville, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1656ETI)

Si le maire d'une commune est élu par les habitants de la commune dans laquelle il se présente et que son élection ensuite validée par un conseil municipal spécifique, seul l'Etat est apte à pouvoir révoquer ou émettre des sanctions envers ledit maire. C'est l'article L. 2122-16 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8612AA9) qui impose, ainsi, ce régime disciplinaire propre. Il ressort des faits de l'espèce que M. X, alors maire d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), a été révoqué de ces fonctions quelques semaines après sa mise en examen et son incarcération début avril 2009 pour détournements de fonds publics, faux en écriture et favoritisme présumés, encourant, ainsi, dix ans de prison et 150 000 euros d'amende. L'enquête, lancée en juin 2008 avait mis au jour un système de fausses factures établies entre 2006 et 2008 au bénéfice de sociétés qui n'ont jamais honoré les prestations correspondantes, le montant des factures pouvant atteindre 4 millions d'euros. Les faits reprochés ayant d'abord donné lieu à une mesure de suspension d'un mois (14), ce n'est qu'ensuite que la mesure de révocation a été proposée par le préfet du Pas-de-Calais au ministre de l'Intérieur, à la suite de la sortie du dernier rapport de la chambre régionale des comptes sur la gestion de la ville (15).

Le rapport d'observations définitives sur la gestion de la commune est, à cet égard, éloquent sur le fait que, malgré les nombreux avis et recommandations des autorités de contrôle, le maire s'est rendu responsable de l'importante dégradation de la situation financière de la commune sans prendre aucune mesure significative pour remédier à son endettement. Il ressort, notamment, de ce rapport que, saisie dès 2003 par le préfet, la chambre régionale des comptes du Nord-Pas-de-Calais a constaté un déficit global des comptes de la commune dépassant 12 millions d'euros pour 2002, et a proposé un plan de redressement sur trois ans. De 2003 à 2008, la chambre est intervenue chaque année auprès du maire de la commune, à l'initiative du préfet, ainsi que dans le cadre de deux examens de gestion, compte tenu des déficits budgétaires excessifs et du défaut de sincérité des comptes et inscriptions budgétaires, et en l'absence, notamment, de la prise en compte de certaines dépenses et du rattachement des charges et produits à l'exercice. Malgré les recommandations du juge des comptes, un rythme élevé de dépenses a été maintenu, et, notamment une politique de recrutement massif de personnel.

Enfin, et toujours selon le rapport, devant l'insuffisance des mesures adoptées par le maire, le préfet s'est vu contraint, en août 2008, de régler d'office le budget communal en augmentant uniformément les taux d'imposition et, fin 2008, de régler et de rendre exécutoire des crédits de régularisation des dépenses de personnel supérieurs aux crédits ouverts. Depuis 2007, le fonctionnement courant de la commune n'est, ainsi, assuré qu'au prix d'un volume grandissant de factures impayées. Le découvert de trésorerie dépassait, fin janvier 2009, 6,5 millions d'euros et, début 2009, la commune ne pouvait plus régler ses fournisseurs. Le risque était désormais réel, selon le juge des comptes, que la commune ne soit plus en mesure, dans un délai rapproché, d'assurer le paiement de ses dépenses prioritaires, notamment le salaire de ses agents et le remboursement de ses dettes. Le décret attaqué n'a donc pas, en prononçant la révocation de M. X, selon le Conseil d'Etat, fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 2122-16 du Code général des collectivités territoriales, qui permettent une telle sanction.

De manière générale, et compte tenu de l'importance de l'exécutif dans le fonctionnement de l'administration communale, le pouvoir de sanction ainsi reconnu aux autorités nationales n'est mis en oeuvre qu'exceptionnellement. Une recherche au Journal officiel montre qu'à ce jour, et depuis les années 1980, seulement 24 suspensions ont été prononcées à l'encontre de maires ou d'adjoints, les révocations étant encore plus rares, puisque se chiffrant au nombre de deux (16). L'arrêté du 15 juin 2004 du ministre de l'Intérieur suspendant de ses fonctions le maire de Bègles, Nöel Mamère (17), reste à ce jour, la procédure la plus médiatique. La suspension avait été infligée pour avoir célébré un mariage entre deux homosexuels, malgré l'interdiction qui lui en avait été faite par le procureur de la République et la mise en garde solennelle du Premier ministre, chef hiérarchique de l'ensemble des agents publics, lors d'une séance à l'Assemblée nationale (18).

Le Code général des collectivités territoriales ne définit pas précisément la nature des fautes passibles de sanctions telles que la suspension ou la révocation, il évoque seulement "les faits reprochés" aux maires et aux adjoints. Il convient donc de considérer que toute faute est susceptible d'entraîner une sanction, même s'il ne faut pas assimiler faute et illégalité. Il peut s'agir d'une faute commise dans l'exercice de sa fonction, telle que la tenue publique de propos outranciers au cours de la cérémonie du 11 novembre (19), les refus opposés par certains maires d'organiser le référendum du 24 septembre 2000 sur la réforme du quinquennat (refus ayant abouti à 23 mesures de suspension de 10 à 1 mois), ou encore l'existence de graves négligences durant plusieurs années dans la tenue des documents budgétaires (20).

La faute peut tout aussi bien concerner les fonctions exercées en tant qu'agent de l'Etat que celles effectuées en tant qu'autorité décentralisée. Il peut même s'agir de faits étrangers à la fonction de l'exécutif communal mais qui se révèlent incompatibles avec elle. Ainsi, une révocation peut être justifiée par une condamnation pénale qui prive le maire de l'autorité morale nécessaire à l'exercice de sa fonction, en l'occurrence une condamnation avec sursis pour attentat à la pudeur sur mineurs de moins de quinze ans, la gravité des faits reprochés le privant de l'autorité morale nécessaire à l'exercice de ces fonctions (21).

Silencieux sur les motifs de la décision de suspension ou de révocation, l'article L. 2122-16 impose le respect de deux garanties formelles essentielles, à savoir l'organisation d'une procédure contradictoire préalable au prononcé de la sanction et la motivation de celle-ci. Le juge administratif se montre, toutefois, relativement indulgent par rapport à ces deux exigences, ce dont témoigne l'arrêt d'espèce. Il n'est, ainsi, pas nécessaire de communiquer à l'intéressé les éléments de l'enquête éventuellement ouverte sur les faits en cause (22), de même qu'il n'y a pas de forme particulière de communication, le juge admettant même qu'elle résulte d'une conversation téléphonique (23). Un délai suffisant doit être accordé au maire pour présenter utilement sa défense (24), mais il dépasse rarement quelques jours. En l'espèce, il a été jugée que la circonstance que la version notifiée à l'intéressé ne comportait pas de motivation, "qui n'a été portée à sa connaissance que par la production de l'ampliation au cours de l'instruction, n'est pas de nature à porter atteinte aux droits de la défense". En tout état de cause, la contradiction supporte un aménagement notable lorsque, comme cela est possible, une révocation est prononcée après un arrêté de suspension. Fondé sur les mêmes faits que l'arrêté, le décret de révocation d'un maire n'a, alors, pas à être précédé d'une nouvelle procédure contradictoire (25). Le contrôle juridictionnel de la motivation de la décision reste purement formel. Il s'agit de vérifier que l'acte exprime explicitement et suffisamment les raisons pour lesquelles il a été édicté.

Sur le fond, le juge opère normalement un contrôle restreint de la légalité des motifs invoqués à l'appui d'une sanction disciplinaire visant un maire ou ses adjoints, contrôle plus précisément fondé sur l'erreur manifeste d'appréciation. Cependant, suivant en cela la jurisprudence relative aux sanctions disciplinaires visant les agents publics qui tend à évoluer vers un contrôle normal (26), le Conseil d'Etat renforce son contrôle dans l'arrêt d'espèce. En effet, l'application d'un contrôle normal à la sanction infligée se justifie pleinement par le fait que, pour les fonctionnaires, l'autorité disciplinaire a le choix entre plusieurs fonctions, ce qui justifie le contrôle de l'adéquation de la sanction à la gravité des faits. En revanche, les sanctions prononcées par un maire ou un adjoint son très peu nombreuses, le contrôle juridictionnel de la mesure décidée devant donc être opéré pleinement. C'est donc un contrôle normal qui est exercé en l'espèce, qui se manifeste, notamment, par le fait que le maire avait fait état d'actions pour remédier au déséquilibre financier de la commune, actions jugées par le Conseil d'Etat comme ne répondant pas à l'objectif de mise en oeuvre d'un plan de redressement, la responsabilité du maire étant donc engagée en la matière.

Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz


(1) Voir, notamment, l'adoption de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures (N° Lexbase : L1612IEG), JO, 13 mai 2009, p. 7920.
(2) CAA Bordeaux, 2ème ch., 16 décembre 2008, n° 07BX02641, Réseau Ferré de France c/ Fédération nationale des associations d'usagers des transports (N° Lexbase : A3804EPL).
(3) L'on notera que cette lecture est, également, celle de la cour administrative d'appel de Lyon dans un arrêt du 11 juin 2009 (CAA Lyon, 4ème ch., 11 juin 2009, n° 07LY00315, Association "chemin de fer Bort-Neussargues" N° Lexbase : A2263EKZ, AJDA, 2009, p. 2190), d'où il ressort que le conseil général ne peut pas déléguer à sa commission permanente la totalité de ses attributions.
(4) CE, 16 janvier 1998, n° 172268, Département d'Indre-et-Loire (N° Lexbase : A6110AS4).
(5) Voir, par exemple, CE Contentieux, 22 avril 1970, n° 75717, Commune de Saint-Barthélemy et autres (N° Lexbase : A5147B87), Rec. CE, p. 270, où la délégation consentie à la commission départementale par le conseil général peut porter, non seulement sur une affaire déterminée, mais aussi sur une catégorie d'affaires de même nature.
(6) Voir, par exemple, de manière générale sur les délégations de compétences, CE Sect., 2 mars 1990, n° 84590, Commune de Boulazac (N° Lexbase : A5551AQN), Rec. CE, p. 57, RFDA, 1990, p. 621, concl. R. Abraham ; CE Contentieux, 27 mai 1991, n° 104723, Ville de Genève (N° Lexbase : A9917AQD), AJDA, 1991, p. 690, chron. C. Maugüé et R. Schwartz ; CE, 2 juin 1993, n° 64071, Besnard et Commune de Rochefort-sur-Loire (N° Lexbase : A0059ANI), Rec. CE, p. 560.
(7) Décret n° 2008-1078 du 22 octobre 2008, portant création du comité pour la réforme des collectivités locales (N° Lexbase : L6891IBT), JO, 24 octobre 2008, p.16202.
(8) Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal (N° Lexbase : L6533AG3), JO, 18 juillet 1978, p. 2851.
(9) CADA, 4 février 1993, Maire de Ceton.
(10) CADA, 19 novembre 1998, Serinet c/ Syndicat CFDT Interco.
(11) CADA, 7 mai 1998, Manfroi c/ Syndicat CFTC des agents des collectivités territoriales.
(12) CADA, 6 février 1992, Directeur de la maison départementale de l'enfance de la Drôme.
(13) CADA, 25 juin 1992, Lombard c/ Syndicat CFDT Interco des communaux de Maubeuge.
(14) Arrêté du 15 juin 2004, portant suspension des fonctions de maire (N° Lexbase : L8278IGP).
(15) Décret du 28 mai 2009, portant révocation de M. Gérard Dalongeville, maire de la commune de Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) (N° Lexbase : L8281IGS), JO, 29 mai 2009, p. 8901.
(16) Décret du 2 août 2005, portant révocation du maire de la commune de Makemo (Polynésie française) (N° Lexbase : L2365HB9), JO, 6 août 2005, p. 12907, "pour négligences graves et répétées dans l'accomplissement des fonctions qui lui incombent en tant que chef de l'administration communale et, plus particulièrement, dans la gestion financière et comptable, ainsi que dans le fonctionnement des services administratifs de la commune" ; décret du 11 septembre 1986, portant révocation de l'adjoint au maire de la commune de Saint Vivien de Monségur (Gironde) (N° Lexbase : L8282IGT), JO, 13 septembre 1986, p. 11093.
(17) Arrêté du 15 juin 2004, portant suspension des fonctions de maire (N° Lexbase : L8278IGP), JO, 22 juin 2004, p. 11225.
(18) Cf. CE, 7 juillet 2004, n° 268974, Nöel Mamère (N° Lexbase : A3536EUI), AJDA, 2004, p. 1445, qui rejette le pourvoi contre l'arrêté de suspension d'un mois ; TA Bordeaux, 9 juillet 2004, n° 0402303, Nöel Mamère c/ Ministre de l'Intérieur (N° Lexbase : A2368EUA), AJDA, 2004, p. 1281.
(19) CE Ass., 27 février 1981, Wahnapo, n° 14361 (N° Lexbase : A3811AKD) et n° 12112 (N° Lexbase : A3812AKE), Rec. CE, p. 52.
(20) CE Contentieux, 27 février 1987, n° 78247, Georges Perrier (N° Lexbase : A4507APM).
(21) CE Contentieux, 12 juin 1987, n° 78114, Chalvet (N° Lexbase : A3806APN), Rec. CE, p. 119.
(22) CE Contentieux, 22 mars 1978, n° 5721, Petit (N° Lexbase : A2911AIN).
(23) CE, 5 novembre 1952, Le Moigne, Rec. CE, p. 496.
(24) CE, 1er avril 1960, Ramelot, Rec. CE, p. 245.
(25) CE Ass., 27 février 1981, n° 14361 et n° 12112,Wahnapo, précité.
(26) Cf. CE 1° et 6° s-s-r., 27 mai 2009, n° 310493, M. Hontang (N° Lexbase : A3389EHY), où le juge adopte un contrôle normal sur le choix de la sanction infligée à un magistrat du Siège, même s'il a pu réaffirmer depuis son contrôle restreint en matière de répression disciplinaire dans la fonction publique, dans sa décision en date du 27 juillet 2009 (CE 1° et 6° s-s-r., 27 juillet 2009, n° 313588, Ministre de l'Education nationale c/ Mlle Boullonnois N° Lexbase : A1332EKK, DA, octobre 2009, n° 10, comm. n° 132 de M. Guyomar).

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Bancaire

[Jurisprudence] Précisions sur la résistance à la faillite (1) et le dénouement d'une cession Dailly à titre de garantie

Réf. : T. com. Paris, 19 octobre 2009, aff. n° 2009031754, SAS Heart of La Défense c/ Société Eurotitrisation, SA (N° Lexbase : A2343EMQ) ; Cass. com., 9 février 2010, n° 09-10.119, Société Royal Scandinavia hôtel Nice, F-P+B (N° Lexbase : A7789ERW)

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N7247BNQ

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par Alexandre Bordenave, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

Le 07 Octobre 2010

La cession de créances professionnelles, dont l'initiative revient au sénateur Dailly (2), est une figure du droit français devenue incontournable. Codifiée sous les articles L. 313-23 (N° Lexbase : L9256DYH) et suivants du Code monétaire et financier, elle présente le formidable atout de permettre de céder des créances sans autre formalité que l'établissement d'un bordereau (C. mon. fin., art. L. 313-23), lesquelles cessions prennent effet entre les parties et sont opposables aux tiers "à la date apposée sur [ce] bordereau" (C. mon. fin., art. L. 313-27 N° Lexbase : L6399DIT). Les différents aménagements dont le texte original quasi-trentenaire a fait l'objet ont, à ne pas en douter, contribué à renforcer l'attrait de cet instrument : on peut penser, par exemple, à la précision selon laquelle la cession est opposable erga omnes nonobstant "la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs" (C. mon. fin., art. L. 313-27) (3).

La cession Dailly est un outil de financement à la finalité double. En effet, elle peut être :

  • soit une cession-escompte. En ce cas, la cession Dailly organise une opération par laquelle un établissement de crédit se porte cessionnaire d'une créance auprès de son titulaire pour un prix correspondant au capital restant dû de la créance diminué d'un coût de financement. Selon le Professeur Bonneau (4), la cession Dailly-escompte présente deux caractéristiques principales : le montant du crédit qu'elle ouvre correspond à la valeur de la créance cédée déduction faite de la rémunération du banquier et elle constitue une opération unique liant le paiement anticipé de la créance et le transfert de propriété de la créance. C'est donc une opération de crédit, parce que le paiement effectué par l'établissement de crédit permet au cédant d'obtenir des fonds avant d'avoir recouvré la créance cédée ;
  • soit une cession à titre de garantie. Il s'agit alors de mettre sur pied une opération par laquelle le cédant transfère à son créancier, en garantie du remboursement du crédit qu'il reçoit de ce dernier, la propriété d'une créance qu'il détient à l'encontre d'un tiers. La cession Dailly à titre de garantie intervient sans stipulation de prix et pour une créance dont la valeur n'est pas nécessairement liée à celle du crédit consenti.

A l'évidence, et ce même s'il doit être rangé au sein d'une institution brillamment analysée par le Professeur Crocq (5) et suscitant un engouement qu'il n'est plus utile de démontrer -la propriété-garantie (6)-, ce second mode de recours à la cession Dailly est le plus marqué de particularité : de prime abord, il y a quelque chose d'étrange à céder des flux financiers (qui correspondent à une créance) sans prix. C'est sans doute ce qui a conduit à ce que la loi précise que "même lorsqu'elle est effectuée à titre de garantie et sans stipulation d'un prix, la [cession Dailly] transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée" (C. mon. fin., art. L. 313-24 N° Lexbase : L9257DYI).

La simplicité et l'efficacité de la cession Dailly ont convaincu les professionnels de la sphère bancaire et financière de l'intérêt qu'elle présente en tant qu'instrument de garantie. C'est ainsi que, souvent, à l'occasion d'opérations de titrisation de créances commerciales, la cession Dailly à titre de garantie de créances futures joue un rôle majeur au sein des mécanismes de rehaussement de crédit (7).

Deux jurisprudences récentes, rendues par des juridictions de degré différent -le tribunal de commerce de Paris et la Cour de cassation- dans des affaires de nature très différentes -oscillant entre les financements structurés et ceux les plus simples- ont éclairé les lanternes des habitués de la cession Dailly à titre de garantie en venant préciser qu'elle résiste à la faillite du cédant (I) et les conditions dans lesquelles elle doit se dénouer (II).

D'enjeux inégaux, ces deux décisions appellent un satisfecit variable. Sans qu'elles ne révolutionnent la matière, elles y apportent des enseignements appréciables et poursuivent la construction d'un régime juridique complet pour la cession Dailly à titre de garantie, à la hauteur de la place qu'elle a pris dans les montages financiers réalisés sous l'empire du droit français.

I - Résistance à la faillite de la cession Dailly à titre de garantie

Fait suffisamment rare pour être souligné : en rendant son jugement du 19 octobre 2009, le tribunal de commerce de Paris a tranché l'un des rares contentieux relatifs à une titrisation de droit français. Qui plus est, ce fut l'occasion d'apaiser une affaire qui agitait une large partie des milieux financiers français (et même européens) et immobiliers depuis la fin de l'année 2008.

En 2007, un véhicule ad hoc, la société par actions simplifiée Heart of La Défense, (le "SPV") avait financé l'acquisition de l'ensemble immobilier "Coeur Défense" au moyen de deux prêts remboursables in fine auprès d'une filiale du groupe Lehman Brothers. En garantie du remboursement des prêts, le SPV avait procédé à la cession Dailly à titre de garantie des créances de loyers de l'immeuble. Par la suite, les prêts avaient été titrisés via un fonds commun de créances (8). Lorsque survint la faillite du groupe Lehman Brothers, de peur de voir les investisseurs de la titrisation exiger le remboursement des prêts par anticipation (9), le SPV demanda et obtint son placement sous sauvegarde en octobre 2008. En réaction, la société de gestion du fonds concerné notifia aux locataires, dans les termes prévus par l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9261DYN), la cession des créances de loyers et leur demanda de régler leur dû directement sur un compte ouvert au nom du fonds.

A l'issue de diverses procédures judiciaires, il revint au tribunal de commerce de Paris de trancher la question suivante : les droits du cessionnaire de créances cédées à titre de garantie conformément aux dispositions des articles L. 313-23 du Code monétaire et financier sont-ils affectés par l'ouverture d'une procédure de sauvegarde concernant le cédant ? Soulageant bien des esprits, le tribunal de Paris répondit par la négative ; c'est heureux. Moralité : la cession Dailly à titre de garantie est "faillite-proof" (A), ce qu'il est difficile de contester tant la solution est richement justifiée en droit (B). D'ailleurs, les arrêts rendus dans le même contentieux par la cour d'appel de Paris le 25 février 2010 (10) ne sont pas revenus sur la réponse apportée en première instance. Néanmoins, en annulant la sauvegarde dont profitait le SPV, ils la vident un peu de son enjeu dans le dossier "Coeur Défense", mais pas de son intérêt théorique général.

A - La confirmation de la résistance à la faillite des cessions Dailly à titre de garantie

Pâques approchant, c'est rien un euphémisme que de le dire, s'agissant de la résistance à l'ouverture d'une procédure collective des cessions Dailly à titre de garantie, la jurisprudence a longtemps marché sur des oeufs ! L'interrogation est légitime dès lors que les créances en cause sont des créances résultant d'un contrat à exécution successive, comme les créances cédées dans le dossier "Coeur Défense" ou des créances futures (auquel cas, l'analyse devrait être similaire).

Le premier arrêt (tristement) remarquable sur ce sujet fut celui rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 avril 2000 (11) qui énonça que "le jugement d'ouverture de la procédure collective à l'égard d'un cédant fait obstacle aux droits de la banque cessionnaire sur les créances nées de la poursuite d'un contrat à exécution successive postérieurement à ce jugement". Cette malencontreuse inflexion se renversa peu à peu à coup d'arrêts admettant l'effet attributif d'une saisie diligentée préalablement à l'ouverture d'une procédure collective s'agissant de loyers postérieurs au jugement d'ouverture (12) ou l'innocuité du jugement d'ouverture sur les cessions de créances résultant d'un contrat à exécution non successive mais différée (13).

Cette lente évolution trouva une fin heureuse avec l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 22 novembre 2005 à l'attendu principal fort : "même lorsqu'elle est effectuée à titre de garantie et sans stipulation d'un prix, la cession de créance transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée [...] et [...], étant sortie du patrimoine de son cédant, son paiement n'est pas affecté par l'ouverture de la procédure collective de celui-ci postérieurement à cette date" (14).

Le jugement du 19 octobre 2009 est dans la droite ligne de l'arrêt de 2005 en ce qu'il réaffirme que les droits du cessionnaire ne sont pas affectés pas l'ouverture d'une procédure collective relative au cédant (15). Sans doute va-t-il même un peu plus loin en précisant que "même effectuée à titre de garantie et sans stipulation d'un prix, la cession des créances a transféré au cessionnaire la propriété des créances cédées à la date apposée sur le bordereau, peu important que ces créances soient des contrats à exécution successive (16)". Cette dernière mention est précieuse, car elle balaie les quelques incertitudes laissées par l'arrêt du 22 novembre 2005. Au fond, ce n'est qu'une solution de pur bon sens. Qui plus est, elle est étayée par les textes et la jurisprudence à un niveau tel qu'il est quelque peu surprenant qu'elle ait mis un an à émerger dans l'affaire "Coeur Défense" !

B - La justification de la résistance à la faillite des cessions Dailly à titre de garantie

A l'appui de la position prétorienne reprise et développée par le tribunal de commerce de Paris viennent au moins deux séries d'arguments.

La première tient au fait que la cession Dailly à titre de garantie est une véritable cession en pleine propriété ne pouvant être assimilée à un nantissement de créances, susceptible d'être paralysé par l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du cédant. De notre point de vue, cela résulte fort logiquement :
- de la loi qui prévoit, pêle-mêle, un "nantissement Dailly" à côté de la cession Dailly (C. mon. fin., art. L. 313 23), que la cession Dailly même à titre de garantie et sans stipulation de prix "transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée" (C. mon. fin. art. L. 313-24 N° Lexbase : L9257DYI) ou la possibilité pour le cessionnaire de mobiliser à son tour les créances cédées (C. mon. fin., art. L. 313 -26 N° Lexbase : L9259DYL et L. 313-30 N° Lexbase : L9263DYQ et s.) ;
- mais aussi, de la jurisprudence qui a reconnu notamment que la cession Dailly à titre de garantie ne vaut pas comme un simple nantissement (17) et qu'un bordereau Dailly est transmissible par voie d'accessoire à un fonds commun de créances (18).

Car, il faut s'en souvenir : la cession Dailly fait partie des "cas prévus par la loi" dans lesquels une cession de créance à titre de garantie n'est pas requalifiable en nantissement (19). En conséquence, on ne saurait donc se laisser abuser par la dénomination "à titre de garantie" qui ne signifie qu'une chose : que la propriété a été transférée à une fin particulière, ce qui n'ôte évidemment rien au caractère absolu du droit de propriété du cessionnaire. Cela demeure vrai, même face à l'inexistence dans la loi "Dailly" d'une proposition prévoyant expressément, comme pour les cessions à un organisme de titrisation (C. mon. fin., art. L. 214-43 N° Lexbase : L5548ICH) ou une société de crédit foncier (C. mon. fin., art. L. 515-21 N° Lexbase : L3619HZ3), que la cession conserve ses effets malgré l'ouverture d'une procédure collective relative au cédant (20). Certes, à plusieurs reprises, des amendements parlementaires habilement soufflés s'étaient efforcés d'apporter cette précision au texte. Le fait qu'ils aient été repoussés a pu quelque peu perturber le raisonnement que nous venons de dérouler. Plein de sagesse, le tribunal de commerce de Paris a su ne pas entendre les arguments avancés en ce sens : il n'en reste pas moins qu'un souci de complétude légale (21) a provoqué quelques remous dont la "place de Paris" (22) se serait sans doute passée. A méditer.

Le second type d'arguments venant accréditer le jugement parisien a à voir avec la qualification de la notification de la cession Dailly. Comme le révèle l'étude des faits de l'espèce, dans le dossier "Coeur Défense", les cessions Dailly à titre de garantie des loyers n'avaient pas été notifiées ab initio aux locataires : c'est le schéma généralement retenu en matière de financements structurés, de sorte à ce que le cédant serve de recouvreur au cessionnaire souvent incapable de s'acquitter lui-même de cette tâche. La survenance tardive de cette notification, après l'ouverture de la sauvegarde du SPV, a alimenté un débat sur le point de savoir si la notification prévue par l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9261DYN) devait être analysée comme une mesure constitutive ou de réalisation d'une garantie à laquelle s'oppose l'article L. 622-21 du Code de commerce (N° Lexbase : L3452ICT) dès lors qu'est ouverte une sauvegarde. Pour ce qui les concerne, et nous nous devons de les rejoindre sur ce terrain, les juges consulaires ont considéré que la notification n'avait que pour seul objet la révélation au débiteur de la cession et que, peu importe le moment où elle intervient (23), la cession Dailly est opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau sans autres formalités. Au fond, à nouveau, il ne s'agit là que d'une application littérale du texte de la loi : de l'intérêt général au bonheur de quelques uns, il n'y a parfois qu'un pas.

Reste une interrogation : une fois que le SPV aura récupéré les sommes lui revenant au titre des loyers, quel sort sera celui des sommes éventuellement reçues en excédent de ce qui lui était dû ? La réponse peut être découverte dans l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 février 2010.

II - Modalités de dénouement de la cession Dailly à titre de garantie

Bien que l'arrêt du 9 février 2010 complète utilement la décision relative à la titrisation "Coeur Défense", les faits qui sont à l'origine nous ramènent à des schémas de financement infiniment moins complexes.

Le cas est le suivant : une société (le débiteur principal) bénéficiant d'une ouverture de compte courant auprès d'un établissement de crédit (le créancier principal) cède à ce dernier en garantie du solde débiteur dudit compte courant (la créance garantie) une créance (la créance cédée) détenue sur un de ses débiteurs (le débiteur cédé). Lorsque le débiteur principal est mis en redressement judiciaire, le créancier principal déclare la créance garantie à la procédure collective, cette dernière finissant par être admise pour un montant de 67 519,02 euros (24). Le créancier principal décide alors d'agir contre le débiteur cédé en paiement de l'intégralité de la créance cédée, à savoir 283 383,65 euros. L'affaire est portée devant les tribunaux, et les juges de la cour d'appel d'Aix-en-Provence accèdent à la requête du créancier principal en condamnant le débiteur cédé à lui payer une somme de 283 383,65 euros.

C'est ce qui motive le pourvoi en cassation formé par le débiteur cédé, reprochant à la décision d'appel d'avoir fait fi de ce que la cession Dailly n'avait été faite qu'aux seules fins de garantie et que la créance cédée s'élevait en tout et pour tout à un montant de 67 519,02 euros ce qui ne pouvait justifier une condamnation à hauteur du complet paiement de la créance cédée.

Il revenait donc à la Haute juridiction de se prononcer sur les modalités de dénouement d'une cession Dailly à titre de garantie. Elle le fit d'une manière assez sibylline en cassant l'arrêt d'appel et en jugeant que "la cession de créance effectuée à titre de garantie prend fin sans formalité particulière pour les sommes excédant la créance qui reste due à la banque cessionnaire par le cédant", ce qui laisse manifestement un peu de place au commentateur ! Profitons de cet espace de liberté pour comprendre en quoi une cession Dailly à titre de garantie fait naître une nécessité de répartir les flux découlant de la créance cédée (A) et apprécier les conséquences qu'en tire la Cour de cassation (B).

A - La nécessité de répartition de flux en matière de cession Dailly à titre de garantie

L'espèce qui nous retient ici puise en grande partie sa source dans un décalage apparu in fine -au moment de la réalisation de la propriété-sûreté que constituait la cession Dailly à titre de garantie de la créance cédée- entre les montants respectifs de la créance cédée et de la créance garantie : la créance garantie admise à la procédure collective du débiteur principal se trouvait alors "couverte" à hauteur d'environ 420 % (25) ! Cet écart appelle nécessairement une ventilation des sommes dues au titre de la créance cédée.

Le décalage présent dans les faits de l'espèce ne doit pas étonner, ni dans son principe ni dans son quantum. En fait de cession Dailly à titre de garantie, il relève plus de la figure imposée que de l'exception.

De manière générale, l'existence d'un décalage originel (26) en termes de montant (27) s'explique essentiellement par le souci du créancier de recevoir une garantie couvrant à coup sûr et a minima le montant en principal et accessoires de la créance garantie. Naturellement, cette exigence se trouve renforcée s'il est impossible, au jour de la cession Dailly, de connaître le montant final de la créance garantie. En l'espèce, c'était d'ailleurs le cas puisque la créance garantie consistait en une créance de compte courant, dont le propre est de varier avec le temps. Il est ainsi fort probable (28) que, dès l'origine, le montant de la créance garantie et celui de la créance cédée étaient très éloignés. Plus généralement, en pratique, les sûretés réelles et les propriétés-garanties (parmi lesquelles, les cessions Dailly à titre de garantie) sont souvent constituées pour un montant qui excède celui des créances garanties : pour le créancier, il s'agit de se ménager la plus forte probabilité de se faire payer en réalisant les sûretés diverses et variées dont il bénéficie. Toutefois, notons que le pouvoir donné au juge de réduire ou d'annuler des garanties excessives (29) vient limiter cette pratique fréquente dans les opérations de leverage buy-out.

Au-delà, le décalage est toujours susceptible de s'accroître, ou simplement d'apparaître, du simple fait de l'écoulement du temps. Plusieurs raisons peuvent l'expliquer. D'abord, le montant de la créance cédée peut varier avec le temps, à la hausse comme à la baisse : dans l'hypothèse d'un contrat à exécution successive, la variation à la baisse résulte, par exemple, des paiements réguliers effectués par le débiteur cédé. Quant à la variation à la hausse, elle intervient si, en fait de créance, est cédé un paquet de créances correspondant à des flux futurs d'activité du cédant : en cas d'activité croissante, la somme desdits flux peut s'avérer in fine largement supérieure au montant de la créance garantie (et inversement, en cas d'activité en récession) (30).

L'écart en termes de montant ainsi détecté commandait que soit déterminé la manière dont les sommes dues au titre de la créance cédée devaient se répartir entre le créancier principal (cessionnaire) et le débiteur principal (cédant). Sur ce point, l'arrêt de la Cour de cassation fait ici montre de peu d'originalité puisqu'il se contente d'appliquer -en filigrane tout du moins- le principe d'allocation dégagé dans l'arrêt précité en date du 22 novembre 2005 selon lequel la cession Dailly à titre de garantie "implique la restitution du droit cédé au cas où la créance garantie viendrait à être payée [et] n'opère qu'un transfert provisoire de la titularité de ce droit" complété par la solution de l'arrêt rendu par la première chambre civile le 19 septembre 2007 (31) ayant énoncé que "le cédant d'origine peut retrouver la propriété de la créance cédée [...] (32) dans la mesure où la garantie prend fin lorsque son bénéficiaire n'a plus de créance à faire valoir ou lorsqu'il y renonce".

Une fois ces deux arrêts appliqués conjointement à l'espèce commentée, il est possible de déduire :
- que les sommes correspondant à la créance cédée devaient revenir au seul créancier principal à hauteur des sommes qui lui étaient dues au titre de la créance garantie ;
- mais, qu'en revanche, toutes les sommes excédentaires doivent demeurer la propriété du débiteur principal. Au nom du principe de prohibition de l'enrichissement sans cause, rien de plus normal.

Rien n'indique que la censure de la Cour de cassation ne soit liée à la violation de ce principe cardinal par les magistrats du fond.

B - Les modalités de répartition des flux en matière de cession Dailly à titre de garantie

Dans notre espèce, les juges d'appel ont condamné le débiteur cédé à payer au créancier principal l'intégralité de la créance cédée : c'est le reproche fait par le moyen de cassation à la juridiction de second degré. Levons l'ambiguïté : juger comme l'a fait la cour d'appel d'Aix-en-Provence ne revient pas forcément à s'opposer au principe de ventilation de flux que nous avons décrit précédemment. A l'appui de notre proposition, se trouve le fait que les magistrats aixois avaient eux-mêmes mis en avant qu'une cession Dailly à titre de garantie n'opérait qu'un transfert provisoire de propriété, ce qui est une référence manifeste à l'arrêt de 2005 précité. Aussi, le péché paraît-il plutôt avoir trait à la façon dont cette règle de répartition a été appliquée.

Clairement, à la lecture de l'arrêt de 2010, l'allocation requise des sommes dues au titre de la créance cédée se fait "sans formalité particulière". Il s'agit des termes précédemment employés par la première chambre civile de la Cour de cassation dans l'arrêt du 19 septembre 2007, enrichi toutefois d'une précision intéressante sur le fait que l'absence de formalité vaut également "pour les sommes excédants la créance qui reste due". Le risque balayé par la Cour de cassation était le suivant : on pourrait arguer que, pour rétrocéder au cédant la part de la créance cédée lui revenant, le cessionnaire devrait procéder par voie de cession sous le régime du droit commun, à savoir celui des articles 1689 (N° Lexbase : L1799ABA) et suivants du Code civil. Exclure toute formalité au moment du dénouement d'une cession Dailly à titre de garantie présente ainsi l'intérêt significatif de ne pas contraindre les parties à organiser une quelconque signification par voie d'huissier (33), à défaut de laquelle les droits du "cédant rétrocessionnaire" pourraient se trouver affaiblis. L'absence de toute formalité (34) qui fait tout l'intérêt de la cession Dailly se trouve ainsi inscrite dans une forme de plénitude. A l'opposé, la règle devrait s'inverser s'agissant d'une cession Dailly-escompte : une rétrocession soumise au régime du Code civil, ou aux articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier, si le rétrocessionnaire est un établissement de crédit, semble nécessaire. D'où l'intérêt de bien opérer en pratique la distinction entre les deux finalités de la cession Dailly que nous avons décrites en introduction.

L'arrêt d'appel ne contrevient pas à cette règle d'absence de formalité. Au contraire ! En commandant que l'entièreté de la créance cédée soit payée entre les mains du créancier principal cessionnaire, il milite indirectement pour un niveau zéro de formalité.

En réalité, le problème pointé du doigt par le moyen du pourvoi (et repris par les juges de cassation) est sans doute situé en légère marge des questions abordées jusqu'ici. Il est temps de lever le rideau sur des faits, moins anodins qu'il n'y paraît, ayant abouti à l'arrêt du 9 février 2010 : la cession Dailly à titre de garantie de la créance cédée avait été signifiée le lendemain de la signature du bordereau au débiteur cédé. Comme dans le contentieux "Coeur Défense", la réflexion relative à la notification vient de cette façon enrichir le débat.

La notification faisant par principe interdiction au débiteur cédé de payer la créance cédée entre les mains du cédant (35), le débiteur cédé ne pouvait plus ici payer que le seul créancier principal. A ce titre, la solution dégagée en appel prend du sens : il était concevable que le créancier principal puisse recevoir l'intégralité de la créance cédée, à charge pour lui de restituer l'excédent au débiteur principal (36). Sans qu'on puisse en être certain, c'est probablement ce mode particulier de dénouement de la cession Dailly à titre de garantie que proscrit l'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 9 février 2010. Pour la Cour de cassation, il semble incomber à tout débiteur cédé -notifié de la cession Dailly, à défaut seul le cédant peut recevoir paiement- de faire le départ entre les sommes payables au créancier cessionnaire -à hauteur du montant de la créance garantie- et celles dont le seul titulaire est le cédant.

Si cette solution est celle préconisée par les juges de cassation, elle ne présente pas l'avantage de la simplicité. Certes, elle limite les flux financier. Mais, dans le même temps, l'obligation faite au débiteur cédé de ventiler ses paiements pourrait faire peser sur lui le risque de payer deux fois (37) si l'opération de ventilation était erronée, qu'un trop-payé était perçu par le cessionnaire et qu'il s'avérait après coup impossible de récupérer auprès de lui les sommes versées indûment (38). La difficulté est sans doute démultipliée en cas de cession d'une créance payable par échéances : c'est à chaque paiement que le débiteur doit alors prendre la précaution d'allouer correctement les sommes qu'il pait. Aussi, par prudence, le débiteur cédé devrait quérir une information précise sur ces aspects tant auprès du cédant que du cessionnaire avant de procéder à tout paiement : la Cour de cassation exclut les formalités, mais pas les lourdeurs ! Il est étrange qu'elle paraisse, dans de tels termes, inviter les débiteurs cédés à s'intéresser à ce point aux affaires de leurs créanciers. Fort heureusement, comme nous l'avons souligné s'agissant des faits de l'affaire "Coeur Défense", la pratique veut que les cessions Dailly à titre de garantie soient rarement notifiées. Voilà qui devrait quelque peu neutraliser les effets pervers de la solution contestable qui semble être celle retenue par la Cour de cassation.

En dépit de la légère déception qui peut poindre à l'analyse de l'arrêt du 9 février 2010, il n'y rien d'optimiste à être convaincu que le succès de la cession Dailly à titre de garantie ne se démentira pas. Consolidées par l'affaire "Coeur Défense ", ses qualités de simplicité et de grande sécurité juridique devraient continuer à séduire les spécialistes de la structuration financière comme les établissements de crédit cherchant des solutions élémentaires pour sécuriser leurs engagements, contribuant ainsi au rayonnement de son dynamisme. Preuve, s'il en était nécessaire, que le droit français sait être attractif. Nul besoin à cet effet de se laisser séduire ne quelconque sirène : le développement d'instruments originaux est une voie que le législateur ne saurait négliger. L'histoire de notre temps n'est peut-être plus celle du combat à mort entre le baron et le légiste (39). Néanmoins, s'il entend survivre, ce dernier serait bien inspiré de faire valoir auprès du premier son talent à innover plutôt que de bercer les illusions baroniques qui voient le salut dans le mythe du législateur étranger (40).


(1) D'emblée, nous tenons à préciser que nous réprouvons l'emploi de ce terme impropre mais consacré dans la sphère financière pour désigner, grossièrement, l'ouverture d'une procédure collective. Que nos lecteurs nous pardonnent de céder à cette facilité.
(2) Sénateur à qui elle doit son nom usuel ; pour le reste de nos développements, nous parlerons donc de "cession Dailly".
(3) Ces précisions sont capitales en matière d'opérations internationales.
(4) Th. Bonneau, Droit bancaire, Montchrestien, 8ème éd., 2009, n° 583, p. 445.
(5) P. Crocq, Propriété et garantie, LGDJ, 1995.
(6) Pour s'en convaincre, il suffit de lire les nouveaux chapitres ajoutés en 2009 au Code civil (avec une main plus ou moins heureuse), par l'ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009, portant diverses mesures relatives à la fiducie (N° Lexbase : L6939ICY) et qui sont relatifs à la "propriété cédée à titre de garantie" (il s'agit, à chaque fois, du dernier chapitre consacré respectivement aux sûretés réelles mobilières et immobilières).
(7) Dans les grandes lignes, et de manière générale, le rehaussement de crédit a pour objectif de diminuer le risque présenté par un portefeuille d'actifs. Pour simplifier, s'agissant d'un rehaussement fondé sur des cessions de créances futures : si à une date T, sont cédées à titre d'escompte des créances d'une valeur de 50 pour un prix de 48 (la différence correspondant à la rémunération du cessionnaire) et, à titre de garantie, les créances à naître durant le mois suivant la cession (correspondant donc à l'activité commerciale ou industrielle du cédant pendant ladite période), le cessionnaire, même s'il ne parvient pas à recouvrer les sommes correspondant aux premières créances peut toujours espérer recouvrer celles liées aux secondes qu'il n'a pas financées.
(8) Transformé par la suite en fonds commun de titrisation.
(9) Ce que permettaient les contrats de prêts, en des termes et à des conditions sur lesquels il n'y a pas lieu de revenir ici.
(10)  CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 25 février 2010, 3 arrêts n° 09/21184 (N° Lexbase : A9368ESR), n° 09/21530 (N° Lexbase : A7724ESU), et n° 09/22756 (N° Lexbase : A9371ESU).
(11) Cass. com., 26 avril 2000, Société Westpac Banking Corporation c/ Société Socpresse, publié (N° Lexbase : A5133AWZ), Bull. IV, n° 84, p. 74.
(12) Cass. mixte, 22 novembre 2002, n° 99-13.935, Mme Laurence Riffier c/ Société White SAS, publié (N° Lexbase : A0430A4P) Bull. civ., n° 7, p. 17.
(13) Cass. com., 7 décembre 2004, n° 01-10.893, Groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) CUNI.CO.LE c/ Mme Denise Fievet, F-P+B (N° Lexbase : A4600DE4), Bull. IV, n° 230, p. 249.
(14) Cass. com., 22 novembre 2005, n° 03-15.669, M. Bruno Sapin, administrateur judiciaire et commissaire à l'exécution du plan de la société Entreprise Jean Nallet c/ Banque du bâtiment et des travaux publics (BTP Banque), FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A7428DLP) ; parmi la profusion d'articles, commentaires et autres notes ayant proposé des vues sur cette décision : RTDCom., 2006.169, obs. D. Legeais ; JCP éd. E, 2006, 673, n° 14-15, obs. M. Cabrillac ; et Banque et Droit, mars-avril 2006, p. 67, obs. Th. Bonneau.
(15) En l'occurrence, la sauvegarde dont faisait l'objet le SPV.
(16) Nous soulignons.
(17) Com., 28 mai 1996, n° 94-10.361, Banque nationale de Paris (BNP) c/ M Giffard, ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Eurohaul et autre (N° Lexbase : A9592ABU).
(18) Cass. com., 16 octobre 2007, n° 06-14.675, Société civile immobilière (SCI) des Dames Visitandines, FS-P+B (N° Lexbase : A8061DY9), X. de Kergommeaux, E. Barres & A. Bordenave, La transmission d'un "bordereau Dailly" à un fonds commun de créances : arrêt du 16 octobre 2007 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, Revue trimestrielle de droit financier, 2007, n° 4, p.124.
(19) Cf. Com., 19 décembre 2006, n° 05-16.395, Société Disques investissements audio vidéo (DIVA), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9943DS3), F. Auckenthaler, Cession de créance en garantie : le serpent de mer se déchaîne, JCP éd. E, 2007, n° 2187 ; L. Aynes, D., 2007, p. 961, C. Larroumet, D., 2007, p. 344, G. Mégret, La Cour de cassation tranche : pas de fiducie sans texte..., Lexbase Hebdo n° 250 du 29 février 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N1071BAW).
(20) Voir en ce sens : F. Credot & T. Samin, Coeur Défense, un dossier emblématique d'application de la loi Dailly, Revue Banque, janvier 2010, p. 81 et s.
(21) "L'inflation se grossit de l'enflure", disait Carbonnier.
(22) Pour reprendre l'expression consacrée.
(23) Moment que le Code monétaire et financier laisse à la discrétion du cessionnaire (C. mon. fin, art. L. 313-28).
(24) Et non 203 372,17 euros comme le créancier principal le demandait.
(25) Pour mémoire : la créance garantie s'élevait (in fine) à 67 519,02 euros.
(26) Qui existerait au jour de la cession Dailly à titre de garantie.
(27) D'autres décalages sont susceptibles d'apparaître comme le décalage temporel entre l'échéance de la créance garantie et celle de la créance cédée auquel l'article 2364 du Code civil (N° Lexbase : L6529HWQ) fait référence en matière de nantissement de créance ; nous ne les évoquerons pas plus longuement ici.
(28) Pour ne pas dire : certain.
(29) Ce pouvoir du juge est prévu par l'article L. 650-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3503ICQ) qui dispose que "pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue [pour soutien abusif] les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge".
(30) Les titrisations de créances commerciales s'appuient généralement sur ce mécanisme.
(31) Cass. civ. 1, 19 septembre 2007, n° 04-18.372, M. Christian Bègue, F-P+B (N° Lexbase : A4151DYE), RTDCom., 2008, 162, obs. D. Legeais ; Banque et Droit, novembre -décembre, 2007, 30, obs. Th. Bonneau.
(32) Nous reviendrons sur le contenu laissé en blanc ici un peu plus bas.
(33) Ou une acceptation par ce dernier en la forme des actes authentiques, ayant toutes deux pour objet de faire en sorte que "le cessionnaire soit saisi à l'égard des tiers" (C. civ., art. 1690 N° Lexbase : L1800ABB).
(34) Outre, encore une fois, la signature d'un bordereau.
(35) En ce sens, on a pu la rapprocher de la défense faite au tiré de payer une lettre de change : Jeantin, P. Le Cannu, T. Granier, Droit commercial - Instruments de paiement et crédit / Titrisation, Dalloz, 7ème éd., 2004, n° 490, p. 326.
(36) En application du principe de répartition que nous avons développé plus haut.
(37) En application de l'article 1240 du Code civil (N° Lexbase : L1353ABQ).
(38) Voir, dans le même sens, X. Delpech, Dénouement de la cession Dailly à titre de garantie, D., 2010, p. 578.
(39) Pour pasticher une citation de Michelet.
(40) Cf. J. Carbonnier (encore et toujours !), A beau mentir qui vient de loin, ou le mythe du législateur étranger, in Essai sur les lois, Defrénois, 2ème éd., 1995, p. 191.

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Avocats

[Jurisprudence] Les limites à la confidentialité des correspondances de l'avocat

Réf. : Cass. civ. 1, 14 janvier 2010, n° 08-21.854, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3027EQ8)

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par Cédric Tahri, ATER à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 26 Septembre 2014

Dans un arrêt du 14 janvier 2010, la première chambre civile de la Cour de cassation a précisé les limites au principe de confidentialité des correspondances de l'avocat. En l'espèce, une société d'expertise-comptable réclamait un honoraire complémentaire de résultat à un client qu'elle avait conseillé, conjointement avec un avocat, dans le cadre d'une cession de parts sociales. Au soutien de sa prétention, elle produisait plusieurs documents obtenus, à titre informatif, de l'avocat. Le premier document invoqué par la société à titre de preuve de sa créance d'honoraire était une lettre écrite le 30 juin 2005 par l'avocat au client et dont le texte lui avait été communiqué par l'avocat. La première chambre civile approuve, ici, les juges du fond d'avoir écarté ce document des débats en rappelant le caractère strictement confidentiel de la correspondance entretenue entre un avocat et son client. En effet, l'avocat n'est pas habilité à autoriser la divulgation par un tiers d'une telle correspondance, et ce même s'il en est l'auteur, à la différence du client qui peut choisir de rendre publique la lettre qu'il a adressée à son avocat (1). La solution vaut même si le tiers est un professionnel participant, conjointement avec l'avocat, à une mission de conseil.

Le second document produit par la société d'expertise-comptable était une lettre, en date du 12 mai 2005, adressée par l'avocat à ladite société et relatant les échanges entretenus lors d'une réunion de travail à laquelle les deux professionnels avaient conjointement participé. Les juges du fond avaient écarté cette correspondance des débats en affirmant que "l'avocat, tenu au secret professionnel par une obligation générale et absolue, n'était pas en droit de divulguer, comme il l'avait fait dans cette missive, la teneur de ces entretiens avec son client". Mais, cet argument n'a pas été jugé recevable par la Haute juridiction dans la mesure où la "réunion s'était déroulée avec la participation de l'expert-comptable, de sorte que les informations échangées à cette occasion ne pouvaient avoir un caractère secret au regard de ce professionnel". L'arrêt d'appel est donc censuré sur ce point, pour violation de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ).

Ainsi, l'arrêt du 14 janvier 2010 présente un double intérêt. D'une part, il rappelle la confidentialité de la lettre adressée par l'avocat à son client (I) ; d'autre part, il reconnaît la communicabilité de la lettre adressée par l'avocat à un tiers (II).

I - La confidentialité de la lettre adressée par l'avocat à son client

La confidentialité des correspondances entre l'avocat et son client est garantie au niveau national (A) et supranational (B).

A - Une confidentialité garantie au niveau national

Le principe de confidentialité. Le principe de confidentialité est consacré par l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifié par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 (N° Lexbase : L7957DNZ) et l'ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 (N° Lexbase : L6939ICY). Cette disposition légale précise qu'en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense (2), les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci (3), les correspondances échangées entre le client et son avocat (4), entre l'avocat et ses confrères (5) à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. La loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005, relative au traitement de la récidive des infractions pénales (N° Lexbase : L4971HDH), a même inséré un nouvel alinéa dans l'article 100-5 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3498IGN), lequel interdit, désormais, les transcriptions des correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense.

Les documents protégés. Les correspondances échangées entre l'avocat et son client sont protégées quel qu'en soit leur support (6). Ce principe est rappelé par l'article 2.2 du Règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8) : "le secret professionnel couvre toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil comme dans celui de la défense, et quels qu'en soient les supports matériels ou immatériels (papier, télécopie, voie électronique [...]". De même, selon l'article 3.1 du RIN, "tous échanges entre avocats, verbaux ou écrits, quel qu'en soit le support (papier, télécopie, voie électronique...) sont par nature confidentiels". Il peut donc s'agir de courriers rapportant des faits, posant des questions ou des consultations sur l'élaboration de la défense ou d'un acte. Il peut également s'agir de notes d'entretien (7), de courriers électroniques (8), de télécopies (9) ou de simples attestations (10).

Par ailleurs, il faut noter qu'une lettre écrite à un avocat par son client ou l'inverse est inviolable (11), qu'elle lui soit parvenue ou même si elle est en possession de l'administration postale ou du client ou encore d'un tiers mandaté par ses soins pour la lui remettre (12).

B - Une confidentialité garantie au niveau supranational

La protection européenne des correspondances. Sur le fondement de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, les juges strasbourgeois garantissent la confidentialité des correspondances. Ils rappellent que des perquisitions et des saisies chez un avocat sont susceptibles de porter atteinte au secret professionnel, qui est à la base de la relation de confiance qui existe entre l'avocat et son client (13). Partant, si le droit français peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d'un avocat (14), celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières. De même, la Convention n'interdit pas d'imposer aux avocats un certain nombre d'obligations susceptibles de concerner les relations avec leurs clients. Il en va ainsi, notamment, en cas de constat de l'existence d'indices plausibles de participation d'un avocat à une infraction. Reste qu'il est alors impératif d'encadrer strictement de telles mesures, les avocats occupant une situation centrale dans l'administration de la justice et leur qualité d'intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux permettant de les qualifier d'auxiliaires de justice (15).

La protection communautaire des correspondances. Dans plusieurs arrêts, la Cour de justice des Communautés européennes a affirmé le principe de confidentialité de la correspondance échangée entre un avocat et son client (16). En particulier, une décision du 18 mai 1982 (17) apporte une réponse à la question de la confidentialité de la correspondance entre une entreprise faisant l'objet d'une procédure de contrôle dans le cadre du droit communautaire de la concurrence, et son ou ses avocats. La Cour constate, tout d'abord, que les droits internes des Etats membres protègent la confidentialité de la correspondance entre avocat et client, à condition, d'une part, qu'il s'agisse de correspondance échangée dans le cadre et dans le but du droit de la défense du client et, d'autre part, qu'elle émane d'avocats indépendants, c'est-à-dire d'avocats non salariés du client. Cette solution doit être transposée à la procédure du droit de la concurrence, juge la Cour qui précise que la protection doit couvrir toute correspondance échangée après l'ouverture de la procédure, en vertu du Règlement n° 17/62 (N° Lexbase : L0186AWS) (Règlement qui avait précédé le Règlement 1/2003 N° Lexbase : L9655A84), mais aussi à la correspondance antérieure, ayant un lien de connexité avec l'objet d'une telle procédure. Elle doit, par ailleurs, s'appliquer indistinctement à tous les avocats inscrits au barreau de l'un des Etats membres, quel que soit l'Etat membre où réside le client. Toutefois, cette protection ne joue que si le client le souhaite : le principe de confidentialité n'empêche pas ce dernier de révéler sa correspondance avec son avocat, s'il estime y avoir intérêt.

II - La communicabilité de la lettre adressée par l'avocat à un tiers

Bien que soumis lui-même au secret professionnel (A), l'expert-comptable n'a pas à respecter la confidentialité d'une note d'entretien qui lui est destinée (B).

A - L'expert-comptable soumis au secret professionnel

Un secret professionnel absolu. Comme l'a rappelé la Cour de cassation, l'exercice de l'expertise comptable est soumis au respect du secret professionnel : "quel que soit l'objet de la mission dont il est chargé par contrat, l'expert comptable est tenu à un secret professionnel absolu à raison des faits qu'il n'a pu connaître qu'en raison de la profession qu'il exerce" (18).

Ce secret professionnel est un principe fondamental qui est moins un droit qu'un devoir s'imposant au professionnel. Il est prévu par plusieurs textes. L'article 21 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 (N° Lexbase : L8059AIC) prévoit que "sous réserve de toute disposition législative contraire, les experts-comptables, les experts-comptables stagiaires sont tenus au secret professionnel dans les conditions et sous les peines prévues à l'article 378 du Code pénal (N° Lexbase : L4821DGN)". L'article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG) dispose que "la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende". La norme professionnelle 114 (norme "secret professionnel et devoir de discrétion") indique, également, que "l'expert-comptable est tenu au respect du secret professionnel et à un devoir de discrétion". Enfin, une motion du Conseil supérieur de l'Ordre du 7 mai 1980 précise que "le secret professionnel est l'apanage d'une profession libérale organisée et responsable. Il favorise le climat de confiance indispensable à l'accomplissement de la mission du professionnel et garantit aux individus l'inviolabilité d'une certaine sphère d'activité".

Un secret professionnel étendu. Les matières couvertes par le secret professionnel sont celles confiées à l'expert-comptable dans le cadre de la confidence faite par un client à un professionnel libéral. L'expert-comptable ne peut révéler à des tiers les confidences qui a faites son client et dont il a eu connaissance dans l'exercice de sa profession. En revanche, il peut être entendu comme témoin lorsque les autorités sont amenées à recueillir des informations spécifiques sur ses entreprises clientes, dans le cadre de la recherche d'infractions aux lois sur les sociétés ou d'infractions classiques commises dans le cadre social, de cas de banqueroute ou d'infractions propres à la réglementation de la profession. L'expert-comptable requis est tenu d'obtempérer mais doit attendre de l'être pour témoigner. En effet, il ne saurait révéler spontanément aux juridictions répressives ce qu'il a appris au cours de sa mission. Par ailleurs, ses révélations à l'occasion de ce témoignage doivent se limiter à ce qui est indispensable à la sincérité de sa déposition.

B - L'expert-comptable affranchi du secret des correspondances

La participation de l'expert-comptable aux entretiens. L'expert-comptable peut produire une lettre que lui avait adressée l'avocat relatant la teneur de ses entretiens avec le client au cours d'une réunion à laquelle il avait également participé. La solution n'est guère surprenante puisque les informations relatées dans cette lettre étaient connues du professionnel auquel elle était destinée. En d'autres termes, les notes d'entretien sont confidentielles, sauf à l'égard de ceux qui ont participé audit entretien (19).

Cette solution est conforme à la jurisprudence antérieure. D'une part, la première chambre civile a accepté qu'un accord conclu entre un avocat et un comité d'entreprise soit versé au débat dès lors que le demandeur avait connaissance, en tant que président dudit comité, de la pièce et de son contenu (20). D'autre part, elle a écarté le principe de confidentialité dans l'hypothèse où une lettre faisait état de faits notoires (21). Aussi, la connaissance, par la partie demanderesse, des éléments visés par le document litigieux est-elle de nature à limiter la portée du secret des correspondances de l'avocat.

Le comblement de la loi. La présente décision a également le mérite de préciser un point que le nouvel article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction de 2004, n'avait pas envisagé. Le Règlement intérieur national de la profession d'avocat ne l'avait pas davantage évoqué. Dans un rapport de droit triangulaire, les juges n'ont pas à s'arrêter au rapport bipartite réglant les relations de l'avocat à son client dans une situation de cette nature. Ils doivent aussi tenir compte de la mention "officielle" et de la réalité qu'elle recouvre. En outre, l'on peut se demander si le juge du droit n'est pas venu -il s'agit là de pur fait- fournir un appoint à une solution d'équité. Bénéficiant d'une convention identique, l'avocat avait été désintéressé de ses honoraires de résultat et la lettre du 12 mai 2005 établissait que l'avocat avait été désintéressé...

Quoi qu'il en soit, il est certain que toutes ces difficultés auraient été épargnées si l'expert-comptable avait pris soin, comme le recommandait déjà sa déontologie, de disposer d'une lettre de mission réglant les conditions de sa rémunération !


(1) V. Cass. civ. 1, 30 avril 2009, n° 08-13.596 (N° Lexbase : A6517EGH) ; Cass. crim., 26 mars 2008, n° 06-88.674 ; Cass. civ. 1, 4 avril 2006 n° 04-20.735 (N° Lexbase : A9671DNI), JCP éd. G, 2006, II, 10106.
(2) V. CA Besançon 12 mars 2008, RG n° 06/1348 (N° Lexbase : A6517ETK), publié par le Service de documentation de la Cour de cassation.
(3) Qu'elles concernent un procès en cours ou à naître, v. Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 05.11-314 (N° Lexbase : A3906D7S).
(4) V. Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 02-16.801 (N° Lexbase : A8322DBT), Gaz. Pal., 30 mai-3 juin 2004, avis Sainte-Rose. En revanche, le client, auteur de la lettre, peut produire cette correspondance, v. Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 07-17.162 (N° Lexbase : A5920EAI) ; Cass. crim., 26 mars 2008, n° 06-88.674 ; Cass. civ. 1, 4 avril 2006, n° 04-20.735 (N° Lexbase : A9671DNI).
(5) V. Cass. civ. 1, 4 février 2003, n° 00-10.057 (N° Lexbase : A9203A4M), Bull. civ., I, n° 33.
(6) V. notamment, J.-M. Varaut et L. Ruet, Secret professionnel et confidentialité dans les professions juridiques et judiciaires, Gaz. Pal., 10-12 août 1997.
(7) V. Réponse de la commission déontologie du 20 août 2008.
(8) V. CA Reims 10 mars 2008, RG n° 07/629, publié par le Service de documentation de la Cour de cassation.
(9) V. CA Nîmes 26 octobre 2004, publié par le Service de documentation de la Cour de cassation.
(10) Une attestation rédigée par un avocat alors qu'il était saisi d'un divorce pour lequel il intervenait pour les deux parties est couverte par le secret professionnel. L'avocat qui lui succède en faveur de l'une des parties ne peut donc pas s'en prévaloir et utiliser cette pièce, V. Réponse de la commission déontologie du 6 avril 2009.
(11) V. Cass. civ. 1, 14 mars 2000, n° 97-17782 (N° Lexbase : A4155CHD), Bull. civ. I, n° 91.
(12) A. Damien et H. Ader, Règles de la profession d'avocat, Dalloz, n° 35 -33, 2008, n° 36-11 ; TGI Paris 6 mai 2008, RG n° 06/01263 (N° Lexbase : A1780EEN), publié par le Service de documentation de la Cour de cassation.
(13) V. CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03 (N° Lexbase : A8281D9L).
(14) V. CEDH, 30 janvier 2007, n° 34514/02 (N° Lexbase : A3441EUY).
(15) V. CEDH, 1er septembre 2009, n° 45827/07 (N° Lexbase : A3442EUZ).
(16) V. CJCE, 26 mars 1987, aff. C-46/87 (N° Lexbase : A8553AUC), Rec. CJCE 1987. p. 4797 ; CJCE, 28 octobre 1987, aff. C-85/87 (N° Lexbase : A7816AUZ), Rec. CJCE 1987. p. 4367 ; CJCE, 17 octobre 1989, aff. C-97/87 (N° Lexbase : A4525AWI), Rec. CJCE 1989. p. 3165
(17) V. CJCE, 18 mai 1982, aff. C-155/79 (N° Lexbase : A5944AUP), Rec. 1982. p. 1575 : "Le droit communautaire, issu d'une interpénétration non seulement économique, mais aussi juridique des Etats membres, doit tenir compte des principes et conceptions communs aux droits de ces Etats en ce qui concerne le respect de la confidentialité à l'égard, notamment de certaines communications entre les avocats et leurs clients. Cette confidentialité répond en effet à l'exigence, dont l'importance est reconnue dans l'ensemble des Etats membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s'adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même comporte la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin".
(18) V. Cass. com, 8 février 2005, n° 02-11.044 (N° Lexbase : A7326DGG), Bull civ. IV, n° 22.
(19) Comp. Cass. civ. 1, 30 janvier 2007, n° 03-16.910 (N° Lexbase : A7761DTM) : la production par une ex-épouse de la correspondance adressée par son ex-mari à son avocat, couverte par le secret professionnel, ne peut se faire sans l'accord de ce dernier.
(20) V. Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 05-11.314 (N° Lexbase : A3906D7S).
(21) V. Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 03-17.972 (N° Lexbase : A3607DQN).

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