La lettre juridique n°367 du 15 octobre 2009

La lettre juridique - Édition n°367

Éditorial

Les collectivités territoriales entre Charybde et Scylla

Lecture: 5 min

N0687BME

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212025-edition-n-367-du-15-10-2009#article-370687
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Les moments de crise produisent un redoublement de vie chez les hommes" - Chateaubriand

Alain Decaux raconte. Au commencement, Dieu créa le fief (nous invoquons ici le très Haut, parce que la France était quasi théocratique, comme chacun le sait). Et, rien de plus simple pour le seigneur du fief que de lever -déjà- l'impôt pour financer l'investissement des prérogatives régaliennes du fief en question (armée, monnaie, bonnes oeuvres et administration) ; sans compter l'allégeance au suzerain qui comprenait, notamment, le reversement de la taille à son profit. Autant dire que la structure administrative et fiscale française ne date pas d'hier, sauf qu'elle était plutôt d'inspiration fédérale, si le lecteur permet, ainsi, le raccourci. Puis, il y eut la Révolution ! Elle ne changea pas la France en une société sans impôt -loin s'en faut-, mais elle accentua simplement la centralisation administrative sous l'égide jacobine jusqu'à remplacer les fermiers généraux et les gabelous par les inspecteurs des impôts et les agents des douanes dûment assermentés, mais surtout rattachés à des administrations centralisées. Le temps d'harmoniser juridiquement et fiscalement la France, pour une égalité face au service public entre les régions et 1982 annonce la décentralisation, pour "rendre à César ce qui appartient à César" : nous y revoilà ! Avec l'Acte I de la décentralisation, on nous vend la proximité de la gestion administrative de certains services publics (éducation primaire et secondaire en tête, mais aussi l'assistance sociale et la gestion immobilière). Un ensemble de prérogatives dont les collectivités territoriales auraient pu s'enorgueillir, si l'Etat n'avait pas omis de décentraliser, du même coup, le mode principal de perception des ressources nécessaires au financement des ces nouvelles prérogatives, accentuées par l'Acte II de la décentralisation, c'est-à-dire la perception de l'impôt.

En attendant le denier du culte. Et voici nos collectivités territoriales de quémander chaque année le denier étatique ; et l'Etat de ne montrer que peu d'empressement à combler les lignes budgétaires des collectivités, plutôt enclin à gérer, au plus près, sa propre dette -qui comme chacun le sait s'envole dans la stratosphère actuellement-. Qu'à cela ne tienne ! Responsables et autonomes, les collectivités territoriales tentent de trouver de nouvelles sources de financement et de gérer, au mieux, leurs encours de dette... Acteurs économiques de première importance, concourant pour 70 % à l'effort d'investissement national, les banques n'auront eu aucun mal à trouver les produits ad hoc pour allécher ces clients d'un genre particulier : gros consommateurs de crédits et, surtout, d'une solvabilité quasi à toute épreuve ; l'impôt couvrant, au final, les égarements ou les risques liés à ces nouveaux produits, dit structurés.

Produit financier "miracle" ou Gorgone pétrifiante ? Le problème avec les produits complexes ou structurés permettant une minimisation de la dette ou des encours, c'est qu'ils sont bien souvent élaborés en période de confiance, de croissance et de besoin réactif en liquidités. Mais, faîtes que les indices de composition de ces produits se "déstructurent" et la machine se grippe : la minimisation devient maximisation et la responsabilité financière et politique de ces collectivités territoriales arrive en première ligne. Et notre édition publique de publier, cette semaine, les actes d'un colloque organisé le 26 juin 2009 par l'association des élèves et anciens élèves du département D1 de l'Ecole Normale Supérieure Cachan, consacré aux "Effets de la crise sur la gestion des collectivités locales".

"Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise" - Jean Monnet. Et, l'on s'apercevra, bien trop tard, que les collectivités territoriales ne sont pas des "clients" comme les autres, parce que leur responsabilité n'est ni individuelle, ni sociétale, mais sociale ; et, surtout, que leur comptabilité n'est pas adaptée à la gestion sur le long terme de tels produits complexes. Heureusement, les collectivités n'ont pas tardé à réagir. Elles ont cherché à ajuster leur exposition à la variation des taux d'intérêt, et ont fait évaluer les impacts financiers liés aux positions de marché incluses dans leur dette structurée. Elles ont, en outre, privilégié des aménagements pour sécuriser leur dette et maintenir leur équilibre financier et ont, ainsi, réalisé des arbitrages massifs vers des taux fixes qui sont plus prévisibles budgétairement. Par ailleurs, pour encadrer le recours aux crédits structurés, une table ronde a été organisée le 3 novembre 2008 par les ministères de l'Intérieur et de l'Economie avec les représentants des associations d'élus locaux et les principaux établissements bancaires actifs dans ce secteur. A la suite de cette réunion, les banques prêteuses se sont engagées, à traver une charte de bonne conduite entrée en vigueur en septembre 2009, à ne plus commercialiser auprès des collectivités locales des produits financiers complexes. Elles s'engagent également à fournir une meilleure information sur le coût réel des prêts et à proposer systématiquement une alternative de prêt classique. De leur côté, les collectivités locales emprunteuses s'engagent à renforcer l'information des assemblées délibérantes sur leurs politiques d'emprunts et de gestion active de la dette, ainsi que sur l'exposition aux produits structurés risqués.

L'arlésienne chevauche la vieille Chimère. Mais, c'est au moment où les collectivités territoriales touchées par la crise financière peuvent foudroyer le "monstre financier" que l'Etat ressort -on jugera de l'opportunité- une vieille arlésienne : la suppression de la taxe professionnelle (au demeurant l'un des principaux impôts de financement des collectivités territoriales). En effet, le projet de loi de finances pour 2010 entend encourager la compétitivité des entreprises, en supprimant la taxe professionnelle... taxe qui serait remplacée par une contribution économique territoriale (CET), composée d'une cotisation locale d'activité (CLA) assise sur les bases foncières, et d'une cotisation complémentaire (CC) assise sur la valeur ajoutée. La somme de cette cotisation complémentaire et de la part foncière serait plafonnée à 3 % de la valeur ajoutée. Et, la réforme entrerait en vigueur en deux temps : dès 2010 pour les entreprises, et en 2011 pour les collectivités (sic). Bref, "l'art de l'imposition consiste à plumer l'oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris" disait Colbert ! Sauf que l'on entend déjà les cris des responsables politiques des différentes collectivités concernées, ravis de voir intervenir la suppression d'un impôt majeur des finances publiques locales en plein contexte de crise financière et crise de trésorerie -car bien entendu le tarissement des crédits touche aussi ces clients pourtant solvables-, encore plus attentifs à la création d'un nouvel impôt dont la complexité n'aura d'égale que celle des produits structurés proposés par les banques -mais leur rendement sera assuré par les entreprises contribuables même si leur le duvet tend à se clairsemer-.

L'emprunt obligataire régional, nouveau Bellérophon. Une autre piste de financement fait désormais grand bruit : celle de l'emprunt obligataire lancé par les régions. Et, l'expérience de la région des Pays de la Loire paraît concluante puisque l'emprunt a été plébiscité par les épargnants qui ont acheté pour 72,2 millions d'euros de titres. 93 % des souscripteurs résident dans les Pays de la Loire et ont souhaité participer à travers un produit de financement des plus classiques au financement de projets bien identifiés (lire Le Figaro du 13 octobre 2009). Cet emprunt obligataire court sur six ans et affiche un rendement de 4 %. Quand le peuple devient César...

newsid:370687

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable de l'employeur de ses obligations en matière de GPEC

Réf. : Cass. soc., 30 septembre 2009, n° 07-20.525, Comité central d'entreprise de la Serca c/ Société Serca, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5779ELM)

Lecture: 8 min

N0835BMU

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212025-edition-n-367-du-15-10-2009#article-370835
Copier

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010



L'arrêt rendu le 30 septembre 2009 revêt une importance capitale en ce qu'il vient trancher la question de l'articulation de l'obligation triennale de négocier sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) et de la consultation d'un comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "la régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable, par l'employeur, de l'obligation de consulter le comité d'entreprise sur l'évolution annuelle des emplois et des qualifications, prévue par l'article L. 2323-56 du Code du travail (N° Lexbase : L1881IEE), ni de celle d'engager, tous les trois ans, une négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, imposée par l'article L. 2242-15 du même code (N° Lexbase : L2393H9I)". Cette solution, qui doit être entièrement approuvée, met définitivement un terme à une jurisprudence pour le moins critiquable de certaines juridictions du fond.
Résumé

La régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable, par l'employeur, de l'obligation de consulter le comité d'entreprise sur l'évolution annuelle des emplois et des qualifications, prévue par l'article L. 2323-56 du Code du travail, ni de celle d'engager, tous les trois ans, une négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, imposée par l'article L. 2242-15 du même code.

Aucun quorum n'étant fixé pour l'adoption d'une résolution, d'une décision ou d'un avis du comité d'entreprise, la délibération prise par un seul des membres du comité à la suite du départ des autres membres est régulière.

I - Régularité de la consultation du comité d'entreprise en l'absence de négociation relative à la GPEC

  • L'affaire

Lorsque, dans une entreprise employant plus de cinquante salariés, l'employeur envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique de dix salariés ou plus, il se doit de mettre en branle la procédure d'information/consultation du comité d'entreprise prévue aux articles L. 1233-28 (N° Lexbase : L1158H9R) et suivants du Code du travail. En outre, dès lors que ces licenciements découlent d'une opération de restructuration, ce même employeur doit mener une autre consultation au titre de l'article L. 2323-15 du même code (N° Lexbase : L2761H97). Précédent normalement la première, cette dernière peut, toutefois, être menée concomitamment avec elle (C. trav., art. L. 1233-30, al. 2 N° Lexbase : L1163H9X) (1).

Ces obligations avaient, semble-t-il, été respectées dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt rapporté. En l'espèce, une société envisageant de fermer l'un de ses établissements qui employait cinquante-six salariés avait saisi son comité central d'entreprise d'un projet de licenciement pour motif économique de vingt-six personnes. Ce dernier avait, cependant, saisi le juge des référés d'une demande de suspension de la procédure de licenciement et de reprise de la procédure de consultation depuis son origine en alléguant diverses irrégularités. Débouté en appel, le comité central d'entreprise a formé un pourvoi en cassation, reprochant principalement à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré que les consultations annuelle et triennale prévues par les articles L. 2323-56 et L. 2242-15 du Code du travail sont indépendantes de la consultation obligatoire dans le cadre d'une procédure de licenciement collectif et de l'avoir débouté de sa demande de suspension de la procédure d'information/consultation. A l'appui de son pourvoi la partie demanderesse arguait simplement que la procédure d'information et de consultation du comité central d'entreprise au titre du livre IV et III du Code du travail doit être suspendue tant que l'employeur n'a pas respecté ses obligations d'information et de consultation au titre de l'article L. 432-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6401AC3) et de négociation sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences au titre de l'article L. 320-2 du Code du travail (N° Lexbase : L4207HWQ) (2).

Cette argumentation est écartée par la Cour de cassation qui affirme que "la cour d'appel a exactement décidé que la régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable, par l'employeur, de l'obligation de consulter le comité d'entreprise sur l'évolution annuelle des emplois et des qualifications, prévue par l'article L. 2323-56 du Code du travail, ni de celle d'engager, tous les trois ans, une négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, imposée par l'article L. 2242-15 du même code".

  • Une solution attendue et justifiée

La solution retenue par la Cour de cassation doit être pleinement approuvée. Nous l'avions, d'ailleurs, appelée de nos voeux dans ces mêmes colonnes, à la suite d'autres auteurs (3).

La question qui était au coeur de l'arrêt rapporté, et qui avait antérieurement fait couler beaucoup d'encre, peut être, ainsi, résumée : le non-respect par l'employeur des obligations prescrites par les articles L. 2323-56 et L. 2242-15 du Code du travail rend-elle irrégulière la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique (4) ?

S'agissant tout d'abord de l'article L. 2323-56, et pour aller à l'essentiel, il impose à l'employeur d'informer et de consulter annuellement le comité d'entreprise sur l'emploi dans l'entreprise (5). Ainsi que nous l'avions relevé (6), on ne voit pas en quoi le non-respect par l'employeur de cette obligation entacherait d'une quelconque irrégularité la consultation du comité sur un projet de licenciement économique. Il n'existe aucun lien entre ces deux procédures d'information/consultation, d'autant plus que la première visée est détachée de tout projet de l'employeur.

Cette même argumentation doit valoir pour l'obligation faite à l'employeur par l'article L. 2242-15 d'engager tous les trois ans une négociation portant sur la GPEC. Là encore, le législateur n'a établi aucun lien entre cette obligation de négocier et la mise en oeuvre d'une procédure d'information/consultation sur un projet de licenciements économiques. Partant, ce serait solliciter à l'excès les textes que d'affirmer que cette procédure doit être suspendue tant que l'obligation de mener cette négociation n'a pas été respectée. En outre, on ne voit pas bien quel serait l'intérêt pratique d'imposer une telle négociation sur la GPEC alors qu'un projet de licenciements économiques a, d'ores et déjà, été arrêté.

Cela étant, il n'en reste pas moins contestable qu'un employeur envisage de procéder à des licenciements économiques sans avoir préalablement envisagé une GPEC de nature à atténuer les conséquences sociales d'une restructuration. Mais la sanction de la méconnaissance de la loi doit être recherchée ailleurs que dans la suspension de la procédure d'information/consultation du comité d'entreprise et dans l'obligation de mener la négociation de la GPEC à un moment où il y a peu de chances qu'elle produise des effets salutaires pour les salariés (7). La défaillance de l'employeur en la matière devrait, notamment, avoir des conséquences sur le caractère justifié des licenciements prononcés. Il est, à cet égard, important de souligner que, dans l'arrêt sous examen, la Cour de cassation s'en tient expressément et uniquement à la seule régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique et ne se prononce donc pas sur la régularité des licenciements eux-mêmes.

Pour toutes ces raisons la solution retenue par la Cour de cassation doit être approuvée et vient mettre un terme à certaines décisions critiquables de cours d'appel (8).

II - Régularité de la consultation du comité sur la procédure de licenciement économique

  • L'exigence d'une information complète et loyale

A l'évidence, il ne peut y avoir de véritable consultation du comité d'entreprise sur un projet donné sans que celui-ci ait préalablement reçu des informations sur celui-ci de la part de l'employeur. L'article L. 2323-4 ne dit pas autre chose lorsqu'il affirme que "pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur [...]".

Ce texte lie clairement l'information à l'objet de la consultation et, plus précisément, au projet de décision de l'employeur (9). Eu égard à celui-ci, et ainsi que le souligne la Chambre sociale dans l'arrêt rapporté, l'information doit être complète et loyale. Il faut comprendre que l'information doit permettre au comité de mesurer tous les tenants et aboutissants de la mesure envisagée par l'employeur. Appliquée aux faits de l'espèce, cela signifiait que le comité central d'entreprise devait disposer des renseignements suffisants pour se forger une opinion sur le choix de l'employeur de supprimer le centre d'Annecy plutôt que de le déplacer et qu'il avait, de ce fait, été mis à même de discuter utilement les éléments économiques du choix de l'employeur. Pour la Cour de cassation, comme avant elle la cour d'appel de Lyon, tel avait été le cas en l'espèce.

Par voie de conséquence, dès lors que l'information avait été complète et loyale, il importait peu que l'employeur n'ait pas respecté son obligation d'information/consultation au titre de l'article L. 2323-56 ou qu'il n'ait pas négocié la GPEC. Le comité disposait, par ailleurs, de tous les éléments d'information nécessaires (10).

  • L'adoption de l'avis du comité

En application de l'alinéa 1er de l'article L. 2325-18, "les résolutions du comité d'entreprise sont prises à la majorité des membres présents". Ne sont donc pris en compte que les "membres présents" lors de la réunion, à l'exclusion de ceux qui, bien qu'élus au comité, seraient absents.

Si un titulaire est absent, il est normalement remplacé par un suppléant qui devient titulaire et vote à sa place. Mais si aucun suppléant ne le remplace, il ne compte pas pour le calcul de la majorité. Il en est ainsi même si les absents sont plus nombreux que les présents car, ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, la loi n'exige aucun quorum pour l'adoption des résolutions du comité. Ainsi que l'a relevé un auteur, "les membres du comité d'entreprise qui refusent d'assister à une réunion en signe de désaccord et ne sont pas remplacés doivent donc savoir que leur geste facilite l'adoption des résolutions qu'ils désapprouvent" (11).

L'arrêt rapporté illustre la justesse de cette affirmation. En l'espèce, à la suite d'une suspension de séance, les membres du comité d'entreprise ne l'avaient pas poursuivie, à l'exception du représentant de l'encadrement qui avait émis un avis négatif. Le comité d'entreprise soutenait par suite que cet avis n'était pas régulier pour n'avoir été émis que par un seul de ses membres demeurés en séance. Pour les raisons évoqués précédemment cet argument ne pouvait être reçu, pas plus par la cour d'appel que par la Cour de cassation. On ne sera, dès lors, pas surpris que celle-ci affirme, pour rejeter sur ce point le pourvoi du comité central d'entreprise qu'"aucun quorum n'étant fixé pour l'adoption d'une résolution, d'une décision ou d'un avis du comité d'entreprise, la délibération prise par un seul de ces membres du comité à la suite du départ des autres membres est régulière".

Il nous semble surtout important de relever que la Chambre sociale prend soin d'appliquer la solution retenue aux "résolutions, décisions et avis" du comité d'entreprise. Un auteur avait pu soutenir que les décisions du comité doivent être distinguées de ses résolutions : "une décision est un acte juridique susceptible d'annulation judiciaire en cas d'illégalité, tandis que la résolution est une orientation qui [...] ne peut donner lieu à contentieux en l'absence de mesure d'exécution". Partant, ce même auteur avançait qu'"en l'absence de disposition contraire de la loi, la jurisprudence pourrait [...] considérer que ces décisions sont prises également à la majorité des voix exprimés, et non à la majorité des membres présents" (12).

Cette argumentation, qui n'était pas dénuée de pertinence, n'aura pas convaincu la Cour de cassation qui soumet à la majorité des membres présents l'adoption des résolutions, comme des décisions et des avis.


(1) On aura reconnu, ici, ce que l'on appelait "la consultation du comité d'entreprise au titre des livres IV et III du Code du travail", antérieurement à la recodification.
(2) Devenus respectivement les articles L. 2323-56 et L. 2242-15 du Code du travail.
(3) Lire nos obs., GPEC et licenciement pour motif économique : la position de la cour d'appel de Paris, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6192BAL). V. aussi dans le même sens, P.-H. Antonmattéi, GPEC et licenciement pour motif économique : le temps des confusions judiciaires, Dr. soc. 2007, p. 289.
(4) Bien que l'arrêt ne soit pas très clair sur la question, c'est moins la suspension de la procédure d'information/consultation sur le projet de licenciements économiques que demandait le comité central d'entreprise que la suspension de ce projet lui-même.
(5) Information/consultation qui a lieu à l'occasion de la réunion prévue à l'article L. 2323-55 du Code du travail. L'avis du comité doit, notamment, porter sur l'évolution de l'emploi et des qualifications dans l'entreprise au cours de l'année passée, les prévisions annuelles ou pluriannuelles et les actions, en particulier, de prévention et de formation que l'employeur envisage de mettre en oeuvre.
(6) V. notre chron. préc..
(7) Dans une telle configuration l'accord GPEC ne serait, à notre sens, qu'une forme de plan de sauvegarde de l'emploi.
(8) V., notamment, CA Paris, 14ème ch., sect. A, 7 mars 2007, n° 06/17500, Société Nextiraone France c/ Syndicat CGT Ufict du personnel de Nextiraone France (N° Lexbase : A7707DUY). La cour d'appel de Versailles avait, dans une situation comparable, retenu une solution opposée : CA Versailles, 14ème ch., 15 novembre 2006, n° 06/06930, Comité central d'entreprise Yoplait c/ SAS Yoplait France (N° Lexbase : A9971DTH).
(9) Sous réserve de consultation qui ne sont pas liées à un projet de décision, telle celle qui est précisément prévue par l'article L. 2323-56.
(10) Il faut, par ailleurs, relever que quand bien même l'employeur aurait respecté ces obligations, cela ne l'aurait nullement dispensé de donner une information particulière au comité d'entreprise au titre de la procédure de licenciement pour motif économique.
(11) M. Cohen, Le droit des comités d'entreprise et des comités de groupe, 8ème éd., LGDJ, 2005, p. 390.
(12) M. Cohen, ouvrage préc., p. 389.
Décision

Cass. soc., 30 septembre 2009, n° 07-20.525, Comité central d'entreprise de la Serca c/ Société Serca, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5779ELM)

Rejet, CA Lyon, 8ème ch. civ., 9 août 2007

Textes concernés : C. trav., art. L. 1233-30 (N° Lexbase : L1163H9X), L. 2323-56 (N° Lexbase : L1881IEE) et L. 2242-15 (N° Lexbase : L2393H9I)

Mots-clefs : licenciements économiques ; information et consultation du comité d'entreprise ; régularité ; obligation de négocier la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences

Lien base :

newsid:370835

Sociétés

[Evénement] Crise financière, un an après : le droit peut-il rétablir la confiance ? - Impacts et opportunités de la crise sur les opérations de fusion-acquisition et de restructuration

Lecture: 17 min

N0901BMC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212025-edition-n-367-du-15-10-2009#article-370901
Copier

par Vincent Téchené, Rédacteur en chef, Lexbase Hebdo - édition privée générale

Le 07 Octobre 2010

La crise économique que traverse la plupart des pays a été au centre des préoccupations de l'année écoulée et a eu un impact considérable sur l'activité juridique. Aussi, lorsque l'Association française des juristes d'affaires (AFJE) a dû déterminer le thème de son colloque annuel, organisé cette année en partenariat avec le cabinet d'avocats Gide Loyrette Nouel et le Centre européen de droit et d'économie (CEDE) de l'ESSEC, sans doute la nécessité d'établir un premier bilan et d'évaluer certaines pistes pour sortir intelligemment de cette situation s'est-elle imposée. C'est donc devant un parterre de professionnels du droit que les intervenants ont, le 30 septembre 2009, pu exposer leurs réflexions afin de répondre à la question, fil rouge de la journée : "Crise financière, un an après : le droit peut-il rétablir la confiance ?". Lexbase Hebdo - édition privée générale a assisté à cette conférence, axée sur deux principaux thèmes, "impacts et opportunités de la crise pour les acteurs de l'économie" et "vers une nouvelle régulation du système bancaire" (lire N° Lexbase : N0903BME). Alors, presque un an jour pour jour après l'annonce de la faillite de Lehman Brothers, les intervenants avant de rentrer dans le vif du sujet ont souhaité, en guise d'exposé préliminaire, rappeler quelles étaient les véritables origines de la crise et qui devait en être tenu pour responsable (I). Ce préalable s'imposait : on ne saurait tracer une ligne de conduite afin de guérir d'un mal sans en identifier les causes.

Et parce que la crise économique a eu des conséquences importantes en droit des affaires, et notamment en M&A (Mergers and Acquisitions), Antoine Bonnasse, avocat associé, Gide Loyrette Nouel, Olivier Puech, avocat associé, Gide Loyrette Nouel, Matthieu Pigasse, associé gérant, Banque Lazard, Hubert de Vauplane, directeur juridique et compliance, Crédit Agricole SA, et Frédéric Jenny, conseiller à la Cour de cassation, professeur à l'ESSEC ont présenté dans le cadre du premier thème, les impacts et les opportunités de la crise sur les opérations de fusion-acquisition et de restructuration d'entreprises.

I - Vérités et contrevérités sur les origines de la crise et ses responsables

C'est à Jean-François Copé, avocat à la Cour, député-maire de Meaux, qu'est revenu l'honneur d'introduire le colloque. Ce dernier a donc livré ses réflexions personnelles, un an après la crise financière. D'abord, il existe un consensus selon lequel la crise est une crise systémique, née d'un excès de confiance qui a créé un retour de la méfiance. Bien que ce constat soit une constante des grandes crises de l'économie mondiale, celle que nous traversons se démarque, notamment, par le fait qu'elle soit ressentie partout dans le monde de façon identique. Aussi, est-il, selon le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale et ancien ministre délégué au Budget, inconcevable de revenir au business as usual (1), dans lequel les considérations affairistes l'emportaient sur toutes les autres. Il incombe donc au législateur, c'est-à-dire aux hommes politiques, d'apporter des réponses pertinentes et cohérentes par l'édiction de nouvelles règles de droit.

Si, ces derniers se sont rapidement emparés du problème, puisque les premières décisions prises, réglementation des fonds propres des banques et plan de relance en tête, doivent être saluées, la tache à accomplir reste grande. Et, Jean-François Copé d'insister sur la nécessité d'une approche globale, et non nationale, pour mettre sur pied non pas plus de régulation mais une meilleure régulation, laquelle exige de faire un audit complet a priori de ce qui n'a pas fonctionné.

Alors quelles sont les pistes de réflexion à explorer ?
D'abord, la question des pratiques bancaires est, nécessairement, au centre des préoccupations. Elle est, toutefois, l'une des plus complexes, en ce qu'elle induit celle de la possibilité de la traçabilité des produits financiers, mais aussi l'une des plus médiatisées et fortement symboliques, car elle suppose de s'interroger sur le niveau de rémunérations des traders qui sont parmi les plus élevées du monde.
Ensuite, la question des activités et des structures des banques est une question qu'il convient, également, de traiter en priorité. Pour Jean-François Copé, cela amène à poser le problème de la séparation des activités d'investissement, des activités de dépôt. En effet, au soutien de cette affirmation il fait, notamment, valoir le fait que les difficultés se sont essentiellement centrées sur les banques d'investissements à proprement parler, quand les banques universelles, qui sont présentes à la fois dans les activités de marchés et dans celles de banque de détail, auraient mieux résisté au choc. D'ailleurs en 1999, les Etats-Unis ont abrogé le Glass-Steagall Act, datant de 1933, qui prévoyait la séparation des banques d'investissement et des banques d'affaires. Finalement, le problème essentiel semble, plutôt se cristalliser autour de la déconnexion existant entre le management des banques et les salles de marché.
Enfin, s'il y a une évidence que cette crise a révélé avec force, c'est bien l'absence d'institutions capables de traiter les problèmes économiques mondiaux et l'obsolescence des institutions existantes. La mise en place d'une gouvernance mondiale à travers la naissance du G20 sous l'impulsion de la France et de son Président, Nicolas Sarkozy, doit être accentuée et développée. Et l'intervenant de plaider pour une fusion du G8, du G20 et du Conseil de sécurité de l'ONU, dans une nouvelle instance.

Pour Matthieu Pigasse, associé gérant, Banque Lazard, comme tous les indicateurs le montrent, la crise financière et économique est sans précédent par son ampleur (2008 est la première année où 85 % des pays étaient en récession contre 53 %, lors de la "grande crise" de 1929) et par sa diffusion, puisqu'elle a touché tous les pays, toutes les classes sociales et toutes les activités.

Il s'agit d'une crise de l'endettement et de la croissance structurelle aux Etats-Unis et en Europe. En effet à l'origine, se trouve la volonté de ces Etats de compenser la faiblesse de leur croissance économique de ces quinze dernières années par une augmentation exponentielle de l'endettement.

Il y a, selon Matthieu Pigasse, trois grands responsables de la crise économique.
Tour d'abord, et inévitablement, les premiers responsables sont les banquiers dont le coeur de métier est d'octroyer des prêts et qui ont, en fait, recherché une autre activité, source de rentabilité plus forte et plus rapide.
Cela ne doit, toutefois, pas masquer une deuxième responsabilité, celle des politiques qui s'est manifestée de diverses manières. Ainsi, en est-il des politiques monétaires expansionnistes menées par les Etats européens et les Etats-Unis qui consistaient, notamment, à injecter massivement de l'argent à bas prix afin de masquer la faiblesse de la croissance et qui ont eu pour conséquence d'encourager l'endettement et donc la formation de bulles spéculatives. Ainsi en est-il, aussi, de l'imprévoyance des Etats dans l'édiction des normes encadrant les marchés et les activités des banques et de leur imprudence patente dans le contrôle du respect desdites normes.
Enfin, la responsabilité, pour Matthieu Pigasse, est, également, idéologique et morale. En effet, la crise marque, la faillite de l'auto-régulation puisque, selon lui "si on laisse les marchés s'auto-réguler, ils s'auto-détruisent". Deux institutions sont symptomatiques de l'auto-régulation et des ses errements :
- les hedge funds qui à eux seuls représentaient en 2006 et 2007 plus de 50 % de l'activité des bourses de New York et de Londres alors qu'ils n'étaient soumis à aucun contrôle ;
- et le shadow banking system, un vaste système de créances interconnectées adossées à des actifs financiers, dans lequel 1 dollar de capital peut générer jusqu'à 70 dollars voire 80 dollars de dettes alors que dans le système bancaire réglementé, 1 dollar de capital génère environ 7 à 8 dollars de dettes.

Il existe, donc en filigrane, une "responsabilité morale et sociale", qui est en relation avec la place de l'argent dans notre société, c'est-à-dire la cupidité du monde des affaires et plus généralement de l'ensemble de la société. En témoigne encore, aujourd'hui, les 4 000 milliards de dollars de pertes totales des banques et les 100 milliards de dollars de bonus octroyés aux Etats-Unis.

Alors comment en sortir ? Il y a, selon Matthieu Pigasse, deux horizons : un horizon à court terme, qui est aujourd'hui dépassé et qui consistait à sauver les banques et relancer la croissance pour lequel les pouvoirs publics ont joué leur rôle ; et un horizon à moyen terme, lequel recouvre trois axes essentiels de réflexion.
Ainsi, solutionner la crise impose, tout d'abord, un meilleur partage des richesses. En effet, la crise actuelle est une crise des inégalités dues à la faiblesse de la croissance et des salaires aux Etats-Unis et en Europe et il apparaît, dès lors, indispensable et prioritaire de redéfinir un partage de la valeur ajoutée. Or, selon Matthieu Pigasse, avec l'augmentation du chômage, et donc l'accroissement des difficultés des salariés à négocier, et la baisse de la croissance, il est fort à parier que ce partage continue à se déformer au détriment de la rémunération du travail.
Comme deuxième axe de réflexion, l'intervenant propose, ensuite, une meilleure réglementation, afin que rien n'échappe à la règle de droit. Il est donc nécessaire de lutter contre les paradis fiscaux, ou encore de réglementer les hedge funds. Or, un constat s'impose, ici aussi : le marché est global et sans régulateur global, rôle que pourrait jouer le FMI, tous les discours ne resteront que des discours d'intention.
Enfin le troisième axe proposé par Matthieu Pigasse est la mise en oeuvre d'une meilleure régulation avec la création d'un "directoire" du monde chargé de régler 3 enjeux majeurs :
- l'enjeu climatique qui a un impact économique évident et très important ;
- la lutte contre le protectionnisme, alors que depuis 3 ans de nouvelles formes de protectionnisme surviennent, que ce soit de la part de la France qui fait preuve d'un certain attentisme devant la relance allemande pour en bénéficier, ou de la Grande-Bretagne qui laisse "filer" la livre sterling face à l'euro pour être plus compétitive ;
- et la correction des politiques monétaires des Etats-Unis, plus spécifiquement celle qui consiste à affaiblir leur devise depuis les années 1970, appelée "benign neglect" et qui s'illustre à merveille par la fameuse répartie, toujours d'actualité, du Secrétaire au Trésor américain, John Connally, durant la présidence Nixon, "the dollar is our currency but your problem" ("le dollar est notre devise mais c'est votre problème"), en réponse à l'inquiétude des européens.

II - Impacts et opportunités de la crise sur les opérations de fusion-acquisition et de restructuration

Pour Antoine Bonnasse, avocat associé, Gide Loyrette Nouel, le marché des fusions-acquisitions a été marqué par deux tendances phares :
- un rétrécissement avec très peu d'opérations ;
- et la réalisation d'opérations plutôt atypiques (restructurations, intervention des pouvoirs publics, opérations portant sur des banques).

Il relève, toutefois, que le marché des fusions-acquisitions a retrouvé un peu de couleurs avec la hausse du marché boursier ces tous derniers mois. Le ralentissement s'explique par plusieurs raisons :
- l'existence d'une véritable crise de confiance telle que les acteurs du marché se sont trouvés paralysés ;
- un problème évident de financement ;
- des acheteurs hésitants en raison de la volatilité des cours de bourse ;
- et la disparition de certains acteurs du secteur qui le dynamisaient jusqu'alors, notamment des fonds qui jouaient un rôle important, alors que les opérations désormais réalisées le sont plutôt par des industriels.

Matthieu Pigasse confirme que la difficulté principale à laquelle ont été confrontés les acteurs du marché dans l'exécution des transactions est, de toute évidence, l'attribution d'une valeur à la cible, ceci en raison, tout d'abord, de l'incapacité à établir un véritable business plan due aux incertitudes économiques, ensuite, de la perte de tout repère due, elle-même, à la volatilité des cours de bourse affectant leur crédibilité et à l'absence de transaction qui provoque la disparition de tout référentiel, enfin de l'absence de financement.

Approuvant sur ce point les dires d'Antoine Bonnasse, Mathieu Pigasse relève également que les opérations réalisées se caractérisent essentiellement par la faiblesse de leur montant (la plupart des opérations réalisées sont inférieures à 100 millions d'euros), l'effondrement du private equity (le nombre d'opérations de private equity a baissé de 75 % au premier semestre 2009 par rapport au premier semestre 2008 et de 97 % par rapport à 2007 qui était l'année record dans ce domaine), le rôle majeur joué par les pouvoirs publics et un nombre important d'opérations réalisées dans le domaine de la finance (représentant 2/3 des opérations en Europe.

S'agissant des modalités de réalisation des opérations, pour Hubert de Vauplane, directeur juridique et compliance, Crédit Agricole SA, plusieurs tendances doivent être mises en exergue :
- il s'est souvent agi d'opérations de sauvetage, lesquelles ont été faites dans l'urgence affectant de ce fait la manière dont elles ont été réalisées ;
- les fusions-acquisitions "plus classiques" ont été affectées par l'incertitude de financement et le marché a vu accroître considérablement le nombre d'opérations réalisées en nature ;
- et des techniques de recapitalisation inédites sont apparues.

Pour Antoine Bonnasse, approuvé par les autres conférenciers, la réalisation des opérations de sauvetage a exigé l'urgence, laquelle s'est traduite par une "mise entre parenthèses" de la règle de droit. En effet, le droit a su s'adapter à la situation puisque l'on a assisté à un véritable allègement des formalités dans un domaine où traditionnellement celles-ci sont plutôt pléthoriques. En témoigne le recours à une documentation sommaire voire inexistante ou encore l'allègement considérable des conditions suspensives.
Néanmoins, le formalisme a cela de bon qu'il sécurise l'opération et l'allègement observé risque donc d'entraîner un certain contentieux.

D'ailleurs, Hubert de Vauplane va même jusqu'à parler, dans certaines circonstances, de la suspension de la règle de droit, laquelle sera traitée de manière totalement différente avant la crise et pendant la crise. Cela a, par exemple, été le cas dans le rachat de Fortis par BNP-Paribas, opération très rapide pour laquelle la consultation des institutions représentatives du personnel n'a pris que quelques jours alors que pour une opération de taille équivalente, dans le cadre de la fusions GDF/Suez la consultation des IRP aura pris plus d'un an !

Il ne faut pas pour autant penser, comme le soulève Antoine Bonnasse, que ces opérations se réalisent au détriment de la règle de droit, laquelle finalement "reprend ses droits", pour citer ses propos, dans le cadre de leurs mises en oeuvre. Tel est le cas des opérations "Fortis" et "Dexia" qui ont été décidées en quelques jours mais dont la mise en oeuvre a pris plusieurs mois.

Olivier Puech, avocat associé, Gide Loyrette Nouel, spécialiste du droit des entreprises en difficulté et intervenant à ce titre, rappelle seulement que les praticiens de la matière ne participent pas à ces opérations de sauvetage parce que, d'une part, le contrôle des risques dans ce domaine ne s'effectue pas avec leurs outils et, d'autre part, ces opérations s'effectuent à un tel niveau, souvent celui de l'Etat, qu'ils ne sont pas consultés.

S'agissant du droit de la concurrence, Frédéric Jenny, conseiller à la Cour de cassation et professeur à l'ESSEC, estime, pour sa part, qu'il y a eu, à l'instar des règles du droit des sociétés, une adaptation plutôt intelligente des dispositions applicables en matière d'aides d'Etat et de contrôle des concentrations. Toutefois, les objectifs du droit de la concurrence n'ont pas été changés, c'est sa mise en oeuvre qui a su évoluer.
Ainsi, en matière de concentration, la crise a eu deux effets principaux :
- un effet macro-économique, puisque la rareté des capitaux a entraîné une diminution corrélative des potentiels concurrents étrangers ;
- et une baisse de l'activité et donc du nombre d'acquéreurs potentiels qui a eu pour répercussion de modifier les conditions d'acceptation des opérations par les Autorités de la concurrence qui ont plutôt soumis leur acceptation au respect de conditions de comportement qu'à celui de conditions structurelles.

En matière d'aides d'Etat, depuis la faillite de Lehman Brothers, la Commission semble plus souple. On rappellera que, pour que les aides étatiques ne constituent pas des aides illégales, il faut qu'elles soient approuvées par la Commission avant d'être accordées. La seule exception à l'obligation de notification est constituée par les aides qui tombent dans le champ d'application des règlements d'exemption ; ce qui n'est pas le cas pour les interventions envisagées par les Etats membres pour faire face à la crise financière. La procédure de notification peut prendre plusieurs mois, surtout lorsqu'aucune règle communautaire n'encadre l'intervention étatique en obligeant la Commission à réaliser une appréciation ad hoc. Ainsi, la Commission a établi des critères applicables à tous les Etats membres et s'est engagée à traiter rapidement les notifications par une adoption d'une décision dans les 24 heures de la réception d'une notification complète.

Surtout, la Commission a accepté un plus grand nombre d'aides d'Etat en se fondant sur l'article 87 § 3, b) du Traité UE , texte qui avait été plutôt mis jusque là entre parenthèses. Aux termes de celui-ci, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun, "les aides destinées à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un Etat membre". En outre, des obligations spécifiques peuvent être imposées par la Commission comme conditions à l'autorisation de l'aide. En effet, cette dernière va donner des injonctions comportementales ou structurelles aux sociétés ayant bénéficié d'une aide d'Etat.
Ainsi en a-t-il été de l'aide octroyée par le Gouvernement allemand au bénéfice de la banque Commerzbank AG que la Commission européenne a validé sous condition que cette banque procède à des cessions pour diminuer sa taille et qu'elle ne se porte pas acquéreur dans le domaine financier jusqu'en 2012. Des conditions similaires ont été imposées à Fortis : cessions de certains actifs et interdiction de se porter acquéreur sur les marchés luxembourgeois et belge.
L'objectif final de la Commission est, pour Frédéric Jenny, de profiter de la situation de crise et des demandes de validation des aides d'Etat qui lui sont soumises pour procéder à une restructuration du secteur bancaire et financier afin de revenir à un état sain.

Réagissant sur ces propos, Mathieu Pigasse estime que finalement, de la crise économique et financière, les institutions européennes auront au moins tiré une leçon puisque l'on semble se diriger vers une sortie du cadre doctrinal classique du droit de la concurrence et des aides d'Etat qui, pour simplifier, se matérialisait par une protection exagérée du consommateur au détriment des Etats. Et de citer, au soutien de son propos, les exemples topiques que sont le "sacrifice" du Crédit Lyonnais dans les années quatre-vingt-dix ou le refus de la Commission de la fusion Schneider/Legrand au nom d'un raisonnement au détriment des bienfaits de l'industrie française et européenne. Peut-être la Commission européenne a-t-elle pris conscience qu'il convient dans ces opérations de prendre en compte l'emploi et l'efficacité économique.

Si Hubert de Vauplane est d'accord avec ces principes, il relève, toutefois, qu'à trop s'écarter de la règle de droit, celle-ci, dans certaines circonstances, n'a pas été du tout appliquée, et ce, cette fois, au détriment de la concurrence. Ainsi, en a-t-il été, selon lui, de certaines banques anglaises et néerlandaises qui ont bénéficié d'aides d'Etat et ont continué une politique agressive sur nos marchés, alors qu'il aurait été nécessaire de leur imposer un démantèlement et que la Commission européenne n'a réagi que très tardivement.

Selon les termes d'Antoine Bonnasse, on est passé du "deal maker" au "deal breaker". Alors parmi les raisons de ne pas conclure une affaire surgit inexorablement celle du financement. Et, la chute vertigineuse des "deals", et notamment des opérations de fusions-acquisitions, est en grande partie due à l'absence de financement résultant de la crise financière de septembre 2008. Ainsi, aujourd'hui, afin de limiter les risques potentiels, le financement d'une opération est porté par beaucoup plus de banques que dans la période précédant la crise. Alors qu'avant la faillite de Lehman Brothers, une seule banque intervenait en temps que chef d'un pool bancaire puis syndiquait la dette auprès d'autres banques, aujourd'hui les opérations nécessitent la mise en place d'un véritable club deal, avec parfois même la présence de la quasi-totalité des banques de la Place parisienne, pour porter le financement d'une opération. En découle donc inéluctablement des problèmes pour les M&A, notamment en termes de confidentialité des opérations.

Ces problèmes de financement ont modifié les modalités de réalisation des opérations de fusions-acquisitions. Ainsi, Hubert de Vauplane relève-t-il une disparition des offres publiques, aucune banque ne souhaitant ici apporter sa garantie financière. Pour autant, comme l'expose Antoine Bonnasse, les opérations en titres, même si elles n'exigent pas de financement, restent également risquées car même si la parité des titres est bonne, elles sont soumises à la grande volatilité des cours de bourse et le vendeur, qui risque de payer trop cher, comme l'acquéreur, qui risque de céder pour un prix trop faible, se trouvent nécessairement dans l'incertitude.
Surtout, note Hubert de Vauplane, la crise a créé une véritable rupture qui se manifeste par une inversion dans le rapport des forces, l'acheteur pouvant davantage imposer sa volonté. Alors cela se manifeste par un retour des "MAC clause" (MAC pour material adverse change, qui permettent à un acquéreur potentiel de réduire le montant de son offre ou de l'annuler, en prouvant qu'un changement majeur a eu lieu avec, à la clé, un impact matériel sur la valeur de sa cible), sur 500 opérations d'acquisitions en Europe ces clauses étant présentes dans 21 % des deals au premier semestre 2009, contre 14 % à la même période en 2008 ; un retour des clauses d'earn out (stipulation prévoyant que l'acquéreur d'une entreprise verse au cédant de celle-ci un complément de prix en fonction des performances opérationnelles futures de la société cédée) ; une négociation à la baisse du prix des titres pour un paiement immédiat en numéraire ; des plafonds de garantie élevés ; et des garanties de passif plus longues (31 % des "GAP" sont aujourd'hui sur plus de 24 mois).

La fin de la bulle "LBO" est, comme le confirme Antoine Bonnasse, l'apparition de négociations plus équilibrées avec les banques au bénéfice de l'émetteur.

En matière de restructuration des entreprises, si le droit des entreprises en difficulté n'est pas intervenu dans les opérations de sauvetage, il n'en demeure pas moins que la crise a des conséquences importantes en la matière.
Olivier Puech rappelle, toutefois, que, pour les praticiens de la matière, la crise remonte plutôt à la fin du premier semestre de l'année 2007 même si, bien sûr, les difficultés des entreprises ont explosé après le mois de septembre 2008. En tout état de cause, depuis la grande crise de l'immobilier du milieu des années quatre-vingt-dix, la pratique a tendance à privilégier les actions préventives pour éviter les traumatismes commerciaux et sociaux. On assiste, ainsi aujourd'hui, à un renforcement de cette tendance qui se manifeste notamment, par la multiplication des mandats ad hoc et des procédures de conciliation, largement utilisées depuis 1993-1994, avec, note l'intervenant, de très bon résultats.

La crise actuelle, a dans le même état d'esprit, pour effet de propulser en avant la nouvelle procédure de sauvegarde (instituée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT et réformée par l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficultés N° Lexbase : L2777ICT), qui s'est, désormais, totalement installée dans "la boîte à outils" du traitement des entreprises en difficulté. Comme le relève Olivier Puech, ce succès n'était pas garanti car cette procédure est en quelque sorte en désaccord avec l'état d'esprit des chefs d'entreprises qui souhaitent retarder au maximum les publicités relatives aux difficultés de leurs entreprises. La sauvegarde a donc su trouver sa place et n'est pas assimilée à l'antichambre d'une procédure de faillite.

Enfin, en guise de conclusion, Matthieu Pigasse attire l'attention sur l'évolution de la "géo-localisation" des opérations de fusions-acquisitions. Il estime que trois périodes se sont succédées :
- d'abord, des opérations essentiellement entre "pays du Nord" ;
- ensuite des opérations "Nord/Sud" et "Sud/Nord" (ex. : Tata/Jaguar et Arcelor/Mittal)
- enfin, aujourd'hui on voit de plus en plus d'opérations "Sud/Sud" se réaliser, montrant, s'il est nécessaire, l'émergence des pays en voie de développement dans la réalisation des deals.

Or, l'intervention des BRICO (Brésil, Russie, Inde, Chine et autres -pour others-) dans les opérations d'acquisition s'effectue par le biais soit de leurs entreprises, soit des fonds souverains. Ces fonds souvent financés par les excédents des balances commerciales apparaissent comme les véritables "bras armés" de ces Etats. D'ailleurs, Matthieu Pigasse relève qu'aujourd'hui ces fonds souverains souhaitent de plus en plus être associés à la gouvernance des entreprises et accroissent leurs participations démontrant par là même une stratégie offensive de leur part, quand ils se contentaient auparavant d'acquérir du capital uniquement dans un but financier. Aujourd'hui, ces fonds souverains détiennent entre 3 et 5 % en moyenne des sociétés dans lesquelles ils investissent. La montée en puissance de ces investisseurs, parfois dans des sociétés représentant un intérêt stratégique, impose, selon l'intervenant, de prendre des dispositions visant à protéger ces sociétés, notamment, sous la forme de Golden Shares ("action en or" qui permettent à celui qui les détient, souvent un Etat, de conserver un droit de veto sur l'ensemble du capital d'une société dans certaines circonstances spécifiques).

newsid:370901

Fiscalité financière

[Jurisprudence] La quote-part de dividendes inscrite à un compte courant d'associé, abandonnée à une société qui ne rencontre pas de difficulté de trésorerie, est un acte de disposition d'un revenu

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r, 31 juillet 2009, n° 301191, M. Salas, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon (N° Lexbase : A1269EK9)

Lecture: 11 min

N0846BMB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212025-edition-n-367-du-15-10-2009#article-370846
Copier

par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

Le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par un arrêt en date du 31 juillet 2009, juge que le dirigeant et associé titulaire d'un compte courant sur lequel est inscrit un montant de dividendes dont il abandonne une quote-part à la société, doit être regardé comme en ayant eu la disposition, au sens de l'article 12 du CGI (N° Lexbase : L1047HLD), la trésorerie de la société permettant le prélèvement de ce dividende à la date à laquelle est consenti l'abandon de créance. Ce dividende est donc imposable dans la catégorie des RCM entre les mains du dirigeant sans que cet abandon puisse être regardé comme une charge déductible, au sens de l'article 13 du CGI (N° Lexbase : L1050HLH), du RCM. Les faits dans cette affaire sont les suivants : M. et Mme S. ont été imposés à l'impôt sur le revenu et à la contribution sociale généralisée, au titre de l'année 1994, sur la base des revenus qu'ils avaient déclarés et comprenant des dividendes distribués à M. S. par la société Sogefi, dont il était directeur général et associé, pour un montant de 933 984 francs (soit 142 384 euros) et enregistrés au crédit du compte courant dans cette société le 1er juillet 1994. M. S. avait pu prélever la somme de 450 000 francs (68 602 euros) sur son compte entre le 10 juin 1994 et le 19 décembre 1994. Le 31 décembre 1994, M. S. a consenti à la société Sogefi l'abandon de 500 000 francs (76 224 euros) de son compte courant. Le solde de son compte courant s'élevait à la somme de 71 169 francs (10 850 euros) au 31 décembre 1994, alors que la trésorerie de la société atteignait la somme de 170 163,16 francs (25 941 euros) à la même date. M. S. a présenté une réclamation le 22 décembre 1997, et a demandé que les dividendes imposés soient réduits à une somme de 393 820,84 francs (60 037 euros) au motif qu'il n'avait pas eu la disposition de l'excédent, en raison de la situation de trésorerie de la société Sogefi.

Le Conseil d'Etat juge que le contribuable a fait acte de disposition de la somme abandonnée en compte courant dès lors qu'il pouvait prélever le solde de sa créance sur la société. L'arrêt du Conseil d'Etat du 31 juillet 2009 confirme la doctrine administrative (QE n° 54042 de M. Massot, réponse publiée au JOAN du 4 mai 1992, p. 2041 N° Lexbase : L8545IE9) et se place dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil d'Etat en date du 3 mai 1993 (CE Contentieux, 3 mai 1993, n° 81447, M. Villemagne N° Lexbase : A9447AMT), les règles de l'article 12 du CGI s'appliquant à toutes les catégories de revenu constituant le revenu global.

1. L'inscription des dividendes sur le compte courant rend ce revenu disponible si la somme peut être prélevée

Un dirigeant et associé à 47 % d'une société a la disponibilité d'un dividende dès l'inscription de celui-ci en compte courant, sauf impossibilité financière ou juridique de le prélever.

1.1. Le revenu est disponible dès l'inscription au compte courant d'associé

L'arrêt du Conseil d'Etat, en date du 31 juillet 2009, applique la solution retenue par la Haute juridiction pour des traitements en salaires, à un dividende inscrit en compte courant d'associé. Le revenu imposable est le revenu annuel, net global et disponible du contribuable. Aux termes des dispositions combinées des articles 12 et 156 (N° Lexbase : L1139IEW) du CGI, les sommes à retenir, au titre d'une année déterminée, pour l'assiette de l'impôt sur le revenu, sont celles qui, au cours de ladite année, ont été mises à la disposition du contribuable, soit par voie de paiement, soit par voie d'inscription à un compte courant sur lequel l'intéressé a opéré ou aurait pu, en droit ou en fait, opérer un prélèvement au plus tard le 31 décembre. En l'espèce, M. S., directeur général et associé de la Sogefi postérieurement à une décision de l'assemblée générale réunie le 9 juin 1994, voyait son compte courant d'associé crédité de la somme de 933 984 francs (142 384 euros), le 1er juillet 1994.

La condition de disposition du revenu est appréciée selon la logique d'une comptabilité de caisse. Un revenu faisant l'objet d'une saisie attribution n'en demeure pas moins un revenu disponible, dès lors qu'il a permis le règlement de dettes exigibles (CAA Bordeaux, 7 décembre 2006, 4ème ch., n° 04BX01262, M. et Mme Canon N° Lexbase : A6584DTZ). Ainsi, les rémunérations inscrites au crédit du compte courant d'un associé dirigeant constituent un revenu disponible (CAA Douai, 3ème ch., 2 novembre 2004, n° 02DA00105, M. Vialardi N° Lexbase : A9724DEU). De même, le Conseil d'Etat juge que le montant revenant à un contribuable au titre de sa participation dans les bénéfices d'une société est un revenu de l'année au cours de laquelle ce montant a été porté au crédit du compte du contribuable ouvert dans les écritures de la société, même si la créance de l'intéressé est née au cours d'une année antérieure. La circonstance que le redevable, qui ne peut justifier à cet égard d'aucun empêchement quelconque, n'ait effectué que progressivement le retrait de cette somme ne fait pas obstacle à ce que la totalité de ladite somme soit regardée comme ayant été mise à sa disposition dans l'année même où son compte a été crédité (CE 7° s-s., 26 octobre 1959 n° 41939 : Dupont, 1959, p. 520).

Plus largement, l'inscription d'un revenu au crédit d'un compte non bloqué d'un contribuable ouvre une présomption de disponibilité qui vaut en principe paiement et disponibilité de la somme. Le Conseil d'Etat a jugé, pour un gérant de SARL (CE, 23 janvier 1970, n° 78855, Dupont, 1970), que l'inscription en compte courant le 31 décembre de l'année est une mise à disposition quand il s'agit de l'un des dirigeants de la société, qui ne peut, en raison de ses fonctions, ignorer l'inscription au compte courant. Cette solution a été reprise pour un président-directeur général de société anonyme dans un arrêt du 26 janvier 1977 (CE, 26 janvier 1977, n° 99770).

1.2. L'inscription d'une somme à un compte courant d'associé est une mise à disposition sauf impossibilité financière ou juridique de prélèvement de la somme

Le revenu est réputé disponible lorsque sa perception ne dépend que de la seule volonté du bénéficiaire. La jurisprudence apprécie strictement le principe de l'acte volontaire. Le Conseil d'Etat juge que les personnes qui ont la qualité de dirigeant, et jouent, de ce fait, un rôle déterminant dans la décision d'inscrire les revenus en charges à payer, doivent être regardées comme ayant eu la disposition des sommes inscrites à leur profit sur un compte, sauf lorsqu'ils sont en mesure de justifier que des circonstances indépendantes de leur volonté rendent impossible le prélèvement des sommes en cause. Ainsi, un dirigeant d'une société de capitaux qui accepte de ne pas percevoir immédiatement une fraction de sa rémunération pour ne pas gêner la trésorerie sociale opère, en principe, un acte de libre disposition le rendant imposable à raison de cette fraction. Il en est de même dans le cas où les sommes ne sont pas versées sur le compte courant du dirigeant, mais inscrites sur un compte de charges à payer (CE, 22 février 1989, n° 76942 N° Lexbase : A0959AQL), ou sur un compte courant bloqué par décision de la société pour garantir un emprunt (CE, 22 février 1989, n° 89081, Girault N° Lexbase : A0973AQ4).

La présomption de disponibilité est conçue de manière large. Elle s'applique même lorsqu'il existe une clause de restitution éventuelle du revenu, ou lorsque le contribuable a volontairement différé le retrait des sommes portées en compte courant. La preuve contraire peut résulter, soit d'une clause d'indisponibilité, soit du blocage d'un compte courant. Cette présomption peut, ainsi, être détruite s'il résulte des circonstances de fait que l'intéressé n'a pas été en mesure de disposer des sommes portées en compte, notamment, compte tenu de la trésorerie de la société. Cette situation peut naître du fait de la situation de trésorerie de la société qui rend tout prélèvement financier impossible (CE, 3 juillet 1985, n° 47921, Labonde N° Lexbase : A3014AML ; CE 9° et 10° s-s-r., 15 juin 2001, n° 204999, M. Amoretti N° Lexbase : A7658ATS et CAA Paris, 5ème ch., sect. B, 21 mai 2007, n° 04PA04065, M. et Mme Lequen N° Lexbase : A7777DWX).

Le juge distingue de fait trois situations. Le dirigeant peut être empêché de retirer les sommes parce qu'elles sont bloquées. Encore faut-il, dans ce cas, que le dirigeant n'ait pas concouru à la décision de blocage, car, si tel est le cas, il accomplit un acte de disposition (CE, 24 novembre 1986, n° 49853, Lagnel N° Lexbase : A4543AM9). Un deuxième cas concerne la situation du dirigeant qui n'a pas retiré les sommes pour ne pas aggraver les difficultés financières de la société. Dans ce cas, le dirigeant effectue un acte de libre disposition et les sommes sont imposables (CE, 12 janvier 1987, n° 48825, M. Candau N° Lexbase : A2591APN). Enfin, et c'eût pu être le cas en l'espèce, le dirigeant s'essaie à retirer les sommes mais ne peut y parvenir car il en est empêché par la trésorerie de la société qui le prive de tout prélèvement ; dans ce cas, il n'y a pas d'acte de libre disposition volontaire et les sommes indisponibles ne sont pas imposables (CE, 12 janvier 1987, n° 48825, ou encore CE, 3 juillet 1985, n° 47921 précité, et pour une application récente, CAA Marseille, n° 06MA03179, 19 février 2009). Ces solutions retenues pour une application mettant en cause des salaires, sont transposées, en l'espèce, à un dividende.

2. L'abandon en compte courant d'une quote-part de dividende est un acte de libre disposition du revenu et non une charge déductible du RCM

L'abandon d'une quote-part de dividende inscrit au crédit de son compte courant est un acte de libre disposition, alors même que le contribuable renonce irrévocablement à sa créance.

2.1. L'abandon de compte courant est un acte de libre disposition du revenu sauf exception

La jurisprudence fait prévaloir le critère de l'obligation juridique au paiement (CE, 3 juin 1992, n° 89567, M. Hazera N° Lexbase : A6880ARA), rejoignant ainsi la doctrine administrative (QE n° 54042 de M. Massot, réponse publiée au JOAN du 4 mai 1992, p. 2041, précitée) qui assimile l'abandon volontaire de créance à un acte de disposition du revenu dont aucun texte ne permet la déduction. Le fait d'abandonner des sommes inscrites en compte courant, ce qui a pour effet de diminuer d'autant l'endettement de l'entreprise, et donc d'augmenter ses capitaux propres est un acte de libre disposition (CE, 21 janvier 1959, n° 36876, Dupont, 1959). Il ne pourrait en être autrement que si les versements avaient été effectués en exécution d'obligations juridiques, comme la mise en jeu d'engagements de caution, qui, sous certaines conditions, sont déductibles (CE, 28 mai 1984, n° 40168, M. Galtier N° Lexbase : A7012ALB).

Toutefois, les sommes abandonnées auraient pu être regardées comme exposées pour la préservation d'un revenu au sens de l'article 13 du CGI. Les charges admises en déduction des revenus sont celles qui, soit sont inhérentes à l'emploi ou à l'exploitation sociale et ont, donc, un caractère ou un intérêt professionnel, soit présentent un caractère contraignant faisant suite, notamment, à l'exécution d'un engagement de caution ou à une condamnation au comblement du passif. En revanche, les pertes en capital ne sont pas déductibles (CE, 28 mai 1976, n° 9359).

Ce faisant, le traitement fiscal du dirigeant qui abandonne spontanément des sommes inscrites en compte courant et celui dont relève le dirigeant recherché en paiement du fait d'engagement de caution, est asymétrique. En faisant prévaloir le critère de l'obligation juridique au paiement, la jurisprudence empêche la reconnaissance du lien direct entre la prise en charge du passif et l'exercice de ses fonctions de dirigeant. Là où le régime fiscal des engagements de caution fait prévaloir une logique économique, le traitement des abandons spontanés en compte courant entoure l'opération de la vertu en droit des principes : un abandon de comptes courants ne constitue pas une modalité d'exécution d'engagements de caution pris antérieurement.

Dans l'affaire "Villemagne" précitée (CE Contentieux, 3 mai 1993, n° 81447), il avait été jugé que, dès lors qu'au 31 décembre, la société était dans une situation nette négative, ne disposait que de quelques milliers de francs en caisse et en banque et que son passif bancaire exigible s'élevait à plus de 60 000 francs (9 147 euros), le contribuable démontrait qu'il n'avait pas pu opérer à cette date de prélèvement sur le solde de la somme dont son compte d'associé avait été crédité. Dans la présente affaire, M. S. qui a regardé une fraction de son dividende comme ne constituant pas un revenu disponible au sens de l'article 12 du CGI, pouvait prélever le solde de sa créance sur la société, le solde de son compte courant s'élevant à 71 169 francs (10 850 euros) au 31 décembre 1994 alors que la trésorerie de la société atteignait 170 163,16 francs (25 941 euros) à la même date. Ainsi, l'abandon de créance est regardé comme un acte de libre disposition.

Reste que, si l'abandon de créance enrichit la société, il a aussi pour effet d'appauvrir le dirigeant ; l'abandon pourrait alors être regardé comme une charge exposée pour l'acquisition ou la conservation du revenu.

2.2. L'abandon en compte courant du dividende n'est pas une charge exposée pour l'acquisition ou la conservation du revenu

Il pourrait paraître équitable de regarder l'abandon en compte courant du dividende qui va emporter un surcroît d'imposition de la société comme une charge déductible du RCM du dirigeant. Ce n'est pas le sens de la jurisprudence.

Tout d'abord, s'agissant des dirigeants salariés et assimilés, ils ne peuvent déduire les sommes qu'ils versent spontanément en paiement des dettes sociales. Aucune contrainte juridique n'impose à un salarié ou un associé de se substituer à la société défaillante dans le règlement des dettes qui lui incombent. Cette substitution procède, en conséquence, d'un emploi du revenu dont l'article 13-1 du CGI n'autorise pas la déduction, et les charges qu'elle engendre ne peuvent être assimilées à des frais inhérents à la fonction ou à l'emploi au sens de l'article 83-3° du CGI (N° Lexbase : L1241IEP). De même, les sommes correspondant aux créances qu'un contribuable détenait sur une société et qu'il a abandonnées volontairement alors qu'il n'était plus dirigeant de celle-ci ne sont pas au nombre des frais mentionnés à l'article 62 du CGI (N° Lexbase : L2354IBS) et ne sont pas des dépenses effectuées en vue de l'acquisition ou de la conservation du revenu, au sens de l'article 13 du même code (CAA Nantes, 1ère ch., 2 mai 1996, n° 93NT01099, M. Bouyer N° Lexbase : A9718BGZ).

L'abandon en compte courant du dividende aurait pu, dans le cas de M. S., être regardé comme une charge exposée au titre des RCM. Mais la sévérité de la jurisprudence pour des sommes perçues par des dirigeants dans une catégorie de gains professionnels (CGI, art. 83-3° et art. 62) n'a d'égale que celle qui prévaut pour la catégorie des RCM. Le juge apprécie si la dépense est une dépense en capital ou exposée pour l'acquisition d'un revenu. L'arrêt du Conseil d'Etat en date du 31 juillet 2009 n'a pas regardé l'abandon comme une dépense liée à l'acquisition de revenus de capitaux mobiliers ; il est vrai qu'une telle solution est rarement admise en jurisprudence, toutefois, sont déductibles à ce titre, par exemple, les frais d'encaissement des coupons et les frais de garde des titres (CE, 21 juin 1948, n° 73332).

La solution retenue pour un abandon en compte courant d'un dividende est donc sévère pour le dirigeant qui est imposé sur ses rémunérations inscrites en compte courant : il ne pourra, en effet, déduire de ses revenus professionnels la perte correspondant à l'abandon de créance alors que, dans le même temps, la société devra inclure le profit correspondant dans ses produits imposables. La solution retenue par le Conseil d'Etat le 31 juillet 2009, confirme, ainsi, la réponse ministérielle "Massot" du 4 mai 1992.

newsid:370846

Droit financier

[Evénement] Crise financière, un an après : le droit peut-il rétablir la confiance ? - Vers une nouvelle réglementation bancaire et financière

Lecture: 10 min

N0903BME

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212025-edition-n-367-du-15-10-2009#article-370903
Copier

par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

La crise économique que traverse la plupart des pays a été au centre des préoccupations de l'année écoulée et a eu un impact considérable sur l'activité juridique. Aussi, lorsque l'Association française des juristes d'affaires (AFJE) a dû déterminer le thème de son colloque annuel, organisé cette année en partenariat avec le cabinet d'avocats Gide Loyrette Nouel et le Centre européen de droit et d'économie (CEDE) de l'ESSEC, sans doute la nécessité d'établir un premier bilan et d'évaluer certaines pistes pour sortir intelligemment de cette situation s'est-elle imposée. C'est donc devant un parterre de professionnels du droit que les intervenants ont, le 30 septembre 2009, pu exposer leurs réflexions afin de répondre à la question, fil rouge de la journée : "Crise financière, un an après : le droit peut-il rétablir la confiance ?". Lexbase Hebdo - édition privée générale a assisté à cette conférence, axée sur deux principaux thèmes, "impacts et opportunités de la crise" (lire N° Lexbase : N0901BMC) et "vers une nouvelle régulation du système bancaire". Au lendemain de la crise, tous ont pris conscience de l'impérieuse nécessité de mieux réguler les places financières. Un consensus global s'est rapidement formé sur la scène internationale pour une meilleure supervision des marchés et de leurs acteurs (mieux adaptée, en termes de qualité, de cohérence, de contrôle des risques...). S'est posée, alors, une question cruciale : celle du bon niveau de supervision. Pour les intervenants de la seconde partie du colloque, intitulée "Vers une nouvelle réglementation bancaire et financière", indéniablement, les structures de supervision doivent s'adapter à la mondialisation, impliquant que la réglementation nationale ne soit qu'une pierre de l'édifice, dont la charnière est l'Europe. Autour de trois tables rondes : l'architecture et le niveau de supervision des marchés (I), la diversité des métiers et des risques de conflits d'intérêts concernant les banques et les compagnies d'assurance (II) et le contenu de la réglementation qui permettrait de restaurer la confiance (III), chacun s'est interrogé sur la nature de la régulation à mettre en place aux plans interne, international et européen. L'occasion a été, également, donnée de dresser l'état des lieux et le calendrier des réformes initiées depuis la crise.

I - Architecture et niveau de supervision des marchés

Sur le plan interne, la protection de l'épargne est confiée à l'AMF. Celle-ci a, dans ce cadre, une mission essentielle de veille et de surveillance des marchés et des acteurs financiers, qui conditionne le contrôle, la réglementation et la prévention.

Pour mener à bien cette mission, l'Autorité se doit d'être informée au mieux. A cette fin, elle procède, notamment, à une analyse globale des données des tendances sur les marchés financiers, tout comme le font les institutions communautaires et internationales. Mais, la possibilité d'adopter une approche horizontale, transversale, de l'épargne (en tant que produits d'assurance, titres financiers et de gestion collective, produits bancaires etc.) est, selon Thierry Francq, Secrétaire général de l'AMF, tout autant impérieuse. La réforme voulue par le ministère des Finances a, pour sa part, pour objectif d'assurer une supervision unique de l'ensemble du processus de production et de commercialisation des produits financiers destinés aux épargnants et aux investisseurs. Enfin, l'importance du mécanisme de coopération intégrée entre l'AMF et les autorités prudentielles ne doit pas être négligée. Il faut, en effet, toujours garder à l'esprit qu'au bout du compte, les investisseurs sont des personnes physiques, dont la protection doit être assurée par un dispositif efficace de commercialisation de l'épargne. Le degré d'intégration de coopération est donc élevé, permettant une prise de conscience de la part des acteurs financiers de l'impossibilité, pour eux, de céder des risques dans n'importe quelles conditions.

Sur le plan international, pour que la régulation soit efficace, il faut que la réglementation nationale soit la plus simple et la plus ramassée possible. Il ne faut pas perdre de vue que la législation interne a vocation à s'imbriquer dans un contexte mondial, dans lequel l'Europe a le premier rôle, puisque c'est à ce niveau que sont décidées les réglementations. La fusion des autorités bancaires et d'assurances s'inscrit dans cette philosophie. L'objectif affiché de ce rapprochement était de concevoir un système institutionnel en France suffisamment simple pour participer à la construction d'un système européen et international.

Sur le plan communautaire, Emil Paulis, Directeur Général Marché intérieur et Services de la Commission européenne a présenté le paquet législatif sur la supervision en matière bancaire et financière adopté par la Commission fin septembre 2009, qui constitue un pas très important dans la mise en oeuvre du programme de réforme préconisé par le rapport "Larosière" du 4 mars 2009. Le dispositif s'inscrit dans la volonté de créer de nouveaux modèles de gouvernance, rendus nécessaires par l'intégration de la supervision des marchés intégrés au niveau européen. Ce paquet propose un plan de réforme globale en trois étapes :
- la réforme et le renforcement des règles matérielles (applicables aux banques, aux assurances etc.) et leur extension à des domaines non couverts par le contrôle, la Commission étant favorable en matière de gouvernance à une supervision qui intégrerait le micro-prudentiel et le macro-prudentiel ;
- une intervention préventive en vue d'améliorer le sauvetage des entreprises ;
- une responsabilité financière des Etats renforcée.

Les nouveaux modes de gouvernance commandent de fonctionner en réseaux, un maximum de règles devant être communes (ce qui ne signifie pas nécessairement que la règle soit la même pour tous). Les règlements, qui laissent peu de manoeuvre aux Etats membres, seront préférés aux Directives. La mise en oeuvre des règles sera, en outre, renforcée au niveau le plus efficace (le principe de subsidiarité jouant, alors, dans les deux sens) : au plan national, au plus près des opérateurs, et au plan européen, pour les agences de notation.

La Commission recommande la création, au niveau communautaire, de trois autorités micro-prudentielles -l'une bancaire, l'autre en matière d'assurances et la dernière destinée au marchés-, d'un joint committee en charge de leur coordination et d'une autorité macro-prudentielle. Chacune des autorités communautaires micro-prudentielles aurait une personnalité juridique propre et ses décisions, normes supérieures aux normes internes, produiraient tous leurs effets sur l'ensemble du territoire de la Communauté. Les autorités disposeraient de trois pouvoirs :
- la participation à l'établissement de règles communes, via le développement des standards techniques, qui devront être contraignants, ces standards devant être entérinés tels quels par la Commission, sauf si l'intérêt communautaire l'exige ;
- la contribution à une application uniforme et cohérente du droit communautaire (en vue de résoudre les conflits, elles prendraient des décisions rapides, dont l'application s'imposerait aux autorités nationales en cas de résistance de leur part et susceptibles d'un recours devant les juridictions nationales et, le cas échéant, devant la Cour de justice des Communautés européennes) ;
- et la supervision directe des les agences de notation.

L'indépendance des autorités communautaires serait renforcée par le recours à un budget mixte : 40 % du financement proviendrait d'une enveloppe communautaire et 60 % d'une enveloppe des Etats.

II - Banque et assurance : diversité des métiers et risques de conflits d'intérêts

Arnaud Richard, Directeur juridique de Boursorama a exposé le corpus juridique régissant les conflits d'intérêts. Les obligations à la charge du prestataire de services d'investissement (PSI) sont fixées aux articles L. 533-10 (N° Lexbase : L3084HZA) et L. 533-11 (N° Lexbase : L3085HZB) du Code monétaire et financier. Il doit prendre "toutes les mesures raisonnables pour empêcher les conflits d'intérêts de porter atteinte aux intérêts de leurs clients [...]. Lorsque ces mesures ne suffisent pas à garantir, avec une certitude raisonnable, que le risque de porter atteinte aux intérêts des clients sera évité, [il] informe clairement ceux-ci, avant d'agir en leur nom, de la nature générale ou de la source de ces conflits d'intérêts".

Le texte, relayé par l'article 313-18 du règlement général de l'AMF (N° Lexbase : L9971ICE), identifie les personnes susceptibles d'être concernées par le conflit : "d'une part, les prestataires eux-mêmes, les personnes placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte ou toute autre personne directement ou indirectement liée à eux par une relation de contrôle et, d'autre part, leurs clients, ou bien entre deux clients, lors de la fourniture de tout service d'investissement ou de tout service connexe ou d'une combinaison de ces services". Cinq cas non limitatifs de conflits d'intérêts sont prévus à l'article 313-19 du règlement général de l'AMF, dans lesquels le PSI réalise un gain ou une perte aux dépens de son client (1).

Enfin, une obligation plus générale est posée à l'article L. 533-11 du Code monétaire et financier : "lorsqu'ils fournissent des services d'investissement et des services connexes à des clients, les [PSI] agissent d'une manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts des clients".

Arnaud Richard indique qu'en pratique, les conflits d'intérêts pourront être évités grâce à la séparation des entités juridiques, celle des métiers et la séparation hiérarchique, et décisionnelle. Les obligations d'information à la charge des producteurs et des distributeurs d'OPCVM tendent, également, à cette fin : dans la relation producteur/distributeur d'OPCVM, il existe une obligation d'information à la charge du premier, pour permettre au second de la répercuter. Dans la relation distributeur/client, celui-ci bénéficie d'une information exhaustive sur le produit dont l'achat est envisagé. Préalablement à l'acquisition, le distributeur doit, en outre, procéder à des évaluations lui permettant de déterminer le profil de son client.

Xavier de Kergommeaux et Jean-Guillaume de Tocqueville d'Hérouville, avocats associé, Gyde Loyrette Nouel se sont penchés sur les conflits d'intérêts à l'origine des dérives du système. Le premier a rappelé les nombreuses casquettes de la banque dans les opérations de titrisation (originateur, arrangeur et structureur des opérations, distributeur et souscripteur/vendeur des titres) et la complexité des structurations, empêchant une évaluation correcte des risques. Les banques se sont fiées aveuglement aux avis des agences de notation, quand elles n'auraient certainement pas directement consenti à une telle prise de risque.

Jean-Guillaume de Tocqueville d'Hérouville est revenu sur l'affaire "Madoff". Selon lui, les deux raisons essentielles expliquant que les actes (pyramide de Ponzi) d'un seul homme aient pu avoir de telles répercutions mondiales sont : le défaut de supervision et une mauvaise gestion des conflits d'intérêts. Ainsi, aucun conflit d'intérêts n'a été traité entre les différents métiers que Bernard Madoff exerçait (booker, gestionnaire, dépositaire et commercialisateur). Ils étaient pourtant nombreux. Ils tenaient :
- à la structure puisque l'activité de booker de Bernard Madoff servait à vendre l'activité de gestion occulte ;
- aux activités de gestion et de dépositaire puisque aucun contrôle quant à l'existence et au contenu des actifs n'a été effectué ;
- au manque d'indépendance de la structure, son commissaire aux comptes étant un membre de sa famille ;
- et à la présence des feeders funds (les fonds rabatteurs).

Cette affaire a révélé de nombreuses carences de supervision de la SEC, auprès de laquelle l'activité de gestion de Bernard Madoff n'a jamais été enregistrée (il disait ne compter que quinze clients, quand il gérait les clients des fonds rabatteurs) et qui a ignoré un rapport lui ayant été adressé, dénonçant l'escroquerie. Enfin, les manquements répréhensibles des fonds rabatteurs (off shore) dont profitait Bernard Madoff n'ont pas été détectés par le régulateur. Notamment, ces fonds rabatteurs se présentaient dans les prospectus destinés aux clients comme gérant eux-mêmes les fonds et ne respectaient pas les ratios de participation.

III - Quelle réglementation pour restaurer la confiance ?

Guillaume Chabert, Chef de bureau Multifin 4, en charge du système financier international et de la préparation des sommets internationaux G7, G8 et G20 partage l'avis selon lequel le droit doit être utilisé comme vecteur de confiance, permettant de traiter la crise et de préparer la période qui lui succédera.

Il a dressé un panorama des événements internationaux de ces douze derniers mois. Face à l'aggravation spectaculaire de la crise en septembre 2008, la priorité du G7 tenu en octobre 2008 a été de sauver en urgence les institutions. La réponse a, progressivement, glissé vers la réglementation : à la mobilisation connue au sommet du G20 tenu à Washington en novembre 2008, se sont substituées les décisions opérationnelles du sommet du G20 tenu à Londres en avril 2009, puis la récente consolidation des institutions consentie lors du sommet de Pittsburgh, en septembre 2009.

A été dégagée, lors du sommet de Londres, la nécessité d'une réglementation appropriée des hedge funds et des paradis fiscaux, un renforcement des règles prudentielles et comptables et un encadrement juridique des rémunérations (point abouti, par la suite, à Pittsburgh). La réglementation décidée se compose de trois volets interdépendants :
- un plan de relance massif via une politique monétaire volontariste ;
- l'octroi au FMI de ressources trois fois supérieures à celles dont il disposait jusqu'alors ;
- et l'allocation à celui-ci de droits de tirage spéciaux.

Le sommet de Pittsburgh a, ensuite, été l'occasion de consolider les institutions. Le G20 remplace, désormais le G8, afin d'associer les pays émergents. Il a, en outre, été décidé de créer une Norme mondiale (évoquée lors du sommet de l'Aquila), visant à l'émergence d'une régulation commune pour garantir la légitimité, l'intégrité et la transparence des activités commerciales et financières internationales. Les pouvoirs du Forum de stabilité financière (FSB) ont été renforcés dans ce cadre, le plaçant comme possible embryon d'un normalisateur mondial, puisque celui-ci est indispensable aujourd'hui.

Selon Edouard Fernandez-Bollo, secrétaire général adjoint, Commission bancaire, la crise trouve son origine dans un relâchement des normes applicables aux distributeurs de crédit, dans l'explosion du marché secondaire et des risques de crédits titrisés et dans la concentration de risques forts par des établissements non régulés (AIG, Lehmann Brothers). Ceci a eu pour conséquence de raréfier les prêts inter-bancaires, créant une crise des liquidités sans précédent. Sur le plan de la régulation, il faut des instruments permettant de détecter, en amont, l'émergence des risques systémiques. La surveillance macro-prudentielle en fait partie. Les règles prudentielles des autorités non régulées doivent être renforcées pour remédier aux problèmes de sous-estimation du risque de crédit. La crise a, également, suscité un retour à des exigences de fonds propres beaucoup plus fortes : le capital en garanti du risque doit être qualitatif -actions assorties du droit de vote- et quantitatif -pondération du risque de crédit par rapport au risque de marché-. Elle a favorisé, enfin, l'introduction de normes internationales en matière de liquidités.

Pour finir, Jean-Paul Gauzès, député européen est venu rappeler le rôle précurseur de l'Europe. La Communauté a prôné, dès l'origine, une régulation et a su anticiper les engagements internationaux (notamment, concernant la réglementation sur les hedge funds).

Le second thème du colloque s'est conclu sur une citation, rappelée par Hubert de Vauplane, directeur juridique et compliance, Crédit Agricole SA :"les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ne voient la nécessité que dans la crise" (Jean Monnet).


(1) Les cinq cas non limitatifs de conflits d'intérêts sont prévus à l'article 313-19 du règlement général de l'AMF sont les suivants :
"1° Le prestataire ou cette personne est susceptible de réaliser un gain financier ou d'éviter une perte financière aux dépens du client ;
2° Le prestataire ou cette personne a un intérêt au résultat d'un service fourni au client ou d'une transaction réalisée pour le compte de celui-ci qui est différent de l'intérêt du client au résultat ;
3° Le prestataire ou cette personne est incité, pour des raisons financières ou autres, à privilégier les intérêts d'un autre client ou d'un groupe de clients par rapport aux intérêts du client auquel le service est fourni ;
4° Le prestataire ou cette personne exerce la même activité professionnelle que le client ;
5° Le prestataire ou cette personne reçoit ou recevra d'une personne autre que le client un avantage en relation avec le service fourni au client, sous quelque forme que ce soit, autre que la commission ou les frais normalement facturés pour ce service
".

newsid:370903

Famille et personnes

[Manifestations à venir] 20 ans d'application de la Convention internationale des droits de l'enfant

Lecture: 1 min

N0933BMI

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212025-edition-n-367-du-15-10-2009#article-370933
Copier

Le 07 Octobre 2010

Le vendredi 6 novembre 2009 se tiendra à Bordeaux un colloque organisé avec le soutien du Barreau de Bordeaux, de l'Ecole nationale de la magistrature et du Centre européen d'études et de recherches en droit de la famille et des personnes, consacré au droit des mineurs : 20 ans d'application de la Convention internationale des droits de l'enfant.
  • Thèmes abordés

- L'influence de la Convention internationale des droits de l'enfant : la surveillance du Comité des droits de l'enfant ; la Convention internationale des droits de l'enfant devant la Cour de cassation ; la Convention internationale des droits de l'enfant devant le Conseil d'Etat ; la Convention internationale des droits de l'enfant devant la Cour européenne des droits de l'Homme.

- L'intégration de la Convention internationale des droits de l'enfant : l'intérêt supérieur de l'enfant, risque ou progrès ? ; la participation de l'enfant aux procédures judiciaires ; la protection de l'enfant délinquant.

  • Intervenants

Philippe Duprat, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau de Bordeaux
Jean-François Thony, directeur de l'Ecole nationale de la magistrature
Jean-Pierre Laborde, président de l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Christophe Gris, doctorant du Cerfap
Bertrand Maumont, doctorant du Cerfap
Mickaël Martinez, doctorant du Cerfap
Jean-Pierre Ancel, président de Chambre honoraire de la Cour de cassation
Bénédicte Vassalo, conseiller référendaire à la Cour de cassation
Baptiste Bonnet, Professeur à l'Université Jean Monnet, Saint-Etienne
Isabelle Berro-Lefèvre, juge à la Cour européenne des droits de l'Homme
Jean Hauser, directeur du Cerfap, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Adeline Gouttenoire, directrice de l'Institut du droit des mineurs, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Dominique Versini, Défenseure des enfants
Olivier de Blay-de-Gaix, président de la chambre famille au TGI de Bordeaux
Philippe Bonfils, Professeur à l'Université Paul Cézanne-Aix-Marseille III
Josiane Morel-Faury, avocat au Barreau de Bordeaux, membre du CRIC
Jacqueline Rubellin Devichi, Professeur émérite de l'Université Jean Moulin-Lyon 3

  • Date

Vendredi 6 novembre 2009
8h45 - 16h00

  • Lieu

Ecole nationale de la magistrature
Grand amphithéâtre
10 rue des frères Bonie
33000 Bordeaux

  • Tarif

90 euros
Entrée libre pour les étudiants

  • Contact

Marc Bodin, secrétaire de l'Institut du droit des mineurs
05.56.84.54.90
cerfap@u-bordeaux4.fr

newsid:370933

Interprofessionnalité

[Questions à...] Quels rapprochements pour les professions de juriste d'entreprise et d'avocat ? Questions à Vincent Malige, General Counsel, Scor SE

Lecture: 2 min

N0938BMP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212025-edition-n-367-du-15-10-2009#article-370938
Copier

par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition professions se penche, cette semaine, sur l'interprofessionnalité entre avocats et juristes d'entreprise. Afin d'illustrer notre état des lieux sur la question (lire Quels rapprochements pour les professions de juriste d'entreprise et d'avocat ? - Etat des lieux, Lexbase Hebdo n° 3 du 15 octobre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N0905BMH), il nous a semblé intéressant, pour une vision transversale sur les problématiques du rapprochement des avocats et des juristes, de recueillir le sentiment de Vincent Malige, General Counsel de Scor SE, qui a combiné des expériences professionnelles en entreprise et en cabinet. Il a débuté sa carrière en tant que juriste au sein de sociétés éditrices de logiciels, avant d'intégrer un cabinet d'avocats spécialisé en M&A, d'abord comme juriste, puis comme avocat. Depuis 2006, il a retrouvé l'univers de l'entreprise, en tant que General Counsel de Scor SE.
Lexbase : Etes-vous favorable à la création du statut d'avocat en entreprise ? Pour quelles raisons ?

Vincent Malige : Comment ne pas être favorable au rapprochement entre avocats et juristes d'entreprise ? Que l'on regarde la situation française par rapport à celle de nos principaux partenaires économiques et l'on comprend aisément que la situation actuelle ne peut perdurer. Je travaille dans un groupe international dans lequel mes collègues juristes anglais, allemands, suisses et américains sont respectivement solicitors, Rechtsanwält et attorneys. A ce titre ils restent soumis aux règles déontologiques de l'ordre auquel ils appartiennent, sont soumis au secret professionnel et bénéficient des règles relatives à la confidentialité des correspondances. A contrario, en France, les membres de mon équipe et moi-même avons dû demander notre omission du barreau de Paris. Notre statut actuel se traduit en véritable désavantage compétitif comparé à nos principaux collègues européens et américains.

Cela n'est pas sans conséquence, notamment, pour les nombreux groupes qui ont une activité aux Etats-Unis ou qui ont mis en place un programme d'american depositary receipts (ADR). En cas de contentieux aux Etats-Unis, un groupe européen peut se retrouver contraint de produire à la partie adverse tous les documents pouvant éclairer le juge sur l'issue du litige qui les oppose. Dans ce contexte, se prévaloir de la confidentialité des correspondances et documents échangés avec les juristes internes peut s'avérer essentiel.

Même si l'on peut discuter de la portée et du respect par certains des règles de déontologie, de la confraternité, il n'en demeure pas moins que c'est une exigence dont les juristes d'entreprises auraient tout à gagner.

Par ailleurs sous l'impulsion notamment des autorités règlementaires (AMF et ACAM, notamment), les entreprises doivent développer leur politique de compliance et de gestion des risques. Or, sur ce type de problématique, il me semble que les entreprises ont tout intérêt à avoir en leur sein des personnes qui sont elles-mêmes soumises à des règles déontologiques et à qui il est reconnu, par ce statut d'avocat en entreprise, une certaines autorité, voire, même, une certaine indépendance.

Lexbase : Le rapport "Darrois" confère, dans tous les cas, un rôle essentiel à l'employeur. Une telle association de l'employeur à la procédure vous semble-t-elle justifiée ?

Vincent Malige : Il me semble que, dès lors que les droits et obligations liés au statut d'avocat en entreprise pèsent sur le salarié, que c'est à lui qu'est attachée cette qualité, c'est à lui d'avoir le rôle essentiel dans la procédure. L'avantage, toutefois, d'associer l'employeur est de facto, de faire en sorte qu'il reconnaisse un statut particulier au salarié avocat en entreprise.

Lexbase : Les conditions de la passerelle existante, permettant au juriste de devenir avocat libéral, vous semblent-elles appropriées ?

Vincent Malige : Les conditions actuelles devraient être revues, car elles excluent les juristes de PME.

Lexbase : Pensez-vous qu'il faille maintenir cette passerelle, en cas de création du statut d'avocat en entreprise ?

Vincent Malige : Si le rapprochement des professions du droit conduit, comme nous le montre le rapport "Darrois", vers un rapprochement des formations, alors, le maintien de la passerelle perdrait peut-être de son utilité. En revanche, dans la situation actuelle, son maintien, voire, son évolution, pour prendre en compte la situation des juristes de PME me paraît tout à fait souhaitable.

Lexbase : Certains juristes d'entreprise craignent une dévalorisation de leur emploi, voire, à terme, une disparition de leur profession. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Vincent Malige : Le rôle du juriste d'entreprise et de l'avocat sont complémentaires. Je vois, donc, plutôt, dans le projet de réforme, une valorisation de la fonction juridique en entreprise.

newsid:370938

Droit public éco.

[Evénement] Le cadre juridique de la gestion des collectivités publiques*

Lecture: 11 min

N9494BL9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212025-edition-n-367-du-15-10-2009#article-369494
Copier

par Aurélie Zoude-Le Berre, administratrice à la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale

Le 07 Octobre 2010

L'imaginaire collectif associe souvent "finances publiques" avec "recettes et dépenses de l'Etat". C'est oublier que les premiers investisseurs publics sont les collectivités territoriales. En 2008, ces dernières géraient plus de 200 milliards d'euros, et leurs investissements représentaient près de 75 % des investissements publics. A ce titre, elles sont un acteur majeur de la vie économique française. Cela est d'autant plus remarquable que leurs investissements ne bouleversent pas considérablement leur équilibre financier, la fameuse "règle d'or" s'imposant à toute collectivité territoriale. C'est peu de choses que de dire que le tableau est différent au niveau national : en effet, la dette publique s'est alourdie de 10 % en 2008, passant de 63,8 % à 68,1 % du produit intérieur brut (PIB). Or, cette tendance devrait se poursuivre : d'après les estimations du ministère de l'Economie et des Finances, la dette de l'Etat pourrait représenter près de 80 % du PIB en 2010. Le premier président de la Cour des comptes, Monsieur Philippe Seguin, étant encore plus alarmiste, puisqu'il pronostique 100 % du PIB à la fin de l'année 2012 (1). Cette dette nationale est alimentée par un important déficit public, auquel la crise actuelle n'a rien arrangé : en 2008, le déficit de la France représentait 3,4 % du PIB contre 2,7 % en 2007. Pour 2009, les prévisions annoncées par Monsieur Eric Woerth, ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, affichent un déficit équivalent à 7,5 % du PIB (2). L'on est donc aujourd'hui bien loin des exigences du pacte de stabilité et de croissance signé en 1997 par les Etats membres de l'Union européenne, lequel impose une dette publique et un déficit public respectivement inférieurs à 60 % et 3 % du PIB des Etats membres (3).

Nonobstant ces différences évidentes en termes de gestion des finances publiques, il ne faut pas perdre de vue que des règles convergentes gouvernent les deux types de collectivités publiques que sont l'Etat et les collectivités territoriales : elles reposent, d'une part, sur des principes comptables et budgétaires généraux (I) et, d'autre part, sur une obligation de contrôle des déficits (II).

Convergence ne signifiant pas identité, il reste à relever qu'une plus grande rigueur est exigée de la part des collectivités territoriales. La raison en est simple : à moins d'adhérer à la théorie de l'autolimitation de l'Etat (4), il est infiniment plus facile d'imposer de nouvelles règles de rigueur budgétaire aux collectivités territoriales (en recourant à la voie législative ou constitutionnelle) que de contrôler la gestion de l'Etat. Car, en dépit des progrès faits en ce domaine depuis le milieu du vingtième siècle, l'encadrement des finances étatiques demeure un semi-serpent de mer.

I - Les principes généraux de gestion des collectivités publiques

La simple édiction des principes généraux communs aux différentes collectivités publiques laisse entrevoir des différences entre l'administration des finances publiques par l'Etat et par les collectivités territoriales : cela vaut aussi bien au regard des principes budgétaires (A), que des principes comptables (B).

A - Les principes budgétaires

1 - Les principes communs aux collectivités publiques

Depuis la Bataille de Bouvines, en 1214, décrite par Georges Duby (5) comme l'un des événements fondateurs et constitutifs de la Nation française et du sentiment d'appartenance à la France (6), il est l'évidence même que l'Etat puisse prélever l'impôt aux fins de financer les actions d'intérêt général qui lui incombent de mettre en oeuvre (7).

Ce n'est qu'avec le développement de la démocratie représentative qu'est née l'idée d'encadrer ce pouvoir de perception et d'utilisation des fonds publics. Ce principe trouva son avènement, comme nombre d'intentions républicaines et libérales, dans la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1365A9G). En matière de contributions publiques, l'article 14 de la Déclaration (N° Lexbase : L1361A9B) dispose, ainsi, que "tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée". Sous la cinquième République, la loi du 10 janvier 1980, portant aménagement de la fiscalité directe locale (8), a donné compétence aux collectivités locales pour fixer les taux des taxes et impôts locaux, et l'acte I de la décentralisation (9) a pleinement reconnu la souveraineté financière des collectivités territoriales ; l'acte II de la décentralisation (10) a poursuivi cette démarche en intégrant ce principe à la Constitution (art. 72-2 N° Lexbase : L8824HBG).

Au-delà de ce fondement général, les grands principes budgétaires sont contenus s'agissant de l'Etat, dans la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001, relative aux lois de finances (N° Lexbase : L1295AXA) (le plus souvent appelée la "LOLF") (11) et dans le Code général des collectivités territoriales, pour ces dernières.

Ces principes sont les suivants :

  • L'unité :

Ce principe impose aux collectivités publiques de présenter en un seul texte leurs recettes et dépenses. Ainsi, pour le budget de l'Etat, structuré en trois niveaux "missions", "programmes", "actions", une seule loi de finances est votée chaque année, tel que le prévoit l'article 47 de la Constitution (N° Lexbase : L1308A9C). Cependant, la pratique a développé diverses exceptions à ce principe, en multipliant les budgets annexes et les comptes spéciaux. De la même manière, si les collectivités territoriales sont censées retracer dans un seul document la totalité des recettes et des dépenses avec une distinction entre la section de fonctionnement et la section d'investissement, elles s'éloignent souvent de ce principe à travers l'établissement de budgets annexes (pour leurs activités industrielles et commerciales), de budgets autonomes (pour leurs établissements publics locaux comme une caisse des écoles), ou de documents satellites (pour financer des associations chargées d'un service public subventionnées par la collectivité territoriale par exemple).

  • L'universalité :

L'exigence d'universalité impose qu'aucune recette ne soit affectée à une dépense en particulier. Ce principe est respecté de manière extrêmement relative : les pratiques diverses de budgets annexes précités ou le développement des prélèvements sur recettes (12) les mettent à rude épreuve.

  • L'annualité :

Comme son nom l'indique, l'annualité impose que le budget soit établi pour un an. Ce principe est, dans l'ensemble, plutôt respecté. Il est, néanmoins, vite apparu nécessaire d'avoir une vision budgétaire à plus long terme pour l'Etat ; c'est l'objet de la modification apportée par la réforme constitutionnelle de juillet 2008 (13) à l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) qui précise, désormais, que "les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques" (14). Ainsi, en 2009, a été votée une loi de programmation des finances publiques jusqu'en 2012 (soit sur quatre ans) (15). Les collectivités territoriales, quant à elles, mettent à mal ce principe compte tenu de l'existence de dérogations infra-annuelles ou supra-annuelles.

  • La spécialité :

Le principe de spécialité exige que les crédits (et non les recettes) doivent être affectés à des dépenses déterminées dans l'autorisation budgétaire afin de vérifier l'utilisation des fonds publics. Pour les collectivités, à l'intérieur de chaque section, les dépenses doivent être divisées en chapitres qui forment l'unité de spécialité du budget. Pour l'Etat, depuis la "LOLF", l'unité de vote est la mission au sein de laquelle, en dehors des dépenses de personnel, les crédits sont fongibles (art. 12).

2 - Les principes propres aux collectivités territoriales

Le Code général des collectivités territoriales impose à ces dernières d'établir leurs comptes avec sincérité (CGCT, art. L. 1612-4 N° Lexbase : L8446AA3) : leur budget doit être une image fidèle, exhaustive et régulière de l'ensemble de leurs dépenses et recettes. Les chambres régionales (16) et territoriales (17) des comptes contrôlent le respect de ces exigences. Avec la mise en place de la certification des comptes de l'Etat par la Cour des comptes (18), ce principe a été étendu à l'établissement des comptes nationaux (19).

A vrai dire, la principale différence entre les collectivités territoriales et l'Etat est l'existence d'un principe d'équilibre réel régissant la vie économique des premières autrement connue sous le nom de "règle d'or" (CGCT, art. L. 1612-4, précité). Par conséquent, doivent être distinguées dans les dépenses locales celles qui dépendent de la section de fonctionnement de celles qui dépendent de la section d'investissement ; et dans chacune des sections, les recettes doivent être égales aux dépenses. La section de fonctionnement (20) doit être financée par des dépenses définitives, par opposition à l'emprunt ; et, si l'emprunt peut servir à financer les dépenses d'investissement, il ne peut servir à rembourser un précédent emprunt. Autant dire que c'est tout le contraire des dépenses nationales.

B - Les principes comptables

La "LOLF" impose à l'Etat d'établir une comptabilité générale (21), analytique (22) et budgétaire (23) (art. 27 à 31), presque sur le modèle des grandes entreprises privées (24). Comptabilité budgétaire et comptabilité analytique sont les clés pour permettre un assainissement de la gestion des deniers publics par les contrôles qu'elles permettent ou réalisent. De plus, la nomenclature comptable des collectivités territoriales, par nature et par fonctions, est également inspirée de celles des entreprises privées puisqu'elle est fondée sur le plan comptable général (25).

Depuis 1962 (26), pour les collectivités territoriales, la règle en matière de saine gestion est la séparation entre l'ordonnateur de la dépense (à savoir le responsable de l'exécutif local) et le comptable. Ce principe limite les divers détournements de fonds publics, d'autant plus que le comptable est responsable sur ses deniers personnels de toute disparition de fonds (27).

Enfin, la trésorerie des collectivités territoriales doit être nulle ou positive (28). Tout déficit est proscrit. Au-delà d'un certain déficit (29), est déclenchée, par les préfets, une procédure d'alerte faisant intervenir la chambre régionale (ou territoriale) des comptes compétente qui va assister la collectivité territoriale en difficulté dans l'établissement de son budget ; si les recommandations, ainsi, formulées n'aboutissent pas à l'adoption du budget par la collectivité territoriale, le préfet peut adopter le budget en question à sa place (30). Pour pallier cet inconvénient, que certaines collectivités considèrent comme une ingérence insupportable, s'est développé le concept de trésorerie zéro (31), grâce à l'émission de billets de trésorerie (32).

Une fois ces principes énoncés, reste à se rappeler qu'ils ont pour objectif (notamment) d'assurer une saine gestion de la collectivité publique. Objectif auquel est largement assimilée l'absence de déficits.

II - Le contrôle des déficits

Les divers contrôles opérés en matière de gestion ne peuvent pas uniquement provenir de l'extérieur. Les collectivités ont dû se prendre en main en instaurant des contrôles internes qui se sont ajoutés aux contrôles préexistants, eux-mêmes récemment développés. Deux matières sont principalement sujettes à vérification : la dette publique (A), et les finances publiques (B) stricto sensu. Néanmoins, il apparaît toujours que les contrôles sont plus poussés au niveau local que national.

A - La gestion de la dette publique

1 - La dette de l'Etat

Le Traité de Maastricht (33) prévoyant l'instauration de l'Union économique et monétaire et de la zone euro a, pour ce faire, mis en place des critères de convergences pour maintenir les économies des différents pays de cette zone à un niveau comparable et, ainsi, permettre la mise en place et la stabilité de la monnaie unique. Ces critères, repris en 1997 dans le pacte de stabilité et de croissance, imposent aux Etats membres de la zone euro de maintenir un niveau de dette publique inférieure à 60 % du PIB et de déficit public inférieur à 3 % du PIB.

La France fait office de mauvais élève parmi les Etats membres. Depuis six ans maintenant, la dette publique est supérieure à 60 % de notre PIB (68,1 % en 2008) et la barre des 3 % vient d'être dépassée cette année, le déficit public s'établissant à 3,4 % du PIB national.

En contexte de crise, il apparaît difficile de diminuer le niveau de la dette, la situation macroéconomique ayant une grande influence sur les dépenses comme sur les recettes de l'Etat. Ainsi, la pacte de stabilité et de croissance prévoit une possibilité de déroger à ces critères en cas de circonstances exceptionnelles (34). Toutefois, de telles circonstances sont invoquées par les Etats membres dès qu'ils manquent à leurs obligations ce qui finit par leur ôter, en pratique, leur caractère exceptionnel.

2 - La dette des collectivités territoriales

Depuis l'acte I de la décentralisation (35), les collectivités territoriales ont la possibilité, quant à elles, d'emprunter sans l'autorisation préalable des préfets et de choisir leur prêteur. Elles peuvent donc soit solliciter un emprunt auprès d'une banque, soit émettre des obligations (pour emprunts à moyen/long terme) ou des billets de trésorerie (pour des emprunts à court terme).

Tous les garde-fous n'ont, bien évidemment, pas été supprimés. De nombreuses règles prudentielles persistent et, parmi elles, la "règle d'or" précisée plus haut : le principe d'équilibre budgétaire réel.

Depuis 1982, en outre, les collectivités territoriales peuvent garantir les prêts consentis à des organismes privés comme publics, dans la limite de certains seuils (36). Parallèlement, il leur est interdit de spéculer, sauf en matière d'opérations de couverture de risques (37).

Enfin, les collectivités territoriales sont débitrices d'une obligation d'information envers le contribuable, un certain nombre de documents devant être annexés à leur budget (38). Il est intéressant de noter que cette obligation n'existe pas au niveau national, ce qui aurait pourtant pour effet de mieux responsabiliser l'Etat.

B - Le contrôle des finances publiques

1 - Les finances nationales

Au niveau national, le contrôle de la Commission européenne est venu s'ajouter au contrôle des parlementaires au fur et à mesure de l'élargissement des compétences de l'Union.

Le contrôle du respect des critères du pacte de stabilité et de croissance relève de la Commission européenne qui agit pour le compte du Conseil de l'Union, ce dernier décidant des sanctions à adopter (39). Depuis avril 2009, une procédure de sanction aété ouverte par la Commission européenne contre la France et trois autres Etats membres -l'Irlande, l'Espagne et le Royaume-Uni-. Au titre de cette procédure, ces Etats ont été enjoints de rétablir leurs finances publiques dans un état conforme aux obligations du pacte de stabilité et de croissance, avant 2012 pour la France et l'Espagne, 2013 pour l'Irlande, et 2014 pour le Royaume Uni.

En France, le contrôle du budget relève de la compétence exclusive des commissions chargées des finances au sein de chacune des assemblées parlementaires. Parmi les députés et sénateurs membres des commissions des finances sont désignés des rapporteurs spéciaux chargés, tout au long de l'année, du contrôle de certains budgets. Ils ont, alors, pour mission de vérifier si les crédits alloués aux diverses missions ou programmes qui composent ces budgets ont été correctement mis en oeuvre et si les objectifs des politiques menés ont été effectivement réalisés. Leur rapport est, ensuite, soumis à la commission dont ils dépendent, puis à l'ensemble des députés en séance publique pour le vote de la mission en cause.

2 - Les finances locales

Le contrôle des finances locales, quant à lui, se divise en deux catégories. A priori, s'opère un contrôle de la réalité de la dépense, de son réel besoin, et un contrôle des comptes pour vérifier si la procédure a été régulière. A posteriori, le contrôle est juridictionnel, et a lieu lors de l'examen d'un recours pour excès de pouvoir introduit devant le tribunal administratif territorialement compétent.

Les contrôles a priori sont réalisés par les préfets qui recoupent les informations issues des documents annexés aux budgets et transmis par les collectivités. Ils vérifient, notamment, que toutes les dépenses obligatoires ont bien été inscrites et que les délais d'établissements des budgets ont été respectés. En cas de doute ou d'anomalie, les préfets peuvent saisir la chambre régionale ou territoriale des comptes pour faire procéder à un contrôle plus approfondi, ou faire annuler le budget voté (40).

Parallèlement, de plus en plus de collectivités utilisent des contrôles de gestion interne (41). Deux réseaux d'alertes ont été mis en place par la Direction générale des finances publiques et la Direction générale des la comptabilité publique (42). Au-delà de certains seuils et ratios critiques, elles entament une procédure de vérification des comptes et mettent en place des solutions pour accompagner les collectivités vers un retour à l'équilibre.

Enfin, depuis peu a été mis en place un contrôle de la solvabilité des collectivités territoriales par les établissements de crédits qui leur consentent des prêts.

Les collectivités territoriales apparaissent, au final, bien armées pour conserver une gestion saine de leurs finances. L'Etat, plongé dans la tourmente macroéconomique issue de la crise actuelle, ne semble pas se trouver dans une situation propre à assurer un assainissement des finances publiques. La "LOLF" a permis l'instauration de nouveaux principes qui n'ont pas encore déployé tous leurs effets, et qu'il convient donc de développer afin d'améliorer la gestion des finances nationales. Néanmoins, un excès de contraintes pour l'Etat pourrait se révéler préjudiciable au niveau macroéconomique, certaines actions nécessaires mais coûteuses se retrouvant, alors, bloquées pour des raisons comptables.


(1) Présentation par Philippe Seguin devant le Parlement du Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de la Cour des comptes le 23 juin 2009.
(2) Annonce faite au cours du "Grand Jury" RTL - Le Figaro - LCI du 21 juin 2009.
(3) Le pacte de stabilité et de croissance s'inscrit dans le contexte de la troisième phase de l'Union économique et monétaire qui a commencé le 1er janvier 1999. Il vise à assurer un effort de discipline budgétaire des Etats membres se poursuivant après l'adoption de l'euro. Formellement, il se compose d'une résolution du Conseil européen (Résolution du Conseil européen relative au pacte de stabilité et de croissance - Amsterdam, 17 juin 1997, JOUE C 236, 2 août 1997), et de deux Règlements du Conseil du 7 juillet 1997, qui en précisent les modalités techniques (Règlement (CE) n° 1466/97 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires, ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques N° Lexbase : L4852AUA, et Règlement (CE) n° 1467/97 du Conseil visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs N° Lexbase : L4851AU9). Lors du Conseil européen des 22 et 23 mars 2005, les ministres des Finances ont trouvé un accord politique pour une meilleure gestion du pacte de stabilité et de croissance, visant à son assouplissement dans certaines circonstances.
(4) Théorie développée et défendue par Georges Jellinek dans L'Etat moderne et son droit, 1901, Paris.
(5) Historien français, Georges Duby (1919-1996) fut membre de l'Académie française à partir de 1988.
(6) G. Duby, Le Dimanche de Bouvines (27 juillet 1214), Gallimard, 1973.
(7) Du point de vue du droit positif, cette faculté dont dispose la collectivité de prélever l'impôt est prévue par la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, dont l'article 13 dispose que "pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être, également, répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés".
(8) Loi n° 80-10 du 10 janvier 1980, portant aménagement de la fiscalité directe locale, art. 2 - II (N° Lexbase : L8271IE3).
(9) Sont rassemblées sous la périphrase "acte I de la décentralisation", la loi n° 82-213 du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions (N° Lexbase : L7770AIM), et la loi n° 82-623 du 22 juillet 1982, modifiant et complétant la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions et précisant les nouvelles conditions d'exercice du contrôle administratif sur les actes des autorités communales, départementales et régionales (N° Lexbase : L8269IEY) (aussi appelées "lois Deferre").
(10) Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République.
(11) De manière générale, la "LOLF" n'est entrée en vigueur que le 1er janvier 2005 (art. 67).
(12) Notamment pour alimenter le budget européen et celui des collectivités territoriales.
(13) Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République (N° Lexbase : L7298IAK).
(14) L'article 50 de la "LOLF" ne prévoyait qu'un simple rapport quadri-annuel.
(15) Loi n° 2009-135 du 9 février 2009, de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 (N° Lexbase : L9021IC4), publiée au Journal officiel du 11 février 2009.
(16) C. jurid. fin., art. L. 211-1 (N° Lexbase : L1445ADU).
(17)C. jurid. fin., art. L. 250-1 (N° Lexbase : L6805HWX).
(18) "LOLF", art. 27 : "les comptes de l'État doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière".
(19) Néanmoins, malgré les nombreuses requêtes de l'opposition, jamais la Cour des comptes n'a refusé de certifier un budget pour ce motif.
(20) Qui regroupe l'ensemble des dépenses courantes de la collectivité territoriale.
(21) La comptabilité générale recense les diverses opérations créatrices de recettes ou de dépenses intervenue dans l'année.
(22) La comptabilité analytique comme son nom l'indique va permettre une analyse des coûts afin d'optimiser la gestion des fonds publics.
(23) La comptabilité budgétaire permet de planifier les opérations sur l'année et surtout a posteriori d'en vérifier la réalisation.
(24) Voir, par exemple, les articles L. 232-1 et suivants du Code de commerce (N° Lexbase : L6281AIH).
(25) La loi n° 94-504 du 22 juin 1994, portant dispositions budgétaires et comptables relatives aux collectivités locales (N° Lexbase : L8270IEZ), a permis la mise en chantier de la réforme de l'instruction budgétaire et comptable applicable aux communes et à leurs établissements publics administratifs. Expérimentée entre 1993 et 1996, puis généralisée au 1er janvier 1997, la M 14 a connu des évolutions dont la dernière est intervenue en juillet 2000. Son préambule précise que "la comptabilité communale doit satisfaire aux obligations de régularité, de prudence, de sincérité et de permanence des méthodes. Tous ces principes, décrits dans le plan comptable général de 1999, sont présents dans l'instruction M 14".
(26) Décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962, portant règlement général sur la comptabilité publique (N° Lexbase : L5348AG8).
(27) Décret n° 62-1587, art. 12.
(28) La règle d'obligation de dépôt au Trésor des "fonds libres" des collectivités locales a pour la première fois été posée par un décret impérial en date du 27 février 1811. Dans le même esprit, obligation est faite aux départements de déposer l'ensemble de leurs disponibilités par la loi du 18 juillet 1892, en l'assortissant dès lors au principe de non-rémunération des dépôts - principe étendu aux communes par la loi du 18 septembre 1941-. A l'heure actuelle, les fondements juridiques de l'obligation de dépôt sont l'article 26 de la "LOLF" du 1er août 2001, qui a remplacé l'article 15 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, portant loi organique relative aux lois de finances (N° Lexbase : L5337AGR). Il dispose dans son 3° que "sauf disposition expresse d'une loi de finances, les collectivités territoriales et leurs établissements publics sont tenus de déposer toutes leurs disponibilités auprès de l'Etat".
(29) 5 % à 10 % selon la collectivité (CGCT, art. L. 1612-14).
(30) CGCT, art. L. 1612-14 (N° Lexbase : L8445AAZ).
(31) Le concept de trésorerie zéro vise à une optimisation du niveau de trésorerie disponible ; niveau qui ne doit être ni positif (ce qui suppose une absence totale de placements), ni négatif (afin de ne générer aucuns frais financiers).
(32) Les billets de trésorerie sont des titres de créance négociables, au sens de l'article L. 213-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5571ICC). Ils sont émis pour une courte durée (souvent entre un et trois mois).
(33) Article 121 du Traité instituant la Communauté européenne , tel que modifié par le Traité signé à Maastricht le 7 février 1993.
(34) Selon le Règlement (CE) n° 1467/97 du Conseil du 7 juillet 1997, visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs, précité (Journal officiel L 209 du 2 août 1997), le dépassement de cette valeur est considéré comme exceptionnel s'il résulte d'une circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l'Etat membre concerné et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques, ou s'il est consécutif à une grave récession économique (le dépassement des 3 % du PIB résulte d'un taux de croissance annuel négatif du PIB ou d'une baisse cumulative de la production pendant une période prolongée de croissance annuelle très faible).
(35) C'est par cette dénomination que l'on désigne couramment le processus de décentralisation intervenu entre 1982 et 2003. La réforme constitutionnelle de 2003 a ouvert l'acte II du processus de décentralisation en France.
(36) Voir, par exemple : CGCT, art. L. 2252-1 et suivants (N° Lexbase : L8876AAY) (pour la commune), art. L. 3231-1 et suivants (N° Lexbase : L1859GUE) (pour le département), et L. 4253-1 et suivants (N° Lexbase : L9552AAZ) (pour la région).
(37) Circulaire n° 92-260 conjointe du ministère de l'Economie et des Finances, du ministère du Budget et du ministère de l'Intérieur et de la Sécurité publique. Lire, Me G. Benteux, Les financements complexes des collectivités territoriales, Lexbase Hebdo n° 127 du 7 octobre 2009 - édition publique (N° Lexbase : N9499BLE).
(38) En application de l'article L. 6361-11 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8073HWW).
(39) La procédure de déficit excessif est prévue par l'article 104 du Traité instituant la Communauté européenne . Cet article oblige les Etats membres à éviter des déficits excessifs dans les budgets nationaux. La Commission évalue et le Conseil décide s'il existe un déficit excessif ou non. La Commission, qui élabore un rapport en ce sens, est tenue de prendre en considération tous les facteurs pertinents (conditions conjoncturelles, réformes, etc.) pour l'existence d'un déficit excessif. Lorsque le Conseil décide qu'un déficit excessif existe dans un Etat membre, il adresse d'abord des recommandations à l'Etat concerné. Ce dernier doit mettre un terme à cette situation dans un délai précis. Si l'Etat ne se conforme pas à ces recommandations, le Conseil peut le mettre en demeure de prendre les mesures appropriées pour réduire le déficit. Le Conseil a la possibilité, le cas échéant, d'appliquer des sanctions ou des amendes et d'inviter la Banque européenne d'investissement (BEI) à revoir sa politique de prêts à l'égard de cet Etat. La valeur de référence pour l'existence d'un déficit public est de 3 % du produit intérieur bruit (PIB). Un règlement du Conseil de 1997 clarifie et accélère la procédure de déficit excessif.
(40) CGCT, art. L. 1612-1, précité, et suivants.
(41) Sur lesquels on peut lire les développements de Dominique Jamois, Maîtrise des risques et contrôle interne dans les collectivités publiques : quel apport en temps de crise ?, Lexbase Hebdo - édition publique n° 128 du 14 octobre 2009 (N° Lexbase : N0805BMR).
(42) Institutions récentes sur lesquelles revient l'article de Guéric Jacquet, L'Etat face à la crise : réagir et réformer, Lexbase Hebdo - édition publique n° 128 du 14 octobre 2009 (N° Lexbase : N0816BM8).
*Cet article reprend en substance les propos tenus par Aurélie Zoude-Le Berre lors de la conférence "Les conséquences de la crise financière sur la gestion des collectivités locales" organisée à l'Assemblée nationale le 26 juin 2009 par AENSD1. Les propos refletés dans l'article n'engagent que son auteur.

newsid:369494

Droit public éco.

[Evénement] L'Etat face à la crise : réagir et réformer*

Lecture: 9 min

N0816BM8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212025-edition-n-367-du-15-10-2009#article-370816
Copier

par Guéric Jacquet, chef du département de la coordination de la Direction générale de la modernisation de l'Etat au ministère du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la réforme de l'Etat

Le 07 Octobre 2010

Dans une situation de crise comme celle que nous traversons, les collectivités publiques sont en première ligne. En effet, face à un contexte critique, la puissance publique apparaît comme devant "faire face". La réponse qu'elle doit apporter est d'abord immédiate : surmonter au plus vite la crise. Au-delà, cette réponse doit s'inscrire dans un temps plus long. Elle consiste, alors, à structurer la croissance potentielle de notre économie et prévenir de nouvelles crises, ce qui peut conduire à une redéfinition des modes d'intervention de la puissance publique. Ainsi, l'exemple de deux crises majeures du XXème siècle -la seconde guerre mondiale et la crise ayant fait suite au choc pétrolier- peut illustrer ce propos. La première crise a consacré le rôle de l'Etat dans l'économie, constituant ce que John Kenneth Galbraith a appelé "la preuve par Mars" (1). La seconde s'est caractérisée par une certaine remise en cause du bien-fondé des politiques économiques conjoncturelles. La réponse immédiate de l'Etat à la crise s'est concrétisée par la mise en place du plan de relance (I). Plus largement, la poursuite de la politique de réduction des dépenses structurelles de l'Etat, engagée avant la crise, peut apparaître comme une forme de réponse de long terme à la crise (II).

I - Le plan de relance : une initiative mondiale, des déclinaisons locales

La faillite de la banque Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, fut le facteur déclenchant de la réaction des Etats de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cette réaction fut partiellement coordonnée dans le cadre du G7, puis du G20. Le but pour les Gouvernements était, alors, d'une part, de restaurer la confiance dans le système bancaire et financier (A), et, d'autre part, de relancer l'économie par des dépenses publiques d'investissement (B)

A - La garantie du système bancaire

En France, le Chef de l'Etat annonça, le 25 septembre 2008, que, "quoi qu'il arrive, l'Etat garantira la sécurité et la continuité du système bancaire et financier français", et demanda une "remise à plat" du système financier international (2). Plus généralement, les Gouvernements entreprirent alors différentes actions. Dans un premier temps, les Etats procédèrent à la recapitalisation de certaines banques menacées de faillite. Ainsi la France et les pays du Benelux intervinrent au soutien de Dexia, et l'Allemagne de la banque Hypo Real Estate. Ensuite, dans le but de restaurer la confiance et de sauvegarder l'épargne des ménages, des mesures tendant à garantir les dépôts bancaires furent adoptées (3).

Sur un plan législatif, cette volonté de restaurer la confiance dans le système bancaire et financier se concrétisa, en France, par l'adoption de loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008, de finances rectificative pour le financement de l'économie (N° Lexbase : L6270IBT) (4).

Ces mesures relèvent des principes dégagés par le plan d'action concerté des Etats membres de la zone euro, annoncé le 12 octobre 2008 (5). Il s'agissait, à la fois d'alimenter le système bancaire en liquidités pour assurer le financement de l'économie, et de renforcer les fonds propres des organismes financiers pour permettre le rétablissement de la confiance.

Ainsi, concrètement, la loi de finances rectificative pour le financement de l'économie, du 16 octobre 2008, a autorisé l'Etat à accorder sa garantie, jusqu'à 360 milliards d'euros globalement, dans le cadre d'un double système de refinancement et de recapitalisation des établissements demandeurs.

En premier lieu, la garantie de l'Etat peut être accordée, à titre onéreux, aux titres de créance émis jusqu'au 31 décembre 2009 par un organisme de refinancement ad hoc, la Société de financement de l'économie française (loi n° 2008-1061, art. 6-IIA ; communément appelée la "SFEF") (6). En outre, conformément à l'accord intergouvernemental conclu entre la France, la Belgique et le Luxembourg le 9 octobre 2008, l'Etat s'est engagé à garantir les besoins de financement du groupe Dexia à hauteur de 55 milliards d'euros (loi n° 2008-1061, art. 6-IV).

En second lieu, la garantie de l'Etat peut être accordée, à titre gratuit, aux financements levés par un nouvel organisme, la Société de prises de participation de l'Etat (plus simplement, la "SPPE"), en réalité un "véhicule" détenu à 100 % par l'Etat, chargé de renforcer les fonds propres des établissements financiers (loi n° 2008-1061, art. 6-III).

Le montant de cette garantie représente près d'un cinquième du produit intérieur brut annuel français. Toutefois, les banques ne recourent que de façon marginale à cet encours de crédit, le but de cette opération étant surtout de créer un effet de signal visant à rassurer les épargnants et à restaurer la confiance dans le système économique.

B - La priorité donnée à l'investissement public

Le soutien au secteur bancaire s'inscrit dans un cadre plus large de réaction à la crise économique actuelle. Outre des mesures d'urgence propres à assurer la stabilité du système bancaire, la réaction de l'Etat s'est traduite, également, par ce qu'il est convenu de nommer "le plan de relance" (7).

L'idée est d'utiliser le levier que constituent les dépenses publiques pour relancer l'activité. Ainsi, ce plan de relance représente-t-il, en France, un total de 26 milliards d'euros (1,3 % du PIB). Pour être plus précis, il se décline en plusieurs volets.

Le premier volet du plan de relance consiste à apporter un soutien à la trésorerie des entreprises, notamment à travers un remboursement accéléré de créances détenues par les entreprises sur l'Etat, ce qui représente un montant de 11,6 milliards d'euros. Ensuite, 10 milliards d'euros sont investis par l'Etat, les entreprises publiques et les collectivités locales. Certains secteurs particulièrement exposés comme l'automobile et le logement ont, à ce titre, bénéficié d'aides exceptionnelles. Enfin, différentes mesures de soutien à l'emploi et aux revenus des ménages les plus modestes sont accordés pour un montant de même ampleur (8).

L'investissement public est orienté, en particulier, vers les infrastructures civiles et militaires, l'enseignement supérieur et la valorisation du patrimoine. Les collectivités locales sont soutenues par l'Etat dans cette entreprise. Eu égard à l'impossibilité d'augmenter la dotation globale de fonctionnement (9), la méthode employée est une avance du versement du fonds de compensation de la TVA (le "FCTVA") (10). Concrètement, les sommes qui auraient dû être versées, au titre du FCTVA, en 2010, le seront en 2009 pour les collectivités qui s'engagent à augmenter, cette année, leurs dépenses réelles d'équipement par rapport à la moyenne des dépenses 2004-2007. Les collectivités territoriales souhaitant bénéficier de ce dispositif ont dû signer une convention avec le préfet (11). 20 000 l'ont fait, et le remboursement anticipé devrait s'élever à 2,5 millions d'euros pour 2009.

Ainsi, face à la crise, les Etats ont réagi, d'une part, en veillant à la sécurisation du système bancaire et, d'autre part, à l'aide de "plans de relance" mis en oeuvre, pour partie, au niveau local. Toutefois, si la crise appelle dans l'immédiat un retour de l'Etat, il n'en reste pas moins que celui-ci est aussi remis en cause dans ses modes d'intervention. Dans un temps plus long, la crise conduit à s'interroger sur le rôle et les missions de l'Etat.

II - La garantie de la croissance future par la réduction des dépenses publiques structurelles

La volonté de réformer l'Etat ne date, évidemment, pas de la crise (12). Même son avatar le plus récent, la révision générale des politiques publiques (la "RGPP"), "véritable révolution dans la réforme de l'Etat" (13), fut présentée quelques mois avant la faillite de Lehman Brothers. Toutefois, l'approfondissement de la politique de réduction des dépenses structurelles (14) de l'Etat peut être vu comme une réponse à plus long terme à la crise. Ce mouvement de réforme doit être bien compris dans ces principes (A). La brève présentation de projets concrets en permettra l'illustration (B).

A - La réforme de l'appareil productif de l'Etat

La réforme de l'appareil productif de l'Etat se traduit par une réduction des dépenses publiques structurelles dans le cadre, pour l'essentiel, de la révision générale des politiques publiques (15). Il s'agit d'un programme de transformation de l'Etat engagé en 2007 et devant conduire, selon le ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, à une source d'économies de 7,7 milliards euros, dont 3,5 milliards sur les dépenses de personnel, 2,2 milliards sur les dépenses de fonctionnement, et 2 milliards sur les interventions et l'investissement (16). Le programme a débuté par un cycle d'audit, réalisé par des chefs d'inspections et des consultants du secteur privé, et se concrétise, aujourd'hui, par l'adoption de 374 décisions tendant à la réforme de l'Etat.

La volonté de rompre avec l'échec ayant marqué la mise en oeuvre des réformes antérieures est clairement affichée et conduit à la mise en place d'une démarche d'évaluation rigoureuse. Chaque mesure, dans chaque ministère, est suivie de manière très précise, l'avancement des réformes fait l'objet d'un rapport, et la démarche est centrée sur la mise en oeuvre des décisions prises dans le cadre de la RGPP.

La réforme s'appuie sur des grandes idées qui guident sa mise en oeuvre. L'on peut dégager cinq grands axes directeurs. Le premier traduit la volonté d'adapter la mission de l'Etat aux défis du XXIème siècle. C'est le cas, par exemple, de la création d'un grand ministère qui rassemble l'équipement, l'écologie et les transports pour faire face au défi du développement durable (17). Dans un registre très différent, les missions du ministère de la Défense ont été repensées à la suite de la publication du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (18). Celui-ci conduit à redéfinir les enjeux de la défense du territoire à l'aune des transformations de notre environnement, avec, par exemple, une réduction des effectifs chargés de protéger la frontière avec l'Allemagne.

Le deuxième grand axe de réforme de l'Etat est l'amélioration des services pour les citoyens et les entreprises. Ce point est bien connu, la volonté de mettre en place un guichet fiscal unique (19) ou la possibilité de déclarer ses revenus sur internet en étant l'illustration. Il s'agit ici d'utiliser les facultés données par les nouvelles technologies pour améliorer la qualité du service public. Par exemple, grâce aux gains de productivité résultant du recours aux technologies de l'information et de la communication, Bercy est en mesure de procéder au non remplacement des deux tiers des agents partant à la retraite.

Ensuite, il y a la volonté de réformer et moderniser l'Etat dans son organisation et ses processus. Ceci passe, notamment, par la réduction du nombre d'administrations centrales, avec l'exemple déjà donné de la création du ministère en charge du Développement durable. Un autre cas parlant est celui du ministère de la Culture, dont les services ont été refondus en trois grandes directions : création culturelle, préservation du patrimoine et diffusion culturelle.

Le quatrième axe de la réforme de l'Etat consiste en la responsabilisation par la culture du résultat. Il s'agit de responsabiliser chaque structure, dans la continuité de la "LOLF", ainsi que chaque agent. L'inspiration est directement managériale, avec la référence à des notions telles que l'amélioration continue (20) ou la performance (21).

Enfin, le Gouvernement souhaite rétablir l'équilibre des comptes publics et garantir le bon usage de chaque dépense. Ainsi, le non remplacement d'un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique devrait permettre de dégager des marges de manoeuvres pour investir dans des projets d'avenir.

B - Des projets concrets pour réformer l'Etat

Deux exemples concrets de projets menés dans le cadre de la révision générale des politiques publiques peuvent être présentés : la création de la délégation générale des finances publiques (la "DGFIP"), et la réforme du contrôle de légalité.

La DGFIP procède de la fusion de la Direction générale des impôts et de la Direction générale de la comptabilité publique (22). Il s'agit de regrouper les fonctions de calcul de l'assiette de l'impôt et du recouvrement de celui-ci, traditionnellement séparées. La réforme est aujourd'hui en cours (23), cela impliquant la création d'une direction unique pour 130 000 agents, répartis sur tout le territoire, soit 80% des effectifs du ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique. Le but est de créer des synergies, en ayant recours aux guichets fiscaux uniques, notamment dans les petites trésoreries et, ainsi, de renforcer la performance et l'efficacité des services.

Un autre exemple emblématique de la réforme de l'Etat est la réforme du contrôle de légalité (24). Il s'agit de recentrer le contrôle de légalité, centraliser son traitement en préfecture et développer sa gestion par voie électronique. La réforme (25) se découpe, ainsi, en trois volets : mieux sélectionner les actes contrôlés, centraliser le traitement du contrôle en préfecture et réaliser un effort important de formation professionnelle, et développer la transmission des actes par la voie électronique.

La crise appelle donc l'intervention forte et rapide de l'Etat dans un double objectif de sécurisation du système bancaire et de maintien de l'activité économique par l'utilisation du levier de la dépense publique, y compris fiscale. Toutefois, ce "retour à l'Etat" est à nuancer. En effet, la politique globale de réforme de l'Etat et de réduction des dépenses structurelles se poursuit, malgré tout, et invite à repenser en profondeur le rôle et les moyens d'intervention de la puissance publique. En effet, le poids de la dette publique et de la charge d'intérêts rendent indispensables l'approfondissement des réformes qui permettront de garantir à la France le retour à la croissance.


(1) J-K. Galbraith, L'économie en perspective, in Economie hétérodoxe, p. 471, Seuil, 2007.
(2) Discours prononcé par le Président de la République le 25 septembre 2008 à Toulon.
(3) En France, l'Etat s'engagea (sur le plan informel) à compléter -si besoin- le mécanisme de garantie des dépôts dont disposent les articles L. 312-4 (N° Lexbase : L6409DI9) et suivants du Code monétaire et financier.
(4) Loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008, de finances rectificative pour le financement de l'économie, art. 6.
(5) Sommet des pays de la zone euro : déclaration sur un plan d'actions concertées.
(6) La SFEF, présidée par M. Michel Camdessus, est une société par actions détenue à 66 % par sept grandes banques françaises (BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale, les Caisses d'épargne, Crédit mutuel, Banques Populaires et HSBC France), et à 34 % par l'Etat. En vue d'éviter d'éventuelles désutilités économiques, l'Agence France Trésor dispose d'un droit de veto sur les émissions de titres d'emprunt de la SFEF.
(7) Trois lois ont été adoptées, en 2009, pour définir le contenu et les modalités du plan de relance : la loi n° 2009-122 du 4 février 2009, de finances rectificative pour 2009 (N° Lexbase : L7222ICH), la loi n° 2009-179 du 17 février 2009, pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés (N° Lexbase : L9450ICY), et la loi n° 2009-431 du 20 avril 2009, de finances rectificative pour 2009 (N° Lexbase : L1364IEA).
(8) Ainsi, la loi n° 2009-431 du 20 avril 2009 précitée prévoit différentes dispositions telles que l'allègement de l'impôt sur le revenu pour les ménages imposables dont les revenus sont les plus faibles, ou le versement au mois de juin d'une prime de 150 euros à des familles modestes ayant des enfants scolarisés, et de bons d'achat de services à la personne pour 200 euros par foyer.
(9) La dotation globale de fonctionnement (ou "DGF"), instituée par la loi du 3 janvier 1979, est un prélèvement opéré sur le budget de l'Etat et distribué aux collectivités locales pour la première fois en 1979. Son montant est établi selon un mode de prélèvement et de répartition fixé chaque année par la loi de finances. Elle est versée aux régions depuis 2004. Son régime juridique est fixé aux articles L. 1613-1 (N° Lexbase : L3740ICI) et suivants du Code général des collectivités territoriales.
(10) Selon l'Insee, "le fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) a pour objet la compensation par l'Etat aux collectivités locales, à leurs groupements et à leurs services, de la TVA acquittée sur leurs investissements. Pour le calcul des attributions au titre du FCTVA, sont prises en compte les dépenses d'équipement (acquisitions et travaux) des organismes locaux durant l'avant-dernière année (hors achats de terrains et subventions spécifiques de l'Etat perçues), pour lesquelles la TVA n'a pas pu être récupérée d'une autre manière".
(11) Aux termes de l'article 1er de la loi n° 2009-122 de finances rectificative du 4 février 2009, précitée, modifiant l'article L. 1615-6 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L1079IEP), les collectivités territoriales souhaitant bénéficier de l'avance sur le FCTVA devaient conclure, avant le 15 avril 2009, avec le représentant de l'Etat, une convention portant engagement d'augmentation des dépenses réelles d'équipement. Cette date a été reportée au 15 juin 2009 par la loi n° 2009-431 de finances rectificative du 20 avril 2009.
(12) Le terme de "réforme de l'Etat" est utilisé depuis le début des années 1990. L'on peut penser à certaines grandes lois comme la loi n° 92-125 du 6 février 1992, sur l'administration territoriale de la République (N° Lexbase : L8033BB7), et plus récemment, à la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001, relative aux lois de finances (N° Lexbase : L1295AXA) (la célébrissime "LOLF").
(13) Discours du Premier ministre de présentation de la RGPP, Réunion de lancement de la révision générale des politiques publiques, 10 juillet 2007.
(14) Cette politique s'inspire clairement des conclusions du rapport rendu par Michel Pébereau : Rompre avec la facilité de la dette publique Pour des finances publiques au service de notre croissance économique et de notre cohésion sociale, ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, La Documentation française, 2005.
(15) La révision générale des politiques publiques s'inscrit dans un cadre de réflexion sans formalisation législative, a priori au sein du Conseil de modernisation des politiques publiques. Toutefois, l'ensemble des mesures de la RGPP adoptées en conseil de modernisation des politiques publiques est inscrit dans la loi n° 2009-135 du 9 février 2009, de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012. En application de la révision constitutionnelle de juillet 2008 (loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK), elle définit les orientations pluriannuelles des finances publiques et permet une maîtrise accrue des dépenses, tout en préservant la capacité de l'Etat de mobiliser des moyens en cas de crise.
(16) Assemblée nationale, Compte rendu de l'audition de M. Eric Woerth, ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique devant la commission des finances, de l'économie générale et du plan, 17 juin 2008, compte rendu n° 94, p. 5.
(17) Aujourd'hui : le ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de la Mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.
(18) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, présenté le 17 juin 2008.
(19) Dispositif qui résulte directement de la création de la DGFIP, cf. infra.
(20) Notion développée au Japon ("Kaizen") par des consultants américains dans l'après-guerre, comme Edward Deming (auteur d'une roue devenue fameuse).
(21) Degré d'accomplissement des buts, des objectifs, des plans ou des programmes que s'est fixée une organisation : Lexique de gestion, sous la direction d'Alain-Charles Martinet et Ahmed Silem, Dalloz, 7ème édition, 2005.
(22) Décidée lors du Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) qui s'est tenu le 4 avril 2008. Elle est effective depuis le décret n° 2008-310 du 3 avril 2008, relatif à la Direction générale des finances publiques (N° Lexbase : L8598H3T).
(23) Deux décrets et deux arrêtés ministériels ont acté le principe de la création de la DGFIP, fixé son organigramme et prévu un plan de déploiement jusqu'en 2012. D'ici là, la fusion des services des directions des impôts et du Trésor se feront progressivement dans chaque département. Voir le décret n° 2008-310 du 3 avril 2008, précité, le décret n° 2008-309 du 3 avril 2008, portant dispositions transitoires relatives à la Direction générale des finances publiques (N° Lexbase : L8597H3S), les arrêtés du 3 avril 2008, portant organisation de la Direction générale des finances publiques (N° Lexbase : L8548IEC) et relatif à des services à compétence nationale de la Direction générale des finances publiques (N° Lexbase : L8549IED).
(24) Le contrôle de légalité est fondée sur l'article 72 de la Constitution (N° Lexbase : L1342A9L) qui confie au représentant de l'Etat dans les collectivités territoriales le contrôle administratif et la mission de veiller au respect des lois. Il est prévu aux articles L. 2131-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2000GUM) pour les communes, L. 3131-2 (N° Lexbase : L4430H9X) pour les départements, et L. 4141-2 (N° Lexbase : L4428H9U) pour les régions.
(25) Réforme prévue par le rapport du Conseil de modernisation des politiques publiques du 12 décembre 2007.
*Cet article reprend en substance les propos tenus par Guéric Jacquet lors de la conférence "Les conséquences de la crise sur la gestion des collectivités locales" organisée à l'Assemblée nationale le 26 juin 2009 par AENSD1. Les propos refletés dans l'article n'engagent que son auteur.

newsid:370816

Interprofessionnalité

[Le point sur...] Quels rapprochements pour les professions de juriste d'entreprise et d'avocat ? - Etat des lieux

Lecture: 7 min

N0905BMH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212025-edition-n-367-du-15-10-2009#article-370905
Copier

par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 03 Mars 2011

Le rapprochement des professions juridiques ne fait pas seulement polémique en France. Qu'il s'agisse des Etats dont le droit est issu de la common law ou de ceux dont le droit est d'inspiration continentale, tous sont contraints de se poser la question de ce rapprochement, eu égard à l'explosion de la concurrence du "marché du droit". La nature des difficultés diffère, cependant ; et, notamment, en fonction de la diversité des professions à unir. Quand, en Grande-Bretagne, le débat porte sur la fusion de deux statuts, le solicitor et le barrister, en France, il s'agit de rapprocher les professions de juriste d'entreprise, d'avoué, de conseil en propriété intellectuelle, d'avocat et de notaire. Et puisque la tâche n'est pas suffisamment complexe, la réflexion s'étend aux experts-comptables, qui, indéniablement, ont acquis au fil des années, une certaine technicité juridique.
Le rapport de la commission "Darrois" comporte des préconisations sur ces problématiques : notamment, la fusion des professions de notaire et d'avocat est rejetée, au grand bonheur des premiers, mais, au prix de la création de l'acte d'avocat et du statut d'avocat en entreprise. Ce lot de consolation est jugé plutôt satisfaisant par les avocats et scandaleux par les notaires et les juristes, qui craignent de voir leur champ de compétence envahi (respectivement, l'acte authentique et les monopoles, pour les uns, et l'entreprise, pour les autres). L'inquiétude des juristes est d'autant plus grande qu'ils jugent le rapport "Darrois" laconique sur la question de leur avenir, traduisant, à leurs yeux, le manque d'intérêt et le peu de cas réservé à leur profession. Si la nécessité d'un rapprochement entre les juristes et les avocats est indéniable, celui-ci n'est pas du tout envisagé de la même façon, selon le côté duquel on se trouve : grossièrement, une grande partie des avocats ne souhaite pas voir les juristes accéder à l'avocature, quand ces derniers réclament une possibilité d'accéder plus largement à la profession d'avocat, tout en conservant leur singularité. Comment concilier des intérêts si divergents ? Qui seront les laissés-pour-compte ? Les juristes d'entreprises sont-ils réellement menacés ?

Pour appréhender au mieux les différents enjeux, Lexbase Hebdo - édition professions a dressé l'état des lieux des rapprochements existants et à venir entre les avocats et les juristes d'entreprise, Sont successivement analysés la création du statut d'avocat en entreprise (I), l'avenir de la passerelle existante permettant au juriste de devenir avocat (II) et l'accession par le juriste au statut d'avocat en entreprise (III) (lire, également, Quels rapprochements pour les professions de juriste d'entreprise et d'avocat ? Questions à Vincent Malige, General Counsel, Scor SE, Lexbase Hebdo n° 3 du 15 octobre 2009 - édition professions N° Lexbase : N0938BMP).

I - Rapprochement de l'avocat et de l'entreprise : champ actuel d'intervention de l'avocat au sein de l'entreprise et perspectives

En France, la profession d'avocat a, toujours, été conçue comme "extérieure" à l'entreprise : l'avocat a pour mission la défense des intérêts de son client en toute indépendance. C'est au nom de cette dernière, qu'il a été choisi de réduire au minimum les liens pouvant exister entre un avocat et une entreprise : l'avocat ne peut pas bénéficier d'un contrat de travail au sein d'une société autre que celle ayant pour objet l'exercice de sa profession et il est soumis à de nombreuses interdictions strictes quant à l'exercice des mandats sociaux. Aujourd'hui, si un avocat souhaite rejoindre une entreprise, il est "omis" du barreau, son statut étant, en quelque sorte, mis entre parenthèse.

Néanmoins, la société change et les mentalités évoluent. La profession a pris conscience des inconvénients d'une telle exclusion et souhaite, naturellement, investir ce nouveau terrain, à l'image de ce qui existe dans les systèmes juridiques étrangers. Et bien que les avocats souffrent, encore, de certains préjugés ("empêcheurs de tourner en rond", "annonciateurs de contentieux"...) (1), la porte semble sur le point de s'ouvrir. Le rapport de la commission "Darrois" propose la création du statut d'avocat en entreprise, qui s'inspire, fortement, de la conception anglo-saxonne (il n'existe pas de distinction statutaire ni sémantique entre le lawyer exerçant en cabinet et celui exerçant en entreprise).

Dans les grandes lignes, le statut serait ouvert à tout juriste titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA), qui souhaiterait travailler en tant que salarié au sein d'une entreprise, le maintien du statut d'avocat étant subordonné au consentement de l'employeur. L'avocat en entreprise n'aurait pas la possibilité de plaider pour le compte de son entreprise et ne pourrait pas développer une activité libérale avec une clientèle personnelle.

Le rapport "Darrois" préconise que l'avocat en entreprise puisse bénéficier de la confidentialité des correspondances échangées entre avocats et d'un legal privelege, notion spécifique aux systèmes de common law, qui désigne le droit d'un client ayant reçu un avis juridique d'un avocat de refuser de produire tout document contenant cet avis dans le cadre d'une procédure judiciaire, civile ou pénale, ou d'une procédure administrative. Il s'agit, donc, d'un secret appartenant au client, celui-ci pouvant, de façon discrétionnaire, décider de révéler à des tiers le contenu de la consultation qui lui a été délivrée.

La réflexion est, maintenant, engagée sur les détails de ce nouveau statut et chacun apporte sa contribution. Par exemple, le Conseil de l'ordre des avocats du barreau de Paris a, dans sa séance du 21 juillet 2009, voté une résolution qui tend à conserver autant que faire se peut, les conditions actuelles de l'exercice de la profession d'avocat. Il préconise, notamment, de soumettre l'avocat "aux principes essentiels de la profession d'avocat, au secret professionnel, à la confidentialité des correspondances entre avocats, au conflit d'intérêts et plus généralement à toutes les dispositions légales, réglementaires et déontologiques régissant la profession d'avocat sous réserves des dérogations spécifiques pouvant régir l'exercice en entreprise" (2).

II - Rapprochement juriste d'entreprise/avocat : la passerelle et son devenir

Il existe un système actuel de "passerelle" fixé à l'article 98, 5°, du décret du 27 novembre 1991 (3). Il prévoit une dispense de la formation théorique et pratique et du CAPA pour les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises. La jurisprudence a précisé le régime : le candidat doit être titulaire de la maîtrise en droit ou d'un diplôme reconnu comme équivalent pour l'exercice de la profession d'avocat (l'exigence du diplôme n'étant requise qu'au moment de l'inscription au barreau, peu importe que l'activité juridique ait été effectuée avant l'obtention de ce dernier) (4) et justifier de huit années d'expérience professionnelle acquises dans le service juridique d'une ou plusieurs entreprises (5), y compris l'expérience professionnelle acquise à l'étranger.

Les candidats sont inscrits pendant une période d'un an sur la liste du stage (6). Le juriste d'entreprise doit présenter sa demande d'inscription au Conseil de l'ordre du barreau choisi, qui peut la refuser, la décision étant alors susceptible d'être déférée devant la cour d'appel.

La passerelle est jugée inadaptée par de nombreux juristes pour qui les conditions fixées sont trop sévères. Ils souhaitent, notamment, voire diminuée l'exigence des huit années de pratique professionnelle. Leur intégration comme avocat est d'autant moins évidente, qu'ils sont, également, confrontés à la logique de business development des associés des cabinets d'avocats, soucieux que leurs collaborateurs et futurs associés aient développé au préalable un portefeuille de clients.

En outre, la question se pose de son maintien, le rapport "Darrois" s'étant gardé de soulever ce point. La passerelle perdurera-t-elle ? Rien n'est moins sûr. Surtout, si l'on regarde de près la position de l'Association française des juristes d'entreprise (AFJE) sur le rapport "Darrois" (7). Le premier groupement représentant la profession de juriste demande le maintien de la passerelle existante jusqu'à ce que soit instituée l'école commune des professions du droit (préconisée par le rapport "Darrois"), laissant présager l'émergence d'une unique profession d'avocat, à qui il serait laissé le choix de l'exercice en cabinet ou en entreprise (8). Ainsi, dans l'hypothèse où la profession de juriste perdurerait aux côtés de l'avocat en entreprise -ce qui n'est pas certain-, les juristes n'auraient, alors, plus la possibilité d'accéder au titre d'avocat libéral.

III - Accession du juriste d'entreprise au statut d'avocat en entreprise

Le rapport "Darrois" envisage la situation des juristes d'entreprise actuellement en poste. Il préconise d'ouvrir le statut d'avocat en entreprise à "l'ensemble des juristes d'entreprises actuellement en exercice", sous réserve de répondre aux critères actuels définis par la jurisprudence de la Cour de cassation élaborée à partir du dispositif de "passerelle" (cf. II.). Ce bénéfice serait ouvert pendant une période transitoire de huit ans, l'admission d'un juriste d'entreprise au barreau étant subordonné au consentement de l'employeur. Mais, le rapport ne prévoit rien quant au devenir des juristes qui ne souhaiteraient pas ou ne pourraient pas accéder au statut d'avocat en entreprise. Des questions subsistent : ceux-ci auraient-ils toujours leur place au sein de la société et quelle serait-elle ? Seraient-ils nécessairement placés, dans l'échelle hiérarchique, sous l'avocat en entreprise ? En pratique, un employeur ne préférerait-t-il pas toujours un avocat ?

Il semble que l'on s'oriente vers une profession juridique unique au sein de l'entreprise, celle d'avocat en entreprise. Dès lors, les protections revendiquées par les juristes doivent s'inscrire dans la création de ce nouveau statut. Concrètement, les mesures proposées pour préserver les juristes actuellement en poste de toute discrimination tiennent à ce que :

- la période transitoire prévue par le rapport "Darrois" débute à compter de l'institution de l'école commune aux professionnels du droit et des diplômes qu'elle délivrera ;

- avant le début de cette période, la passerelle existante soit maintenue ;

- les juristes titulaires d'un diplôme reconnu comme au moins équivalent du CAPA (dont la liste reste à déterminer) puissent accéder au statut d'avocat en entreprise, sans être soumis à la condition de durée d'expérience de la passerelle ;

-et, pour les autres, la durée d'expérience professionnelle requise pour le bénéfice de la passerelle soit ramenée à trois ans ;

Enfin, l'AFJE revendique le bénéfice d'un legal privilège à la française au profit de tout avocat en entreprise, quelle que soit son origine (entreprise ou cabinet) et refuse que l'employeur ait son mot à dire dans la procédure d'obtention du nouveau statut, qui reste attaché à la personne.

Certains juristes redoutent, donc, l'instauration d'un système, en ce qu'il pourrait remettre en cause leur place au sein de l'entreprise ou les y confiner. Les dents de certains avocats grincent également, à l'évocation de la création du statut d'avocat en entreprise. Ainsi, pour l'heure, son avenir reste incertain. Préconisé par le rapport "Darrois", il devrait, toutefois, revenir prochainement sur le devant de la scène : le Président de la République ayant chargé le Garde des Sceaux d'engager une concertation en vue de lui formuler des propositions, d'ici la fin de l'année 2009, sur les suites à donner au rapport, ceci, dans le cadre d'une réforme des professions du droit à intervenir début 2010. Mais, si Nicolas Sarkozy s'est déclaré favorable à l'acte d'avocat, il n'a pas inscrit le statut d'avocat en entreprise dans la liste de ses priorités.


(1) Jean-Michel Darrois l'a fortement illustré lors de son discours introductif de l'Assemblée générale extraordinaire du CNB du 25 septembre 2009.
(2) L'avocat en entreprise serait dispensé, s'il le souhaite, des missions d'aide juridictionnelle et de commissions d'office. Inscrit sur la liste spéciale des avocats en entreprise du barreau, iI participerait aux assemblées générales de l'ordre avec voix délibérative et bénéficierait du droit de vote. Il serait éligible à l'élection du Bâtonnier, des membres du Conseil de l'ordre et des membres du CNB. Il s'acquitterait des cotisations de l'ordre, de celles du CNB, celles-ci pouvant, également, être prises en charge par l'employeur. Il serait tenu au paiement des primes dues au titre des assurances collectives souscrites par l'ordre. Enfin, son contrat de travail serait régi par le droit du travail et la convention collective de l'employeur, pour toutes les dispositions autres que celles instaurées par la loi, le décret ou le règlement intérieur national (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8). Il bénéficierait, notamment, du droit du licenciement.
(3) Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat, art. 98 (N° Lexbase : L0281A9B).
(4) Cf. Cass. civ. 1, 31 mars 1998, n° 95-18.398, Ordre des avocats au barreau de Beauvais c/ M. Coiffin (N° Lexbase : A6384CKN).
(5) Concernant les conditions de diplôme, cf. Cass. civ. 1, 31 mars 1998, n° 95-18.398, Ordre des avocats au barreau de Beauvais c/ M. Coiffin, précité, qui précise que l'exigence du diplôme n'est requise qu'au moment de l'inscription au barreau, peu importe que l'activité juridique ait été effectuée avant l'obtention de ce dernier ; concernant les conditions d'expérience professionnelle, cf. Cass. civ. 1, 26 janvier 1999, n° 96-14.188, Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Nantes c/ Mme Françoise Hessin (N° Lexbase : A3247AYW), qui indique que le juriste doit travailler au sein d'un service spécialisé d'une ou plusieurs entreprises quand bien même il serait le seul employé de ce service juridique.
(6) Le juriste est inscrit sur la liste du stage et est soumis aux obligations qui en résultent, à l'exception de la participation aux travaux de la conférence du stage et de l'accomplissement d'un travail effectif à finalité pédagogique dans le cadre d'un contrat de collaboration. Il participe, en outre, "aux travaux du stage comportant notamment un enseignement des règles, usages et pratique de la profession, organisé par le Centre" (cf. décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat, art. 77-1° N° Lexbase : L8168AID).
(7) Lire Position de l'AFJE sur le rapport "Darrois", Lexbase Hebdo n° 1 du 1er octobre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N9395BLK).
(8) Notamment, "l'AFE demande [...], dans l'état actuel des diplômes sanctionnant les études juridiques, [le] maintien pour les juristes d'entreprise du principe de la passerelle pour leur permettre d'accéder au statut d'avocat exerçant en mode libéral").

newsid:370905

Droit public éco.

[Evénement] Maîtrise des risques et contrôle interne dans les collectivités publiques : quel apport en temps de crise ?*

Lecture: 10 min

N0805BMR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212025-edition-n-367-du-15-10-2009#article-370805
Copier

par Dominique Jamois, directeur en charge de la maîtrise des risques - Secteur Public / Ernst & Young
Dorian Piette, élève de l'Ecole Normale Supérieure de Cachan, agrégé d'économie-gestion

Le 07 Octobre 2010

"Danger, inconvénient plus ou moins probable auquel on est exposé" : telle est la définition que le dictionnaire Larousse donne du mot "risque". En soi, la notion ainsi définie fait apparaître une difficulté : parce que le risque est, par nature, hypothétique -tantôt permanent, tantôt évanescent- son appréhension relève plus d'un exercice d'équilibriste que d'une approche parfaitement cadrée. Cette incertitude concerne, au premier chef, les juristes, intéressés par une appréhension précise du risque : en effet, celui-ci est un fondement de la responsabilité. Cela est vrai pour les privatistes (1), mais, également, pour les publicistes (2). D'ailleurs, puisque c'est le sujet qui nous occupe ici, en matière de collectivités publiques, la notion fait référence à la responsabilité de la puissance publique (3). Evidemment, la référence n'est pas exclusive : les collectivités publiques appréhendent de plus en plus le risque comme un paramètre dans la définition et la mise en oeuvre des politiques publiques. A cet égard, ce qui les intéresse, c'est le risque comme perception d'un danger possible, plus ou moins prévisible, impliquant les notions de probabilité et de conséquence. Partant, pour une collectivité publique, la première démarche à adopter dans une optique de maîtrise des risques est d'en mesurer les effets : par exemple, quels sont les risques pécuniaires d'une incertitude dans la réglementation ? Quelles peuvent en être les conséquences en termes de temps dépensé, de coût d'opportunité (4)? Outre leur maîtrise, il importe d'être capable de prévenir les risques. Cette prévention regroupe l'ensemble des mesures visant à réduire la probabilité d'occurrence des événements redoutés (5) : ainsi, face à une incertitude juridique, doit-on confier la veille juridique à une organisation externe à la collectivité publique, ou bien doit-on traiter cette tâche en interne ?

Récemment, ces problématiques ont émergé tout particulièrement au sein des collectivités territoriales : en dehors de toute crise, des éléments de contexte les ont amenées à se préoccuper des risques, lesquels font partie du quotidien de toute organisation (risques de fraude, ou liés à la sécurité des personnes ou à la mouvance des règles applicables...). L'acuité de la question s'est renforcée avec la crise actuelle qui a ajouté à la modification de l'environnement des collectivités publiques.

En effet, conjoncture économique oblige, les ressources des collectivités publiques s'amoindrissent, alors même qu'elles sont soumises à des contraintes budgétaires fortes et lourdes (6). Par ailleurs, leurs activités sont appelées à s'élargir et à se déployer, sous l'impulsion des transferts de compétences toujours plus nombreux (7).

A cet égard, un paradoxe très contemporain doit être relevé : on assiste, d'une part, à un foisonnement normatif (sans doute nécessaire, dans une économie caractérisée par la complexité) et, d'autre part, une recherche de performance toujours plus grande. Ces deux tendances peuvent paraître contradictoires, d'où la nécessité d'effectuer des arbitrages. Or, faire des choix, arbitrer, c'est en soi prendre des risques.

L'on peut donc se demander dans quelle mesure la crise financière a renouvelé l'appréhension des risques par les collectivités territoriales. La présence de risques et leur maîtrise est, de fait, inévitable pour ces organisations. Si la crise n'a, finalement, fait qu'accentuer une tendance de fond vers un meilleur contrôle des risques, il n'en reste pas moins que celle-ci a pu mettre en exergue la substance réelle de ces derniers. Aussi convient-il d'étudier l'environnement des collectivités territoriales, source de risques multiples (I), avant d'identifier ceux-ci et de voir quels sont les outils idoines afin de les maîtriser (II). Nous verrons, notamment, que le contrôle interne est la voie la plus évidente à cette fin, contrôle qui existait, évidemment, bien avant la crise mais dont le développement doit se poursuivre.

I - L'environnement des collectivités territoriales, source de risques multiples

L'analyse de l'environnement des collectivités territoriales amène à constater que l'environnement juridique de celles-ci est complexe, ce qui, en dehors du contexte de toute crise financière, est source d'incertitudes (A). La crise n'a, ainsi, fait que les aggraver (B).

A - Un environnement juridique complexe, source d'incertitudes

Deux sources principales d'incertitudes pèsent sur les collectivités territoriales : d'une part, la modification de leur environnement, lato sensu ; d'autre part, la poursuite de la décentralisation et la réforme en cours de l'administration (8).

1 - La modification de l'environnement des collectivités territoriales

Concernant les suites de la crise financière, rares sont les collectivités territoriales qui se sont exposées à des risques réalisés au cours de la crise financière. Il faut dire que les collectivités territoriales sont soumises à des règlementations strictes qui limitent leur capacité à prendre des risques : ainsi, l'interdiction de spéculer et l'obligation de voter un budget en équilibre réel (9).

Aujourd'hui, les collectivités territoriales sont contraintes de trouver de plus en plus de ressources dans la mesure où elles perçoivent de moins en moins de recettes (ralentissement de l'activité économique oblige) et engagent de plus en plus de dépenses. Heureusement pour elles, elles disposent d'un accès aisé à des ressources en trésorerie. En effet, depuis ce qu'il est convenu d'appeler "l'acte I de la décentralisation" (10), les collectivités territoriales ont la possibilité d'emprunter sans autorisation préalable du préfet et de choisir leur mode de financement : emprunt bancaire ou émission de titres financiers (au sens de l'article L. 211-1 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L5536ICZ), parfois en recourant au marché (11). Les prêteurs ne prennent que des risques limités en confiant des fonds à des acteurs solvables : en principe, une collectivité territoriale est une contrepartie infiniment plus solvable qu'une entreprise privée.

Il ne faut pas en déduire que l'environnement des collectivités publiques ne pèse que peu sur leurs ressources. La crise économique est génératrice d'impacts indirects : une activité économique en baisse, un chômage croissant, des recettes fiscales moindres, un marché immobilier ralenti...

2 - Poursuite de la décentralisation et réforme de l'administration

Sous l'impulsion de la décentralisation, les collectivités territoriales sont dotées de plus de missions et de plus de compétences. Sommairement, après "l'acte I de la décentralisation", l'acte II (12) a permis d'étendre le champ des compétences des collectivités territoriales, notamment en matière de développement économique, de formation professionnelle, de transports, d'action sociale, de logement social et d'éducation et de culture, principalement par le biais des structures intercommunales (13). Par ailleurs, apparaissent des attentes de plus en plus fortes de la part de toutes les parties prenantes des collectivités territoriales : usagers, partenaires, agents, soit de manière directe (car les collectivités sont pourvoyeuses d'emplois : 1 864 676 personnes au 31 décembre 2006 (14)), soit de manière indirecte (attentes de qualité, exposition médiatique plus substantielle...). En soi, ce mouvement général est générateur de risques qu'il convient de gérer, même en dehors du contexte de la crise.

De même, la loi organique relative aux lois de finances (dite "LOLF") du 1er août 2001 (15), même si elle ne concerne que le budget de l'Etat, a impulsé dans toute l'administration un mouvement de rationalisation des dépenses, ainsi que d'efficience et d'efficacité de l'action publique.

Enfin, la révision générale des politiques publiques (la "RGPP"), lancée à partir de l'été 2007 (16), a pour but de conduire les réformes à l'attention des citoyens, des fonctionnaires et des finances publiques, autour de six grands axes de modernisation : amélioration des services, modernisation de l'Etat dans son organisation, adaptation des missions de l'Etat, valorisation des agents, responsabilisation par la culture du résultat, et rétablissement de l'équilibre des comptes publics (17). Nul doute que les grands axes de la RGPP pourraient servir de modèle en vue d'une réforme de l'administration locale.

B - Une aggravation de l'incertitude par la crise

La crise économique n'a fait qu'aggraver quantitativement et qualitativement les risques pesant sur les collectivités territoriales. Elles se voient, de ce fait, beaucoup plus sollicitées. Cela étant, les impacts directs de la crise sur celles-ci sont assez limités.

1 - Des responsabilités et des compétences plus larges, dans un contexte d'incertitude

L'environnement réglementaire paraît de plus en plus incertain. Le "rapport public 2006" du Conseil d'Etat, intitulé à dessein "Sécurité juridique et complexité du droit" (18), pointait du doigt la complexité entraînée par la décentralisation : "Le Code général des collectivités territoriales compte 4 492 articles, sur lesquels sont intervenues 3 029 modifications entre le 1er janvier 1996 et le 1er septembre 2005, dont 2 085 pour la seule partie législative".

Mais ce foisonnement ne concerne pas que les collectivités publiques : "Le nombre de textes de portée générale en vigueur ne cesse, en effet, d'augmenter : avec les précautions dues au processus de codification, on peut estimer qu'aux 9 000 lois et 120 000 décrets recensés en 2000 sont venus s'ajouter, en moyenne, 70 lois, 50 ordonnances, et 1 500 décrets par an" (19).

Pour prendre un exemple qui concerne spécifiquement les collectivités territoriales, la réforme de la taxe professionnelle a été annoncée le 5 février 2009, par le Président de la République. Elle représente à l'heure actuelle entre 30 à 50 % des financements des collectivités territoriales ; c'est une taxe certainement obsolète, mais le problème de son remplacement, qui reste entier, demeure, à l'heure actuelle, une grande interrogation pour les collectivités territoriales.

2 - Des risques "directs" plutôt rares

Les risques directs potentiellement supportés par les collectivités territoriales sont de deux ordres : tout d'abord, un risque financier ; ensuite, un risque de crédit.

En ce qui concerne le risque financier, ce dernier est surtout matérialisé par des placements hasardeux et/ou risqués. Les collectivités territoriales sont soumises à l'interdiction de spéculer (20). Néanmoins, en l'absence de toute définition juridique de la spéculation (21), la conduite d'opérations financières risquées n'est pas exclue pour les collectivités, et rien ne leur interdit de se prémunir, à l'instar de toute personne privée, des risques financiers qu'elles peuvent encourir.

Concernant le risque de crédit, celui-ci passe par deux canaux principaux : les taux et la trésorerie. Etant étroitement liées à la conjoncture économique, les situations de variation brutale des taux ou de trésorerie négative ne sont pas improbables en temps de crise.

Ces risques, que l'on peut qualifier de pécuniaires, ont été directement induits ou, à tout le moins, amplifiés par la crise. Les autres risques (dans la commande publique, dans la baisse des ressources...) sont soit structurels, de long terme, soit provoqués indirectement par la crise économique.

L'analyse de l'environnement des collectivités territoriales met en évidence une réalité : elles se doivent de maîtriser leurs risques, d'en évaluer les causes, d'en mesurer les conséquences et de mettre en place une démarche de prévention de ces risques. A cette fin, le contrôle interne aux collectivités doit être mis en avant, et développé, dans un souci d'efficience et d'efficacité.

II - La maîtrise des risques des collectivités territoriales : la nécessité du contrôle interne

De l'incertitude liée à l'environnement complexe des collectivités territoriales, découlent des risques qu'il convient de gérer (A). Très précisément, pour les collectivités territoriales, le risque est tout événement, ou toute situation de nature endogène ou exogène à leur organisation, qui peut empêcher la réalisation de leurs missions, porter atteinte à leur patrimoine ou à leur image, et mettre en cause la sécurité des personnes. Cette large acception met en relief la diversité des risques auxquels les collectivités territoriales ont à faire face. Pour cela, le contrôle interne se doit d'être approfondi (B). En outre, une maîtrise des risques performante doit englober, à la fois, l'anticipation a priori des risques et leur gestion a posteriori.

A - Une multitude de risques à gérer

Les principaux risques qui doivent être gérés par les collectivités territoriales sont les suivants :

- les risques liés à la sécurité des personnes (22) :

  • les risques globaux (catastrophes naturelles, sinistres, accidents...) ;
  • les risques provenant de l'environnement réglementaire ;
  • le risque découlant de la gouvernance publique et de la conduite des politiques publiques. Pour un élu, en effet, le premier "risque" est celui de ne pas être réélu !

De plus, il existe une multitude de risques qui découlent de l'organisation même de la collectivité territoriale : défaillance des services dans les processus opérationnels, défaillance dans les services support (gestion des ressources humaines, systèmes d'informations, etc.), dans la gestion patrimoniale des actifs (écoles, bâtiments, etc.), les risques liés à la commande publique, le respect des instructions budgétaires... et deux risques peut-être moins visibles (car ils sont moins médiatisés) mais extrêmement importants : la fraude interne et externe.

L'existence de ces risques implique deux réflexes : l'anticipation et la gestion. Sur ces points, trois écueils majeurs doivent être évités :

- l'ignorance : ne pas savoir n'est plus possible. Cela est valable pour les responsables politiques, notamment ; il y a une obligation d'anticiper qui a été permise par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 (23). Finalement, gouverner c'est prévoir. On ne peut pas éliminer les risques, ni les éviter ; d'où la nécessité de prévoir des plans de crise, des plans de sauvegarde, des plans d'action... ;

- l'erreur d'appréciation : il ne faut pas surestimer les risques, ni les sous-estimer. Dans une situation de crise économique, il peut paraître inutile d'allouer toutes les ressources à la prévention des risques, alors que, dans le même temps, les impacts seraient assez faibles par rapport aux moyens alloués. Un responsable public ne peut pas se permettre de prendre trop de risques. Pourtant, il est impossible de mobiliser tous les moyens (ressources financières, ressources humaines...) pour tous les éviter. Toute la difficulté est alors d'identifier l'ensemble de ces risques et de les évaluer à leur juste mesure ;

- ne pas perdre le sens des réalités : il faut, bien entendu, identifier les risques, en faire une cartographie, mesurer les risques, mettre en place des dispositifs de détection et d'alerte, tout en prenant garde à ne pas verser dans l'excès en la matière.

B - Un contrôle interne à développer

Une fois cela dit, la réflexion est tournée vers le coeur de l'organisation de la collectivité publique, ce qui permet d'envisager un contrôle interne. Rappelons que le contrôle interne est "l'ensemble des sécurités contribuant à la maîtrise" de l'organisation (24). Même s'il existe déjà, parfois à un stade embryonnaire, le contrôle interne doit être développé, et les agents des collectivités territoriales doivent y être sensibilisés.

1 - Etat des lieux du contrôle interne dans les collectivités territoriales

L'audit interne reste une fonction à consolider au sein des collectivités territoriales : il n'existe pas systématiquement de direction ou de service d'audit interne. Cependant, l'on peut constater une prise en compte de l'audit interne et de la maîtrise des risques par d'autres fonctions, notamment le contrôle de gestion.

Il ressort que les responsables des établissements publics sont plus sensibles au contrôle interne (83 %) que ceux des collectivités locales (70 %). L'on note que 62 % des agents ou personnels sont peu ou pas sensibilisés à la gestion des risques. Il convient de souligner une forte disparité entre les établissements publics (51 %) et les collectivités locales (65 %) (25).

Un effort de sensibilisation reste donc à mener, tant en termes de communication que de formation.

2 - L'apport du contrôle interne

La maîtrise des risques en temps de crise suppose d'adopter une stratégie. Savoir à quoi l'on est exposé présuppose, également, de mettre en place des dispositifs de contrôle interne ; cela recouvre de nombreux aspects, notamment de maîtriser l'ensemble de ses processus, optimiser l'utilisation des ressources et assurer une certaine transparence.

Concrètement, la collectivité territoriale peut, en interne, et ce librement (26), créer des départements dédiés au contrôle interne, mettre en place une démarche de certification qualité, adopter une approche par processus (transversalité et fusion de services, développement de la comptabilité analytique et du contrôle de gestion (27), etc.), le but étant toujours d'obtenir une plus grande transparence financière et comptable (28), ainsi qu'une plus grande qualité de l'information, tant en interne qu'à l'égard des partenaires extérieurs de la collectivité territoriale.

C'est, également, un moyen pour les responsables publics de dégager de meilleures marges de manoeuvre : une bonne prévention des risques permet une économie de temps et de moyens.

En dépit de la tonalité apparemment pessimiste de nos propos, concluons en rappelant que cette crise, comme les autres, est l'opportunité pour les collectivités territoriales de développer et d'éprouver des outils de gestion toujours plus pertinents et performants. Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ? (29).


(1) L'on peut, notamment, penser à la théorie du risque développée à la fin du XIXème siècle par Saleilles et Josserand (R. Saleilles, Le risque professionnel dans le Code civil, 1898 ; L. Josserand, La responsabilité du fait des choses inanimées, 1897), en vertu de laquelle celui qui agit et cause un dommage par cette action doit le réparer. Ou encore à la théorie des risques en droit des contrats, évoquée aux articles 1138 (N° Lexbase : L1238ABH) et 1624 (N° Lexbase : L1724ABH) du Code civil. D'une manière générale, le risque est tout événement éventuel ou incertain "dont la réalisation ne dépend pas exclusivement de la volonté des parties et pouvant causer un dommage" (d'après le Lexique des termes juridiques, Dalloz).
(2) Selon R. Chapus, in Droit administratif général, Tome 1, Montchrestien, 2001, n° 1283 : "l'expression de responsabilité pour risque est classique (en droit administratif comme en droit civil)".
(3) Laquelle "ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil [...], n'est ni générale ni absolue [et] a ses règles spéciales", nous rappelle l'arrêt "Blanco" (T. confl., 8 février 1873, Blanco, concl. David).
(4) Le coût d'opportunité (aussi appelé coût d'option) est le coût d'une chose appréhendé en termes d'opportunités non réalisées, et les avantages qui auraient pu être retirés de ces opportunités.
(5) Pour ce qui la concerne, la protection regroupe l'ensemble des mesures visant à réduire la gravité des conséquences d'un événement redouté. Dans notre exemple, il s'agirait de se couvrir par le biais d'une assurance.
(6) Lesdites contraintes sont amplement développées dans l'article signé par Aurélie Zoude-Le Berre, Le cadre juridique de la gestion des collectivités publiques, Lexbase Hebdo - édition publique n° 128 du 14 octobre 2009 (N° Lexbase : N9494BL9).
(7) A cet égard, l'on peut se référer à l'article de Guéric Jacquet, L'Etat face à la crise : réagir et réformer, Lexbase Hebdo - édition publique n° 128 du 14 octobre 2009 (N° Lexbase : N0816BM8).
(8) Une fois encore : G. Jacquet, idem.
(9) CGCT, art. L. 1612-4 (N° Lexbase : L8446AA3).
(10) Acte qui s'est incarné dans les lois dites "Deferre" : loi n° 82-213 du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions (N° Lexbase : L7770AIM), et loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat (N° Lexbase : L4726AQ4).
(11) Ce que fait, par exemple, sous forme d'emprunts obligataires, l'Association des communautés urbaines de France depuis 2004.
(12) A la suite de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République (N° Lexbase : L8035BB9), à la loi organique n° 2003-704 du 1er août 2003, relative à l'expérimentation par les collectivités territoriales N° Lexbase : L6930HGR, à la loi organique n° 2003-705 du 1er août 2003, relative au référendum local (N° Lexbase : L6331G9D), à la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004, prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales (N° Lexbase : L5037E4C), et à la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4).
(13) Structure dont la création et les compétences sont prévus par les articles L. 5111-1 (N° Lexbase : L9710AAU) et suivants du Code général des collectivités territoriales.
(14) Source : INSEE, Enquête sur les personnels des collectivités territoriales et des établissements publics locaux.
(15) Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001, relative aux lois de finances (N° Lexbase : L1295AXA), sur laquelle, on peut lire : A. Zoude-Le Berre, idem.
(16) Les grandes lignes en sont données par Guéric Jacquet : op. cit.
(17) Le dernier développement en date de la RGPP a consisté en la présentation d'un projet de loi en conseil des ministres, le 29 juillet 2009, visant à réformer la structure des réseaux consulaires (chambres de commerce et d'industrie, chambres de métiers et de l'artisanat).
(18) Disponible à cette page internet.
(19) Ces citations sont extraites de la conférence de presse du 15 mars 2006, lors de la présentation du rapport en question.
(20) Ce qu'expose Maître Grégory Benteux, Les financements complexes des collectivités territoriales, Lexbase Hebdo - édition publique n° 128 du 14 octobre 2009 (N° Lexbase : N9499BLE).
(21) Que la science économique définit, elle, en s'inspirant de l'économiste Nicholas Kaldor (1908-1986), comme "une opération d'achat ou de vente d'un actif en vue d'une revente ou d'un rachat ultérieur(e), laquelle opération est motivée par la recherche d'un gain sur la base d'une anticipation de variation du prix de l'actif en question" (cité par Alain Beitone et alii, Économie, éd. Dalloz, coll. "Sirey-Aide-mémoire", 4ème édition, 2009, p. 166. L'article de GJB, ci-après, le développe longuement.
(22) Principalement par le biais de l'article 121-2 du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY), et par l'obligation (de résultat) de sécurité de l'employeur, lorsqu'elle est considérée comme telle.
(23) Laquelle a ouverte l'expérimentation locale en insérant à l'article 72 de la Constitution (N° Lexbase : L1342A9L) un alinéa 4 permettant, sous conditions, aux collectivités territoriales et à leurs groupements de déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences.
(24) Définition inspirée de celle donnée en 1977 par le Conseil de l'ordre des experts-comptables : "le contrôle interne est l'ensemble des sécurités contribuant à la maîtrise de l'entreprise. Il a pour but, d'un côté d'assurer la protection, la sauvegarde du patrimoine et la qualité de l'information, de l'autre l'application des instructions de la Direction et de favoriser l'amélioration des performances. Il se manifeste par l'organisation, les méthodes et les procédures de chacune des activités de l'entreprise, pour maintenir la pérennité de celle-ci", définition reprise par l'Autorité des marchés financiers dans le document intitulé : Le dispositif de contrôle interne : cadre de référence, 31 octobre 2006 (consultable sur le site internet de l'AMF).
(25) Source : enquête Risques Secteur Public EY 2008.
(26) En vertu du principe de libre administration des collectivités territoriales (CGCT art. L. 1111-1 N° Lexbase : L8273AAN).
(27) Afin de calculer des coûts et, ainsi, de mieux les maîtriser.
(28) Tendant au respect des principes de fidélité et de sincérité découlant des articles L. 1611-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales.
(29) Ou dans le texte : "Was mich nicht umbringt, macht mich stärker". On doit l'aphorisme à F. Nietzsche dans Crépuscule des idoles (Götzen-Dämmerung), 1888.
* Cet article n'est pas un verbatim du propos tenu par Monsieur Dominique Jamois. Pour les nécessités de la publication, de nombreuses mentions et références techniques, juridiques et à caractère pédagogique y ont été ajoutées par Dorian Piette.

newsid:370805

Droit public éco.

[Evénement] Les financements complexes des collectivités territoriales*

Lecture: 11 min

N9499BLE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3212025-edition-n-367-du-15-10-2009#article-369499
Copier

par Gregory Benteux, avocat, CMS Bureau Francis Lefebvre, Responsable Financements et Dettes Structurés

Le 07 Octobre 2010

Le débat sur le financement public se limite souvent à la question de la dette de l'Etat. Pourtant, la complexité et la diversité des modes de financement des collectivités territoriales justifient un intérêt au moins aussi important (1). Une collectivité territoriale (2) est une structure administrative distincte de l'Etat, qui prend en charge les intérêts de la population d'un territoire précis. Elle dispose de la personnalité morale, détient des compétences propres confiées par le Parlement et exerce un pouvoir de décision par délibération au sein d'un conseil de représentants élus. Sont, ainsi, des collectivités territoriales, les communes, les départements et les régions. Leur organisation est, d'abord, déterminée par la Constitution (3), puis par le Code général des collectivités territoriales. Par ailleurs, sont soumis à des règles analogues à celles régissant les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale (les EPCI) (4). Depuis la loi de décentralisation (5), qui a unifié et profondément réformé leur régime, les collectivités territoriales disposent d'une large autonomie pour se financer, et, notamment, pour emprunter. Cette autonomie s'est accompagnée de la définition de certaines règles qui ont permis, jusqu'à récemment, de contrôler leur endettement. Elles ne peuvent, par exemple, emprunter que pour financer leurs investissements (6). Néanmoins, dans un contexte marqué par l'accroissement de leur champ de compétences, l'importance des besoins d'investissement et le tarissement relatif des sources de financement, les collectivités territoriales ont de plus en plus eu recours aux marchés financiers et aux banques. A cette demande de financement croissante, a fait écho une sophistication de l'offre. De nombreuses collectivités territoriales se sont lancées, depuis la fin des années 1990, dans la "gestion active" de leur dette en ayant recours à de nouveaux types de produits dits "structurés". Faisant suite aux premières évolutions liées au développement de produits dérivés (tels que les swaps) dans les années 1980, les produits structurés sont le résultat d'une hybridation entre un prêt classique et un produit dérivé (7) incluant, le plus souvent, une option permettant de bonifier le taux d'intérêt proposé (8). En contrepartie de cet avantage, les collectivités acceptent, généralement, une augmentation du risque de voir appliquer à leur emprunt un taux d'intérêt plus important en cas d'évolution défavorable des références utilisées pour le calcul de l'option et de ces intérêts.

Selon l'agence de notation FitchRatings (9), l'encours de ces produits pour l'ensemble des collectivités territoriales et EPCI a connu un développement très rapide en atteignant 30 à 35 milliards d'euros à la fin de l'année 2007, soit le quart de leur dette. Cependant, les collectivités territoriales ne sont pas les seules concernées : les établissements publics de santé (10) ou encore les offices publics de l'habitat (11) ont, pour des raisons similaires, eu recours à des solutions de financements complexes.

L'importance du marché du financement des collectivités territoriales et son évolution vers des produits plus structurés rendent utiles une présentation de l'intérêt de ces produits et de certaines problématiques juridiques liées à leur souscription (I). Quelques mois après un débat public houleux concernant ces produits, nous reviendrons, également, sur les conséquences négatives du renversement de la conjoncture financière et sur l'impact de ce renversement sur les relations entre les prêteurs et les emprunteurs (II).

I - Une gestion active de la dette par l'utilisation de produits structurés

Si l'offre bancaire a su répondre techniquement à l'évolution des besoins de financement des collectivités territoriales et des EPCI (A), elle met en lumière les limites de l'encadrement juridique censé conditionner et contrôler la souscription de financements complexes (B).

A - L'intérêt des financements complexes

1 - Pour les établissements de crédit

Du point de vue des établissements de crédit, les collectivités territoriales sont des partenaires d'affaires présentant de multiples qualités :

- d'une part, elles ont d'importants besoins de financement, dans un contexte d'accroissement de leurs compétences juridiques et de leurs responsabilités politiques ;

- d'autre part, pour des raisons aussi bien économiques que juridiques, ce sont des contreparties présentant une bonne qualité de crédit. Economiquement, leurs ressources correspondent, in fine, à la capacité des entités économiques de leurs territoires respectifs de payer l'impôt et aux soutiens financiers de l'Etat ou des organismes internationaux (par l'intermédiaire de subventions ou des systèmes de péréquation). D'un point de vue juridique, les collectivités territoriales sont tenues, sous le contrôle de l'Etat, d'inscrire au titre des dépenses obligatoires "les intérêts de la dette et les dépenses de remboursement de la dette en capital" (12). Les budgets des collectivités territoriales devant être, par principe, à l'équilibre, les établissements de crédit sont donc assurés qu'en cas de difficultés (et sauf cas extrêmes), les éventuelles restrictions budgétaires ne se feront pas sentir sur les sommes dues au titre des emprunts.

Dans un contexte de recherche de nouveaux clients par les groupes bancaires, et en raison du phénomène de désintermédiation et de l'effritement de leurs marges sur les produits financiers les plus classiques depuis les années 1980, les banques ont, ainsi, pu diversifier et adapter leur offre à destination des collectivités territoriales.

2 - Pour les collectivités territoriales

Pour les collectivités territoriales, le recours aux financements complexes a présenté le double avantage d'offrir une source de financement a priori compétitive et une possibilité de gérer de manière active leur endettement par rapport aux évolutions futures des marchés de taux.

Historiquement, les premières solutions structurées de financement ont été proposées aux collectivités territoriales aux fins de réaménager des prêts à taux fixe, devenus moins intéressants du fait de la baisse des taux. Il est important de noter que ces produits ont été conçus et proposés dans une conjoncture économique favorable qui permettait de faire bénéficier les collectivités territoriales des évolutions positives des indices de référence. Progressivement, les financements complexes ont évolué vers des formules intégrant ab initio des mécanismes permettant, non seulement de suivre l'évolution des marchés, mais, surtout, de se prémunir contre les mouvements excessifs de la courbe de taux. Ainsi, moyennant un taux initial très compétitif, l'emprunteur s'est vu proposer une formule de taux par laquelle le coût du crédit ne variait pas, ou peu, selon les mouvements du marché, mais pouvait évoluer fortement à la hausse en cas de variations extrêmes et supposées improbables de certains indicateurs de taux (13). D'une certaine manière, les établissements de crédit proposaient aux collectivités de répondre à leur besoin de financement, tout en les protégeant, dans une certaine limite, contre les aléas du marché des taux. Au-delà de cette limite, la protection des emprunteurs n'était plus assurée par les prêteurs.

Cette sophistication croissante et rapide, destinée à répondre aux besoins des collectivités territoriales en matière de gestion de leurs dettes, a montré les limites d'un cadre juridique défini avant le développement de ces besoins et des solutions complexes y répondant.

B - Les limites d'un cadre juridique figé

1 - La prise en compte de la finalité de l'opération : opération de couverture ou spéculation ?

Depuis 1982, les collectivités territoriales disposent d'une grande autonomie en matière de souscription de produits financiers. L'essentiel des règles applicables en ce domaine est rappelé dans une circulaire du 15 septembre 1992, sur les contrats de couverture de taux d'intérêt offerts aux collectivités locales et aux établissements publics locaux (14). Cette circulaire reconnait la capacité de principe des collectivités territoriales et des EPCI de conclure des emprunts et d'en effectuer la couverture, et, plus généralement, de gérer leur endettement en ayant recours aux instruments financiers à terme.

Néanmoins, la circulaire de 1992 limite la souscription de tels instruments aux opérations de couverture des risques. Elle précise que "l'engagement des finances des collectivités locales dans des opérations de nature spéculative ne relève ni des compétences qui leur sont reconnues par la loi, ni de l'intérêt général [...]" (III, 1.a). Par ailleurs, les collectivités locales ne pouvant "légalement agir que pour des motifs d'intérêt général présentant un caractère local" (id.), il leur est donc interdit (ainsi qu'aux EPCI) de conclure des opérations sur instruments financiers à terme dans un but spéculatif.

Si les principes juridiques sont clairs, le critère fondé sur la spéculation n'est, toutefois, pas aisé à appliquer en pratique : il pose le problème de la qualification juridique de l'opération spéculative. La loi ne donne de définition ni de la couverture, ni de la spéculation, et il ne nous semble pas qu'une instance judiciaire se soit prononcée sur le caractère spéculatif d'une opération pour des litiges liés à la capacité d'une entité publique à conclure une transaction.

Certes, il existe bien quelques orientations générales données par le Code monétaire et financier (15), la jurisprudence de la Cour de cassation (16), ou encore certains textes comptables (17). L'une des pistes de réflexion, notamment d'un point de vue comptable, serait de considérer que les notions de "couverture" et de "spéculation" dépendent de la symétrie existant, ou non, entre les flux financiers de l'actif ou du passif couvert, d'une part, et ceux de l'opération sur instrument financier à terme, d'autre part. Selon cette interprétation, la qualification de couverture devrait donc être réservée aux hypothèses de correspondance exacte entre ces deux éléments, i.e. où toute perte constatée sur la couverture est compensée par les gains réalisés sur l'actif couvert, et inversement. Cependant, un critère aussi radical est en pratique difficile à appliquer aux financements complexes, puisque ces derniers intègrent, mais seulement de manière partielle, un principe de couverture. Puisque la capacité des collectivités territoriales est liée à la notion de spéculation, il est important que cette notion soit, à l'avenir, définie de manière plus précise et tenant compte de la réalité des opérations.

2 - La difficile appréhension formelle des financements complexes

Si, au début des années 1990, la réglementation précitée était plutôt bien adaptée au marché des produits dérivés, ce n'est -semble-t-il- plus le cas aujourd'hui. En effet, elle ne s'applique qu'aux contrats "totalement dissociés de l'opération d'emprunt couverte". Or, les "produits structurés" consistent, souvent, en des "prêts intégrés" (18) : ces ensembles contractuels combinent dans un même instrumentum une opération de crédit (au sens de l'article L. 313-1 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L9234DYN) et un (ou plusieurs) instrument(s) financier(s) à terme. Cet élément formel rend plus délicate l'application de la réglementation relative à la conclusion des opérations sur instruments financiers à terme par les collectivités territoriales.

D'un point de vue financier, lorsqu'une collectivité territoriale conclut de tels financements, elle accepte de facto un risque supplémentaire afin d'accéder à un financement à des conditions plus avantageuses. En pareil cas, on ne peut arguer du fait qu'il y a symétrie parfaite entre la couverture et le risque. Cependant, les observateurs ne doivent pas passer sous silence le fait que, dans certaines limites, l'opération permet à l'emprunteur d'être protégé contre les variations des taux de marché.

Faut-il considérer que les "prêts intégrés" doivent être traités comme des prêts classiques, ou que le risque financier qu'ils incorporent implique l'application des règles relatives aux produits dérivés ? Aucune réponse définitive à cette question n'a encore été apportée par le juge ou le législateur.

II - L'épreuve du feu

L'encours de "produits structurés" des collectivités territoriales a connu un développement rapide ces dernières années. Face à une évolution défavorable et inattendue des indices, certaines d'entre elles se sont progressivement trouvées dans une situation financière tendue (A), les menant parfois à rechercher la responsabilité des banques mais incitant, surtout, à réfléchir sur l'encadrement de ce type de produit (B).

A - Un retournement brutal de situation du fait de la crise financière

1 - Un retournement de conjoncture défavorable

La presse s'est faite l'écho de ce que plusieurs collectivités territoriales éprouvaient des difficultés financières liées à la souscription de produits structurés (19). Dans certains cas très critiques, il semblerait même que l'équilibre des finances locales ait été fortement remis en cause, d'autant plus que l'offre de crédit s'est raréfiée depuis la crise financière.

Pour décrire simplement les mécanismes en oeuvre, on peut prendre l'exemple des prêts "intégrés" proposant un taux bonifié garanti sur une première période de quelques années, ledit taux étant susceptible d'être majoré si certains indices de référence atteignent des niveaux contractuellement définis. Ce phénomène est parfaitement illustré par le mécanisme du prêt dit à "barrière sur taux de change" euro/dollar (20). Prenons l'exemple d'un taux d'intérêt proposé pour un tel produit d'environ 3,18 % en janvier 2007. L'opération est alors intéressante pour les emprunteurs que sont les collectivités territoriales, puisque le taux des OAT 10 ans (taux d'intérêt à long terme) s'élève à 4,06 % en moyenne à la même époque. Toutefois, dans notre exemple, le prêt à "barrière sur taux de change" euro/dollar stipule que le taux d'intérêt varie, au-delà d'un certain seuil et d'une certaine date, en fonction des évolutions du taux de change euro/dollar : c'est ainsi que le taux de 3,18 % que nous venons d'évoquer s'est transformé en un taux de 10,87 %, lorsque la parité euro/dollar a atteint 1,44 ! Le succès de ce produit s'explique essentiellement par des prévisions optimistes s'agissant de la parité euro/dollar.

2 - Facteur supplémentaire : l'inadaptation des règles comptables

A ces anticipations optimistes s'ajoute un autre facteur aggravant : l'inadaptation des normes comptables des collectivités territoriales pour suivre les risques relatifs aux produits complexes. En effet, si une société cotée doit comptabiliser les instruments financiers qu'elle détient à leur juste valeur (21), et donc constituer des réserves pour faire face aux pertes latentes, aucune obligation similaire n'existe pour les collectivités territoriales. D'une manière schématique, la comptabilisation se fait comme si le taux bonifié appliqué en début de contrat s'appliquait pour toute la durée du prêt.

De plus, ces produits ont souvent été souscrits par de petites collectivités, plus fragiles et moins capables a priori d'évaluer les risques. A cet égard, la situation actuelle reste encore supportable car la majorité de ces emprunts risqués ont été souscrits entre 2005 et 2007, et bénéficie toujours, pour beaucoup, de la période de taux bonifié garanti. C'est donc aussi pour éviter une nouvelle vague de difficultés que certains établissements de crédit et certaines collectivités territoriales ont déjà entrepris de renégocier les termes de ces financements.

Cependant, face à des situations parfois extrêmes, certaines collectivités territoriales ont décidé de poursuivre les établissements prêteurs.

B - La régulation des relations entre les banques et les collectivités territoriales

Durant les derniers mois, certaines collectivités ont engagé des actions en responsabilité à l'encontre des établissements prêteurs, sur le fondement du manquement à l'obligation d'information du banquier envers les emprunteurs.

1 - L'obligation d'information

C'est dans un secteur différent, mais suffisamment proche, de celui des collectivités territoriales qu'un litige relatif au défaut d'information a été tranché : le secteur des organismes HLM. En effet, le 27 mars 2008, le tribunal de commerce de Toulouse a condamné, en première instance, deux établissements de crédit au versement d'une provision de 600 000 euros à une société anonyme d'HLM, pour manquement à l'obligation d'information et de conseil. Le litige portait sur des contrats dits de "couverture" complexes accordés afin de se couvrir contre les variations de taux d'intérêts. Le caractère spéculatif et risqué de ces produits a été mis en avant par le tribunal, et le terme de "tromperie" (22) a même pu être avancé. Certaines collectivités territoriales pourraient donc, à leur tour, être tentées d'agir en justice, notamment sur le fondement de l'obligation d'information (23).

Pour les opérations dites spéculatives, l'obligation d'information a été reconnue, pour la première fois, par l'arrêt "Buon" du 5 novembre 1991 (24), qui a posé le principe d'un "devoir d'information" à la charge des banques vis-à-vis de leurs "clients" investisseurs pour les opérations "spéculatives sur les marchés à terme". Durcissant sa jurisprudence, la Cour de cassation a exigé, plus récemment, de la banque qu'elle évalue les compétences de son client et lui fournisse une information adaptée sur les risques encourus dans le cadre de ces opérations dites "spéculatives" (25). Les tribunaux distinguent, ainsi, les investisseurs avertis des autres moins expérimentés (26).

D'ailleurs, au-delà de ce développement jurisprudentiel, la loi a, progressivement, mis à la charge des banques, au titre de la transparence et de la loyauté, des obligations d'information vis-à-vis du client. Ceci est, notamment, vrai en matière de prestation de services d'investissement, où les établissements sont, par exemple, tenus aux règles de bonne conduite édictées par les articles L. 533-11 (N° Lexbase : L3085HZB) et suivants du Code monétaire et financier. On peut y voir une tendance de fond qui fournit un terreau aux actions en justice potentielles des collectivités territoriales connaissant des difficultés liées à la souscription de produits structurés.

2 - Vers de nouvelles relations entre les prêteurs et les collectivités territoriales

Le manquement aux obligations liées à l'information entraîne généralement, au-delà d'une possible sanction disciplinaire que pourrait infliger une autorité de tutelle, la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de la banque. La nullité du contrat peut aussi être prononcée dès lors que le défaut d'information a eu pour effet de vicier le consentement donné. Enfin, la victime de la violation d'une obligation précontractuelle de renseignement pourrait chercher à mettre en jeu la responsabilité délictuelle de son cocontractant.

Manifestement, pour éviter que ces solutions extrêmes deviennent une pratique courante, une réflexion devrait être engagée sur la capacité des collectivités territoriales à souscrire des produits financiers complexes. Une adaptation du corpus normatif actuel doit être envisagée afin de mieux circonscrire et clarifier les conditions de conclusion de ces contrats par les collectivités territoriales. De la même manière, les outils comptables ou financiers d'un meilleur suivi des risques associés aux financements complexes doivent être mis à la disposition des collectivités territoriales. Dotées, ainsi, d'un cadre juridique clair et de moyens de contrôle adaptés, ces collectivités pourraient pleinement bénéficier des apports de la finance structurée.


(1) Lire Aurélie Zoude-Le Berre, Le cadre juridique de la gestion des collectivités publiques, Lexbase Hebdo - édition publique n° 128 du 14 octobre 2009 (N° Lexbase : N9494BL9).
(2) Ce terme a remplacé celui de collectivité locale depuis la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République (N° Lexbase : L8035BB9).
(3) Article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) et son titre XII (Des collectivités territoriales).
(4) CGCT, art. L. 5210-1 (N° Lexbase : L8259AA7) et suivants. Les EPCI sont des regroupements de communes ayant pour vocation l'élaboration de "projets communs de développement au sein de périmètres de solidarité".
(5) Loi n° 82-213 du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions (N° Lexbase : L7770AIM).
(6) Lire Aurélie Zoude-Le Berre, op. cit.
(7) Qui appartient à la catégorie des contrats financiers de l'article L. 211-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5536ICZ) (cf. C. mon. fin., art., art. D. 211-1 A I.1 N° Lexbase : L0152IDY). Comme l'autorise le Code monétaire et financier dans cet article, on utilisera indifféremment les expressions " contrats financiers" et "instruments financiers à terme".
(8) Plus précisément, c'est souvent la vente de cette option qui permet cette bonification durant les premières années.
(9) La dette structurée des collectivités locales : gestion active ou spéculation?, Rapport spécial de FitchRatings, 16 juillet 2008.
(10) Soumis aux dispositions des articles L. 6141-1 (N° Lexbase : L5112IE3) et suivants du Code de la santé publique.
(11) Régis par les articles L. 421-1 (N° Lexbase : L8940IDH) et suivants du Code de la construction et de l'habitation.
(12) Cf. pour les communes, CGCT, art. L. 2321-2 (N° Lexbase : L2067IEB).
(13) Les taux en question peuvent être des taux de change, des taux d'intérêts ou des indices mesurant le risque de crédit de certaines catégories d'emprunteur.
(14) Circulaire n° 92-260 conjointe du ministère de l'Economie et des finances, du ministère du Budget et du ministère de l'Intérieur et de la Sécurité publique.
(15) Ainsi, l'article L. 515-18 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3617HZY) évoque, en matière de sociétés de crédit foncier, les opérations de couverture.
(16) Cf. par exemple : Cass. com., 12 février 2008, n° 06-21.974, M. Gérard Pujol, F-D (N° Lexbase : A9237D4U), Cass. com., 14 décembre 2004, n° 02-13.638, M. Joël Jarno c/ Caisse régionale du Crédit agricole mutuel (CRCAM) du Morbihan, F-P (N° Lexbase : A4632DEB), et Cass. com., 12 février 2008, n° 06-20.835, Mme Geneviève Chênefront, FS-P+B (N° Lexbase : A9219D49). Ces arrêts se réfèrent à la notion de spéculation (notamment pour apprécier l'existence d'une obligation de mise en garde à la charge de l'établissement de crédit), qu'ils semblent assimiler, dans certains cas, à une opération complexe et risquée pour le client de l'établissement de crédit. Lire, également, N. Hissung-Convert, La spéculation boursière face au droit (1799-1914), Dalloz, 2009.
(17) Voir, notamment : avis du Conseil national de la comptabilité sur l'opération de couverture des établissements de crédit du 10 juillet 1987; instruction de la Commission bancaire n° 94-04 du 14 mars 1994, relative à la comptabilisation des opérations sur instruments financiers à terme de taux d'intérêt (N° Lexbase : L8620IEY), et compte-rendu de la réunion du 26 janvier 2007 de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes sur la mise en place de swaps de taux d'intérêt dans les organismes d'HLM. Ces textes donnent des indications sur ce qui doit être entendu par opération de couverture.
(18) En pratique appelés embedded.
(19) Pour n'en citer que quelques-unes : les villes de Tulle et de Saint-Etienne, ou le département de la Seine- Saint-Denis.
(20) L'exemple est repris du rapport spécial de FitchRatings, La dette structurée des collectivités locales : gestion active ou spéculation ?, op. cit.
(21) Au nom du principe de mark-to-market de la très décriée norme comptable internationale IAS39. La norme a été rendue obligatoire par le Règlement (CE) n° 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil du 19 juillet 2002, sur l'application des normes comptables internationales (N° Lexbase : L6959A4I).
(22) T. com. Toulouse, 27 mars 2008, aff. n° 2007J00839, Société Patrimoine languedocienne, SA d'HLM c/ Caisse d'Epargne Midi-Pyrénées (N° Lexbase : A4548EAP). Cet arrêt est plus amplement commenté par Alexandre Bordenave, Devoir de mise en garde du banquier : deux cas concrets opposés mais cohérents, Lexbase Hebdo n° 342 du 18 mars 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9771BIQ).
(23) Ce devoir d'information se répand incessamment dans la jurisprudence de la Cour de cassation. La notion de best execution de la Directive (CE) 2004/39 du 21 avril 2004, concernant les marchés d'instruments financiers (N° Lexbase : L2056DYS) s'en rapproche, preuve d'une tendance de fond.
(24) Cass. com., 5 novembre 1991, n° 89-18.005, Monsieur Buon c/ Banque Populaire Bretagne-Atlantique (N° Lexbase : A3967ABK).
(25) Cass. com., 12 février 2008, n° 06-20.835., op cit.
(26) Nota. : Cass. com., 23 février 1993, n° 91-10.960, Crédit Industriel de l'Ouest c/ Epoux Chassagnard (N° Lexbase : A5531ABH), Bull. civ. IV, n° 68 ; Cass. com., 2 novembre 1994, n° 92-18.478, M. Pierre Launay c/ Caisse d'épargne écureuil de Versailles (N° Lexbase : A4714CL8), Bull. civ. IV, n° 319.
*Cet article reprend en substance les propos tenus par Gregory Benteux lors de la conférence "Les conséquences de la crise financière sur la gestion des collectivités locales" organisée à l'Assemblée nationale le 26 juin 2009 par AENSD1. Les propos refletés dans l'article n'engagent que son auteur.

newsid:369499

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.