La lettre juridique n°277 du 18 octobre 2007

La lettre juridique - Édition n°277

Éditorial

Code des marchés publics et PME : politique éphémère et équation éternelle*

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N8770BCS

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Décidément, le discours et la volonté politiques ne cessent d'être confrontés à la "realjuridik" ! Très médiatisée, on se souvient de l'affaire "du crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt pour l'acquisition d'un logement principal" et du retoquage, par le Conseil constitutionnel, des dispositions de la loi Tepa prévoyant la rétroactivité du dispositif. Déjà, le principe de non-discrimination pointait le bout de son nez et contrariait, mal à propos, la volonté présidentielle. Et, c'est bien à la même conclusion qu'il faut se résigner, à la lecture de l'arrêt du Conseil d'Etat rendu le 9 juillet dernier, aux termes duquel la Haute juridiction administrative a estimé, notamment, qu'en autorisant les pouvoirs adjudicateurs à fixer un nombre minimal de PME admises à présenter une offre, ces dispositions conduisent nécessairement à faire de la taille des entreprises un critère de sélection des candidatures, lequel, n'étant pas toujours lié à l'objet du marché, revêt un caractère discriminatoire et méconnaît le principe d'égal accès à la commande publique. A priori, l'annulation du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 60, du quatrième alinéa du paragraphe I de l'article 65 et du quatrième alinéa du paragraphe I de l'article 67 du Code des marchés publics annexé au décret du 1er août 2006, ainsi que du dernier alinéa du point 10.2.3 de la circulaire du 3 août 2006 portant manuel d'application de ce code, n'a pas de quoi émouvoir les foules, et pourtant...

Pourtant, ce serait oublier les voeux du Président qui, candidat d'avril, souhaitait améliorer l'accès des PME aux marchés publics ; volonté traduite essentiellement, après son investiture, par l'idée d'instaurer, en Europe, un "small business act". C'est-à-dire, un cadre législatif qui réserverait, purement et simplement, une portion des marchés publics aux PME (23 % aux Etats-Unis, par exemple). Mais, force est de constater que ce projet n'emporte pas l'adhésion au sein de l'Union européenne. La plupart des Etats membres demeure opposée à toute intervention de l'Etat en ce domaine, préférant le jeu du libre échange. Or, c'est au niveau communautaire que tout se joue. En effet, l'application d'un "small business act" reste impossible en France en l'état actuel des droits français et communautaire, sans négociation préalable avec l'OMC. La France doit obtenir une dérogation permettant aux PME européennes d'être exemptées de l'accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) de l'OMC. Il s'agit, alors, d'obtenir un consensus européen avant les négociations auprès de l'Organisation mondiale.

Même si, selon le quotidien Les Echos daté du 13 septembre 2007, le commissaire européen Charlie McCreevy aurait, finalement, comme projet de créer un "small business act à l'européenne", qu'il devrait présenter en novembre prochain, sentant le peu d'appui européen sur la question, et prenant acte du coup porté par les Hauts magistrats à l'une des originalités importantes du Nouveau Code des marchés publics, en faveur des PME, le Président instaurait, le 27 août 2007, une mission sur l'accès des PME aux marchés publics, confiée à M. Lionel Stoléru, Président du conseil de développement économique durable de Paris. Dans sa lettre de mission, le Président de la République rappelait que des dispositions spécifiques avaient, certes, été introduites dans le Code des marchés publics entré en vigueur le 1er septembre 2006. Mais, elles étaient, toutefois, en retrait par rapport à celles auxquelles ont recours les Etats-Unis, le Japon, la Corée ou le Canada. Il s'agissait, alors, de réfléchir aux voies et moyens d'une démarche plus ambitieuse à la fois sur le plan juridique, mais aussi, au-delà des dispositions contraignantes ou incitatives qui peuvent être imaginées, sur le plan pratique de la mise en oeuvre. En d'autres termes, la Présidence est en quête de toute autre modalité d'accès privilégié aux marchés publics en faveur des PME, qui permettrait de contourner l'OMC et la censure judiciaire fruit de la concurrence libre et du principe de non-discrimination. Les conclusions de cette mission doivent être rendues d'ici le 31 octobre prochain.

Ainsi, cet arrêt, dont les éditions juridiques Lexbase vous proposent, cette semaine, un commentaire de François Brenet, Maître de conférences à l'Université de Poitiers, est un bel exemple traduisant les difficultés rencontrées par les politiques nationales à se désengager des carcans internationaux limitant leurs marges de manoeuvre et ce faisant leur souveraineté. Et dire que l'un des moyens soulevés, pour annuler le décret d'août 2006, était tiré de l'incompétence du Premier ministre pour édicter des règles applicables aux marchés des collectivités locales, alors que c'est à un tout autre niveau, celui de l'OMC, que la politique de la commande publique se décide...

*le titre est librement inspiré d'Albert Einstein

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Sociétés

[Jurisprudence] Transmission d'une clause de garantie de passif par l'effet d'une fusion-absorption

Réf. : Cass. com., 10 juillet 2007, n° 05-14.358, M. Christian Gonzalez, FS-P+B (N° Lexbase : A2932DXU)

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N8821BCP

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par Guy de Foresta, Avocat au Barreau de Lyon, Consultant auprès du cabinet Bignon, Lebray & Associés

Le 07 Octobre 2010

Une décision récente de la Cour de cassation apporte une contribution intéressante au foisonnement jurisprudentiel relatif à la transmissibilité des contrats conclus intuitu personae. En jugeant que le bénéfice d'une clause de garantie d'actif et de passif avait été transféré de plein droit à la société absorbante, par l'effet d'une opération de fusion-absorption, en l'absence de stipulations contractuelles contraires, la Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme la jurisprudence qu'elle a, désormais, dessinée : le principe légal de transmission universelle du patrimoine s'applique de plein droit aux conditions souscrites par la société absorbée, sauf si les parties à une telle convention ont entendu lui donner un caractère intuitu personae et subordonner son transfert à l'accord du cocontractant. Pour que ce principe d'intransmissibilité des contrats intuitu personae puisse valablement prévaloir, encore faut-il que la volonté des parties ait été suffisamment explicite. Lors de la rédaction de la convention, la partie y ayant intérêt devra prendre la précaution de stipuler une clause de circulation du contrat suffisamment précise à cet égard. I - Faits et procédure

Courant 1995, les deux seuls associés de la SARL PFR, exploitant d'une concession de pompes funèbres, M. et Mme G., avaient cédé la totalité de leurs parts sociales à une société cessionnaire, la société Pompes funèbres du Sud-Est.

De manière assez classique en la matière, les actes de cession étaient accompagnés d'une convention de garantie de passif, aux termes de laquelle les consorts G., en qualité de garants, déclaraient "[...] faire leur affaire des conséquences possibles [...] de toute action civile ou pénale trouvant son origine dans la violation des dispositions du contrat de concession de service extérieur des pompes funèbres [...]", et garantissaient à la société cessionnaire "que cette dernière ne serait, ni inquiétée, ni recherchée à ce sujet, les cédants assumant seuls l'entière responsabilité des conséquences d'éventuelles violations du contrat de concession précité".

De fait, quatre années auparavant, en février 1991, une société concurrente, la société Pompes funèbres conseillers funéraires du Roussillon, estimant que la société PFR s'était livrée à des actes de concurrence déloyale, l'avait assignée à comparaître devant le tribunal de commerce de Perpignan.

Une procédure judiciaire, dirigée contre la société cédée, PFR, était donc en cours lors de la cession et traitée comme telle dans la convention de garantie.

Cette procédure avait abouti, six ans après la vente de la société PFR, à la condamnation de cette dernière à payer à la société concurrente la somme en principal de 92 932,92 euros.

Entre-temps, courant 1998, la société cessionnaire, bénéficiaire de la garantie de passif, s'était faite absorber, dans le cadre d'une opération de fusion-absorption, par la société OGF.

Quelque temps après la condamnation de la société PFR pour concurrence déloyale, la société OGF assignait, le 16 juillet 2002, les consorts G. à comparaître devant le tribunal de grande instance de Perpignan pour s'entendre condamner, au titre de la clause de garantie du passif, à lui verser la somme de 94 562,31 euros.

Condamnés à payer à cette dernière la totalité des sommes réclamées par un jugement du tribunal de grande instance de Perpignan du 23 septembre 2003, les consorts G. interjetaient appel de cette décision, en faisant principalement valoir que la clause de garantie du passif dont se prévalait OGF était une garantie conventionnelle constitutive d'un droit personnel intuitu personae au seul profit du cessionnaire, c'est-à-dire la société Pompes funèbres du Sud-Est et qu'elle était donc inopposable à la société OGF.

Par arrêt du 18 janvier 2005, la cour d'appel de Montpellier confirmait le jugement, au motif principal qu'à la suite de l'opération de fusion-absorption, la société OGF avait été automatiquement substituée dans l'ensemble des droits et obligations de la société Pompes funèbres du Sud-Est, y compris de ceux qui n'auraient pas été mentionnés, pour quelque cause que ce soit, dans le traité de fusion, qu'elle pouvait donc opposer la clause de garantie aux consorts G., même si le traité de fusion-absorption ne faisait pas spécialement mention de la clause de garantie du passif, et qu'elle n'avait nullement renoncé au bénéfice des clauses de garantie du passif, dont les sociétés absorbées pouvaient réclamer le bénéfice, ces engagements ayant été transmis de plein droit à la société OGF dans le cadre de l'opération de fusion.

Persévérant dans leur argumentation, les consorts G. formaient un pourvoi contre cet arrêt, selon le moyen principal que la garantie de passif accordée à une société dénommée ne pouvait bénéficier à une nouvelle société issue d'une fusion-absorption qu'en cas de manifestation expresse du garant de s'engager envers une personne morale nouvelle.

Le problème de droit posé à la Cour suprême pouvait donc se résumer ainsi : une opération de fusion-absorption transmet-elle de plein droit à la société absorbante le bénéfice d'une garantie de passif accordé à la société absorbée, ou bien cette transmission nécessite-t-elle un accord exprès des garants ?

II - La solution de la Cour de cassation

A cette question, soulevée par les demandeurs au pourvoi, la Cour suprême répond par un attendu, qui pourrait être considéré comme de principe : "même en l'absence de mention de la clause de garantie de passif dans le traité de fusion, la société OGF a été de plein droit substituée dans l'ensemble des droits et obligations de la société Pompes funèbres du Sud-Est par l'effet de la fusion absorption, la cour d'appel [ayant] justement décidé, en l'absence de stipulation contractuelle contraire, que la société absorbante pouvait se prévaloir de la clause de garantie stipulée en faveur de la société absorbée".

Dans cet attendu de rejet du pourvoi, la Cour de cassation souligne deux absences essentielles :
- l'absence de mention de la clause de garantie de passif dans le traité de fusion, qui ne fait pas obstacle à la transmission à l'absorbante ;
- l'absence de stipulation contractuelle contraire, dans la convention de garantie, qui elle, en revanche, prive la clause de garantie de passif de pouvoir faire valablement échec à cette transmission.

Ce faisant, la Cour de cassation ne fait qu'appliquer, au cas particulier d'une convention de garantie de passif, la règle générale applicable en matière de fusion, qui se décline en un principe de transmission universelle de l'ensemble du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante, emportant de plein droit le transfert des contrats souscrits par l'absorbée et les exceptions à ce principe constituées par les contrats à caractère intuitu personae, qui ne peuvent être transmis à un tiers sans l'accord du cocontractant.

III - Le principe légal de la transmission universelle du patrimoine : une application de plein droit

Le principe posé par la loi est appliqué par la jurisprudence dans de nombreux cas.

  • Principe légal

L'article L. 236-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6353AI7) dispose que "la fusion ou la scission entraîne [...] la transmission universelle du patrimoine des sociétés apporteuses aux sociétés bénéficiaires dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération".

En d'autres termes, la société absorbante vient activement et passivement au lieu et place de la société absorbée.

"La loi considère que la transmission est universelle' même en cas de scission, bien qu'il y ait plusieurs sociétés bénéficiaires. Elle affirme ainsi l'originalité fondamentale de l'opération de fusion ou de scission qui permet de transférer, par une démarche globale et unique, l'ensemble des éléments actifs et passifs de l'entreprise" (cf. Lamy, Sociétés commerciales, éd. 2007, n° 1785).

Il ne s'agit donc, ni d'un seul apport en nature, ni d'une addition de transmission de biens isolés.

La transmission s'opère dans l'état où se trouve le patrimoine à la date de réalisation définitive de l'opération.

La fusion porte sur l'universalité des biens et droits de la société apporteuse (1).

Ce principe légal s'applique aussi bien aux opérations de scission et à celles d'apport partiel d'actif (cf., C. com., art. L. 236-22 N° Lexbase : L6372AIT) qu'aux opérations de dissolution, confusion, communément appelées "TUP" (transmissions universelles de patrimoine), prévues par les dispositions de l'article 1844-5, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM).

Elle porte même sur les biens de la société absorbée qui, par suite d'une erreur, d'un oubli ou pour toute autre cause, ne figureraient pas dans le traité de fusion (2).

  • Application en jurisprudence

- Ce principe de dévolution de plein droit du patrimoine a aussi trouvé application en jurisprudence à propos de cession de créances, telles que des titres sociaux, et des clauses d'agrément ou de préemption dont ils peuvent faire l'objet.
Ainsi, il a été jugé que "la société absorbante vient activement et passivement au lieu et place de la société absorbée" et, qu'en conséquence, les règles concernant les cessions de créances (C. civ., art. 1690 N° Lexbase : L1800ABB) ou les cessions de parts de SARL ne sont pas applicables aux apports fusions portant sur de tels biens (3). Cette solution doit être étendue au cas où, dans l'actif apporté, figurent des actions de sociétés anonymes dont la cession est soumise à agrément.
La Cour de cassation a déjà jugé, à propos d'une SARL, mais la solution est transposable aux SA, qu'en cas d'apport-scission la transmission des parts est faite directement de la société ancienne à la société nouvelle par voie de dévolution de patrimoine ; elle ne peut donc pas être considérée comme une cession isolée faite à un tiers et, dès lors, ne doit pas être soumise aux formalités prévues pour de telles cessions (4).

- La jurisprudence a eu, également, l'occasion d'appliquer ce principe légal en matière de cautionnement.
Revenant sur la jurisprudence antérieure de la Chambre commerciale de la Cour de cassation (5), l'Assemblée plénière de la Haute juridiction avait déjà jugé que, en cas de vente d'un immeuble donné en location, le cautionnement garantissant le paiement des loyers est, sauf stipulation contraire, transmis de plein droit au nouveau propriétaire en tant qu'accessoire de la créance de loyers cédée à l'acquéreur (6).

Se ralliant à cette analyse, la Chambre commerciale, au visa de l'article L. 236-3 du Code de commerce, a jugé qu'en cas de fusion-absorption d'une société propriétaire d'un immeuble donné en location, le cautionnement garantissant le paiement des loyers est, sauf stipulation contraire, transmis de plein droit à la société absorbante (7). Cette solution est, ainsi, appelée à s'appliquer à toutes sortes de dettes et non plus seulement à une dette de loyer, compte-tenu de sa motivation, fondée sur le principe légal de l'article L. 236-3 du Code du commerce (cf. Mémento Sociétés commerciales, édition Francis Lefebvre, 2007, n° 26854).

- La cour d'appel de Paris s'était déjà prononcée sur la transmissibilité à l'absorbante d'une garantie de passif. Par arrêt du 20 octobre 2005 (8), elle avait jugé que, par application des dispositions de l'article L. 236-3 du Code de commerce, la société absorbante "bénéficie de tous les droits résultant de la cession des actions et elle est fondée à invoquer la clause de garantie, dès lors que la fusion, régulièrement accomplie et publiée, a opéré la transmission universelle du patrimoine de l'acquéreur à la société mère".

L'arrêt rapporté va plus loin dans l'affirmation du principe. En précisant que la substitution s'opère de plein droit "même en l'absence de mention de la clause de garantie de passif dans le traité de fusion", il souligne le caractère universel du patrimoine transmis : c'est l'ensemble du patrimoine, tant actif que passif, avec ses éléments bilantiels et hors-bilan, qui est transmis à la société absorbante, quelle que soit la description des apports effectués dans le traité et que celui-ci fasse, ou non, mention du détail des biens, droits et obligations composant ce patrimoine.

Cette universalité doit, néanmoins, trouver ses limites dans les dérogations expresses prévues par les parties au traité, qui reposeront sur les exclusions prévues par la loi ou les conventions, et ne sera opposable aux tiers que sous réserve des droits contraires dont ils pourraient valablement disposer.

Et de fait, si elles font application de ce principe légal de transmission universelle du patrimoine de plein droit, ces décisions réservent, toutefois, la situation où une "clause contraire" aurait été prévue.

IV - Le principe de l'intransmissibilité des contrats intuitu personae : la nécessité d'une clause contraire

A défaut de l'appui d'un texte légal, comme celui qui fonde le principe de transmission universelle, c'est la doctrine, du moins une partie, qui a toujours considéré que l'accord du cocontractant était nécessaire pour que soit opérée la transmission d'un contrat intuitu personae (9).

S'agissant des contrats conclus intuitu personae, c'est-à-dire en fonction de la personnalité de celui qui doit exécuter la prestation convenue, les tribunaux ont admis, dans des espèces nombreuses et variées, que l'opération de fusion-absorption, de scission et/ou d'apport partiel d'actif ne pouvait produire ses effets dévolutifs de patrimoine, que pour autant que le cocontractant de la société absorbée ou bénéficiaire de l'apport ait exprimé son accord à une telle transmission.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a progressivement précisé et confirmé sa jurisprudence à ce sujet d'une manière que d'aucuns ont qualifié "d'affirmation prudente" (10).

  • Elle a été amenée à juger que le caractère intuitu personae du contrat et le défaut d'accord du cocontractant faisaient échec au principe légal de transmission dans le cas d'un agent commercial qui réclamait à la société, qui avait bénéficié de l'apport d'activité de son mandataire, ses indemnités de rupture (11). L'accord de l'agent commercial, mais aussi celui du bénéficiaire de l'apport, étaient requis et, en l'espèce, le contrat d'agence ne faisait pas partie de la branche complète et autonome transmise.

  • Cette solution a été réitérée à propos de conventions de gestion de trésorerie et de gestion d'actifs immobiliers confiés à un tiers, dans le cadre, à nouveau, d'un apport partiel d'actifs (12).

  • Plus récemment, et à propos d'une fusion, la Cour du cassation a jugé que les stipulations expresses d'un contrat d'agent-revendeur d'un concessionnaire automobile, permettant d'en confirmer la qualification d'intuitu personae et l'absence d'accord du cocontractant requis par ces stipulations, faisaient obstacle à la reprise du contrat par la société absorbante (13).

Très récemment, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que "rien n'interdit d'étendre l'application de la clause d'agrément à des opérations de fusion par une mention expresse dans les statuts" (14). Interprétant de façon restrictive la clause d'agrément contenue dans les statuts, elle avait déjà jugé que "la fusion absorption ne [figurant] pas expressément au nombre des actes pour lesquels la clause d'agrément est interdite par [...] l'article L. 228-23 du Code de commerce, c'est par une appréciation souveraine du sens et de la portée de l'article 13 des statuts de la société [...] que la cour d'appel a, par motifs propres et adoptés, retenu qu'en décidant que la transmission de toute action ou certificat d'investissement à un tiers non actionnaire est soumise au droit d'agrément du conseil d'administration'" (15).

En matière de cautionnement, le principe de transmissibilité des contrats intuitu personae peut, également, prévaloir sur celui de la transmissibilité universelle du patrimoine de l'absorbée, pour autant que les parties l'aient prévu.

Dans sa jurisprudence antérieure, la Chambre commerciale de la Cour de cassation exigeait à cet effet une manifestation expresse de la caution de s'engager envers la nouvelle personne morale créancière (16). Désormais, le cautionnement reste valide même pour les dettes postérieures à la fusion, sauf stipulation contraire (17).

Dans ces deux derniers cas, la volonté des parties peut faire obstacle à la dévolution de patrimoine opérée par la fusion.

L'arrêt du 10 juillet 2007 s'inscrit très exactement dans cette ligne puisque, comme en matière de cautionnement ou d'agrément, la Cour suprême admet que le principe légal de la transmission universelle du patrimoine peut être tenu en échec par celui de l'intransmissibilité des contrats conclus intuitu personae, pourvu qu'une stipulation contractuelle l'ait prévu.

L'analyse de ces décisions révèle que les difficultés sont principalement de deux ordres, puisqu'il s'agit, pour les juges, de déterminer, d'abord, si la convention en cause revêt, ou non, un caractère intuitu personae, puis, si tel est bien le cas, d'établir si un accord du cocontractant a, ou non, été donné.

Il semble que ces deux questions relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (18), même si la seconde est, également, relative à l'incidence de cet intuitu personae sur les conventions en cause, relevant, lui, du contrôle de la Cour de cassation (19).

L'arrêt rapporté souligne que le caractère intuitu personae d'une convention ne se présume pas.

La convention de garantie consentie par les vendeurs n'en comportait pas l'affirmation et n'avait prévu aucune des clauses classiques de circulation du contrat.

Dans la plupart des espèces précédentes, si le principe d'intransmissibilité du contrat a pu prévaloir, c'est parce que son caractère intuitu personae était explicitement exprimé, en tant que tel, ou que l'on pouvait, au moins, déduire de stipulations contractuelles, relatives à la circulation du contrat, que l'accord du ou des cocontractant(s) était préalablement nécessaire à sa transmission à un tiers.

L'incertitude réside, souvent, dans la rédaction de ces clauses de circulation et le périmètre que les parties ont voulu leur assigner : la "cession" du contrat, ou bien son "transfert", expressions qui reviennent souvent sous la plume des rédacteurs d'actes, s'étendent-ils aux opérations portant transmission universelle de patrimoine ? C'est la question fréquente que les tribunaux ont à trancher (20).

En pratique, deux enseignements se dégagent, plus particulièrement, de l'analyse de cette décision :

- la partie qui souhaite pouvoir se prévaloir de l'intuitu personae et limiter son engagement à un créancier qu'elle connaît, tel que le garant envers le cessionnaire, les associés entre eux, la caution envers le créancier de l'obligation cautionnée, aura intérêt à manifester cette intention dans la convention initiale, de la manière la plus explicite possible ;

- lors de la préparation d'une opération portant transmission universelle du patrimoine, et s'il existe un doute sur la nature de certains contrats et la nécessité de l'accord préalable du cocontractant à leur transfert, il sera prudent, pour ne pas risquer une inopposabilité, de provoquer une réponse du cocontractant, après avoir, toutefois, bien mesuré l'éventuel risque que ce dernier n'y trouve l'occasion de mettre fin aux relations contractuelles.


(1) CA Paris, 2ème chambre, 21 novembre 1977, Bull. Joly, 1978, p. 647, Cass. com., 13 février 1963, n° 61-11.768, Société nouvelle des établissements Gaumont c/ Société du cinéma Noailles (N° Lexbase : A9614AG8).
(2) Cf. Cass. com., 4 février 2004, n° 00-13.501, Société White SAS c/ M. Jacques Bertrand, F-D (N° Lexbase : A2637DBB) ; RJDA, 6/04, n° 713.
(3) Cass. com., 19 avril 1972, n° 69-14.054, Société Nouvelle cargo maritime SA c/ Société Michaelides et Cie SARL (N° Lexbase : A6670AG7) ; D., 1972, p. 538 ; Cass. civ. 1, 25 avril 1974, n° 73-10.129, Dame Meyer c/ Cie Les assurances générales, publié (N° Lexbase : A9329CID) ; Gaz. pal., 1974, II, p. 635 ; Cass. civ. 2, 11 mai 1977, n° 75-12.548, Jung c/ Société Banque Française du commerce extérieur, publié (N° Lexbase : A7172AGQ) ; Cass. com., 1er juin 1993, n° 91-14.740, Société 3F restaurant c/ Société Parimmo (N° Lexbase : A5695ABK) ; RJDA, 7/93, n° 622 ; Cass. civ. 1, 12 juillet 2001, n° 98-21.588, M. Robert Dorfmann c/ Société UGC DA (N° Lexbase : A1960AU7) ; JCP éd. E, 2003, n° 281, note J.-J. Daigre ; Cass. com., 28 avril 2004, n° 00-15.003, Société Finatral c/ Banque de Vizille, F-D (N° Lexbase : A0430DCW) ; RJDA, 8-9/04, n° 983.
(4) Cass. com., 19 avril 1972, préc. et, pour une solution analogue à propos du champ d'application d'un droit de préemption figurant dans un pacte d'actionnaires, voir CA Paris, 25ème ch., sect. B, 18 février 2000, n° 1999/16771, SA Finatral c/ SA Banque de Vizille (N° Lexbase : A0599DC8) ; RJDA, 6/00, n° 662, et sur pourvoi Cass. com., 28 avril 2004, préc..
(5) Cass. com., 21 janvier 2003, n° 97-13.027, Banque populaire du Sud-Ouest c/ M. Michel Blain, FS-P (N° Lexbase : A7242A4Y), Bull. Joly, 2003, p. 414.
(6) Ass. plén., 6 décembre 2004, n° 03-10.713, Société WHBL 7, anciennement dénommée Union industrielle de crédit, venant aux droits de la société Sofal c/ Société Groupe industriel Marcel Dassault, publié (N° Lexbase : A3249DE3) ; BRDA, 1/05, inf. 11.
(7) Cass. com., 8 novembre 2005, n° 01-12.896, Société Selectibail SA, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A4830DLH) ; BRDA, 22/05 ; M.-E. Mathieu, Du nouveau sur le sort du cautionnement en cas de fusion-absorption, Lexbase Hebdo n° 192 du 31 novembre 2005 - édition affaire (N° Lexbase : N1477AKW).
(8) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 20 octobre 2005, n° 04 /00481, M. Emile Thirion c/ Société anonyme GFI informatique (N° Lexbase : A2405DLN) ; RJDA, 3/06, n° 282.
(9) Cf. Houin, RTD com., 1975, p.136 ; Prieto, La société contractante, Presses Aix, 1994, n° 695 et s. ; X. Jaspar et N. Metais, Les limites à la transmission universelle du patrimoine : les contrats intuitu personae et les contraintes afférentes à certains biens, Bull. Joly, 1998, p. 447 ; M.-L. Coquelet, La transmission universelle du patrimoine en droit des sociétés à l'épreuve du principe d'intransmissibilité des contrats intuitu personae, Dr. Sociétés, Actes pratiques, 2000, n° 49. En effet, ce n'est que dans des cas restreints que le principe de l'intuitu personae a pu trouver le support d'une loi. Ainsi, la Cour de cassation a jugé, à l'occasion de l'absorption d'une société dont l'absorbante prétendait exercer de plein droit le mandat de syndic confié à cette dernière, que la loi du 10 juillet 1965 (loi n° 65-557, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis N° Lexbase : L5536AG7), qui régit le fonctionnement de la copropriété, exclut toute substitution explicite de l'assemblée générale des copropriétaires (Cass. com., 30 mai 2000, n ° 97-18.457, Syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier La Baie des Anges c/ Mme Mottier N° Lexbase : A5254AWI ; D., 2000, p. 320, obs. M. Boizard, BRDA, 2000, n° 5, p. 4, Bull. Joly 2000, p. 841, note M.-L. Coquelet ; Cass. civ. 3, 10 novembre 1998, n° 97-12.369, M. Brun c/ Syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier Le Marco Polo N° Lexbase : A6406AGD ; Bull. Jolly, 1999, p. 371, note J.-J Daigre ; JCP éd. E, 1999, n° 7, p. 328, note A. Djigo). La transmission universelle ne saurait porter sur des biens qu'une disposition légale a rendus intransmissibles (cf. Cass. com., 23 avril 1976 ; Rev. Sociétés, 1977, p. 69, note Guyon à propos d'un bail rural) et se heurte, également, à un principe de droit administratif, selon lequel les contrats administratifs sont incessibles sans l'accord de l'autorité administrative compétente à défaut duquel la transmission serait inopposable à l'administration qui pourrait même les résilier.
(10) Cf. X. Vamparys, Bull. Joly sociétés, 2006, p. 591, note sous Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-16.878, Société Garage Loustaunau c/ Société Etablissements Lavillauroy, F-P+B (N° Lexbase : A9814DL3).
(11) Cf. Cass. com., 29 octobre 2002, n° 01-03.987, M. Philippe, Henri, Arthur Decaudain c/ Société Sucrerie de Bucy-Le-Long, F-D (N° Lexbase : A4127A3A) ; BRDA, 2002, n° 22, p. 4 ; RJDA, 2003, n° 3 et n° 263, p. 233 ; Bull. Joly, 2003, p.192, note D. Krajewski ; Dr. et patr., 2003, n° 117, p. 98, obs. D. Poracchia ; D., 2003, p. 2231, note J.-P. Brill et C.Koering ; RTD civ., 2003, p. 295., obs. J. Mestre et B. Fages.
(12) Cf. Cass. com., 3 juin 2003, n° 99-21.257, Société Pallas European Property Fund BV c/ Société Axa corporate solution, F-D (N° Lexbase : A9422C74) ; Bull. Joly, 2003, p. 1034, note D. Krajeski.
(13) Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-16.878, préc. ; R. Kaddouch, La fusion face aux contrats intuitu personae, Lexbase Hebdo n° 201 du 9 février 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N4162AKD) ; BRDA, 2006, n° 3, p. 12 ; Dr. Sociétés, février 2006, n° 23, note J. Monnet ; Bull. Joly sociétés, 2006, p. 591, note Vamparys ; RTD com., 2006, p. 429, obs. Le Cannu.
(14) Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-13.484, Société Eurofog, F-D (N° Lexbase : A2561DWR) : rejet du pourvoi formé contre CA Paris, 3ème ch., sect. B, 9 février 2006, n° 05/03072, Société anonyme Eurofog c/ SAS IXSEA (N° Lexbase : A2997DNC).
(15) Cass. com., 6 mai 2003, n° 01-12.567, Société Sanofi Synthelabo c/ Société Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher, FS-P (N° Lexbase : A7909BSQ) ; RJDA, 8-9/03, n° 837.
(16) Cass. com., 21 janvier 2003, préc..
(17) Cass. com., 8 novembre 2005, préc..
(18) Cf. note D. Krajewski, sous Cass. com., 3 juin 2003, préc..
(19) Cf. J. Mestre et B. Fages, préc..
(20) Sur une terminologie adaptée, voir Le Cannu, note sous Cass. com., 13 décembre 2003, préc..

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Responsabilité

[Jurisprudence] La faute inexcusable susceptible de faire tomber le plafond d'indemnisation en matière de transport aérien

Réf. : Cass. civ. 1, 2 octobre 2007, 2 arrêts, n° 04-13.003, M. Guy-Marie Bach, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6188DYT) et n° 05-16.019, Société Assurances générales de France (AGF), FS-P+B+I (N° Lexbase : A6189DYU)

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N8732BCE

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

On se souvient peut-être que l'occasion avait été donnée de signaler, ici même, quelques arrêts importants ayant précisé la notion de transport aérien au sens de l'article L. 310-1 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L4189AW3), afin, notamment, de déterminer le champ d'application de la Convention de Varsovie, relative aux transports internationaux de passagers. C'est ainsi que la Cour de cassation avait décidé que, conformément à l'article L. 322-3 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L5745HD7), l'acheminement de passagers par aéronef constitue un transport aérien, si bien que doit être qualifié comme tel le baptême de l'air en deltaplane biplace (1), en parapente biplace (2) ou en ULM (3). La question est importante dans la mesure où la Convention de Varsovie prévoit, en principe, un plafond d'indemnisation en cas de dol ou de faute équivalente au dol, l'article 25 de la Convention, modifié par un Protocole, signé à La Haye le 28 septembre 1955, et entré en vigueur le 1er août 1963, affirmant le caractère intégral du droit à réparation dans tous les cas où "le dommage résulte d'un acte ou d'une omission du transporteur ou de ses préposés fait soit avec l'intention de causer le dommage, soit témérairement et avec conscience qu'un dommage en résultera probablement". Par ailleurs, une loi du 2 mars 1957 alignant le régime des transports internes sur celui de la Convention de Varsovie a décidé que, pour l'application de l'article 25 de la Convention, la faute considérée comme équivalente au dol est la faute inexcusable : "Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable". Deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 2 octobre dernier, à paraître au Bulletin, permettent de revenir sur cette définition de la faute inexcusable. Les faits à l'origine des deux arrêts sont assez proches. Dans les deux affaires, en effet, il était reproché au pilote d'un avion ou d'un aéronef d'avoir commis une faute inexcusable ayant causé l'accident, faute consistant, dans le premier cas, dans le fait d'avoir alimenté l'appareil sur un réservoir jusqu'à épuisement du carburant consommable conduisant à l'arrêt du moteur malgré le basculement au dernier moment sur un réservoir plein, dans le second cas, dans le fait d'avoir enfreint la réglementation en choisissant une approche à vue et en omettant d'effectuer une manoeuvre de sauvetage bien qu'il en fût encore temps, refusant de remettre les gaz pour reprendre de la hauteur et se présenter vent arrière, plutôt que d'effectuer le dernier virage à grande inclinaison avec une masse maximale alors qu'il ne disposait d'aucune assistance aux commandes.

Ainsi, dans les deux cas, la faute du pilote était indiscutable, et nul ne contestait que la faute commise était même une faute grave. En revanche, la question était discutée de savoir si elle devait pour autant être considérée comme "inexcusable". Dans les deux affaires, les premiers juges avaient écarté la qualification de faute inexcusable au motif, dans le premier cas, qu'il n'était pas démontré que le pilote ait délibérément retardé le basculement du réservoir au dernier moment, par exemple, en surestimant les performances mécaniques de l'appareil ou sa propre capacité à se sortir d'une situation difficile, et, dans le second cas, que le pilote n'avait pas agi avec témérité ni pris un risque sachant le dommage certain. La Cour de cassation censure, dans les deux affaires, les premiers juges, en affirmant "qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses constatations que la faute commise par le pilote impliquait objectivement la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire de sorte qu'elle revêtait un caractère inexcusable, la cour d'appel a violé les textes susvisés" (dont, entre autres, l'article 25 de la Convention de Varsovie).

Ces arrêts s'inscrivent dans la longue suite de décisions ayant eu à préciser la notion de faute inexcusable, dont on sait que, pour l'essentiel, elles ont conduit à atténuer la rigueur de la définition légale qui met l'accent sur l'existence, chez l'auteur de la faute, de la conscience du danger qu'il fait courir à autrui. Rigueur qui est assez, en effet, rapidement apparue excessive dans la mesure où, d'une part, les limitations de responsabilité, qui avaient pu se justifier aux temps héroïques des débuts de l'aviation, ont été ressenties, à partir des années 1960, comme assez arbitrairement maintenues au profit des compagnies aériennes et au détriment des victimes, et où, d'autre part, d'un point de vue factuel, il est apparu exceptionnel de pouvoir démontrer, après accident, a fortiori lorsque le pilote est décédé, qu'il avait eu pleinement conscience du danger auquel il avait exposé ses passagers. Aussi bien la jurisprudence, suivant une méthode d'appréciation dite in abstracto, s'est-elle contentée de la constatation du danger dont aurait dû avoir conscience le pilote, à défaut peut-être d'en avoir concrètement et réellement eu conscience (4). Encore faut-il remarquer que cette méthode d'appréciation n'exclut pas la possibilité pour les juges de retenir certaines circonstances propres à établir la conscience de l'auteur de la faute (5), et la Cour de cassation rejette parfois la qualification de faute inexcusable au motif que rien ne permettait de démontrer que le transporteur savait ou aurait dû savoir que son comportement était dangereux (6). Tel ne semblait pas, en tout état de cause, être le cas en l'espèce, des circonstances de fait tirées du comportement du pilote ayant permis d'induire, fut-ce de manière assez objective, sa faute inexcusable.


(1) Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 02-18.584, Société AGF Mat, nouvelle dénomination de la société SM3A c/ Mme Leigh, FP-P+B (N° Lexbase : A7395DLH), Bull. civ. I, n° 444 ; et nos obs., Limitation légale de la responsabilité contractuelle du transporteur aérien, Lexbase Hebdo n° 193 du 8 décembre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N1612AKW).
(2) Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 01-20.778, M. Nicolas Brenneur-Boyne c/ M. Orhan Mete, FP-P+B (N° Lexbase : A7385DL4), Bull. civ. I, n° 445 et nos obs. préc. ; Cass. civ. 1, 27 juin 2006, n° 03-10.094, Groupement d'intérêt économique (GIE) Avia France, FS-P+B (N° Lexbase : A3591DQ3), Bull. civ. I, n° 336.
(3) Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 03-17.395, M. Daniel Maillet c/ Société AGF/MAT, FP-P+B (N° Lexbase : A7433DLU), Bull. civ. I, n° 446, et nos obs. préc..
(4) Voir déjà, en ce sens, Cass. civ. 2, 5 mars 1964, n° 62-11.392 (N° Lexbase : A7509DYR), JCP 1964, II, 13696, note M. De Juglart ; Cass. com., 26 mai 1999, n° 97-13.145, Compagnie Unat et autres c/ Compagnie nationale Air France et autres, inédit (N° Lexbase : A6298C3N), Resp. civ. et assur. 1999, comm. n° 275.
(5) Voir, not., Cass. civ. 1, 5 novembre 1985, Société Antillaise de Transports Aériens Air Guadeloupe, Compagnie d'Assurances Maritimes Aériennes et Terrestres CAMAT c/ Agent judiciaire du Trésor, Consorts Créantor et autres (N° Lexbase : A2978AAK), Bull. civ. I, n° 286 ; Cass. civ. 1, 17 novembre 1987, Mme Boyelle c/ M. Huart et autres (N° Lexbase : A1341AH7), Bull. civ. I, n° 302.
(6) Cass. com., 21 mars 2006, n° 04-19.246, Société Entreprise Gallego c/ Société DHL International, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7518DNR), Bull. civ. IV, n° 77, JCP éd. G, 2006, II, 10090, note M. Mekki.

newsid:298732

Bancaire

[Jurisprudence] Les conditions du recours en garantie du cessionnaire Dailly contre le cédant

Réf. : Cass. com., 18 septembre 2007, n° 06-13.736, Crédit industriel d'Alsace et de Lorraine, F-P+B (N° Lexbase : A4231DYD)

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N8785BCD

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par David Robine, Maître de conférences à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

L'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9257DYI) dispose qu'en cas de cession ou de nantissement de créance par bordereau Dailly, "le signataire de l'acte de cession ou de nantissement est garant solidaire du paiement des créances cédées ou données en nantissement", sauf convention contraire. Le principe est clair. Le texte est en revanche muet sur les conditions du recours du cessionnaire contre le cédant. Un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, le 18 septembre 2007, est venu apporter d'intéressantes précisions sur ce point. En l'espèce, le client d'un établissement de crédit avait cédé à celui-ci une créance par bordereau Dailly en application d'une convention-cadre signée huit ans plus tôt. Cette convention rappelait la garantie prévue à l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier et autorisait l'établissement de crédit à débiter le compte-courant du cédant dans l'hypothèse où le débiteur cédé laisserait la créance cédée impayée à l'échéance. Le cessionnaire avait choisi de notifier la cession au cédé, lui interdisant ainsi, en application de l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9261DYN), de payer entre les mains du cédé et l'obligeant à se libérer entre ses mains. Mais la créance cédée est demeurée impayée et l'établissement de crédit a alors assigné le cédant en garantie, sur le fondement de l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier.
Or, par un arrêt du 11 janvier 2006, la cour d'appel de Metz a rejeté cette demande pour deux motifs. Les magistrats messins ont, tout d'abord, décidé que le cessionnaire "n'est fondé à poursuivre le cédant que s'il justifie d'une démarche amiable accomplie auprès du débiteur cédé à fin de paiement ou de la survenance d'un événement rendant impossible le paiement". Les juges du fond ont, ensuite, relevé que le cessionnaire n'avait pas informé le cédant de l'impayé au moment de la rupture de leurs relations et qu'il n'avait pas déclaré sa créance à la procédure collective du cédé, laissant, de ce fait, le cédant "totalement démuni" pour obtenir paiement de la créance cédée. La cour d'appel de Metz en avait déduit qu'une faute de l'établissement de crédit était dès lors caractérisée et qu'il convenait de la débouter de sa demande en réparation du préjudice causé.
Le cessionnaire s'est alors pourvu en cassation. Il contestait, d'une part, la nécessité d'une démarche amiable préalable en vue d'obtenir paiement du cédé en se fondant sur l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier, mais aussi sur les stipulations de la convention-cadre qui l'unissait au cédant et, plus particulièrement, sur l'autorisation de débit du compte-courant de ce dernier. Il niait, d'autre part, avoir commis une quelconque faute.
Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation au motif que, "si le cessionnaire d'une créance professionnelle qui a notifié la cession en application de l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier bénéficie d'un recours en garantie contre le cédant, garant solidaire, sans avoir à justifier préalablement d'une poursuite judiciaire contre le débiteur cédé ou même de sa mise en demeure, il est cependant tenu de justifier d'une demande amiable adressée à ce débiteur ou de la survenance d'un événement rendant impossible le paiement".
En affirmant que le cessionnaire n'a pas à justifier d'une poursuite ou d'une mise en demeure préalable du cédé pour agir contre le cédant, la Cour de cassation ne fait que confirmer, sans surprise, sa jurisprudence antérieure (1). La solution n'est pas contestable. Elle tient à la solidarité existant entre le cédant et le cédé. De ce fait, le cédant est tenu au tout et il ne peut invoquer de bénéfice de discussion.
Le véritable intérêt de l'arrêt commenté réside dans l'affirmation selon laquelle le cessionnaire doit justifier d'une demande amiable adressée au cédé avant de pouvoir faire jouer la garantie du cédant. Cette solution avait déjà été retenue à plusieurs reprises par des juridictions du fond (2). La Cour de cassation ne s'était, en revanche, jamais prononcée, du moins aussi explicitement (3), en ce sens. La solution, loin d'être évidente, est néanmoins justifiée. Son explication réside dans la nature de l'engagement du cédant : il s'agit d'une garantie (I). Cette solution paraît toutefois avoir une portée limitée. L'arrêt semble, en effet, la réserver, logiquement, à l'hypothèse où la cession a été notifiée (II).

I - La subsidiarité de l'engagement du garant

L'affirmation, par l'arrêt commenté, que le cessionnaire est tenu de justifier d'une demande amiable adressée à ce débiteur ou de la survenance d'un événement rendant impossible le paiement pour pouvoir agir contre le cédant est de prime abord étonnante. Il est, en effet, traditionnellement souligné que le cédant est tenu en qualité de codébiteur solidaire et non en tant que caution solidaire (4). Par conséquent, son engagement ne devrait pas être subsidiaire à celui du cédé, mais intervenir au même niveau. Une poursuite du cédé par le cessionnaire ne devrait, dès lors, être subordonnée à aucune justification. Certaines juridictions du fond se sont d'ailleurs prononcées clairement en ce sens (5).

Cependant, l'absence de subsidiarité n'est pas de l'essence de la solidarité. On remarquera ainsi que l'article 1201 du Code civil (N° Lexbase : L1303ABU) dispose que l'un des codébiteurs peut être obligé différemment de l'autre au payement de la même chose. On relèvera, de même, que l'associé d'une société en nom collectif, bien que tenu de façon indéfinie et solidaire, n'est tenu que subsidiairement. En application de l'article L. 221-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5797AIK), il ne peut être poursuivi que si la société a été vainement mise en demeure. Par conséquent, si l'absence de subsidiarité est de la nature de l'engagement solidaire, elle n'est, en revanche, pas de son essence. Un engagement solidaire subsidiaire, distinct du cautionnement, est donc concevable.

Encore faut-il toutefois, pour qu'une subsidiarité de l'engagement d'un codébiteur solidaire soit retenue, qu'une dérogation aux caractéristiques naturelles de l'engagement solidaire ait été prévue. Est-ce le cas s'agissant de l'engagement du cédant ? On peut répondre par l'affirmative. Le caractère subsidiaire de l'engagement du cédant tient à sa qualification de garantie par l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier. En sa qualité de garant, le cédant ne peut être conduit à payer que si le débiteur ne le fait pas. Pour autant la garantie repose sur un engagement solidaire, ce qui implique qu'une simple démarche amiable soit suffisante. Dès lors, la solution retenue par l'arrêt commenté paraît justifiée. D'ailleurs, une partie de la doctrine avait déjà retenu le caractère subsidiaire de l'engagement du cédant en s'appuyant sur sa qualification de garant. Un auteur souligne ainsi que l'"on doit remarquer que le cédant est créancier de la créance transférée au banquier : il n'en est nullement le débiteur. Aussi son engagement de garantir le paiement de la créance cédée ne peut-il être que subsidiaire" (6).

Une fois le caractère subsidiaire de l'engagement du cédant admis, une question mérite d'être soulevée. Est-il possible de déroger conventionnellement à ce caractère subsidiaire ? Autrement dit, les établissements de crédit ont-ils la possibilité d'intégrer efficacement une clause de style dans les conventions-cadres les unissant à leurs clients stipulant qu'ils pourront agir directement contre eux sans avoir à adresser de demande amiable de paiement au cédé ? Une telle clause ne paraissait pas avoir été aussi explicitement prévue dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt commenté. Cependant, une clause de la convention-cadre stipulait que le cédant autorisait le cessionnaire "à débiter son compte courant si le ou les débiteurs cédés laissaient impayées [les] créances à l'échéance". Cette stipulation pourrait être interprétée comme l'admission par le cédant d'un recours du seul fait de l'absence spontanée de paiement par le cédé et donc comme une éviction de toute subsidiarité. Or, la Cour de cassation affirme dans l'arrêt du 19 septembre 2007 que "la circonstance que le cédant ait autorisé la banque, par convention cadre, à débiter son compte, si le débiteur cédé laissait impayée sa créance à l'échéance [n'est] pas susceptible d'exonérer la banque notificatrice de [la] démarche amiable". A supposer que l'interprétation proposée de la clause du contrat-cadre soit celle retenue, ce qui est loin d'être certain, cela signifierait qu'il n'est pas possible de déroger au caractère subsidiaire de l'engagement du cédant. Les établissements de crédit devraient donc prendre soin de toujours exercer une démarche amiable en vue d'obtenir paiement du cédé avant de mettre en jeu la garantie du cédant, du moins, comme nous allons maintenant le voir, lorsque la cession a été notifiée.

II - L'incidence de la notification de la cession au cédé

En l'espèce, l'établissement de crédit cessionnaire avait pris soin de notifier la cession au cédé (7). De ce fait il avait, comme le précise l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier, fait interdiction au cédé de "payer entre les mains du signataire du bordereau". Cette situation a-t-elle eu une influence sur la solution retenue par la Cour de cassation ?

A première vue, une réponse négative devrait être privilégiée. Le caractère subsidiaire de l'engagement du cédant résulte, on vient de le voir, de sa qualification de garantie qui ne dépend en aucune manière d'une éventuelle notification. Cependant, on ne peut s'empêcher de relever que, dans l'arrêt commenté, la Chambre commerciale prend soin de souligner que la banque, "après avoir notifié la cession de créance", n'a pas justifié d'une démarche amiable. Or, l'on sait que la Haute juridiction, dans sa recherche d'abstraction, n'a pas l'habitude d'encombrer ses solutions de termes inutiles. Cette précision n'est dès lors certainement pas anodine. Cela signifierait donc, par une interprétation a contrario toujours incertaine, qu'en l'absence de notification, le cessionnaire n'aurait pas à justifier d'une demande amiable en paiement adressée au cédé avant d'exercer son recours contre le cédant. Un arrêt rendu par la Chambre commerciale le 26 novembre 2003 se prononce d'ailleurs implicitement en ce sens (8). Reste alors à déterminer les raisons de cette incidence de la notification.

On pourrait avancer que du fait de la notification, le cédant se trouve en position de faiblesse. Il ne peut agir contre le cédé et il court le risque que le cessionnaire reste passif et laisse disparaître toute chance de recours contre celui-ci. Cet argument ne convainc cependant pas. L'exigence d'une demande amiable ne fait pas disparaître ce risque puisque, par exemple, elle n'empêcherait pas, en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du cédé, que la créance soit, à défaut de déclaration, considérée comme inopposable à la procédure. D'ailleurs, la sanction de l'attitude passive du cessionnaire existe déjà. Celui-ci peut, en effet, engager sa responsabilité s'il laisse disparaître des chances sérieuses de recouvrement à son profit (9).

La justification de l'incidence de la notification doit donc être recherchée ailleurs. Elle pourrait tenir au fait que le cédé a, comme l'énonce une partie de la doctrine, l'obligation de payer le cédant à défaut de notification (10). Mais, la solution se justifierait même si cette obligation était écartée. En, l'absence de notification, le cédant dispose en effet de la possibilité de recouvrer la créance en vertu d'un mandat stipulé expressément dans la convention-cadre ou au moins tacite (11). On pourrait ainsi supposer que si le cédant n'a pas lui-même recouvré la créance, c'est parce qu'elle ne pouvait l'être ou qu'il a été négligeant. Comme cela a été justement relevé : "lorsqu'il n'y a pas eu notification, le cédant a la mission de demander le paiement au cédé ; par la force des choses, le recours en garantie doit être ouvert au banquier, ipso facto et sans qu'il ait rien à justifier, sitôt après l'échéance de la créance cédée si le montant ne lui en a pas été transmis" (12). Il n'y aurait donc pas lieu, en l'absence de notification, de reprocher au cessionnaire de ne pas avoir adressé une demande amiable de paiement au cédé avant de mettre en jeu la garantie du cédant.


(1) Cass. com., 14 mars 2000, n° 96-14.034, M. Tourriol c/ Société bordelaise de crédit industriel et commercial, publié (N° Lexbase : A3701AUM) Bull. civ. IV, n° 55 ; D. 2000, AJ, p. 236, obs. J. Faddoul ; RDBF 2000, p. 173, obs. D. Legeais ; RTD com. 2000, p. 996, obs. M. Cabrillac ; Cass. com., 11 décembre 2001, n° 98-18.580, M. Jacques Leblond c/ Société générale, FS-P (N° Lexbase : A6421AX4), Bull. civ. IV, n° 196 ; RD bancaire et financier 2002, p. 129, obs. A. Cerles ; Cass. com., 12 février 2002, n° 99-15.693, M. Bernard Brunet-Beaumel c/ Crédit lyonnais, FS-D (N° Lexbase : A9916AXK) ; Cass. com., 26 septembre 2006, n° 05-13.279, M. Michel Cotton de Bennetot, F-D (N° Lexbase : A3472DRZ).
(2) CA Paris, 22 janvier 1993, D. 1993, IR, p. 106 ; CA Paris, 29 septembre 1989, D. 1990, somm., p. 230, obs. M. Vasseur ; RTD com., 1990, p. 76, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié.
(3) Un commentateur de l'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 14 mars 2000 avait relevé que cet arrêt laissait entendre que le cessionnaire devait justifier d'une demande amiable : M. Cabrillac, obs. sous Cass. com., 14 mars 2000, précitées.
(4) V. not. : M. Jeantin, P. Le Cannu et Th. Granier, Droit commercial, Instruments de paiement et de crédit, Titrisation, Dalloz, 7ème édition, 2005, n° 483.
(5) V. en ce sens : CA Paris, 3ème ch., sect. B, 17 avril 1992, n° 89-019942, Monsieur Cabezas Antoine c/ Banque Nationale de Paris BNP SA (N° Lexbase : A3089A48), RTD civ. 1993, p. 127, et les obs. approbatives de J. Mestre ; CA Reims, 1er juin 1988, D. 1990, somm. p. 230, obs. M. Vasseur. Un arrêt rendu par la Chambre commercial de la Cour de cassation le 26 mars 2002 (Cass. com., 26 mars 2002, n° 99-17.917, Société Banque parisienne de crédit (BPC) c/ M. Serge Martin, F-D N° Lexbase : A3780AYN ; RD bancaire et financier 2003, p. 23, obs. A. Cerles) a de même retenu que "le cédant, en sa qualité de garant solidaire du paiement des créances cédées à l'égard du banquier cessionnaire, et les cautions du cédant étaient tenus des mêmes obligations que le débiteur cédé". Il n'était toutefois pas fait mention, ici, d'une notification ce qui n'est pas, on le verra, sans incidences (V. infra II).
(6) Th. Bonneau, Droit bancaire, Montchrestien, 6ème édition, 2005, n° 593. V. également en ce sens : M. Cabrillac et B. Teyssié, obs. sous CA Paris, 29 septembre 1989, précitées.
(7) Sur cette notification v. not. : F.-K. Deckon, "La notification de la cession de créances professionnelles", RTD com. 2005, p. 649.
(8) Cass. com., 26 novembre 2003, n° 00-16.940, M. Olivier Nizon c/ Société BNP-Paribas, F-D (N° Lexbase : A2950DAI). Dans cet arrêt, la Cour de cassation décide que "l'arrêt qui ne constate pas que la cession de créance professionnelle a été notifiée au débiteur cédé, énonce exactement, par motifs adoptés, que, sauf convention contraire, le signataire de l'acte de cession est garant solidaire du paiement des créances cédées et que la solidarité ainsi instituée permet au cessionnaire de poursuivre à son libre choix, soit le débiteur cédé, soit le cédant, ce dont il résulte que le cessionnaire, qui n'a pas usé de la faculté de notifier la cession au débiteur cédé, n'a pas à déclarer sa créance à la procédure collective du débiteur cédé". On peut, cependant, relever que le cessionnaire n'aurait pas dû avoir à déclarer sa créance même dans l'hypothèse où la cession aurait été notifiée au cédé.
(9) V. not. Cass. com., 8 janvier 1991, n° 89-13.711, Monsieur Hottot c/ Banque Régionale d'Escompte et de Dépôt et autre, publié (N° Lexbase : A2640ABE), Bull. civ. IV, n° 8 ; RTD civ. 1991, p. 368, obs. M. Bandrac ; RTD com. 1991, p. 271, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié ; RD bancaire et bourse 1991, p. 96, obs. F. Crédot et Y. Gérard.
(10) V. not. G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit commercial, tome 2, par Ph. Delebecque et M. Germain, n° 2428-7.
(11) L'existence d'un tel mandat tacite est en effet retenue sur le fondement d'une interprétation a contrario de l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier.
(12) M. Cabrillac et B. Teyssié, obs. sous CA Paris, 29 septembre 1989, précitées.

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Contrats et obligations

[Le point sur...] Quelques observations sur le jeu de la condition suspensive dans les contrats préparatoires

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 01 Novembre 2013

Les prix du marché de l'immobilier expliquent, sans doute, qu'il soit devenu assez habituel que les contrats préparatoires qui, comme leur nom l'indique, préparent le contrat définitif, soient conclus sous condition suspensive, le plus souvent sous condition de l'obtention par le débiteur d'un prêt lui permettant le financement de l'opération envisagée. Ainsi la plupart des promesses de vente, synallagmatiques ou unilatérales, sont-elles conclues sous conditions. Et, logiquement, afin, notamment, de ne pas voir sa responsabilité engagée pour avoir commis une faute en octroyant un crédit manifestement excessif eu égard au patrimoine de l'emprunteur, le banquier qui estime les capacités financières de celui-ci insuffisantes refusera de lui accorder le prêt sollicité, ce qui, donc, aura pour effet d'empêcher la réalisation d'une vente sous condition suspensive, précisément sous condition de l'octroi d'un prêt (cf. l’Ouvrage "Contrats spéciaux" N° Lexbase : E2099EYE et N° Lexbase : E2107EYP). L'article 1168 du Code civil (N° Lexbase : L1270ABN) dispose, en effet, faut-il même le rappeler, que "l'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre d'un événement futur et incertain, soit en la suspendant jusqu'à ce que l'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrivera ou n'arrivera pas", et l'article 1176 (N° Lexbase : L1278ABX) précise que, "lorsqu'une obligation est contractée sous la condition qu'un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivé". Encore faut-il que la non réalisation de la condition ne soit pas due à la faute de l'emprunteur ou, plus largement, du débiteur lui-même qui n'aurait, par exemple, pas sollicité le prêt nécessaire à la vente. Ainsi l'article 1178 du Code civil (N° Lexbase : L1280ABZ) dispose-t-il que "la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement". C'est l'hypothèse sans doute la plus fréquente en jurisprudence, où l'on se demande si la défaillance de la condition doit être considérée comme le fait du débiteur. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 12 septembre dernier, à paraître au Bulletin, et ici même commenté, nous avait d'ailleurs permis d'y insister (1). On avait ainsi pu constater, dans une hypothèse où le débiteur de la condition avait, certes, bien demandé à son banquier un prêt, sans pour autant que les caractéristiques du prêt demandé correspondent exactement à celles de la promesse de vente assortie de la condition suspensive, que la Cour avait, semble-t-il, fait une lecture assez souple de l'article 1178 du Code civil, alors que certaines décisions avaient, au contraire, nettement affirmé qu'il appartient à l'emprunteur de démontrer qu'il a sollicité un prêt exactement conforme aux caractéristiques définies dans la promesse de vente (2), si bien, par exemple, qu'il a été jugé que l'emprunteur avait commis une faute en demandant un prêt supérieur à celui prévu dans la promesse de vente (3). En l'espèce, s'appuyant sur des considérations d'ordre économique, la Cour avait considéré que, quand bien même le prêt demandé n'aurait pas tout à fait respecté les caractéristiques définies dans la promesse de vente, il aurait en tout état de cause été refusé par l'établissement de crédit, si bien que la défaillance de la condition ne devait pas être imputée au débiteur. Mais d'autres hypothèses se rencontrent également en jurisprudence, sur lesquelles on aimerait à présent revenir.

Ainsi la jurisprudence a-t-elle eu à connaître du cas dans lequel l'obligé se garde bien de révéler à l'autre que la condition suspensive ne pourra se réaliser parce qu'elle a déjà défailli. La question s'était explicitement posée dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 31 mars 2005 (4). En l'espèce, une promesse de vente avait été conclue sous condition d'obtention d'un certificat d'urbanisme ou d'une note de renseignement d'urbanisme ne révélant aucune restriction significative susceptible de déprécier l'immeuble ou le rendre impropre à sa destination et sous condition de l'absence de servitude légale ou conventionnelle. Or, le bénéficiaire, ayant appris que le vendeur avait créé sur le fonds une servitude au profit du fonds voisin, avait finalement demandé l'exécution de la convention, donc la réalisation de la vente, renonçant ainsi à se prévaloir de la condition suspensive, mais avait sollicité en parallèle des dommages et intérêts sous la forme d'une réduction du prix. La Cour de cassation, pour rejeter cette demande, énonce que "les époux n'avaient pour seule alternative que de se prévaloir de la caducité de la promesse ou d'y renoncer et de poursuivre la vente aux conditions initiales, ce qu'ils avaient refusé", si bien qu'ils n'étaient pas fondés à demander la réalisation forcée de la vente moyennant la réduction du prix à titre de dommages et intérêts. L'arrêt enseigne donc, en traitant la question de la défaillance de la condition de façon purement objective, que le contrat est en quelque sorte à prendre ou à laisser pour le contractant en faveur duquel la condition avait été stipulée, sans qu'une renégociation ne soit concevable en considération de la bonne ou de la mauvaise foi de l'autre partie.

Une dernière hypothèse reste à envisager : celle de la prise en considération de la bonne ou de la mauvaise foi du promettant qui invoque la défaillance de son cocontractant dans la réalisation attendue de la condition suspensive. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 14 septembre 2005 est, à cet égard, éclairant (5). En l'espèce, des époux promettent de vendre un immeuble donné à bail à des tiers auxquels ils ont délivré congé. Ils le font sous condition suspensive que la maison soit libérée au jour de la vente par acte authentique. Or, la condition ne s'étant pas réalisée dans le délai convenu, les promettants vendent le bien, moyennant un prix supérieur, à d'autres que leurs cocontractants. Ceux-ci les assignent, demandant, d'une part, la nullité de la vente et, d'autre part, que la vente soit à leur égard considérée comme parfaite. Les juges du fond avaient accueilli ces prétentions, faisant valoir que les promettants devaient soumettre leur nouvelle proposition à ceux auxquels ils avaient initialement promis de vendre et qui avaient été évincés par l'attitude inconséquente des locataires laissés en place. Leur décision est cependant cassée, sous le visa de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) : "en statuant ainsi, alors que l'obligation de bonne foi suppose l'existence de liens contractuels et que ceux-ci cessent lorsque la condition suspensive auxquels ils étaient soumis a défailli, la cour d'appel a violé le texte susvisé". Autrement dit, et c'est l'apport de l'arrêt, une fois la défaillance de la condition acquise, l'éventuelle mauvaise foi du promettant devient indifférente.


(1) Cass. civ. 3, 12 septembre 2007, n° 06-15.640, Mme Jeannine Grégoire, veuve Tournay, FS-P+B (N° Lexbase : A2167DYW) et nos obs., Promesse de vente immobilière et défaillance de la condition suspensive, Lexbase Hebdo n° 274 du 25 septembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N4965BCU).
(2) Voir, not., Cass. civ. 1, 13 novembre 1997, n° 95-18.276, M. Gabizon et autre (N° Lexbase : A0647ACX), Bull. civ. I, n° 310 ; Cass. civ. 1, 9 février 1999, n° 97-10.195, Epoux Dubuis c/ Epoux Herolt (N° Lexbase : A0167AUQ), Bull. civ. I, n° 50 ; Cass. civ. 1, 7 mai 2002, n° 99-17.520, M. Sylvain Lefebvre c/ M. Jean-François Segard, F-P (N° Lexbase : A6204AYG), Bull. civ. I, n° 124.
(3) Cass. civ. 3, 8 décembre 1999, n° 98-10.766, Société Pia c/ Epoux Guillard et autre (N° Lexbase : A5417AWK), Bull. civ. III, n° 240.
(4) Cass. civ. 3, 31 mars 2005, n° 04-11.752, M. Pascal Moreau c/ M. Frédéric Fernandez, FS-P+B (N° Lexbase : A4572DHS), RJDA 2005, n° 946, p. 807.

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Marchés publics

[Jurisprudence] Le Code des marchés publics 2006 partiellement annulé par le Conseil d'Etat

Réf. : CE, 9 juillet 2007, n° 297711, Syndicat EGF-BTP et autres (N° Lexbase : A2249DXL)

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N8788BCH

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par François Brenet, Maître de conférences en droit public à la Faculté de droit de l'Université de Poitiers (Institut de droit public, EA 2623)

Le 07 Octobre 2010

1- Le Conseil d'Etat vient, une nouvelle fois, de se prononcer sur la légalité du Code des marchés publics. Après les codes de 2001 et de 2004, c'est le Code des marchés publics de 2006, issu du décret du 1er août (1), qui est l'objet d'un nouvel arrêt de la plus Haute juridiction administrative. Disons-le d'emblée, l'arrêt du 9 juillet 2007 (2) n'aura, sans doute, pas l'importance de ses prédécesseurs, car les dispositions annulées sont, au final, peu nombreuses et les logiques juridiques sur lesquelles elles reposent tout à fait connues. Pour autant, il serait hasardeux de déduire rapidement de cette première impression que l'arrêt "Syndicat EGF-BTP et autres" n'a qu'un intérêt limité. Il est, en effet, remarquable, car tout en rappelant des solutions connues, il apporte des éclairages nouveaux sur des difficultés dont l'importance pratique n'est guère contestable. 2- Avant d'en venir aux trois points essentiels évoqués par l'arrêt, il n'est, sans doute, pas inutile de préciser que les recours pour excès de pouvoir des requérants reposaient sur d'innombrables moyens. Parmi ceux-ci figurait le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire pour étendre aux collectivités territoriales les règles édictées pour les marchés de l'Etat. Le Conseil d'Etat l'a rejeté en reprenant l'argumentation déjà développée dans son arrêt du 5 mars 2003 pour sauver le code de 2001 de l'annulation (3). De la même façon, mérite attention le fait que le recours en annulation vise le code de 2006, ainsi que son manuel d'application. Le Conseil d'Etat a assimilé ce dernier à une authentique circulaire en considérant que sa légalité pouvait être contestée devant lui dans les conditions posées par la jurisprudence "Duvignères" (4). Pour le reste, l'intérêt de l'arrêt du 9 juillet 2007 réside dans les précisions apportées par le juge administratif en matière de marchés publics de prestations de services juridiques (I), d'accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique (II) et de compatibilité entre le droit communautaire et le Code des marchés publics de 2006 (III).

I- Les marchés publics de prestations de services juridiques

3- La question de la soumission et de l'application concrète du droit des marchés publics aux contrats de prestations de services juridiques est ancienne. Elle a déjà donné lieu à de multiples décisions, souvent largement commentées. L'arrêt du 9 juillet 2007 présente le double intérêt d'aborder le problème de la conciliation entre le droit de la commande publique, le droit des contrats administratifs et les règles déontologiques applicables à la profession d'avocat (A), et de préciser le processus de passation de ces marchés publics de prestations de services juridiques (B).

A- La question de la compatibilité entre le droit des contrats administratifs, le droit des marchés publics et les règles déontologiques applicables à la profession d'avocat

4- Si la question de la compatibilité entre le droit des marchés publics et les règles déontologiques applicables à la profession d'avocat est clairement réglée par le Conseil d'Etat (1), celle relative à l'articulation entre le droit des contrats administratifs et les mêmes principes déontologiques semble être évitée, voire contournée, par le juge administratif (2).

1- La compatibilité de principe entre le droit des marchés publics et les règles déontologiques

5- Comme il l'avait déjà fait dans l'arrêt "Mme Toubol-Fischer et M. Bismuth" du 9 avril 1999 (5), le Conseil d'Etat retient, en l'espèce, une conception élargie de la notion de marché public de prestations de services juridiques, en précisant qu'elle englobe, non seulement, les contrats conclus entre une collectivité publique et un avocat pour la prestation de conseil juridique, mais, également, ceux conclus pour assurer la représentation en justice d'une telle collectivité. Surtout, il réaffirme que, si la représentation en justice par les avocats est régie par des principes relatifs, notamment, au respect du secret des relations entre l'avocat et son client et à l'indépendance de l'avocat, aucun de ces principes ne fait obstacle à ce que la conclusion d'un contrat entre un avocat et une personne publique ne soit précédée d'une mise en concurrence préalable, dès lors qu'elle est compatible avec ces principes. Même si le Conseil d'Etat n'a pas cru bon de préciser la valeur juridique des principes évoqués, il ne fait aucun doute qu'ils ont une valeur législative (6) et c'est, fort naturellement, que leur respect est imposé en l'espèce au pouvoir réglementaire.

2- Le refus de se prononcer explicitement sur la question de la compatibilité entre le droit des contrats administratifs et les règles déontologiques

6- Compte tenu du précédent jurisprudentiel constitué par l'arrêt de 1999, les requérants savaient, sans doute, que leurs chances de succès étaient minces s'ils fondaient leur recours pour excès de pouvoir contre le Code des marchés publics de 2006 sur le seul terrain d'une éventuelle incompatibilité entre les principes déontologiques évoqués et la mise en concurrence. Aussi est-ce pour cette raison qu'ils ont développé leur argumentaire autour d'un autre axe. Ils ont avancé l'idée de l'existence d'une incompatibilité de principe entre le régime juridique général du contrat administratif et le principe d'indépendance des avocats. Depuis l'intervention de l'article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (dite loi "Murcef") (N° Lexbase : L0256AWE), on sait que les marchés publics sont, désormais, des contrats administratifs par détermination de la loi et qu'ils sont soumis en cette qualité aux "règles générales applicables aux contrats administratifs", parmi lesquelles il faut compter, notamment, les pouvoirs de modification et de résiliation unilatérale de l'administration. Il est vrai que l'on pouvait sérieusement s'interroger sur la compatibilité entre de tels pouvoirs exorbitants et la règle de l'indépendance de l'avocat. Un avocat peut-il être considéré comme indépendant au moment de dispenser ses conseils (qui peuvent, également, être des remontrances) s'il est placé sous la pression de son client, qui peut à tout moment modifier les termes de son contrat, voire le résilier ?

Comme dans l'arrêt "Ordre des avocats à la cour d'appel de Paris" du 5 mars 2003 (7), le Conseil d'Etat ne répond pas franchement à la question en se contentant d'indiquer que le recours pour excès de pouvoir était dirigé contre le Code des marchés publics. Or, celui-ci ne comportait aucune disposition organisant la résiliation ou la modification unilatérale des marchés publics et l'article 30 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2455AT4) imposait aux pouvoirs adjudicateurs de veiller au respect des principes déontologiques et des réglementations applicables à la profession d'avocat.

On mesure mal, à vrai dire, l'embarras du juge administratif. Qu'un client puisse de façon unilatérale modifier ou résilier les termes du contrat le liant à son avocat n'a rien d'exceptionnel dans les relations entre personnes privées, la perte de confiance ou le changement de stratégie d'attaque ou de défense pouvant justifier de telles décisions, et le juge judiciaire n'a jamais vu, dans de telles décisions, des éléments de remise en cause du principe de l'indépendance de l'avocat.

Le raisonnement développé par le Conseil d'Etat nous paraît pour le moins fragile et sujet à critiques. Il revient à soutenir que la qualification législative des marchés publics en contrats administratifs emporte attribution de compétence au profit du juge administratif, mais n'entraîne pas leur soumission totale au régime juridique général du contrat administratif. Il est, en effet, assez paradoxal d'affirmer que la qualification administrative des marchés publics par la loi "Murcef" suffit à écarter la compétence du bâtonnier pour instruire les litiges se rapportant aux honoraires des avocats et à justifier celle du juge administratif, tout en soutenant, en même temps, que cette qualification administrative ne suffit pas à entraîner l'application des règles exorbitantes, que sont le pouvoir de modification et de résiliation unilatérale. Si une telle interprétation devait se prolonger (en s'appliquant, notamment, à d'autres contrats administratifs spéciaux, comme les délégations de service public ou les contrats de partenariat), c'est la question de l'utilité même de la théorie générale du contrat administratif qui pourrait se poser. Affirmer que la notion de contrat administratif a une vocation uniquement contentieuse (c'est-à-dire fixer la compétence du juge administratif) revient à la priver de tout fondement (la compétence du juge administratif n'est alors plus liée à l'application de règles originales et la compétence est déconnectée du droit applicable).

B- La passation des marchés publics de prestations de services juridiques

7- Plusieurs questions relatives aux modalités de passation des marchés publics de prestations de services juridiques étaient posées au Conseil d'Etat.

8- Les requérants soutenaient, notamment, que le critère du prix n'était pas un critère pertinent pour apprécier les offres de prestations des avocats et qu'il y avait, donc, une incompatibilité entre les règles de sélection des offres posées par l'article 53 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2713HP8) et la nature des services offerts par les avocats. Le Conseil d'Etat écarte cette argumentation en se fondant sur une jurisprudence, désormais, classique. Il rappelle, en effet, que l'article 53-I du Code des marchés publics impose seulement aux pouvoirs adjudicateurs de retenir l'offre économiquement la plus avantageuse. Et cette disposition leur donne la possibilité de se fonder sur plusieurs critères, dont le prix peut éventuellement être un élément (article 53-I-1°). Ce n'est que dans l'hypothèse où la personne publique décide, compte tenu de l'objet, de se fonder sur un seul critère qu'elle est, alors, obligée de se fonder sur le prix (article 53-I-2°). L'argumentation consistant à soutenir que le critère du prix ne serait pas adapté aux caractéristiques des offres de prestations de services juridiques est, donc, écartée. A vrai dire, on mesure bien les difficultés qui peuvent être celles des collectivités publiques souhaitant apprécier à leur juste valeur les propositions qui leur sont faites et l'on devine que le critère du prix doit jouer un rôle décisif en la matière. Mais à y regarder d'un peu plus près, on sait, également, que cette tendance à confondre la notion d'offre économiquement la plus avantageuse avec le moins-disant concerne tous les secteurs d'activités et pas seulement celui des prestations juridiques.

9- Un autre moyen intéressant soulevé par les parties consistait à soutenir que l'obligation faite aux avocats, pour respecter le secret professionnel, de produire des renseignements ne comportant pas de mentions nominatives au soutien de leur offre, était discriminatoire. Les requérants dénonçaient le fait que certains prestataires de services juridiques, ne possédant pas la qualité d'avocats, ne s'estimaient pas liés par une telle obligation et n'hésitaient, donc, pas à produire de telles références nominatives. Le Conseil d'Etat écarte un tel moyen au motif que la production de ces références doit se faire dans le respect des principes d'égal accès à la commande publique et de transparence. Deux remarques doivent, ici, être formulées.

La première est que l'obligation de respecter le secret professionnel, posée par l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), concerne tous les prestataires de services juridiques et pas seulement les avocats. Si discrimination il y a, elle est le fait de la pratique, et non des textes. La seconde est qu'il appartient aux pouvoirs adjudicateurs d'être particulièrement vigilants sur ce point, en s'assurant que les candidats aux marchés publics respectent le secret professionnel (8).

10- Parmi les autres précisions apportées par le Conseil d'Etat au sujet des modalités de passation des marchés publics de prestations de services juridiques, on mentionnera que l'article 15 du décret n° 2005-803 du 12 juillet 2005, pris pour l'application de l'article 13-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L8331G9G), qui interdit aux avocats "toute offre de service personnalisée adressée à un client potentiel", n'a pas été jugé comme ayant pour objet ou pour effet de leur interdire de répondre à un avis d'appel à concurrence pour la passation d'un marché public. De même, le fait de répondre à un tel avis n'a pas été considéré comme contraire au principe de libre négociation des honoraires des avocats posés par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Concernant, encore, le secret professionnel, le juge administratif a estimé qu'il n'interdisait pas aux pouvoirs adjudicateurs de faire connaître le nom de leurs avocats ainsi que le prévoit l'article 133 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2793HP7), relatif à l'obligation de publication annuelle de la liste des marchés conclus et du nom de leur attributaire.

Enfin, il a été précisé qu'il n'y avait pas d'incompatibilité de principe entre la nécessité de procéder à une mise en concurrence d'un marché public de prestations de services juridiques et les délais de recours contentieux, car il est toujours possible, dans le cadre de la procédure adaptée applicable à ces contrats, de s'en dispenser en cas d'urgence impérieuse (C. marchés publ., art. 28, dernier alinéa N° Lexbase : L2688HPA).

II- L'accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique

11- La question de l'accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique est de celle qui passionne le plus (9). Le droit des marchés publics n'échappe pas à ce débat et il n'est pas étonnant de le retrouver au centre de l'arrêt du 9 juillet 2007.

12- Les requérants demandaient l'annulation des dispositions des articles 60 (N° Lexbase : L2720HPG), 65 (N° Lexbase : L2725HPM) et 67 (N° Lexbase : L2727HPP) du Code des marchés publics, ainsi que des dispositions de la circulaire du 3 août 2006, portant manuel d'application de ce code (N° Lexbase : L4613HK3), en tant qu'elles favorisaient les petites et moyennes entreprises en en fixant un nombre minimal admis à présenter une offre, aussi bien dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres restreint, de marché négocié, que de dialogue compétitif. Etaient concernées par ces dispositions préférentielles "les entreprises dont l'effectif ne dépasse pas 250 employés et dont le chiffre d'affaires ne dépasse pas en moyenne sur les trois dernières années 40 millions d'euros" et celles "dont le capital est détenu à hauteur de plus de 33 % par une entreprise n'ayant pas le caractère d'une PME" (ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004, relative aux contrats de partenariat, art. 8 N° Lexbase : L2584DZQ).

Il n'est, sans doute, pas utile de rappeler le rôle important joué par ces entreprises dans la constitution et la consolidation du tissu économique et social national (10) et l'intérêt que présentent ces dispositifs juridiques préférentiels. Nombreux sont les Etats étrangers, même parmi les plus libéraux, qui réservent une partie de leurs marchés publics aux PME. Tel est le cas, notamment, aux Etats-Unis, où le Small Business Act (SBA) dispose que "le Gouvernement dit aider, conseiller et protéger, dans la mesure du possible, les intérêts de la petite entreprise, afin de préserver l'esprit de la libre concurrence, d'assurer qu'une proportion équitable des marchés soit passée avec de petites entreprises et de maintenir en la renforçant l'économie de la nation dans son ensemble" (11). Le dispositif mis en place par le Code des marchés publics de 2006 n'allait pas jusqu'à réserver un "quota" de marchés publics aux PME. Il se contentait de les favoriser en fixant un nombre minimal de PME admises à présenter une offre et contraignait, donc, les pouvoirs adjudicateurs à examiner leurs offres et à les comparer avec des entreprises de plus grande envergure. Le Conseil d'Etat annule, néanmoins, les dispositions en cause au motif qu'elles "conduisent nécessairement à faire de la taille des entreprises un critère de sélection des candidatures ; qu'un tel critère qui n'est pas toujours lié à l'objet du marché revêt un caractère discriminatoire et méconnaît le principe d'égal accès à la commande publique".

13- Il reste, maintenant, à déterminer la marche à suivre pour sortir de l'impasse provoquée par cette annulation. Comment préserver et promouvoir l'accès des PME à la commande publique, lequel est essentiel, sans risquer une nouvelle annulation contentieuse ?

Des réponses devraient, sans doute, être apportées dans les toutes prochaines semaines, puisque le Président de la République a confié, le 27 août dernier, à Lionel Stoleru, ancien secrétaire d'Etat de Valéry Giscard d'Estaing, puis de François Mitterrand, la mission de réfléchir sur ce qui pourrait être une sorte de "Small business act à la française", et son rapport devrait intervenir avant le 31 octobre prochain. A moins que la solution ne vienne des autorités communautaires. Alors que la France a échoué dans sa tentative de faire inscrire la question à l'ordre du jour d'une réunion au cours de laquelle devait être arrêtée la position de l'Europe avant les négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le commissaire européen au Marché intérieur, Charlie McCreevy, semble prêt à proposer, en novembre prochain, un projet de réglementation communautaire consistant à faciliter l'accès des PME aux marchés publics. Parallèlement, l'Europe pourrait proposer à l'OMC de modifier l'Accord international sur les marchés publics (AMP), lequel interdit, pour le moment, de réserver une partie des marchés publics aux PME. La proposition ne consisterait pas à lever la prohibition (12), mais à interdire aux quatre pays dérogeant à l'AMP (Etats-Unis, Canada, Japon et Corée du Sud) d'accéder aux appels d'offres bénéficiant de fonds communautaires sous peine de sanctions.

III- La conformité du Code des marchés publics à la Directive 2004/17/CE

14- Le Conseil d'Etat était saisi de la question de la compatibilité entre le Code des marchés publics de 2006 et la Directive 2004/17/CE, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (N° Lexbase : L1895DYT), qu'il avait pour objet de transposer. Etaient en cause les articles 135 (N° Lexbase : L2795HP9), 138 (N° Lexbase : L2798HPC) et 139 (N° Lexbase : L2799HPD), ainsi que les dispositions y afférentes de la circulaire du 3 août 2006, portant manuel d'application du code des marchés publics (13).

15- Le Conseil d'Etat a considéré, tout d'abord, qu'en incluant dans la liste des activités des opérateurs de réseaux soumises aux dispositions de la deuxième partie du Code des marchés publics, applicables aux marchés et accords-cadres passés par les entités adjudicatrices, non seulement, l'exploitation de réseaux, mais aussi, le fait de mettre l'infrastructure constituée par ces réseaux à la disposition d'un exploitant, l'article 135 du Code des marchés publics s'était borné à transposer les dispositions des articles 3 à 5 de la Directive 2004/17/CE du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux, qui font entrer dans le champ d'application de cette Directive les activités relatives à "la mise à disposition ou l'exploitation de réseaux". En revanche, le Conseil d'Etat annule les dispositions du point 16.1.1 de la circulaire du 3 août 2006, portant manuel d'application du code, au motif qu'elles méconnaissent la Directive en tant qu'elles incluent dans le champ d'application de l'article 135 les marchés par lesquels une personne publique confie l'exploitation d'un réseau à un tiers, alors que cela était interdit par la Directive précitée. La circulaire en cause, qui avait un caractère impératif en même temps qu'elle était dotée d'une nature réglementaire, ne s'était pas bornée à interpréter l'article 135. Elle lui avait ajouté de nouvelles dispositions, en prévoyant que la deuxième partie du code s'appliquait aux contrats confiant l'exploitation des réseaux concernés à des tiers, alors que celui-ci disposait très clairement le contraire.

16- L'article 138 du code concerne les marchés et accords-cadres passés par une entité adjudicatrice avec une entreprise liée. Ceux-ci ne sont pas soumis, en principe, aux dispositions du code, notamment, lorsque l'entreprise liée a réalisé au cours des trois dernières années précédant l'année de passation du marché au moins 80 % de son chiffre d'affaires moyen en matière de services, de fournitures ou de travaux, avec les personnes publiques auxquelles elle est liée. Les requérants contestaient ces dispositions au motif qu'elles auraient imparfaitement transposé la Directive 2004/17, argumentation que le Conseil d'Etat rejette sans surprise. De la même façon, il écarte le moyen tiré de ce que les dispositions en cause favoriseraient les entreprises liées et méconnaîtraient, ainsi, le principe d'égalité. Dès lors que les entreprises liées entretiennent des "relations particulières" avec les entités adjudicatrices, l'exclusion du champ d'application du code de leurs marchés ne porte aucunement atteinte au principe d'égalité, principe dont on sait qu'il "ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans un cas comme dans l'autre, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit".

17- Le Conseil d'Etat développe un raisonnement similaire au sujet des marchés conclus dans le cadre de l'article 139 entre des entités adjudicatrices et des "coentreprises", c'est-à-dire avec des organismes constitués exclusivement par des entités adjudicatrices, pour exercer l'une des activités mentionnées à l'article 135 avec l'une de ces entités adjudicatrices. La Directive a fait l'objet d'une exacte transposition et le sort particulier réservé aux "coentreprises" se justifie au regard de leurs situations particulières.

18- Au total, l'arrêt du Conseil d'Etat ne bouleverse pas le droit de la commande publique. Il n'en demeure pas moins qu'il donne aujourd'hui l'occasion au pouvoir réglementaire de réfléchir à de nouvelles réformes (avec le problème de l'accès des PME à la commande publique, notamment). Non, le droit des marchés publics n'est définitivement pas stabilisé (15).


(1) Décret n° 2006-975 du 1er août 2006, portant Code des marchés publics (N° Lexbase : L4612HKZ) (JORF du 4 août 2006).
(2) CE, 9 juillet 2007, Syndicat Entreprises générales de France-Bâtiment travaux publics et autres (N° Lexbase : A2249DXL) ; sera publié au Recueil Lebon ; Contrats Marchés publics 2007, comm. 240, note W. Zimmer ; CP-ACCP 2007, n° 69 avec les contributions de Laurent Richer (p. 20), d'Alexandre Domanico (p. 24), de Pierre Le Bouëdec (p. 29) et d'Alain Ménéménis (p. 41).
(3) CE Contentieux, 5 mars 2003, n° 238039, Ordre des avocats à la Cour de Paris (N° Lexbase : A3482A74) : Dr. adm. 2003, comm. 105, note A. Ménéménis ; Contrats Marchés publics 2003, chron. 4, concl. D. Piveteau ; AJDA 2003, p. 718, chron. F. Donnat et D. Casas.
(4) CE Contentieux, 18 décembre 2002, n° 233618, Mme Duvignères (N° Lexbase : A6682A7M) : Rec. CE p. 463, concl. P. Fombeur ; AJDA 2003, p. 487, chron. F. Donnat et D. Casas ; JCP éd. A 2003, n° 5, p. 94, comm. J. Moreau ; LPA 23 juin 2003, note P. Combeau ; RFDA 2003, p. 274, concl. P. Fombeur et p. 510, note J. Petit ; GAJA 114 ; GDJA 225.
(5) CE Contentieux, 9 avril 1999, n° 196177, Mme Toubol-Fischer et M. Bismuth (N° Lexbase : A3909AX3) : AJDA 1999, p. 776, chron. P. Fombeur et M. Guyomar ; BJCP 1999, n° 5, p. 414, concl. H. Savoie ; RFDA 1999, p. 951 ; D. 1999, p. 399, note P. Terneyre.
(6) En ce sens, P. Fombeur et M. Guyomar, AJDA 1999, pp. 778-779.
(7) CE Contentieux, 5 mars 2003, n° 238039, Ordre des avocats à la Cour de Paris, précité.
(8) Voir, par exemple, TA Strasbourg, ord., 28 décembre 2006, SELARL Dubault-Biri c/ Syndicat intercommunal des transports de l'agglomération mulhousienne : AJDA 2007, p. 1027, note O. Févrot : "Considérant qu'il incombe à chaque candidat à un marché public de respecter la législation applicable à sa profession, notamment en ce qui concerne les règles régissant le secret professionnel, sans que la personne responsable du marché ait à le rappeler dans l'avis d'appel à la concurrence ; que la production de références professionnelles par des avocats candidats à un marché public ne porte pas atteinte au secret régissant leurs relations avec leurs clients dès lors que les renseignements qu'ils apportent ne comportent pas de mention nominative et ne permettent pas non plus d'identifier les personnes qui ont demandé les consultations au travers d'indications sur les circonstances dans lesquelles les conseils ont été donnés".
(9) Voir l'éditorial de Laurent Richer, SBA à la française, AJDA 2007, p. 1897.
(10) Sur ce point, voir Alexandre Domanico, Accès des PME à la commande publique : l'impossible réforme ? ; CP-ACCP septembre 2007, n° 69, p. 24.
(11) Raphaël Apelbaum, L'accès des petites entreprises américaines aux marchés publics fédéraux : The Small Business Act ; CP-ACCP 2004, n° 30, p. 41.
(12) Il semble que la France préférerait la suppression pure et simple de l'interdiction ou, pour le dire autrement, l'extension de la dérogation à l'ensemble des Etats, position que Lionel Stoleru évoque en utilisant la formule suivante : "Nous ne demandons qu'à bénéficier des mêmes droits que les Américains, nous ne sommes pas protectionnistes, nous sommes 'réciproquetionnistes'".
(13) Sur cette question de la conformité du Code des marchés publics à la Directive 2004/17/CE, voir Laurent Richer, Le Conseil d'Etat, interprète de la directive 2004/17 : CP-ACCP septembre 2007, n° 69, p. 20.
(14) Notons que l'utilisation du verbe "déroger" confirme que seul l'intérêt général justifie une exception au principe d'égalité. La différence de traitement résultant d'une différence de situation constitue, au contraire, une application du principe d'égalité. Sur ce sujet, voir l'étude de Bertrand Seiller, Contribution à la résolution de quelques incohérences de la formulation prétorienne du principe d'égalité ; Mélanges en l'honneur de Jean-François Lachaume, Dalloz 2006, p. 979.
(15) Sur cette question, voir l'intéressante analyse d'Alain Ménéménis, La réforme de la commande publique est-elle achevée ? : CP-ACCP 2007, n° 69, p. 41.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Un VRP ne peut être contractuellement tenu de payer à son employeur la valeur de la clientèle

Réf. : Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-42.320, M. Christian Gryger, FS-P+B (N° Lexbase : A6619DYS)

Lecture: 5 min

N8728BCA

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Pour présenter un certain nombre de spécificités, le statut de VRP reste, dans une très large mesure, soumis aux règles du droit commun, spécialement en ce qui concerne la rupture du contrat liant le représentant à son employeur. Par suite, dès lors que ce contrat est conclu sans détermination de durée, le représentant est libre d'y mettre un terme de manière unilatérale et il ne saurait être question de soumettre sa démission à l'obligation de présenter à l'employeur un successeur. En outre, et nonobstant les pratiques en vigueur en la matière, un représentant de commerce ne peut être valablement tenu par une clause de son contrat de travail lui imposant de payer la valeur de la clientèle qu'il est chargé de visiter pour le compte de son employeur. Tels sont les enseignements majeurs qui peuvent être tirés d'un important arrêt rendu le 3 octobre dernier par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Résumé

Un représentant de commerce ne peut être valablement tenu par une clause de son contrat de travail lui imposant de payer la valeur de la clientèle qu'il est chargé de visiter pour le compte de son employeur.

1. L'illicéité de la clause de "rachat de carte clientèle"

  • L'objet de la clause

En application de l'article L. 751-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6774ACU), la convention conclue entre l'employeur et le VRP doit nécessairement déterminer :
- la nature des prestations de services ou de marchandises offertes à la vente ou à l'achat ;
- la région dans laquelle le VRP doit exercer son activité ou les catégories de clients qu'il est chargé de visiter ;
- les taux de rémunération.

En outre, lorsque le contrat liant le VRP à son employeur est à durée indéterminée, il doit stipuler un préavis dont la durée est au moins égale à celle qui est fixée par les conventions collectives de travail ou, à défaut, par les usages (C. trav., art. L. 751-5 N° Lexbase : L6778ACZ). Pour le reste, les parties sont libres d'introduire, dans le contrat, des stipulations telles que, par exemple, une période d'essai ou une clause de non-concurrence. Il va de soi que la liberté conférée sur ce point aux parties n'est pas totale et celles-ci ne sauraient s'affranchir du respect des règles d'ordre public.

En l'espèce, M. G., engagé par la société F. selon contrat du 2 février 1998 en qualité de représentant multicartes, était chargé de visiter la clientèle moyennant rémunération par des commissions. Le contrat contenait une clause intitulée "rachat de carte clientèle", en exécution de laquelle il avait versé à son employeur une somme totale de 60 000 francs (9 146,94 euros), réglée par des retenues sur ses commissions. Postérieurement à sa démission, intervenue le 19 décembre 2002, l'employeur avait refusé de restituer au salarié la somme versée au titre du rachat de la clientèle.

  • L'illicéité de la clause

Pour rejeter la demande du représentant, la cour d'appel avait énoncé que la clause de cession de carte n'est pas en soi illicite puisqu'elle permet au VRP, qui n'est pas propriétaire de sa clientèle, de trouver un successeur acceptant de lui verser une somme représentant la valeur librement négociée de la carte et de le présenter à l'agrément de son employeur. Par ailleurs, cette clause n'est pas dépourvue de cause puisque, en contrepartie, le VRP avait prospecté, démarché et tiré profit, par le biais de commissions versées, de cette clientèle existante pendant plus de cinq années.

Un tel raisonnement ne pouvait être admis et il faut approuver la Cour de cassation de l'avoir rejeté, en affirmant "qu'un représentant de commerce ne peut être valablement tenu par une clause de son contrat de travail lui imposant de payer la valeur de la clientèle qu'il est chargé de visiter pour le compte de son employeur".

Afin de bien comprendre la solution retenue, il convient, avant tout, de rappeler que la clientèle appartient à l'employeur et non au représentant. Toutefois, il est communément admis que ce dernier peut la céder à son successeur avec l'accord de son employeur (Cass. soc., 17 décembre 2002, n° 01-01.188, FS-P+B+I N° Lexbase : A4618A4S ; RJS 2/03, n° 271). Or, et si l'on comprend bien le raisonnement des juges d'appel, c'est bien parce que le VRP est ainsi en droit de céder sa clientèle à son successeur qu'il faut admettre que l'employeur peut, dans le contrat, stipuler une clause de cession de carte. En outre, l'obligation mis à la charge du VRP trouverait sa cause dans la possibilité conférée à ce dernier de prospecter, démarcher et tirer profit de la clientèle existante.

Ce raisonnement est doublement contestable. En premier lieu, et ainsi que le rappelle la Cour de cassation, dans tous les cas, la valeur de la clientèle reste acquise à l'employeur qui ne saurait donc, à proprement parler, la céder au VRP qu'il emploie. En outre, l'objet même du contrat conclu entre les parties consiste à visiter la clientèle en vue de prendre et de transmettre les commandes pour le compte de l'employeur qui, en contrepartie, doit verser une rémunération. Il faut, dès lors, se rendre à l'évidence : l'obligation mise à la charge du salarié par la clause de "rachat de carte client" est dépourvue de cause. Elle ne peut donc produire aucun effet en vertu de l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9).

Conforme aux principes les mieux établis de notre droit positif, la solution retenue par la Cour de cassation n'en reste pas moins de nature à remettre en cause un certain nombre de pratiques en cours au sein de la profession de représentants.

2. Le droit de démissionner sans être tenu de présenter un successeur

  • Les modes de rupture du contrat

La rupture d'un contrat de représentation obéit, par principe, aux règles du droit commun, que celui-ci ait été conclu à durée déterminée ou indéterminée. Dans ce dernier cas, qui seul nous intéresse ici, le contrat peut donc prendre fin en raison d'une démission, d'un licenciement, d'un départ ou d'une mise à la retraite, d'une résiliation judiciaire, d'une prise d'acte ou, encore, par le fait d'une rupture négociée.

Cela étant, la rupture du contrat de représentation connaît certaines particularités, principalement en matière de préavis et au regard des sommes versées à la cessation du contrat, lorsque la rupture est le fait de l'employeur. S'agissant de la démission, elle obéit entièrement aux règles du droit commun, faute de texte spécifique applicable aux VRP, hormis les dispositions de l'article L. 751-8 (N° Lexbase : L6781AC7), relatives aux commissions et remises sur les ordres non encore transmis à la date du départ du salarié.

  • La liberté de démissionner

Les juges d'appel avaient, en l'espèce, jugé qu'il appartenait au VRP, avant de démissionner, de présenter un successeur à son employeur et, en cas de refus d'agrément, de poursuivre la relation salariale. Là encore, le raisonnement était éminemment contestable.

Il convient de relever qu'aucun texte du Code du travail n'exige, qu'avant de démissionner, le VRP présente un successeur à son employeur. Une telle obligation ne saurait résulter, dans le silence de la loi, d'une disposition contractuelle. Il en va ici du respect de l'ordre public et, plus précisément, de l'article 1780 du Code civil qui dispose, faut-il le rappeler, que, lorsqu'un contrat est conclu sans détermination de durée, il peut toujours cesser par la volonté d'une des parties contractantes. Sur ce même fondement, on ne saurait pas plus tolérer que le refus d'agrément opposé par l'employeur à la présentation de son successeur par le VRP oblige celui-ci à poursuivre la relation salariale.

Décision

Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-42.320, M. Christian Gryger, FS-P+B (N° Lexbase : A6619DYS)

Cassation (CA Toulouse, chambre sociale, 3 mars 2006)

Textes visés : C. trav., art. L. 751-1 (N° Lexbase : L6774ACU) et L. 751-11 (N° Lexbase : L6785ACB) ; C. civ., art. 1131 (N° Lexbase : L1231AB9) et 1780, al. 2 (N° Lexbase : L1031ABS).

Mots-clefs : représentant de commerce ; VRP ; démission ; clause de cession de clientèle.

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Social général

[Jurisprudence] La contractualisation rampante des éléments de la relation de travail

Réf. : Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-43.051, M. Maamar Saidi, F-D (N° Lexbase : A7461DYY)

Lecture: 6 min

N8720BCX

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Depuis la découverte des vertus protectrices des intérêts des salariés de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), la Cour de cassation n'en finit pas de tirer de cet article des conséquences juridiques parfois surprenantes. Confirmant une orientation récente de sa jurisprudence (1), la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme, dans un arrêt inédit rendu le 10 octobre 2007, que les pratiques contractuelles constantes peuvent avoir pour effet de contractualiser les avantages accordés de manière pourtant précaire aux salariés, ce qui ne manque pas de faire difficulté pour les entreprises (2).

Résumé

Le paiement systématique d'une prime de grand déplacement, indépendamment des déplacements effectués, confère à celle-ci la qualité d'élément de la rémunération du salarié qui doit être assumée par le repreneur de l'entreprise.

1. La politique jurisprudentielle de contractualisation des pratiques

  • Place du contrat de travail dans les sources applicables à la relation de travail

Le contrat de travail constitue l'une des sources qui alimentent le cadre juridique applicable à la relation de travail, avec les usages, les engagements unilatéraux de l'employeur, les différents accords collectifs applicables dans l'entreprise et, bien entendu, les lois et règlements.

Les éléments qui constituent le contrat de travail bénéficient, toutefois, d'un régime particulier : le salarié est en droit d'en refuser la modification. Leur non-respect ouvre, au profit du salarié, droit à des dommages et intérêts dont la prescription est soit quinquennale, pour les salaires, soit trentenaire, pour le reste. Ces créances sont garanties par l'AGS et sont transmises au cessionnaire de l'entreprise lorsque s'applique l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), comme le rappelle cet arrêt rendu le 10 octobre 2007.

  • Délimitation du champ contractuel

Reste à déterminer ce qu'il convient d'entendre par "contrat de travail". Deux méthodes, qui se combinent d'ailleurs, permettent de qualifier de "contractuels" certains éléments.

La première, dite "méthode objective", consiste à déterminer le caractère contractuel de certains éléments en fonction de la nature des éléments en cause. C'est ainsi que, pour certains, tout ce qui concerne la rémunération des parties devrait être nécessairement contractuel, et ce même s'il ne s'agit que de faire une application pure et simple des dispositions conventionnelles. Fort heureusement, telle n'est pas l'analyse de la Cour de cassation qui, en matière de rémunération, ne considère comme contractualisés que les éléments de rémunération qui ont été effectivement individualisés par les contractants (1).

La seconde, dite "méthode subjective", consiste à sonder l'intention des parties. La plupart du temps, cette intention se manifeste au travers des clauses du contrat de travail. Si l'on met de côté la question du lieu d'exécution du contrat de travail qui n'a pas, à tout le moins à en croire la Cour de cassation, de portée normative tant qu'il n'a pas été stipulé que le contrat s'exécuterait exclusivement en ce lieu (2), tous les éléments couchés par écrit dans le contrat ont vocation à être qualifié de "contractuels". Il convient, toutefois, de considérer que les parties peuvent parfaitement stipuler que certains éléments n'ont pas de nature "contractuelle", dès lors, par exemple, qu'il est expressément indiqué que ces éléments sont repris dans le contrat à titre d'information du salarié ; il en sera ainsi lorsque l'employeur rappelle la convention collective applicable, ou mentionne l'actuel organisme gérant la protection sociale complémentaire de l'entreprise.

  • Importance de la pratique contractuelle des parties

Dans un certain nombre d'hypothèses, les parties n'ont pas conclu de contrat de travail écrit, ce qui sera assez souvent le cas pour les salariés titulaires d'un CDI à temps plein puisque la loi ne leur en fait pas obligation, ou n'ont pas actualisé le contrat postérieurement à l'embauche. Il conviendra, alors, de se référer à la pratique des parties pour déterminer si certains éléments de la relation de travail n'ont pas été contractualisés.

Certains arrêts ont interprété, de manière parfois surprenante, le comportement des parties pour y déceler une volonté implicite de conférer à certains éléments un caractère contractuel. Ainsi, l'employeur qui demande au personnel son avis avant de dénoncer un usage est considéré comme ayant reconnu implicitement que les avantages usuels avaient été contractualisés (3). En revanche, il a été jugé que le fait pour l'employeur de remettre aux salariés, lors de leur embauche, une brochure leur rappelant les usages et engagements applicables dans l'entreprise, n'avait pas pour effet de contractualiser ces éléments (4) ; une solution comparable prévaut pour les renvois aux dispositions du règlement intérieur, et ce même lorsque ces dispositions ne doivent pas obligatoirement y figurer (5). Il a, également, été jugé que la présence sur le bulletin de salaire d'une prime payée n'avait pas pour conséquence de donner à celle-ci un caractère contractuel (6).

Dernièrement, la Cour de cassation a conféré un caractère contractuel et, partant, intangible, à des modifications dans la pratique des contractants qui, pourtant, présentaient un caractère provisoire.

Dans une première affaire, une salariée avait été engagée en 1990 comme caissière-gondolière en vertu d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel. Un avenant avait été conclu en octobre 1995 afin qu'elle assure le remplacement de l'adjointe à la chef de caisse à temps complet, avec le salaire afférent (augmentation de plus de 25 %). Treize mois plus tard, l'employeur l'informait par écrit du retour de la salariée absente et lui indiquait qu'elle reprendrait son poste habituel au même horaire hebdomadaire à temps partiel, assorti de son ancien salaire. La salariée s'y était, alors, opposée, considérant que son contrat de travail avait été modifié. C'est également l'avis de la Cour de cassation qui considère que l'avenant initial avait modifié son contrat de travail et qu'elle "était en droit de refuser une nouvelle modification la replaçant dans la situation antérieure à cet avenant" (7).

Dans une autre affaire jugée en 2007, un salarié effectuait, depuis plusieurs années, le remplacement d'un collègue, et percevait la rémunération afférente. Il s'était, également, opposé à la fin de ce remplacement, et au versement de la rémunération afférente, prétendant que son contrat de travail avait été modifié. C'est aussi l'opinion de la Cour de cassation, qui a considéré que "la suppression de ce remplacement et des revenus supplémentaires qui n'étaient pas occasionnels, constituait une modification unilatérale du contrat de travail" que le salarié était en droit de refuser (8).

Enfin, dans une dernière affaire très récente, la Chambre sociale de la Cour de cassation a statué dans le même sens et considéré que la brusque suppression de primes de panier et d'indemnités visant au remboursement des frais de déplacement constituait une modification du contrat de travail du salarié que ce dernier était, par conséquent, en droit de refuser (9).

2. La confirmation de la contractualisation de fait d'une prime de grand déplacement

  • L'affaire

C'est dans ce courant que s'inscrit ce nouvel arrêt inédit rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 10 octobre 2007.

Dans cette affaire, un salarié percevait de manière habituelle une prime de grand déplacement, et ce même lorsqu'il ne se déplaçait pas effectivement. A l'occasion de la cession de l'entreprise, le repreneur prétendait ne pas être lié par ce paiement dès lors que le salarié n'effectuait aucun déplacement. La cour d'appel lui avait donné raison, mais l'arrêt est cassé, sans renvoi, la Cour de cassation affirmant "que cette indemnité de grand déplacement était devenue, du fait de son paiement systématique par l'employeur, un élément de la rémunération du salarié qui devait être assumée par le repreneur".

En d'autres termes, la pratique antérieure des parties avait eu pour conséquence de conférer à cette prime le caractère d'un élément de la rémunération contractuelle du salarié qui s'imposait, à ce titre, au nouvel employeur.

  • Le sens de la jurisprudence

Toutes ces décisions montrent la volonté de la Cour de cassation de considérer comme contractualisées toutes les modifications intervenues dans la rémunération du salarié, et ce même en l'absence de volonté affirmée de les y intégrer. L'arrêt rendu le 11 janvier 2006 montre même que la stipulation du caractère provisoire des changements intervenus dans les fonctions, et donc dans la rémunération, d'un salarié, n'est pas opposable au juge qui demeure le seul maître de la qualification juridique des pratiques contractuelles, et ce conformément aux dispositions de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2043ADZ) (10).

  • Une solution discutable

S'il est acquis, depuis longtemps, que la volonté des parties est impuissante à soustraire ces dernières à l'application de règles d'ordre public, la solution semble bien sévère pour les employeurs. En paralysant les clauses, pourtant conclues d'un commun accord, qui stipulent expressément le caractère temporaire de modifications apportées aux attributions, ou à la rémunération habituelle, des salariés, la Cour de cassation place l'employeur dans une situation délicate. Pour éviter pareille contractualisation des pratiques, l'employeur aura alors tout intérêt à mettre un terme rapidement à ce qui peut, pourtant, apparaître comme une chance accordée au salarié.

Pour reprendre l'exemple d'une modification intervenue pendant une durée de treize mois, l'employeur sera alors incité à recruter, pour la durée du remplacement, un salarié en CDD plutôt que de procéder à un glissement en interne qui risque d'être rapidement considéré comme définitif. On se demande alors si, pour assurer la pérennité de la rémunération d'un salarié en particulier, la Cour de cassation ne serait pas en train d'induire d'autres pratiques qui, à terme, pourraient se retourner contre les salariés de l'entreprise. De nouveau, c'est l'effet "boomerang" du tout contractuel qui doit être ici souligné, et regretté.


(1) Cass. soc., 10 juin 2003, n° 01-40.985, M. François Chebanier c/ Compagnie nationale Air France, FS-P sur les quatre premiers moyens (N° Lexbase : A7225C84) ; lire les obs. de S. Koleck-Desautel, Les effets d'une fusion-absorption sur le statut collectif applicable aux salariés, Lexbase Hebdo n° 77 du 26 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7870AAQ) ; Dr. soc. 2003, p. 887.
(2) Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-43.573, Société Résoserv c/ Mme Ariane Queniat, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6994CKA) ; Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376, Mme Laetitia Suret c/ Société Coop Atlantique, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6993CK9) ; lire les obs. de S. Koleck-Desautel, La simple indication du lieu de travail dans le contrat n'a qu'une valeur d'information, Lexbase Hebdo n° 76 du 19 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7795AAX) ; Dr. soc. 2003, p. 884, obs. J. Savatier ; JCP éd. G, 2003, II, 10165, note M. Véricel ; D. 2004, p. 89, note C. Puigelier ; RDC 2004, p. 237, obs. J.-P. Chazal, p. 381, note Ch. Radé ; RJS 2004, p. 3, chron. J. Pélissier ; Cass. soc., 21 janvier 2004, n° 02-12.712, Société Aventis Pharma c/ Syndicat CGT Aventis Pharma, FP-P+B (N° Lexbase : A8593DAI) ; Cass. soc., 15 mars 2006, n° 02-46.496, Société Trans'Ova c/ M. Christian Martin, F-P+B (N° Lexbase : A6000DNK) ; Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 04-46.734, Société Comazzi industrie, F-D (N° Lexbase : A3431DRI).
(3) Cass. soc., 5 octobre 1999, n° 97-45.733, M. Perrot c/ Société Filature de Chenimenil (N° Lexbase : A4827AGU) ; JCP éd. G, 2000, II, 10283, note F. Duquesne ; Dr. soc. 2000, p. 833, chron. M. Véricel.
(4) Cass. soc., 2 mai 2001, n° 99-41.178, Société TAT European airlines c/ M. Vincent Leccese, inédit (N° Lexbase : A3420ATT) ; Dr. Soc. 2001, p. 1002, obs. B. Gauriau.
(5) Cass. soc., 10 mars 2004, n° 03-40.505, Société Sogecler c/ Mme Isabelle André, F-P+B (N° Lexbase : A4976DBW) : RDC 2004, p. 723, obs. Ch. Radé ; Dr. soc. 2004, p. 838, chron. M. Véricel : "Attendu, cependant, d'abord, que la circonstance que le contrat de travail se réfère à des dispositions du règlement intérieur prévoyant certains avantages pécuniaires, quand bien même s'agirait-il de dispositions qui ne rentrent pas dans la catégorie des informations devant y figurer, n'a pas pour effet de contractualiser ces avantages, lesquels constituent un engagement unilatéral de l'employeur".
(6) Cass. soc., 7 mars 2006, n° 04-13.962, Syndicat Filpac CGT de l'Imprimerie Herissey c/ Société Imprimerie Herissey, F-D (N° Lexbase : A4975DNL).
(7) Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 03-46.698, Société Jikaf, exploitant sous l'enseigne Intermarché, FS-P+B (N° Lexbase : A3382DM9) ; Bull. civ. V, n° 5.
(8) Cass. soc., 21 février 2007, n° 04-47.682, Société Pompes funèbres intercommunales de la région Grenobloise, F-P+B (N° Lexbase : A2815DUS).
(9) Cass. soc., 4 octobre 2007, n° 06-44.013, Société Sécurité protection, F-D (N° Lexbase : A6637DYH).
(10) Cass. soc., 11 janvier 2006, préc..
Décision

Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-43.051, M. Maamar Saidi, F-D (N° Lexbase : A7461DYY)

Cassation partielle sans renvoi (CA Nîmes, chambre sociale, 21 octobre 2005)

Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots-clefs : contrat de travail ; modification ; pratique constante des parties ; contractualisation des éléments.

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Social général

[Jurisprudence] Discriminations et régimes spéciaux : les bonifications réservées aux mères dans les industries électriques et gazières

Réf. : CA Aix-en-Provence, 9ème ch., sect. A, 8 mars 2007, n° 05/19576, Monsieur Dominique Morael c/ SA Electricité de France (N° Lexbase : A1568DXD)

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N8649BCC

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par Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Les semaines se suivent et se ressemblent : il ne s'en passe pas une sans que les régimes spéciaux ne soient évoqués dans tous les médias. Cependant, si la réforme de ces régimes fait la une de l'actualité, on ne saurait oublier les contentieux qu'ils ont pu susciter et qui continuent d'alimenter les rôles des juridictions. Sans nul doute bien placés au hit-parade des contentieux propres aux régimes spéciaux, il faut évoquer ceux qui concernent les bonifications accordées par certains régimes aux seules mères de famille et qui permettent à ces dernières de bénéficier, sous certaines conditions, de départs en retraite plus précocement que leurs collègues masculins. De telles bonifications figurent, par exemple, dans le régime spécial de retraite des industries électriques et gazières organisé par le statut national du personnel de ces industries, ou encore dans le régime spécial de retraite des clercs et employés de notaires. Selon la CJCE, l'applicabilité du principe d'égalité formulé à l'article 141 du Traité CE (N° Lexbase : L5147BCM) est fonction de la nature légale ou professionnelle du régime considéré (sur ce point, v., notamment, N. Mingant, L'application du principe d'égalité au régime de retraite des clercs et employés de notaires, Lexbase Hebdo n° 130 du 22 juillet 2004 - édition sociale N° Lexbase : N2444AB7). De nombreuses espèces ont déjà porté sur ce thème, mais un nouvel acteur, dont le rôle ne saurait être négligé, est récemment apparu : la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde). Une affaire tranchée le 8 mars 2007 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence est l'occasion de quelques précisions sur ces sujets.

Résumé

La SA Electricité de France doit prononcer la mise en inactivité par anticipation de Monsieur M., avec perception immédiate de la pension d'ancienneté, en lui accordant le bénéfice des dispositions de l'article 3 de l'annexe III au statut du personnel des industries électriques et gazières et du c) du paragraphe 112-35 du chapitre 263 du manuel pratique des questions de personnel EDF-GDF.

1. Une indiscutable discrimination fondée sur le sexe

Le statut national du personnel des industries électriques et gazières prévoit que, lorsqu'une femme employée dans ce secteur a eu au moins trois enfants, une bonification d'ancienneté, d'une année par enfant, lui est accordée, ce qui lui permet de bénéficier d'une pension de retraite de manière anticipée (1). Père de quatre enfants, M. M., employé par la SA Electricité de France (EDF) depuis le 1er janvier 1979, a formulé une demande de départ anticipé en inactivité par lettre du 7 septembre 2004. Par lettre du 25 octobre 2004, EDF lui répondait que l'article 3 de l'annexe III du Statut national du personnel des Industries Electriques et Gazières ne concernait que les agents féminins.

S'estimant victime d'une discrimination fondée sur le sexe, M. M. a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille qui l'a débouté de ses demandes par jugement en date du 23 septembre 2005. M. M. a, alors, formé un appel et a saisi la Halde.

Le caractère discriminatoire des dispositions litigieuses n'était guère discutable. Les parties et les juges aixois ne s'y sont, d'ailleurs, pas trompés en faisant référence aux nombreuses décisions jurisprudentielles antérieures. Restait, cependant, à s'assurer que les demandes du salarié pouvaient être effectivement prises en compte, notamment, dans le respect des compétences respectives et de l'effet relatif de l'autorité de la chose jugée.

Le régime général des fonctionnaires comportait le même type de dispositions que les dispositions litigieuses de l'espèce commentée. Il fut l'un des premiers à subir la censure de la Cour de justice des Communautés européennes, dans un arrêt "Griesmar" du 29 novembre 2001 resté célèbre (CJCE, 29 novembre 2001, aff. C-366/99, Joseph Griesmar c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5833AXC). En l'espèce, la CJCE retenait un raisonnement en deux temps qui ne fut jamais abandonné par la suite. En premier lieu, la CJCE considère que les pensions servies au titre d'un régime tel que le régime de retraite des fonctionnaires entrent, revêtues de la qualification de rémunérations, dans le champ d'application des dispositions de l'article 119 du Traité CE (2) et sont donc soumises au principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes. En second lieu, la CJCE constate que les dispositions litigieuses du Code des pensions civiles et militaires de retraite ne sauraient être justifiées par aucune différence de situation relativement à l'octroi des avantages en cause et elle conclut à leur caractère discriminatoire.

Les ordres juridictionnels internes, tant administratif que judiciaire, n'ont, ensuite, fait que reprendre les solutions retenues par la juridiction communautaire. Ainsi, par exemple, toujours à propos du régime de retraite des fonctionnaires, et, d'ailleurs, dans la même affaire que celle tranchée par la CJCE, le Conseil d'Etat s'est aligné sur la position de cette dernière dans un arrêt du 29 juillet 2002 (CE Contentieux, 29 juillet 2002, n° 141112, M. Griesmar N° Lexbase : A1869AZA). Le raisonnement est exactement identique : d'abord, les pensions en cause sont au nombre des rémunérations soumises au principe d'égalité, ensuite les bonifications pour enfants réservées aux seules femmes contreviennent à ce principe et, enfin, de l'avis du Conseil d'Etat comme de la CJCE, aucune considération liée à la protection de la femme en raison de la maternité ou des rapports particuliers qu'elle peut entretenir avec son enfant au cours de la période qui fait suite à la grossesse et à l'accouchement ne peut justifier une exception au principe d'égalité.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence n'a même pas eu à reprendre ce type de raisonnement au fond. En effet, devinant, sans doute, qu'il serait identique en l'espèce, les parties ont fait porter l'essentiel du débat sur d'autres moyens, plus procéduraux. Le salarié mettait en avant le fait que le Conseil d'Etat avait déjà eu l'occasion de juger que les dispositions litigieuses du statut EDF étaient illégales en tant qu'elles excluaient du bénéfice des avantages qu'elles instituaient les agents masculins ayant assuré l'éducation de leurs enfants. La SA EDF et la Caisse nationale des Industries électriques et gazières faisaient, quant à elles, valoir que le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2003-483, du 14 août 2003, loi portant réforme des retraites N° Lexbase : A5188C9Z), à l'occasion de l'examen de la loi du 21 août 2003 (loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM), qui octroyait une bonification de trimestre aux mères de famille, a considéré qu'il appartenait au législateur de prendre en compte les inégalités de fait dont les femmes avaient été l'objet et, qu'ainsi, pouvaient être maintenues des dispositions destinées à compenser des inégalités. La cour d'appel d'Aix écarte cette référence en retenant que les décisions du Conseil constitutionnel n'ont d'effet impératif qu'en ce qui concerne les textes qui lui ont été soumis et, qu'en l'espèce, il convient d'analyser si le statut EDF est entaché d'illégalité, ce qui ressort de la compétence de la juridiction administrative. Or, comme le soulignent les juges aixois, la juridiction administrative a déjà eu l'occasion de déclarer illégales les dispositions litigieuses du statut EDF (v., notamment, CE 7° s-s, 7 juin 2006, n° 280126, M. Bernard N° Lexbase : A8352DPZ ou, encore, CE 5° et 7° s-s-r., 18 décembre 2002, n° 247224, M. Plouhinec N° Lexbase : A6482A4T) et ces décisions s'imposent au juge civil. Ce caractère impératif résulte, d'ailleurs, d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation : "toute déclaration d'illégalité d'un texte réglementaire par le juge administratif [...] s'impose au juge civil, qui ne peut plus faire application d'un texte illégal" (v., notamment, Cass. civ. 1, 8 novembre 2005, n° 03-30.458, Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) de Paris c/ Mme Nouara Ait Idir, FS-P+B N° Lexbase : A5084DLU).

La censure de la décision du conseil de prud'hommes de Marseille était prévisible, elle s'imposait, d'ailleurs, à la cour d'appel d'Aix-en-Provence. En effet, en guise de conclusion, rappelons que le juge national est tenu d'écarter toute disposition nationale discriminatoire, sans avoir à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par la négociation collective ou par tout autre procédé constitutionnel, et d'appliquer aux membres du groupe défavorisé le même régime que celui dont bénéficient les autres travailleurs (CJCE, 7 février 1991, aff. C-184/89, Helga Nimz c/ Freie und Hansestadt Hamburg N° Lexbase : A9822AUC). D'ailleurs, la cour d'Aix ne manque pas de mentionner que "les textes sur lesquels se fonde M. M. peuvent être appliqués puisque ce ne sont pas les avantages accordés aux agents féminins qui sont déclarés illégaux mais la seule exclusion des agents masculins".

2. L'intervention de la Halde dans l'instance

Au-delà des éléments évoqués ci-dessus, l'espèce tranchée par la cour d'Aix-en-Provence soulevait, également, la question de l'intervention de la Halde à l'instance.

Sans reprendre son histoire en détails, rappelons simplement que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité a été créée par la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 (N° Lexbase : L5199GU4), qu'elle revêt la nature d'autorité administrative indépendante et qu'elle est compétente pour connaître de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie. Afin que son intervention soit la plus efficace possible, la Halde s'est vue reconnaître un certain nombre de prérogatives, d'ailleurs renforcées par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances (N° Lexbase : L9534HHL).

Si les pouvoirs et prérogatives reconnus à la Halde sont pour l'essentiel fondés, l'importance des modalités d'intervention de la Halde n'est, cependant, pas sans soulever quelques interrogations ou réserves, en particulier sur le terrain de la cohabitation de cette autorité administrative indépendante avec les juridictions existantes (3).

Pour ce qui concerne l'intervention de la Halde dans l'espèce commentée, il convient de rappeler qu'à la demande des parties ou d'office, les juridictions civiles, pénales ou administratives peuvent inviter la Halde à présenter des observations sur les faits de discriminations dont elles sont saisies. La Halde peut, également, demander à être entendue par ces juridictions. Ainsi, la Halde peut intervenir lors d'un procès prud'homal, en application de l'article 13 de la loi du 30 décembre 2004. Tel fut le cas en l'espèce.

Concrètement, la Halde a été saisie par le salarié et a eu l'occasion de se prononcer sur sa demande dans une délibération n° 2006-313 en date du 18 décembre 2006 (délibération Halde n° 2006-306 du 18 décembre 2006, Réglementation des services publics - EDF-GDF - Conditions de liquidation de la pension de retraite - Sexe - Régime professionnel de retraite - Départ anticipé à la retraite et bonifications d'ancienneté pour l'éducation des enfants réservés aux femmes N° Lexbase : X9778ADI). Sur le fond, la Halde a retenu le raisonnement évoqué ci-dessus et conclu à l'existence d'une discrimination fondée sur le sexe. Elle a, également, recommandé au ministre délégué à l'Industrie, au PDG d'EDF, ainsi qu'au PDG de GDF, la modification des dispositions litigieuses de l'annexe III du statut national des industries électriques et gazières excluant les hommes des avantages consentis aux femmes pour l'éducation de leurs enfants. Enfin, la Halde a décidé de présenter ses observations devant la juridiction que le salarié avait saisie.

La cour d'appel d'Aix est amenée à opérer quelques précisions sur l'intervention de la Halde à l'instance. La SA EDF objectait que la Halde avait dépassé le rôle qui lui est reconnu par la loi en présentant des demandes ce qui lui conférait un rôle de partie. La cour d'appel d'Aix observe, à cet égard, que la Halde s'est contentée de produire une délibération contenant des recommandations à des autorités désignées et, qu'ainsi, elle ne s'est pas comportée comme une partie et s'est cantonnée à son rôle.

Astucieusement, EDF entendait remettre en cause les conditions dans lesquelles la Halde était intervenue à l'instance. En particulier, la question était posée du respect du principe du contradictoire. Mais, la délibération de la Halde ayant été communiquée aux parties et ayant fait l'objet d'un débat devant elle, la cour d'appel d'Aix-en-Provence retient que le principe du contradictoire a été respecté. Elle souligne, cependant, que "pour que le contenu de l'audition de la Halde soit efficient [...], il appartient à cet organisme de verser des pièces afin de conforter ses déclarations ; qu'en effet à défaut d'une telle communication les parties pourraient contester les éléments de cette audition ce qui la rendrait inefficace". Pourtant, la délibération de la Halde n'est finalement pas écartée par les juges aixois : aucune sanction n'assortit l'absence de respect des dispositions de l'article 11 de la loi du 30 décembre 2004 et le contenu de la délibération a été exposé à l'audience d'appel ce qui a permis d'en tenir compte en raison du caractère oral de la procédure. L'intervention de la Halde est sauve en l'espèce... Mais elle devrait manifestement veiller à mieux "ficeler" ses prochaines interventions dans d'autres instances.


(1) Article 3 de l'annexe III au statut national du personnel des industries électriques et gazières : "Pour avoir droit aux prestations : pension d'ancienneté, un agent doit avoir 55 ans d'âge, s'il appartient aux services insalubres ou actifs, 60 ans d'âge, s'il appartient aux services sédentaires - et doit totaliser 25 ans de service décomptés conformément au paragraphe 5 de l'article 1er de la présente annexe. Les agents mères de famille ayant eu trois enfants bénéficieront d'une bonification d'âge et de service d'une année par enfant".
(2) Les articles 117 à 120 du Traité CE ont été depuis remplacés par les articles 136 à 143. L'article 119 a été remplacé par l'article 141.
(3) V., notamment, Y. Mayaud, La Halde, une trop "Haute" autorité ? Propos hétérodoxes sur un transfert de répression, Droit social, septembre-octobre 2007, pp. 930-935.

Décision

CA Aix-en-Provence, 9ème ch., sect. A, 8 mars 2007, n° 05/19576, Monsieur Dominique Morael c/ SA Electricité de France (N° Lexbase : A1568DXD)

Infirmation (conseil de prud'hommes de Marseille, 23 septembre 2005).

Textes concernés : Statut national du personnel des industries électriques et gazières : annexe III ; Délibération Halde, n° 2006-313 du 18 décembre 2006 (délibération Halde n° 2006-306 du 18 décembre 2006, Réglementation des services publics - EDF-GDF - Conditions de liquidation de la pension de retraite - Sexe - Régime professionnel de retraite - Départ anticipé à la retraite et bonifications d'ancienneté pour l'éducation des enfants réservés aux femmes N° Lexbase : X9778ADI).

Mots-clefs : régimes spéciaux ; vieillesse ; industries électriques et gazières ; discrimination ; égalité homme-femme ; pension de retraite ; bonification d'âge et de service ; Halde.

Lien bases :

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La détermination de l'employeur d'un artiste de spectacle

Réf. : Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-40.449, M. Frédéric Schulz, FS-P+B (N° Lexbase : A6608DYE)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Les frontières du salariat demeurant encore parfois un peu floues (1), le Code du travail a imposé, dans certaines hypothèses, que les relations soient nécessairement soumises à l'existence d'un contrat de travail. Ainsi en va-t-il, par exemple, du mannequinat ou du journalisme. C'est encore le cas des contrats conclus par les artistes de spectacle en vue de leur production. Ces travailleurs un peu particuliers bénéficient d'une présomption de salariat instituée par l'article L. 762-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5342ACT). L'arrêt du 3 octobre 2007, rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, statuant sur la relation que peuvent entretenir deux artistes d'un même numéro de spectacle, apporte quelques précisions quant au fonctionnement de cette présomption. En effet, la Cour ajoute une nouvelle condition à ladite présomption (1), nouvelle condition sur laquelle il convient d'apporter un regard critique (2).

Résumé

La présomption de contrat de travail posée par l'article L. 762-1 du Code du travail ne vaut qu'entre les organisateurs de spectacles et les artistes y participant. Si les relations s'établissent entre un artiste et une autre personne n'étant pas en charge de l'organisation du spectacle, l'existence d'un contrat de travail s'établit selon les règles habituelles, c'est-à-dire par la caractérisation d'un lien de subordination.

1. L'ajout d'une condition à la présomption de salariat des artistes de spectacle

  • L'existence d'une présomption de salariat

L'article L. 762-1 du Code du travail met en place une présomption de contrat de travail au bénéfice des artistes de spectacle (2). Ainsi, "tout contrat par lequel une personne physique ou morale s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail".

L'existence d'une telle présomption n'est pas réservée aux artistes de spectacle. Le même mécanisme est utilisé par le législateur pour les mannequins (3), pour les ouvreuses préposées aux vestiaires et les vendeurs de programmes (4) ou, encore, pour les journalistes professionnels (5).

Ces présomptions visent à résoudre les difficultés inhérentes à l'établissement d'un lien de subordination, mais aussi à préserver certains aspects sensibles de ces relations, tels que la liberté d'expression inhérente à ces professions. S'agissant, plus précisément, de la relation entre l'artiste et le producteur, ce mécanisme probatoire s'avère très nettement favorable à l'artiste qui pourra choisir entre salariat et activité indépendante. En effet, l'article L. 762-1 ajoute que la présomption disparaît lorsque l'artiste exerce son activité "dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce".

  • Les conditions de l'application et du renversement de la présomption

Pour que l'artiste puisse revendiquer l'application de la présomption, il suffit qu'il ait conclu un contrat en vue de sa production moyennant rémunération. Peu importe la qualification conférée par les parties au contrat. De la même manière, le fait que le cocontractant de l'artiste soit une personne physique ou morale n'a aucune influence sur l'existence de la présomption.

La présomption continue de s'appliquer quand bien même l'artiste conserve la liberté d'expression inhérente à son art, qu'il soit propriétaire de son matériel ou, de façon plus surprenante, qu'il emploie lui-même une ou plusieurs personnes pour le seconder. De la même manière, le mode et le montant de la rémunération n'ont pas d'influence sur le jeu de la présomption, y compris si la rémunération n'est pas versée directement par l'organisateur du spectacle (6).

La présomption comporte donc un spectre très large. Elle n'est, pourtant, pas irréfragable puisque la relation ne sera pas considérée comme étant soumise à un contrat de travail si l'artiste exerce son activité dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce et des sociétés.

La référence au registre du commerce et des sociétés ne va pas sans rappeler la présomption prévue par l'article L. 120-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1422G9K) même s'il s'agit là du mécanisme inverse. En effet, ce texte pose une présomption de non-salariat lorsque le travailleur est inscrit au RCS alors que, s'agissant des artistes de spectacle, ce rattachement matériel au registre du commerce ne sert qu'à combattre la présomption.

Malgré ces dispositions très précises du Code du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation est amenée à fournir une précision quant au champ de la présomption.

  • En l'espèce

Un bref rappel des faits de l'arrêt peut être utile à la compréhension de l'ajout opéré par la Chambre sociale. Dans cette affaire, une danseuse chorégraphe travaillait avec un illusionniste dans le cadre de contrats conclus avec une société organisatrice de spectacles. Après une interruption de travail, l'illusionniste n'avait plus fait appel aux services de la danseuse. Estimant qu'elle était liée au prestidigitateur par un contrat de travail, lequel avait, dès lors, été rompu irrégulièrement, elle avait intenté une action prud'homale afin de voir, notamment, la relation requalifiée en contrat de travail par application de la présomption de salariat des artistes de spectacle.

Alors que la cour d'appel avait favorablement reçu sa demande, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse la décision des juges du fond au visa des articles L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL) et L. 762-1 du Code du travail. Elle estime, en application de ces textes, que "la présomption de contrat de travail posée par l'article L. 762-1 du Code du travail ne vaut qu'entre les organisateurs de spectacles et les artistes y participant".

Ce faisant, la Chambre sociale ajoute une condition à l'application de la présomption qui n'est pas expressément comprise dans le texte. En effet, le Code du travail vise "tout contrat" conclu par l'artiste sans apporter aucune précision quant à la qualité du cocontractant. L'exclusion du jeu de la présomption n'exclut pas, pour la Cour de cassation, l'existence d'une relation de travail salariée entre l'illusionniste et la danseuse, mais à condition de revenir aux critères classiques de l'établissement de l'existence d'un contrat de travail, c'est-à-dire à la caractérisation d'un lien de subordination.

S'il s'agit bien d'un ajout formel au texte, nous allons voir que, sur le fond, cette règle n'a rien d'étonnant et répond à la logique générale de l'article L. 762-1.

2. Appréciation de la nouvelle condition de la présomption de salariat des artistes de spectacle

  • Une nouvelle condition induite du texte

Le quatrième alinéa de l'article L. 762-1 du Code du travail prévoit que "le contrat de travail doit être individuel" mais que, "toutefois, il peut être commun à plusieurs artistes lorsqu'il concerne des artistes se produisant dans un même numéro ou des musiciens appartenant au même orchestre". En outre, le second alinéa prévoit, in fine, que l'artiste bénéficiant de cette présomption peut parfaitement employer "lui-même une ou plusieurs personnes pour le seconder, dès lors qu'il participe lui-même au spectacle". L'usage du verbe "employer" dans ce dernier texte est très certainement malheureux, les différents artistes étant tous salariés du même employeur. On peut, en effet, considérer que ces dispositions placent l'ensemble des artistes participant à un numéro sur le même plan. Tous seront salariés, peu important qu'un seul ait signé le contrat de travail qui leur sera commun, peu important que les uns soient "employés" à seconder les autres.

Ainsi, il a déjà été reconnu que le chef d'orchestre qui signe les contrats d'engagements et agit en tant que mandataire des autres musiciens, n'est pas l'employeur de ces autres artistes qui ne peuvent revendiquer contre lui l'application de la présomption de salariat (7).

La présomption de salariat n'est donc pas, en elle-même, limitée. La danseuse pourra toujours obtenir que sa prestation soit qualifiée de relation de travail par application de ce mécanisme. En revanche, c'est la détermination de son employeur qui se trouve plus strictement encadrée. Les autres artistes participant au même numéro ne pourront être qualifiés d'employeur qu'à la condition qu'un lien de subordination soit démontré. Dans le cas contraire, seul le véritable maître d'oeuvre, c'est-à-dire l'organisateur du spectacle, pourra se voir imposer le jeu de la présomption.

  • L'éventualité d'une incompatibilité

Cette solution a le mérite d'éviter, en outre, de se trouver dans une situation surprenante dans laquelle l'artiste se trouverait, pour une même prestation de travail, sous la subordination de deux employeurs distincts. C'est, d'ailleurs, étonnement dans ce sens qu'avait statué la cour d'appel en décidant que la danseuse était engagée en vertu d'un contrat de travail à la fois par la société organisatrice et par l'illusionniste.

Ce risque n'est, cependant, pas tout à fait écarté. En effet, le cumul demeure toujours envisageable à la condition de démontrer l'existence, entre les deux artistes, d'un lien de subordination. Dans ces conditions, ce contrat de travail viendrait se superposer à un autre contrat de travail conclu entre la société organisatrice et l'artiste par application de la présomption de l'article L. 762-1 du Code du travail.

Pour éviter cette situation, la Chambre sociale de la Cour de cassation aurait pu exclure toute possibilité d'établir un lien de subordination entre les différents artistes d'un numéro à compter du moment où une relation de travail peut être présumée à l'égard de la société organisatrice. Ce n'est pourtant pas le choix qui a été effectué et l'on peut parfaitement imaginer les conséquences ubuesques auxquelles pourrait mener, dans cette situation, l'établissement de deux contrats de travail pour le même objet. Ainsi, par exemple, chaque employeur serait tenu de verser une rémunération distincte à l'artiste salarié pour une même prestation.

Même s'il ne peut en aucun cas s'agir là d'une justification, il faut, néanmoins, constater que cette solution s'accorde finalement assez bien avec les conditions particulièrement exceptionnelles qui guident l'établissement des contrats de travail d'artistes salariés. Ainsi, rappelons que le contrat de travail des artistes d'un même numéro peut être un contrat de travail "collectif", un seul contrat étant établi pour l'ensemble de la troupe sans qu'il soit toujours nécessaire que l'ensemble des artistes ait signé ces contrats.

Contrats de travail à plusieurs salariés, cumul de contrats de travail possible pour une même prestation, le droit du travail appliqué aux artistes de spectacle s'affiche décidément bien comme une oeuvre originale !


(1) V. nos obs., Les frontières encore floues du salariat, Lexbase Hebdo n° 268 du 12 juillet 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7835BBS).
(2) Le texte offre une liste non exhaustive des activités qui permettent de considérer que le travailleur est un artiste de spectacle. Il s'agit, notamment, de l'artiste lyrique, de l'artiste dramatique, de l'artiste chorégraphique, de l'artiste de variétés, du musicien, du chansonnier, de l'artiste de complément, du chef d'orchestre, de l'arrangeur-orchestrateur et, pour l'exécution matérielle de sa conception artistique, du metteur en scène.
(3) C. trav., art. L. 763-1 (N° Lexbase : L6817ACH).
(4) C. trav., art. L. 781-1 (N° Lexbase : L6860AC3).
(5) C. trav., art. L. 761-2 (N° Lexbase : L6790ACH).
(6) Cass. soc., 20 novembre 1985, JCP éd. E, 1986, I, 15578, n° 1, obs. B. Teyssié.
(7) Cass. soc., 4 janvier 1990, n° 86-45.681, M. Gimenez c/ M. Pontac (N° Lexbase : A1362AAP).
Décision

Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-40.449, M. Frédéric Schulz, FS-P+B (N° Lexbase : A6608DYE)

Cassation (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 3 janvier 2006, n° 05/04595, Melle Agnès Lacroix c/ M. Frédéric Schulz N° Lexbase : A4687DPB)

Textes visés : C. trav., art. L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL) et L. 762-1 (N° Lexbase : L5342ACT).

Mots-clés : artistes de spectacle ; présomption de salariat ; limites de la présomption.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Indemnisation du licenciement abusif : principes et conditions

Réf. : Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 05-44.958, Société des régies mixtes des transports toulonnais (RMTT), FS-P+B (N° Lexbase : A6525DYC)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

A quelles indemnités peut prétendre un salarié dont le contrat de travail à durée déterminée a été requalifié en un contrat de travail à durée indéterminée à la suite de la poursuite de la relation de travail postérieurement à l'échéance du terme ? Peut-il demander le versement de l'indemnité de précarité ? Est-il fondé à demander, outre les indemnités de rupture, une indemnité destinée à compenser le préjudice résultant du caractère vexatoire de la rupture de son contrat, singulièrement une indemnité pour licenciement abusif ? C'est à ces deux questions qu'est venue répondre la Cour de cassation dans un arrêt du 3 octobre 2007 ; rappelant, s'agissant de l'indemnité de précarité, qu'elle est due sauf si l'employeur a proposé au salarié un poste identique ou équivalent à durée indéterminée avant l'échéance du terme du CDD ; et, s'agissant de l'indemnité destinée à compenser le caractère vexatoire de la rupture, que, pour qu'un tel préjudice puisse être réparé, il faut que soit démontrée une faute de l'employeur. En l'absence d'une telle démonstration, aucune indemnité ne peut être accordée. Cette solution n'est pas nouvelle et doit, en tous points, être approuvée.

Résumé

Le salarié dont le contrat de travail a été rompu et qui a obtenu la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée peut prétendre, outre à l'indemnité de précarité, à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à l'indemnité de requalification, à une indemnité destinée à réparer le préjudice résultant du caractère vexatoire des conditions de la rupture de son contrat de travail. Pour ce faire, il suffit que soit établie une faute de l'employeur.

1. Indemnités versées consécutivement à la requalification du contrat de travail à durée déterminée

  • Conditions de versement de l'indemnité de précarité

L'article L. 122-3-4 du Code du travail (N° Lexbase : L4598DZC) dispose que lorsque, à l'issue d'un contrat de travail à durée déterminée, les relations contractuelles ne se poursuivent pas par un contrat de travail à durée indéterminée, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité destinée à compenser la précarité de sa situation. Cette indemnité est égale à 10 % du montant du salaire.

Cette indemnité n'est pas due, notamment, en cas de refus par le salarié d'accepter la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente. Il faut, toutefois, que la proposition de contrat de travail à durée indéterminée soit intervenue antérieurement à l'échéance du terme du contrat de travail à durée déterminée. La jurisprudence considère, ainsi, que l'indemnité de précarité doit être versée lorsque la proposition de contrat de travail à durée indéterminée est postérieure à l'échéance du terme du CDD (Cass. soc., 3 décembre 1997, n° 95-45.093, Société Elca Abelsohn, société à responsabilité limitée c/ Mme Florence Pépin, inédit N° Lexbase : A8817AGN).

Il faut donc une démarche positive de l'employeur, laquelle doit impérativement intervenir avant l'échéance du terme du contrat de travail à durée déterminée, pour qu'il puisse prétendre être exonéré de l'indemnité de précarité.

C'est ce principe que vient, dans un premier moyen, rappeler la Cour de cassation. Elle souligne que l'employeur n'avait proposé au salarié aucun contrat de travail à l'issue du contrat initial et que la relation de travail s'était poursuivie au-delà du terme, ce qui lui permet de confirmer la condamnation de l'employeur au versement à la salariée de l'indemnité de précarité qu'avait prononcée la cour d'appel.

Cette indemnité de précarité n'est pas la seule dont le salarié, dont le contrat est requalifié, peut bénéficier.

  • Autres indemnités versées au salarié dont le contrat est requalifié

Le salarié dont le contrat de travail est requalifié aura, en outre, droit au versement de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (C. trav., art. L. 122-14-4 N° Lexbase : L8990G74), l'indemnité de licenciement (éventuellement) (C. trav., art. L. 122-9 N° Lexbase : L5559ACU), l'indemnité de congés payés (C. trav., art. L. 223-11 N° Lexbase : L6875HIH) et l'indemnité de requalification (C. trav., art. L. 122-3-13 N° Lexbase : L5469ACK). Ces indemnités sont, désormais, classiques.

Moins connue est la demande d'indemnité supplémentaire formée par le salarié et destinée à compenser le préjudice distinct résultant des conditions dans lesquelles s'est déroulée la rupture de son contrat de travail. Une telle demande est accueillie par les juges lorsque le salarié établit un comportement fautif de l'employeur lui occasionnant un préjudice distinct de celui résultant du licenciement (Cass. soc., 12 mars 1987, n° 84-41.002, Société André Citroën c/ M. Maqueda, publié N° Lexbase : A7386AAS, Bull. civ. V, n° 147 ; Cass. soc., 17 juillet 1996, n° 93-41.116, Mme Bolle c/ Société Nicollin Réunion, publié N° Lexbase : A9526ABG). L'indemnisation du licenciement abusif est donc possible et peut se cumuler avec l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans la mesure où le salarié démontre l'existence de fautes distinctes de l'employeur. Tel n'était pas le cas dans l'espèce commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, une salariée avait été engagée jusqu'au 15 décembre 2002, par contrat de travail à durée déterminée par la société des régies mixtes des transports toulonnais (RMTT), à l'occasion d'une exposition sur le projet de tramway de Toulon. Ce contrat avait fait l'objet d'un avenant le prolongeant jusqu'au 31 janvier 2003.

La salariée ayant travaillé jusqu'au 17 février 2003, soit postérieurement à l'échéance du terme, elle avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification de son contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, d'indemnité de requalification, d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts pour rupture abusive et conditions vexatoires de la rupture ainsi que d'indemnité de fin de contrat.

La cour d'appel avait fait droit à la demande de la salariée et avait condamné l'employeur à lui verser, outre les indemnités de rupture, une indemnité de requalification, une indemnité de précarité et une somme de 1 500 euros au titre des conditions vexatoires de la rupture.

La Cour de cassation ne voit pas tout à fait les choses de la même façon.

Elle confirme la position de la cour d'appel s'agissant de l'indemnité de précarité en se fondant sur le principe selon lequel l'indemnité de précarité, prévue par l'article L. 122-3-4 du Code du travail, n'est due que lorsque aucun contrat de travail à durée indéterminée, pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, n'a été proposé à l'issue du contrat de travail à durée déterminée. Tel n'était pas le cas dans la décision commentée, puisque l'employeur n'avait proposé aucun contrat de travail à l'échéance du contrat initial et que, par voie de conséquence, la relation contractuelle s'était poursuivie au-delà du terme de ce dernier.

Elle infirme, en revanche, la décision des juges du second degré s'agissant de l'attribution d'une somme de 1 500 euros en raison du caractère vexatoire des circonstances de la rupture du contrat de travail du salarié. La Haute juridiction relève, en effet, qu'aucune faute de nature à justifier une indemnité distincte de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse n'ayant été relevée, cette indemnité ne peut être accordée.

Cette solution semble tout à fait acceptable, tant eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation qu'au regard des principes issus du droit commun.

2. Admission logique de l'indemnisation du licenciement abusif

L'indemnité pour licenciement abusif doit être distinguée de l'indemnité accordée au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les deux indemnités ayant un fondement distinct et une cause distincte, elles sont accordées indépendamment l'une de l'autre.

  • Indemnisation d'un préjudice distinct de celui résultant du licenciement

L'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse repose sur l'article L. 122-14-4 du Code du travail (salarié de plus de 2 ans d'ancienneté et/ou entreprise de 11 salariés et plus) ou sur l'article L. 122-14-5 du même code (N° Lexbase : L5570ACB) (salarié ayant moins de 2 ans d'ancienneté et/ou entreprise de 10 salariés et moins). Elle est automatique dès lors qu'est caractérisé un défaut de cause réelle et sérieuse de la rupture.

Le fondement de l'indemnisation du licenciement abusif repose sur le droit commun de la responsabilité extra-contractuelle de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). Ce texte dispose que "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à la réparer". L'indemnisation du salarié repose donc, ici, sur la faute de l'employeur.

L'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est destinée à réparer le préjudice résultant, pour le salarié, de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement qui a été prononcé à son encontre, donc du caractère "illicite", "injustifié" de la rupture prononcée.

L'indemnité pour licenciement abusif a pour objet de réparer le préjudice, le plus souvent moral, subi par le salarié à l'occasion de la rupture de son contrat de travail. Ce n'est donc pas ici la rupture qui est indemnisée, mais les circonstances qui l'ont entourée.

La source et l'objet de ces deux indemnités étant distincts, l'indemnité pour licenciement abusif sera accordée indépendamment du caractère réel et sérieux du licenciement, donc éventuellement en plus de l'indemnité versée à ce dernier titre, ou en l'absence d'une telle indemnité.

  • Indépendance de l'indemnité pour licenciement abusif et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Il est de principe que l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse constitue une indemnité minimale qu'il appartient au juge de fixer en fonction du préjudice subi, et qu'elle peut être cumulée avec d'autres indemnités (QE n° 40405 de M. Boucheron Jean-Michel, JOANQ 24 janvier 2000 p. 419, Emploi et Solidarité, réponse publ. 28 août 2000 p. 5068, 11ème législature N° Lexbase : L9141BB8). Le cumul de l'indemnité pour licenciement abusif avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est donc possible, le cumul n'étant subordonné qu'à la caractérisation d'un préjudice distinct pour le salarié de celui résultant du licenciement (Cass. soc., 21 février 1995, n° 93-44.340, Société à responsabilité limitée Holdgestion c/ M. Bernard Mingasson, inédit N° Lexbase : A8625AGK).

Corrélativement, le salarié pourra se voir attribuer une indemnité pour licenciement abusif malgré la reconnaissance du caractère réel et sérieux du licenciement, voire même la caractérisation d'une faute grave (Cass. soc., 24 octobre 1991, n° 90-42.668, Mme Daumin c/ Société Usab, inédit N° Lexbase : A8425AG7).

Il en ira ainsi toutes les fois, par exemple, que le licenciement justifié a été entouré de circonstances vexatoires (Cass. soc., 19 juillet 2000, n° 98-44.025, M. Lejosne c/ Société Brent, publié N° Lexbase : A9185AGB) ou brutales pour le salarié ; mais si et seulement si ces faits sont avérés...

Décision

Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 05-44.958, Société des régies mixtes des transports toulonnais (RMTT), FS-P+B (N° Lexbase : A6525DYC)

Cassation partielle (CA Aix-en-Provence, 18ème chambre, 6 septembre 2005)

Textes visés et concernés : C. civ., art. 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) ; C. trav., art. L. 122-3-4 (N° Lexbase : L4598DZC).

Mots-clefs : requalification ; indemnisation ; indemnité de précarité ; indemnité pour licenciement abusif.

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