La lettre juridique n°278 du 25 octobre 2007

La lettre juridique - Édition n°278

Éditorial

Lutte contre la récidive : quand la Liberté oblige l'emprisonnement des récidivistes...

Lecture: 3 min

N9052BCA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209415-edition-n-278-du-25-10-2007#article-299052
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


La loi du 10 août 2007, relative à la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, marque-t-elle un regain de la Liberté au sein de notre société ? L'affirmation est volontairement provocatrice, car de prime abord, on ne voit pas très bien comment une loi qui tend à faire de l'emprisonnement la peine de principe pour les récidivistes peut constituer le pendant d'une vivacité de la Liberté en France. Et pourtant...

La loi nouvellement publiée prolonge le processus engagé au cours de la précédente législature, en particulier à travers la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, et la loi du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance. Et, même si elle se veut respectueuse de l'individualisation de la peine qui constitue un principe fondamental de notre justice, la loi du 10 août 2007 instaure, bel et bien, des peines privatives de liberté minimales pour les délinquants récidivistes, qu'ils soient majeurs ou mineurs. Cependant, note-t-on, les juridictions peuvent prononcer des peines inférieures aux peines minimales, modulées selon qu'il s'agit de la première récidive ou d'une nouvelle récidive : c'est la combinazione trouvée par la loi pour, à la fois, affirmer la politique gouvernementale, et respecter l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. Par ailleurs, la loi permet l'extension des dérogations à l'atténuation de la responsabilité pénale pour les mineurs de plus de 16 ans. Enfin, elle tend à favoriser autant que faire se peut le traitement médical des délinquants récidivistes en systématisant l'injonction thérapeutique, jusqu'alors facultative. Dorothée Bourgault-Coudevylle, Maître de conférences à la Faculté de droit de Douai - Université d'Artois, vous propose ainsi, cette semaine, de dresser un panorama et une première analyse des différentes dispositions contenues dans ce texte.

Selon le rapport d'informations relatif au projet loi, les condamnations prononcées au cours de l'année 2005, pour lesquelles un état de récidive était retenu, font apparaître un taux moyen de récidive de 2,6 % pour les crimes et de 6,6 % pour les délits. Mais, ce taux, qui apparaît relativement stable, recouvre des situations assez différentes selon les infractions. Ainsi, en matière délictuelle, le taux de récidive s'établit à 8 % pour les vols-recels et à 13,6 % pour la conduite en état alcoolique. Ces deux contentieux représentent à eux seuls 73 % des récidivistes. "Les lois de la République sont porteuses de valeurs, de nos valeurs. Leur violation doit entraîner des réponses fermes et hiérarchisées" précisait le garde des Sceaux, ministre de la Justice, lors de son audition auprès du Parlement. Et si, au-delà des statistiques et d'une répression plus affirmée de la récidive visant à exercer un effet dissuasif sur les délinquants d'habitude, il s'agissait, par effet de réciprocité, de rappeler que le pendant de la peine privative de liberté est l'existence de la Liberté, elle-même ?

Souvenons-nous que, sous l'influence de la philosophie des Lumières, notamment celle de Beccaria, avec l'ouverture de la société aux libertés fondamentales, c'est-à-dire à la Révolution française, est consacré le principe de fixité des peines interdisant toute possibilité de personnalisation et d'adaptation de la sanction par les magistrats ou les jurés, et faisant de la peine d'emprisonnement la peine par excellence. La prise en considération des caractéristiques personnelles des individus, dans le prononcé de la peine, n'intervient qu'avec le code de 1810, en plein régime impérial... Et c'est en 1832, sous le règne du "libéral" Louis-Philippe, que les circonstances atténuantes permettent d'abaisser le niveau des sanctions pénales... La fixité d'une peine d'emprisonnement est-elle, alors, la marque des régimes de Liberté ?

Finalement, c'est avec la naissance, à la fin du XIXème siècle, de la criminologie illustrée par Lombroso, puis de l'école dite du milieu social développée par Lacassagne, que l'accent est moins mis sur le crime que sur la personnalité du criminel. Et, n'est-ce pas à cette personnalité récalcitrante à la Règle sociale que la loi d'août 2007 s'adresse ? Agit en situation de récidive la personne qui, déjà condamnée définitivement pour une infraction, en commet une nouvelle dans les conditions (type d'infraction et délai) fixées par la loi. Au-delà de l'infraction elle-même, c'est la personnalité récidiviste qui est visée par la loi. Alors, de là à dire, avec un peu de provocation tout de même, que, dans une société de Liberté, le renforcement de la condamnation de la récidive s'inscrit pleinement dans le principe de personnalisation et d'individualisation des peines...

newsid:299052

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Validité de la répartition inégalitaire d'une contribution patronale au financement du dialogue social

Réf. : Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 05-45.347, Syndicat national des cadres et employés techniciens agents de maîtrise et assimilés des industries du bâtiment des travaux publics et des activités annexes et connexes CFE-CGC, FS-P+B (N° Lexbase : A7310DYE)

Lecture: 10 min

N8927BCM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209415-edition-n-278-du-25-10-2007#article-298927
Copier

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


A l'heure où le financement des organisations syndicales de salariés par les employeurs fait l'objet de nombreuses interrogations, l'arrêt rendu le 10 octobre dernier par la Cour de cassation prend un relief tout particulier. Ce n'est, toutefois, pas la validité de principe d'un tel financement qui était ici en cause, mais sa répartition entre les syndicats représentatifs. Selon la Chambre sociale, rien ne s'oppose à ce qu'un accord collectif établisse des règles de répartition inégalitaire d'une contribution au financement du dialogue social entre les organisations syndicales représentatives. Cette décision exige de revenir, d'abord, sur le financement patronal des syndicats pour, ensuite, envisager la répartition des sommes en cause.


Résumé

Ni l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M), ni l'article 6 du Préambule de la Constitution (N° Lexbase : L6815BHU), ni l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI), ne font obstacle à ce qu'un accord collectif établisse des règles de répartition inégalitaire d'une contribution au financement du dialogue social entre les organisations syndicales représentatives, dès lors, d'une part, que cette répartition n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer à quiconque l'adhésion ou le maintien de l'adhésion à une organisation syndicale, aucune organisation syndicale représentative n'en étant exclue et, d'autre part, que la différence de traitement est justifiée par des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord.

1. Le financement des syndicats par l'employeur

  • Modalités du financement

En théorie, le financement des syndicats de salariés devrait être assuré par les seules cotisations syndicales. Toutefois, compte tenu d'un taux de syndicalisation dramatiquement bas, les ressources issues des cotisations sont, en pratique, extrêmement limitées. Aussi, le financement des organisations syndicales prend-il, de longue date, d'autres canaux, plus ou moins avouables et avoués (1).

Pour aller à l'essentiel, outre les cotisations, les ressources de nos syndicats proviennent de financements publics et parapublics et de financements que l'on qualifiera, faute de mieux, de privés. S'agissant de ces derniers, qui seuls nous intéresseront ici, sont, d'abord, visés les financements versés par les entreprises. Loin d'être nouvelle, cette pratique a pris un essor particulier à l'orée des années 1990, avec la signature de nombreux accords d'entreprise relatifs au droit syndical (2). La contribution patronale au financement des organisations syndicales trouve son origine la plus connue dans l'accord Axa, signé en juillet 1990, qui a créé le fameux "chèque syndical" (3). Si la formule adoptée par cet accord a été, par la suite, reprise dans certaines entreprises, d'autres s'en sont quelque peu éloignés en mettant en oeuvre d'autres modalités de financement. Celles-ci sont, aujourd'hui, relativement différentes selon les accords. On peut, néanmoins, les regrouper en deux grandes catégories.

Dans une première série d'accords, la contribution patronale au financement des syndicats passe par l'intermédiaire des salariés, qui se voient remettre un bon, à charge pour eux de l'attribuer ou non à l'organisation syndicale de leur choix. Les autres accords, qui ont institué un financement patronal des organisations syndicales, ont opté pour un mode de financement qui ne fait plus du salarié un intermédiaire de celui-ci. Dans ces accords, en effet, les syndicats se voient remettre une somme forfaitaire annuelle, parfois complétée par une part variable calculée en fonction des résultats obtenus aux dernières élections professionnelles. Quelle que soit la modalité de financement retenue, il faut relever que la plupart des accords en cause soumet le bénéfice de l'avantage à certaines conditions restrictives.

Pour en venir à l'espèce qui nous intéresse, n'était pas en cause un accord d'entreprise, mais un accord de branche et, plus exactement, un accord conclu entre la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment et l'ensemble des organisations syndicales représentatives, le 25 janvier 1994. Visant à organiser la négociation collective dans les entreprises du bâtiment occupant au plus 10 salariés, cet accord étendu fixait le montant de la participation des entreprises au financement du dialogue social dans la branche et répartissait cette participation par parts égales entre les différentes organisations représentatives.

Cet accord a été modifié par un avenant du 20 octobre 2003, qui a abandonné cette répartition égalitaire, pour allouer 3/13ème de la participation à la CFDT, la CGT et la CGT-FO et 2/13ème à la CFTC et à la CFE-CGC. La fédération Bati-Mat-TP CFTC et le syndicat national CFE-CGC du bâtiment ont refusé de signer cet avenant et ont demandé judiciairement son annulation en invoquant une violation du principe d'égalité à valeur constitutionnelle et de l'article L. 120-2 du Code du travail.

  • Licéité du financement

Bien que la question ne soit nullement posée à la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, il importe de dire quelques mots sur la validité du financement des syndicats par l'employeur. On ne saurait, évidemment, tirer partie de la pratique en la matière pour inférer une quelconque licéité de principe d'un tel financement. Bien au contraire, de solides arguments pourraient être opposés à celui-ci et, notamment, le principe de l'indépendance des syndicats à l'égard de l'employeur (4).

Faute de texte précis sur la question, il convient de se tourner vers la jurisprudence. Si la Cour de cassation n'a pas, à notre connaissance, expressément affirmé la licéité du financement patronal, elle l'a admis de manière indirecte dans un important arrêt du 29 mai 2001. On se souvient, en effet, que, dans cette décision, la Chambre sociale a censuré, sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité, la clause conventionnelle réservant le bénéfice d'une subvention de fonctionnement aux seuls syndicats signataires de l'accord collectif en cause (Cass. soc., 29 mai 2001, n° 98-23.078, Union nationale des syndicats CGT-Cegelec c/ Société Cegelec et autres, publié N° Lexbase : A4696AT4 ; Dr. soc. 2001, p. 821, note G. Borenfreund ; D. 2002, p. 34, note F. Petit). Ce faisant, on peut considérer que la Cour de cassation a reconnu la validité du financement des syndicats par l'employeur, tout en la soumettant au respect du principe d'égalité. C'est aussi ce qui ressort de la décision commentée, la Chambre sociale prenant soin de relever qu'aucune organisation syndicale représentative n'était exclue du bénéfice de la contribution au financement du dialogue social.

La licéité de principe du financement patronal étant admise, restait à savoir si la norme conventionnelle peut prévoir une répartition inégalitaire de la contribution de l'employeur. Avant d'envisager cette question, qui est au coeur de l'arrêt sous examen, il importe de relever que n'était pas en cause, à proprement parler, un financement patronal à destination des syndicats, mais, plus exactement, une contribution des entreprises de la branche destinée au financement du dialogue social. Sans doute, l'objectif poursuivi réside-t-il dans le renforcement du dialogue social dans les branches de l'artisanat où celui-ci est généralement peu développé. Il n'en demeure pas moins que la contribution en cause permet, peu ou prou, de financer les organisations syndicales (5).

Il faut, enfin, noter que, dans un arrêt en date du 30 juin 2003, le Conseil d'Etat a admis la licéité de la contribution patronale prévue par l'accord UPA, en affirmant, que "ni les dispositions du sixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution [...], ni les stipulations de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4744AQR) [...] n'interdisent qu'une convention ou un accord collectif étendu institue une contribution à la charge des employeurs pour favoriser le développement du dialogue social dès lors qu'elle n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer, directement, ou indirectement, à quiconque l'adhésion ou le maintien de l'adhésion à une organisation syndicale" (CE 30 juin 2003, n° 248347, Mouvement des entreprises de France et a. N° Lexbase : A2142C99 ; RJS 10/03, n° 1197 ; Adde les concl. de P. Fombeur, Dr. soc. 2003, p. 1112).

2. La répartition de la contribution patronale au financement du dialogue social

  • La faculté de prévoir une répartition inégalitaire

Ainsi que l'indique la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, "ni l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, ni l'article 6 du Préambule de la Constitution, ni l'article L. 120-2 du Code du travail ne font obstacle à ce qu'un accord collectif établisse des règles de répartition inégalitaire d'une contribution au financement du dialogue social entre les organisations syndicales représentatives, dès lors, d'une part, que cette répartition n'a ni pour objet ni pour effet d'imposer à quiconque l'adhésion ou le maintien de l'adhésion à une organisation syndicale, aucune organisation syndicale représentative n'en étant exclue, et que, d'autre part, la différence de traitement est justifiée par des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord".

Ce motif de principe, dont l'importance est évidente, exige d'être décrypté. Tout d'abord, il apparaît que seul un accord collectif est à même de prévoir une répartition inégalitaire d'une contribution patronale au financement du dialogue social, à l'exclusion de toute décision unilatérale de l'employeur. On pourra, certes, s'étonner qu'un syndicat non signataire de l'accord se voit, ainsi, imposer une stipulation à laquelle il n'a point consentie. Mais, il convient de rappeler que ce même syndicat peut, nonobstant sa qualité de tiers à l'acte juridique, revendiquer le bénéfice des avantages qui y sont prévus. C'est bien la moindre des choses qu'ils soient, en contrepartie, tenus de respecter les obligations de ce même accord (6).

Ensuite, la répartition inégalitaire de la contribution patronale n'est admissible que dans la mesure où elle n'a ni pour objet, ni pour effet, d'imposer à quiconque l'adhésion ou le maintien de l'adhésion à une organisation syndicale. La Cour de cassation rejoint, ainsi, le Conseil d'Etat qui, nous l'avons vu précédemment, a apprécié et admis la validité de la contribution en cause à l'aune de la liberté syndicale, envisagée dans son aspect "négatif", c'est-à-dire comme le droit de ne pas se syndiquer (7). Selon la Chambre sociale, dans la mesure où la contribution bénéficie à toutes les organisations syndicales représentatives, la liberté syndicale se trouve préservée. On admettra que ce n'est pas parce qu'un syndicat bénéficie d'une part plus importante qu'un autre, que les salariés sont contraints d'adhérer ou de rester membre de celui-ci. Tout au plus, leur choix peut-il être infléchi dans la mesure où le syndicat mieux doté a la possibilité d'intervenir plus nettement que les autres dans la négociation (8).

Si la liberté syndicale n'est nullement remise en cause par la stipulation litigieuse, qu'en est-il de l'égalité de traitement entre les syndicats dont on sait qu'elle a valeur constitutionnelle ? (9) On aura compris que celle-ci commande, avant tout, qu'aucun syndicat représentatif ne soit exclu du bénéfice de la contribution patronale (10). Au-delà, la Cour de cassation indique très clairement que la part revenant à chacun de ces syndicats peut être variable. Plus exactement, et pour reprendre les termes de l'arrêt, il faut que "la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord".

On constate ainsi que la mise en oeuvre de l'égalité de traitement entre syndicats n'est guère éloignée de l'application du principe d'égalité de traitement entre les salariés (11). Dans un cas comme dans l'autre, l'égalité de traitement exige "seulement" que, pour bénéficier d'un même avantage, les prétendants à ce dernier doivent se trouver dans une situation objectivement identique. Or, affirmer qu'un syndicat représentatif est plus influent qu'un autre dans le champ de l'accord, c'est reconnaître qu'ils ne sont pas dans une situation identique.

  • Les raisons objectives à la différence de traitement

Rappelons que, selon la Chambre sociale, la différence de traitement doit être justifiée par "des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord".

Il semble que, pour la Cour de cassation, seules peuvent être admises, au titre de justifications de la différence de traitement, les raisons liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord. Par suite, la contribution de l'employeur ne pourrait pas varier en fonction d'un autre critère. Il est vrai que, s'agissant d'un accord de branche, on éprouve quelques difficultés à imaginer d'autres critères que celui retenu (12). En outre, il est difficile de trouver un critère plus large que celui de l'influence du syndicat dont il faut rappeler qu'il permet, aujourd'hui, aux côtés de l'indépendance, de déterminer la représentativité des syndicats ne bénéficiant pas de plein droit de cette dernière.

Toutefois, et ainsi que le précise la Cour de cassation, "la représentativité du syndicat CFE-CGC du bâtiment et de la fédération Bati-Mat-TP CFTC et les prérogatives légales qui s'y attachent n'étant pas contestées, les dispositions de l'article L. 133-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5695ACW) n'étaient pas applicables". Cette assertion laisse à penser que l'influence du syndicat dont il est question dans la décision ne saurait être appréciée au regard des critères du texte précité. Cela relève d'une certaine logique, dans la mesure où les syndicats en question bénéficient de la présomption de représentativité. Or, utiliser les critères en cause reviendrait en quelque sorte à demander à ces derniers de prouver leur représentativité, ce qui serait, pour le moins, paradoxal et éminemment contestable. Mais, alors, quels critères retenir ?

La décision laisse entendre qu'ont été pris en compte, en l'espèce, la structure salariale du secteur concerné et le résultat des élections prud'homales. Mais, cela revient à prendre en compte, s'agissant de ce dernier point, l'audience électorale du syndical qui constitue de longue date un critère prétorien permettant d'apprécier la représentativité des syndicats (13).

Au total, la décision rapportée laisse un sentiment mitigé. On peut trouver justifiée la possibilité reconnue aux parties signataires d'un accord collectif d'instaurer une différence de traitement entre syndicats représentatifs, dès lors que ces derniers ne sont pas dans une situation identique. Il n'y a là que la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement. On reste, en revanche, dubitatif quant aux raisons objectives permettant de justifier cette différence de traitement. Sans doute, celles-ci doivent-elles être "matériellement vérifiables" et "liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord". Mais, cela ne nous avance guère quant au fait de savoir quels sont, très concrètement et précisément, ces critères de distinction, même s'il semble que l'audience des syndicats pourrait être un critère à retenir.


(1) Pour un état de lieux de cette question, on se reportera au rapport remis, au mois de mai 2006, par M. Raphaël Hadas-Lebel et intitulé Pour un dialogue social efficace et légitime : représentativité et financement des organisations professionnelles et syndicales.
(2) Pour une virulente critique de ce financement, v. G. Adam, Les syndicats sous perfusion, Dr. soc. 1990, p. 834. Dans le sens d'une appréciation plus favorable, v. N. Notat, A propos de l'accord Axa. Pour une nouvelle relation salariés-syndicats, Dr. soc. 1991, p. 93.
(3) V., sur cette question, notre thèse, Les accords d'entreprise relatifs au droit syndical et à la représentation du personnel, Bordeaux IV, 1997, pp. 343 et s..
(4) Il est vrai que cet argument vaut surtout pour les syndicats qui doivent prouver leur représentativité.
(5) Ainsi que le rappelle M. Hadas-Lebel dans son rapport, cette contribution a suscité une controverse au sein même des milieux patronaux qui s'est exprimée précisément au sujet de l'accord UPA. Le Medef et la CGPME n'ont pas caché leur hostilité à l'égard d'un accord auquel elle reproche d'alourdir leurs charges.
(6) Nous persistons à penser, et cette réflexion le démontre, que la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt "Cegelec" de 2001, est critiquable. Le principe constitutionnel d'égalité exige que tous les syndicats soient convoqués à la négociation. Pour le reste, ils signent ou ils ne signent pas. Mais, dans ce dernier cas, ils sont des tiers à l'acte juridique et ne peuvent pas en bénéficier. Pour éviter à la solution de la Cour de cassation son caractère artificiel, il faudrait admettre qu'en revendiquant le bénéfice de l'accord qu'il n'a pas signé, le syndicat est réputé y avoir adhéré.
(7) Traditionnellement, la liberté syndicale garantie par le Préambule de la Constitution de 1946 s'entend, outre de la liberté d'adhérer au syndicat de son choix, de la liberté de ne pas adhérer à un syndicat.
(8) On doit insister sur le caractère extrêmement relatif de cette assertion. On ose espérer que la décision d'adhérer à un syndicat ne se fait pas sur de tels critères. V., pour des développements plus importants sur cette question, notre thèse, pp. 326 et s..
(9) V. A. Jeammaud, Du principe d'égalité de traitement des salariés, Dr. soc. 2004, p. 694.
(10) Les syndicats non représentatifs peuvent, en revanche, être exclus du bénéfice des stipulations conventionnelles. Cela ne saurait être critiqué, dans la mesure où le législateur lui-même procède de la sorte.
(11) Cela ne faisait, à dire vrai, guère de doute dès lors que, dans les deux cas, est en cause un seul et même principe (v. sur la question l'art. préc. d'A. Jeammaud. Adde notre chron., L'application du principe d'égalité de traitement dans l'entreprise, Dr. soc. 2006, p. 822).
(12) Il en va différemment au niveau de l'entreprise. Ainsi, un certain nombre d'accords relatifs au droit syndical réservent les avantages qu'ils contiennent aux syndicats ayant désigné au moins un délégué syndical dans l'entreprise ou ayant obtenu des élus lors des élections professionnelles. Mais, ces conditions sont à mettre en relation avec l'influence du syndicat.
(13) Relevons que, dans son rapport, M. Hadas-Lebel propose, s'agissant des financements publics et parapublics des syndicats, que soit réexaminée la répartition entre organisations en vue de mieux prendre en compte l'audience de chacune d'entre elles.
Décision

Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 05-45.347, Syndicat national des cadres et employés techniciens agents de maîtrise et assimilés des industries du bâtiment des travaux publics et des activités annexes et connexes CFE-CGC, FS-P+B (N° Lexbase : A7310DYE)

Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. C, 22 septembre 2005, n° 04/14943 N° Lexbase : A9534DKC)

Textes concernés : article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M) ; article 6 du Préambule de la Constitution (N° Lexbase : L6815BHU) ; C. trav., art. L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI).

Mots-clefs : syndicats ; financement patronal ; égalité de traitement ; représentativité.

Lien bases :

newsid:298927

Social général

[Jurisprudence] Prestation sociale jeune handicapé : entre Sécurité sociale des travailleurs migrants et liberté de circulation des travailleurs

Réf. : CJCE, 11 septembre 2007, aff. C-287/05, D. P. W. Hendrix c/ Raad van Bestuur van het Uitvoeringsinstituut Werknemersverzekeringen (N° Lexbase : A0742DY7)

Lecture: 15 min

N8923BCH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209415-edition-n-278-du-25-10-2007#article-298923
Copier

par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010



Comment arbitrer entre deux droits fondamentaux régis par le droit social européen, la Sécurité sociale des travailleurs migrants et la libre circulation des travailleurs ? C'est à cet exercice délicat que la CJCE s'est livrée, optant pour une primauté du second sur le premier.




Résumé

Une prestation (versée au titre de la loi sur l'assurance contre l'incapacité de travail des jeunes handicapés) doit être considérée comme une prestation spéciale à caractère non contributif, au sens de l'article § 2 bis du Règlement (CEE) n° 1408 /71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (N° Lexbase : L4570DLT).

Seule la règle de coordination de l'article 10 bis de ce Règlement doit être appliquée à des personnes qui sont dans la situation du requérant : le versement de cette prestation peut valablement être réservé aux personnes qui résident sur le territoire de l'Etat membre qui sert cette prestation.

Mais, le Règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs (N° Lexbase : L9271BHT) ne s'oppose pas à une législation nationale (hollandaise), conformément au Règlement n° 1408/71, qui prévoit qu'une prestation spéciale à caractère non contributif ne doit être accordée qu'aux personnes qui résident sur le territoire national. Toutefois, la mise en oeuvre de cette législation ne doit pas porter aux droits d'une personne une atteinte qui aille au-delà de ce qu'exige la réalisation de l'objectif légitime poursuivi par la loi nationale. Il appartient au juge national de tenir compte du fait que le travailleur en cause a conservé l'ensemble de ses attaches économiques et sociales dans l'Etat membre d'origine.

En l'espèce, M. H., de nationalité néerlandaise, handicapé mental, a bénéficié d'une prestation octroyée au titre de l'"AAW" (loi sur l'indemnisation des handicapés), transformée le 1er janvier 1998 en une prestation au titre de la "Wajong" (loi sur l'incapacité de travail des jeunes handicapés, qui garantit une allocation financière notamment aux handicapés de naissance). En 1999, il déménage en Belgique tout en continuant à travailler aux Pays-Bas. Par une décision du 28 juin 1999, l'UWV (Institut pour la gestion des assurances des salariés) a décidé de mettre fin à la prestation versée au titre de la "Wajong" à M. H. à partir du 1er juillet 1999, parce que cette loi prévoit que la prestation prend fin à compter du jour où le jeune handicapé a établi sa résidence en dehors des Pays-Bas.

Estimant que la solution du litige nécessite une interprétation du droit communautaire, le Centrale Raad van Beroep a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes : faut-il considérer l'allocation payée au titre de la "Wajong", qui est mentionnée à l'annexe II bis du Règlement n° 1408/71, comme une prestation spéciale à caractère non contributif, au sens de l'article 4 § 2 bis du même Règlement, de sorte que seule la règle de coordination établie en son article 10 bis devra être appliquée à M. H. ? Un travailleur peut-il invoquer l'article 39 du Traité CE (N° Lexbase : L5348BC3) (Règlement n° 1612/68, art. 7), à l'encontre d'un Etat membre dont il est ressortissant alors qu'il n'a travaillé que dans cet Etat membre, mais qu'il réside sur le territoire d'un autre Etat membre ? L'article 39 du Traité CE (Règlement n° 1612/68, art. 7 § 2) est-il compatible avec une disposition d'un régime légal qui fait dépendre l'octroi ou le maintien d'une prestation de la résidence de l'intéressé sur le territoire de l'Etat membre où le régime légal est applicable alors que le régime prévoit une prestation non contributive au sens de l'article 4 § 2 bis du Règlement n° 1408/71 ? Peut-on trouver, dans les caractéristiques de la "Wajong", une justification suffisante pour opposer une condition de résidence à un citoyen de l'Union, qui se trouve pleinement dans les liens d'un contrat d'emploi aux Pays-Bas et qui, de ce fait, est exclusivement soumis à la législation néerlandaise ?

M. H. conteste le refus de lui attribuer la prestation servie au titre de la loi sur l'assurance contre l'incapacité de travail des jeunes handicapés, au motif qu'il ne réside pas aux Pays-Bas. La CJCE lui donne raison, donnant ainsi plein effet au principe de libre circulation des travailleurs (2), même si le régime juridique de la Sécurité sociale des travailleurs migrant n'autorisait pas cette solution (1).

1. Notion de prestation spéciale à caractère non contributif, au sens du Règlement n° 1408/71 sur la Sécurité sociale des travailleurs migrants

La prestation versée au titre de la "Wajong" constitue une prestation spéciale à caractère non contributif soumise au Règlement n° 1408/71 (art. 4 § 2 bis et art. 10 bis), ce dont il résulte que son versement pourrait valablement être subordonné à une condition de résidence.

1.1. Qualification juridique de prestation sociale à caractère non contributif

Il faut rappeler que le Règlement n° 1408/71 s'applique à toutes les législations relatives aux branches de Sécurité sociale qui concernent les prestations de maladie et de maternité ; les prestations d'invalidité, y compris celles qui sont destinées à maintenir ou à améliorer la capacité de gain (Règlement n° 1408/71, art. 4). Le Règlement n° 1408/71 s'applique aux prestations spéciales à caractère non contributif relevant d'une législation ou d'un régime autres que ceux qui sont visés (supra), lorsque ces prestations sont destinées soit à couvrir les branches maladie, maternité, invalidité, soit uniquement à assurer la protection spécifique des handicapés. Le Règlement n° 1408/71 ne s'applique pas à l'assistance sociale (art. 2 bis).

S'agissant des prestations spéciales à caractère non contributif (Règlement n° 1408/71, art. 4 § 2 bis), l'article 10 bis § 1 de ce Règlement prévoit que les travailleurs migrants bénéficient des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif (visées à l'article § 2 bis) exclusivement sur le territoire de l'Etat membre dans lequel ils résident et au titre de la législation de cet Etat. Les prestations sont servies par l'institution du lieu de résidence et à sa charge.

En l'espèce, à l'annexe II bis, sous J, du Règlement n° 1408/71, les prestations qui, aux Pays-Bas, sont accordées en vertu de la "Wajong" sont qualifiées de prestations spéciales à caractère non contributif. La "Wajong" prévoit le versement d'une prestation d'un niveau minimal aux jeunes qui sont déjà atteints d'une incapacité de travail totale ou partielle de longue durée avant leur entrée sur le marché du travail.

La prestation prévue par la "Wajong" est versée par le Fonds pour les jeunes handicapés frappés d'incapacité de travail et est financée par le Trésor public. La prestation servie au titre de la "Wajong" ne peut être versée si le bénéficiaire ne réside pas aux Pays-Bas. L'article 17 § 1 de la "Wajong" prévoit, en effet, que le droit à la prestation d'incapacité de travail s'éteint le jour où le jeune handicapé a établi sa résidence en dehors des Pays-Bas. Il peut, toutefois, être dérogé à cette règle lorsque l'extinction du droit à la prestation conduit à une situation d'"injustice majeure" (art. 17 § 7 de la "Wajong"). Par décision du 29 avril 2003, l'UWV a précisé qu'il existe une "injustice majeure" lorsque le jeune handicapé a des raisons impérieuses d'établir sa résidence en dehors des Pays-Bas et lorsqu'il y a lieu de s'attendre à ce que l'interruption du paiement de cette prestation le lèse de manière significative.

Sont considérés comme des raisons impérieuses, le fait de suivre un traitement médical d'une certaine durée, l'acceptation d'un emploi offrant une certaine perspective de réintégration ou le besoin de suivre les personnes dont le jeune handicapé dépend, lorsque ces personnes sont contraintes de quitter les Pays-Bas.

M. H. soutient que seules les prestations ne relevant pas des législations visées à l'article 4 § 1 du Règlement n° 1408/71 peuvent être considérées comme des prestations spéciales à caractère non contributif. Il fait valoir qu'une prestation octroyée sur le fondement d'un besoin constituerait une prestation spéciale. Il avance, ainsi, que la prestation prévue par la "Wajong" est destinée à couvrir une baisse de revenus découlant de la réalisation de l'un des risques visés à l'article 4 § 1 du Règlement n° 1408/71.

Le Gouvernement hollandais considère que la prestation prévue par la "Wajong" constitue une prestation spéciale, dans la mesure où elle vient en remplacement non pas d'une perte de revenus (en ce cas, il s'agirait d'une prestation de Sécurité sociale), mais d'une présomption de perte de revenus, les jeunes handicapés n'étant pas assimilés à des travailleurs. Le Gouvernement néerlandais considère que cette prestation constitue une prestation de remplacement destinée aux personnes ne remplissant pas les conditions d'assurance pour obtenir une prestation d'invalidité normale.

La Commission des Communautés européennes estime que la prestation prévue par la "Wajong" est une prestation mixte relevant à la fois de la Sécurité sociale et de l'assistance sociale. Cette prestation constituerait une prestation spéciale puisque, bien que couvrant la même éventualité, elle concernerait des personnes qui, n'ayant pas d'antécédents professionnels, n'ont jamais été assurées en application de la "WAO" ou de la loi sur l'assurance contre l'incapacité de travail des travailleurs indépendants, du 24 avril 1997, et n'auraient d'ailleurs jamais pu l'être.

1.2. Conséquence attachée à cette qualification : non exportabilité des prestations

La CJCE (arrêt rapporté, point 35) tranche le débat qui, sur le fond, ne pose guère de difficulté. Dans un arrêt du 6 juillet 2006 (CJCE, 6 juillet 2006, aff. C-154/05, J. J. Kersbergen-Lap c/ Raad van Bestuur van het Uitvoeringsinstituut Werknemersverzekeringen N° Lexbase : A2714DQL) (1), la Cour a dit pour droit qu'une prestation servie au titre de la "Wajong" doit être considérée comme une prestation spéciale à caractère non contributif au sens de l'article 4 § 2 bis du Règlement n° 1408/71.

Dans l'arrêt "Kersbergen-Lap et Dams-Schipper", précité (point 43), la Cour a jugé qu'une personne dans la situation du requérant au principal ne saurait se prévaloir d'aucun droit à la conservation des avantages acquis au titre de l'"AAW" antérieurement à l'adoption de la "Wajong". Les conséquences juridiques (le caractère exportable ou non de la prestation servie au titre de la "Wajong") engendrées par l'établissement de la résidence en dehors des Pays-Bas doivent, par voie de conséquence, être examinées à la lumière des règles applicables au moment de ce nouvel établissement, c'est-à-dire à la lumière des nouvelles dispositions.

Bref, pour la CJCE, une prestation telle que celle servie au titre de la "Wajong" doit être considérée comme une prestation spéciale à caractère non contributif, au sens du Règlement n° 1408/71 (article 4 § 2 bis). Seule la règle de coordination de l'article 10 bis de ce Règlement doit être appliquée à M. H.. Le versement de cette prestation peut valablement être réservé aux personnes qui résident sur le territoire de l'Etat membre qui sert cette prestation. La circonstance que l'intéressé recevait auparavant une prestation pour jeunes handicapés qui était exportable est sans incidence sur l'application de ces dispositions.

2. Notion de prestation spéciale à caractère non contributif, au sens du Règlement n° 1612/68 sur la liberté de circulation des travailleurs

L'article 7 du Règlement n° 1612/68, édicté pour l'application des dispositions du Traité CE relatives à la libre circulation des travailleurs, dispose que le travailleur ressortissant d'un Etat membre ne peut, sur le territoire des autres Etats membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment, en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.

La juridiction de renvoi demande si M. H. peut se prévaloir de l'article 39 du Traité CE (Règlement n° 1612/68, art. 7) et si ces textes s'opposent à ce que le versement de la prestation servie au titre de la "Wajong" soit interrompu au motif qu'il a quitté les Pays-Bas.

2.1. Qualité de travailleur migrant

M. H. estime qu'il doit être considéré comme un travailleur ayant exercé son droit de libre circulation au sens du droit communautaire. Il s'appuie, notamment, sur l'affaire "Terhoeve" (CJCE, 26 janvier 1999, aff. C-18/95, F.C. Terhoeve c/ Inspecteur van de Belastingdienst Particulieren/Ondernemingen buitenland N° Lexbase : A1934AWK), dans laquelle la Cour a jugé que tout ressortissant communautaire qui fait usage de son droit à la libre circulation des travailleurs et qui exerce une activité professionnelle dans un autre Etat membre relève du champ d'application du Règlement n° 1612/68, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité.

Il souligne, également, que dans l'affaire "Meints" (CJCE, 27 novembre 1997, aff. C-57/96, H. Meints c/ Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij N° Lexbase : A0354AWZ), la Cour a jugé que le Règlement n° 1612 /68 ne permet pas de subordonner l'octroi d'un avantage social à la condition que le bénéficiaire réside sur le territoire de l'Etat membre qui doit lui servir la prestation.

En l'espèce, M. H. était employé dans un magasin de bricolage aux Pays-Bas. Le 1er juin 1999, il a déménagé en Belgique, mais a, toutefois, conservé son emploi aux Pays-Bas, dans le même magasin où il percevait une rémunération inférieure au salaire minimal légal (cette rémunération était complétée par la prestation servie au titre de la "Wajong"). L'UWV a, par décision du 28 juin 1999, suspendu le service de ces prestations, à compter du 1er juillet 1999. Selon la CJCE (arrêt rapporté, point 46), M. H. doit être considéré comme une personne qui, tout en conservant une activité salariée dans son Etat d'origine, a transféré sa résidence dans un autre Etat membre, puis a retrouvé une autre activité salariée dans son Etat d'origine. La circonstance que M. H., après s'être installé en Belgique, a continué à travailler aux Pays-Bas puis a changé d'employeur dans ce même Etat lui donne la qualité de travailleur migrant et l'a fait entrer, pendant toute la période en cause dans le litige au principal, soit du mois de juin 1999 à l'année 2001, dans le champ d'application du droit communautaire, et, en particulier, dans le champ d'application de celles de ses dispositions qui concernent la liberté de circulation des travailleurs (CJCE, 21 février 2006, aff. C-152/03, Hans-Jürgen Ritter-Coulais c/ Finanzamt Germersheim N° Lexbase : A0043DNW, points 31 et 32 ; CJCE, 18 juillet 2007, aff. C-212/05, Gertraud Hartmann c/ Freistaat Bayern N° Lexbase : A4370DX7, point 17).

En vertu de l'article 7 du Règlement n° 1612/68, un travailleur migrant bénéficie des mêmes avantages sociaux que ceux qui sont accordés aux travailleurs nationaux. Selon une jurisprudence constante, la notion de "travailleur" visée par cette disposition couvre les travailleurs frontaliers qui peuvent s'en prévaloir au même titre que tout autre travailleur visé par cette disposition (voir, en ce sens, CJCE, 27 novembre 1997, aff. C-57/96, H. Meints c/ Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij N° Lexbase : A0354AWZ, point 50 ; CJCE, 8 juin 1999, aff. C-337/97, C.P.M. Meeusen c/ Hoofddirectie van de Informatie Beheer Groep N° Lexbase : A0539AWU, point 21 et CJCE 18 juillet 2007, Hartmann, précité, point 24) (2).

2.2. Reconnaissance de la qualité de travailleur migrant et bénéfice de l'"avantage social"

- La notion d'"avantage social" (Règlement n° 1612/68, art. 7 § 2) couvre tous les avantages qui, liés ou non à un contrat d'emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux en raison, principalement, de leur qualité de travailleurs ou du simple fait qu'ils ont leur résidence ordinaire sur le territoire national et dont l'extension aux travailleurs migrants apparaît, dès lors, comme de nature à faciliter leur mobilité à l'intérieur de la Communauté (CJCE, 27 mars 1985, aff. C-249/83, Vera Hoeckx c/ Centre public d'aide sociale de Kalmthout N° Lexbase : A8217AUU, point 20 ; CJCE, 12 mai 1998, aff. C-85/96, María Martínez Sala c/ Freistaat Bayern N° Lexbase : A1877AWG, point 25) (3).

Selon la CJCE (arrêt rapporté, point 49), la prestation servie au titre de la "Wajong" est un avantage qui est reconnu aux travailleurs qui, du fait d'une maladie ou d'une infirmité, ne sont pas en mesure de gagner, par leur travail, ce qu'une personne en bonne santé d'un même niveau de formation et d'expérience gagne habituellement par son travail. Ainsi que l'estime le juge de renvoi, la prestation en cause constitue donc un avantage social au sens de l'article 7 § 2 du Règlement n° 1612/68. Or, la CJCE a jugé qu'un Etat membre ne saurait subordonner l'octroi d'un avantage social au sens de l'article 7 à la condition que les bénéficiaires de l'avantage aient leur résidence sur le territoire national de cet Etat membre (arrêts précités, CJCE, 27 novembre 1997, aff. C-57/96, "Meints", point 51 et CJCE, 8 juin 1999, aff. C-337/97 "Meeusen", point 21) (4).

La CJCE reconnaît que la prestation servie au titre de la "Wajong" fait partie des prestations spéciales à caractère non contributif (Règlement n° 1408/71, article 4 § 2 bis, et 10 bis), dont le bénéfice peut légalement être réservé aux personnes qui résident sur le territoire de l'Etat membre dont la législation prévoit une telle prestation. Le Règlement n° 1612/68 portant sur la libre circulation des travailleurs (article 42 § 2) dispose que celui-ci ne porte pas atteinte aux dispositions prises conformément à l'article 51 du Traité (devenu, après modification, article 42 du Traité CE), ce qui est le cas s'agissant d'un Règlement de coordination, tel que le Règlement n° 1408 /71.

Toutefois, ainsi que la CJCE l'a jugé de façon constante, les dispositions du Règlement n° 1408/71 doivent être interprétées à la lumière de l'objectif de cet article qui est de contribuer à l'établissement d'une liberté de circulation des travailleurs migrants aussi complète que possible (CJCE, 8 mars 2001, aff. C-215/99, Friedrich Jauch c/ Pensionsversicherungsanstalt der Arbeiter N° Lexbase : A0284AWG, point 20) (5). En effet, l'article 7 § 2 du Règlement n° 1612/68 est l'expression particulière, dans le domaine spécifique de l'octroi d'avantages sociaux, de la règle de l'égalité de traitement consacrée à l'article 39 § 2 CE et doit être interprété de la même façon que cette dernière disposition (CJCE, 23 février 2006, aff. C-205/04, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d'Espagne N° Lexbase : A1458DNC, point 15).

- Il en résulte, pour la CJCE (arrêt rapporté, point 52) que la condition de résidence pour le bénéfice de la prestation servie au titre de la "Wajong" ne peut être opposée à M. H. que si elle est objectivement justifiée et proportionnée à l'objectif poursuivi. Or, selon la CJCE, la prestation servie au titre de la "Wajong" est étroitement liée au contexte socio-économique de l'Etat membre concerné, puisqu'elle dépend du salaire minimal et du niveau de vie aux Pays-Bas. De plus, cette prestation fait partie des prestations spéciales à caractère non contributif visées aux dispositions combinées des articles 4 § 2 bis, et 10 bis du Règlement n° 1408/71, dont les personnes auxquelles ce Règlement est applicable bénéficient exclusivement sur le territoire de l'Etat membre dans lequel elles résident et au titre de la législation de cet Etat. Il s'ensuit que la condition de résidence, en tant que telle, prévue par la législation nationale, est objectivement justifiée (arrêt rapporté, point 55).

- Encore faut-il que la mise en oeuvre de ladite condition ne porte pas aux droits qu'une personne dans la situation de M. H. tient de la libre circulation des travailleurs une atteinte qui aille au-delà de ce qu'exige la réalisation de l'objectif légitime poursuivi par la loi nationale.

Or, la législation hollandaise prévoit expressément qu'il peut être dérogé à la condition de résidence lorsque celle-ci conduit à une "injustice majeure". Selon une jurisprudence bien établie, il appartient aux juridictions nationales d'interpréter, dans toute la mesure du possible, le droit national dans un sens qui soit compatible avec les exigences du droit communautaire (CJCE, 13 novembre 1990, aff. C-106/89, Marleasing SA c/ La Comercial Internacional de Alimentacion SA N° Lexbase : A7475AHC (6), Rec. p. I, 4135, point 8, et CJCE, 5 octobre 2004, aff. C-397/01, Bernhard Pfeiffer, Wilhelm Roith, Albert, Michael Winter, Klaus Nestvogel, Roswitha Zeller, Matthias Döbele c/ Deutsches Rotes Kreuz, Kreisverband Waldshut eV N° Lexbase : A5431DDI, point 113, (7)).

Le juge de renvoi doit donc s'assurer que, dans les circonstances de l'affaire concernée, l'exigence d'une condition de résidence sur le territoire national ne conduit pas à une telle injustice compte tenu du fait que M. H. a exercé son droit à la libre circulation des travailleurs et qu'il a conservé ses attaches économiques et sociales aux Pays-Bas.

Au final, selon la CJCE, les articles 39 du Traité CE et 7 du Règlement n° 1612/68 doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une législation nationale qui fait application des articles 4 § 2 bis et 10 bis du Règlement n° 1408/71 et prévoit qu'une prestation spéciale à caractère non contributif figurant à l'annexe II bis de ce dernier Règlement ne peut être accordée qu'aux personnes qui résident sur le territoire national. Toutefois, la mise en oeuvre de cette législation ne doit pas porter aux droits de M. H. une atteinte qui aille au-delà de ce qu'exige la réalisation de l'objectif légitime poursuivi par la loi nationale. Il appartient au juge national, qui doit donner à la loi nationale, dans toute la mesure du possible, une interprétation compatible avec le droit communautaire, de tenir compte du fait que le travailleur en cause a conservé l'ensemble de ses attaches économiques et sociales dans l'Etat membre d'origine.


(1) L. Idot, Non exportabilité des prestations spéciales à caractère non contributif, Europe 2006, octobre, nº 278, p.18-19.
(2) Ch. Willmann, Liberté de circulation des travailleurs et bénéfice d`un avantage social, Lexbase Hebdo n° 273 du 20 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N4733BCB).
(3) L. Idot, Europe 1998, juillet, Comm. nº 241, p.14 ; P. Cabral, La jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance, Revue du marché unique européen 1998 nº 3 p. 254-256 ; A. Whelan, Revue des affaires européennes 1999, p. 228-238.
(4) L. Idot, Europe 1999, août-septembre, Comm. nº 296, p. 19 ; M. Luby, Chronique de jurisprudence du Tribunal et de la Cour de justice des Communautés européennes, Journal du droit international 2000, p. 477-478 ; J.-P. Lhernould, Avantages sociaux et égalité de traitement, Dr. Soc. 1999, p. 938-939.
(5) F. Kessler, L'exportation de prestations non contributives de Sécurité sociale : du nouveau, Droit social 2001, p. 751-753 ; J.-P. Lhernould, Exportation des prestations sociales non contributives dans l'espace communautaire: acte III, RJS 2001, p. 387-390.
(6) M. Coipel, Revue de droit commercial belge, 1991, p.878-879 ; Y. Chaput, Absence d'annulation d'une société anonyme dont l'objet réel est illicite, Revue des sociétés 1991 p. 535-538.
(7) J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert, Absence d'effet direct horizontal des directives, AJDA 2004 p. 2265-2267 ; L. Idot, Application des directives sur la sécurité et la santé du travail à des secouristes, Europe 2004, décembre, Comm. nº 404, p.17-18 ; J.-P. Lhernould, Le temps de travail en quête de nouveaux repères, RJS, 2004, p. 871-881 ; F. Meyer, Droit communautaire du travail, D. 2005, Pan. p. 2783-2789.
Décision

CJCE, 11 septembre 2007, aff. C-287/05, D. P. W. Hendrix c/ Raad van Bestuur van het Uitvoeringsinstituut Werknemersverzekeringen (N° Lexbase : A0742DY7)

Textes visés : Traité CE, art. 12 , 17 , 18 et 39 (N° Lexbase : L5348BC3) ; Règlement (CEE) n° 1408/71, articles 4 § 2 bis, et 10 bis ainsi que annexe II bis (N° Lexbase : L4570DLT) ; Règlement (CEE) n° 1612/68, article 7 § 1 (N° Lexbase : L9271BHT).

Mots-clefs : prestations spéciales à caractère non contributif ; prestation néerlandaise pour jeunes handicapés ; caractère non exportable.

newsid:298923

Responsabilité

[Doctrine] Le pouvoir de substitution d'action du préfet en matière de police administrative n'engage que rarement la responsabilité de l'Etat

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 25 juillet 2007, n° 283000, Société France Télécom (N° Lexbase : A4782DXE) ; CE 4° et 5° s-s-r., 25 juillet 2007, n° 293882, Ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire (N° Lexbase : A4836DXE)

Lecture: 25 min

N9134BCB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209415-edition-n-278-du-25-10-2007#article-299134
Copier

par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)

Le 07 Octobre 2010

Par deux décisions en date du 25 juillet 2007 (1), la Haute juridiction administrative, après avoir rappelé que l'Etat pouvait être déclaré responsable des dommages causés aux tiers du fait de la décision du préfet de ne pas se substituer au maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police, en application de l'article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) (N° Lexbase : L8592HW7), a confirmé la jurisprudence traditionnelle (2) selon laquelle cette responsabilité ne peut être engagée qu'en cas de faute lourde du préfet. Si, sur le principe de la nécessité d'une faute lourde, le Conseil d'Etat a confirmé les solutions retenues par la cour administrative d'appel de Versailles le 19 mai 2005 (3) et la cour administrative d'appel de Marseille, le 13 avril 2006, elle a, cependant, dans les deux cas, refusé de faire application de ce principe, infirmant en cela ce dernier arrêt, en relevant que les services de l'Etat avaient "mené diverses actions destinées à aider les maires concernés à faire cesser ces troubles" (4). C'est dire que l'engagement de la responsabilité de l'Etat pour faute lourde du préfet à raison de l'exercice, ou de l'absence d'exercice, de son pouvoir de substitution, devrait rester exceptionnel. En effet, lorsqu'il exerce son pouvoir de substitution, le préfet ne peut engager la responsabilité de l'Etat vis-à-vis des tiers que pour faute lourde et que s'il n'a pas mis le maire en demeure d'exercer ses pouvoirs de police, puisque, dans le cas contraire, seule sa responsabilité peut être engagée (5). Dans le cas, en revanche, où il refuse d'exercer son pouvoir de substitution, le préfet ne peut également engager la responsabilité de l'Etat que pour faute lourde et que s'il est resté véritablement inactif, pour ne pas dire inerte, face à une situation compromettant l'ordre public (6) : l'on peut penser que ce sera rarement le cas. Toutefois, la seconde décision du 25 juillet 2007 a opportunément rappelé que la responsabilité de la commune vis-à-vis des tiers pouvait, quant à elle, être engagée sur le terrain de la faute simple, conformément à ce qu'il en est, en général, en matière de police municipale.

Ces deux décisions sont l'occasion de rappeler les principales caractéristiques du pouvoir de substitution d'action du préfet en matière de protection de l'ordre public communal (I) et d'examiner la nature et l'étendue de la responsabilité qu'il fait encourir à l'Etat à raison de son action ou de son inaction (II).

I - Le pouvoir de substitution d'action du préfet porte atteinte à la répartition des compétences entre celui-ci et l'exécutif local et ne peut être mis en oeuvre que si l'inaction de ce dernier compromet l'ordre public local

A - Le pouvoir de substitution d'action du préfet a pour originalité de lui permettre d'exercer temporairement une compétence appartenant normalement au maire, mais que celui-ci s'abstient de mettre en oeuvre

1) Origine et objet du pouvoir de substitution du préfet

Le pouvoir de substitution d'action du préfet vis-à-vis de l'exécutif local trouve son origine dans la nécessité de remédier à la carence du maire à exécuter les lois ou à prendre les mesures qui s'imposent dans une situation donnée. Le pouvoir de substitution d'action concerne, ainsi, tout autant le maire pris en tant qu'agent de l'Etat que le maire pris en tant qu'exécutif local. A la suite de la loi du 18 juillet 1837, sur l'administration communale, ce sont les articles 85 et 99 de la loi du 5 avril 1884, relative à l'organisation municipale, qui ont prévu ce pouvoir et qui sont aujourd'hui codifiés aux articles L. 2122-34 (7) et L. 2215-1-1° (8) du CGCT. Dans l'esprit de ses concepteurs, il s'agissait de passer outre l'inertie dommageable (pour les tiers, l'ordre public, l'intérêt général) du maire, de "remplacer d'office le maire qui ne veut pas agir, quand les actes sont prescrits par la loi au maire, soit considéré comme agent de l'administration générale soit comme représentant de l'administration locale", ce droit du préfet ne s'étendant pas, toutefois, "aux actes que le préfet jugerait seulement utiles aux attributions de police municipale dont le maire a l'initiative" et ayant pour but, "non de confisquer indirectement l'autorité municipale au profit de l'autorité préfectorale, mais seulement de satisfaire aux exigences rigoureuses du service administratif" (9). L'étendue du pouvoir de substitution d'action et la durée de son exercice sont, ainsi, dès l'origine, étroitement circonscrites : le préfet ne peut user que de la seule compétence normalement dévolue au maire, sans pouvoir l'excéder, et seulement le temps nécessaire à la résolution du problème en cause.

Dans un article qu'il lui a consacré, B. Plessix définit le pouvoir de substitution d'action comme "une prérogative de puissance publique, un procédé de coercition interne à la puissance publique et de lutte contre sa propre inaction, ayant pour effet, en dehors de toute circonstance exceptionnelle, de perturber la répartition des compétences, en permettant à une autorité administrative d'agir au lieu et place d'une autre autorité, quelle qu'elle soit, déconcentrée ou décentralisée, dont le refus d'exercer la compétence liée qui lui est légalement dévolue est de nature à porter atteinte à la continuité de l'Etat et des services publics" (10). Cette définition a le mérite de mettre en lumière la principale originalité du pouvoir de substitution d'action qui est de permettre au représentant de l'Etat (en général) d'exercer à la place du maire la compétence de celui-ci : il n'y a, donc, nullement transfert de compétence du maire au préfet, mais substitution du préfet au maire dans l'exercice de la compétence de ce dernier. Autrement dit, ce n'est pas la compétence, mais l'autorité qui exerce cette compétence qui est modifiée et déplacée. Cependant, l'assimilation du pouvoir de substitution d'action à une prérogative de puissance publique n'est pas aussi convaincante : d'une part, parce que le pouvoir de substitution d'action peut (certes rarement) être exercé par une personne privée (CGCT, art. L. 2135-5 N° Lexbase : L8660AAY), qui permet au contribuable communal d'exercer, sous réserve de l'autorisation du tribunal administratif, les actions qu'il croit appartenir à la commune et que celle-ci, "préalablement appelée à en délibérer, a refusé ou négligé d'exercer"), d'autre part, parce que la notion de prérogative de puissance publique vise, en général, les rapports entre la puissance publique et les administrés et, précisément, ce qui manifeste la différence de nature et d'objet entre la première et les seconds, alors qu'en ce qui concerne le pouvoir de substitution d'action, la "prérogative de puissance publique" est exercée par la puissance publique (le préfet) sur la puissance publique (le maire comme exécutif local). A cet égard, si le pouvoir de décision unilatérale caractérise la prérogative de puissance, il faut souligner qu'en ce qui concerne le pouvoir de substitution d'action, notamment, du préfet vis-à-vis du maire, il n'y a de décision unilatérale du premier que parce qu'il n'y a pas eu de décision unilatérale du second ou, pour le dire autrement, il n'y a usage d'une prérogative de puissance publique par celui-là que parce qu'il n'y a pas eu recours à une prérogative de puissance publique par celui-ci.

Au total, le pouvoir de substitution d'action du préfet vis-à-vis du maire constitue, donc, un pouvoir de contrainte opérant une substitution du premier au second dans l'exercice de la compétence du second (c'est la nature de ce pouvoir) visant à remédier à l'inaction de ce dernier, alors que la situation exige pourtant une intervention, et, en général, une décision, de sa part. Soulignons, enfin, qu'à quelques exceptions près (11), le pouvoir de substitution est un pouvoir discrétionnaire du représentant de l'Etat, une faculté dont il dispose. La jurisprudence est, à cet égard, explicite qui use du terme de "faculté" (12) et rappelle que l'autorité substituante dispose toujours du pouvoir d'apprécier, dans les circonstances de l'espèce, si elle peut user de sa compétence de substitution (13).

2) Un pouvoir qui se distingue des pouvoirs habituels en ce qu'il permet au préfet d'agir aux lieu et place du maire

Le pouvoir de substitution d'action du préfet vis-à-vis du maire ne saurait, d'abord, et bien sûr, s'apparenter à un pouvoir hiérarchique, même s'il comporte une indéniable part de contrainte et s'il est, au fond même, essentiellement un pouvoir de contrainte. En effet, le pouvoir hiérarchique, à la différence du pouvoir de substitution, n'intervient que lorsque l'autorité subordonnée est déjà intervenue en prenant une décision ; en outre, il intervient sans bouleverser l'exercice des compétences, puisque l'autorité hiérarchique ne peut empiéter sur les compétences de l'autorité subordonnée, sous peine d'entacher sa décision d'illégalité (14). Enfin, il faut souligner, avec B. Plessix (15), qu'à la différence du pouvoir de substitution d'action, le pouvoir hiérarchique existe de plein droit (alors que chaque pouvoir de substitution doit être prévu par un texte), s'exerce aussi bien pour des raisons d'opportunité que de légalité, n'est pas subordonné à l'inaction de l'autorité subordonnée et ne nécessite nullement l'intervention d'une mise en demeure.

Il faut, par ailleurs, préciser que lorsque le préfet exerce le pouvoir qu'il tire des dispositions de l'article L. 2215-1-1° du CGCT, il ne se situe nullement dans l'exercice du contrôle de légalité, ce, d'abord, pour la bonne et simple raison qu'il n'y a aucun acte à contrôler, le maire s'étant précisément distingué par son abstention à prendre toute décision. Plus généralement, alors qu'en matière de contrôle de légalité, le préfet prend une décision qui lui est propre, il ne fait en matière de substitution d'action qu'exercer une compétence du maire aux lieu et place de celui-ci : l'on comprend, donc, qu'à défaut d'ôter une compétence au maire, et, donc, en n'opérant aucun transfert de compétence, le pouvoir de substitution d'action ne peut en lui-même porter atteinte au principe de libre administration des collectivités locales, ainsi que l'a indiqué le Conseil constitutionnel (16).

A cet égard, il faut souligner que le pouvoir de substitution d'action du préfet au maire ne peut trouver à s'exercer que sur le territoire d'une seule commune : il "ne peut être exercé par le représentant de l'Etat dans le département à l'égard d'une seule commune qu'après une mise en demeure au maire restée sans résultat" (CGCT, art. L. 2215-1-1°, alinéa 2). En d'autres termes, c'est seulement lorsque les mesures à prendre affectent le territoire d'une seule commune et n'ont pas été prises par le maire de cette commune que le préfet peut exercer la compétence que ce dernier n'a pas exercée en engageant éventuellement la responsabilité de la commune. C'est pourquoi les autres hypothèses d'intervention du préfet prévues par les dispositions de l'article L. 2215-1 du CGCT, qui trouvent à s'exercer lorsque les mesures à prendre affectent le territoire de plusieurs ou de toutes les communes du département, loin d'attribuer au préfet un pouvoir de substitution d'action, lui permettent seulement d'exercer une compétence, certes concurrente de celle des maires des communes, mais une compétence propre au représentant de l'Etat qu'il est.

Ainsi, les dispositions de l'article L. 2215-1-1°, alinéa 1, du CGCT, selon lequel "le représentant de l'Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques", concernent une hypothèse, non pas de substitution d'action, mais de superposition de compétences entre le préfet et le maire (17) : la jurisprudence y voit clairement un pouvoir du préfet en tant que représentant de l'Etat (et non, si l'on peut dire, en tant que "maire", c'est-à-dire en tant qu'autorité agissant aux lieu et place du maire) (18). Il y a, donc, superposition de compétences, non pas tant au sens d'exercice simultané de leurs compétences par les maires et le préfet (puisque ce dernier n'intervient précisément que parce que les premiers n'ont pas pris les mesures nécessaires), qu'au sens de non-confusion de ces compétences : contrairement à ce qui se produit en matière de substitution d'action, la compétence exercée par le préfet ne se confond pas, ne s'identifie pas, avec la compétence exercée par les maires et, en particulier et en conséquence, elle n'engage pas la responsabilité de ces derniers et de leurs communes mais la responsabilité de l'Etat. C'est, d'ailleurs, pour cela qu'aucune mise en demeure n'est prévue lorsque les mesures à prendre affectent le territoire de plusieurs ou de toutes les communes du département : la compétence et la responsabilité sont, en effet, toujours celles de l'Etat, alors qu'en matière de substitution d'action, c'est l'existence ou l'absence mêmes d'une mise en demeure qui détermine l'autorité compétente et responsable. Dès lors qu'une mise en demeure régulière est adressée au maire et reste infructueuse, ce dernier engage la responsabilité de la commune. En revanche, si la mise en demeure est irrégulière et/ou fructueuse (19), le préfet engage la responsabilité de l'Etat en agissant.

Au sein même des dispositions de l'article L. 2215-1-1°, alinéa 1, il faut, donc, distinguer le premier alinéa, qui concerne l'exercice par le préfet au nom de l'Etat d'une compétence concurrente des compétences normalement exercées par les maires des communes concernées, du second alinéa, qui concerne l'exercice par le préfet au nom de la commune d'une compétence appartenant en propre au maire de cette commune et qui seule relève du pouvoir de substitution d'action (20). La jurisprudence sanctionne, d'ailleurs, comme un détournement de pouvoir l'utilisation par le préfet de ses compétences concurrentes en matière de police municipale (CGCT, art. L. 2215-1-1°, alinéa 1) lorsqu'il ne les exerce qu'à l'égard d'une seule commune (21) : c'est qu'en effet une telle utilisation détournée lui permet de se dispenser illégalement de l'exigence d'une mise en demeure préalable indispensable à la mise en oeuvre du pouvoir de substitution d'action qui ne peut s'exercer qu'à l'égard d'une seule commune.

De même, les dispositions de l'article L. 2215-1-3° du CGCT, selon lesquelles "le représentant de l'Etat dans le département est seul compétent pour prendre les mesures relatives à l'ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d'application excède le territoire d'une commune", concernent une hypothèse dans laquelle le préfet exerce une compétence qui lui est propre et ne s'identifie, donc, pas à l'exécutif municipal.

Au total, le pouvoir de substitution d'action prévu par les dispositions de l'article L. 2215-1-1°, alinéa 2, du CGCT opère une totale identification du préfet au maire : le préfet disparaît alors en tant qu'autorité étatique. Bien plus, même, il disparaît en quelque sorte en tant que préfet pour devenir maire. L'on ne peut, donc, parler ici de représentation du maire, puisque cela supposerait une distinction personnelle et organique entre préfet et maire : tout simplement, le préfet est maire le temps de prendre les mesures que celui-ci aurait dû prendre pour faire face à une situation donnée.

B - Le pouvoir de substitution d'action ne peut, cependant, être mis en oeuvre qu'à la suite d'une mise en demeure infructueuse, sous peine d'engager la responsabilité de l'Etat

1) Objet et nature de la mise en demeure adressée par le préfet au maire

Rappelons-le, le pouvoir de substitution d'action du préfet au maire ne peut trouver à s'exercer "qu'après une mise en demeure au maire restée sans résultat" (CGCT, art. L. 2215-1-1°, alinéa 2). Cette mise en demeure a, d'abord, pour objet d'interpeller le maire sur la nécessité de prendre des mesures face à une situation donnée, tout en lui laissant le temps de réfléchir à la nature de ces mesures : le maire est, donc, averti qu'il doit agir, mais il dispose d'un délai pour déterminer la nature de son action et, éventuellement, pour convaincre le préfet, soit qu'il a déjà pris les mesures appropriées et qu'aucune mesure nouvelle ne s'impose, soit que la situation n'appelle, en fait, aucune action particulière.

La mise en demeure a, ensuite, pour objet d'ôter au maire la possibilité d'invoquer ultérieurement un empiètement arbitraire sur ses compétences : en effet, à défaut d'avoir réagi à la mise en demeure, le maire consent, au moins implicitement, mais en tout cas nécessairement, à ce que le préfet agisse en ses lieu et place ; il accepte, donc, un tel empiètement.

Enfin, la mise en demeure a pour objet de déterminer l'autorité responsable en cas de dommages : si elle est régulière et infructueuse, les fautes éventuelles commises par le préfet agissant en lieu et place du maire engagent la responsabilité de la commune (22) ; si elle est irrégulière ou infructueuse, le préfet agit alors en tant que représentant de l'Etat, puisque le maire ne peut être regardé comme ayant consenti à ce qu'il exerce ses propres compétences en ses lieu et place, et il engage, alors, la responsabilité de l'Etat. Bien entendu, et à plus forte raison, lorsque le préfet n'a pas adressé de mise en demeure, seule la responsabilité de l'Etat peut être engagée : tel était le cas dans les affaires qui ont fait l'objet des décisions du 25 juillet 2007.

C'est dire que l'exigence de mise en demeure est très importante en ce qu'elle permet de déterminer l'autorité responsable des éventuels dommages causés par les mesures de police et c'est pourquoi le juge administratif veille particulièrement à son respect. C'est ainsi qu'un refus formel de l'autorité substituée (du maire) ne saurait suffire à dispenser de cette exigence (23), tandis qu'une approbation de cette autorité ne saurait régulariser l'exercice du pouvoir de substitution d'action sans mise en demeure préalable (24).

Pour le reste, il faut souligner que la mise en demeure revêt la nature d'un acte préparatoire insusceptible de faire grief et, donc, de faire l'objet d'un recours en annulation (25). Par ailleurs, le juge se montre souple quant à sa forme, nécessairement écrite, mais, par ailleurs, très libre (26). Le juge est tout aussi souple, ou, du moins, tout aussi attentif aux circonstances de l'espèce, à propos du délai de carence (du maire) à l'expiration duquel le préfet peut estimer que la mise en demeure est restée infructueuse et agir en conséquence en ses lieu et place en engageant, s'il commet des fautes, la responsabilité de la commune : un délai de trois semaines a, par exemple, été accepté en matière d'installations dans une partie de camping située en zone inondable (27). En fait, la durée du délai de carence dépendra essentiellement du caractère d'urgence, ou non, de la situation et des mesures à prendre pour y faire face et y remédier : plus il y aura urgence, plus le délai de carence sera court.

Il faut, enfin, souligner que, selon la jurisprudence, l'urgence est de nature à justifier légalement l'emploi de la substitution d'action sans mise en demeure préalable (28). Il nous semble, toutefois, que seule une extrême urgence, appréciée au regard des risques et du danger encourus en cas d'inaction, justifie cette dispense de mise en demeure. En effet, les moyens de communication actuels (fax, courrier électronique) permettent au préfet de mettre en demeure le maire sans retarder le processus de prise de décision.

2) L'absence ou l'irrégularité de la mise en demeure conduit à l'engagement de la responsabilité de l'Etat

L'absence ou l'irrégularité de la mise en demeure, prévue par les dispositions de l'article L. 2215-1-1°, alinéa 2, du CGCT, présente, à cet égard, la particularité d'être une irrégularité formelle rejaillissant directement sur le fond du litige, puisqu'elle détermine l'autorité responsable du dommage que ce litige a pour but de réparer. Condition de forme qui touche au fond, cette mise en demeure conditionne, donc, la légalité de l'exercice de son pouvoir de substitution d'action par le préfet, puisque, à défaut d'exister ou d'être régulière, il n'y a pas, à proprement parler, de substitution, le préfet continuant d'agir (ou de s'abstenir) au nom de l'Etat et sous sa responsabilité. L'on rejoint, donc, ici, la jurisprudence relative à l'engagement de la responsabilité de l'autorité de tutelle (cf. infra II. A. 1)) et l'on peut dire que lorsqu'il n'a pas mis en demeure le maire concerné, ou lorsqu'il l'a irrégulièrement mis en demeure, de prendre les mesures nécessitées par une situation compromettant l'ordre public, le préfet, s'il agit tout de même, fait un usage illégal de son pouvoir de substitution d'action et il en est de même s'ilagit alors que le maire a répondu à la mise en demeure en donnant les explications appropriées sur son inaction ou en prenant les mesures appropriées à la situation.

Soulignons, enfin, que la distinction binaire responsabilité de la commune/responsabilité de l'Etat ne doit pas faire oublier que la responsabilité de l'autorité substituante peut être également engagée vis-à-vis de l'autorité substituée, en cas de faute lourde de la première, et pas seulement vis-à-vis des tiers. Ainsi, en matière de tutelle et de contrôle -mais la jurisprudence est transposable aux rapports entre autorité substituante et autorité substituée-, ce principe a été reconnu de longue date (29) et appliqué dans le cas où la personne contrôlée a subi un préjudice à raison de l'obligation dans laquelle elle s'est trouvée d'indemniser un tiers par suite des fautes commises par l'autorité de tutelle ou de contrôle agissant au nom de la personne contrôlée (30). De même, l'abstention des organes de tutelle ou de contrôle peut donner lieu à l'engagement de leur responsabilité vis-à-vis de la personne contrôlée si elle a entraîné pour elle un dommage dans la réalisation duquel elle n'a eu aucune part (31). Si l'on revient au sujet qui nous préoccupe, le préfet qui s'abstient d'exercer son pouvoir de substitution d'action peut, donc, engager la responsabilité de l'Etat, non seulement vis-à-vis des tiers (comme dans les affaires faisant l'objet des décisions du 25 juillet 2007), mais, en outre, envers la commune si son abstention lui a causé un dommage dans la réalisation duquel elle n'a eu aucune part. Cette hypothèse est, toutefois, rare : la jurisprudence considère, en effet, traditionnellement que, de même qu'un agent public auteur d'une faute personnelle ne peut invoquer contre son administration l'insuffisante surveillance dont il a fait l'objet (32), de même et plus généralement l'auteur d'une faute ne peut reprocher à une autre personne la faute qu'elle a commise en ne l'ayant pas empêché de commettre cette faute (33). L'on voit, donc, mal comment le préfet qui s'abstient d'exercer son pouvoir de substitution d'action en matière de police municipale pourrait être en partie ou totalement responsable des fautes commises par le maire dans l'exercice de ses compétences en la matière. En revanche, il est tout à fait possible que le préfet, exerçant illégalement ce pouvoir en l'absence de mise en demeure ou en présence d'une mise en demeure régulière et/ou fructueuse, commette une faute causant un dommage, non seulement à des tiers, mais encore à la commune concernée (34). Autrement dit, l'action du préfet sera plus souvent fautive vis-à-vis de la commune que son inaction.

II - Proche de la responsabilité de l'autorité de contrôle, la responsabilité de l'Etat a raison de l'exercice par le préfet de son pouvoir de substitution d'action est assez rarement mise en cause

A - La responsabilité encourue par l'Etat à raison de l'exercice par le préfet de son pouvoir de substitution d'action peut être rapprochée de la responsabilité encourue par les autorités de contrôle

1) L'autorité responsable en matière de contrôle

De manière générale, et en principe, donc, l'usage du pouvoir de substitution conduit, en cas de fautes, à l'engagement de la responsabilité de l'autorité substituée. Il en est ainsi en matière de tutelle et de contrôle, l'autorité de tutelle agissant pour le compte de l'autorité décentralisée et engageant la responsabilité de celle-ci lorsque les décisions qu'elle prend provoquent des dommages (35). En revanche, l'autorité de tutelle ou de contrôle engage sa propre responsabilité lorsqu'elle s'abstient d'exercer son pouvoir de substitution d'action (36), ce qui fut précisément le cas dans les affaires qui ont fait l'objet des deux décisions du 25 juillet 2007, ou lorsque qu'elle fait un usage illégal de ce pouvoir, cette hypothèse étant même prévue par les dispositions de l'article L. 2216-1 du CGCT (37), ou, enfin, lorsqu'elle a utilisé un pouvoir de substitution qu'elle ne détenait pas (38).

L'exigence de la faute lourde demeure, ici, en raison de la difficulté du contrôle, en termes d'actes contrôlés et de moyens. L'Etat continue d'engager sa responsabilité pour faute lourde, vis-à-vis des tiers, dans l'exercice de la tutelle sur les établissements publics et les collectivités locales (39), de contrôle de légalité des actes des collectivités locales (40) ou de contrôle exercé par des autorités administratives indépendantes (41).

2) La justification de l'exigence d'une faute lourde

Nous l'avons vu, la jurisprudence fondatrice en matière de responsabilité des autorités de contrôle est l'arrêt d'assemblée du 29 mars 1946, "Caisse départementale d'assurances sociales de Meurthe-et-Moselle", par lequel le Conseil d'Etat a jugé que la mise en jeu de responsabilité de l'Etat et d'une commune dans l'exercice de leur mission de tutelle sur une caisse de crédit municipal ne pouvait intervenir qu'en cas de faute lourde.

Pour autant, il faut rappeler que cette jurisprudence a dû faire face au recul de la faute lourde dans certains domaines. Ainsi, la nécessité d'une faute lourde a été abandonnée, en ce qui concerne la tutelle de l'Etat, sur les centres de transfusions sanguines (42), le contrôle de l'inspection du travail sur le licenciement des salariés protégés (43), le contrôle par l'ordre des architectes du respect par ses membres de l'obligation d'assurance professionnelle (44), ainsi que le contrôle technique des navires (45). En revanche, la nécessité d'une faute lourde fut, notamment, confirmée, nous l'avons vu, s'agissant de la responsabilité de l'Etat dans l'exercice du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales.

Il semble, au vu de cette jurisprudence, que la mise en jeu par les tiers de la responsabilité administrative du fait des activités de tutelle et de contrôle obéit, en principe, à un régime de faute lourde, mais que cette présomption peut être renversée dans trois cas : lorsque l'activité de contrôle présente un caractère purement mécanique, lorsque les intérêts en jeu font l'objet d'une protection particulière ou lorsque les pouvoirs de tutelle traduisent une réelle emprise du contrôleur sur le contrôlé.

Dans le cas de la tutelle sur les centres de transfusion sanguine, le passage à la faute simple était motivé, indépendamment de l'extrême sensibilité de la matière, par "l'étendue des pouvoirs" dont disposait l'Etat "en ce qui concerne l'organisation générale du service public de la transfusion sanguine, le contrôle des établissements qui sont chargés de son exécution et l'édiction des règles propres à assurer la qualité du sang humain, de son plasma et de ses dérivés". C'est, donc, le fort degré d'immixtion du contrôleur dans l'activité du contrôlé qui justifiait la solution. Pour ce qui concerne le licenciement des salariés protégés, le passage à la faute simple s'explique, sans doute, par la nature et la portée des garanties que le législateur a entendu octroyer à ces salariés. Le contrôle de l'obligation d'assurance des architectes est, quant à lui, purement automatique. Le contrôle technique des navires ne semble, enfin, présenter aucune difficulté particulière. Laurent Touvet, dans ses conclusions sur la décision "Améon", indiquait que cette activité consistait à "effectuer des visites techniques sur des navires et des calculs sur plans, pour s'assurer que les normes de sécurité sont respectées". Il ajoutait : "il s'agit d'un travail administratif normal qu'une administration digne de ce nom doit pouvoir effectuer sans défaillance".

Plus généralement, le rôle de l'équité dans la jurisprudence du Conseil d'Etat a été mis en évidence par Alain Séban, dans ses conclusions sur l'arrêt d'assemblée de novembre 2001, "M. Kechichian". Ce dernier explique que les différents arrêts du Conseil d'Etat de 1992 à 2001 ont en commun d'avoir mis fin à la faute lourde lorsque étaient en cause des intérêts humains essentiels qui plaidaient en faveur d'un service infaillible, quelles que fussent les difficultés d'exercice de celui-ci. A l'inverse, cette difficulté restait une justification possible au maintien de la faute lourde lorsque les intérêts en cause étaient moins impérieux, donc souvent pécuniaires : c'est l'exemple des dommages résultant des erreurs de l'administration fiscale, qui reste encore largement protégée par la faute lourde.

Ainsi, en ce qui concerne le contrôle des autorités administratives indépendantes, les intérêts en jeu ne sont généralement que pécuniaires. Par ailleurs, si les activités de contrôle exercées par elles ne peuvent être qualifiées d'extrêmement difficile, on ne peut davantage affirmer qu'elles présentent un caractère purement mécanique. Enfin, les pouvoirs conférés aux autorités de régulation dans une économie libérale ne sont pas tels qu'ils conduisent à une véritable participation du contrôleur à la gestion de l'organisme contrôlé. Au total, le juge administratif s'attache, donc, à cantonner l'exigence d'une faute lourde en matière de responsabilité des autorités de contrôle à des hypothèses bien spécifiques.

B - La proximité entre la responsabilité des autorités de contrôle et la responsabilité de l'Etat à raison de l'exercice par le préfet de son pouvoir de substitution d'action se retrouve dans les conditions d'engagement assez strictes de cette responsabilité

1) Les conditions d'engagement de la responsabilité

Le motif justifiant le maintien d'un régime de faute lourde en ce qui concerne les activités de tutelle et de contrôle nous semble pertinent en ce qui concerne la responsabilité de l'Etat à raison de l'exercice (ou du non-exercice) par le préfet du pouvoir de substitution d'action qu'il tire des dispositions de l'article L 2215 -1-1°, alinéa 2, du CGCT.

En effet, de même que ces activités s'organisent autour du contrôleur, du contrôlé et du tiers victime des agissements dommageables du contrôlé, le pouvoir de substitution d'action s'organise également autour de trois personnages, à savoir le préfet, le maire et le tiers victime des agissements dommageables de la commune. La responsabilité du dommage incombe, donc, au premier chef, à l'attitude de la commune et c'est, ainsi, vers celle-ci que doit, en priorité, se tourner la victime en vue d'obtenir la réparation du dommage qu'elle a subi. La responsabilité de l'Etat ne peut être, ici, que subsidiaire. Faciliter la mise en cause de l'Etat reviendrait, à cet égard, à opérer un transfert de responsabilité de la commune vers lui.

L'exercice du pouvoir de police par substitution engage, donc, en principe, la responsabilité de la commune, et non de l'Etat, sauf si la substitution a eu lieu dans des hypothèses ou selon des modalités non prévues par la loi (CGCT, art. L. 2216-1 N° Lexbase : L8736AAS). La commune, qui est responsable des dommages causés par les mesures prises par l'Etat dans l'exercice de ce pouvoir est, également, responsable de l'abstention fautive de l'Etat à prendre lesdites mesures. L'Etat agissant par substitution, la commune demeure responsable, car c'est elle qui aurait dû agir. Il n'y a, donc, pas lieu de distinguer selon que le dommage provient de l'action ou de l'inaction de l'autorité compétente par substitution.

Lorsqu'une personne contrôlée reproche à un service de contrôle de ne pas l'avoir empêchée par un contrôle plus efficace de commettre les erreurs qui ont provoqué le préjudice dont elle demande réparation, la jurisprudence ne condamne l'autorité de contrôle que si elle a commis une faute lourde dans l'exercice de sa mission. Dans ces hypothèses, la limitation de la responsabilité à une faute lourde permet d'éviter, peut-être plus facilement qu'une analyse très fine du lien de causalité, que la responsabilité des erreurs de la personne contrôlée soit mise à la charge du contrôleur. Bien qu'il ne s'agisse pas de contrôle ou de tutelle, la compétence exercée par le préfet en matière de police par substitution est, également, conditionnée par la carence d'une autorité en principe compétente, le représentant de l'Etat n'intervenant que pour pallier cette inaction. La responsabilité des dommages résultant de l'absence d'édiction de mesures de police appropriées pèse, avant tout, sur la commune qui aurait dû agir. En limitant la responsabilité de l'Etat à l'exigence d'une faute lourde, le Conseil d'Etat évite, donc, un déplacement inopportun et injustifié de la responsabilité de la commune vers une autorité qui n'agit que par défaut, lorsque l'ordre public apparaît réellement et très clairement menacé par l'inaction de la commune.

2) L'engagement de la responsabilité de l'Etat à raison de l'exercice ou du non-exercice par le préfet de son pouvoir de substitution d'action reste exceptionnel

Nous l'avons déjà vu, la responsabilité de l'Etat en la matière ne peut être mise en cause que dans trois cas principaux :
1/ lorsque le préfet n'a pas adressé au maire de mise en demeure d'agir et s'est tout de même substitué à lui pour prendre des mesures ;

2/ lorsque le préfet a adressé une mise en demeure au maire et a pris lui-même des mesures, alors que le maire avait déjà donné suite à la mise en demeure et, soit s'était proposé de prendre lui-même les mesures appropriées, soit les avait déjà prises au moment où le préfet est intervenu ;

3/ lorsque le préfet n'a fait usage de son pouvoir de substitution d'action alors que la situation et la carence du maire à prendre les mesures pour y faire face exigeaient qu'il le fasse.

Au fond, c'est-à-dire en ce qui concerne la matérialité même de son action, la responsabilité de l'Etat ne sera, donc, que rarement reconnue, ainsi que l'illustrent les décisions en date du 25 juillet 2007, qui ont toutes deux considéré que le préfet avait pris les mesures appropriées et ne pouvait, donc, être taxé d'inaction fautive. C'est, en fait, plutôt pour un motif de forme que la responsabilité de l'Etat pourra être plus facilement engagée, à savoir du fait de l'absence ou de l'irrégularité de la mise en demeure, étant précisé qu'en cas d'urgence, la jurisprudence permet toujours, pour l'instant, de se dispenser de cette obligation.

Soulignons, enfin, que la responsabilité de la commune vis-à-vis des tiers peut, quant à elle, être engagée sur le terrain de la faute simple, ainsi que l'a indiqué le Conseil d'Etat dans la décision "Ministre de l'intérieur c/ M. Alfonsi" du 25 juillet 2007, infirmant en cela l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille qui avait retenu la nécessité d'une faute lourde. Dans ses conclusions sous la décision en cause, le commissaire du Gouvernement D. Chauvaux estimait que l'application d'un régime de faute lourde était critiquable "car la carence de l'autorité de police engage normalement la responsabilité de la puissance publique sur le fondement de la faute simple".

Destinée à éviter un transfert de responsabilité de l'Etat à la commune, l'exigence d'une faute lourde en matière d'exercice par le préfet de son pouvoir de substitution devrait limiter les hypothèses de mise en cause de cette responsabilité. Le Conseil d'Etat semble, ici, avoir tenu compte, également, de la difficulté de la mission du préfet, mais aussi de la libre administration des collectivités locales, qui doivent assumer, en premier lieu, les conséquences de leurs propres carences, eu égard aux moyens propres dont elles sont dotées.

Au regard de l'analyse faite par la Haute juridiction dans les deux décisions du 25 juillet 2007, l'on voit que la responsabilité de l'Etat ne sera pas engagée dès lors que le préfet pourra apporter la preuve qu'il n'est pas resté inactif face à une situation compromettant l'ordre public.

Enfin, il faut à nouveau souligner l'importance qui s'attache au respect de l'exigence de mise en demeure puisque l'accomplissement de cette obligation permet à l'Etat de se dégager de sa responsabilité.


(1) CE 4° et 5° s-s-r., 25 juillet 2007, n° 283000, Société France Télécom (N° Lexbase : A4782DXE) ; CE 4° et 5° s-s-r., 25 juillet 2007, n° 293882, Ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire (N° Lexbase : A4836DXE).
(2) CE 2° et 1° s-s-r., 7 avril 1967, n° 65187, Commune de La Roque Gageac et autre c/ Gardette (N° Lexbase : A4953B7L), aux Tables p. 927.
(3) AJDA 2005, p.1565, chronique Pellissier.
(4) A propos de l'absence de mise en oeuvre par le préfet de Haute-Corse de ses pouvoirs de substitution pour empêcher la divagation de bétail sur le territoire de la commune de Carcheto-Brustico.
(5) CE Contentieux, 16 février 1979, n° 00139, M. Mallisson (Konrad) (N° Lexbase : A3196AKL), aux Tables p. 820.
(6) Dans l'affaire jugée en appel par la cour administrative de Versailles, le préfet de l'Essonne, alerté par France Télécom sur les dégradations subies par l'un de ses centraux téléphoniques depuis l'installation de gens du voyage sur un terrain voisin, s'était déplacé sur les lieux, avait organisé une réunion et décidé de rondes quotidiennes de la gendarmerie. Il n'était, donc, pas resté inactif (CAA Versailles, 2ème ch., 19 mai 2005, n° 02VE00421, Ministre de l'Intérieur France Télécom N° Lexbase : A3976DI4).
(7) Aux termes de cet article : "Dans le cas où le maire, en tant qu'agent de l'Etat, refuserait ou négligerait de faire un des actes qui lui sont prescrits par la loi, le représentant de l'Etat dans le département peut, après l'en avoir requis, y procéder d'office par lui-même ou par un délégué spécial" (N° Lexbase : L8602AAT).

(8) Aux termes de cet article, sur lequel nous reviendrons : "Le représentant de l'Etat dans le département peut prendre [...] dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. / Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l'Etat dans le département à l'égard d 'une seule commune qu'après une mise en demeure au maire restée sans résultat" (N° Lexbase : L8592HW7).
(9) F. Laferrière, Cours théorique et pratique de droit public et administratif, Paris, Cotillon, 4ème édition, 1854, tome II p. 670, cité par B. Plessix, Une prérogative de puissance publique méconnue : le pouvoir de substitution d'action, RDP 2003, p. 579.
(10) B. Plessix, Une prérogative de puissance publique méconnue : le pouvoir de substitution d'action, RDP 2003, p. 579 et p. 612.
(11) Songeons, par exemple, au pouvoir de substitution (et donc d'inscription d'office) du préfet, au titre de l'article 1er de la loi du 5 août 1911, relative aux associations syndicales autorisées (N° Lexbase : L1806DN9), et de l'article 58 du décret-loi du 19 décembre 1927, lorsqu'il constate l'omission d'inscrire au budget des associations syndicales les crédits nécessaires à l'acquittement des dettes exigibles : le préfet ayant alors compétence liée, il ne peut refuser de procéder à l'inscription d'office (CE, 21 mai 1920, Parjadis, au Recueil p. 518 ; CE, 16 juillet 1926, Dame Veuve Mehl, aux Tables p. 745).
(12) CE, 16 octobre 1956, Dalmasso, au Recueil, p. 374 ; Dalloz 1956, p. 643, conclusions M. Long.
(13) CE, 26 mai 1937, Sieurs Schlumberger et Compagnie, au Recueil, p. 518, à propos du pouvoir de substitution de l'autorité de tutelle vis-à-vis d'une commune.
(14) CE Section, 12 novembre 1949, Sieur Yasri Alloua, au Recueil, p. 474, Dalloz 1950, p. 303 note J. G. ; CE, 15 février 1961, Sieur Alfred-Joseph, au Recueil, p. 114 ; CE 2° et 6° s-s-r., 28 février 1973, n° 82431, Union départementale des Sociétés mutualistes des Ardennes (N° Lexbase : A8911B8K), au Recueil, p. 171.
(15) Art. préc. p. 623.
(16) Cons. const., décision n°82-149 DC du 28 décembre 1982, Loi relative au statut de Paris, Lyon, Marseille (N° Lexbase : A8051AC8), RDP 1983, p. 375, observations Favoreu ; Cons. const., décision n° 2001-452 DC, du 6 décembre 2001, Loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (N° Lexbase : A4253AXS), 11ème considérant, à propos de l'article 24 de la loi "MURCEF", reconnaissant au préfet un pouvoir de substitution d'action en matière de réalisation de logements sociaux (loi n° 2001-1168, 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier N° Lexbase : L0256AWE)
(17) J. Moreau, Les autorités de police municipale, Répertoire Dalloz Collectivités locales, sous la direction de F.-P. Benoît, tome III, fasc. 2210-1, n° 71-114.
(18) CE Contentieux, 23 septembre 1991, n° 117118, Commune de Narbonne (N° Lexbase : A0024ARC), au Recueil p. 313, AJDA 1992, p.154, note Moreau ; CE Contentieux, 3 juillet 1992, n° 120448, Société Carmag (N° Lexbase : A8991ARG), au Recueil p. 280, DA 1992, n° 379, RDFA 1992, p. 932.
(19) C'est-à-dire, si le maire a pris les mesures appropriées à la situation qui relève de sa compétence.
(20) A la condition, bien entendu, qu'une mise en demeure régulière ait été adressée au maire et soit restée infructueuse.
(21) CE Assemblée, 2 décembre 1932, Ville de Melun, aux Tables p. 1025, Dalloz 1933, 3, p. 133, note Waline.
(22) CE Contentieux, 16 février 1979, n° 00139, Mallisson (N° Lexbase : A3196AKL), aux Tables, p. 820.
(23) CE, 8 juin 1883, Commune de Fozzano, au Recueil, p. 529.
(24) CE Section, 13 février 1953, Sieur Laugier, au Recueil, p. 70.
(25) CE Contentieux, 30 janvier 1987, n° 70236, Département de la Moselle (N° Lexbase : A3188APR), au Recueil p. 23, AJDA 1987 p. 217 ; TA Lyon, 18 mai 1993, Communauté urbaine de Lyon (N° Lexbase : A8157BQ8), aux Tables, p. 546.
(26) CE Contentieux, 8 mars 1901, n° 97877, Sieurs Nougues et Secail (N° Lexbase : A5468B7N), au Recueil, p. 269.
(27) CE Contentieux, 31 janvier 1997, n° 156276, SARL Camping "Les Clos" (N° Lexbase : A8018ADC).
(28) CE 5° et 3° s-s-r., 25 novembre 1994, n° 148962, Ministre de l'Intérieur c/ Grégoire (N° Lexbase : A0193AIY), aux Tables, p. 832, Quotidien juridique du 28 mars 1995, note Moreno : fermeture d'une boucherie-charcuterie dont les produits comportent des souches épidémiques de listériose.
(29) CE Assemblée, 27 décembre 1948, Commune de Champigny-sur-Marne, au Recueil, p. 493, Dalloz 1949, p. 408 conclusions Guionin.
(30) CE Section, 5 décembre 1958, Commune de Dourgne, au Recueil, p. 606 conclusions Guldner, RDP 1959, p. 950, note Waline, AJDA 1959 I, p. 37, chronique Combarnous et Galabert.
(31) CE Assemblée, 27 décembre, 1948, préc..
(32) CE Contentieux, 28 juillet 1951, n° 01074, Laruelle (N° Lexbase : A9260B8H).
(33) CE Section, 7 mars 1980, n° 03473, SARL Cinq-Sept (N° Lexbase : A4928B7N), au Recueil, p. 129, conclusions Massot (fautes de surveillance de la part des autorités de police) ; CE Section, 21 octobre 1966, n° 61615, Benne (N° Lexbase : A4702B8N), au Recueil, p. 562, AJDA 1967, p. 110, conclusions Baudouin.
(34) CE, 18 février 1954, Commune de Guénin, au Recueil, p. 86 : exercice irrégulier du pouvoir de substitution en raison de l'incompétence de l'autorité substituante.
(35) CE Assemblée, 24 juin 1949, Commune de Saint-Servan, au Recueil, p. 310, Revue administrative 1949, p. 465, note Liet-Veaux ; CE Assemblée, 1er juin 1956, Ville de Nîmes c/ Pabion, au Recueil, p. 218 (à propos du refus illégal opposé par un préfet à un agent municipal) ; CE, 8 mars 1961, Leblanc, au Recueil, p. 310 (la victime doit s'adresser, pour obtenir réparation, à l'autorité sous tutelle).
(36) CE Section, 14 décembre 1962, Doublet, au Recueil, p. 680, Dalloz 1963, p. 117, conclusions Combarnous, AJDA 1963, p. 85, chronique Gentot et Fourré ; CE Contentieux, 29 avril 1987, n° 71430, Ministre de l'intérieur c/ Ecole Notre-Dame de Kernitron (N° Lexbase : A3316API), au Recueil, p. 161, RFDA 1987, p. 989, conclusions Roux et, donc, CE, 25 juillet 2007, Société France Telecom, Société AXA Corporate solutions et assurances, préc. ; CE, 25 juillet 2007, Ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, préc..
(37) Aux termes de cet article : "La commune voit sa responsabilité supprimée ou atténuée lorsqu'une autorité relevant de l'Etat s'est substituée, dans des hypothèses ou selon des modalités non prévues par la loi, au maire pour mettre en oeuvre des mesures de police" (N° Lexbase : L8736AAS).
(38) CE, 10 décembre 1962, Bouali-Salah, au Recueil, p. 674.
(39) CE Assemblée, 29 mars 1946, n° 41916, Caisse départementale d'assurances sociales de Meurthe-et-Moselle (N° Lexbase : A9652B8Y), RDP 1946, p. 490, conclusions Lefas note Jèze, Sirey 1947 3, p. 73, note Mathiot, Les Grands Arrêts de la jurisprudence administrative n° 60 et CE 6° et 2° s-s-r., 23 février 1977, n° 00794, Verheyde (N° Lexbase : A5782B8N), au Recueil p. 112 (caisses de sécurité sociale) ; CE Section, 2 février 1960, Kampmann, au Recueil, p. 107, AJDA 1960 I, p. 47, chronique Combarnous et Galabert et CE Section, 24 janvier 1964, Ministre des Finances c/ Achard, au Recueil p. 43, AJDA 1964 I, p. 58, chronique Fourré et Puybasset (contrôle des banques) ; CE Contentieux, 19 octobre 1988, n° 71248, Epoux Veillard (N° Lexbase : A7812APZ), au Recueil, p. 347 (contrôle et surveillance des travaux d'extraction dans le lit des cours d'eau domaniaux).
(40) CE 3° et 8° s-s-r., 6 octobre 2000, n° 205959, Commune de Saint-Florent (N° Lexbase : A9697AHM), au Recueil, p. 395, Collectivités territoriales et intercommunalité décembre 2000 conclusions Touvet, AJDA 2001, p. 201, note Cliquennois ; RFDA 2001, p. 152 observations Bon, JCP éd. A, 2001 II n° 10516 note Rouault.
(41) CE Assemblée, 30 novembre 2001, n° 219562, Ministre de l'Economie et des Finances c/ M. et Mme Kechichian (N° Lexbase : A7508AXD), AJDA 2002, p. 133 chronique Guyomar et Collin ; RFDA 2002, p. 742 (contrôle de la Commission bancaire) et CE 9° et 10° s-s-r., 18 février 2002, n° 214179, Groupe Norbert Dentressangle (N° Lexbase : A1707AYU), aux Tables, RFDA 2002, p. 754 (commission de contrôle des assurances) ; cf. aussi, pour le juge judiciaire, CA Paris, 6 avril 1994, Dalloz 1994 p. 511 note Decoopman (à propos du contrôle effectué par l'ancienne Commission des Opérations de Bourse).
(42) CE Assemblée, 9 avril 1993, n° 138653, M. D. (N° Lexbase : A9437AMH), Au Recueil, p. 110.
(43) CE Section, 9 juin 1995, n° 090504, Ministre des Affaires sociales et de l'Emploi c/ Lesprit (N° Lexbase : A4303ANP), au Recueil, p. 239.
(44) CE Section, 6 décembre 1995, n° 133626, Boisson et autres (N° Lexbase : A4671B77), au Recueil, p. 430.
(45) CE Section, 13 mars 1998, n° 89370, Améon (N° Lexbase : A6928ASE), au Recueil, p. 82, AJDA 1998, p. 418, chronique Raynaud et Fombeur.

newsid:299134

Famille et personnes

[Jurisprudence] L'établissement posthume de la filiation par la possession d'état

Réf. : Cass. civ. 1, 19 septembre 2007, n° 06-21.061, M. Jean-François Ponama, F-P+B (N° Lexbase : A4344DYK)

Lecture: 5 min

N8934BCU

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209415-edition-n-278-du-25-10-2007#article-298934
Copier

par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne

Le 07 Octobre 2010

De même que la possession d'un bien permet de présumer le droit de propriété en la personne du possesseur, la possession de l'état d'enfant permet de présumer le lien de filiation. Le Code civil définit cette présomption comme étant issue de la "réunion suffisante de faits" qui indiquent avec une certaine permanence et de façon habituelle le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. Les principaux de ces faits sont la manière dont l'enfant est traité par ses parents prétendus et réciproquement (tractatus), sa situation aux yeux de la famille et des étrangers (fama), ainsi que son nom (nomen). En application des dispositions antérieures à la réforme du droit de la filiation par l'ordonnance du 4 juillet 2005 (ordonnance n° 2005-759, portant réforme de la filiation N° Lexbase : L8392G9P), l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 19 septembre 2007, ici commenté, confirme la décision de la cour d'appel de déduire de déclarations du père prétendu, décédé au jour de l'instance, et de divers témoins l'existence d'une possession d'état et d'autoriser l'enfant à changer de nom. Vérité affective tout aussi respectable que la vérité officielle des registres de l'état civil ou même que la vérité biologique, la possession d'état "répond parfaitement aux tendances du droit contemporain à intégrer les données de la sociologie et à son souci constant de l'intérêt de l'enfant" (1). Aussi les dispositions des lois du 3 janvier 1972 et, surtout, du 25 juin 1982 (lois relatives à l'établissement de la filiation) furent-elles bien accueillies, la possession d'état produisant des effets importants dans l'établissement du lien de filiation aussi bien légitime que naturelle. Mais c'est surtout dans le cadre de l'établissement de la filiation naturelle qu'elle s'est révélée particulièrement utile, en venant pallier l'absence de reconnaissance de l'enfant par le père ou la mère.

Bien que rien dans la loi du 25 juin 1982 n'autorisait à limiter l'application de l'ancien article 334-8 du Code civil (N° Lexbase : L2804ABH) au seul cas où l'auteur de l'enfant était décédé sans l'avoir reconnu, il faut bien avouer que c'était précisément dans cette hypothèse que la possession d'état présentait le plus d'intérêt.

Cependant, si la possession d'état est, à elle seule, le "plus puissant de tous les titres" (2), encore faut-il qu'elle soit elle-même établie.

Celle-ci s'établit, selon l'article 311-1 du Code civil (N° Lexbase : L8856G9U), par des faits dont les principaux sont le comportement respectif des parents et de l'enfant, l'image sociale que renvoie le rapport de filiation ainsi que le nom. Cette énumération légale, étant indicative et non limitative, n'a, toutefois, que "la valeur d'un exemple" (3). Aussi est-il possible, le cas échéant, de s'appuyer sur d'autres faits que ceux déjà énumérés (4). Inversement, rien ne s'oppose à ce que certains éléments, pourtant mentionnés par l'article 311-1 du Code civil, soient purement et simplement retranchés. Il appartient, en effet, aux juges du fond d'apprécier si les éléments de faits retenus suffisent à établir la possession d'état.

En l'espèce, les juges du fond ont considéré que les éléments de faits présentés par le demandeur à l'action en constatation de la possession d'état constituaient à eux seuls un "faisceau d'indices" (5) indiquant de manière significative le lien de filiation. En effet, M. François H., né au Vietnam en 1954 de père inconnu, fit établir en 2001 par le juge des tutelles du tribunal de grande instance de Marseille un acte de notoriété établissant sa possession d'état d'enfant naturel à l'égard de Antoine P., décédé en 1992. Défendeur à l'action en constatation de la possession d'état, le fils légitime du défunt fit grief à l'arrêt ici attaqué d'avoir constaté le lien de filiation entre M. H. et le défunt au vu de déclarations de ce dernier et de divers témoins ; attestations par ailleurs corroborées par la production de correspondances échangées avec les membres de la famille, ainsi que de 52 photographies prises à l'occasion de fêtes familiales. De plus, en application de l'article 334-3 du Code civil (N° Lexbase : L6512DIZ), dans sa rédaction antérieure à la réforme du droit de la filiation par l'ordonnance du 4 juillet 2005, et compte tenu des liens ayant manifestement existé entre le père prétendu et l'enfant, ce dernier est admis à changer de nom.

De l'existence de la fama et du tractatus, les juges du fond ont donc déduit la possibilité pour l'enfant d'avoir le nomen qui lui manquait encore, l'action en changement de nom lui étant par ailleurs ouverte dans les deux années qui suivent la modification apportée à son état, en vertu de l'ancien article 334-3.

Le décès du parent est, en outre, totalement indifférent. La solution est logique sachant que, dans la plupart des hypothèses, la preuve de la possession d'état sert à faire connaître la qualité d'héritier. C'est d'ailleurs en ce sens que la loi du 25 juin 1982, dans son article 2, a autorisé tous les enfants naturels, nés avant l'entrée en vigueur de la loi, à se prévaloir de leur possession d'état dans toutes les successions, quelle que soit la date à laquelle elles se sont ouvertes, sous la réserve, toutefois, de ne pas remettre en cause les successions déjà liquidées à la date de l'entrée en vigueur de la loi.

Cette mesure de droit transitoire constitue, cependant, un véritable danger pour la sécurité des règlements successoraux (6), déjà fragilisée par l'existence de modes de preuve de la possession d'état particulièrement avantageux pour l'enfant. Ainsi, l'action en constatation de la possession d'état était, antérieurement au 1er janvier 2006, soumise à la prescription trentenaire qui commençait à courir, selon l'ancien article 311-7 du Code civil (N° Lexbase : L2742AB8), à compter du jour où l'individu avait été privé de l'état qu'il revendiquait, c'est-à-dire quand sa possession d'état avait pris fin, ce moment se situant le plus souvent au jour du décès du parent prétendu (7).

Sans remettre en question les rôles que les lois de 1972 et 1982 ont assignés à la possession d'état et pour satisfaire les objectifs de sécurité et de stabilité de la filiation de l'enfant, l'ordonnance du 4 juillet 2005 pose, dorénavant, une limite temporelle plus courte à l'usage de l'acte de notoriété ou encore à l'action constatant la possession d'état. Ainsi, la délivrance de l'acte de notoriété ne peut être demandée "que dans un délai de cinq ans à compter de la cessation de la possession d'état alléguée" (C. civ., art. 317, al. 3 N° Lexbase : L8818G9H) et une fois ce premier délai expiré, la constatation de la possession d'état par un jugement est également enfermée dans un délai de dix ans, en application des dispositions combinées des nouveaux articles 330 (N° Lexbase : L8832G9Y) et 321 (N° Lexbase : L8823G9N) du Code civil.

La constatation de la possession d'état a, également, subi quelques modifications importantes avec l'ordonnance du 4 juillet 2005.

Sous l'ancienne législation, rien dans les textes n'imposait que la possession d'état ait été formellement constatée pour produire effet : celui qui s'en prévalait pouvait évidemment être appelé à justifier de l'existence des faits constitutifs, ce qu'il pouvait faire librement (8), notamment, d'une manière non contentieuse en se faisant délivrer par le juge des tutelles un acte de notoriété (9) ou d'une manière contentieuse, soit en défendant à une contestation, soit en agissant aux fins de constater sa possession d'état.

Depuis le 1er janvier 2006, date d'entrée en vigueur de la réforme, l'article 310-1 du Code civil (N° Lexbase : L8852G9Q) prévoit que "la filiation est légalement établie [...] par la possession d'état constatée par un acte de notoriété. Elle peut l'être aussi par un jugement". De même, le nouvel article 310-3, alinéa 1er (N° Lexbase : L8854G9S), affirme que "la filiation se prouve [...] par l'acte de notoriété constatant la possession d'état". Selon ces nouvelles dispositions, la possession d'état ne suffit plus, par sa seule existence, à constituer une présomption du lien de filiation : pour qu'elle puisse produire ses effets, l'enfant doit finalement démontrer l'existence d'une réunion suffisante de faits qui indiquent le rapport de filiation par un acte de notoriété (C. civ., art. 317 N° Lexbase : L8818G9H) ou par un jugement (C. civ., art. 330 N° Lexbase : L8832G9Y). Ce n'est donc plus qu'à cette condition que la filiation de l'enfant se trouvera rétroactivement établie au jour de la naissance, voire de la conception, comme dans l'hypothèse d'une reconnaissance.


(1) J. Hauser et D. Huet-Weiller, Traité de droit civil, La famille, Fondation et vie de la famille, ss. la dir. de J. Ghestin, LGDJ, 2ème éd., 1993, p. 257, n° 494.
(2) Portalis, cité par H., L., J. Mazeaud, F. Chabas, Leçons de droit civil, La famille, par L. Leveneur, 7ème éd., Montchrestien, 1995, p. 361, n° 945.
(3) C. Colombet, La famille, PUF, 6ème éd., 1999, p. 132, n° 91.
(4) A pu ainsi être retenu le fait que l'enfant détienne des photographies de membres de la famille à laquelle il prétend appartenir (Cass. civ. 1, 1er décembre 1987, n° 86-11.156, Conseil départemental des médecins du Rhône c/ Mme Colin N° Lexbase : A1801AH8, Bull. civ. I., n° 317).
(5) M. Rémond-Gouilloud, La possession d'état d'enfant, RTD. civ., 1975, p. 459.
(6) V. pour l'ensemble des critiques formulées : M. Beaubrun, La sécurité des règlements successoraux à l'épreuve de l'établissement de la filiation naturelle par la possession d'état (article 334-8, alinéa 2, du Code civil), D. 1997, chron., p. 387.
(7) Ceci impliquait, dans l'hypothèse où la possession d'état avait cessé peu de temps après la naissance, par le décès du père ou de la mère, que l'enfant pouvait agir pendant 48 ans puisque le délai de prescription se trouvait suspendu pendant sa minorité : Cass. civ. 1, 10 janvier 1990, n° 88-14.404, M. X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A0072ABB), D. 1990, p.193, note D. Huet-Weiller ; CA Paris, 11 octobre 2001, D. 2001, IR, p. 3251, obs. B. Bossu.
(8) Cass. civ. 1, 11 juillet 1988, n° 86-18.372, M. X c/ Consorts Y et autres (N° Lexbase : A2138AHN), Bull. civ. I., n° 238 ; Cass. civ. 1, 6 décembre 2005, n° 03-15.588, M. Ernest Schoettel c/ M. Jean-Pierre Kaster, FS-P+B (N° Lexbase : A9112DL3), RJPF-2006-3/46, obs. T. Garé.
(9) L'ancien article 311-3 du Code civil prévoyait que, en dehors de tout procès, la preuve de la possession d'état pouvait résulter d'un acte de notoriété que délivrait le juge des tutelles sur la déclaration de trois témoins, au besoin après enquête, permettant ainsi d'établir légalement la filiation naturelle. L'acte de notoriété a généralement été critiqué en raison de son peu de fiabilité. Comme l'ont soulevé certains, l'importance pratique d'un tel acte aurait dû conduire le juge des tutelles à une plus grande prudence lors de l'examen des déclarations formulées par les témoins que présentent les requérants, ce qui n'était apparemment pas toujours le cas : M. Dagot, La preuve de la qualité d'héritier ou plaidoyer pour une réforme des actes de notoriété, JCP éd. N, 1974, I., 2618.

newsid:298934

Pénal

[Textes] Présentation de la loi relative à la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs

Réf. : Loi n° 2007-1198 du 10 août 2007, relative à la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (N° Lexbase : L1390HY7)

Lecture: 22 min

N9078BC9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209415-edition-n-278-du-25-10-2007#article-299078
Copier

par Dorothée Bourgault-Coudevylle, Maître de conférences à la Faculté de droit de Douai - Université d'Artois

Le 07 Octobre 2010

Depuis quelques années, le législateur n'en finit plus de compléter le dispositif de lutte contre la récidive. Ce ne sont pas moins de trois lois qui ont ainsi été adoptées en moins de deux ans, entre la loi du 12 décembre 2005, relative au traitement de la récidive des infractions pénales (loi n° 2005-1549 N° Lexbase : L4971HDH), la loi du 5 mars 2007, sur la prévention de la délinquance (loi n° 2005-297 N° Lexbase : L6035HU3), et, enfin, la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007, relative à la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. Les législations successives se sont attachées tout à la fois à étendre le domaine de la récidive légale, à durcir les sanctions applicables aux récidivistes (suppression de la nécessité de motiver le prononcé d'un emprisonnement ferme si le délinquant est récidiviste, limitation du nombre de sursis avec mise à l'oeuvre susceptibles d'être prononcés), et, enfin, à mettre en place des sanctions post-carcérales à caractère préventif (extension du suivi socio-judiciaire, surveillance judiciaire, placement sous surveillance électronique mobile). La loi du 10 août 2007 parachève le dispositif répressif existant en instaurant des peines privatives de liberté minimales pour les délinquants récidivistes, qu'ils soient majeurs ou mineurs. Elle tend, par ailleurs, à favoriser, autant que possible, le traitement médical des délinquants récidivistes en systématisant l'injonction thérapeutique, jusqu'alors facultative. I - La lutte contre la récidive par l'instauration de peines minimales à l'encontre des récidivistes

L'instauration de peines minimales pour les auteurs de crimes ou de délits commis en état de récidive légale constitue indéniablement l'une des dispositions les plus marquantes de la loi du 10 août 2007.

Les peines minimales ne sont pas, à proprement parler, une nouveauté en droit pénal français. Dans le Code pénal de 1810, les peines étaient enfermées dans une fourchette légale et le juge ne pouvait descendre en dessous du minimum encouru qu'en se fondant sur des circonstances atténuantes. Mais il faut bien reconnaître que les minima avaient fini, au fil du temps, par conserver une valeur essentiellement symbolique, d'où la décision prise, dans le nouveau Code pénal, de les supprimer et de reconnaître au juge un très large pouvoir d'individualisation dans le prononcé de la peine.

En instituant des seuils minimaux pour les récidivistes, la loi du 10 août 2007 marque, à première vue, un tournant en la matière puisque le juge perd, a priori, tout pouvoir d'individualisation du fait des nouvelles dispositions. La réalité apparaît beaucoup plus nuancée. En définitive, le juge conserve une marge d'appréciation non négligeable, dans un système qui apparaît complexe.

A - Le mécanisme des peines planchers

Les peines minimales instituées par la loi du 10 août 2007 varient en fonction de la gravité de l'infraction et correspondent approximativement au tiers de la peine normalement encourue hors récidive.

- C'est ainsi que, s'agissant des crimes commis en état de récidive légale, l'article 132-18-1 du Code pénal prévoit, désormais, que lorsque ceux-ci sont punis de quinze ans, vingt ans, trente ans de réclusion ou de détention criminelle, ou de la réclusion à perpétuité, la peine d'emprisonnement, de réclusion ou de détention ne pourra être respectivement inférieure à cinq ans, sept ans, dix ans, ou quinze ans.

- S'agissant des délits commis en état de récidive légale, l'article 132-19-1 du Code pénal prévoit, dans le même esprit, que pour les délits punis de trois, cinq, sept ou dix ans d'emprisonnement, la peine d'emprisonnement prononcée ne pourra être respectivement inférieure à un, deux, trois ou quatre ans.

Les seuils prévus n'apparaissent pas excessifs au regard du maximum légal normalement encouru par le délinquant en situation de récidive. On notera, à cet égard, que le seuil est fixé en référence au maximum normalement encouru pour l'infraction, hors situation de récidive.

L'effet de ces peines minimales sera sans doute limité en matière criminelle où il apparaît que le quantum moyen prononcé en cas de récidive était, d'ores et déjà, largement supérieur aux peines planchers posées à l'article 132-18-1 (Rapport  G. Geoffroy, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d'urgence, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, Assemblée Nationale, n° 65, 11 juillet 2007, p. 20). C'est surtout en matière délictuelle que les planchers ainsi institués risquent d'avoir une incidence non négligeable. Jusqu'à présent le quantum moyen des peines d'emprisonnement prononcées restait très en-deçà du maximum de la peine applicable au primo délinquant. Pour les délits passibles de dix ans d'emprisonnement hors récidive (vingt ans de réclusion en récidive), la peine prononcée, en moyenne, à l'égard des délinquants récidivistes était de 1,6 an. En vertu du nouveau dispositif, elle ne pourra plus être inférieure à quatre ans. Pour les délits passibles de sept ans d'emprisonnement (quatorze ans de réclusion en état de récidive), elle s'établissait en moyenne à un an ; elle ne pourra plus être inférieure à trois ans. Pour les délits passibles de cinq ans d'emprisonnement (dix ans en récidive), la moyenne était de 8,5 mois ; la peine plancher est fixée à deux ans. Enfin pour les délits passibles de trois ans (six ans en récidive), elle n'était que de 5,7 mois pour une peine plancher désormais fixée à un an.

Il apparaît ainsi nettement que le législateur entend faire de l'emprisonnement la peine de principe pour les récidivistes. Et il fait en sorte que le délinquant en soit informé afin de donner au dispositif toute sa force de dissuasion. A cette fin, la loi prévoit, à l'article 132-20-1 du Code pénal, que "le président de la juridiction avertit, lors du prononcé de la peine, le condamné des conséquences qu'entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise en état de récidive légale". Le nouveau dispositif est conçu comme "un signal fort et dissuasif donné aux personnes déjà condamnées qui savent désormais clairement les sanctions qu'elles encourent en cas de récidive" (Actualité du ministère de la Justice, 17 août 2007). Il semble, néanmoins, peu réaliste de se fonder sur cet effet dissuasif pour pronostiquer la capacité du système carcéral, que tout à chacun s'accorde à reconnaître en surchauffe, à absorber un nouveau flot de détenus, d'ores et déjà estimé à 10 000 (cf. Rapport Geoffroy, préc. p.23).

Par ailleurs, la philosophie sous tendue par l'instauration de tels seuils nous apparaît assez peu conciliable avec les directives adressées parallèlement aux juridictions de jugement et aux juges d'application des peines, les invitant à favoriser autant que possible les aménagements individualisés de peine et les alternatives à l'emprisonnement (cf. les circulaires du 27 avril 2006 N° Lexbase : L7535HYQ et du 27 juin 2007 relatives aux aménagements de peines et aux alternatives à l'incarcération). N'est-il pas quelque peu contradictoire de placer ainsi le magistrat au centre du dispositif d'individualisation de la peine et de lui imposer, dans le même temps, des peines planchers, fusse seulement pour une certaine catégorie de délinquants... La loi du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance, n'avait-elle pas adoptée précisément la démarche exactement inverse en insérant un dernier alinéa à l'article 132-24 du Code pénal (N° Lexbase : L8717HWR) selon lequel "en matière correctionnelle lorsque l'infraction est commise en état de récidive légale ou de réitération, la juridiction motive spécialement le choix de la nature, du quantum et du régime de la peine qu'elle prononce au regard des peines encourues" ; texte supprimé par loi du 10 août 2007 par souci de cohérence avec les dispositions instituant les peines planchers. Une telle volte face à quelques mois d'intervalle laisse quelque peu songeur !

B - Des peines planchers attachées à la circonstance aggravante de récidive

Les dispositions nouvelles ne concernent que les auteurs, coauteurs ou complices d'infractions commises en état de récidive légale. Ce qui suppose que certaines conditions de délai, et en matière correctionnelle, de spécialité entre les deux termes de la récidive soient réunies. Certes, cette dernière condition apparaît aujourd'hui beaucoup plus souple depuis que la loi du 12 décembre 2005 a élargi la liste des délits susceptibles d'être assimilés au titre de la récidive correctionnelle (C. pén., art. 132-16-3 et s. N° Lexbase : L3754HG7). La nouveauté essentielle ayant consisté à fonder l'assimilation non plus seulement sur la proximité des éléments constitutifs des infractions mais sur la circonstance aggravante de violence donnant ainsi une portée tout à fait considérable à la récidive en matière correctionnelle (J.-H. Robert, Les murailles de silicium. Commentaire de la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, Droit pénal, février 2006, p. 4). Il n'en demeure pas moins que les seuils minimaux ainsi institués ne s'appliqueront pas à tous les délinquants déjà condamnés une première fois par la justice. En particulier, les peines planchers ne s'appliqueront pas aux hypothèses dans lesquelles la personne poursuivie est en situation de simple réitération d'infraction, c'est-à-dire, lorsque déjà condamnée définitivement pour une infraction, elle commet une nouvelle infraction non susceptible de constituer le second terme de la récidive légale parce que la condition de spécialité et/ou de délai n'est pas présente (C. pén., art.132-16-7 N° Lexbase : L3755HG8). Dans un tel cas de figure, le juge conserve l'entièreté de son pouvoir d'individualisation. Le principe posé dans le Code pénal est que les peines prononcées pour l'infraction commise en réitération se cumulent sans limitation de quantum et sans possibilité de confusion avec les peines définitivement prononcées lors de la condamnation précédente (à la différence du cumul d'infractions). Ce qui est de nature, en pratique, à aggraver également de manière non négligeable la situation de la personne condamnée, mais a priori sans réelle comparaison, avec le couperet que représentent les seuils nouvellement institués en matière de récidive.

C - Des peines planchers subordonnées au relevé de la circonstance aggravante de récidive légale

Des études statistiques menées afin de quantifier le phénomène criminel de la récidive, il est ressorti le constat que le taux de récidive légale était particulièrement bas (2,6 % pour les crimes ; 6,6 % pour les délits) et sans commune mesure avec le taux de recondamnation (situé autour de 31 %) ou même avec le taux de réitération à l'identique (autour de 14,5 %) (Rapport G. Geoffroy, préc. p.10 et s.). Ces chiffres trouvent une explication dans le fait que, jusqu'à une période récente, la circonstance aggravante de récidive légale était assez peu relevée dans l'acte de poursuites et par la juridiction de jugement. Ceci procédant soit d'une volonté délibérée (compte tenu de la complexité des conditions à remplir et du fait que la peine encourue sans récidive apparaissait assez élevée pour les circonstances de l'espèce), soit d'une impossibilité (l'information pouvant ne pas figurer au casier judiciaire en raison du délai de transmission de la condamnation précédente), soit enfin, la décision de ne pas relever l'état de récidive légale du prévenu était prise afin de préserver la compétence du juge unique. L'article 398 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3810AZ7) excluait, en effet, la compétence de ce dernier lorsque, du fait de la récidive légale, la peine encourue était supérieure à cinq ans. Depuis, la loi du 12 décembre 2005 a modifié la rédaction de l'article 398 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7790HNT). Le tribunal correctionnel siégeant à juge unique est, désormais, compétent pour juger les délits énumérés à l'article 398-1 (N° Lexbase : L8658HWL) de ce code même si la peine encourue, compte tenu de l'état de récidive légale du prévenu, est supérieure à cinq ans d'emprisonnement. Cette loi a, par ailleurs, consacré à l'article 132-16-5 du Code pénal (N° Lexbase : L3751HGZ) la position adoptée depuis plusieurs années par la Cour de cassation selon laquelle "l'état de récidive légale peut être relevé d'office par la juridiction de jugement même lorsqu'il n'est pas mentionné dans l'acte de poursuites, dès lors qu'au cours de l'audience, la personne en a été informée et qu'elle a été mise en mesure d'être assistée d'un avocat et de faire des observations".

Au vu de ces différentes modifications, l'état de récidive légale devrait, dorénavant, faire l'objet d'un relevé plus systématique. D'autant plus qu'une circulaire de la direction des affaires criminelles du 16 juin 2006 (N° Lexbase : L7536HYR) invite, désormais, le ministère public à relever systématiquement l'état de récidive légale dans son acte de poursuites ou à prendre des réquisitions à l'audience afin qu'il soit relevé d'office par la juridiction de jugement. Bien évidemment, il ne s'agit pas à proprement parler d'une obligation mais d'une simple orientation de politique pénale ; les magistrats du ministère public conservent par conséquent toujours une marge d'appréciation certaine dans le cadre du pouvoir d'opportunité qu'ils détiennent (C. proc. pén., art. 40 N° Lexbase : L5531DYI) et qui peut aussi les conduire, de la même manière, à ne pas relever d'autres circonstances aggravantes. Tout ceci devrait, néanmoins, contribuer à un relevé quasi systématique de la circonstance aggravante de récidive légale, dont on notera qu'il est le gage de l'application effective des dispositions instituées par la loi du 10 août 2007.

D - Des seuils minimaux auxquels la juridiction pourra toujours déroger

Les peines planchers instituées par la loi du 10 août 2007 ne possèdent aucun caractère automatique puisque les magistrats conservent une certaine latitude pour y déroger. C'est d'ailleurs en se fondant sur ce point que le Conseil constitutionnel a pu considérer que les dispositions de la loi n'étaient pas contraires au principe de la nécessité des peines et de l'individualisation de la peine (Cons. const., décision n° 2007-554 DC, du 9 août 2007, Loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs N° Lexbase : A6394DX4). La loi opère une distinction entre la situation de première et de nouvelle récidive légale.

  • Première récidive légale :

Le principe est que la juridiction, qui déclare la culpabilité d'un individu en situation de récidive légale, prononce la peine minimale d'emprisonnement ou de réclusion prévue au regard des nouveaux seuils institués. Les textes (C. pén., art. 132-18-1, al. 2, pour les crimes et art.132-19-1, al. 2, pour les délits) prévoient que la juridiction peut décider, néanmoins, de prononcer une peine inférieure à ces seuils "en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci". Contrairement à ce qui a pu parfois être écrit, les peines planchers ne présentent par conséquent aucun réel caractère automatique puisque la juridiction (par décision motivée, s'agissant du tribunal correctionnel) pourra toujours décider de déroger au principe sus-énoncé pour prononcer finalement une peine privative de liberté d'une durée inférieure à la peine minimale fixée. Et si c'est un délit, la juridiction conserve même la faculté de prononcer une peine autre que l'emprisonnement (amende, peine alternative, travail d'intérêt général... : C. pén., art.132-19-1, al. 2).

  • Nouvelle récidive légale :

En cas de nouvelle récidive légale, c'est-à-dire face à un multi récidiviste, un régime plus strict s'applique. On parle de nouvelle récidive légale lorsqu'une personne commet une troisième infraction qui constitue le deuxième terme d'une récidive dont le premier terme est aussi le second terme d'une première récidive.

Lorsqu'un crime est commis une nouvelle fois en état de récidive légale, l'article 132-18-1, dernier alinéa, du Code pénal prévoit que "la juridiction ne peut prononcer une peine inférieure aux seuils prévus que si l'accusé présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion".

En ce qui concerne les délits, l'article 132-19-1, alinéa 4, du Code pénal prévoit, de la même manière, que la juridiction peut prononcer une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure aux seuils prévus, par décision spécialement motivée, si le prévenu présente "des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion". Si l'infraction commise en état de nouvelle récidive légale est le délit de violences volontaires, le délit commis avec la circonstance aggravante de violences, le délit d'agressions ou d'atteintes sexuelles, ou encore un délit punis de dix ans d'emprisonnement, la juridiction conserve la possibilité de prononcer, par décision spécialement motivée, une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure au seuil minimal prévu si le prévenu présente "des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion" mais sans pouvoir prononcer, toutefois, une peine autre que l'emprisonnement.

Reste à s'interroger, en pratique, sur la manière dont les magistrats pourront effectivement apprécier la situation de l'intéressé sous peine de rendre purement virtuelle dans les faits la faculté ouverte aux magistrats de déroger aux peines planchers. Certes, en vertu de l'article 41 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8615HWY), le procureur de la République a la possibilité de requérir les services compétents afin de "vérifier la situation matérielle, familiale et sociale" de toute personne faisant l'objet d'une enquête. La loi "Perben II" du 9 mars 2004 a, par ailleurs, rendu ces diligences obligatoires  dans un certain nombre de cas (loi n° 2004-204, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité N° Lexbase : L1768DP8). Le Sénat souhaitait rendre de telles enquêtes systématiques. Il avait proposé, à cette fin, d'ajouter une disposition en vertu de laquelle le ministère public ne pouvait prendre aucune réquisition tendant à retenir la circonstance aggravante de récidive sans avoir préalablement requis la réalisation d'une enquête de personnalité propre à éclairer la juridiction de jugement sur la personnalité de l'intéressé et ses garanties d'insertion ou de réinsertion.

Cette disposition n'a finalement pas été intégrée dans la loi. Les raisons avancées étaient qu'elle aurait abouti à la situation contestable de mieux traiter les récidivistes que les primo délinquants, qui pour des raisons financières et pratiques, n'en bénéficient pas systématiquement. Par ailleurs, il a été, également, avancé que cette disposition aurait été difficilement conciliable avec la possibilité, introduite par la loi du 12 décembre 2005 (C. pén., art. 132-16-5 N° Lexbase : L3751HGZ), pour la juridiction de jugement de relevé d'office l'état de récidive légale.

Il n'en demeure pas moins que le juge conserve toute latitude pour ordonner le renvoi de l'affaire, dès lors qu'il ne s'estimera pas suffisamment informé, afin de demander une enquête de personnalité qui lui permettra de se prononcer sur "les garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion".

E - Des peines planchers applicables aux majeurs comme aux mineurs

L'article 5 de la loi du 10 août 2007 complète l'article 20-2, alinéa 1er, de l'ordonnance du 2 février 1945 (N° Lexbase : L4662AGR) par une phrase selon laquelle "la diminution de moitié de la peine encourue s'applique également aux peines minimales prévues par les articles 132-18, 132-18-1 et 132-19-1 du Code pénal". Il résulte de ce nouvel énoncé l'application aux mineurs récidivistes des peines minimales d'emprisonnement mais avec le principe d'une diminution de moitié du quantum applicable aux majeurs pour tenir compte de l'excuse atténuante de minorité. Le principe de l'atténuation de responsabilité pour les mineurs est donc maintenu, fort logiquement d'ailleurs, étant donné la valeur constitutionnelle de celui-ci (cf. décision du Cons. const., du 9 août 2007, préc.). L'article 20-2 a pris soin de préciser, par ailleurs, que les mesures ou sanctions éducatives prononcées contre un mineur ne peuvent constituer le premier terme de l'état de récidive.

Toutefois, la loi du 10 août 2007 poursuit l'évolution entreprise avec la loi du 5 mars 2007 en élargissant encore un peu plus les possibilités d'écarter l'atténuation de peine s'agissant des mineurs de 16 ans.

Jusqu'à une période récente, l'article 20-2, alinéa 2, de l'ordonnance du 2 février 1945 prévoyait, encore, que le principe de l'atténuation de peine pouvait être renversé mais seulement "à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité du mineur", et par une "disposition spécialement motivée" du tribunal pour enfants. Mais la loi du 5 mars 2007 a, non seulement, supprimé le caractère exceptionnel de cette dérogation, mais l'a étendue aux "faits constituant une atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne et commis en état de récidive légale", la motivation spéciale de la décision n'étant plus au surplus exigée en cas de récidive. Depuis cette modification, il suffit au tribunal pour enfants de constater que les faits sont constitutifs d'une atteinte à la personne et que le mineur de plus de 16 ans est en état de récidive pour pouvoir écarter l'excuse de minorité sans avoir à en justifier autrement que par cette référence.

La loi du 10 août dernier va encore plus loin. Ici encore, une distinction est opérée entre la situation de première et de nouvelle récidive :

  • En cas de première récidive, l'atténuation de peine reste le principe, mais elle peut être exclue par la cour d'assises des mineurs et le tribunal pour enfants lorsque les circonstances de l'espèce et la personnalité du mineur le justifient et, en outre, en cas de récidive : de crime d'atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité de la personne ; de délit de violences volontaires, d'agressions sexuelles ou commis avec la circonstance aggravante de violences.
  • En cas de seconde récidive, le principe devient le rejet de l'excuse atténuante du moins pour les crimes d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne commis en récidive et pour les délits de violences volontaires, d'agressions sexuelles ou commis avec la circonstance aggravante de violences, eux-mêmes commis en récidive. Ces mineurs seront, en principe, traités à l'avenir comme les majeurs.

La loi prévoit, néanmoins, par exception, que même dans le cas de seconde récidive, "la cour d'assises des mineurs peut en décider autrement, de même que le tribunal pour enfants". En matière correctionnelle, le retour à l'atténuation de peine suppose une décision spécialement motivée. En matière criminelle, la technique est différente puisqu'il n'y a pas de motivation. L'article 362, alinéa 1er, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3761AZC) oblige le président des assises à donner lecture aux jurés des articles 132-18 (N° Lexbase : L3758HGB, sur les peines minimales de deux ou un an selon que la peine encourue est perpétuelle ou temporaire) et 132-24 du Code pénal (N° Lexbase : L8717HWR, sur les modes de personnalisation des peines). A cette obligation, la loi du 10 août 2007 ajoute pour le président celle de donner lecture des articles 132-18-1 et 132-19-1 du Code pénal sur les nouveaux planchers.

II - La lutte contre la récidive par le traitement médical des récidivistes

L'autre volet de la loi du 10 août 2007 consiste à rendre systématique l'injonction de soins (prévue par les articles L. 3711-1 N° Lexbase : L3206DLC et s. du Code de la santé publique) pour les auteurs des infractions pour lesquels le suivi socio-judiciaire est encouru chaque fois qu'une expertise médicale aura conclu qu'un traitement est possible et sauf décision contraire du juge.

A - La systématisation de l'injonction de soins intervient tant au stade du jugement que de l'application de la peine

  • Au stade du jugement

La loi prévoit que, sauf décision contraire de la juridiction, la mesure de suivi socio-judiciaire sera systématiquement assortie d'une injonction de soins, dès lors qu'il est établi au moment de la condamnation, par expertise médicale, que la personne condamnée est susceptible de faire l'objet d'un traitement (C. pén., art. 131-36-3). Ce qui signifie que, dorénavant, et sauf exception, un suivi socio-judiciaire comprendra obligatoirement une injonction thérapeutique. Dans la version antérieure, l'injonction thérapeutique pouvait déjà être prévue dans le cadre d'un tel suivi, mais elle n'était que facultative.

De la même manière, la loi prévoit que la personne condamnée à une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve est soumise à une injonction de soins (C. pén., art. 132-45-1). L'article 132-45-1, alinéa 3, précise, dans ce cas, que, lorsque la juridiction de jugement prononce une peine privative de liberté qui n'est que partiellement assortie du sursis avec mise à l'épreuve, le président doit informer le condamné qu'il aura la possibilité de commencer le traitement pendant l'exécution de la peine.

L'application dans le temps de ces dispositions a été reportée au 1er mars 2008 afin de permettre le renforcement du nombre de médecins coordonnateurs nécessaires.

  • Au stade de l'application des peines

La loi tend à généraliser l'injonction thérapeutique au stade de l'application de la peine, afin d'éviter que des délinquants ne puissent échapper à l'injonction thérapeutique sous prétexte qu'ils auraient été condamnés avant l'entrée en vigueur des dispositions nouvelles. L'injonction thérapeutique est ainsi rendue systématique dans le cadre du suivi socio-judiciaire, de la surveillance judiciaire et enfin de la libération conditionnelle.

Suivi socio-judiciaire : si la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire n'a pas été soumise à une injonction de soins, le juge de l'application des peines ordonne en vue de sa libération une expertise médicale afin de déterminer si elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement. S'il est établi, à la suite de cette expertise, la possibilité d'un traitement, la personne condamnée est soumise à une injonction de soins, sauf décision contraire du juge d'application des peines (C. proc. pén., art. 763-3).

Surveillance judiciaire : sur le même modèle, la loi prévoit que, "sauf décision contraire du juge de l'application des peines, le condamné placé sous surveillance judiciaire est soumis à une injonction de soins lorsqu'il est établi, après expertise médicale, qu'il est susceptible de faire l'objet d'un traitement" (C. proc. pén., art. 723-30). Cette extension apparaît logique puisqu'il s'agit d'une mesure de sûreté assez proche du suivi socio-judiciaire, applicable aux personnes dangereuses, présentant un risque avéré de récidive, et condamnées à une peine privative de liberté égale ou supérieure à dix ans pour un crime ou pour un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru (C. proc. pén., art. 723-29 et s. N° Lexbase : L9713HEH).

Libération conditionnelle : l'article 731-1 du Code de procédure pénale prévoit toujours, dans des termes assez proches, que la personne faisant l'objet d'une libération conditionnelle peut être soumise aux obligations prévues pour le suivi socio-judiciaire si elle a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel cette mesure est encourue. Sauf décision contraire du juge d'application des peines ou du tribunal de l'application des peines, cette personne est soumise à une injonction de soins s'il est établi, après expertise, qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement.

B - Extension du domaine des infractions susceptibles de faire l'objet d'un suivi socio-judiciaire

Cette systématisation de l'injonction thérapeutique intervient alors que le domaine des infractions pour lesquelles les auteurs d'infractions sont susceptibles de faire l'objet d'un suivi socio-judiciaire a été fortement étendu.

A l'origine, le suivi socio-judiciaire, institué par la loi du 17 juin 1998 (loi n° 98-468, relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs N° Lexbase : L8570AIA), concernait exclusivement les auteurs d'infractions à caractère sexuel : meurtre ou assassinat d'un mineur, précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie (C. pén., art. 221-9-1 N° Lexbase : L2377AMY) ; viol, agression sexuelle ou exhibition sexuelle (C. pén., art. 222-23 et s. N° Lexbase : L2379AM3 et 222-48-1 N° Lexbase : L2383AM9), ou encore les infractions réprimées aux articles 227-2 (N° Lexbase : L1836AMX) à 227-22 et 227-31 du Code pénal (N° Lexbase : L2400AMT), parmi lesquelles les faits de corruption de mineur, de diffusion d'image pornographique de mineur ou encore d'atteinte sexuelle.

Mais la loi du 12 décembre 2005 a notablement élargi le champ d'application du suivi socio-judiciaire en permettant son prononcé en dehors de la délinquance sexuelle proprement dite, à l'encontre des personnes physiques reconnues coupables du crime d'atteinte volontaire à la vie des personnes (C. pén., art. 221-9-1 N° Lexbase : L3745HGS), crimes d'enlèvement et de séquestration (C. pén., art. 224-10 N° Lexbase : L3747HGU), des auteurs de tortures ou d'actes de barbarie (C. pén., art. 222-48-1 N° Lexbase : L3741HGN) et aussi en cas de destruction, dégradation, détérioration d'un bien appartenant à autrui par substance explosive ou tout moyen de nature à créer un danger pour les personnes.

La loi du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance, a ajouté à cette liste les violences commises au sein d'un couple (C. pén., art. 222-48-1 N° Lexbase : L8739HWL).

Par suite, l'injonction thérapeutique est de nature à concerner un très grand nombre de délinquants. On assiste ainsi, depuis quelques années, à l'apparition d'une nouvelle catégorie de délinquants -les personnes condamnées pour une infraction susceptible de faire l'objet d'un suivi socio-judiciaire- relevant, désormais, d'un régime spécifique pour ce qui concerne l'exécution de la peine, dans lequel le traitement médical est une composante essentielle. L'application de ces dispositions séduisantes reste néanmoins largement tributaires de l'affectation de moyens financiers et humains suffisants.

C - Caractère automatique de l'injonction de soins

En vertu des dispositions nouvelles, le juge se voit contraint de solliciter, dans toutes les hypothèses précitées, l'accomplissement d'une expertise médicale afin d'établir l'aptitude de l'intéressé à un traitement médical. Par ailleurs, dans le cas où l'expert conclura positivement en ce sens, il doit soumettre la personne à une injonction de soins. Les textes prévoient, néanmoins, la possibilité pour le magistrat de se prononcer en sens contraire.

Dans un souci de simplification, le régime de l'expertise médicale est unifié. Désormais, celle-ci sera réalisée, par un seul expert, selon les dispositions des articles 131-36-4, alinéa 2, du Code pénal en matière de suivi socio-judiciaire et 132-45-1 du même code en matière de sursis avec mise à l'épreuve. Si bien que disparaît l'exigence d'une expertise réalisée par deux experts, en matière de suivi socio-judiciaire, jusque là nécessaire lorsque les poursuites concernaient un meurtre ou un assassinat de mineur précédé ou accompagné d'actes de torture et de barbarie (C. pén., ancien art. 131-36-4, al. 2 N° Lexbase : L2370AMQ).

D - Caractère obligatoire de l'injonction de soins

Le juge ne fait que proposer les soins au condamné. Et le Code pénal spécifie expressément qu'aucun traitement ne peut être entrepris sans son consentement. Pour autant la liberté de la personne condamnée n'est qu'apparente dans la mesure où son refus sera sanctionné.

Sous l'empire des dispositions anciennes, lorsque l'injonction thérapeutique était décidée dans le cadre du suivi judiciaire, l'article 131-36-4 du Code pénal prévoyait déjà que "le président avertit le condamné qu'aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement, mais que s'il refuse les soins qui lui sont proposés, l'emprisonnement encouru en cas d'inobservation des obligations imposées dans le cadre du suivi et prononcé dans la décision de condamnation pourra être mis à exécution" (C. pén., art. 131-36-1, al. 3 N° Lexbase : L0409DZ8).

La présente loi adopte des dispositions comparables dans le cadre du sursis avec mise à l'épreuve. L'article 132-45-1, alinéa 2 prévoit, ainsi, que "le président de la juridiction doit avertir le condamné qu'aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement mais que s'il refuse les soins qui lui sont proposés, l'emprisonnement prononcé pourra être mis à exécution".

E - Dans le même esprit, la loi incite les personnes condamnées pour l'une des infractions entrant dans le champ de celles pour lesquelles le suivi socio judiciaire est applicable, à suivre un traitement médical en détention

Pour ce faire elle subordonne l'octroi de certaines réductions de peine et de la libération conditionnelle au fait que le condamné ou délinquant ait accepté de suivre un traitement médical pendant son incarcération.

  • Réduction supplémentaire de peine de l'article 721-1 du Code de procédure pénale :

L'article 721 du Code de procédure pénale prévoit que chaque condamné bénéficie d'un crédit de réduction de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée. L'article 721-1 du même code prévoit, quant à lui, une réduction supplémentaire de peine pour les condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale. Il était prévu que ces efforts pouvaient s'analyser dans le fait de suivre une thérapie destinée à limiter les risques de récidive. La loi du 10 août 2007 est venue poser clairement qu'aucune réduction de peine supplémentaire ne pourra être accordée à une personne condamnée pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru et qui refuse de suivre le traitement médical proposé pendant son incarcération.

  • Libération conditionnelle de l'article 729 du Code de procédure pénale :

Dans le même esprit l'article 729 du Code de procédure pénale subordonne la libération conditionnelle d'une personne condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru à l'acceptation d'un traitement pendant son incarcération et à l'engagement de suivre un traitement après sa libération.

newsid:299078

Immobilier et urbanisme

[Jurisprudence] Exercice du droit de préemption urbain : sur qui pèse le paiement de la commission de l'agent immobilier ?

Réf. : Cass. civ. 3, 26 septembre 2007, n° 06-17.337, Commune de Chamonix Mont-Blanc, représentée par son maire en exercice, FS-P+B (N° Lexbase : A5852DYE)

Lecture: 3 min

N9073BCZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209415-edition-n-278-du-25-10-2007#article-299073
Copier

par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

Dans un arrêt du 26 septembre 2007, la Cour de cassation rappelle que l'organisme qui exerce son droit de préemption est tenu de prendre en charge la rémunération des intermédiaires immobiliers incombant à l'acquéreur auquel il est substitué, ce droit étant conditionné par l'indication du montant et de la partie qui en a la charge dans l'engagement et dans la déclaration d'intention d'aliéner. En l'espèce, une société avait donné mandat à un tiers de rechercher, en vue de son acquisition, un tènement immobilier moyennant une rémunération à la charge de l'acquéreur. Une promesse de vente avait été signée par l'intermédiaire d'une agence immobilière. La commune, informée de la signature de la promesse de vente, avait exercé son droit de préemption. L'intermédiaire immobilier, se prévalant des mentions de la déclaration d'intention d'aliéner reçue par la commune, avait dès lors assigné cette dernière en paiement de la somme de 135 105,85 euros correspondant au montant de sa commission. La commune s'opposait pour plusieurs raisons à ce paiement. Les premiers juges, dont la décision est confirmée par l'arrêt commenté, ont rappelé que l'organisme qui exerce son droit de préemption est tenu de prendre en charge la rémunération de l'agent immobilier dès lors que celui-ci incombe à l'acquéreur si l'indication du montant et de la partie qui en a la charge est spécifiée dans l'engagement des parties et dans la déclaration d'intention d'aliéner.

Le titulaire du droit de préemption est donc tenu exclusivement, mais intégralement, aux conditions financières figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner.

Si la jurisprudence est constante en la matière, le contentieux ne tarit pas, ce qui explique, sans doute, la publicité dont bénéficie l'arrêt commenté.

Il convient, dès lors, de rappeler certains principes applicables en matière de droit à rémunération de l'agent immobilier en cas d'exercice de son droit de préemption, notamment par une commune.

1. Tout d'abord, il est admis que le titulaire du droit de préemption est substitué à l'acquéreur initial et qu'il bénéficie de droits et obligations identiques (Cass. civ. 1, 9 mars 1999, n° 96-21.259, Société Simon-Tanay de Kaenel c/ M. Almeras N° Lexbase : A5105AWY, Bull. civ. I, n° 79).

Cette substitution joue même dans l'hypothèse où le prix d'acquisition du bien préempté serait inférieur à celui initialement convenu entre vendeur et acquéreur (voir Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-19.477, M. Maurice Ours et autres c/ Société Lefrançois-Reynaud, société à responsabilité limitée N° Lexbase : A5573CQH).

Comme le rappelle l'arrêt commenté, dès lors que l'acquéreur est tenu au paiement de la commission de l'agent immobilier, le titulaire du droit de préemption sera tenu au paiement de cette commission en ses lieu et place, peu important qu'il ne contracte pas aux mêmes conditions.

2. Rappelons, par ailleurs, que le droit à commission de l'agent doit avoir été conventionnellement prévu.

Ainsi, est-il traditionnellement admis que la substitution du préempteur à l'acquéreur ne porte pas atteinte au droit à commission de l'agent immobilier, tel qu'il est conventionnellement prévu (Cass. civ. 1, 9 mars 1999, préc.).

Dans l'hypothèse envisagée d'exercice du droit de préemption par une commune, pour que le droit à commission de l'agent immobilier soit opposable au titulaire du droit de préemption, il doit être spécifié dans la déclaration d'intention d'aliéner qui lui a été notifiée.

A défaut, la commune ne pourra être contrainte à rémunérer l'agent immobilier, nonobstant la substitution aux lieu et place de l'acquéreur évincé qui s'est opérée (Cass. civ. 3, 10 mars 1993, n° 90-19.578, Commune de Pouilly-les-Nonains c/ Société Dugourd et Game Transaction N° Lexbase : A5468AB7, Bull. civ. III, n° 36).

En indiquant que le titulaire du droit de préemption est tenu exclusivement mais intégralement aux conditions financières figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner, la Cour de cassation confirme donc ce principe dans l'arrêt commenté.

3. Précisons, enfin, que, pour bénéficier de sa rémunération, l'agent immobilier doit, en principe, établir qu'il a eu un rôle essentiel dans l'accomplissement de la mission qui lui était confiée pour prétendre à sa commission.

Or, dans l'hypothèse envisagée, peut-il prétendre à une "intervention essentielle" alors qu'il n'a accompli aucune démarche particulière pour mettre en relation la commune et le vendeur ?

La Cour de cassation admet de manière relativement souple le droit à commission de l'agent immobilier, dès lors qu'il établit avoir eu un rôle actif dans la signature du compromis de vente conclu avec l'acquéreur évincé.

En conclusion, si la rémunération de l'agent immobilier peut parfois ressembler à un "parcours d'obstacles", la Cour de cassation veille à préserver un équilibre illustré par l'arrêt rapporté.

newsid:299073

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Nullité d'un accord négocié avec une partie seulement des syndicats : nouveau principe

Réf. : Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-42.721, Société SEB, F-P+B (N° Lexbase : A7452DYN)

Lecture: 6 min

N9000BCC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209415-edition-n-278-du-25-10-2007#article-299000
Copier

par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

La nullité des conventions et accords collectifs de travail reste un contentieux récent et jusqu'à présent rare, ce qui s'explique, en partie, par l'objet traditionnel de ces actes qui est l'obtention d'avantages pour les salariés. Les conventions et accords collectifs de travail ne contenant, désormais, plus seulement des avantages pour les salariés, les syndicats non signataires contestent de plus en plus fréquemment leur contenu. A quelles conditions un syndicat peut-il obtenir la nullité d'un accord collectif de travail ? Dans l'espèce commentée du 10 octobre 2007, des syndicats convoqués à une négociation qui n'avait pas abouti (aucun accord n'ayant été conclu, aucun procès-verbal de désaccord n'ayant été signé), entendaient obtenir l'annulation d'un accord signé postérieurement par deux syndicats, au motif qu'ils ne l'avaient pas négocié, ce dernier étant différent de celui qui leur avait été présenté lors de la première réunion. La Cour de cassation vient, ici, affirmer, dans un attendu de principe, que la nullité d'une convention ou d'un accord collectif de travail est encourue lorsque toutes les organisations syndicales n'ont pas été convoquées à sa négociation, ou si l'existence de négociations séparées est établie, ou, encore, si elles n'ont pas été mises à même de discuter les termes du projet soumis à la signature en demandant, le cas échéant, la poursuite des négociations jusqu'à la procédure prévue pour celle-ci. Ces hypothèses de nullité, bien qu'elles soient pour la première fois, à notre connaissance, affirmées de manière aussi catégorique, doivent pleinement être approuvées.

Résumé

La nullité d'un accord ou d'une convention collective est encourue lorsque toutes les organisations syndicales n'ont pas été convoquées à sa négociation, ou si l'existence de négociations séparées est établie, ou encore si elles n'ont pas été mises en mesure de discuter les termes du projet soumis à la signature en demandant, le cas échéant, la poursuite des négociations jusqu'à la procédure prévue pour celle-ci.

1. Encadrement de la nullité des accords collectifs de travail

  • Notion et formation de la convention collective de travail

L'accord collectif de travail est un acte juridique conclu entre des syndicats de salariés, d'une part, et un ou plusieurs employeurs, d'autre part (C. trav., art. L. 132-2 N° Lexbase : L5680ACD). Il se distingue de la convention collective par son objet.

La convention, tout comme l'accord, est un acte écrit à peine de nullité. Il doit être rédigé en français et doit, une fois conclu, être déposé à la fois à la direction du Travail et de l'Emploi et au secrétariat greffe du conseil de prud'hommes.

  • Causes de nullité des conventions et accords collectifs de travail

Les accords collectifs se formant comme des contrats, ils sont soumis aux conditions de validité des actes juridiques définies par les articles 1108 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L1014AB8).

La nullité de la convention ou de l'accord collectif peut être ainsi, par exemple, obtenue en cas d'incapacité de conclure. Tel est le cas lorsque la représentativité du syndicat est contestée ou lorsqu'il y a défaut d'habilitation des signataires (C. civ., art. 1108).

La convention ou l'accord collectif de travail peut, encore, être touchée par un vice du consentement (C. civ., art. 1109 N° Lexbase : L1197ABX). La jurisprudence a toujours fait application des règles du droit commun, admettant, notamment, la violence pour prononcer la nullité de l'accord collectif conclu (T. civ. Nantes, 6 janvier 1956, Dr. soc. 1956, 87)

Si, en application du droit commun, le défaut de consentement, de capacité, un objet ou une cause illicite sont des causes de nullité, elles ne sont pas les seules. La nullité est, également, encourue lorsque les clauses de la convention dérogent aux dispositions d'ordre public absolu de la loi. L'article L. 132-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5683ACH) dispose, à cet effet, que, si la convention et l'accord collectif de travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements, ils ne peuvent déroger aux dispositions d'ordre public de ces lois et règlements. La convention et l'accord doivent donc, à peine de nullité, se conformer aux dispositions d'ordre public absolu contenues dans les lois et règlements.

Ces cas de nullité concernent le fond des conventions et accords collectifs de travail. La nullité est, également, encourue en cas de non-respect des conditions de forme prescrites par le législateur.

La nullité est ainsi prononcée lorsque l'employeur n'invite pas à la négociation tous les syndicats représentatifs de l'entreprise (C. trav., art. L. 132-19 N° Lexbase : L5672AC3), voire lorsqu'il ne négocie pas avec l'ensemble des syndicats représentatifs dans l'entreprise.

Quid lorsque les syndicats ont tous été convoqués mais que tous n'ont pas participé à l'intégralité des négociations ? L'accord conclu est-il annulable ?

C'est à cette question que devait répondre la Cour de cassation dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, la société et différentes organisations syndicales avaient signé, le 14 décembre 1998, un accord sur la réduction du temps de travail concernant l'ensemble des salariés de l'entreprise, à l'exception des cadres pour lesquels les négociations avaient été ouvertes au deuxième semestre 2000.

A cet effet, une réunion de négociation s'était tenue, au cours de laquelle les diverses organisations syndicales avaient indiqué qu'elles ne signeraient pas le projet d'accord proposé et avaient refusé de signer un procès-verbal de désaccord.

Un accord sur ce sujet avait été, néanmoins, signé ultérieurement avec deux syndicats seulement. La CFDT, syndicat non signataire, avait saisi le tribunal de grande instance d'une demande d'annulation de cet accord, faisant valoir que ses termes n'avaient pas été soumis à la négociation de l'ensemble des organisations représentatives.

L'accord avait été annulé par la cour d'appel, qui avait condamné la société SEB à payer des dommages et intérêts au syndicat CFDT.

La Cour de cassation confirme cette nullité.

Dans un attendu qui a toutes les caractéristiques d'un attendu de principe, elle affirme que la nullité d'une convention ou d'un accord collectif de travail est encourue lorsque toutes les organisations syndicales n'ont pas été convoquées à sa négociation ou si l'existence de négociations séparées est établie ou, encore, si elles n'ont pas été mises à même de discuter les termes du projet soumis à la signature demandant, le cas échéant, la poursuite des négociations jusqu'à la procédure prévue pour celle-ci.

Or, comme le relève la Haute juridiction dans cette espèce, aucun accord ni aucun projet de désaccord n'avait été signé à l'issue de la première réunion, ce qui signifiait que la négociation était seulement interrompue. Aucune signature n'ayant été prévue et le texte signé ultérieurement par deux syndicats étant différent de celui discuté lors de la première réunion, l'accord négocié et signé par une partie seulement des syndicats représentatifs était nul.

Cette solution doit pleinement être approuvée.

2. Logique de nullité des conventions et accords collectifs d'entreprise

Les hypothèses de nullité relatées dans la décision commentée sont parfaitement logiques. Elles sont conformes à la lettre et l'esprit des textes applicables à la négociation et étaient annoncées par la jurisprudence. Néanmoins, on peut regretter ce ralentissement apporté à la négociation collective.

  • Précédents jurisprudentiels

L'article L. 132-19 du Code du travail dispose que la convention ou, à défaut, les accords d'entreprise sont négociés entre l'employeur et les organisations syndicales de salariés représentatives dans l'entreprise au sens de l'article L. 132-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5680ACD). La nullité, en cas de défaut de convocation individuelle à la négociation de tous les syndicats représentatifs dans l'entreprise, n'est pas douteuse. Elle a, d'ailleurs, été expressément prononcée par les juges. Cette nullité a été étendue par la jurisprudence.

La Cour de cassation a déduit de l'article L. 132-19 du Code du travail, l'illicéité de l'accord négocié avec une partie seulement des syndicats représentatifs dans l'entreprise (Cass. soc., 9 février 2000, n° 97-22.619, Union syndicale des personnels de la société Lyonnaise des eaux Dumez c/ Société Lyonnaise des eaux et autres, publié N° Lexbase : A4721AGX). Dans la décision du 9 février 2000, les juges avaient, ainsi, prononcé la nullité de l'accord négocié et conclu avec une partie des syndicats représentatifs de l'entreprise, et ce malgré le fait que les syndicats non signataires avaient délibérément quitté la table des négociations.

Cette déduction est logique. Si le législateur souhaite que l'employeur convoque à la table des négociations tous les syndicats représentatifs de l'entreprise, c'est en vue de négocier et d'aboutir à un accord qui satisfasse tout le monde et qui ait été soumis à toutes les mouvances syndicales de l'entreprise.

La solution retenue dans la décision commentée est respectueuse de la lettre des textes applicables en la matière. Elle constitue, toutefois, un frein à la conclusion de conventions et accords collectifs de travail.

  • Une solution respectueuse de la lettre des textes

L'article L. 132-19 du Code du travail impose, en effet, que les accords soient négociés entre l'employeur et les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise. Cette disposition ne limite donc pas les obligations de l'employeur à la convocation des syndicats représentatifs de l'entreprise. Elle lui impose de négocier avec ces derniers. Dès lors, tant qu'un accord négocié avec tous ces syndicats n'est pas intervenu, aucun accord ne peut valablement être signé.

On peut trouver la jurisprudence -et donc le texte sur lequel elle se fonde- un peu radicale et peu propice à la conclusion de conventions et accords collectifs de travail. Que doit faire l'employeur lorsque certains syndicats mécontents avec les termes du projet quittent la table des négociations ?

Si l'on suit cette jurisprudence, il doit attendre qu'ils se décident à bien vouloir venir négocier la convention s'il veut qu'un accord soit conclu et soit donc applicable dans son entreprise. L'interruption des négociations n'est pas un motif lui permettant de conclure un accord avec ceux qui sont restés... Ce système risque de bloquer la négociation, du moins de la ralentir....

Décision

Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-42.721, Société SEB, F-P+B (N° Lexbase : A7452DYN)

Rejet (CA Nancy, 1ère chambre civile, 28 février 2006)

Textes concernés : néant

Mots-clefs : convention et accords collectifs de travail ; négociation ; interruption ; nullité de l'accord signé par une partie des syndicats représentatifs.

Lien bases :

newsid:299000

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La date de la transaction et la démission

Réf. : Cass. soc., 9 octobre 2007, n° 06-41.406, F-D (N° Lexbase : A7427DYQ)

Lecture: 7 min

N8937BCY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209415-edition-n-278-du-25-10-2007#article-298937
Copier

par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 02 Février 2024


S'il est fréquent qu'une transaction soit conclue entre l'employeur et son ancien salarié après qu'un licenciement ait été prononcé, cette convention est bien plus rare dans l'hypothèse où la rupture du contrat est intervenue à l'initiative du salarié. Ainsi, la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 9 octobre 2007, avait à s'interroger sur les conditions de qualification et de validité d'une transaction conclue préalablement à une démission. Comme on pouvait s'y attendre, elle étend les conditions de validité liées à la date de la transaction à l'hypothèse où celle-ci intervient dans le cadre d'une rupture du contrat de travail par démission (1). Cette solution mérite d'être approuvée (2).

Résumé

La transaction qui comporte, outre des concessions réciproques, un accord des parties pour une démission ultérieure du salarié, ne s'analyse pas en un accord de rupture amiable. Il s'agit bien d'une transaction dont le juge doit apprécier la validité au regard de la date de sa conclusion.

1. L'extension confirmée des conditions de validité liées à la date de la transaction dans le cadre d'une démission

  • Retour sur les conditions de validité de la transaction

La transaction est une convention par laquelle les parties "terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître". Le Code du travail étant demeuré silencieux sur l'application de ce contrat aux relations de travail, ce sont aux articles 2044 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE) qu'il convient de se référer pour en déterminer les conditions de validité. Mais, ces dispositions demeurant minimalistes, le régime de la transaction a, peu à peu, été complété par la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Ainsi, l'objet de la transaction doit exclusivement porter sur la résolution d'un litige entre les parties. Elle ne peut, par exemple, avoir pour objet de revenir sur les causes de la rupture du contrat de travail (1). S'il n'y a pas de désaccord entre les parties, la transaction n'est donc pas valable (2).

Afin de régler le litige, la transaction doit comporter, de la part de chacune des parties, un certain nombre de concessions réciproques (3).

Mais, la plus importante construction échafaudée par la Cour de cassation concernen, incontestablement, la date à laquelle peut être conclue la transaction (4).

  • Une condition fondamentale : la date de la transaction

En effet, la Chambre sociale a posé comme règle que, la transaction ayant pour objet de mettre fin au litige résultant d'un licenciement, elle ne peut valablement être conclue qu'une fois la rupture intervenue et devenue définitive. Cette règle s'explique, en général, par la nécessité que les parties puissent négocier le contrat "d'égal à égal", situation de fait impossible à mettre en oeuvre tant que le salarié se trouve sous la subordination de l'employeur.

On appuie, également, cette disposition sur l'influence portée par l'article L. 122-14-7 du Code du travail (N° Lexbase : L5572ACD), lequel interdit au salarié de renoncer à une partie de ses droits résultant du licenciement, tant que ceux-ci ne sont pas nés (5).

Régulièrement réitérée par les juges, cette condition n'avait pourtant été posée clairement qu'en matière de licenciement (6).

  • En l'espèce : l'extension nette de la règle à la démission

Dans l'affaire commentée, les parties avaient conclu une transaction qui avait la particularité de prévoir, outre diverses concessions de la part de l'employeur et des salariés, la démission de ces derniers à une date ultérieure à la conclusion du contrat. La cour d'appel avait, dès lors, cru voir, dans cette convention, un simple accord de rupture amiable, lequel n'était, à ses yeux, sujet à aucune critique.

La Cour de cassation casse l'arrêt des juges d'appel au visa des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 2044 du Code civil. Elle estime, en effet, "qu'au regard des stipulations qu'elles contenaient, les conventions conclues entre la société l'Est Républicain et ses salariées ne constituaient pas des conventions de rupture amiable des contrats de travail mais des transactions, comportant des concessions réciproques, dont il lui appartenait de vérifier la validité en considération de la date de leur conclusion".

En effet, la transaction se différencie de la rupture amiable en ce que la première a pour objet de résoudre un litige, alors que la seconde n'a simplement pour objet que de rompre le contrat de travail. L'existence de concessions dans l'accord suffisait à démontrer, de manière très classique, qu'il s'agissait bien d'une transaction et non d'une rupture négociée.

Requalifiant ainsi la convention, la Cour de cassation estime que les juges d'appel devaient en apprécier la validité au regard de la date de leur conclusion. La date de la conclusion de l'accord intervenant dans le cadre d'une démission constitue donc une condition de validité de la transaction, cette règle n'étant clairement plus réservée à la rupture du contrat de travail par licenciement.

Il importe de s'interroger sur l'opportunité et la justification d'une telle extension.

2. L'extension justifiée des conditions de validité liées à la date de la transaction dans le cadre d'une démission

  • Les questions relatives à l'existence d'un litige

Si la transaction ne peut intervenir préalablement au licenciement, comme nous l'avons déjà évoqué, c'est principalement parce qu'il n'existe, alors, pas encore de litige entre les parties. Le litige naît des conditions de la rupture, de l'appréciation de la régularité, de la justification du licenciement, voire de sa licéité.

On peut, dès lors, se demander si l'extension de la règle à la rupture à l'initiative du salarié présentait une véritable cohérence. En effet, la démission traduit bien moins l'existence d'un litige que le licenciement. Le salarié qui quitte l'entreprise, à son initiative, dans le cadre de relations litigieuses avec son employeur invoque généralement la technique, désormais courante, de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail. Ce n'est que s'il n'existe pas de contestation que le salarié optera pour une démission.

En outre, l'argument tiré de l'interdiction de la renonciation au droit du licenciement fondé sur l'article L. 122-14-7 du Code du travail paraît, lui aussi, inopérant. Outre qu'il ne s'agit pas dans ce cas d'un licenciement, aucune disposition du Code n'interdit au salarié de renoncer à des droits qu'il tirerait de sa démission, à l'exception, bien entendu, du préavis auquel les parties peuvent parfaitement renoncer.

La démission n'étant théoriquement pas porteuse d'un litige, c'est la technique même de la transaction qui devrait être repoussée dans une telle hypothèse. Ce raisonnement trouve, malgré tout, ses limites dans la recherche des motivations pouvant pousser un employeur et un salarié à conclure une transaction dans le cadre d'une démission.

  • Une protection contre la fraude au licenciement ?

A la réflexion, il nous semble qu'il est tout à fait opportun d'admettre la technique de la transaction dans le cadre d'une rupture du contrat de travail par démission et, partant, de respecter les conditions de successivité des deux actes.

En effet, c'est raisonner de manière trop rapide que de considérer que la démission ne puisse donner lieu à une situation litigieuse. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer les possibilités offertes au salarié de contester le caractère clair et non équivoque de sa démission. Plus encore, on sait que le juge accepte, aujourd'hui, de revenir sur la qualification de cette démission. Si le salarié, après avoir démissionné, remet en cause l'acte en invoquant des faits ou manquements imputables à l'employeur, le juge pourra requalifier la démission en prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur (7).

Dès lors qu'il peut exister un litige dans le cadre d'une rupture du contrat par démission, il redevient possible de conclure une transaction entre l'employeur et le salarié démissionnaire. La condition que le salarié ne se situe plus sous la subordination de l'employeur explique, à nouveau, la nécessité que la transaction soit postérieure à la rupture du contrat.

Enfin, si la jurisprudence avait refusé d'étendre la condition de date jusqu'ici réservée aux ruptures par licenciement, on aurait pu craindre que ne soit ainsi verrouillée toute velléité de contestation ultérieure de la démission. Par ce jeu de dates successives, le juge préserve au salarié la faculté, s'il estime que la négociation de la transaction postérieure à la démission ne mène pas à des résultats suffisants, de contester la qualification même de l'acte afin qu'il soit requalifié en prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur.


(1) Cass. soc., 14 juin 2000, n° 98-41.710, inédit (N° Lexbase : A6982AH3).
(2) Cass. soc., 19 juin 1968, n° 67-40.269 (N° Lexbase : A2895AUR).
(3) V., par ex., Cass. soc., 1er décembre 2004, n° 02-46.341, F-P+B (N° Lexbase : A1259DED) et les obs. de Ch. Radé, Démission et transaction : des précisions utiles, Lexbase Hebdo n° 146 du 9 décembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3851ABA).
(4) Cass. soc., 29 mai 1996, n° 92-45.115, publié (N° Lexbase : A3966AA7), Dr. soc. 1996, p. 684, note J. Savatier ; RJS, 1996, chron. p. 407, par D. Corrignan-Carsin ; D. 1997, Jurispr., p. 49, note J.-P. Chazal.
(5) V. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 23ème éd., p. 625.
(6) V. G. Auzero, La transaction : un régime juridique stabilisé, Lexbase Hebdo n° 61 du 6 mars 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6240AAD) ; V., néanmoins, les prévisions déjà énoncées par le Professeur Radé, Démission et transaction : des précisions utiles, préc..
(7) Cass. soc., 9 mai 2007, 4 arrêts, n° 05-40.315 (N° Lexbase : A0908DWK) ; n° 05-40.518 (N° Lexbase : A0909DWL) ; n° 05-41.324 (N° Lexbase : A0910DWM) et n° 05-42.301, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0925DW8), et les obs. de Ch. Radé, Clarifications (?) sur la distinction entre prise d'acte et démission, Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0691BB9) ; RDT 2007/07-08, p. 452, obs. G. Auzero ; V. contra J.- Y. Frouin, Les ruptures du contrat de travail à durée indéterminée à l'initiative du salarié (démission, prise d'acte et demande en résolution judiciaire), RDT 2007/03, p. 150, qui considère que, "à partir du moment où, désormais, le salarié dispose avec la prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur d'un mode de rupture autonome alternatif à la démission et qui repose précisément sur l'imputation à l'employeur de la cessation du contrat de travail, il ne paraît plus justifié qu'une démission puisse être ultérieurement remise en cause si ce n'est, comme tout acte juridique, pour une altération des facultés mentales ou un vice du consentement".

Décision

Cass. soc., 9 octobre 2007, n° 06-41.406, F-D (N° Lexbase : A7427DYQ)

Cassation partielle (CA Nancy, chambre sociale, 16 janvier 2006)

Textes visés : C. civ, art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 2044 (N° Lexbase : L2289ABE)

Mots-clés : transaction ; démission ; conditions de validité.

Liens bases : ; .

newsid:298937

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.