La lettre juridique n°279 du 1 novembre 2007

La lettre juridique - Édition n°279

Éditorial

Clauses de non-divorce : pour la petite histoire...

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N9641BC3

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


En l'espèce, Aliénor d'A., fille de Guillaume X et d'Aénor de C., avait convolé en juste de noces avec Louis C., fils de Louis C. senior et d'Adèle de S., le 25 juillet 1137, en la cathédrale de Bordeaux. Le mariage est, certes, oblique, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une union entre consanguins de génération supérieure ou inférieure, mais il n'en demeure pas moins profitable aux époux, Monsieur amenant à la communauté conjugale le royaume de France et Aliénor, le duché d'Aquitaine (c'est-à-dire la France actuelle entre la Loire et les Pyrénées). Petite réserve au contrat prénuptial, mais elle est de taille, Aliénor demeure duchesse et leur éventuel fils serait dépositaire des deux couronnes (royale et ducale), jusqu'à fusion des deux domaines au profit de la génération suivante. On est donc loin de la communauté universelle. Et, n'est-ce pas, par là, et prenant en témoignage l'Histoire, toute la question de la validité des clauses de non-divorce, c'est-à-dire des clauses qui posent une condition de perpétuité du mariage, dont le contexte privilégié est celui des donations faites entre époux pendant le mariage, qui s'entrevoit ?

Mais attachons-nous aux faits. L'union n'est pas stérile et donne même naissance à deux filles, Marie et Alix, mais point de fils. Aliénor aime les voyages, Louis un peu moins ; mais ils se retrouvent tous les deux en prise avec le "tour operator" de l'époque : la IIème Croisade. Aux difficultés du voyage (problèmes d'intendance, véhicules de transport sans garantie [mais rien à voir avec l'affaire de la Régie des transports marseillais que nous conte, cette semaine, le Professeur Christophe Radé]) se greffent de fréquentes disputes et... un soupçon d'adultère (oblique lui aussi). Louis C. convaincu de l'infidélité de sa femme, ou juste convaincu que son mariage ne peut guère aller plus loin, et de retour en France, pense à se séparer d'Aliénor. Pourtant, originalité de l'époque, c'est Aliénor qui prend l'initiative de la rupture, demandant l'annulation du mariage pour... consanguinité (parler de divorce à l'époque eut été impropre), et reprenant avec elle sa formidable donation domaniale faite initialement à la communauté conjugale.

A la lecture de la jurisprudence de notre temps, donc proprement anachronique, cette clause annulant la donation de biens présents aurait été licite si le mobile qui avait inspiré l'auteur de la libéralité avait été légitime. Protéger son patrimoine propre peut, certainement, passer pour un motif légitime inspirant cette donation révocable pour cause de rupture. Toutefois, s'agissant des donations de biens présents, la loi du 26 mai 2004 abroge l'ancienne règle de la révocabilité ad nutum des donations conjugales de biens présents. Le nouvel article 1096, alinéa 2, du Code civil, qui en est issu, dispose que "la donation de biens présents qui prend effet au cours du mariage faite entre époux n'est révocable que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958", c'est-à-dire pour cause d'inexécution des conditions et charges ou pour cause d'ingratitude.

Alors, sauf à ce qu'Aliénor, qu'une légende noire accuse d'infidélité, pour ne pas dire de nymphomanie, ait pu démontrer que son mari se serait avéré un ingrat, demandons-nous, avec amusement, et à la lecture du point sur la question des clauses de non-divorce dans les donations conjugales que vous propose, cette semaine, David Bakouche, Professeur Agrégé des Facultés de droit, si le destin de la France eu été le même, si l'éminent Suger avait pensé à inscrire cet article 1096 dans les capitulaires de l'époque. En se remariant avec Henri P., Aliénor apportait en dot l'Aquitaine à la couronne d'Angleterre, posant les jalons de la suzeraineté des rois de France sur le souverain de la perfide Albion, et orchestrant à terme rien de moins que la Guerre de Cent ans.

L'autre espoir eut pu venir de la fiscalité : au travers de sa chronique en matière de fiscalité du patrimoine, Daniel Faucher, Consultant au Cridon de Paris, aurait pu nous expliquer que les donations en franchise de droits et leur révocation n'emportent pas l'émoi, sauf à ce qu'elles portent atteinte aux parts réservataires des autres ayant droits : Marie et Alix, en l'espèce.

newsid:299641

Bancaire

[Jurisprudence] Les conséquences financières résultant du vol d'une carte avec utilisation du code confidentiel sont mises à la charge de la banque

Réf. : Cass. com., 2 octobre 2007, n° 05-19.899, Poste, établissement public, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A6190DYW)

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N9638BCX

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par Florence Labasque, SGR - Droit commercial

Le 07 Octobre 2010

Les cartes de paiement, telles que définies à l'article L. 132-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9812DY3), peuvent remplir trois fonctions : celle de paiement, celle de crédit et celle de retrait (1). Si leur utilisation, devenue quasiment indispensable de nos jours, paraît d'une simplicité enfantine, la détermination du régime de la responsabilité de leur titulaire est, en revanche, chose plus délicate. En témoigne encore une décision rendue par la Cour de cassation le 2 octobre dernier, publiée sur son site internet et destinée à une publicité maximale, précisant "qu'en cas de perte ou vol d'une carte bancaire, il appartient à l'émetteur de la carte qui se prévaut d'une faute lourde de son titulaire, au sens de l'article L. 132-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L0912AWP), d'en rapporter la preuve" et que "la circonstance que la carte ait été utilisée par un tiers avec composition du code confidentiel est, à elle seule, insusceptible de constituer la preuve d'une telle faute". Dans l'espèce rapportée, Mme Y était titulaire d'un compte et d'une carte de paiement. Le 10 avril 2004, elle a fait opposition à l'utilisation de sa carte, déclarée perdue le 9 avril 2004. Une certaine somme a, néanmoins, été dépensée avant la mise en opposition. Sa banque, ayant constaté que toutes les opérations effectuées avaient été réalisées avec contrôle du code confidentiel, en a déduit la négligence de sa cliente et lui a imputé la totalité des prélèvements opérés avant opposition. Mme Y a alors assigné la banque en restitution des sommes ainsi portées au débit de son compte et le tribunal d'instance de Roanne, par un jugement rendu en dernier ressort le 5 juillet 2005, a condamné la banque au remboursement de la somme de 2 742,42 euros.

Celle-ci s'est alors pourvue en cassation, en articulant ses griefs dans un moyen unique. Tout d'abord, la banque fait valoir que Mme Y s'était engagée contractuellement à assurer la conservation de sa carte ainsi que la conservation et la confidentialité de son code et qu'à la suite de la perte de sa carte et de son utilisation avec composition du code confidentiel, il lui appartenait d'établir qu'elle n'avait pas commis de faute lourde ; ainsi, la banque argue de ce qu'en mettant à la charge de la banque l'obligation de prouver que Mme Y avait été négligente dans la protection de son code confidentiel, le tribunal a violé les articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC), 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), ensemble l'article L. 132-3 du Code monétaire et financier. La banque fait, ensuite, valoir que le tribunal s'est borné à relever que l'actualité récente faisait état de plusieurs cas dans lesquels des malfaiteurs étaient parvenus à s'approprier des codes confidentiels de cartes bancaires sans pour autant bénéficier de la négligence, voire de la complicité, du titulaire de ladite carte ; ainsi, "en l'état de ces seules énonciations par lesquelles il n'a pas caractérisé, autrement que par un motif d'ordre général et abstrait, l'absence de négligence de Mme Y, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil, ensemble l'article L. 132-3 du Code monétaire et financier".

Cependant, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Pour cela, elle affirme, tout d'abord, la solution, dans les termes d'un attendu de principe, selon laquelle "en cas de perte ou vol d'une carte bancaire, il appartient à l'émetteur de la carte qui se prévaut d'une faute lourde de son titulaire, au sens de l'article L. 132-3 du Code monétaire et financier, d'en rapporter la preuve ; [...] la circonstance que la carte ait été utilisée par un tiers avec composition du code confidentiel est, à elle seule, insusceptible de constituer la preuve d'une telle faute". Ainsi, elle estime que le tribunal, en retenant que la banque était défaillante dans l'établissement de la faute lourde alléguée à l'encontre de Mme Y, a, sans inverser la charge de la preuve, "légalement justifié sa décision". Quant au motif critiqué par la seconde branche du pourvoi, il est déclaré surabondant.

Parmi les règles gouvernant la responsabilité du titulaire de la carte, l'article L. 132-3, alinéa 1er, du Code monétaire et financier dispose que le titulaire d'une carte de paiement "supporte la perte subie, en cas de perte ou de vol, avant la mise en opposition prévue à l'article L. 132-2 (N° Lexbase : L3484APQ) (2), dans la limite d'un plafond [...]. Toutefois, s'il a agi avec une négligence constituant une faute lourde ou si, après la perte ou le vol de ladite carte, il n'a pas effectué la mise en opposition dans les meilleurs délais, compte tenu de ses habitudes d'utilisation de la carte, le plafond prévu à la phrase précédente n'est pas applicable. Le contrat entre le titulaire de la carte et l'émetteur peut cependant prévoir le délai de mise en opposition au-delà duquel le titulaire de la carte est privé du bénéfice du plafond prévu au présent alinéa. Ce délai ne peut être inférieur à deux jours francs après la perte ou le vol de la carte".

Le premier réflexe que doit avoir le titulaire d'une carte de paiement en cas de perte ou de vol de celle-ci est donc de faire opposition. En effet, le titulaire d'une carte accepte le risque de son utilisation frauduleuse pour la période antérieure à l'opposition (3). Une fois l'opposition faite, il reste responsable de l'utilisation frauduleuse jusqu'à un certain montant. Toutefois, il peut être responsable de la totalité des sommes frauduleusement retirées s'il a agi avec une négligence constituant une faute lourde ou si la mise en opposition n'a pas été effectuée dans les meilleurs délais.

Dans notre cas d'espèce, la titulaire de la carte a bien fait opposition le lendemain de la perte de celle-ci, donc dans les meilleurs délais. Toutefois, une certaine somme a été dépensée dans ce court laps de temps. La titulaire pensait donc pouvoir se prévaloir du plafond prévu à l'article L. 132-3 précité, la banque devant supporter la perte subie au-delà de ce montant. Cependant, la banque, ayant constaté que les opérations en cause avaient été réalisées avec contrôle du code confidentiel, en a déduit la négligence de sa cliente, négligence qui justifierait d'écarter le plafond et d'imputer, ainsi, à la titulaire de la carte la totalité des prélèvements opérés avant opposition.

C'est à ce stade que deux précisions interviennent.

En effet, la Haute juridiction est, tout d'abord, amenée à préciser sur qui pèse la charge de la preuve de la faute lourde. Elle nous indique, ici, clairement, qu'en cas de perte ou vol d'une carte bancaire, il appartient à l'émetteur de la carte qui se prévaut d'une faute lourde de son titulaire, au sens de l'article L. 132-3 du Code monétaire et financier, d'en rapporter la preuve. La banque était donc tenue de rapporter la preuve que la négligence de sa cliente était constitutive d'une faute lourde.

Une fois tranchée la question de la charge de la preuve, la Cour de cassation précise, ensuite, le moyen de rapporter cette preuve. Elle énonce, ici, que la circonstance que la carte ait été utilisée par un tiers avec composition du code confidentiel est, à elle seule, insusceptible de constituer la preuve d'une faute lourde de son titulaire.

Cette solution apparaît relativement sévère pour les banques, dans la mesure où cette preuve semble quasiment impossible à rapporter. En effet, quelle circonstance exacte pourrait alors constituer cette preuve ? Des exemples jurisprudentiels nous le diront.
A l'inverse, évidemment, la solution rendue par la Cour suprême est nettement favorable au titulaire de la carte. Cette décision a donc été saluée par certains défenseurs des consommateurs et il a pu être souligné qu'aujourd'hui, "de plus en plus de malfaiteurs parviennent à s'approprier les codes confidentiels des cartes bancaires sans pour autant que soit établie la négligence, voire la complicité du titulaire de la carte" (4). Dans ces cas, il apparaît effectivement délicat de demander au titulaire, qui a fait opposition dans le délai requis, de prouver qu'il n'a pas commis de négligence, quand lui-même ignore totalement la façon par laquelle son code a pu être utilisé.
Quant à l'avocat de la titulaire de la carte, il considère que cet arrêt de principe constitue "une très belle évolution de la jurisprudence" et "fera dorénavant jurisprudence". Cela "place les banques dans une situation difficile", mais il fallait bien prendre position et la Cour "a tranché en faveur du plus faible", le consommateur n'ayant pas les moyens techniques de se battre, contrairement aux banques (5).


(1) Sur ce sujet, v. Th. Bonneau, Droit bancaire, Montchrestien, 6ème éd., 2005, n° 440 et suiv.. V., également, Les différentes cartes de paiement et de crédit .
(2) Sur l'opposition au paiement par carte, voir .
(3) Cass. com., 2 décembre 1980, n° 79-11.231, Dame Pantar c/ Banque Nationale de Paris SA (N° Lexbase : A8462AHU).
(4) Voir http://www.france-info.com/spip.php?article24591&theme=9&sous_theme=12.
(5) Lire les propos de Me Gatineau sur http://afp.google.com/article/ALeqM5gbf15Qs0xOYhRPjmJ10 -nIPuiL7A.

newsid:299638

Collectivités territoriales

[Doctrine] La nouvelle procédure relative à l'évacuation forcée des résidences mobiles des gens du voyage

Réf. : Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, sur la prévention de la délinquance (N° Lexbase : L6035HU3) ; décret n° 2007-690 du 3 mai 2007, relatif à l'agrément (N° Lexbase : L4218HXI) ; circulaire du 10 juillet 2007, relative aux gens du voyage (N° Lexbase : L3672HYN)

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N9543BCG

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 07 Octobre 2010

Dans toutes les collectivités territoriales, l'accueil des gens du voyage pose, aujourd'hui comme hier, des questions difficiles. Si ces interrogations peuvent prendre de multiples formes (1), elles illustrent, de façon particulière, les difficultés de mise en oeuvre du dispositif d'accueil et d'habitat. C'est dans ce contexte que vient d'être prise toute une série de mesures concernant le nouveau dispositif d'évacuation forcée des résidences mobiles des gens du voyage illégalement installés. C'est, d'abord, la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance (2), qui a mis en place ce nouveau dispositif. Par ses articles 27 et 28, elle réforme les articles 9 et 9-1 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 (loi "Besson II"), relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage (3). Cette première loi avait, entre autres nouveautés, instauré, pour l'expulsion des gens du voyage stationnant en violation de la réglementation municipale, un bloc de compétence judiciaire. Les procédures ressortissaient à la compétence du tribunal de grande instance, quelle que soit la nature du terrain occupé, domaine public ou privé. Cette règle de compétence dérogatoire au droit commun disparaît aujourd'hui. La loi du 5 mars 2007 institue, en retour, une procédure qui permet de passer d'une mesure judiciaire à une mesure qui se situe nettement sur le terrain de la police administrative pour obtenir l'évacuation des lieux occupés (4). Rappelons brièvement la nouvelle procédure (5) : en cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté réglementant le stationnement des gens du voyage, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. La mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique. Elle est assortie d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à 24 heures (6). Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n'a pas été suivie d'effets dans le délai fixé et n'a pas fait l'objet d'un recours devant le juge administratif, le préfet peut procéder à l'évacuation forcée des résidences mobiles (7). L'annulation de la mise en demeure peut être demandée devant le tribunal administratif, le recours suspend, alors, l'exécution de la décision du préfet (8). Le président du tribunal ou son délégué statue dans un délai de 72 heures à compter de sa saisine.

Cette nouvelle procédure a suscité remarques et interrogations. Deux décrets, entrés en vigueur les 3 mai 2007 (9) et 14 juin 2007 (10), ont d'abord précisé, respectivement, les modalités de délivrance de l'agrément du préfet pour l'obtention d'un emplacement provisoire -une des conditions requises pour pouvoir bénéficier de la nouvelle procédure d'évacuation- et le nouveau dispositif contentieux de recours contre la mise en demeure du préfet. Puis, une circulaire du ministre de l'Intérieur, en date du 10 juillet 2007 (11), est, ensuite, venue préciser les modalités de la procédure de mise en demeure et d'évacuation forcée.

Ces nouveaux textes permettent de préciser comment la procédure a été redéfinie dans son champ d'application (I) et ce qui fait d'elle, aujourd'hui, une procédure à caractère spécifique (II).

I - Une procédure redéfinie dans son champ d'application

La redéfinition de la procédure d'évacuation forcée s'inscrit dans un cadre lié aux difficultés de mise en oeuvre du dispositif d'accueil et d'habitat prévu par la loi du 5 juillet 2000 (A), ce qui amène, notamment, à redéfinir, de façon large, les communes bénéficiaires du nouveau dispositif mis en place (B).

A - Un dispositif d'accueil et d'habitat difficilement mis en oeuvre

Les diverses politiques à l'égard des gens du voyage sont encore loin d'avoir produit tous leurs effets. Cela est illustré, de façon particulière, par les difficultés de mise en oeuvre du dispositif d'accueil et d'habitat prévu par la loi du 5 juillet 2000. Ce dispositif se voulait plus incitatif et plus contraignant mais, fin 2005, selon les informations données par la Commission nationale consultative des gens du voyage, moins de 20 % des aires programmées dans les schémas départementaux étaient ouvertes en France. Les schémas départementaux s'étant généralisés sur le territoire, la réalisation des aires devait entrer dans une phase active, mais le bilan montre que les objectifs de création des aires prévus ne sont pas encore atteints. En lien avec les schémas départementaux, des aires d'accueil ont été ou sont en voie de réalisation, au plan communal et intercommunal, dans de nombreux départements. Mais les communes et les structures intercommunales rencontrent des difficultés pour réaliser les aires dans le délai imparti par la loi, difficultés liées, notamment, à la mobilisation des terrains, à la révision des documents d'urbanisme ou à la recherche de cofinancement.

Au demeurant, la gestion au seul plan financier de ces aires d'accueil est souvent difficile. En ce sens, trois solutions sont offertes aux communes pour satisfaire à leurs obligations : soit la commune réalise et gère elle-même une aire d'accueil sur son propre territoire (12), soit elle transfère sa compétence à un EPCI qui réalise, alors, l'aire sur le territoire de la commune d'implantation prévue au schéma départemental, soit elle passe avec d'autres communes du même secteur géographique une convention intercommunale qui fixe sa contribution financière à l'aménagement et à la gestion d'une ou de plusieurs aires permanentes d'accueil, qui seront implantées sur le territoire d'une autre commune, partie à la convention. Pour rendre les prescriptions du schéma efficaces, l'Etat s'était engagé à soutenir de manière significative l'investissement et le fonctionnement des aires mais, en investissement, le taux effectif de la subvention s'est révélé bien inférieur à celui initialement fixé (13) et, en fonctionnement, l'aide forfaitaire mise en place pour la gestion des aires d'accueil respectant les normes réglementaires d'aménagement et de gestion s'est révélée assez faible (14).

C'est dans ce contexte qu'est redéfinie l'application de la nouvelle procédure d'évacuation forcée des résidences mobiles des gens du voyage, la redéfinition large des communes bénéficiaires tenant compte, notamment, des difficultés rencontrées par les communes pour réaliser les aires d'accueil, sans, pour autant, les exonérer de leurs obligations légales.

B - Une redéfinition large des communes bénéficiaires

Initialement, la nouvelle procédure d'évacuation forcée, selon la loi du 5 mars 2007, devait se limiter aux seules communes ayant rempli leurs obligations légales en matière de stationnement des gens du voyage, ainsi qu'à celles n'étant assujetties à aucune obligation légale en la matière (moins de 5 000 habitants). Mais, un amendement, défendu par le député Eric Woerth (UMP, Oise), a étendu le champ d'application de la disposition. Sont également concernées les municipalités qui, tout en n'ayant pas encore rempli leurs obligations, ont démontré la volonté de s'y conformer. Les communes ayant des difficultés pour réaliser des aires d'accueil des gens du voyage peuvent, ainsi, aussi bénéficier de la procédure d'évacuation administrative. En premier lieu, il s'agit des communes qui n'ont pas encore rempli leurs obligations légales, mais qui répondent aux conditions posées pour obtenir la prorogation du délai de 2 ans prévue par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (15). En second lieu, il s'agit des communes qui disposent d'un emplacement provisoire qui n'est pas l'emplacement définitif inscrit dans le schéma départemental, à condition que celui-ci soit agréé par le préfet.

Le décret du 3 mai 2007 précité précise que, pour être agréé, cet emplacement doit avoir une localisation qui garantit l'accessibilité au terrain, l'hygiène et la sécurité du stationnement. A cet égard, le terrain doit être accessible aux véhicules tractant une caravane et sa remorque, le sol doit être stabilisé pour permettre leur stationnement. Le terrain ne peut être choisi dans une zone classée à risque ou dans un secteur protégé, il doit respecter la législation applicable en tenant compte de l'existence de sites inscrits ou classés sur le territoire de la commune. Il doit être desservi par un service régulier de ramassage d'ordures ménagères et comprendre une alimentation en eau et en électricité correspondant à la capacité d'accueil. A noter que rien ne s'oppose à ce que la commune sollicite l'agrément provisoire d'un terrain appartenant à un propriétaire privé (16).

Le décret précise, en plus, que cet emplacement doit accueillir au maximum 30 résidences et que le préfet a la faculté de consulter la commission consultative départementale associée à l'élaboration et à la mise en oeuvre du schéma départemental d'accueil (17). Rappelons, toutefois, que, dans ce cas, la possibilité de mettre en oeuvre la procédure d'évacuation forcée est ouverte dans un délai qui est fixé par le préfet et qui ne peut excéder 6 mois à compter de la date de l'agrément. Au terme du délai fixé, la procédure d'évacuation forcée perd ses effets et si l'emplacement provisoire continu d'être mis à disposition des gens du voyage, la commune ne peut s'en prévaloir pour solliciter le bénéfice de la procédure administrative de mise en demeure (18).

II - Une procédure dont on a renforcé la spécificité

Le trait spécifique de la nouvelle procédure est accentué par les nouvelles dispositions. Si la mise en demeure effectuée par le préfet se révèle particulière (A), c'est surtout la possibilité de recours contre cette mise en demeure qui va se différencier du droit commun en la matière (B).

A - Une mise en demeure particulière

Dès lors qu'une commune remplit les obligations qui lui incombent en matière d'accueil et d'habitat des gens du voyage, son maire ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, interdire en dehors des aires d'accueil aménagées le stationnement sur le territoire de la commune des résidences mobiles. La mise en oeuvre de la procédure est, donc, subordonnée à l'existence régulière dans la commune d'un arrêté d'interdiction de stationnement en dehors des aires aménagées (19).

En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux (20). La mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. Il peut, en effet, avoir des occupations illicites qui ne portent pas atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques, et qui ne relèvent, donc, pas de la nouvelle procédure.

Concernant l'intervention de la mise en demeure, la formulation du texte peut laisser penser que, dès lors que le préfet a pu constater que les conditions de la mise en demeure étaient remplies (21) et même s'il y a ici une certaine marge d'appréciation, le préfet est en situation de compétence liée et doit établir la mise en demeure, mais la suite de l'action administrative relève d'une faculté, puisque le texte indique que le préfet "peut" procéder à l'évacuation forcée (22). Il y a peut-être, ici, un manque de cohérence dans les dispositions.

Concernant les délais, la nouvelle procédure de mise en demeure résulte, notamment, du constat de la lenteur des procédures de référé judiciaire. La loi prévoit qu'en cas de recours, le tribunal administratif dispose de 72 heures pour se prononcer. Mais aucun délai n'est imparti au préfet pour le déclenchement de l'action administrative, ce qui neutralise quelque peu les conséquences de la compétence liée.

La mise en demeure est assortie d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à 24 heures. Le délai d'évacuation comporte, donc, un minimum légal (pas moins de 24 heures), mais pas de maximum, ce qui permet au préfet d'impartir un délai éventuellement confortable selon les circonstances de l'espèce. La mise en demeure est notifiée aux occupants par tous moyens et publiée sous forme d'affichage en mairie et sur les lieux. Le cas échéant, elle est notifiée au propriétaire ou titulaire du droit d'usage du terrain quand le terrain n'appartient ni au domaine public, ni au domaine privé de la commune.

Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n'a pas été suivie d'effets dans le délai fixé et n'a pas fait l'objet d'un recours, le préfet peut procéder à l'évacuation forcée des résidences mobiles, sauf opposition du propriétaire ou du titulaire du droit d'usage du terrain dans le délai fixé pour l'exécution de la mise en demeure.

Lorsque le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain fait obstacle à l'exécution de la mise en demeure, le préfet peut lui demander de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser l'atteinte à la salubrité, à la sécurité ou la tranquillité publiques dans un délai qu'il fixe. Le fait de ne pas se conformer à l'arrêté préfectoral est puni de 3 750 euros d'amende.

B - Un recours particulier

Les personnes destinataires de la décision de mise en demeure prévue, ainsi que le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain peuvent, dans le délai fixé par celle-ci, demander son annulation au tribunal administratif avec la particularité, dérogatoire au droit commun, liée au caractère suspensif de ce recours. Dès qu'un recours est déposé, l'exécution de la mise en demeure est suspendue jusqu'à ce que le président du tribunal ou son délégué ait statué, le législateur donnant un délai de 72 heures à la juridiction pour statuer. Le rejet de la requête permettra, alors, de mettre à exécution la mise en demeure. Le délai de recours laissé aux occupants des terrains se confond avec celui de la mise en demeure de quitter les lieux, ce délai ne pouvant, donc, pas être inférieur à 24 heures.

Le décret du 14 juin 2007 précité créé ainsi un dispositif qui s'ajoute aux formes déjà existantes de référés en ajoutant un "Chapitre IX" au Code de justice administrative intitulé : "Le contentieux du stationnement des résidences mobiles des gens du voyage" (23). A l'évidence, la procédure est calquée sur celle des reconduites à la frontière, avec un délai de jugement, malgré tout, plus long. On peut s'interroger, néanmoins, sur les moyens dont disposera la justice administrative pour apprécier, même en 72 heures, des questions finalement plus délicates, en fait et/ou en droit, que celles en jeu dans les procédures de reconduite, notamment quant aux questions tenant à l'existence d'un trouble à l'ordre public ou encore à la situation de la commune par rapport au respect de ses obligations légales en matière d'accueil des gens du voyage.

A noter que la nouvelle procédure d'évacuation forcée n'est pas exclusive du recours à la justice. Il peut, en effet, exister des occupations illicites qui ne portent pas atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques, et qui ne relèvent, donc, pas de la nouvelle procédure. Par ailleurs, même lorsqu'une telle atteinte existe, le texte n'interdit pas de préférer le recours aux voies juridictionnelles de droit commun. Dans ce cas, comme cela a été rappelé par la circulaire précitée du 10 juillet 2007, les règles de compétence dépendent principalement de la domanialité du terrain occupé. Si le terrain appartient au domaine public, la personne morale propriétaire peut saisir le juge administratif des référés pour faire cesser cette occupation sans titre du domaine public (24). Si l'occupation sans titre porte sur une dépendance du domaine privé d'une personne publique, ce sont les tribunaux judiciaires qui doivent être saisis d'une demande d'expulsion, selon la procédure de droit commun, par la personne publique propriétaire (25). Enfin, si l'occupation relève d'un régime de droit privé, le propriétaire du terrain ou le titulaire d'un droit d'usage peut saisir, par référé, le président du TGI.


(1) Qu'il s'agisse du déficit avéré d'emplacements pour leur stationnement, de la persistance des situations de stationnement illégal, du financement et de la gestion des aires d'accueil, de l'insertion économique ou encore de la protection sociale et de la situation sanitaire de ces populations.
(2) Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance (N° Lexbase : L6035HU3 ; JO, 7 mars 2007, p. 4297).
(3) Loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000, relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage (N° Lexbase : L0716AID ; JO, 6 juillet 2000, p. 10189).
(4) Sous la pression, notamment, des élus locaux, qui trouvaient la procédure coûteuse et beaucoup trop longue.
(5) Cf. notre article, Le nouveau dispositif de prévention de la délinquance et l'exemple du stationnement irrégulier des gens du voyage, Lexbase Hebdo n° 21 du 17 mai 2007 - édition publique.
(6) La mise en demeure est, également, notifiée aux occupants et publiée sous forme d'affichage en mairie et sur les lieux. Le cas échéant, elle est notifiée au propriétaire ou titulaire du droit d'usage du terrain.
(7) Sauf opposition du propriétaire ou du titulaire du droit d'usage du terrain dans le délai fixé pour l'exécution de la mise en demeure.
(8) L'annulation peut être demandée par les personnes destinataires de la décision de mise en demeure, ainsi que par le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain.
(9) Décret n° 2007-690 du 3 mai 2007, relatif à l'agrément prévu à l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage (N° Lexbase : L4218HXI ; JO, 5 mai 2007, p. 7957).
(10) Décret n° 2007-1018, 14 juin 2007, modifiant la partie réglementaire du Code de justice administrative (N° Lexbase : L6682HXR) (JO, 16 juin 2007, p. 10422).
(11) Circulaire n° NOR INT/D/07/00080/C du ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités territoriales, 10 juillet 2007, concernant les gens du voyage et la procédure de mise en demeure et d'évacuation forcée des occupants illicites d'un terrain (N° Lexbase : L3672HYN).
(12) La commune peut, alors, bénéficier, de la part d'autres communes, d'une participation financière à l'investissement et à la gestion, dans le cadre de conventions intercommunales.
(13) Les opérations nouvelles ou la réhabilitation des aires existantes devaient être subventionnées à 70 % de la dépense subventionnable plafonnée, alors que le taux effectif de la subvention se situait plutôt entre 35 et 50 %.
(14) Depuis le 1er janvier 2004, son montant est de 132,45 euros par place de caravane et par mois. A cette aide de l'Etat peuvent s'ajouter les aires des départements, des régions, de la CAF.
(15) Loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4 ; JO, 17 août 2004, p. 14545).
(16) Dans cette hypothèse, la mise à disposition du terrain doit faire l'objet d'un engagement contractuel.
(17) Pour mémoire, cette commission comprend des représentants des communes concernées, des représentants des gens du voyage et des associations intervenant auprès des gens du voyage. Elle est présidée conjointement par le représentant de l'Etat dans le département et par le président du Conseil général ou par leurs représentants.
(18) La loi précise que l'existence de cet emplacement provisoire n'exonère aucunement les communes de leurs obligations légales en ce qui concerne la création d'une aire d'accueil définitive.
(19) Condition qui ne s'applique pas aux communes de moins de 5 000 habitants qui sont dispensées de création d'une aire aménagée.
(20) L'auto-saisine du préfet, par exemple, à la demande d'un tiers, serait, a priori, interdite, même s'il ressort des travaux préparatoires que la loi a entendu formuler, ici, une règle de compétence et confier la nouvelle mesure de police au préfet, et non pas au maire, tout en laissant au maire ou aux deux autres personnes visées, la possibilité de déclencher l'action.
(21) Qui tiennent, notamment, à la situation régulière de la commune en matière d'aménagement d'aires d'accueil et d'atteinte à l'ordre public.
(22) Si la mise en demeure n'est pas suivie d'effets ou n'a pas fait l'objet d'un recours.
(23) De plus, l'article R. 811-10-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L7894DGH) donne compétence aux préfets pour défendre ce contentieux en appel.
(24) Au titre de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3059ALU).
(25) Si l'occupation sans titre porte sur une dépendance de la voirie routière, comme les parcs de stationnement, la compétence pour prescrire l'expulsion appartient aux tribunaux judiciaires (cf. TC, 17 octobre 1988, n° 02544, Commune de Sainte Geneviève des bois N° Lexbase : A8326BDQ).

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] L'influence des conventions collectives sur la période d'essai

Réf. : Cass. soc., 17 octobre 2007, n° 06-43.243, Société Poly service TMS, F-P+B (N° Lexbase : A8176DYH) ; Cass. soc., 17 octobre 2007, n° 06-44.388, M. Nourredine Daoui, F-P+B (N° Lexbase : A8191DYZ)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Après quelques années de véritable ébullition (1), l'évolution du régime juridique de la période d'essai semble s'être apaisée en 2007. Le régime de ce mécanisme s'est relativement stabilisé, comme le démontrent deux arrêts du 17 octobre 2007 rendus par la Cour de cassation qui confirment, en apportant seulement de légères précisions, des solutions désormais classiques, s'agissant de l'influence de la convention collective sur la durée de la période d'essai et sur la rupture du contrat de travail durant cette phase (1). La Chambre sociale entend bien se porter garante des protections issues de la négociation (2).


Résumé

Pourvoi n° 06-43.243 : malgré la stipulation au contrat de travail d'une période d'essai plus longue, la rupture du contrat, intervenant au-delà de la limite maximale de durée de la période d'essai prévue par la convention collective, s'analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Pourvoi n° 06-44.388 : ne respecte pas l'obligation faite par la convention collective de confirmer par écrit la notification de la rupture de la période d'essai, l'employeur qui se contente d'adresser au salarié une attestation Assedic et un certificat de travail, quand bien même ces documents porteraient mention de la rupture d'essai à l'initiative de l'employeur.

1. L'influence maintenue des conventions collectives sur la période d'essai

  • La place des conventions collectives dans la réglementation de l'essai

A l'exception de quelques situations particulières telles que le contrat de travail à durée déterminée, le contrat de travail temporaire ou les contrats de travail conclus par les VRP, le Code du travail est resté bien silencieux s'agissant tant de la définition que de la détermination du régime juridique de la période d'essai du contrat de travail.

En effet, seul l'article L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) énonce, laconiquement, que les règles applicables à la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée ne sont pas applicables durant la période d'essai. Sachant que la grande majorité des contrats de travail comporte, aujourd'hui, une clause stipulant un essai, ce silence législatif pouvait s'avérer, parfois, bien pesant.

C'est en réaction à l'insuffisance du code en la matière que les partenaires sociaux sont intervenus et ont intégré, dans les conventions collectives, des dispositions encadrant la pratique de l'essai du contrat de travail. Le caractère succinct de la loi a, d'ailleurs, permis aux dispositions conventionnelles de s'intéresser à un large champ s'agissant de l'essai.

  • Les dispositions conventionnelles réglementant la période d'essai

Les clauses conventionnelles les plus courantes concernent la durée de la période d'essai. Elles se sont substituées aux usages professionnels qui constituaient, naguère, l'essentiel de la réglementation de la durée de l'essai. Ainsi, les partenaires sociaux se sont-ils entendus pour limiter la durée maximale des périodes d'essai, faisant varier ces limites en fonction de la classification des salariés dans les entreprises ou dans les branches.

De la même manière, les conventions collectives ont, parfois, ajouté au régime de l'essai et, spécialement, de sa rupture, en imposant certaines formalités à celui des parties souhaitant mettre fin à la période d'expérimentation de la relation de travail.

Ce sont ces points qui faisaient litige dans les arrêts commentés.

  • En l'espèce

Dans la première affaire existait un hiatus entre la durée d'essai prévue par le contrat de travail du salarié et la durée maximale prévue par la convention collective. De manière somme toute classique, la Chambre sociale rappelle que la durée prévue par le contrat de travail ne peut excéder les limites prévues par la convention collective (2). La rupture du contrat de travail intervenant dans les limites de la période d'essai du contrat de travail, mais au-delà de celles fixées par la convention collective, elle s'analyse donc en un licenciement qui, n'étant pas motivé, est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Dans la seconde affaire, il était question du formalisme à respecter en matière de rupture du contrat de travail pendant la période d'essai. A première vue, cette question pouvait sembler dépourvue d'intérêt puisque, par l'effet de l'article L. 122-4 du Code du travail, le formalisme imposé en matière de licenciement et, dans une moindre mesure, de démission, est formellement exclu en matière d'essai. La Cour de cassation décide, d'ailleurs, de manière constante, que la rupture de l'essai peut même intervenir par simple notification verbale (3).

Il existe, néanmoins, quelques exceptions à cette absence de formalisme de la rupture d'essai. Certaines d'entre elles furent posées par la Cour de cassation lorsqu'il s'avérait que la rupture de l'essai était prononcée pour un motif disciplinaire ou qu'elle concernait un salarié protégé. Les juges avaient alors estimé qu'il était nécessaire, dans le premier cas, que la procédure disciplinaire soit respectée (4) et, dans le second cas, que l'autorisation administrative de licenciement soit obtenue (5).

Une autre exception provient de certaines conventions collectives qui exigent des formalités supplémentaires lorsqu'il s'agit de mettre fin à l'essai. La Cour de cassation considère, alors, que ces formalités doivent être respectées, à défaut de quoi la partie lésée pourra obtenir une indemnisation pour le préjudice qu'elle aura subi (6). La Chambre sociale, par l'arrêt exposé, apporte quelques précisions sur le formalisme requis par la convention collective. Ainsi, lorsqu'une disposition conventionnelle exige que la notification de la rupture soit confirmée par écrit, l'employeur ne peut se contenter d'adresser une attestation Assedic et un certificat de travail pour assouvir cette obligation.

L'analyse de ces arrêts démontre la vigueur de la règle de conflit que constitue, en droit du travail, le principe de faveur. Elle montre, également, l'importance croissante du formalisme dans le cadre de la période d'essai.

2. L'influence protectrice des conventions collectives sur la période d'essai

  • Des solutions conformes au principe de faveur

Le principe fondamental de droit du travail que constitue le principe de faveur est toujours bien vivace dans cette discipline, nonobstant les différents revers qu'il a subis depuis l'apparition de l'ordre public dérogatoire permettant aux conventions collectives de déroger in pejus aux dispositions législatives (7). Ainsi, lorsque des dispositions de la convention collective sont plus favorables au salarié que celles prévues par le contrat de travail, ce sont les premières qui doivent trouver à s'appliquer.

L'essai est constitutif d'une véritable période de précarité pour le salarié puisque, durant cette période, le contrat peut être rompu à tout moment, le plus souvent sans obligation de respecter un préavis, sans indemnisation et, surtout, sans invocation d'un quelconque motif. Il parait donc logique que la durée la plus courte lui soit favorable. Même si l'on peut estimer que, pour certaines catégories de salariés très demandés sur le marché de l'emploi, l'essai peut parfois constituer un atout, il s'agit, surtout, d'une mesure accordée à l'employeur, mesure dont les organisations patronales souhaiteraient, d'ailleurs, voir la durée étendue (8).

S'agissant de l'instauration d'un formalisme particulier pour la rupture d'essai, elle est, elle aussi, probablement de nature à accroître les droits des salariés et, partant, à leur être plus favorable que l'absence de toute formalité. Si la forme est "la soeur jumelle de la liberté", elle permet, surtout, en la matière, de disposer d'éléments précieux pour démontrer la date exacte de la rupture. Elle s'avère donc une avancée nette sur le terrain probatoire, surtout depuis que la Cour de cassation décide que la rupture de la période d'essai est un acte non réceptice, si bien que la détermination de la date à laquelle la volonté de l'employeur s'est exprimée peut être bien délicate en l'absence d'écrit (9). En outre, l'existence d'un écrit peut, à l'occasion, fournir au salarié un support pour la démonstration du caractère abusif de la rupture intervenue.

Evincer les règles légales ou contractuelles au profit de ces dispositions conventionnelles caractérise donc bien une application du principe de faveur en cas de concours de règles. Ces décisions mettent, également, l'accent sur un mouvement de formalisation de la période d'essai.

  • Le renforcement du formalisme dans l'essai

Cette idée ne ressort guère du premier arrêt qui ne s'intéresse réellement qu'à la durée de l'essai. Elle est plus flagrante dans le second arrêt.

Dans cet arrêt, l'employeur ne s'était pas totalement dispensé de fournir des documents écrits au salarié puisqu'il lui avait remis, conformément aux articles L. 122-16 (N° Lexbase : L5473ACP) et R. 351-5 (N° Lexbase : L3087HI8) du Code du travail, un certificat de travail et une attestation Assedic, lesquels mentionnaient que la rupture était intervenue durant la période d'essai. Néanmoins, si la Cour de cassation s'était contentée de ces documents, elle aurait réduit à néant l'obligation faite par la convention collective de confirmer la rupture par écrit.

En effet, ces documents n'ont clairement pas pour objet de notifier la rupture du contrat de travail mais permettent, seulement, au salarié de faire valoir son ancienne qualité de salarié là où cela peut lui être nécessaire. En outre, et surtout, la remise de ces documents est obligatoire, si bien que l'obligation de la convention collective serait dépourvue de toute portée si l'on se contentait de la remise de ces documents. Si l'on veut bien nous permettre la comparaison, la clause conventionnelle aurait alors autant de portée qu'une stipulation qui obligerait l'employeur à notifier le licenciement par lettre recommandée avec avis de réception, obligation déjà prévue par l'article L. 122-14-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0042HDW).

Cette garantie d'une véritable notification écrite assurée par la Cour traduit la tendance nette au renforcement du formalisme en matière d'essai. Si cette tendance n'avait, au départ, touché que l'établissement de la période d'essai, par exemple, par la disparition de l'usage comme source de l'essai (10), elle semble, aujourd'hui, diffuser jusqu'à la rupture de l'essai.

Il nous semble qu'il s'agit là d'avancées tout à fait déterminantes. La rupture d'essai demeure un îlot de liberté dans la relation de travail puisque les parties n'ont pas à la motiver et peuvent donc, quasi discrétionnairement, rompre la relation. L'absence de préavis accompagnant la rupture renforce, encore, ce sentiment de liberté. Pourtant, comme nous l'avons vu, le formalisme de la rupture d'essai apporte un certain nombre d'avantages au droit de la preuve de la rupture.

Un tel formalisme a, en outre, une influence sur le calcul de la durée de la période d'essai. Il sera nettement plus facile, dans des cas tangents, de déterminer la durée exacte de la période d'essai, et donc d'apprécier si la rupture est intervenue dans le cadre de celle-ci, si la rupture est signifiée par écrit.

Enfin, si la durée des périodes d'essai devait globalement être augmentée, comme le demandent les organisations patronales, il nous semble que, par une sorte d'effet de balancier, l'augmentation de la durée de la précarité devrait être compensée par une meilleure prévention de l'usage abusif des périodes d'essai. Et pour y parvenir, la formalisation de la rupture de l'essai pourrait être une mesure envisageable.


(1) V. Ch. Figerou, Les évolutions récentes du régime de la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3551AKQ).
(2) V., déjà, les très nombreuses décisions en la matière : Cass. soc., 31 janvier 2006, n° 03-47.060, Société Zoom c/ M. Didier Lalanne, F-P (N° Lexbase : A6490DMC) ; Cass. soc., 18 juin 1997, n° 94-43.985, M. Gobel c/ Compagnie de navigation rhénane, publié (N° Lexbase : A1649AC3) ; Cass. soc., 30 juin 1999, n° 97-42.942, Société Loxam c/ M. Deschamps, publié (N° Lexbase : A5743CKW) ; Cass. soc., 5 mars 1997, n° 94-40.042, M. Jagou c/ Société Pico Océan Indien (N° Lexbase : A1141AAI).
(3) Cass. soc., 9 décembre 1998, n° 97-42.858, Comptoir pessacais du pneu, société anonyme c/ M. Eric Pomier, inédit (N° Lexbase : A5887CQ4) ; Cass. soc., 25 mai 1989, n° 85-43.903, Société Doumerc pneus c/ M. Joly, publié (N° Lexbase : A3884AGX).
(4) Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-44.750, Mme Brigitte Honoré c/ Association Accueil et réinsertion sociale, FS-P+B (N° Lexbase : A4834DBN) et les obs. de Ch. Alour, L'application de la procédure disciplinaire pendant la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 113 du 25 mars 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0975ABQ).
(5) Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.751, Mme Laurence Orth c/ Apei, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1388DLY) ; Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.585, Mme Chantal Antoine c/ Association médicale du travail du Jura, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1387DLX) et les obs. de Ch. Radé, La rupture du contrat de travail du salarié protégé pendant la période d'essai soumise à l'autorisation préalable de l'inspection du travail, Lexbase Hebdo n° 188 du 3 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0314AKT).
(6) Au sujet d'une convention collective exigeant que la rupture soit notifiée par lettre recommandée, v. Cass. soc., 21 juin 2006, n° 04-47.839, Mme Marie-Laure Le Bechec, épouse Vittori c/ Société Artech, F-D (N° Lexbase : A9932DPK) ; v., déjà, le respect des dispositions conventionnelles de manière incidente dans l'arrêt, Cass. soc., 7 février 2001, n° 99-42.041, Société Diese informatique c/ Mme Stéphanie Loquet, inédit (N° Lexbase : A5563AG7).
(7) La qualification de principe fondamental de droit du travail est attribuée par le Conseil constitutionnel, celui-ci refusant de hisser ce principe au niveau constitutionnel. V. décision n° 77-79 DC du 5 juillet 1977 (N° Lexbase : A7955ACM) ; décision n° 89-257 DC du 25 juillet 1989 (N° Lexbase : A8199ACN).
(8) V. Le Monde du 16 octobre 2007, Embauche : la durée de la période d'essai au coeur des débats.
(9) V. Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-40.650, M. Michel Magnier c/ Société P&O Stena Line Limited, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A2303DI7) et les obs. de G. Auzero, Revirement quant à la date de la rupture du contrat de travail en période d'essai, Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4538AIW).
(10) Cass. soc., 23 novembre 1999, n° 97-43.022, Mme Godet c/ Société Nectarys, publié (N° Lexbase : A4780AG7).
Décisions

Cass. soc., 17 octobre 2007, n° 06-43.243, Société Poly service TMS, F-P+B (N° Lexbase : A8176DYH)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 17ème chambre, 3 avril 2006)

Texte concerné : article 9.01.2 de la convention collective des entreprises de propreté

Mots-clés : période d'essai ; durée excessive ; contrat de travail ; convention collective ; licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Lien bases :

Cass. soc., 17 octobre 2007, n° 06-44.388, M. Nourredine Daoui, F-P+B (N° Lexbase : A8191DYZ)

Cassation (CA Bordeaux, ch. soc., sect. B, 22 juin 2006)

Texte visé : article 5 des dispositions particulières applicables aux salariés cadres de la convention collective nationale de la pharmacie d'officine

Mots-clés : période d'essai ; rupture ; notification ; formalisme conventionnel.

Lien bases :

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Famille et personnes

[Le point sur...] Les clauses de non-divorce dans les donations conjugales

Lecture: 4 min

N9514BCD

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Avril 2012

La liberté du mariage implique la liberté de se marier ou de ne pas se marier. Bien qu'elle ne soit consacrée à titre autonome par aucun texte en droit positif français, elle a été reconnue par le Conseil constitutionnel comme un principe à valeur constitutionnelle. En effet, le mariage civil est une institution si étroitement liée à la liberté que le Conseil constitutionnel a fait de "la liberté du mariage" un principe constitutionnel, d'abord considéré comme une composante de la liberté individuelle (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 N° Lexbase : A8285ACT, JO 18 août 1993, p. 11722), puis, désormais, présenté "comme une composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789" (décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité N° Lexbase : A1952DAK, JO 27 novembre 2003, p. 20154). Aussi, la question s'est posée de la validité des clauses qui y portent atteinte, soit en restreignant directement la liberté de se marier, soit, indirectement, en restreignant la possibilité de divorcer et, par suite, celle de se remarier. Ainsi, une clause de célibat -ou de viduité-, par laquelle un avantage est consenti en contrepartie du renoncement d'une personne au mariage, est-elle concevable ? La pression exercée sur la volonté est-elle licite ? La jurisprudence ne valide ni n'annule systématiquement ces clauses et fait une distinction selon que la clause litigieuse figure dans un acte à titre gratuit ou dans un acte à titre onéreux. S'agissant, en effet, des clauses figurant dans des libéralités, la jurisprudence établit une distinction selon que le mobile qui a inspiré l'auteur de la libéralité est, ou non, légitime : par suite, alors que, dans le premier cas, la clause est valable, elle est illicite dans le second. S'agissant de clauses, notamment de célibat, figurant dans un acte à titre onéreux, le plus souvent dans un contrat de travail, elles sont en principe nulles, sous réserve que la limitation à la liberté du mariage, en l'occurrence à la liberté de divorcer en vue de se remarier, ne soit pas dictée par des considérations entrées dans le champ contractuel : ainsi, la Cour de cassation, en Assemblée plénière, a-t-elle admis qu'il pouvait être très exceptionnellement porté atteinte à la liberté du mariage lorsque les convictions religieuses d'une institutrice avaient été prises en considérations lors de la conclusion de son contrat de travail avec une institution religieuse catholique attachée à l'indissolubilité du mariage (1). Tout cela est, à vrai dire, aujourd'hui parfaitement entendu.

Plus complexe est sans doute la question de la validité des clauses de non-divorce, c'est-à-dire des clauses qui posent une condition de perpétuité du mariage, dont le contexte privilégié est celui des donations faites entre époux pendant le mariage (donations conjugales). La validité de ces clauses, admise par les juridictions du fond (2), a été consacrée par la Cour de cassation par un arrêt de sa première chambre civile en date du 13 décembre 2005, affirmant "qu'aucune disposition légale n'interdit à l'époux qui consent une donation à son conjoint pendant le mariage d'assortir celle-ci d'une condition dont l'inexécution entraînera la révocation" (3). Et la Cour a ajouté que la condition de persistance du lien matrimonial "n'est pas en soi illicite et est justifiée, sauf intention de nuire, par la nature même de cette libéralité". Mais la loi du 26 mai 2004 relative au divorce (loi n° 2004-439 [LXB= L2150DYB]) a, sans doute, quelque peu bouleversé l'ordonnancement du droit positif et conduit, aujourd'hui, à distinguer entre donations de biens futurs et donations de biens présents.

Les donations de biens futurs faites pendant le mariage continuent, comme avant la loi du 26 mai 2004, à être librement révocables par le disposant. Cette libre révocabilité est, même, aujourd'hui consacrée par nouvel article 1096, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L0263HPG ; à noter que les modifications opérées sur cet article par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités N° Lexbase : L0807HK4, n'ont aucun impact sur le fond de la disposition). Aussi bien le nouveau droit des donations conjugales ne semble pas s'opposer à la stipulation dans une donation de biens futurs d'une clause de non-divorce. Tout au plus faut-il relever que l'utilité de la stipulation d'une telle clause a aujourd'hui peu d'intérêt : elle est, en effet, sous entendue à l'article 265, aliéna 2, du Code civil (N° Lexbase : L2830DZT), dans sa rédaction issue de la loi du 26 mai 2004, qui a, sur ce point, consacré la pratique notariale. Ce texte dispose, en effet, que "le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu'à la dissolution du régime matrimonial [...] et des dispositions à cause de mort, accordés par un époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l'union, sauf volonté contraire de l'époux qui les a consentis. Cette volonté est constatée par le juge au moment du prononcé du divorce et rend irrévocables l'avantage ou la disposition maintenus". C'est donc aujourd'hui à l'auteur de la libéralité qu'il appartient d'exprimer sa volonté contraire.

S'agissant des donations de biens présents, la loi du 26 mai 2004 a rompu avec les dispositions antérieures en abrogeant l'ancienne règle de la révocabilité ad nutum des donations conjugales de biens présents. Le nouvel article 1096, alinéa 2, du Code civil, qui en est issu, dispose que "la donation de biens présents qui prend effet au cours du mariage faite entre époux n'est révocable que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958", c'est-à-dire pour cause d'inexécution des conditions et charges ou pour cause d'ingratitude. Aujourd'hui, ces donations sont intégrées dans le giron de l'article 894 du Code civil (N° Lexbase : L0035HPY) relatif à la règle de l'irrévocabilité des donations ordinaires entre vifs. De plus, cette irrévocabilité des donations conjugales de biens présents, même en cas de divorce, est aujourd'hui spécialement prévue par le nouvel article 265, alinéa 1er, du Code civil, aux termes duquel "le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage et sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme". Ainsi la clause de non-divorce stipulée dans une donation de biens présents pourrait être, aujourd'hui, considérée comme une condition illicite au sens de l'article 900 du Code civil (N° Lexbase : L0040HP8) et donc nulle parce que contraire à l'article 265, alinéa 1er. Encore faut-il, pour qu'il en aille ainsi, que l'article 265, alinéa 1er, soit d'ordre public. Les travaux préparatoires sont assez incertains sur ce point, encore que l'on pourrait être tenté d'en déduire un principe de refus de toute stipulation ayant pour objet ou pour effet de faire céder la règle de l'article 265. La doctrine est, elle, favorable à ce que l'on puisse contractuellement prévoir par une clause de non-divorce que les donations de biens présents soient révocables en cas de divorce ou du fait du divorce. Plusieurs arguments sont d'ailleurs avancés : la contractualisation croissante du droit de la famille, l'incompatibilité de l'irrévocabilité absolue de ces donations, qui constituerait une atteinte à la liberté de disposer, avec la reconnaissance, fût-elle implicite, d'un "droit au divorce" depuis la loi du 26 mai 2004 (du fait, notamment, de l'admission d'un divorce pour altération définitive du lien conjugal)... C'est dire qu'il convient de suivre avec attention la jurisprudence sur cette question.


(1) Cass. Ass. plén., 19 mai 1978, n° 76-41.211, Association pour l'éducation populaire (N° Lexbase : A9566AAK), D. 1978, p. 541, note Ph. Ardant.
(2) Voir, not., CA Rennes, 14 février 1972, JCP éd. G, 1975, II, 17934, note A. Bénabent ; plus généralement, sur la question, N. Coiret, La liberté du mariage au risque des pressions matérielles, RTDCiv. 1985, p. 63.
(3) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 02-14.135, Mme Pascaline Garel, veuve Bebin c/ Mme Myriam Bebin, FS-P+B ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 2349959, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. civ. 1, 13-12-2005, n\u00b0 02-14.135, FS-P+B, Rejet.", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A0330DM8"}}), Bull. civ. I, n° 491.

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Famille et personnes

[Jurisprudence] La nullité du testament authentique rédigé au mépris de la règle de la dictée

Réf. : Cass. civ. 1, 26 septembre 2007, n° 05-19.909, Société de Jeannetou, FS-P+B (N° Lexbase : A5769DYC)

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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne

Le 21 Octobre 2014

En application des articles 971 (N° Lexbase : L0127HPE) et 972 (N° Lexbase : L0128HPG) du Code civil, la nullité du testament authentique doit être prononcée si le testateur ne l'a pas dicté au notaire en présence de deux témoins. Tel est le sens de l'arrêt du 26 septembre 2007 de la première chambre civile de la Cour de cassation ayant à juger de la validité d'un testament dactylographié et rédigé à l'avance par le notaire sans l'intervention des témoins requis. Le testament authentique respecte un formalisme très lourd dont la rédaction requiert la présence du testateur, de deux notaires ou d'un notaire et de deux témoins (C. civ., art. 971). Le testateur dicte ses dernières volontés (C. civ., art. 972) ; le ou les notaires recueille(nt) celles-ci, en donne(nt) lecture et, le cas échéant, les témoins confirment par leur présence et leur signature la sincérité des énonciations de l'acte (1). L'irrégularité formelle du testament authentique est sanctionnée par sa nullité absolue, d'où il suit que la cause de nullité ne peut être couverte par la confirmation du testateur qui n'a d'autre choix que de refaire le testament (2). Bien que le formalisme ait été allégé par la loi du 8 décembre 1950 (3), il reste très rigoureux dans la mesure où, aujourd'hui, la plupart des actes notariés peuvent être reçus par un seul notaire et sans témoins. Ceci explique que la rédaction d'un tel testament soit peu pratiquée, d'autant plus que les dernières volontés du testateur échappent au secret. En outre, pour des raisons de responsabilité professionnelle, le notaire hésite fréquemment à rédiger un testament authentique, préférant apporter son conseil à la rédaction d'un testament olographe (4).

Notons, toutefois, que depuis la loi du 3 décembre 2001 (loi n° 2001-1135, relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral N° Lexbase : L0288A33), le testament par acte public est la seule forme de testament qui permette à un époux de priver son conjoint de son droit viager au logement (C. civ., art. 764 N° Lexbase : L3371ABH).

Ce formalisme est d'autant plus pesant qu'il en est fait une application rigide par la jurisprudence (5). L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 26 septembre 2007 en est l'une des nombreuses illustrations.

En l'espèce, Germaine Y décéda le 19 janvier 1995, en l'état d'un testament authentique reçu le 10 octobre 1994, par lequel elle avait, d'une part, institué légataire universelle la commune d'Auterive, à charge pour celle-ci de délivrer, à titre de legs particulier, deux propriétés à la nièce de la testatrice et, d'autre part, révoqué tous testaments antérieurs et, notamment, un testament olographe daté du 21 septembre 1993 instituant sa nièce légataire universelle. La cour d'appel jugea que le fait qu'un testament ait été dactylographié et donc rédigé à l'avance n'était pas en lui-même et à lui seul de nature à faire échec à la règle de la dictée par la testatrice. Dans la mesure où ses dernières volontés ressortaient clairement des déclarations du notaire, les juges du fond ont pu considérer que l'action en nullité intentée contre le testament authentique devait être rejetée. La testatrice avait, en effet, informé le notaire de ses intentions, puis lui avait demandé de rédiger un acte en ce sens. Elle avait, en outre, réitéré ses volontés devant les témoins avant que soit faite la lecture du testament.

Conformément à sa jurisprudence traditionnelle (6), la Cour de cassation censure l'arrêt de la cour d'appel pour fausse application des articles 971 et 972 du Code civil, rappelant ainsi que le "rite de la parole" (7) est obligatoire. Il ne peut, en effet, y être suppléé par la remise d'un écrit ou encore de simples notes que le notaire recevrait des mains du testateur puis recopierait. En revanche, la règle de la dictée ne s'oppose pas à ce que le testateur s'aide de notes écrites ou même d'un projet établi à l'avance par lui-même (8) ou par un tiers (9), pourvu qu'il en dicte ensuite les termes au notaire, en présence des témoins (10).

Le testament doit donc être "dicté par le testateur". Autrement dit, il prononce tous les mots que le notaire écrit au fur et à mesure, ce dernier ayant toutefois la faculté, selon une jurisprudence plus souple (11), de prendre certaines initiatives, notamment si les déclarations de dernières volontés sont obscures ou contradictoires, et de poser au testateur toutes les questions qu'il juge nécessaires dans le but de s'assurer que sa volonté réelle a bien été comprise (12).

Le testament, une fois dicté et rédigé, doit être lu par le notaire au testateur afin que celui-ci vérifie l'exactitude des dispositions retranscrites. Il doit, également, être fait mention "expresse" dans l'acte de l'accomplissement des formalités de dictée, écriture et lecture, à peine de nullité. Enfin, le testament doit revêtir la signature du testateur (13), du notaire et des témoins.

En définitive, l'on peut légitimement s'étonner de la rigueur d'une jurisprudence qui privilégie une simple dictée sur la retranscription claire et précise des dernières volontés du testament dans un acte établi à l'avance. Rigueur d'autant moins justifiée si l'on compare cet arrêt avec celui rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation du 10 mai 2007, selon lequel doit être reconnue la validité d'un testament olographe dépourvu de toute date, alors pourtant que l'article 970 l'exige expressément (14).

Ce formalisme lourd que défend une jurisprudence stricte explique sans doute que le testament authentique ait, à plusieurs reprises, fait l'objet de propositions de réforme (15) pour l'instant restées lettre morte.


(1) La Cour de cassation impose l'assistance des témoins depuis la dictée du testament jusqu'à la clôture de l'acte : Cass. civ. 1, 9 octobre 1962, n° 60-13.992 (N° Lexbase : A9979DYA), Gaz. Pal. 1962, II., p. 299 : en l'espèce, les témoins n'avaient été amenés dans la chambre du disposant qu'au moment de la lecture d'un texte préétabli. V. également : Cass. civ. 1, 23 juillet 1979, n° 78-10220, Epoux May c/ Consorts Daguin, publié (N° Lexbase : A7277CID), JCP éd. N, 1980, n° 7631.
(2) Rien ne semble empêcher, toutefois, les héritiers du testateur de confirmer le testament irrégulier sous la forme d'une exécution volontaire : M. Grimaldi, Droit civil, Libéralités, Partages d'ascendants, Litec, 2000, p. 269, n° 1356.
(3) Antérieurement à la loi du 8 décembre 1950, le testament par acte public devait être reçu soit par deux notaires assistés de deux témoins, soit par un notaire assisté de quatre témoins.
(4) 72ème Congrès des Notaires de France, La dévolution successorale, Deauville, 1975, p. 515.
(5) V., encore récemment : Cass. civ. 1, 4 juin 2007, 2 arrêts, n° 05-21.189, Mme Paulette Ferrand, F-P+B (N° Lexbase : A7785DWA) et n° 06-12.765, Mme Marie Lopez, épouse Clanet, F-P+B (N° Lexbase : A7801DWT), Dr. fam. juillet-août 2007, comm. n° 152, note B. Beignier.
(6) Cass. req., 12 août 1834, D. 1835, I., p. 436 : la Cour prononça la nullité du testament qui n'avait pas été dicté mais écrit par le notaire conformément à la volonté clairement exprimée de la testatrice. V. également : Cass. civ., 27 avril 1857, S. 1857, I., p. 122.
(7) M. Grimaldi, Droit civil, Libéralités, Partages d'ascendants, préc., p. 265, n° 1354. Il en résulte que le testament authentique est impossible à la personne muette qui ne peut dicter : Cass. req., 3 avril 1900, DP. 1900, I., p. 259. En revanche, une personne non-voyante peut établir un testament authentique : Cass. civ. 1, 6 mai 1957, RTDciv. 1957, p.565, note R. Savatier. S'agissant, enfin, de la personne malentendante, la jurisprudence l'autorise à tester par acte public à condition que la lecture du testament par le notaire soit complétée d'une lecture par le testateur lui-même : Cass. civ. 1, 14 février 1872, D. 1872, I., p.457.
(8) Cass. civ. 1, 22 mai 1973, n° 72-11236, Consorts Piriou c/ Dame Marchand et autres, publié (N° Lexbase : A5569CI4), JCP éd. N, 1974, n° 5765.
(9) Cass. civ. 1, 6 juin 1990, n° 88-19.686, M. Robert Gelhay c/ M. Jean-Pierre Gelhay (N° Lexbase : A4010AHY), Defrénois 1990, art. 34951, note X. Savatier.
(10) J.-F. Montredon, J.-Cl. Code civil, art. 971 à 998, Fasc. 20, n° 77.
(11) Cass. civ., 19 mars 1861, S. 1861, 1, p. 760 ; Cass. req., 7 janvier 1890, D.P. 1891, 1, p. 438 ; Cass. civ. 1, 28 juin 1961, n° 59-12.077 (N° Lexbase : A0995DZU), Bull. civ. I, n° 353 : "Il est en effet possible au notaire rédacteur du testament authentique de poser certaines questions ou de donner certaines précisions au disposant, pourvu que sa rédaction corresponde exactement à la volonté exprimée oralement du testateur".
(12) J.-F. Montredon, J.-Cl. Code civil, préc., n° 78.
(13) Si le testateur ne sait ou ne peut signer, il doit le déclarer. Sa déclaration et la cause de son empêchement à signer doivent expressément être mentionnées dans l'acte (C. civ., art. 973 N° Lexbase : L0129HPH). V. sur ce sujet : Cass. civ. 1, 4 juin 2007, 1er arrêt, préc. : en l'espèce, un testament avait été reçu par un notaire et le testateur très diminué physiquement n'avait pas pu le signer. Le notaire s'était contenté d'indiquer dans l'acte qu'après lecture, "le testateur, sur ce requis, n'a pu signer en raison de sa faiblesse". La Cour de cassation cassa l'arrêt de la cour d'appel au motif qu'un tel testament devait être annulé en l'absence de la déclaration qu'exige la loi.
(14) Cass. civ. 1, 10 mai 2007, n° 05-14.366, Mme Marie-Jeanne Sauviat, veuve Garon, FS-P+B (N° Lexbase : A1079DWU), Dr. fam. 2007, comm. n° 131, note B. Beignier ; et les obs. de David Bakouche, Successions : de la validité du testament olographe non daté, Lexbase Hebdo n° 263 du 7 juin 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N3663BBB).
(15) 72ème Congrès des Notaires de France, La dévolution successorale, préc., p. 519 : "Le notaire serait ainsi chargé de rédiger lui-même le testament, sur les instructions précises du disposant, sans que ce dernier soit obligatoirement présent et sans qu'il soit fait mention que le testament a été manuscrit ou dactylographié de la main du notaire lui-même ou d'une secrétaire. L'acte ainsi rédigé serait lu, soumis à l'approbation du testateur qui le signerait hors la présence des témoins. A la suite, les deux témoins instrumentaires seraient simplement requis de constater que telle personne a consigné ses dispositions à cause de mort".

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Social général

[Jurisprudence] Un pacte d'actionnaire ne constitue pas un accessoire du contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 18 octobre 2007, n° 06-45.331, Société financière FDI c/ M. Jacques Crozier, F-P (N° Lexbase : A8208DYN)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Compétente pour examiner les litiges individuels nés à l'occasion du contrat de travail, la juridiction prud'homale peut, également, avoir à connaître des conventions qui s'avèrent être l'accessoire du contrat. Relèvent, notamment, de cette catégorie les options de souscription ou d'achat d'actions consenties à un salarié. En revanche, et ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans un intéressant arrêt rendu le 18 octobre dernier, le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour statuer sur les conditions de mise en oeuvre d'un pacte d'actionnaires, qui ne constitue pas un accessoire du contrat de travail.


Résumé

Le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour statuer sur les conditions de mise en oeuvre d'un pacte d'actionnaires qui ne constitue pas un accessoire au contrat de travail.

1. La compétence d'attribution de conseil de prud'hommes

Fixée par l'article L. 511-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1723GZT), la compétence d'attribution des conseils de prud'hommes s'étend à tous les différends individuels nés à l'occasion du contrat de travail, quelle que soit la profession et quel que soit le chiffre de la demande (v., sur la question, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, pp. 1322 et s.).

Il résulte de cette formule que l'existence d'un contrat de travail est le premier critère de la compétence du conseil de prud'hommes. Par suite, et de manière relativement évidente, cette juridiction spécialisée n'a pas à connaître des litiges qui ne trouvent pas leur source dans un contrat de travail, sauf à ce qu'une disposition légale en dispose autrement. La juridiction prud'homale est, ainsi, incompétente pour examiner les litiges relatifs à l'exploitation d'une invention du salarié (Cass. soc., 18 février 1988, n° 85-40.213, M. Portier c/ Société anonyme Soletanche et autre, publié N° Lexbase : A6722AA9 ; Bull. civ. V, n° 126) ou relatifs au travail pénitentiaire (Cass. soc., 17 décembre 1996, n° 92-44.203, M. Jean Glaziou c/ Etat, Ministère de la Justice, Maison d'arrêt, inédit N° Lexbase : A1173CWD ; Dr. soc. 1997, p. 344, obs. G. Giudicelli-Delage et M. Massé).

Cela étant, et dans la mesure où l'article L. 511-1 vise les litiges nés "à l'occasion du contrat de travail", il convient de se demander si la compétence du conseil de prud'hommes peut être retenue lorsque la convention en cause s'avère être l'accessoire du contrat de travail. On sait que le contrat accessoire suppose un autre rapport qu'il complète. Ce rapport, que l'on qualifie de "contrat principal", est celui qui, par lui-même, permet d'atteindre le résultat escompté par les parties (Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 3ème éd., 2007, § 409).

Ainsi que le relèvent MM. Pélissier, Supiot et Jeammaud, "la compétence prud'homale ne se retrouve à propos des conventions accessoires au contrat de travail, que si la demande présente un lien direct et nécessaire avec le contrat de travail" (ouvrage préc., p. 1326). Il en résulte, par exemple, que le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître des litiges nés de l'exécution d'un contrat d'assurance groupe souscrit par l'employeur au profit de l'ensemble du personnel et qui constitue un avantage social complémentaire accessoire au contrat de travail (Cass. soc., 19 janvier 1999, n° 96-44.688, Société Sicasov c/ M. Samson, publié N° Lexbase : A8094AGU ; Bull. civ. V, n° 34 ; v. aussi, Cass. soc., 8 mars 1995, n° 91-45.445, Société anonyme Pont à Mousson c/ M. Onelio Pinzin et autres, inédit N° Lexbase : A3874AAQ : litige opposant des salariés à leur employeur relatif à l'exécution des contrats d'assurance décès-invalidité souscrits par la société à leur profit pour la couverture des risques professionnels, ces contrats d'assurance constituant un avantage social complémentaire accessoire au contrat de travail).

De même, il a été jugé que l'octroi, par l'employeur, à un salarié, d'une option donnant droit à une souscription d'actions constitue un accessoire du contrat de travail (Cass. soc., 21 juin 2005, n° 02-45.479, FS-P+B N° Lexbase : A8041DIN ; Bull. civ. V, n° 207 ; JCP éd. S, 2005, 1183, note B. Boubli). Cette solution doit être approuvée. En effet, l'option d'achat ou de souscription d'actions, dont on sait aujourd'hui qu'elle entre dans la catégorie des contrats (Cass. civ. 2, 20 septembre 2005, n° 03-30.709, Société Thales training et simulation (TTS), FS-P+B N° Lexbase : A5813DKI ; JCP éd. S, 2005, 1417, note R. Vatinet), constitue, à n'en point douter, un avantage social complémentaire accessoire au contrat de travail. Cela est d'autant plus vrai que, bien souvent, la promesse stipule que la perte de la qualité de salarié entraîne la perte du bénéfice de l'option.

En l'espèce, les juges du fond s'étaient, sans doute, inspirés de cette jurisprudence pour décider que le conseil de prud'hommes de Chambéry était compétent pour statuer sur la demande du salarié relative à sa qualité d'actionnaire. Pour ce faire, ils avaient retenu que les demandes tendaient à obtenir l'évaluation d'un préjudice résultant de la mise en oeuvre de la levée d'options par les investisseurs, le prix de vente des actions variant selon que la cessation du contrat de travail procédait d'un licenciement ou d'une démission.

On ne peut manquer de relever le caractère quelque peu paradoxal de cette argumentation, dans la mesure où, si les demandes du salarié étaient relatives à sa qualité d'actionnaire, il y a tout lieu de penser que n'était pas en cause, en l'espèce, une convention accessoire au contrat de travail.

2. Un pacte d'actionnaires ne constitue pas un accessoire au contrat de travail

Conclus en marge des statuts de la société, les pactes d'actionnaires sont des conventions soumises, en tant que telles, au droit des contrats. Dès lors qu'ils ne portent pas atteinte aux règles impératives du droit des sociétés, leur validité ne prête pas à discussion. Selon une doctrine autorisée, ces pactes peuvent être rangés en deux catégories : les pactes relatifs aux mouvements d'actions et les pactes relatifs au fonctionnement de la société (M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 20ème éd., 2007, § 709).

De manière plus générale, on peut avancer que les pactes en cause visent à organiser les rapports entre actionnaires. Par suite, et alors même que ces derniers peuvent être, par ailleurs, titulaires, comme en l'espèce, d'un contrat de travail, les pactes d'actionnaires ne sauraient être regardés comme l'accessoire de ce contrat qu'ils viendraient compléter. En d'autres termes, il n'est nul besoin d'être lié par contrat de travail pour, ensuite, conclure un pacte d'actionnaires.

Il faut, en conséquence, approuver la Cour de cassation lorsqu'elle affirme que le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour statuer sur les conditions de mise en oeuvre d'un pacte d'actionnaires qui ne constitue pas un accessoire au contrat de travail.

Cela étant, il semble que, pour fonder sa décision, la Chambre sociale accorde plus d'importance à l'instrumentum qu'au negotium. En effet, et bien que l'arrêt rapporté manque singulièrement de clarté sur ce point, il apparaît que le pacte litigieux avait trait à la levée des options par les salariés. Pour autant, il est affirmé, par ailleurs, que le salarié sollicitait l'indemnisation du préjudice résultant de sa qualité d'actionnaire.

Cette décision démontre, une nouvelle fois, la confusion des genres à laquelle peut conduire le cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social ou, encore, le cumul des qualités de salarié et d'actionnaire. Pour en être convaincu, il suffit de se référer à la situation dans laquelle des options de souscription ou d'achat d'actions sont consenties à un mandataire social, titulaire d'un contrat de travail. Il importe, dans un tel cas, de déterminer avec précision si les options lui sont attribuées au regard de sa qualité de mandataire social ou de salarié. Car, si un litige venait à survenir par la suite, la juridiction prud'homale ne serait compétente que dans le second cas, et non dans le premier.

Décision

Cass. soc., 18 octobre 2007, n° 06-45.331, Société financière FDI c/ M. Jacques Crozier, F-P (N° Lexbase : A8208DYN)

Cassation partielle sans renvoi (CA Chambéry, chambre sociale, 19 septembre 2006)

Texte visé : C. trav., art. L. 511-1 (N° Lexbase : L1723GZT)

Mots-clefs : conseil de prud'hommes ; compétence d'attribution ; litiges nés à l'occasion du contrat de travail ; convention accessoire ; pacte d'actionnaires.

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Fiscalité des particuliers

[Chronique] Chronique de fiscalité du patrimoine

Lecture: 13 min

N9541BCD

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en fiscalité du patrimoine réalisée par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris. Cette chronique revient, d'abord, sur l'exonération des dons de sommes d'argent consentis en pleine propriété issue de la loi "TEPA". En matière d'ISF, est abordée la question de la valeur de prise en compte des biens grevés d'usufruit. Il sera, également, traité de la souscription tardive d'un contrat d'assurance vie à l'épreuve de l'abus de droit et, enfin, de la valeur imposable d'une créance à terme dont le terme est échu.
  • Exonération des dons de sommes d'argent consentis en pleine propriété : instruction du 24 août 2007 (BOI 7 G-05-07 N° Lexbase : X9525AD7)

L'article 8 de la loi "TEPA" du 21 août 2007 (N° Lexbase : L2417HY8), codifié à l'article 790 G nouveau du CGI, instaure une mesure pérenne d'exonération pour les dons de sommes d'argent consentis en pleine propriété au profit d'un descendant en ligne directe ou, à défaut, d'une telle descendance, d'un neveu ou d'une nièce, dans la limite de 30 000 euros. On remarquera qu'à la différence du "don exceptionnel" instauré temporairement par la loi n° 2004-804 du 9 août 2004, relative au soutien à la consommation et à l'investissement (N° Lexbase : L0814GTC), il n'est nullement prévu d'incitation à la consommation qui, au demeurant, semblait difficilement pouvoir être mise en oeuvre. L'initiateur de la disposition adoptée en 2004, lui-même, n'avait-il pas déclaré "nous avons voulu laisser totalement libre le donataire d'utiliser les espèces données. Une tentative de lister certains produits a tourné court : il fallait permettre à la solidarité entre les générations de s'exprimer mais ne pas se préoccuper de ce qui serait acheté". L'administration a commenté le dispositif nouveau dans une instruction administrative du 24 août 2007.

L'exonération s'applique aux seuls dons réalisés en pleine propriété effectués par chèque, par virement, par mandat ou par remise d'espèces. Cette exonération est limitée à la transmission d'une somme d'argent d'un montant de 30 000 euros. L'instruction précise les conditions relatives aux personnes bénéficiaires de l'exonération, celles devant être réunies par le donateur, le montant de l'exonération, l'articulation du dispositif nouveau avec les abattements de droit commun et la forme de la libéralité ainsi que les formalités d'enregistrement.

1. Donataires susceptibles de bénéficier de l'exonération

Le dispositif est réservé aux dons effectués au profit d'un enfant, d'un petit-enfant, d'un arrière-petit-enfant ou d'un neveu ou d'une nièce lorsque le donateur n'a pas de descendance directe. Par neveu ou nièce, la loi entend les seuls enfants des frères et soeurs du donateur. Les neveux et nièces par alliance sont, donc, exclus du dispositif. Le bénéficiaire doit être majeur, c'est-à-dire âgé de plus de 18 ans ou émancipé, que ce soit de plein droit par le mariage ou par décision du juge des tutelles. Le législateur a, ainsi, entendu écarter tout don à des mineurs qui aurait pu être assimilé à "un don fait à soi-même" du donateur.

2. Conditions devant être réunies par le donateur

Outre le lien de parenté, le donateur doit être âgé de moins de soixante-cinq ans au jour de la transmission. Cette condition nouvelle, par rapport au dispositif temporaire qui était en vigueur jusqu'au 31 décembre 2005, manifeste le souci d'inciter à une transmission anticipée du patrimoine, lorsque le donateur est encore actif ou tout jeune retraité.

3. Montant de l'exonération

L'exonération est limitée à la transmission d'une somme d'argent d'un montant maximal de 30 000 euros. Cette exonération pérenne est un plafond applicable aux donations consenties par un même donateur à un même donataire. Ainsi, un donateur peut transmettre en franchise de droits autant de fois 30 000 euros qu'il a de descendants susceptibles de bénéficier du régime de faveur. A l'inverse, un même donataire pourra recevoir autant de fois le montant plafond qu'il dispose d'ascendants encore en vie. A titre d'exemple un descendant bénéficiera d'un montant maximum de 420 000 euros, soit 30 000 euros de chacun de ses parents (total 60 000 euros), 30 000 euros de chacun de ses quatre grands-parents (total 120 000 euros), 30 000 euros de chacun de ses huit arrières-grands-parents (total 240 000 euros).

4. Articulation de l'exonération avec les abattements de droit commun

L'exonération des dons de sommes d'argent se cumule avec les abattements personnels, soit 150 000 euros pour les héritiers en ligne directe (CGI, art. 779 I N° Lexbase : L4716HWL), 30 000 euros pour les petits-enfants (CGI, art. 790 B N° Lexbase : L8236HLM), 5 000 euros pour les arrières-petits-enfants (CGI, art. 790 D N° Lexbase : L1924HNL), 7 500 euros pour les neveux et nièces (CGI, art. 779 V). Ainsi, lorsque le don dépasse le plafond de 30 000 euros, le bénéficiaire est en droit d'imputer tout ou partie de son abattement personnel dans la mesure où il ne l'a pas déjà utilisé depuis moins de six ans. Dans l'hypothèse où le donataire aurait totalement épuisé cet abattement personnel depuis moins de six ans, il conserve donc la possibilité de recevoir, en franchise de droits un montant maximum de 30 000 euros.

5. Forme de la libéralité et enregistrement

Dans l'hypothèse où un acte est rédigé pour constater la donation, cet acte, notarié ou sous seing privé, doit faire l'objet d'un enregistrement. En effet, l'exonération est susceptible de s'appliquer quel que soit le support qui constate le don, voire en l'absence d'acte lorsqu'une déclaration de don manuel est servie. En pratique, lorsque le don est constaté dans un acte notarié, le droit commun est applicable. Autrement dit, le notaire rédacteur fait enregistrer son acte au service des impôts dans le ressort duquel il a sa résidence, dans un délai d'un mois à compter de la date de l'acte. Lorsque le don est constaté dans un acte sous seing privé, cet acte, non soumis obligatoirement à la formalité de l'enregistrement, doit, cependant, être enregistré au service des impôts du domicile du donataire, dans un délai d'un mois à compter de la date du don, pour bénéficier du dispositif de faveur. Enfin, lorsque le don de sommes d'argent n'est pas constaté par un acte, une déclaration n° 2731 "déclaration de dons de sommes d'argent" doit être adressée au service des impôts par voie postale dans le mois qui suit la date du don. Dans l'hypothèse où le don dépasse le plafond de 30 000 euros, l'administration admet qu'une déclaration de don manuel n° 2735 puisse être déposée, en indiquant expressément que le donataire entend bénéficier du régime d'exonération prévu à l'article 790 G du CGI, à hauteur du plafond de 30 000 euros.

Remarque

On rappellera que les donations autres que les donations partages sont rapportées à la succession du donateur pour le calcul de la réserve héréditaire. Ce qui doit conduire les ascendants donateurs à être conscients des déséquilibres qu'ils peuvent introduire entre leurs descendants dans l'hypothèse où un ou plusieurs d'entre eux seulement bénéficient du régime de faveur des dons de sommes d'argent. Une utilisation de l'avantage fiscal mal répartie peut, en effet, conduire à des compensations, comme le versement de soulte entre héritiers, par exemple, au jour du décès du donateur. Cette question est d'autant plus importante que les règles diffèrent en droit civil et en droit fiscal pour déterminer le montant du rappel et du rapport. Sur le plan fiscal, en application des dispositions de l'article 784 du CGI (N° Lexbase : L1920HNG), la réintégration des dons manuels à l'actif de la succession du donateur se fait pour la valeur nominale de la somme donnée, sans réévaluation et sans tenir compte des emplois effectués avec cette somme (QE n° 111486 de M. Chartier Jérôme, réponse publ. au JOANQ du 8 mai 2007 p. 4289, 12ème législature N° Lexbase : L5127HX8, conformément à Cass. com., 20 octobre 1998, n° 96-20.960, Monsieur Durand c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A5557ACS). En revanche, sur le plan civil, selon la règle énoncée à l'article 843 du Code civil (N° Lexbase : L9984HN4), les biens donnés sont évalués non pas pour leur valeur appréciée à la date du fait générateur de l'impôt, mais en fonction de la valeur du bien donné appréciée à la date du décès, d'après son état à l'époque de la donation, à moins qu'une clause différente n'ait été insérée dans l'acte de donation. Ainsi, par exemple, une somme d'argent de 30 000 euros utilisée pour acquérir un studio en 2007 devra être rapportée, sauf clause contraire, pour sa valeur de 50 000 euros au jour du décès du donateur si telle est la valeur de ce studio, à cette date, dans l'état qui était le sien au jour de la donation de la somme d'argent. Ce mode de rapport modifie ainsi la répartition des biens existant au jour du décès du donateur, ce qui conduit à une double liquidation lorsque la donation est soumise à la fois au rappel fiscal et au rappel civil. La technique du rappel fiscal impose de vérifier s'il doit être tenu compte de la donation pour le calcul des droits dus sur les biens nouvellement transmis. La règle du rapport civil vise, elle, l'égalité entre les héritiers et la préservation de la réserve.

  • ISF et biens ou droits grevés d'un usufruit : instruction du 11 septembre 2007 (BOI 7 S-4-07 N° Lexbase : X9638ADC)

L'administration reprend dans sa doctrine la décision récente de la Cour de cassation (Cass. com., 20 mars 2007, n° 05-16.751, F-P+B N° Lexbase : A7392DUC) selon laquelle, en matière d'ISF, les biens ou droits grevés d'un usufruit sont, sauf exceptions, compris dans le patrimoine de l'usufruitier pour leur valeur en pleine propriété. Cette décision a pour but de faire obstacle à la prise en compte du démembrement pour la détermination de cet impôt et s'oppose à l'application de tout abattement dont l'objet serait de constater une diminution de valeur du bien. Ainsi, la règle légale de l'article 885 G du CGI (N° Lexbase : L8787HLZ) s'applique sans possibilité d'appliquer un abattement, tout comme celle qui est prévue à l'article 885 T bis du même code (N° Lexbase : L8850HLD).

1. Des règles d'évaluation légale...

Au cas particulier de l'affaire examinée par la Haute juridiction le 20 mars 2007, une personne avait donné, le 2 août 1993, la nue-propriété de parts sociales avec interdiction de les aliéner sans son accord. Au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune des années 1996, 1997 et 1998, elle les avait déclarées en appliquant un abattement de 15 % sur leur valeur en pleine propriété. Or, on sait que l'article 885 G du CGI prévoit que les biens ou droits grevés d'un usufruit sont, sauf exceptions, compris dans le patrimoine de l'usufruitier pour leur valeur en pleine propriété, cette disposition ayant pour but de faire obstacle à la prise en compte du démembrement pour la détermination de l'assiette de l'ISF. De même, l'article 885 T bis précise que les valeurs mobilières cotées sont évaluées, pour les besoins de l'ISF, selon le dernier cours connu ou selon la moyenne des trente derniers cours qui précèdent la date d'imposition. Ces dispositions sont interprétées de façon extrêmement stricte par le juge.

2. ... interprétées strictement

Ainsi, le fait qu'un propriétaire, simple usufruitier d'un bien, ne puisse en céder, seul, la pleine propriété ne permet pas de considérer que la valeur des biens qu'il détient soit affectée, ni par le démembrement, ni par l'accord préalable du nu-propriétaire en cas de cession. Tel est le sens de la décision récente commentée par l'administration dans l'instruction du 11 septembre. Autrement dit, le démembrement et la clause d'inaliénabilité sont sans influence sur l'évaluation des biens. Il est vrai que, non sans pertinence, la cour d'appel avait relevé que c'est le donateur qui, d'une part, avait décidé du démembrement, d'autre part, instauré une clause d'inaliénabilité pesant sur les donataires. L'arrêt du 20 mars 2007, commenté par l'administration, précisait, sans ambiguïté que la règle de l'article 885 G pour la détermination de l'assiette de l'ISF "s'oppose à l'application de tout abattement dont l'objet serait de constater une diminution de valeur du bien au titre de ce démembrement". De même, l'existence d'une interdiction d'aliéner est sans influence sur la valeur de valeurs mobilières cotées sur un marché (Cass. com., 7 janvier 2004, n° 00-16.786, FS-P N° Lexbase : A6877DAX ; cf. D. Faucher, Actions cotées soumises à l'ISF : dura lex, sed lex !, Lexbase Hebdo n° 103 du 15 janvier 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N0118ABY). Ainsi, le juge s'estime lié lorsque la loi fixe la valeur. En effet, l'article 885 T bis du CGI dispose que les valeurs mobilières cotées sur un marché sont évaluées selon le dernier cours ou selon la moyenne des trente derniers cours qui précèdent la date d'imposition.

  • Assurance vie et abus de droit, quand la souscription tardive d'un contrat d'assurance n'est pas abusive... : instruction du 16 octobre 2007 (BOI 13 L-6-07 N° Lexbase : X9808ADM)

Pour une information plus complète et plus rapide des contribuables, l'administration vient de décider de publier les avis rendus par le Comité consultatif pour la répression des abus de droits après chaque séance de ce Comité. C'est ainsi qu'à l'occasion d'une des premières séances de l'année 2007, a été rendu un avis favorable au contribuable en matière d'abus de droit et d'assurance vie. Au cas particulier, une personne avait souscrit, après son 70ème anniversaire, le 31 août 2001, un contrat d'assurance vie d'une durée de huit ans en versant une prime. Au motif que l'assuré était décédé moins d'un mois après cette souscription, soit le 27 septembre 2001, laissant comme bénéficiaire son neveu, héritier, le service estimait que la souscription en cause n'avait eu d'autre but que d'éluder les droits de mutation par décès. En effet, le contrat relevant des dispositions de l'article 757 B du CGI (N° Lexbase : L8111HLY) et la prime versée étant de 23 324 euros, l'application de l'abattement de 30 500 euros entraînait une absence d'imposition. Cependant, le Comité a rendu un avis négatif à la mise en oeuvre de la procédure de répression des abus de droit au motif, qu'au jour de la souscription du contrat, aucun élément du dossier ne permettait d'établir que le décès du souscripteur était prévisible, en dépit de son état de santé. Cet avis confirme, donc, que, pour pouvoir invoquer un abus de droit, même en cas de souscription tardive d'un contrat d'assurance vie, l'administration doit, a minima, démontrer l'absence d'aléa.

1. Les conditions de mise en oeuvre de la procédure

L'abus de droit ne peut être relevé que si son auteur en retire un avantage. Ce qui, en matière d'assurance vie, doit permettre, en principe, d'écarter la procédure spécifique, le souscripteur d'un contrat n'ayant par essence aucun intérêt fiscal direct. De même, l'aléa est de la nature de l'assurance vie. En effet, si la certitude de transférer le capital et les intérêts est acquise, il est ignoré qui le recevra, du souscripteur lui-même ou du bénéficiaire désigné. Autrement dit, pour pouvoir invoquer, avec succès, l'abus de droit, il apparaît que le service doit, d'une part, démontrer que le bénéficiaire était intervenu lors de la souscription du contrat, d'autre part, qu'à ce même instant, il n'existait pas d'aléa.

2. Validation

Si cette double condition n'a jamais été validée sans ambiguïté, il n'en demeure pas moins que, dans une affaire soumise à la cour d'appel de Reims, la mise en oeuvre de la procédure spécifique a été reconnue justifiée dans le cas de la souscription par son bénéficiaire d'un contrat pour le compte d'une personne âgée de 85 ans, vingt jours avant son décès (CA Reims, 26 janvier 2006, n° 05-2994). Le Comité consultatif s'est déjà appuyé sur ce cumul de condition. En effet, dans une affaire qui lui était soumise en 1997, il a validé le recours à la procédure spécifique dans le cas d'une personne, en fin de vie, placée sous la tutelle de son frère, ce dernier, agissant comme représentant légal, ayant souscrit un contrat dont il était bénéficiaire (instruction du 13 février 1997, BOI 13 L-1-97, affaire n° 97-16 N° Lexbase : X1088ABW). L'avis rendu récemment apparaît important dans la mesure où il n'était nullement fait état de la "complicité" du bénéficiaire qui aurait souscrit le contrat pour le compte de l'assuré souscripteur. Si cette position était confirmée, il faudrait en conclure que l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L5565G4U) peut s'appliquer, quand bien même le bénéficiaire de l'avantage ne serait pas l'auteur de l'opération qui s'est révélée avantageuse pour lui, dès lors que l'absence d'aléa serait constatée. Or, telle semble déjà être l'analyse retenue par une cour d'appel (CA Douai, 29 septembre 2003, n° 02-2277) qui, pour valider la procédure, a estimé que l'article L. 64 "n'exige pas, pour recevoir application que les actes en cause aient eu pour objectif de procurer un avantage fiscal à l'un de ses auteurs ou parties, c'est-à-dire que ces actes aient eu pour but d'éluder l'impôt dû par les auteurs eux-mêmes".

  • Valeur imposable : créance à terme dont le terme est échu : Cass. com., 9 octobre 2007, n° 06-16.528, M. Francis Holder, F-P+B (N° Lexbase : A7352DYX)

Une créance à terme venue à échéance avant la date du fait générateur de l'impôt doit être évaluée par une déclaration détaillée et estimative des parties, conformément à l'article 758 du CGI (N° Lexbase : L8114HL4). La Cour de cassation décide, ainsi, qu'une telle créance, qui n'est plus considérée comme à terme, ne relève plus des dispositions de l'article 760 du CGI (N° Lexbase : L3142HNP). Or, cet article précise que, pour les créances à terme, le droit est perçu sur le capital exprimé dans l'acte et qui en fait l'objet, sauf dans le cas où le débiteur est en redressement judiciaire. De telles créances sont donc imposables, tant pour l'assiette des droits de mutation à titre gratuit que pour l'ISF, sur leur montant nominal. Cette règle s'applique, par exemple, aux bons de capitalisation (QE n° 547 de M. Abelin Jean-Pierre, réponse publiée au JOANQ du 23 septembre 2002, p. 3245, 12ème législature N° Lexbase : L3099BAZ). La décision rendue est donc importante : relevant des dispositions de l'article 758, la créance à terme échu peut être évaluée, par le redevable, en tenant compte de la situation financière de son débiteur ou de tout autre élément. Bien entendu, la valeur déterminée sur déclaration du redevable peut être contestée par l'administration fiscale. Relevant des dispositions de l'article 760, la créance à terme échu aurait dû être évaluée pour sa valeur au nominal. La seule hypothèse dans laquelle une déclaration estimative aurait, alors, été permise concerne les créances sur un débiteur en état de liquidation de biens ou de règlement judiciaire au moment du fait générateur de l'impôt.

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Concurrence

[Evénement] Droit de la distribution : coexistence entre réseaux virtuels et réseaux physiques

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N9503BCX

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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du pôle "Presse"

Le 07 Octobre 2010

Le 23 octobre dernier, un colloque consacré au droit de la distribution et, plus particulièrement, à la coexistence entre les réseaux virtuels et les réseaux physiques, était organisé par l'Association pour le développement de l'informatique juridique (Adij), en partenariat avec l'Ecole de formation professionnelle des Barreaux de la cour d'appel de Paris (EFB) et les éditions juridiques Lexbase. Aussi, cette semaine, Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de revenir, à travers les interventions de Muriel Chagny, Professeur à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, et de Johan Ysewyn, conseiller juridique, sur les droits et les obligations du promoteur d'un réseau de distribution par rapport à la vente sur internet et sur le cas, plus particulier, de la vente des produits de luxe. L'article 81 § 1 du Traité CE interdit les accords et pratiques concertées anti-concurrentiels. Les accords violant cet article sont nuls et peuvent exposer les parties concernées à des amendes et/ou des dommages-intérêts devant les tribunaux et/ou les autorités de la concurrence nationales. Un accord de distribution ayant des effets potentiellement anticoncurrentiels peut, néanmoins, être exempté, en vertu de l'article 81 § 3, qui permet l'exemption de dispositions contractuelles restrictives si elles contribuent au bien-être des consommateurs et au progrès économique (cf. Règlement (CE) n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du Traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées N° Lexbase : L3833AUI).

Le Règlement n° 2790/99 s'applique à n'importe quel type d'accord conclu entre des entreprises qui ne se situent pas -pour les besoins de l'accord- au même niveau de la chaîne de production ou de distribution (accords dits "verticaux"). Ceci inclut, en particulier, les accords traditionnels de distribution (revente de produits/services), le franchisage, la distribution sélective, les contrats d'agence, etc.. Dans un système de distribution sélective, le fournisseur vend les produits seulement à des distributeurs autorisés choisis sur la base de critères spécifiques, les distributeurs s'engageant, en contrepartie, à ne pas vendre les produits à des distributeurs non autorisés. Le principe de la sélection des distributeurs peut ne pas être considéré comme anti-concurrentiel, au sens de l'article 81 § 1 du Traité, si, d'une part, les critères de sélection sont strictement nécessaires, qualitatifs et appliqués d'une façon non discriminatoire, et si, d'autre part, la nature des produits concernés justifie l'approche sélective. Si ces conditions ne sont pas remplies, et le seuil de parts de marché de 30 % n'est pas franchi, la distribution sélective peut être exemptée au titre du Règlement.

Selon le droit de la concurrence, la vente sur internet ne peut, par principe, faire l'objet d'une interdiction pure et simple. Par conséquent, un système qui exclurait, sans justifications objectives, certaines formes ou certains modes de distribution susceptibles de favoriser la vente des produits dans des conditions satisfaisantes pour le fabricant aurait "pour seul effet de protéger les formes de commerce existantes de la concurrence des nouveaux opérateurs et ne serait donc pas conforme à l'article 81 § 3 du Traité " (TPICE, 12 décembre 1996, aff. T-88/92, Groupement d'achat Edouard Leclerc c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A3064AWE). A ce titre, la Commission européenne précise, dans ses lignes directrices sur les restrictions verticales, que "chaque distributeur peut être libre d'utiliser internet pour faire de la publicité ou pour vendre des produits" et que "l'interdiction catégorique de vendre sur internet ou sur catalogue n'est admissible que si elle est objectivement justifiée" (communication CE, n° 2000/C 291/01, Lignes directrices sur les restrictions verticales § 51, JOCE n° 291, 13 octobre 2002).

Selon le Professeur Muriel Chagny, "le promoteur du réseau de distribution a l'obligation d'autoriser ses distributeurs physiques à aller sur internet". Cette obligation doit être formalisée dans le contrat. Ainsi, la cour d'appel de Paris vient-elle, dans un arrêt en date du 16 octobre dernier, de se prononcer sur ce point, dans l'affaire "Festina" (CA Paris, 1ère ch., sect. H, 16 octobre 2007, n° 2006/17900 N° Lexbase : A0991DZQ ; recours contre la décision n° 06-D-24 du 24 juillet 2006, relative à la distribution des montres commercialisées par Festina France N° Lexbase : X7409ADR). En l'espèce, la société Bijourama, "pure player" (1) qui vend sur internet des produits de l'horlogerie, bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, avait saisi le Conseil, fin 2005, pour dénoncer le refus opposé par Festina France à sa demande d'agrément en vue d'intégrer le réseau de distribution sélective des produits de cette dernière. Cette décision était l'occasion pour le Conseil de dire que la tête d'un réseau de distribution de la revente des produits sur internet peut réserver le droit de revendre en ligne aux seuls distributeurs déjà agréés pour commercialiser les produits contractuels dans des locaux physiques et qu'il y avait lieu de prévoir une procédure particulière pour délivrer l'agrément permettant de vendre en ligne. Dans son arrêt du 16 octobre, la cour d'appel valide l'analyse du Conseil le conduisant à considérer que, quel que soit le marché pertinent par nature de produits retenu -montres de gamme économique, de moyenne gamme entre 100 euros et 300 euros, ou de plus haute gamme-, Festina France ne détenait pas une part de marché supérieure à 30 % et, partant, que l'accord était couvert par l'exemption par catégorie posée par le Règlement de la Commission européenne n° 2790/1999. La cour confirme que Festina France, parce que présente non seulement sur le segment des montres de moyenne gamme, mais aussi sur le segment haut avec la marque Festina, était fondée à exiger, pour maintenir une certaine image de qualité, notamment, par un service après-vente efficace, et assurer la mise en valeur de ses produits, que la vente sur internet n'intervienne, dans l'intérêt même des consommateurs, qu'en complément d'un point de vente physique.

Ce faisant, l'analyse de la cour rejoint la position de la Commission européenne, via ses lignes directrices. En effet, le Professeur Chagny rappelle que si le promoteur a le droit de restreindre le recours à internet, il s'agit d'un droit sous surveillance. Ainsi, il peut imposer des normes de qualité du site pour la vente du produit.

Cependant, ces restrictions sont soumises à trois conditions cumulatives :

- être propres à l'objet visé ;
- être comparables à celles du point de vente physique ;
- et ne pas aboutir à vider la vente sur internet de son contenu (cf., décision n° 07-D-07 du 8 mars 2007, relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle N° Lexbase : X8245ADQ). De cette affaire, l'on peut retenir que si un fabricant peut imposer des obligations qualitatives au distributeur, c'est-à-dire exiger de lui une présentation du produit conforme à son image de marque, il ne peut lui imposer une politique promotionnelle ou de vente unique dans ses points de vente physique et en ligne. Ensuite, le fabricant sera informé par le distributeur agréé des référencements payants qu'il envisage, ainsi que de la manière dont il entend faire usage de sa marque, ceci dans le but unique de veiller au respect de l'image de marque des produits. Enfin, cette décision a été l'occasion pour le Conseil de la concurrence de réaffirmer le droit, pour les fabricants, de refuser l'agrément aux pure players (2).

Le Professeur Chagny en conclut que la faveur marquée envers le développement du commerce en ligne au sein du réseau, qui semble impliquer l'obligation pour le maître du réseau d'envisager la vente par internet dans son contrat de distribution, se manifeste non seulement, par une quasi "interdiction d'interdire" la commercialisation en ligne à ses distributeurs, mais encore par un "contrôle sous contrôle" de la commercialisation en ligne par les distributeurs.

La question de cette coexistence entre réseaux physiques et réseaux virtuels se pose plus particulièrement pour les produits de luxe. En effet, comme le souligne Johan Ysewyn, il existe des tensions entre la distribution sélective et la vente sur internet ("environnement 'briques' dans environnement 'clic'"). On l'a dit, le producteur de produits de luxe est forcé d'autoriser les distributeurs à vendre sur internet (cf., décisions du Conseil de la concurrence précitées et, au niveau européen, Comm. CE, 24 juin 2002, B&W Loudspeakers, communiqué IP/02/916 ; Comm. CE, 17 mai 2001, Yves Saint-Laurent Parfums, communiqué IP/01/713).

Pour certains auteurs, la vente de produits de luxe sur internet peut sembler contraire au modèle fixé par la distribution sélective au motif qu'il y a une logique spatiale de la distribution sélective, "le fabricant voulant préserver l'image de marque ou de produit de distinction en ne livrant que dans des lieux hors du commun" (3), et le produit de luxe perdant cette qualité s'il est en vente partout à l'instar d'un produit de grande consommation.

Pour d'autres, "le réseau internet est, comme son nom l'indique et comme le réseau de distribution sélective, un réseau, et donc un maillage contractuel et physique qui n'est pas si différent du maillage géographique que suppose la distribution sélective des produits de luxe" (4).

Et Johan Ysewyn de se poser la question pratique suivante : internet peut-il recréer la place Vendôme ? Autrement dit, la vente de produits de luxe ou de haute technicité, initialement réalisée dans des magasins hauts-de-gamme avec des services aux clients à la hauteur des produits vendus, peut-elle, aujourd'hui, trouver une place prépondérante sur internet ?

Johan Ysewyn dresse alors les constats suivants :

- face à une demande sans doute limitée, il faudrait faire face à un investissement conséquent ;

- ensuite, les difficultés liées à la recréation d'un environnement de vente luxueux sur internet risqueraient de créer un préjudice à la marque ;

- de plus, il semblerait difficile de pouvoir obtenir sur internet les mêmes services à la clientèle que dans un point de vente physique, ce qui pourrait entraîner une baisse de satisfaction de celle-ci ;

- enfin, internet étant anonyme et peu réglementé, se profilerait alors le risque de la hausse de la contrefaçon.

Ainsi, pour l'intervenant, il semble être encore trop tôt pour le développement de la vente des produits de luxe sur internet. La Commission devrait, en effet, revoir l'exemption de groupe. Les autorités de la concurrence devraient, de leurs côtés, revoir la notion de "justifications objectives". Enfin, les fournisseurs devraient soigner leurs clients pour préserver la marque.


(1) Terme qualifiant une entreprise fonctionnant uniquement au travers d'internet.
(2) Le Conseil a repris la formulation de la décision "Festina" : "réserver la vente par internet aux distributeurs agréés disposant d'un point de vente physique permet d'éviter le parasitisme qui risquerait de s'exercer, de la part des 'pure players' internet, à l'égard des distributeurs physiques auxquels de nombreux coûts sont imposés".
(3) J. Beauchard, Droit de la distribution et de la consommation, PUF 1996.
(4) Anne Pigeon-Bormans, Distribution sélective, Luxe & Internet, octobre 2001.

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] Clause-recettes, droit d'option et indemnité d'occupation

Réf. : Cass. civ. 3, 3 octobre 2007, n° 06-17.766, Société Centre commercial des Pontots SCI, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6191DYX)

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N9106BCA

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

Dans un arrêt du 3 octobre 2007, la Cour de cassation a précisé, pour la première fois mais sans surprise, que même en présence d'une clause-recettes, l'indemnité d'occupation due par le preneur, distincte du loyer auquel elle se substitue de plein droit dès l'exercice par le bailleur de son droit d'option, doit correspondre, à défaut de convention contraire, à la valeur locative. En l'espèce, un propriétaire avait donné à bail des locaux pour une durée de douze ans moyennant le versement d'un loyer variable correspondant à 6 % du chiffre d'affaires du preneur, avec un loyer minimum garanti. Le locataire avait sollicité le renouvellement du bail que le propriétaire avait accepté en demandant que le loyer soit fixé à la valeur locative. Il avait, ensuite, exercé son droit d'option pour refuser le renouvellement en proposant une indemnité d'éviction. Les juges du fond ayant fixé l'indemnité d'occupation due à compter de l'expiration du bail sur la base du loyer tel que celui-ci aurait été fixé en cas de renouvellement, soit conformément à la clause-recettes, la bailleresse s'est pourvue en cassation, amenant la Haute cour à se prononcer sur les modalités de détermination de l'indemnité d'occupation en présence d'un bail stipulant une clause-recettes.

Cette décision ne peut être comprise qu'en rappelant les règles, d'origine jurisprudentielle, relatives à la fixation du loyer du bail renouvelé en présence d'une clause-recettes et sur la possibilité, pour les parties, même en présence d'une telle clause, d'exercer leur droit d'option.

I - Fixation du loyer en renouvellement et clause-recettes

En cas de désaccord des parties sur le montant du loyer en renouvellement, le juge des loyers commerciaux peut être saisi en vue de sa fixation.

Le loyer doit être alors fixé, en principe, au montant de la valeur locative (C. com., art. L. 145-33 N° Lexbase : L5761AI9) dans la limite imposée par la règle du plafonnement en fonction de la variation de l'indice du coût de la construction (C. com., art. L. 145-34 N° Lexbase : L5762AIA), plafonnement parfois lui-même inapplicable (volonté des parties, bail d'une durée supérieure à neuf ans, durée effective par le jeu de la tacite prorogation supérieure à douze ans, bureaux, locaux monovalents et terrains nus) ou bien écarté en raison d'une modification notable de l'un des éléments de la valeur locative au cours du bail expiré.

En présence d'une clause-recettes instituant un loyer binaire (une partie fixe constitutive d'un loyer minimum et une partie variable calculée en fonction du chiffre d'affaires du locataire), la Cour de cassation a écarté l'application des règles du statut des baux commerciaux relatives à la fixation du loyer en renouvellement. Cette dernière, dans ce cas, n'est régie que par la convention des parties. Cette jurisprudence, inaugurée par l'arrêt "Théâtre Saint-Georges" (Cass. civ. 3, 10 mars 1993, n° 91-13.418, Théâtre Saint-Georges c/ Compagnie foncière Saint-Dominique N° Lexbase : A5622ABT) a essuyé de nombreuses critiques. Certaines cours d'appel avaient, en outre, essayé de concilier cette jurisprudence, qui s'appuie sur la volonté des parties, avec les règles légales de fixation du loyer du bail renouvelé, en maintenant la clause-recettes dans le nouveau bail, tout en réévaluant le loyer minimum en fonction de la valeur locative (voir, par exemple, CA Paris, 16ème ch., sect. A, 8 mars 2000, n° 1997/23343, SARL MIDAC c/ SA Compagnie Foncière N° Lexbase : A5948A43).

La Cour de cassation a, pourtant, toujours maintenu sa jurisprudence "Théâtre Saint-Georges" en en tirant les conséquences quant au pouvoir du juge de fixer, dans ce cas, le loyer du bail renouvelé. Elle a, tout d'abord, affirmé qu'en présence d'un loyer binaire, le juge saisi d'une action en fixation du loyer du bail renouvelé ne pouvait que constater l'accord des parties sur le prix du nouveau bail et, à défaut, les débouter (Cass. civ. 3, 7 mai 2002, n° 00-18.153, FS-P+B+I N° Lexbase : A6052AYS). Puis, elle a précisé que, lorsque les parties sont d'accord sur le principe du renouvellement mais qu'elles s'opposent sur le réajustement du loyer minimum, le loyer devait demeurer fixé, conformément aux clauses et conditions du bail venu à expiration (Cass. civ. 3, 13 novembre 2002, n° 01-03.485, F-D N° Lexbase : A7185A3I). Il appartient donc "aux parties de tirer les conséquences de leur engagement contractuel en signant un nouveau bail selon les prévisions contractuelles du bail initial" (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 5 juillet 2006, n° 04/22085, SARL Pressing Bercy 2 MIL c/ SAS Hammerson Bercy N° Lexbase : A4787DRQ).

La question s'est posée, compte tenu de l'application de plein droit de la clause-recettes pour la fixation du loyer en renouvellement et de l'impossibilité subséquente de sa fixation judiciaire, de la faculté pour les parties d'exercer leur droit d'option lié.

II - Droit d'option et clause-recettes

Le droit d'option est la faculté accordée, tant au preneur qu'au bailleur, qui, initialement engagés dans un processus de renouvellement du bail, souhaitent finalement, eu égard, notamment, au montant du loyer du bail renouvelé, cesser leurs relations contractuelles.

Le droit d'option est prévu à l'article L. 145-57 du Code de commerce (N° Lexbase : L5785AI4) qui permet, tant au bailleur qu'au preneur, de refuser le renouvellement du bail, quand bien même ils auraient exprimé leur accord sur le principe d'un tel renouvellement et qu'une décision judiciaire aurait fixé le montant du loyer de ce bail renouvelé. Il doit, toutefois, être exercé dans le délai d'un mois qui suit la signification de la décision définitive fixant ce montant, les parties pouvant toutefois l'exercer avant que le juge ait rendu cette décision (Cass. civ. 3, 2 décembre 1992, n° 90-18.844, Société Arts Litho c/ M. Leclert N° Lexbase : A3220ACA).

L'article L. 145-57 du Code de commerce étant situé dans la section consacrée à la procédure et le droit d'option pouvant se justifier par l'existence d'une procédure en fixation du loyer du bail renouvelé, la question s'est posée de savoir si les parties en étaient toujours titulaires en présence d'une clause-recettes excluant toute fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé.

La Cour de cassation a refusé cette interprétation en affirmant, dans une espèce où les juges du fond avaient refusé au bailleur la possibilité d'exercer un droit d'option en raison du caractère binaire du loyer, que "le bailleur a toujours la faculté, en cas de désaccord sur le prix du bail, de refuser le renouvellement du bail dans les conditions de l'article L. 145-57 du Code de commerce" (Cass. civ. 3, 12 juin 2003, n° 02-11.493, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A7277C8Z), solution reconduite depuis (voir, par exemple, Cass. civ. 3, 24 novembre 2004, n° 03-14.620, FS-P+B N° Lexbase : A0368DED) et rappelée implicitement par l'arrêt rapporté.

En effet, dans ce dernier, la question posée à la Cour de cassation n'était pas celle de la possibilité pour les parties d'exercer un droit d'option en présence d'une clause-recettes, mais concernait les conséquences de la stipulation d'une telle clause sur l'évaluation de l'indemnité d'occupation due à la suite de l'exercice du droit d'option.

La réponse apportée pourrait sembler, ainsi, constituer la dernière étape des suites de la jurisprudence "Théâtre Saint-Georges". Toutefois, comme le rappelle la Haute cour, l'indemnité d'occupation est différente, par sa nature, du loyer et, en conséquence, l'existence d'une clause-recettes n'a pas nécessairement d'influence sur sa détermination.

III - Clause-recettes et indemnité d'occupation à la suite de l'exercice du droit d'option

Aux termes de l'article L. 145-28 du Code de commerce (N° Lexbase : L5756AIZ), "aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue". Toujours selon ce texte, jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré, mais l'indemnité d'occupation doit être fixée selon les règles du statut des baux commerciaux relatives à la fixation du loyer.

L'indemnité d'occupation devra, en conséquence, être fixée au montant de la valeur locative, sans que cette dernière puisse être plafonnée (Cass. civ. 3, 14 novembre 1978, n° 77-12.032, SARL Guederlin c/ SA HLM Le Logement Familial du Bassin Parisien N° Lexbase : A7308AGR ; Cass. civ. 3, 27 novembre 2002, n° 01-10.058, Société Degi c/ Société civile immobilière (SCI) Ternes Guersant, FS-P+B N° Lexbase : A1234A4H), malgré le renvoi de l'article L. 145-28 du Code de commerce à l'ensemble des dispositions relatives à la fixation du loyer renouvelé ou révisé, y compris, à l'article L. 145-34 de ce code qui instaure la règle du plafonnement.

Toutefois, lors de la détermination du montant de l'indemnité d'occupation, le juge tiendra compte de la précarité de la situation, le locataire étant en quelque sorte en "sursis", occupant les lieux dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction et son départ étant imminent (Cass. civ. 3, 20 mars 2007, n° 06-10.476, F-D N° Lexbase : A7497DU9). Un abattement (10 % ou plus) sur le montant de la valeur locative est, en conséquence, souvent appliqué en fonction des circonstances.

L'application de ces dispositions, alors que l'éviction du preneur est la conséquence de l'exercice du droit d'option, a dû être précisée par la jurisprudence.

Lorsque le droit d'option est exercé par le bailleur, l'indemnité d'occupation due par le preneur doit être calculée en fonction de l'article L. 145-28 du Code de commerce et elle sera due à compter de la date d'expiration du bail, même si elle est antérieure à la date d'exercice du droit d'option (Cass. civ. 3, 7 novembre 1984, n° 83-13.550, Mme Caillet c/ Sarl Margaret N° Lexbase : A2481AA7 et Cass. civ. 3, 21 février 2001, n° 99-11.035, Société des Etablissements de l'Hôtel de Than c/ Société Union du meuble N° Lexbase : A3348ARG).

En revanche, lorsque le droit d'option est exercé par le preneur, la situation s'apparente à celle dans laquelle le preneur aurait donné congé pour la date d'expiration du bail. Il devient occupant sans droit ni titre et débiteur d'une indemnité d'occupation qui n'est plus celle visée par l'article L. 145-58 du Code de commerce. Elle peut, donc, être fixée à un montant supérieur à celui de la valeur locative (Cass. civ. 3, 30 septembre 1998, n° 96-22.764, Société Selectinvest c/ Société des Editions Bordas N° Lexbase : A5581ACP). Dans cette hypothèse, à l'instar de celle dans laquelle le droit d'option aurait été exercé par le bailleur, l'indemnité d'occupation est également due à compter de la date d'expiration du bail et non à compter de l'exercice du droit d'option (Cass. civ. 3, 30 septembre 1998, n° 96-22.764, précité).

La solution est rappelée par l'arrêt rapporté, le droit d'option ayant été exercé par le bailleur et la Cour de cassation ayant rappelé, dans ce cas et au visa de l'article L. 145-28 du Code de commerce, que l'indemnité d'occupation devait être fixée à la valeur locative.

La Cour de cassation ne procède toutefois pas à un simple rappel puisqu'elle fait application de cette solution dans une hypothèse où le bail stipulait une clause-recettes et que les juges du fond avaient appliqué cette dernière pour fixer le montant de l'indemnité d'occupation.

Toutefois, l'indemnité d'occupation doit être distinguée du loyer, la première étant due en contrepartie de la jouissance des lieux alors que le bail est expiré, le second étant une prestation contractuelle due en échange, certes, également, de la jouissance des lieux, mais cette jouissance étant dans ce cas elle-même une prestation contractuelle due en vertu du bail.

En conséquence, une fois admis que le bailleur peut, même en présence d'une clause-recettes, exercer son droit d'option, il n'existait aucune raison de fixer l'indemnité d'occupation due par le preneur subséquemment à l'exercice de ce droit en appliquant la clause-recettes qui n'a vocation qu'à régir la fixation du montant du loyer.

A cet égard, la règle selon laquelle le loyer en renouvellement doit être fixé selon la seule clause-recettes ne peut trouver application, précisément parce que l'indemnité d'occupation n'est pas un loyer.

C'est ce que précise avec force la Cour de cassation dans cet arrêt du 3 octobre 2007 : "l'indemnité d'occupation étant distincte du loyer auquel elle se substitue de plein droit dès l'exercice par le bailleur de son droit d'option, cette indemnité doit correspondre, à défaut de convention contraire, à la valeur locative".

Il importait peu, à ce titre, que le loyer en renouvellement fût définitivement fixé, comme l'avait relevé les juges du fond, pour justifier la fixation du montant de l'indemnité d'occupation par application de la clause-recettes.

La Cour de cassation énonce, cependant, que la solution n'est applicable qu'à défaut de convention contraire.

Il semblerait, en conséquence, que les parties puissent prévoir, dès la conclusion du bail, les modalités de fixation de l'indemnité d'occupation due par le preneur occupant les lieux dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction. Il est vrai, en effet, que les dispositions de l'article L. 145-28 du Code de commerce ne sont pas visées par l'article L. 145-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L5743AIK), énumérant les dispositions d'ordre public auxquelles il ne peut être dérogé. En conséquence, il ne semble pas exclu que les parties à un bail puissent prévoir que l'indemnité d'occupation sera fixée en application d'une clause-recettes.

Il faudra, néanmoins, veiller à la rédaction d'une telle clause. La cour d'appel de Paris a ainsi jugé, dans une espèce où le bail stipulait que l'indemnité d'occupation serait fixée forfaitairement sur la base du double du montant du loyer "après résiliation de plein droit ou judiciaire ou expiration du bail", que cette clause ne couvrait pas l'hypothèse d'un maintien dans les lieux dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 23 novembre 2005, n° 04 /13690, SARL Bal Jouets c/ SAS Hammerson Centre Commercial Italie N° Lexbase : A2329DM9).

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Social général

[Jurisprudence] Epilogue de l'affaire STM : la Cour de cassation rappelle à l'ordre le juge des référés

Réf. : Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-17.802, Syndicat SNTU-CFDT, FS-P+B (N° Lexbase : A8504DYM)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Personne n'aura oublié la longue épreuve de force qui a opposé les syndicats à la direction de la société des transports marseillais en 2005, la tentative avortée de médiation de Bernard Bruhnes, ni l'arrêt provocateur rendu, dans cette affaire, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 1ère ch., sect. C, 21 mars 2006, n° 05/20799, Syndicat CGT c/ Régie des Transports de Marseille "RTM" N° Lexbase : A3191DSY) qui, se fondant sur les termes d'une jurisprudence que l'on croyait morte et enterrée depuis longtemps, avait décidé de suspendre les préavis de grève, motif pris que la véritable motivation des grévistes ne pouvait pas être satisfaite par l'entreprise. La cassation sans renvoi opérée par l'arrêt rendu le 23 octobre 2007 par la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle à tous ceux qui avaient feint de l'oublier que le rôle du juge des référés n'est pas de se mêler des conflits collectifs, qui sont de la seule compétence des salariés, de leurs syndicats et de leurs employeurs. Dès lors, il est vain de prétendre restreindre la notion de revendications professionnelles (1) ou de prendre en compte le fait que l'employeur n'aurait pas le pouvoir de satisfaire les véritables revendications des grévistes (2).
Résumé

Constitue une revendication d'ordre professionnel licite la défense, pour les employés de la Régie des transports marseillais, établissement public industriel et commercial, du mode d'exploitation du réseau des transports urbains.

La capacité de l'employeur à satisfaire les revendications des salariés est sans incidence sur la légitimité de la grève.

1. Confirmation de la conception large de la notion de revendication professionnelle

  • Insuffisances des règles légales et précisions jurisprudentielles

Ni le Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU), aux termes duquel "le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent", ni le Code du travail, qui fixe le régime juridique du droit de grève, n'ont pris la peine de définir cette notion. C'est donc à la Cour de cassation qu'il est revenu de préciser que "l'exercice du droit de grève résulte objectivement d'un arrêt collectif et concerté du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles" (1).

  • Importance du débat sur la notion de "revendications professionnelles"

La notion de "revendications professionnelles" constitue donc l'une des composantes essentielles de la grève (2). La Cour de cassation n'est, d'ailleurs, pas fixée sur une appellation exacte puisqu'elle vise aussi bien l'expression de revendication "de nature professionnelle" (3), "d'ordre professionnel" (4), "de caractère professionnel" (5), ou "à caractère professionnel" (6).

Depuis 1993, le fait de cesser le travail pour soutenir des revendications n'ayant pas de caractère professionnel entraîne la disqualification du mouvement qui n'entre, donc, plus dans les prévisions des articles L. 521-1 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L5336ACM) ; les salariés pourront, donc, être licenciés dans les conditions du droit commun, sans qu'il soit utile de caractériser l'existence d'une faute lourde (7).

  • Eléments de définition des revendications professionnelles

Il n'est pas aisé de cerner avec précision ce qu'il convient d'entendre exactement par "revendication professionnelle".

Dans certains cas de figure, une définition négative s'impose ; ainsi, les grèves "politiques" n'ont pas de caractère professionnel, même si la séparation du "professionnel" et du "politique" n'a guère de sens. Par ailleurs, ne présentent pas de caractère professionnel les cessations de travail uniquement destinées à soutenir un collègue de travail ; il s'agit, en effet, d'une immixtion dans l'exercice du pouvoir disciplinaire de l'employeur qui, sauf abus manifeste, n'est pas susceptible d'être contesté par le biais du droit de grève (8).

A défaut de définition plus précise, un rapprochement logique avec le champ ouvert à la négociation collective semble de nature à fournir quelques indications ; l'article L. 131-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4692DZS) définit, ainsi, le champ ouvert à la négociation collective en visant l'ensemble des conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail, ainsi que les garanties sociales reconnues aux salariés.

Cette définition très large a, logiquement, conduit la Cour de cassation à admettre de manière très extensive le caractère "professionnel" des revendications.

Présentent, ainsi, un caractère professionnel les grèves ayant un objet "juridique", lorsque les salariés réclament l'application de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles (9).

Il en va de même pour les conflits qui portent, directement ou indirectement, sur l'emploi, qu'il s'agisse de réclamer de nouvelles embauches (10), de s'inquiéter préventivement de la nouvelle politique commerciale de l'entreprise, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter la situation générale de l'entreprise et, partant, l'emploi (11), ou de la réorganisation de l'entreprise entraînant des licenciements pour motif économique (12). Présentent, également, un caractère professionnel les revendications portant sur les salaires (13) ou ses accessoires (14), la durée du travail (15), les conditions de travail (16), l'exercice du droit syndical dans l'entreprise (17) ou, encore, les conditions de travail et les missions des délégués du personnel (18).

Dernièrement, la Chambre sociale de la Cour de cassation a, également, rappelé que "caractérise l'exercice du droit de grève une cessation concertée et collective du travail en vue de soutenir un mot d'ordre national pour la défense des retraites, qui constitue une revendication à caractère professionnel" (19), très certainement en raison de son caractère de "garantie sociale".

C'est dans ce contexte très favorable à l'exercice du droit de grève qu'est rendu ce nouvel arrêt en date du 23 octobre 2007.

  • La confirmation, en l'espèce, d'une conception large de la notion de revendication professionnelle

Cette affaire concernait la grève très dure qui avait paralysé, pendant plusieurs semaines, le fonctionnement des transports en commun marseillais à la fin de l'année 2005. Comme dans tous les conflits où le dialogue ne peut être restauré, c'est le juge des référés qui avait été saisi pour constater, à la demande de la direction, l'existence d'un trouble manifestement illicite, et pour y mettre fin.

La cour d'appel d'Aix-en Provence, confirmant ainsi l'ordonnance du premier juge, avait donné raison à la direction de l'entreprise et considéré que le mouvement de grève n'avait pas pour but de faire aboutir des revendications professionnelles, mais d'obtenir que la communauté urbaine, organisme de tutelle de la régie des transports de Marseille (RTM), rapporte le vote de son organe délibérant par lequel il avait été décidé de soumettre l'exploitation du futur réseau de tramway de Marseille à la procédure de délégation de service public, et que cette revendication ne constituait pas une revendication de nature salariale ou touchant à l'emploi (20). En d'autres termes, la cour d'appel avait considéré que les syndicats se mêlaient de ce qui ne les regardait pas en s'immisçant dans le mode de gestion du service public.

Compte tenu de la jurisprudence récente qui montre que les salariés peuvent valablement recourir à la grève pour contester des éléments de la politique de l'entreprise qui sont de nature à avoir, même à terme, des incidences sur l'emploi et les salaires dans les entreprises (21), la cassation était plus que prévisible.

  • Remarques sur la motivation de l'arrêt

On ne sera donc pas surpris de l'arrêt rendu le 23 octobre 2007, même s'il est particulièrement intéressant d'observer de près sa motivation.

Après avoir repris très classiquement le double visa de l'article 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de l'article L. 521-1 du Code du travail (22), la Cour reprend, également, la définition tout aussi classique de la grève. Selon la Cour, "la défense du mode d'exploitation du réseau des transports urbains constituait, pour les employés de la RTM, établissement public industriel et commercial, une revendication d'ordre professionnel".

C'est la référence au caractère industriel et commercial du service public qui présente, ici, un caractère important. Dans la mesure où le Code du travail s'applique bien aux salariés de ces entreprises, on comprend que la question du mode de gestion soit essentielle, ne serait-ce qu'au travers de la question du statut applicable aux salariés qui pourraient, en cas de reprise en gestion directe par la personne publique, se retrouver sous un statut de droit public après l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) (23). Il est, dès lors, logique de considérer que ces préoccupations présentent un caractère professionnel.

2. La capacité de l'employeur à satisfaire les revendications des salariés, sans incidence sur la légitimité de la grève

  • L'épisode de l'arrêt d'Assemblée plénière de 1986

La question du contrôle que pourrait exercer le juge sur la légitimité des revendications des grévistes s'est posée dans les années 1980, à l'époque du passage au pilotage à deux à la fois chez Boeing et chez Airbus.

En 1986, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation avait permis aux juges du fond de suspendre des préavis de grève dans les services publics en considération du caractère déraisonnable des revendications présentées par les grévistes (24), avant que cette position ne soit abandonnée (25) après la résistance de la cour d'appel de Paris (26).

Dans l'ensemble, l'abandon de toute forme de contrôle sur le caractère raisonnable des revendications des grévistes a été approuvé par la doctrine. Le juge n'est, en effet, pas là pour porter de jugement sur la qualité des revendications présentées par les grévistes, ce qui équivaudrait à prendre parti sur le fond du conflit ; pour reprendre l'argumentation développée par la cour d'appel de Paris en 1988, il faut admettre que "le juge de l'ordre judiciaire, qui n'a reçu ni de la loi, ni des parties, mission d'arbitrer ou de trancher un conflit collectif du travail n'a pas qualité ni compétence pour apprécier le bien-fondé et, par la suite, la légitimité des revendications d'ordre professionnel présentées par l'une ou l'autre des parties au conflit ; [...] il ne lui appartient pas de substituer sa propre appréciation de la rationalité du mouvement collectif à celle normalement débattue entre employeur et syndicat professionnel présentées par l'une ou l'autre des parties au conflit, non plus que d'exercer un contrôle sur les problèmes d'ordre technologique, économique ou financier qui font l'objet du débat et d'imposer sa solution auxdits problèmes".

Dans une certaine mesure, c'est pour une raison comparable que la Cour de cassation interdit au juge de porter un jugement sur les choix de gestion réalisés par l'employeur, dès lors que ceux-ci sont de nature à justifier un licenciement pour motif économique (27). Seul compte, alors, le caractère professionnel des revendications, la question de leur caractère raisonnable relevant de la seule appréciation des grévistes, et des syndicats, ainsi que des employeurs avec lesquels ils négocient.

  • Le rappel implicite de l'abandon de la jurisprudence adoptée en 1986

C'est cette jurisprudence qui se trouve, ici, confortée. Dans cette affaire, la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait non seulement considéré que les revendications professionnelles des grévistes, ne touchant pas à l'emploi, ne pouvaient être qualifiées de professionnelles, mais, de surcroît, que "la RTM ne disposait pas de la capacité de donner satisfaction à une telle revendication". Dans ces conditions, les revendications ne pouvaient être satisfaites et il ne pouvait s'agir, selon la Cour, de revendications licites puisque leur objet était impossible.

La position adoptée par les juges du fond pouvait se réclamer de certaines décisions prises par la Cour de cassation qui tiennent compte des contraintes qui pèsent sur les entreprises gérant un service public, même industriel et commercial ; c'est ainsi que ces entreprises pourront plus facilement s'exonérer de leurs obligations contractuelles, tant dans leurs rapports externes à l'entreprises, avec les clients et fournisseurs, qu'avec leurs salariés non-grévistes dont le droit à rémunération pourrait être suspendu tant que dure le conflit, en raison de la situation contraignante dans laquelle elle se trouve (28).

Cet arrêt vise, également, à éviter que le juge des référés n'intervienne à chaud dans un conflit pour se substituer au jeu normal du rapport de force ; c'est pour une raison très comparable que la Cour de cassation ne lui a pas permis de prononcer la réquisition de grévistes pour prévenir un dommage imminent (29).

Mais, le différend ne portait pas, ici, sur la responsabilité de l'entreprise, mais bien sur la qualification de grève et sur la possibilité reconnue au juge des référés de considérer comme trouble manifestement illicite le fait que l'entreprise ne soit pas à même de satisfaire directement et personnellement les revendications des grévistes.

Or, il s'agissait bien d'une grève, qui concernait incontestablement les salariés et l'entreprise, même si la cause du différend était à rechercher dans la décision prise par la communauté urbaine de Marseille de confier à un exploitant privé la gestion du tramway marseillais. Juger autrement aurait, non seulement, réduit de manière préoccupante le champ d'application de cette liberté constitutionnelle, mais, également, donné au juge le pouvoir exorbitant de porter sur le conflit un jugement de valeur.

  • Conséquences pour les entreprises

Même si la solution semble sévère pour les entreprises, elle n'enlève rien aux autres moyens d'actions dont elles disposent pour répondre à la grève. On rappellera, ainsi, que la cour d'appel de Paris, qui avait refusé, en 1988, de considérer que le juge pouvait apprécier le caractère raisonnable des revendications des grévistes, avait considéré qu'il pouvait suspendre un préavis en raison des conséquences excessives que le choix de la date pourrait avoir pour les usagers : "le choix des dates pour un arrêt total du service, inspiré par une évidente volonté de créer un violent impact, devait être pris en comptes par les premiers juges pour prévenir la réalisation d'un dommage - au surplus susceptible de provoquer troubles et violences - dans l'importante catégorie des usagers du moment, dont les intérêts méritaient d'être pris en considération".

Par ailleurs, l'application du régime de la grève ne prive pas l'employeur de tout moyen de négociation avec les salariés et les syndicats, singulièrement lorsque des fautes individuelles auront été commises ; ce dernier pourra, alors, mettre l'abandon des poursuites disciplinaires, civiles et pénales dans la balance pour forcer les salariés à se montrer raisonnables.

  • L'avenir de ce contentieux

Remarquons, pour finir, que ce type de contentieux pourrait bien avoir tendance à se raréfier si la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007, sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (N° Lexbase : L2418HY9), applicable à compter du 1er janvier 2008, produit les effets escomptés (30). Même si certains conflits, qui n'auront pu être évités, se dénoueront toujours devant le juge, l'obligation faite aux acteurs des conflits de privilégier la négociation sur l'affrontement devrait conforter la position de la Cour de cassation, telle qu'elle s'exprime dans l'arrêt du 23 octobre 2007, en rappelant aux juges que la parole devant être donnée aux acteurs, et à eux-seuls, lorsqu'il s'agit de déterminer si des revendications sont ou non raisonnables.


(1) Cass. soc., 28 juin 1951, n° 51-01.661, Dame Roth, publié (N° Lexbase : A7808BQA) ; Dr. soc. 1951, p. 523, note P. Durand.
(2) Cass. soc., 20 mai 1992, n° 90-45.271, M. Pouget et autres c/ Société Unigarde et autres (N° Lexbase : A1800AAW) ; Cass. soc., 18 janvier 1995, n° 91-10.476, Syndicat du livre CGT Toulouse (Haute-Garonne) et autres c/ Société Publicom, publié (N° Lexbase : A1832AA4) ; Cass. soc., 12 avril 1995, n° 93-10.968, Société Ratti France c/ Monsieur Gonzales et autres, publié (N° Lexbase : A1095AB8) ; Cass. soc., 18 juin 1996, n° 92-44.497, M. Belkedim et autre c/ Société auxiliaire d'entreprises Rhône-Alpes Méditerranée (Sormae), publié (N° Lexbase : A2013AAS) ; Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-41.104, Société Euronetec France c/ M. Garnier et autres, publié (N° Lexbase : A4727AG8) ; Cass. soc., 12 décembre 2000, n° 99-40.265, M. Mohamed Bitat et autres (N° Lexbase : A1778AIP) ; Cass. soc., 17 décembre 2003, n° 01-46.251, M. Bernard Szlachta c/ Société Les Transports de France, FS-P (N° Lexbase : A4852DAX) et les obs. de Ch. Alour, Le droit de grève du salarié mis à disposition, Lexbase Hebdo n° 102 du 8 janvier 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0003ABQ).
(3) Cass. soc., 2 juin 1992, n° 90-41.368, M. Zaluski c/ Société Ipem Hom, publié (N° Lexbase : A3718AAX) ; Bull. civ. V, n° 356.
(4) Cass. soc., 5 mars 1953, Bull. civ. V, n° 185.
(5) Cass. soc., 14 novembre 1962, Bull. civ. V, n° 801 ; Cass. soc., 19 octobre 1994, n° 91-20.292, Centrale syndicale des travailleurs martiniquais et autres c/ Société Antilles Gaz, publié (N° Lexbase : A0534ABE) ; Dr. soc. 1994, p. 958, obs. P. Waquet.
(6) Cass. soc., 15 février 2006, n° 04-45.738, Société Lamy Lutti c/ Mme Yamina Achi, FS-P+B (N° Lexbase : A9875DMP) ; lire nos obs., La grève pour les retraites est licite et ne peut donner lieu à aucune sanction déguisée, Lexbase Hebdo n° 203 du 23 février 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4878AKU).
(7) Cass. soc., 16 novembre 1993, n° 91-41.024, Société Ondal France, publié (N° Lexbase : A6673ABR) ; JCP éd. E, 1995, n° 10, p. 35, note B. Siau ; Dr. Soc. 1994, p. 35, note P. Waquet et J-E. Ray.
(8) Cass. soc., 16 novembre 1993, préc..
(9) Cass. soc., 18 janvier 1995, préc..
(10) Cass. soc., 12 avril 1995, préc..
(11) Cass. soc., 2 juin 1992, préc..
(12) Cass. soc., 20 mai 1992, préc..
(13) Cass. soc., 12 avril 1995, préc. (augmentation des salaires).
(14) Cass. soc., 12 décembre 2000, préc. : "l'exercice du droit de grève résulte objectivement d'un arrêt collectif et concerté du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles ; [...] les salariés avaient demandé ; avant de cesser le travail, le remboursement des heures perdues en raison d'intempéries, ce qui constituait une revendication professionnelle".
(15) Cass. soc., 12 avril 1995, préc. : "suppression des jours de carence et la réduction du temps de travail".
(16) Cass. soc., 18 juin 1996, n° 92-44.497, préc. : "les salariés avaient demandé à la direction la fourniture d'un moyen de transport ou l'octroi des indemnités de grand déplacement, ce qui constituait une revendication professionnelle") ; Cass. soc., 17 décembre 2003, n° 01-46.251, préc. : "qu'au nombre des revendications professionnelles émises par les salariés de la société Papin figuraient notamment la réception des délégués du personnel par l'employeur et les conditions de travail, ce qui concernait la situation d'un salarié détaché au sein de cette société".
(17) Cass. soc., 19 octobre 1994, n° 91-20.292, Centrale syndicale des travailleurs martiniquais et autres c/ Société Antilles Gaz, publié (N° Lexbase : A0534ABE) ; Dr. soc. 1994, p. 958, obs. P. Waquet : "si la grève impose l'existence de revendications de nature professionnelles, le juge ne peut, sans porter atteinte au libre exercice d'un droit constitutionnellement reconnu, substituer son appréciation à celle des grévistes sur la légitimité ou le bien fondé de ces revendications, en l'absence d'abus de droit de la part des salariés ; [...] en cessant le travail pour obtenir la présence dans une délégation syndicale chargée de la négociation annuelle obligatoire d'un permanent syndical étranger à l'entreprise, les salariés ont voulu appuyer une revendication de caractère professionnel qui ne présentait aucun caractère abusif" ; Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-41.104, Société Euronetec France c/ M. Garnier et autres, publié (N° Lexbase : A4727AG8) : "le tract appelant à la grève, le syndicat CFDT invoquait la défense de l'exercice du droit syndical ; [...] l'arrêt de travail avait été précédé de revendications professionnelles".
(18) Cass. soc., 17 décembre 2003, préc..
(19) Cass. soc., 15 février 2006, préc..
(20) CA Aix-en-Provence, 1ère ch., sect. C, 21 mars 2006, n° 05/20799, Syndicat CGT c/ Régie des Transports de Marseille "RTM" (N° Lexbase : A3191DSY) ; Dr. soc. 2006, p. 881, chron. E. Dockès ; D. 2006, p. 2652, note A. Bugada ; Dr. ouv. 2005, p. 613 et s., note E. Aubin, E. Gayat et A. de Senga ; Dr. ouvr. 2006, p. 436 et s., note E. Millard.
(21) Cass. soc., 2 juin 1992, préc..
(22) Par exemple, Cass. soc., 15 janvier 1991, Bull. civ. V, n° 19.
(23) Article 20 de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA). Lire A. Mazeaud, Dr. soc. 2006, p. 383. C. Wolmark, Le sort des contrats de travail en cas de reprise en gestion directe d'un service public administratif, RDT 2006, p. 159.
(24) Ass. plén., 4 juillet 1986, n° 84-15.735, La compagnie nationale Air France et autres, publié (N° Lexbase : A5589AAA) ; Dr. ouvrier 1986, p. 464, note F. Saramito ; Dr. soc. 1986, p. 745, concl. R. Bouyssic, note G. Lyon-Caen ; JCP éd. G, 1986, II, 20694, note B. Teyssié ; D. 1986, p. 277, concl. R. Bouissyc, note J.-E. Ray.
(25) Cass. soc., 20 mai 1992, préc. ; Cass. soc., 2 juin 1992, préc. ; Cass. soc., 19 octobre 1994, préc..
(26) CA Paris, 27 janvier 1988, D. 1988, p. 351, note J.-C. Javillier ; Dr. soc. 1988, p. 242, chron. J.-E. Ray ; Dr. soc. 1988, p. 562, chron. ; Gaz. Pal. 1988, 1, p. 131, concl. Lupi.
(27) Ass. plén., 8 décembre 2000, n° 97-44.219, Société anonyme de télécommunications (SAT) c/ M. Coudière et autres, publié (N° Lexbase : A0328AUP) ; Dr. soc. 2001, p. 126, concl. P. de Caigny, note A. Cristau, p. 417, chron. A. Jeammaud et M. le Friant ; D. 2001, p. 1125, note J. Pélissier.
(28) Cass. soc., 4 juillet 2000, n° 98-20.537, Syndicat CGT de la Cogema - La Hague c/ Compagnie générale des matières nucléaires (Cogema), publié (N° Lexbase : A9159AGC) ; BICC n° 522 du 15 octobre 2000, n° 1141 ; Dr. soc. 2000, p. 1091, chron. A. Cristau.
(29) Cass. soc., 25 février 2003, n° 01-10.812, Syndicat CFDT santé sociaux de la Haute-Garonne c/ Association Mapad de la Cépière, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2630A7K) ; lire nos obs., L'employeur ne peut obtenir en référé la réquisition de grévistes pour prévenir un dommage imminent, Lexbase Hebdo n° 61 du 5 mars 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6279AAS) ; Dr. soc. 2003, p. 621, chron. Ch. Radé ; D. 2003, p. 1925, note B. Bossu.
(30) Sur cette loi, notre chron., Service minimum dans les entreprises gérant les transports publics de voyageurs : la fin du serpent de mer, Lexbase Hebdo n° 271 du 6 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2525BCI).
Décision

Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-17.802, Syndicat SNTU-CFDT, FS-P+B (N° Lexbase : A8504DYM)

Cassation partielle (CA Aix-en-Provence, 1ère ch., sect. C, 21 mars 2006, n° 05/20799, Syndicat CGT c/ Régie des Transports de Marseille "RTM" (N° Lexbase : A3191DSY)

Textes visés : Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU) ; C. trav., art. L. 521-1 (N° Lexbase : L5336ACM).

Mots-clefs : grève ; revendications professionnelles.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Fait générateur du remboursement des indemnités chômage versées au travailleur licencié : la condamnation de l'employeur à verser une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Réf. : Cass. soc., 18 octobre 2007, n° 06-43.771, Assedic de Franche-Comté Bourgogne, FS-P+B (N° Lexbase : A8181DYN)

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N9592BCA

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Dans quelles hypothèses l'employeur peut-il être condamné à reverser aux Assedic les indemnités chômage perçues par un salarié licencié ? Pour la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 octobre 2007, le fait que le licenciement soit qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse, donc injustifié, emporte la condamnation de l'employeur. Elle considère, en effet, que le droit pour les organismes concernés d'obtenir le remboursement des indemnités chômages payées aux travailleurs n'est pas subordonné à d'autres conditions que la condamnation, par le même juge, de l'employeur fautif au versement d'une indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Cette solution doit, en tous points, être approuvée.


Résumé

Le droit des organismes concernés à obtenir le remboursement des indemnités de chômage payées au travailleur licencié n'est pas subordonné à d'autres conditions que la condamnation par le même juge de l'employeur fautif au versement d'une indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

1. Pluralité des sanctions applicables au défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement

  • Indemnisation du salarié irrégulièrement licencié

Tout licenciement, quelle qu'en soit la cause, doit impérativement reposer sur une cause réelle et sérieuse. L'absence de cause réelle et sérieuse est diversement sanctionnée et singulièrement fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et de la taille de cette dernière (C. trav., art. L. 122-14-4 N° Lexbase : L8990G74 et art. L. 122-14-5 N° Lexbase : L5570ACB).

L'article L. 122-14-4 du Code du travail dispose que, lorsque le salarié qui a plus de 2 années d'ancienneté dans l'entreprise et/ou qui travaille dans une entreprise de 11 salariés et plus, est licencié sans cause réelle et sérieuse, le tribunal peut proposer sa réintégration dans l'entreprise, avec maintien des avantages acquis. Cette dernière étant facultative, en cas de refus de l'une ou l'autre des parties, le tribunal octroie aux salariés une indemnité. Cette indemnité, qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaires, s'ajoute à l'indemnité de licenciement (C. trav., art. L. 122-9 N° Lexbase : L5559ACU).

Le salarié n'est pas le seul créancier de l'employeur, en présence d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'employeur est, également, débiteur envers les organismes qui ont versé au salarié un revenu de remplacement.

  • Remboursement des indemnités chômage aux organismes concernés

L'alinéa 2 de l'article L. 122-14-4 du Code du travail prévoit, en effet, que "le tribunal ordonne également le remboursement par l'employeur fautif aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé par le tribunal dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié concerné".

Ce remboursement est ordonné d'office par le tribunal dans le cas où les organismes concernés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées (C. trav., art. L. 122-14-4, al. 2).

Il est, en outre, précisé qu'une copie certifiée conforme de la décision est adressée aux organismes par le tribunal et que, sur le fondement de ce jugement, lorsque celui-ci est devenu exécutoire, les institutions qui versent les indemnités chômage peuvent poursuivre le recouvrement des indemnités devant le tribunal d'instance du domicile de l'employeur.

Le montant de cette indemnité est plafonné entre la date du licenciement et le jour du jugement ou la date à laquelle le salarié a retrouvé un emploi et ne perçoit plus d'allocations chômage (Cass. soc., 13 juillet 1993, n° 90-40.865, Assedic Sambre Escaut c/ Société Nord Valenciennes automobiles et autres, inédit N° Lexbase : A8397AG4), et ne peut, en tout état de cause, dépasser 6 mois d'indemnité.

Le remboursement des indemnités est donc automatique et uniquement subordonné à la condamnation de l'employeur à verser au salarié, sur le fondement de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

C'est ce principe qu'est venue rappeler la Cour de cassation dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, un salarié mis à disposition de la société Smoby par 110 missions successives, d'octobre 1998 à novembre 2002, avait saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la requalification des contrats de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée ainsi que la condamnation de l'employeur au paiement d'indemnités de rupture et d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les juges du fond avaient accueilli la demande de requalification du salarié et avaient, corrélativement, condamné la société à verser au salarié les indemnités afférentes à cette requalification (indemnité de requalification, indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité de précarité...). Les juges avaient, en revanche, refusé de condamner la société à rembourser les indemnités de chômage aux Assedic.

Pour la Cour de cassation, cette dernière solution n'est pas satisfaisante. Elle rappelle que le droit pour les organismes d'obtenir le remboursement des indemnités de chômage payées au travailleur licencié n'est pas subordonné à d'autres conditions que la condamnation, par le même juge, de l'employeur fautif au versement d'une indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Dans la mesure où les juges du second degré avaient condamné l'employeur à verser au salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, ils ne pouvaient que valider la condamnation de l'employeur au remboursement des indemnités chômage perçues par le salarié depuis la rupture de son contrat de travail.

Cette solution doit, en tous points, être approuvée.

2. Logique du remboursement des indemnités chômage

Bien qu'il faille reconnaître que c'est la première fois, à notre connaissance, que la Haute juridiction pose de manière aussi nette le principe, source de la solution retenue, cette solution n'était pas douteuse. Elle résulte, en effet, à la fois de la lettre de l'article L. 122-14-4 du Code du travail, de son esprit et des décisions antérieures.

  • Une disposition claire

L'article L. 122-14-4, alinéa 2, du Code du travail dispose que le "tribunal ordonne également [...], le remboursement par l'employeur des indemnités chômage et que lorsque les organismes ne sont pas intervenus à l'instance, il ordonne d'office la condamnation de l'employeur" (c'est nous qui soulignons).

Rien ne permet à l'employeur d'échapper à cette sanction.

Le temps (présent de l'indicatif) et le verbe employés, ainsi que les adverbes utilisés, ne laissent aucune alternative : la condamnation de l'employeur au versement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L. 122-14-4 du Code du travail emporte nécessairement sa condamnation à rembourser les indemnités de chômage versées au salarié.

Cette sanction se situe, en outre, dans un paragraphe 2 situé immédiatement après celui consacré aux sanctions du licenciement irrégulier d'un salarié ayant 2 ans d'ancienneté et plus et/ou travaillant dans une entreprise de 11 salariés et plus.

Cette sanction n'est donc pas douteuse, pas plus que ne l'est son caractère automatique. Les juges en font, d'ailleurs, systématiquement application. Il importe peu que le licenciement soit la conséquence de la requalification d'un ou plusieurs contrats de travail à durée déterminée. Seule compte, en effet, la condamnation de l'employeur à indemniser un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

On comprend aisément cette sanction : le salarié licencié de manière injustifiée aurait dû conserver son emploi, il n'aurait donc pas dû percevoir d'indemnité de chômage. Dans la mesure où la perception de ces indemnités résulte du licenciement irrégulièrement prononcé par l'employeur, ce dernier doit en supporter les conséquences. Tout comme le licenciement, le versement des indemnités étant injustifié, l'employeur doit rembourser.

Ce principe du remboursement est admis depuis longtemps par la jurisprudence.

  • Des précédents jurisprudentiels dépourvus d'équivoque

La jurisprudence a toujours fait une application stricte de ce texte, refusant d'en limiter le champ aux hypothèses dans lesquelles est relevé un abus ou un détournement de la part de l'employeur (Cass. soc., 14 novembre 1991, n° 88-44.161, Société HB c/ M. Marchandet, publié N° Lexbase : A9321AAH ; Bull. civ. V, n° 496).

La seule exception résulte de l'hypothèse dans laquelle l'erreur commise par l'employeur est une erreur de procédure. Dans ce cas, le remboursement des indemnités ne peut être ordonné (Cass. soc., 26 mars 1980, n° 78-41.369, Assedic Paris c/ SA Roques et compagnie, Pasquet, publié N° Lexbase : A7353AGG ; Bull. civ. V, n° 298) ; cette erreur ne préjugeant en rien la présence du salarié dans l'entreprise.

Le principe du remboursement est donc acquis, seule la part remboursée est souverainement fixée par les juges dans la limite des 6 mois prévus par le législateur (Cass. soc., 26 mars 1980, préc. ; Cass. soc., 22 avril 1992, n° 90-44.015, Société SCRL c/ Mlle Pailleux, publié N° Lexbase : A3756AAD ; RJS 1992, 399, n° 727).

L'employeur qui entend ne rien reverser doit prouver qu'il réunit les conditions légales pour être dispensé du remboursement des allocations chômage en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 18 avril 2000, n° 97-44.925, Assedic Marche limousin c/ M. Picat et autres, publié N° Lexbase : A6379AGD), c'est-à-dire que le licenciement est causé... ou que le salarié a immédiatement recommencé à travailler. A défaut, il devra payer.

Décision

Cass. soc., 18 octobre 2007, n° 06-43.771, Assedic de Franche-Comté Bourgogne, FS-P+B (N° Lexbase : A8181DYN)

Cassation (CA Besançon, chambre sociale, 17 janvier 2006)

Texte visé : C. trav., art L. 122-14-4, al. 2 (N° Lexbase : L8990G74)

Mots-clefs : licenciement ; cause réelle et sérieuse ; sanctions ; indemnités dues au salarié ; remboursement des indemnités chômage aux Assedic.

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Social général

[Jurisprudence] Actualité de la garantie de créances salariales en cas de faillite transfrontalière

Réf. : CJCE, 27 septembre 2007, aff. C-9/07, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A5707DYZ)

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N9595BCD

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010


Hasard du calendrier, la CJCE a, par un arrêt rendu le 27 septembre 2007, condamné la France : en n'ayant pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la Directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002 (N° Lexbase : L9629A4E), modifiant la Directive 80/987/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (N° Lexbase : L9435AUY), la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette Directive. Mais, dans le même temps, un projet de loi était adopté ayant pour objet de transposer, en droit interne, la Directive 2002/74/CE en question. Celle-ci vise à mieux garantir le paiement des créances dues aux salariés exerçant leur activité dans un Etat membre de la Communauté européenne, dans le cas où leur employeur, dont le siège social est situé dans un autre Etat membre, est en état d'insolvabilité (1).

Résumé

En n'ayant pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la Directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002, modifiant la Directive 80/987/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette Directive.

Il est utile, pour une mise en perspective, de souligner (2) que l'Association pour la Gestion du régime de garantie des créances des Salariés (AGS) a été saisie, entre janvier 2002 et décembre 2005, de 104 procédures transfrontalières, qui ont concerné 603 salariés et donné lieu au versement d'avances d'un montant de 3 779 228 euros. Sur la même période, le montant total des avances effectuées par l'AGS s'est élevé à près de 6,9 milliards d'euros. Avant d'analyser le droit interne de la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur -la transposition de la Directive 2002/74/CE-, il est nécessaire d'évoquer le droit européen de la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur.

1. Le droit européen de la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur

1.1. Directives 80/987/CE et 2002/74/CE

La Directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 a modifié la Directive 80/987/CE, qui visait à rapprocher les législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de leur employeur.

Cette première Directive a obligé les Etats membres à mettre en place une institution qui garantisse aux travailleurs le paiement de leurs créances salariales. Or, ce type de structure existait, en France, avant même l'intervention de la Directive. L'article L. 143-11-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7703HBW) impose, en effet, aux employeurs d'assurer leurs salariés contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, au cas où ils seraient soumis à une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires. L'article L. 143-11-4 du même code (N° Lexbase : L5768ACM) prévoit que ce régime d'assurance est mis en oeuvre par une association créée par les organisations nationales professionnelles d'employeurs les plus représentatives et agréée par le ministre chargé du Travail. Cette association doit passer une convention de gestion avec les institutions gestionnaires du régime d'assurance chômage. L'AGS a été instituée, en 1974, par trois organisations patronales, sous le nom d'association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés.

La Directive 80/987/CE n'était plus adaptée aux évolutions rapides de la vie économique, de plus en plus transnationale, et aux différents statuts de travailleurs qui se sont développés. En 2002, la Commission européenne a donc proposé de modifier cette Directive pour assurer à un plus grand nombre de salariés un minimum de protection au cas où leur employeur deviendrait insolvable (3). Elle reconnaît la nécessité de rapprocher les législations des Etats membres en la matière et de favoriser la coopération de leurs administrations.

La Directive 2002/74/CE modifie donc la Directive de 1980 sur plusieurs points : dans un souci de sécurité juridique, elle en précise le champ d'application et introduit certaines définitions ; elle précise que les Etats membres ne peuvent exclure du champ d'application de la Directive les travailleurs à temps partiel, les travailleurs en contrat à durée déterminée ou les travailleurs intérimaires ; elle indique que, lorsqu'une entreprise ayant des activités sur le territoire d'au moins deux Etats membres se trouve en état d'insolvabilité, l'institution de garantie compétente pour le paiement des créances impayées est celle de l'Etat membre sur le territoire duquel le travailleur exerce ou exerçait habituellement son activité ; elle prévoit, enfin, l'échange d'informations pertinentes entre les administrations publiques compétentes et/ou les institutions de garantie, afin, notamment, de porter à la connaissance de l'institution de garantie compétente les créances impayées des travailleurs.

1.2. Carences de l'Etat français

Le 16 janvier 2007, la Commission européenne a introduit un recours en manquement au titre de l'article 226 du Traité CE devant la CJCE. Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n'ayant pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la Directive 2002/74/CE ou en ne lui ayant pas communiqué ces dispositions, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette Directive.

En effet, l'article 2 § 1, alinéa 1, de la Directive 2002/74, dispose que les Etats membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette Directive au plus tard le 8 octobre 2005, et qu'ils en informent immédiatement la Commission. N'ayant pas été informée des mesures prises par la République française pour assurer la transposition de la Directive 2002/74 dans son ordre juridique interne dans le délai prescrit, la Commission a engagé la procédure en manquement prévue à l'article 226 du Traité CE.

La CJCE a, par un arrêt rendu le 27 septembre 2007, condamné la France. En n'ayant pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la Directive 2002/74/CE, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette Directive.

Accessoirement, la CJCE relève que, selon une jurisprudence constante, l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'Etat membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé, et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (4). De plus, un Etat membre ne saurait exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier l'inobservation des obligations et des délais prescrits par une Directive (5). En l'espèce, les mesures destinées à assurer la transposition de la Directive 2002/74 dans l'ordre juridique français n'ont pas été adoptées à l'expiration du délai imparti dans l'avis motivé.

2. Le droit interne de la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur : la transposition de la Directive 2002/74/CE

La loi française doit être modifiée sur deux points pour être conforme à la Directive. Il est nécessaire, d'abord, de préciser que l'AGS est compétente pour garantir les créances salariales dues aux salariés exerçant, ou ayant exercé, leur activité en France pour le compte d'un employeur situé dans un autre pays de la Communauté européenne et qui se trouve en état d'insolvabilité. Il convient, ensuite, de mentionner les obligations incombant à l'AGS en matière d'échanges d'informations.

Le projet de loi propose d'insérer six nouveaux articles, L. 143-11-10 à L. 143 -11-15, dans le Code du travail, afin de transposer la Directive 80/987/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur.

2.1. Champ d'application

L'article L. 143-11-10 (réd. projet de loi adopté le 16 septembre 2007 par le Sénat) doit s'appliquer aux salariés qui exercent, ou exerçaient, habituellement leur activité sur le territoire français pour le compte d'un employeur situé dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen.

Pour déterminer la localisation de l'employeur, on tiendrait compte, s'il s'agit d'une personne morale, du lieu où est installé son siège social et de l'adresse ou du lieu de l'activité de l'entreprise, s'il s'agit d'une personne physique. Si l'employeur est insolvable et ne peut donc assurer le paiement de la totalité des créances salariales, l'article L. 143-11-10 dispose qu'il appartient à l'AGS d'en assurer le règlement.

2.2. Définition de l'insolvabilité

Le deuxième alinéa de l'article L. 143-11-10 (réd. projet de loi adopté le 16 septembre 2007 par le Sénat) propose une définition de la notion d'employeur se trouvant en état d'insolvabilité. Une définition générique de cette notion est indispensable, compte tenu de la grande variété des règles en vigueur dans les pays de la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen. La définition retenue est d'essence procédurale. Trois conditions doivent être réunies.

Tout d'abord, un employeur est considéré en état d'insolvabilité lorsque l'ouverture d'une procédure collective fondée sur son insolvabilité a été demandée, dans son pays, conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives applicables.

Pour être prise en considération, la procédure doit, ensuite, avoir pour conséquence le dessaisissement, partiel ou total, de l'employeur et doit s'accompagner de la désignation d'un syndic ou d'une personne exerçant une fonction similaire à celle attribuée, dans notre pays, au mandataire judiciaire, à l'administrateur judiciaire ou au liquidateur.

Enfin, l'autorité compétente (en France, le tribunal de commerce) doit avoir décidé l'ouverture de la procédure collective ou avoir constaté la fermeture de l'entreprise ou de l'établissement et estimé l'actif disponible insuffisant pour justifier l'ouverture de la procédure. Jusqu'en 1985, lorsqu'une entreprise était en difficulté, un syndic de faillite était chargé de l'administrer pour le compte des créanciers et procéder, le cas échéant, à la liquidation de ses biens.

Depuis 1985, les fonctions autrefois dévolues au syndic sont partagées entre plusieurs intervenants : l'administrateur judiciaire, désigné par le tribunal qui a ouvert la procédure collective, est chargé d'assurer la gestion de l'entreprise soumise à la procédure ; ses missions s'apparentent donc à celles d'un chef d'entreprise "intérimaire" ; le mandataire judiciaire a pour mission de représenter l'ensemble des créanciers de l'entreprise ; il détermine leurs droits et s'efforce d'obtenir le paiement de leurs créances ; le liquidateur, désigné par le jugement prononçant la liquidation de l'entreprise, est le plus souvent le représentant des créanciers ; il procède à la liquidation de l'entreprise, c'est-à-dire à la vente de ses biens.

2.3. Garanties

L'article L. 143-11-11 du Code du travail (réd. projet de loi adopté le 16 septembre 2007 par le Sénat) précise le champ de la garantie. Celle-ci porte sur les créances impayées (C. trav., art. L. 143-11-1 N° Lexbase : L7703HBW).

Sont donc visées :
- les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l'employeur dans le cadre de la convention de reclassement personnalisé ;
- les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant pendant la période d'observation, dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession de l'entreprise, dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation et pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire ;
- les créances résultant de la rupture du contrat de travail des salariés auxquels a été proposée la convention de reclassement personnalisé, sous réserve que l'administrateur, l'employeur ou le liquidateur, selon le cas, ait proposé cette convention aux intéressés, y compris les contributions dues par l'employeur dans le cadre de cette convention et les salaires dus pendant le délai de réponse du salarié ;
- lorsque le tribunal prononce la liquidation judiciaire, dans la limite d'un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail, les sommes dues au cours de la période d'observation, des quinze jours suivant le jugement de liquidation ou du mois suivant le jugement de liquidation en ce qui concerne les représentants des salariés prévus par l'article L. 621-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L3977HBW) et pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation.

La garantie des sommes et créances inclut les cotisations et contributions sociales salariales d'origine légale, ou d'origine conventionnelle imposée par la loi.

2.4. Paiement des créances

L'article L. 143-11-12 (réd. projet de loi adopté le 16 septembre 2007 par le Sénat) précise les modalités de paiement des créances salariales. L'AGS verse les sommes dues sur présentation par le syndic étranger, ou par la personne exerçant une fonction similaire à celle du mandataire judiciaire, de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur, des relevés des créances impayées. Il est indiqué que le sixième alinéa de l'article L. 143-11-7 (N° Lexbase : L7705HBY) est applicable. Celui-ci prévoit que les relevés des créances précisent le montant des cotisations et contributions visées au septième alinéa de l'article L. 143-11-1, c'est-à-dire les cotisations et contributions sociales salariales d'origine légale ou d'origine conventionnelle imposée par la loi, dues au titre de chacun des salariés intéressés.

L'AGS dispose d'un délai de huit jours, à compter du moment où ces relevés lui ont été fournis, pour verser au syndic étranger ou à la personne exerçant une fonction similaire à celle du mandataire judiciaire, de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur, les sommes figurant sur ces relevés et restées impayées. Les sommes sont, ensuite, reversées aux salariés.

Par exception, l'avance des sommes dues par l'employeur au titre de sa contribution au financement de la convention de reclassement personnalisé est versée directement aux Assedic.

Le Sénat a souhaité simplifier la procédure de versement aux salariés des sommes qui leur sont dues. Le projet de loi indique que ces sommes sont, d'abord, versées au syndic, ou à l'instance qui en tient lieu, avant d'être reversées au salarié. Les sommes versées par l'AGS transiteraient donc par l'étranger pour être reversées, ensuite, à un salarié résidant, dans la plupart des cas, sur le territoire français. Il paraît plus sûr et plus rapide de prévoir un versement direct aux salariés. Cette solution présente un second avantage. En effet, dans certains pays de la Communauté européenne (la Grande-Bretagne par exemple), les créances salariales n'ont pas de statut privilégié ; il s'agit de simples créances chirographaires. Dans ces conditions, le Sénat craignait que les sommes versées par l'AGS au syndic de faillite ne soient utilisées pour faire face à des créances de nature non salariale. C'est pourquoi, in fine, l'article L. 143-11-12, alinéa 2 (réd. projet de loi adopté le 16 septembre 2007 par le Sénat) prévoit que les sommes figurant sur ces relevés et restées impayées sont directement versées au salarié dans les huit jours suivant la réception des relevés des créances.

2.5. Echange d'informations

L'article L. 143-11-15 (réd. projet de loi adopté le 16 septembre 2007 par le Sénat) détermine les obligations de l'AGS en matière d'échanges d'informations. L'AGS devrait, d'abord, informer le syndic ou toute personne exerçant une fonction similaire à celle du mandataire judiciaire, de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur, des procédures de licenciement applicables en cas d'insolvabilité. Elle devrait, ensuite, lui indiquer quels sont les organismes créanciers à contacter pour le paiement des cotisations et contributions sociales d'origine légale ou d'origine conventionnelle imposée par la loi (art. L. 143-11-1, al. 7).

Il appartiendrait, enfin, à l'AGS de répondre à toute demande d'information émanant d'une institution de garantie d'un autre Etat membre concernant la législation et la réglementation nationales applicables en cas de mise en oeuvre d'une procédure d'insolvabilité définie à l'article L. 143-11-10.

Le Sénat a proposé de recentrer les obligations d'information à la charge de l'AGS sur le coeur de sa mission, à savoir la couverture des créances impayées (6). L'AGS juge excessif de lui imposer, comme le prévoit le projet de loi, de répondre à toutes les demandes d'information relatives aux procédures de licenciement applicables en cas d'insolvabilité de l'employeur ou à la nature des organismes auxquels doivent être versées les cotisations et contributions sociales. Au final, l'article L. 143-11-15 (réd. projet de loi adopté le 16 septembre 2007 par le Sénat) prévoit plus simplement que les institutions mentionnées à l'article L. 143-11-4 (N° Lexbase : L5768ACM) répondent à toute demande d'information d'une institution de garantie d'un Etat membre sur la législation et la réglementation nationales applicables en cas de mise en oeuvre d'une procédure d'insolvabilité.


(1) A.-R. Leitao, L'insolvabilité des employeurs et les droits des travailleurs, Cah. Dr. Eur. 1981, p. 539 ; P. Lyon-caen, Faillite ouverte à l'étranger, un salarié travaillant en France peut-il obtenir la garantie de l'AGS ?, RJS 2003, p. 658 ; B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec 2006, n° 544 s..
(2) L. Souvet, Rapport n° 22 (2007-2008), Sénat, 9 octobre 2007.
(3) Résolution législative du Parlement européen sur la position commune du Conseil en vue de l'adoption de la Directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la Directive 80/987/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (14854/1/2001 ; C5-0070/2002 ; 2001/0006 (COD)).
(4) CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-23/05, Commission des Communautés européennes c/ Grand-Duché de Luxembourg (N° Lexbase : A0980DLU) ; Rec. p. I, 9535, point 9.
(5) CJCE, 9 septembre 2004, aff. C-195/02, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d'Espagne (N° Lexbase : A3355DDM) ; Rec. p. I 7857, point 82 ; CJCE, 13 juillet 2006, aff. C-61/05, Commission des Communautés européennes c/ République portugaise (N° Lexbase : A4767DQM) ; Rec. p. I 6779, point 31.
(6) L. Souvet, Rapport n° 22 (2007-2008), Sénat, préc..

Projet de loi et décision

Projet de loi relatif à la mise en oeuvre des dispositions communautaires concernant le statut de la société coopérative européenne et la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, adopté le 16 septembre 2007 par le Sénat.

CJCE, 27 septembre 2007, aff. C-9/07, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A5707DYZ)

Textes visés : Directive du Conseil du 20 octobre 1980 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (80/987/CEE) (N° Lexbase : L9435AUY) ; Directive (CE) n° 2002/74 du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002, modifiant la Directive 80/987/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (N° Lexbase : L9629A4E).

Mots-clefs : protection des salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur ; Directive 200/74/CE ; manquement ; non-transposition dans le délai prescrit.

Lien bases :

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