La lettre juridique n°188 du 3 novembre 2005 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La rupture du contrat de travail du salarié protégé pendant la période d'essai soumise à l'autorisation préalable de l'inspection du travail

Réf. : Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.751, Mme Laurence Orth c/ APEI, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1388DLY) ; Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.585, Mme Chantal Antoine c/ Association médicale du travail du Jura, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1387DLX)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Quelques semaines seulement après la mise en place du contrat "nouvelles embauches" et de la "super période d'essai" de 2 ans, ces deux arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 26 octobre 2005, et promis à la plus large publicité, sonnent comme une forme de désaveu. La Haute juridiction décide ici, pour la première fois, que l'employeur ne peut rompre le contrat de travail d'un salarié protégé pendant la période d'essai, sans obtenir l'autorisation préalable de licenciement imposée par leur statut particulier. Ce revirement de jurisprudence est d'une importance pratique et théorique capitale (1). Il n'emporte toutefois pas notre adhésion sur un plan strictement juridique et la portée de la solution mérite également réflexion (2).
Décisions

1. Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.751, Mme Laurence Orth c/ Association de parents d'enfants inadaptés (APEI), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1388DLY)

Cassation (cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 21 mai 2003)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) ; C. trav., art. L. 122-14-7 (N° Lexbase : L5572ACD) ; C. trav., art. L. 122-14-16 (N° Lexbase : L5476ACS) ; C. trav., art. L. 412-18 (N° Lexbase : L6338ACQ)

Mots-clefs : conseiller du salarié ; protection contre le licenciement ; application pendant la période d'essai.

Lien bases :

2. Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.585, Mme Chantal Antoine c/ Association médicale du travail du Jura, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1387DLX)

Cassation (cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 6 mai 2003)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) ; C. trav., art. L. 122-14-7 (N° Lexbase : L5572ACD) ; C. trav., art. R. 241-31, dans sa rédaction applicable au litige (N° Lexbase : L9901ACP)

Mots-clefs : médecin du travail ; protection contre le licenciement ; application pendant la période d'essai.

Lien bases :

Résumé

La procédure spéciale de licenciement du conseiller du salarié ou du médecin du travail est applicable pendant la période d'essai

Faits

1. Mme Orth, nommée conseiller du salarié par arrêté préfectoral du 30 juin 2000, a été engagée par l'Association de parents d'enfants inadaptés (APEI) le 15 septembre 2000 avec une période d'essai de 6 mois à laquelle l'employeur a mis fin par lettre du 28 février 2001.

Elle a présenté une demande en nullité de la rupture de la période d'essai, en l'absence de respect de la procédure d'autorisation administrative de licenciement prévue par l'article L. 412-18 du Code du travail (N° Lexbase : L6338ACQ).

La cour d'appel de Reims l'a déboutée de ses demandes, après avoir énoncé que l'article L. 122-14-16, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5476ACS) vise exclusivement le licenciement du conseiller du salarié et que, si l'article L. 412-18 prévoit la nécessité d'une autorisation administrative dans d'autres hypothèses que le licenciement, il ne prévoit pas la rupture pendant la période d'essai.

La salariée a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

2. Après avoir engagé Mme Antoine le 28 octobre 1999 en qualité de médecin du Travail, l'Association médicale du travail du Jura a mis fin, le 24 janvier 2000, à la période d'essai d'une durée de 3 mois prévue au contrat. La salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de dommages-intérêts.

La cour d'appel a rejeté ses demandes après avoir retenu que, selon l'article L. 122-4, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5554ACP), les règles qui régissent la rupture unilatérale ne sont pas applicables pendant la période d'essai. Selon la cour d'appel, il en résulte que chacune des parties est, en principe, libre de rompre le contrat de travail sans donner de motif. La rupture n'est pas soumise aux dispositions de l'article R. 241-31 du Code du travail (N° Lexbase : L9901ACP) et la salariée ne peut faire grief à l'employeur de l'absence de consultation des institutions représentatives et autorités visées par ce texte.

La salariée a formé un pourvoi en cassation contre cette décision.

Solutions

1. "Vu les articles L. 122-4, L. 122-14-7, L. 122-14-16, L. 418-12 du Code du travail" ;

"Attendu que les dispositions légales qui assurent une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun à certains salariés, en raison du mandat ou des fonctions qu'ils exercent dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs, s'appliquent à la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur pendant la période d'essai ; qu'il en est ainsi de l'article L. 122-14-16 relatif au conseiller du salarié".

Cassation

2. "Vu les articles L. 122-4, L 122-14-7 du Code du travail, et l'article R. 241-31 du même Code, dans sa rédaction applicable au litige" ;

"Attendu que les dispositions légales qui assurent une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun à certains salariés, en raison du mandat ou des fonctions qu'ils exercent dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs, s'appliquent à la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur pendant la période d'essai ; qu'il en est ainsi de l'article R. 241-31 du Code du travail relatif au médecin du Travail".

Cassation

Commentaire

1. Un revirement de jurisprudence important

  • Situation du problème

L'application de la procédure d'autorisation administrative de licenciement des salariés protégés pendant la période d'essai fait classiquement difficulté, en raison de l'enchevêtrement des règles applicables et, singulièrement, d'une apparente contradiction entre deux textes.

L'article L. 122-4, alinéa 2 (N° Lexbase : L5554ACP), dispose, en effet, que les règles contenues dans la sous-section I intitulée "Résiliation du contrat" ne sont pas applicables pendant la période d'essai. L'article L. 122-7 du Code du travail (N° Lexbase : L5557ACS) dispose, pour sa part, que ces mêmes règles "ne dérogent pas aux dispositions législatives ou réglementaires qui assurent une protection particulière à certains salariés définies par lesdites dispositions".

La présence de ces deux textes au sein de la même section introduit une incertitude : faut-il privilégier l'application des règles relatives à la période d'essai, qui excluent l'ensemble des dispositions de la section, y compris celles de l'article L. 122-7 ou, au contraire, faire produire son plein effet à ce dernier texte, par dérogation au principe de la période d'essai, par l'application du principe qui veut que la règle la plus spéciale déroge à la règle la moins spéciale ?

  • Une jurisprudence hésitante

La Chambre criminelle, la première, avait considéré que le statut protecteur devait s'appliquer pendant la période d'essai (Cass. crim., 5 novembre 1974, n° 74-90.085, Morel, CDFT Synd c/ Senault, publié N° Lexbase : A2403CG4).

Mais, la Chambre sociale de la Cour de cassation privilégiait l'application du régime de la période d'essai (Cass. soc., 2 juin 1981, n° 79-40.346, Société Fonderie de Précision-Virax c/ Duarte, publié N° Lexbase : A3452ABH, D. 1982, p. 206, note J. Mouly), qu'il s'agisse du médecin du travail, du conseiller prud'homal (Cass. soc., 13 mars 1985, n° 82-40.506, Association du Logis des jeunes c/ Nicol, Union locale CGT de Pau et banlieue, publié N° Lexbase : A2298AAD, D. 1985, p. 442, note J. Mouly) ou de la femme enceinte (Cass. soc., 2 février 1983, n° 79-41.754, Dame Lemut c/ Chambre d'agriculture du Lot, publié N° Lexbase : A3441AB3).

En 1989, la Cour de cassation avait toutefois fait application des règles particulières concernant les salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle (Cass. soc., 19 avril 1989, n° 86-44.656, M. Daligaux c/ Société Quentin, publié N° Lexbase : A4020AGY, D. 1990, p. 8, note C. Puigelier ; Cass. soc., 12 mai 2004, n° 02-44.325, F-P+B N° Lexbase : A1687DCH, lire nos obs., Période d'essai et accident du travail : la protection plutôt que la liberté, Lexbase Hebdo n° 121 du 20 mai 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1664ABA).

Dernièrement, la Haute juridiction avait également fait application de la procédure disciplinaire lorsque la rupture de l'essai était fondée sur une faute commise par le salarié (Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-44.750, FS-P+B N° Lexbase : A4834DBN, lire L'application de la procédure disciplinaire pendant la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 113 du 25 mars 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0975ABQ ; Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-43.402, FS-P+B N° Lexbase : A7344DG4).

Dans cette dernière hypothèse, toutefois, le bénéfice de la protection s'expliquait non par la qualité de salarié protégé, mais par le fait que les règles relatives au droit disciplinaire ne se trouvent pas dans la même section que celles qui sont visées par l'article L. 122-4, alinéa 2, du Code du travail.

  • Situation en l'espèce

Dans ces deux affaires, le problème s'était posé pour deux salariés protégés particuliers, le conseiller du salarié (C. trav., art. L. 122-14-16 N° Lexbase : L5476ACS), qui bénéficie, par analogie, de la procédure applicable au délégué syndical (C. trav., art. L. 412-18 N° Lexbase : L6338ACQ et non 418-12 comme indiqué par erreur dans l'arrêt), et le médecin du travail (C. trav., art. R. 241-31 N° Lexbase : L4188GTB), qui ne peut être licencié qu'après accord du comité d'entreprise ou, en cas de refus, qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.

Le contrat de travail de ces deux salariés avait été rompu pendant la période d'essai, sans que la procédure spéciale n'ait été respectée. Les juridictions d'appel avaient donné raison à l'employeur, mais ces deux arrêts sont cassés, la Chambre sociale de la Cour de cassation ayant décidé que "que les dispositions légales qui assurent une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun à certains salariés, en raison du mandat ou des fonctions qu'ils exercent dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs, s'appliquent à la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur pendant la période d'essai".

2. Une solution critiquable

  • Une lecture déformée du Code du travail

Sur le plan juridique, la solution n'est pas incontestable, loin s'en faut.

La formulation de l'article L. 122-4, alinéa 2, du Code du travail, exclut, en effet, l'application de l'ensemble des dispositions de la sous-section pendant la période d'essai et, par conséquent, également celles de l'article L. 122-14-7 (N° Lexbase : L5572ACD) qui rappellent que l'employeur doit respecter les règles particulières liées au licenciement de certains salariés.

Certains salariés bénéficient, il est vrai, d'une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun, mais cette protection n'intervient qu'une fois le contrat de travail consolidé, c'est-à-dire une fois passé le cap de la période d'essai. Certes, la loi n'interdit pas à des salariés sous période d'essai d'être candidats à des fonctions électives ou d'être désignés comme représentants mais, serions-nous tentés de dire, à leurs risques et périls.

La référence implicite dans les deux arrêts au principe qui fondait les arrêts "Perrier" (voir Chbre mixte, 21 juin 1974, n° 71-91.225, Perrier, publié N° Lexbase : A6851AGT, concl. A. Touffait, D. 1974, p. 593, chron., p. 237, par H. Sinay), à savoir l'existence d'"une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun [...] en raison du mandat ou des fonctions qu'ils exercent dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs", nous semble d'ailleurs déplacée.

L'employeur qui souhaite poursuivre la résolution judiciaire du contrat de travail cherche, en réalité, à contourner la procédure de l'autorisation administrative de licenciement ; il s'agit d'une fraude à la loi qui doit être sanctionnée. Mais, interdire à l'employeur de rompre le contrat de travail pendant la période d'essai contrevient directement aux termes mêmes de la loi qui écartent l'application des règles relatives au licenciement. Il ne s'agit donc pas d'une fraude à la loi, mais de l'application d'une règle présente dans le Code du travail : comparaison n'est donc pas raison !

  • Une portée incertaine

D'évidence, la formule utilisée dans ces deux arrêts renvoie directement aux arrêts "Perrier" et à l'interdiction qui est faite à l'employeur de poursuivre, par d'autres moyens que le licenciement autorisé, la rupture du contrat de travail.

Elle a également, par sa généralité, vocation à s'appliquer à tous les salariés dont le licenciement est soumis à autorisation, au-delà du conseiller du salarié ou du médecin du travail. L'inspecteur du travail devra donc vérifier que la rupture envisagée du contrat repose bien sur l'échec de l'essai et ne masque pas une volonté discriminatoire.

On peut, en revanche, s'interroger sur l'application de cette jurisprudence s'agissant de salariés dont le licenciement est soumis à des conditions restrictives, mais sans qu'aucune autorisation ne soit nécessaire, comme les grévistes ou les femmes enceintes.

Pour ces dernières, en effet, la Cour de cassation avait fait application du régime propre à la période d'essai (Cass. soc., 15 janvier 1997, n° 94-43.755, Mme Dundas c/ Banque Saint-Dominique, publié N° Lexbase : A1145AAN).

Compte tenu des termes de ces deux arrêts en date du 26 octobre 2005, il semble peu probable que la jurisprudence évoluera puisque ces salariés bénéficient d'une protection contre le licenciement liée à un mandat ou à des fonctions "qu'ils exercent dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs".

On peut se demander, toutefois, si une extension ne serait pas envisageable pour des raisons de cohérence et de justice. L'article L. 122-14-7 du Code du travail renvoie, en effet, aux salariés qui bénéficient d'une "protection particulière", sans préciser si cette protection résulte d'une procédure d'autorisation préalable ou d'une interdiction de licencier.

Les deux arrêts rendus le 26 octobre 2005 tentent bien de justifier la décision par le fait que les salariés dont le licenciement doit être autorisé exercent leur activité dans "l'intérêt de l'ensemble des travailleurs". Mais, on sait très bien que l'interdiction de licencier les femmes enceintes ou les grévistes vise, au travers de la personne des travailleurs concernés, à assurer la protection de la maternité et de sa fonction sociale incontestable, ou du droit de grève garanti par le Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU).

Pourquoi, dès lors, tenir à l'écart de cette jurisprudence ces salariés ? Une femme enceinte mérite-t-elle moins d'égard qu'une conseiller du salarié ? La Haute juridiction sera rapidement amenée, on peut le penser, à répondre à ces questions.

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