La lettre juridique n°225 du 27 juillet 2006

La lettre juridique - Édition n°225

Éditorial

Les éditions juridiques Lexbase : un feu sans cesse renaissant

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N1329ALS

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


"Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme", et reprenant à leur compte Lavoisier, les éditions juridiques Lexbase vous annoncent la venue au monde de la dernière-née de leurs revues d'actualité juridique : Lexbase Hebdo - édition droit privé. Il s'agit là d'un faire-part de "renaissance", plutôt que de naissance, devrions-nous dire, puisque cette revue prend la succession de votre hebdomadaire de droit des affaires (Lexbase Hebdo - édition affaires), dont la grande variété des matières nous oblige, désormais, à changer le nom. "Rien ne devrait recevoir un nom, de peur que ce nom même ne le transforme" (Virginia Woolf, Les vagues) ; mais, cette transformation, plus que d'un simple nom, nous sera, à tous, bénéfique, puisque à une régularité (hebdomadaire), une réactivité, et une rigueur doctrinale inchangées, nous vous proposons de retrouver régulièrement dans nos colonnes, l'actualité, en sus des matières aujourd'hui traitées, du droit la responsabilité civile, du droit de la personne et de la famille, des procédures civiles et voies d'exécution, ou encore, du droit médical, etc. Ayant droit en ligne directe, Lexbase Hebdo - édition droit privé suivra la même charte que celle précédemment admise et poursuivra sa collaboration avec les meilleurs spécialistes du droit des affaires et bien d'autres les rejoignant au sein un comité d'auteurs élargi au service de la pluridisciplinarité et de l'interactivité des matières de droit privé. Nous vous donnons donc rendez-vous avec cette nouvelle revue, le 7 septembre prochain, date de reprise de l'ensemble de nos publications. Toutes les équipes de Lexbase vous souhaitent, d'ici là, d'agréables vacances, espérant vous retrouver parmi nos fidèles lecteurs à la rentrée prochaine. Cette semaine, les éditions juridiques Lexbase souhaitent porter votre attention, notamment, sur le commentaire de Deen Gibirila, Professeur à l'Université des Sciences sociales de Toulouse I, L'incapacité d'ester en justice d'une société en formation et ses enjeux. En effet, au travers de cette chronique, l'auteur pose les questions et apporte les solutions jurisprudentielles et doctrinales face à l'absence de personnalité juridique de la société en formation, non encore immatriculée, mais dont la responsabilité peut être engagée : c'est là tout le problème d'être sans être né...

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Dommages et intérêts et usage à titre précaire d'un patronyme : où l'on retrouve l'impérieuse nécessité de mesurer les conséquences fiscales de la rédaction d'une transaction...

Réf. : CE, 3° et 8° s-s., 19 juin 2006, n° 268940, Société Marne-et-Champagne devenue Société Lanson International (N° Lexbase : A9771DPL)

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N1219ALQ

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010


En 1994, un praticien s'alarmait de l'activation à tout crin d'un ensemble de dépenses qualifiées par les contribuables de charges mais analysées, par l'administration fiscale, comme étant la contrepartie d'acquisition d'éléments de l'actif immobilisé, et par conséquent non déductibles du résultat des entreprises concernées (De l'inutilité et des dangers de l'immobilisation de certaines charges à l'actif du bilan des entreprises, R. Duprez, LPA 11 avril 1994 n° 43).

Il semble que son cri d'alarme ait été entendu : plusieurs jurisprudences ont, au plus haut niveau, suscité des commentaires et des réflexions à la hauteur des enjeux économiques, voire stratégiques, pour les entreprises et le budget de l'Etat.

En effet, la propriété intellectuelle au sens large, c'est-à-dire la propriété littéraire et artistique et la propriété industrielle, dont celle des marques, cristallise des enjeux financiers considérables : qu'il s'agisse d'acquérir des droits ou de les créer, le droit fiscal, droit de mise en oeuvre par excellence ainsi que le Doyen Carbonnier le soulignait (J. Carbonnier, Flexible Droit, LGDJ, 10ème édition, 2001, p. 406), ne pouvait en ignorer les conséquences financières pour les entreprises.

Le contentieux perdure entre les entreprises et l'administration fiscale, mais il n'est pas nécessairement à l'avantage de cette dernière. Ainsi, récemment, le Conseil d'Etat a admis la déductibilité d'une dotation aux amortissements relative aux droits d'exploitation de produits pharmaceutiques dont les enjeux économiques sont de tout premier plan pour ce secteur d'activité (nos observations, Déduction d'une dotation aux amortissements relative aux droits d'exploitation de produits pharmaceutiques, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition fiscale, N° Lexbase : N3521AKM, note sous CE, 3° et 8° s-s., 28 décembre 2005, n° 260450, Société Les Laboratoires du Docteur E. Bouchara c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1816DM9).

Au cas d'espèce, la Société Marne-et-Champagne, devenue entre-temps, Lanson International, entendait déduire de ses résultats imposables une indemnité, s'élevant à 40 000 000 de francs (6 097 960 euros), résultant d'une transaction conclue avec les consorts Rothschild au titre de dommages intérêts pour utilisation abusive de leur patronyme afin de promouvoir la production de champagne de la Société requérante.

La décision rendue par le Conseil d'Etat (CE, 3° et 8° s-s., 19 juin 2006, n° 268940, Société Marne-et-Champagne devenue Société Lanson International) censure à la fois la cour administrative d'appel de Nancy quant à la régularité de l'ordonnance rendue par le juge d'appel rejetant les prétentions de la société requérante pour irrecevabilité (1) et le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (2) quant à l'analyse juridique et fiscale adoptée par les premiers juges relativement à la déductibilité, de ses résultats, de l'indemnité versée.

1. Procédure fiscale : régularité de l'ordonnance rendue par le juge d'appel

La société requérante reprochait à la seconde chambre de la cour administrative d'appel de Nancy d'avoir rejeté, par voie d'ordonnance, la requête rendue par le juge d'appel.

Ce dernier avait alors fondé sa décision sur l'article R. 411-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3005ALU) disposant que la requête "contient l'exposé des faits et moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours".

L'interprétation de la notion de "moyen exposé" a suscité une jurisprudence importante : le Conseil d'Etat a déjà, dans le passé, rejeté des demandes n'exposant soit aucun fait, soit aucun moyen ; parfois même ni l'un ni l'autre à l'appui des conclusions déposées devant le juge (CE 9° s-s, 10 mars 2004, n° 212386, Association "Invitation à la vie" c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5667DBI ; CE 3° et 8° s-s, 16 février 2004, n° 248160, M. Maréchal c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3422DBD ; CE 8° s-s, 23 avril 2001, n° 185625, Mme Rottier N° Lexbase : A3942AT8 ; CE Contentieux, 5 avril 1978, n° 8416, Ministre de l'Economie et des finances c/ Sieur X N° Lexbase : A2809AIU).

En effet, il est de jurisprudence constante qu'un appel interjeté par un contribuable se contentant d'exposer des conclusions sans moyens est irrégulier et doit, par conséquent, être rejeté : cette irrecevabilité est d'ordre public (CE Contentieux, 30 juin 2000, n° 172067, M. Viand N° Lexbase : A0636AWH).

Au cas d'espèce, la discussion portait sur la régularité du mémoire d'appel qui semblait reproduire littéralement le mémoire déposé devant les juges du premier degré. En effet, le contribuable est irrecevable dans son appel s'il se contente d'opposer des arguments ne critiquant pas la décision rendue par les premiers juges : dans cette hypothèse, il ne met pas la juridiction d'appel "en mesure d'apprécier en quoi il conteste la solution adoptée par les premiers juges" (CE Contentieux, 8 juin 1990, n° 42194, M. de Carmo Campante N° Lexbase : A5099AQW).

La simple référence aux moyens invoqués dans le mémoire de première instance ne permet pas au juge d'appel de mesurer les erreurs commises par le juge du premier degré (CE Contentieux, 15 janvier 1992, n° 116509, Centre de Recherches et d'Etudes de Sociologie Psychologie et d'urbanisme N° Lexbase : A5128ARD).

Ainsi, une motivation par simple référence à une demande non jointe d'un autre contribuable est irrecevable (pour une requête faisant référence à celle déposée par le frère du contribuable : CE Contentieux, 8 janvier 1993, n° 87632, M. Armand Spitaletto N° Lexbase : A7998AM8 ; CE, 9° et 8° s-s-r., 29 décembre 1995, n° 140477, Gendre N° Lexbase : A0244B9W). Il en est de même d'une référence à une argumentation présentée lors de la procédure menée devant la juridiction de première instance et dont le requérant n'a pas joint de copie (CE, 9° et 8° s-s-r, 5 mars 1986, n° 41788, M. Pissarello N° Lexbase : A4085AMA).

La sanction d'une telle irrégularité est sévère : la requête est rejetée et la juridiction n'est pas tenue d'appeler les parties à régulariser leur situation d'autant que, si la plupart des vices de forme peut être régularisée jusqu'à la clôture de l'instruction, il sera, néanmoins, impossible de régulariser l'inobservation du délai d'appel ou l'absence de motivation de la requête. Ainsi, un second mémoire déposé après le dépôt d'une requête introductive d'instance, ne formulant les moyens et les conclusions qu'après l'expiration du délai d'appel, ne répond pas aux prescriptions de l'article R. 411-1 du CJA (CE Contentieux, 13 mars 1998, n° 137732, M. Avakian N° Lexbase : A6574ASB).

Au cas particulier, le Conseil d'Etat censure la cour administrative d'appel de Nancy d'avoir rejeté, par voie d'ordonnance, le mémoire d'appel de la société requérante pour défaut de motivation. La Haute juridiction estime que le mémoire d'appel ne constituait pas une reproduction littérale du mémoire de première instance : elle relève l'existence d'une suffisante précision dans l'énonciation de la demande de la société Marne-et-Champagne.

La présente décision du Conseil d'Etat rappelle aux praticiens tout le soin qu'ils doivent apporter à la rédaction de la requête introductive d'instance en particulier quant à la critique du dispositif émis par les premiers juges : dans l'hypothèse inverse, la requête sera immanquablement rejetée. L'appel n'est pas un "procès-bis" où l'on se contente de ne répéter que des arguments exposés devant les premiers juges : au cours de cette instance, les parties sont invitées à critiquer la décision rendue par le juge de l'impôt du premier degré.

Pour éviter toute déconvenue, le rédacteur devrait s'astreindre à présenter formellement sa requête sur le mode "faits-procédure-exposé des moyens/discussion-conclusions" que les professionnels du droit ont, pour la plupart, adopté mais qui est ignorée des contribuables eux-mêmes ; ces derniers se laissant abuser par la facilité apparente de la procédure fiscale liée à l'utilisation de modèles prêt à l'emploi, que nous pourrions alors qualifier, cédant à la mode du "franglais", de "ready-to-complain", qu'il suffirait de compléter.

Dans ce contexte, il faut se féliciter de la décision des autorités d'avoir imposé aux contribuables l'obligation de recourir, devant le juge d'appel, depuis le 1er septembre 2003 (décret n° 2003-543, 24 juin 2003, relatif aux cours administratives d'appel et modifiant la partie réglementaire du Code de justice administrative N° Lexbase : L6539BHN ; J.-M. Priol, De l'aménagement de la procédure devant les cours administratives d'appel, Lexbase Hebdo n° 93 du 6 novembre 2003 - édition fiscale, N° Lexbase : N9294AAH), au ministère d'un avocat dont les conseils éclairés assureront une assistance et une défense utiles : ester en justice sans recourir aux services d'un professionnel du droit est une entreprise téméraire...

Cela est d'autant plus vrai que le contentieux fiscal est, faut-il le rappeler, une spécialité de l'administration : l'issue du litige porté devant les juridictions dépendra tout autant de règles de fond que du respect des règles de forme. La présente décision en est l'illustration.

2. Indemnité versée au titre de dommages et intérêts et usage à titre précaire d'un patronyme : où l'on retrouve l'impérieuse nécessité de rédiger une transaction avec circonspection...

Les faits de l'espèce méritent d'être rappelés : la société requérante avait déposé trois marques utilisant le patronyme "Rothschild" afin de commercialiser des bouteilles de vins de Champagne.

Après maintes péripéties judiciaires au cours desquelles ces trois marques sont annulées par le tribunal de grande instance de Paris, en janvier 1986, confirmé, sur ce point uniquement, par la cour d'appel de Paris, en février 1988, et la Cour de cassation en novembre 1989 (Cass. com., 28 novembre 1989, n° 88-13.577, Société anonyme baron Philippe de Rothschild et autres c/ Société anonyme Marne-et-Champagne, inédit N° Lexbase : A7852C4L), les parties conviennent, en 1991, de rapprocher leurs points de vue et d'effectuer des concessions réciproques : une transaction est alors conclue.

Les termes de cette convention, dont il faut rappeler qu'elle est régie par les dispositions des articles 2044 (N° Lexbase : L2289ABE) à 2058 du Code civil, entraînent le renoncement, par la société Lanson International, de l'utilisation des trois marques déposées et le versement d'une somme de 40 000 000 de francs à titre de dommages et intérêts aux consorts Rothschild. En contrepartie, ces derniers renoncent à leurs actions judiciaires et concèdent une tolérance d'usage de la marque "Alfred Rothschild et Cie" devant prendre fin en octobre 1998.

Sur le plan fiscal, la société Lanson International décide de déduire de son résultat imposable la somme versée à titre de dommages et intérêts : elle y voit l'existence d'une charge déductible de son résultat imposable.

Cette analyse est contestée par l'administration fiscale qui y voit la contrepartie de l'acquisition d'un élément de l'actif immobilisé.

La jurisprudence (CE Contentieux, 21 août 1996, n° 154488, SA SIFE N° Lexbase : A0686AP4) fournit une grille de lecture pour déterminer, sauf exception, l'existence d'une immobilisation incorporelle :

- elle doit constituer une source régulière de profit ;

- elle doit pouvoir être cédée, bien que ce dernier critère soit discutable. En effet, certains engagements contractuels conclus intuitu personae ont été analysés comme étant immobilisables, alors qu'ils ne pouvaient être cédés : tel fût le cas d'un engagement de non-concurrence conclus entre deux professionnels libéraux (CE Contentieux, 27 mars 2000, n° 196168, Société Polyclinique Saint-Odilon N° Lexbase : A3868AUS) ;

- elle doit être dotée d'une pérennité "suffisante" : à ce titre, le Conseil d'Etat a estimé que les dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce (N° Lexbase : L5660AIH), relatives à l'indemnité octroyée à un agent commercial du fait de la rupture du contrat, ne permettaient pas de conférer au contrat d'agent commercial un caractère pérenne le qualifiant d'élément incorporel de l'actif immobilisé (CE 3° et 8° s-s -r., 18 mai 2005, n° 265038, M. Gryson N° Lexbase : A3482DIS ; J.-M. Leloup, La patrimonialité du contrat d'agence commerciale, D. 2006 n° 27, 20 juillet 2006, p. 1882).

Les indemnités versées au titre d'engagements de non-concurrence n'ont pas manqué de susciter une jurisprudence abondante : ainsi, la société Lacoste, confrontée à des entreprises, notamment, établies à Singapour et en Thaïlande nourrissant visiblement, elles aussi, une passion pour les sauriens, au point d'exploiter des marques dont la similitude avec la chemise Lacoste devait être patente, avait déduit des indemnités, pour des montants de 150 000 dollars et 1 500 000 dollars, versées à ces sociétés. La cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 5ème ch., 9 mars 2000, n° 97PA01927, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'industrie c/ Société La Chemise Lacoste N° Lexbase : A8938BHI), confortée par l'arrêt du Conseil d'Etat (CE 3° et 8° s-s-r., 20 février 2002, n° 221437, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c / Société La Chemise Lacoste N° Lexbase : A1663AYA), n'y a pas vu d'acquisition d'un élément de l'actif immobilisé dès lors que les conventions conclues ne visaient pas à acquérir une clientèle supplémentaire valorisant le fonds de commerce de la société Lacoste.

A l'inverse, dans l'arrêt "Kenzo" (CE (na), 8° s-s, 6 février 2002 n° 233639, SA Kenzo ; CAA Paris, 2ème ch., 1er mars 2001, n° 97PA02017, Ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie c/ SA Kenzo N° Lexbase : A7275BHW), "un accord de coexistence" de marques, prévoyant le versement d'une indemnité de 4 400 000 francs (670 775 euros), a été analysé comme un avantage constitutif d'une source régulière de profit.

Il est significatif que les juges se soient appuyés sur les termes de la convention signée par les parties : cette dernière conférait une validité sans limite de durée audit accord de coexistence et prévoyait la possibilité pour la société Kenzo de céder ses droits nouvellement acquis à un tiers. Il s'agissait donc bien d'une acquisition d'un élément de l'actif immobilisé.

Une fois de plus, en l'absence de toute disposition fiscale spécifique ou d'une définition propre au droit fiscal, la solution du litige opposant l'administration et le contribuable résidait dans les termes choisis par le rédacteur dans le contrat qu'il a alors rédigé : c'est ce qui ressort également de l'arrêt "Lanson International".

En effet, le Conseil d'Etat fonde, notamment, sa décision sur le contenu même de la transaction conclue entre la société requérante et les consorts Rothschild : si ces derniers obtiennent réparation d'un usage abusif de leur nom sous la forme de dommages et intérêts, les Hauts magistrats font, également, remarquer que l'usage, à titre de tolérance, de la seule marque "Alfred Rothschild et Cie" est nécessairement à titre précaire, puisque l'accord en prévoit le terme et un usage pour des quantités limitées. Par conséquent, les stipulations contractuelles convenues par les parties à la transaction révélant l'absence de caractère pérenne, la somme versée ne pouvait constituer la contrepartie de l'acquisition d'un élément de l'actif immobilisé : elle ne rémunérait que le préjudice subi par les consorts Rothschild.

Cet arrêt est une nouvelle illustration de l'interdépendance du droit des contrats et du droit fiscal.

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Immobilier - Bulletin d'actualités n° 2

[Textes] Bulletin d'actualités en droit immobilier : actualité législative - Cabinet Peisse Dupichot Zirah & Associés - Juillet 2006

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N1392AL7

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Le 07 Octobre 2010

La loi portant "Engagement national pour le logement", dite loi ENL, vient d'être définitivement adoptée et publiée au Journal officiel du 13 juin 2006 (loi n° 2006-872, 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement N° Lexbase : L2466HKK). Ce texte constitue le principal volet législatif du Pacte national pour le logement. Trois ordonnances et plusieurs décrets d'application sont attendus.

La loi s'articule autour de quatre axes principaux :

- aider les collectivités à construire ;
- augmenter l'offre de logements à loyers maîtrisés ;
- favoriser l'accession sociale à la propriété pour les ménages modestes ;
- renforcer l'accès de tous à un logement décent.

A côté des nombreuses réformes ou innovations juridiques, la loi ENL comporte un certain nombre de mesures fiscales et financières.

Nous présenterons, de manière non exhaustive, certaines nouveautés issues de ce texte.

1. Baux d'habitation : les nouvelles clauses réputées non écrites (article 4 de la loi du 6 juillet 1989 N° Lexbase : L4406AHN ; loi ENL, art. 84)

L'article 4 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit une série de clauses réputées non écrites dans le cadre d'un bail d'habitation.

Cette liste est complétée par la loi ENL.

Désormais, est également réputée non écrite toute clause qui :


- impose au locataire la facturation de l'état des lieux dès lors que celui-ci n'est pas établi par un huissier de justice dans le cas prévu par l'article 3 (N° Lexbase : L4404AHL) ;
- prévoit le renouvellement du bail par tacite reconduction pour une durée inférieure à celle prévue à l'article 10 (soit trois ans) ;
- interdit au locataire de recherche la responsabilité du bailleur ou qui exonère le bailleur de toute responsabilité ;
- interdit au locataire d'héberger des personnes ne vivant pas habituellement avec lui ;
- impose au locataire le versement, lors de l'entrée dans les lieux, de sommes d'argent en plus que celles prévues aux articles 5 (N° Lexbase : L4409AHR) et 22 (N° Lexbase : L8461AGH) (rémunération de l'agent immobilier et dépôt de garantie) ;
- fait supporter au locataire les frais de relance ou d'expédition de la quittance ainsi que les frais de procédure en plus des sommes versées au titre des dépens et de l'article 700 du NCPC ;
- prévoit que le locataire est automatiquement responsable des dégradations constatées dans le logement ;
- interdit au locataire de demander une indemnité au bailleur lorsque ce dernier réalise des travaux d'une durée supérieure à quarante jours ;
- permet au bailleur d'obtenir la résiliation de plein droit du bail au moyen d'une simple ordonnance de référé insusceptible d'appel.

La majorité de ces clauses était d'ores et déjà réputée non écrite aux termes de la recommandation n° 00-01 de la Commission des clauses abusives complétant la recommandation n° 80-04 concernant les contrats de location de locaux à usage d'habitation.

La loi ENL a donc été l'occasion de les intégrer au sein du dispositif légal.

2. Baux d'habitation : l'extension de la compétence des commissions départementales de conciliation (articles 20 N° Lexbase : L4395AHA et 20-1 N° Lexbase : L8461AGH de la loi du 6 juillet 1989 ; loi ENL, art. 86)

Les commissions départementales de conciliation étaient initialement compétentes pour les litiges relatifs aux loyers.

Leur compétence a été étendue par la loi SRU, notamment, aux litiges relatifs à l'état des lieux au dépôt de garantie, aux charges locatives et aux réparations.

La loi ENL étend une nouvelle fois leur domaine d'intervention prévoyant qu'elles seront désormais compétentes pour connaître des litiges relatifs aux caractéristiques du logement décent.

Lorsque le local loué ne répond pas aux caractéristiques du logement décent, le locataire peut demander au bailleur sa mise en conformité sans qu'il soit porté atteinte à la validité du contrat en cours. A défaut d'accord entre les parties ou à défaut de réponse du propriétaire dans un délai de deux mois, la commission départementale de conciliation est saisie. A défaut d'accord constaté par la commission, le juge est saisi par la partie la plus diligente.

Le juge déterminera, le cas échéant, la nature des travaux à réaliser et le délai de leur exécution. Il pourra réduire le montant du loyer ou suspendre, avec ou sans consignation, son paiement et la durée du bail jusqu'à l'exécution de ces travaux.

Ainsi, la loi ENL institue-t-elle une saisine préalable de la commission départementale de conciliation lorsque le locataire argue du fait que son logement ne répond pas aux conditions de décence.

En outre, le juge pourra, désormais, dès qu'il sera saisi d'une demande d'exécution de travaux, réduire le montant du loyer, alors que, jusqu'à présent, le locataire était contraint de saisir le juge une nouvelle fois lorsque le bailleur n'avait pas exécuté les travaux mis à sa charge.

3. Baux d'habitation : modification des règles relatives aux charges récupérables (article 23 de la loi du 6 juillet 1989 N° Lexbase : L4399AHE ; loi ENL, art. 88)

L'article 23 de la loi du 6 juillet 1989 énumère les charges locatives récupérables à l'encontre du locataire.

La loi ENL précise que sont, notamment, récupérables au titre des dépenses d'entretien courant et des menues réparations sur les éléments d'usage commun de la chose louée, les dépenses engagées par le bailleur dans le cadre d'un contrat d'entretien relatif aux ascenseurs et répondant aux conditions de l'article L. 125-2-2 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L7566DKG).

Ces dépenses devront concerner les opérations et les vérifications périodiques minimales et la répartition et le remplacement de petites pièces présentant des signes d'usure excessive ainsi que les interventions pour dégager les personnes bloquées en cabine et le dépannage et la remise en fonctionnement normal de l'appareil.

Pour l'application de cette disposition, le coût des services assurés dans le cadre d'un contrat d'entreprise correspond à la dépense, toutes taxes comprises, acquittée par le bailleur.

La loi ENL supprime, en revanche, de la liste des charges récupérables celles qui sont dues en contrepartie de la contribution annuelle représentative du droit de bail.

Il est, en outre, instauré la possibilité de déroger à la liste des charges récupérables par des accords collectifs locaux portant sur l'amélioration de la sécurité ou la prise en compte du développement durable.

4. Loi du 1er septembre 1948 (N° Lexbase : L4772AGT) : résiliation de plein droit du contrat de location en cas de décès du locataire (loi ENL, art. 85)

Désormais, et nonobstant les dispositions de l'article 1742 du Code civil (N° Lexbase : L1864ABN), le contrat de location soumis au régime de la loi du 1er septembre 1948 est résilié de plein droit par le décès du locataire, même en l'absence de délivrance d'un congé.

Le contrat de bail est également résilié de plein droit en cas d'abandon du domicile par le locataire, même en l'absence de délivrance d'un congé.

Toutefois le bénéfice du maintien dans les lieux appartient au conjoint, et lorsqu'ils vivaient avec lui depuis plus d'un an, aux ascendants, aux personnes handicapées visées au 2° de l'article 27 de la loi, jusqu'à leur majorité, aux enfants mineurs, ainsi qu'au partenaire lié à lui par un PACS.

5. Copropriété : frais de recouvrement des créances du syndic et frais de mutation (article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 N° Lexbase : L5204A37 ; loi ENL, art. 90)

Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 10 (N° Lexbase : L4803AHD), sont imputables au seul copropriétaire concerné :

- les frais nécessaires exposés par le syndicat, notamment, les frais de mise en demeure, de relance et de prise d'hypothèque à compter de la mise en demeure, pour le recouvrement d'une créance justifiée à l'encontre d'un copropriétaire, ainsi que les droits et émoluments des actes d'huissier de justice, et le droit de recouvrement et d'encaissement à la charge du débiteur ;
- les honoraires du syndic afférents aux prestations qu'il doit effectuer pour l'établissement de l'état daté à l'occasion de la mutation onéreux d'un lot ou d'une fraction de lot.

Ainsi, les frais de recouvrement concernés par la dérogation au principe de participation par tous les copropriétaires aux charges générales sont désormais précisés afin de mettre fin à tout problème d'interprétation.

6. Copropriété : modification de la liste des travaux requérant la majorité de l'article 25 (article 25 de la loi du 10 juillet 1965 N° Lexbase : L4825AH8 ; loi ENL, art. 91)

Désormais, sont inclus dans la liste des décisions devant être adoptées à la majorité des voix de tous les copropriétaires, les travaux à effectuer sur les parties communes en vue de prévenir les atteintes aux personnes et aux biens.

Lorsque l'assemblée générale a décidé d'installer un dispositif de fermeture, elle détermine aussi, à la même majorité, les périodes de fermeture totale de l'immeuble compatibles avec l'exercice d'une activité autorisée par le règlement de copropriété. En dehors de ces périodes, la fermeture totale est décidée à la majorité des voix de tous les copropriétaires si le dispositif permet une ouverture à distance et à l'unanimité en l'absence d'un tel dispositif.

Auparavant, les travaux en vue d'améliorer la sécurité des biens et des personnes au moyen de dispositif de fermeture permettant d'organiser l'accès de l'immeuble devaient être adoptés à la double majorité de l'article 26 (N° Lexbase : L4826AH9).

Les articles 26-1 et 26-2 de la loi sont, en conséquence, abrogés.

7. Copropriété : prorogation du délai pour adapter le règlement de copropriété aux dispositions législatives adoptées depuis son établissement (loi ENL, art. 75)

La décision de voter les adaptations du règlement de copropriété rendues nécessaires par les modifications législatives depuis son établissement peut être prise jusqu'au 13 décembre 2008.

8. La vente d'immeuble à rénover (loi ENL, art. 80)

La loi ENL institue un contrat de vente d'immeuble à rénover, vente qui n'était jusqu'à présent encadrée par aucun régime juridique précis.

Le contrat de vente d'immeuble à rénover est soumis aux dispositions relatives à la vente d'immeubles existants (C. civ., art. 1582 et suivants N° Lexbase : L1668ABE) ainsi qu'aux dispositions spécifiques instaurées par les articles L. 262-2 à L. 262-11 nouveaux du Code de la construction et de l'habitation.

Désormais, toute personne qui vend un immeuble bâti ou une partie d'immeuble bâti, à usage d'habitation ou à usage professionnel et d'habitation, ou destiné après travaux à l'un de ces usages, qui s'engage, dans un délai déterminé par le contrat de vente, à réaliser, directement ou indirectement, des travaux sur cet immeuble ou partie d'immeuble et qui perçoit des sommes d'argent de l'acquéreur avant la livraison des travaux, doit conclure avec l'acquéreur un contrat soumis aux dispositions des articles L. 262-1 et suivants du Code de la construction et de l'habitation.

Dans une telle hypothèse, le vendeur transfère immédiatement à l'acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes.

Toutefois, le vendeur d'immeuble à rénover demeure maître d'ouvrage jusqu'à la réception des travaux.

Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l'acquéreur au fur et à masure de leur exécution. En contrepartie, l'acquéreur est tenu d'en payer le prix à mesure de l'avancement des travaux.

Toutefois, ces règles ne s'appliquent pas aux travaux d'agrandissement ou de restructuration complète de l'immeuble, assimilables à une reconstruction.

Tout contrat portant sur la vente d'un immeuble à rénover doit être conclu, à peine de nullité, par acte authentique.

Ce contrat précise, notamment, à peine de nullité qui ne peut être invoquée que par l'acquéreur et avant la livraison :

- la description, les caractéristiques de l'immeuble ou de la partie d'immeuble vendu,
- la description des travaux à réaliser distinguant, le cas échéant, les travaux concernant les parties communes et privatives,
- le prix de l'immeuble, le délai de réalisation des travaux,
- la justification de la garantie financière d'achèvement des travaux fournie par le vendeur,
- la justification des assurances de responsabilité et de dommages souscrites par le vendeur concernant les travaux, lorsque ceux-ci relèvent des articles L. 111-15 et L. 111-16 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L6464G9B), en application des articles L. 241-2 (N° Lexbase : L6292G9Q) et L. 242-1 (N° Lexbase : L6693G9R) du Code des assurances.

Le vendeur peut céder ses droits qu'il tient d'une vente d'immeuble à rénover. Cette cession substitue de plein droit le cessionnaire dans les obligations de l'acquéreur envers le vendeur. Si la vente a été assortie d'un mandat, celui-ci se poursuit entre le vendeur et le cessionnaire.

9. Vente d'immeuble : du devoir d'information du vendeur (loi ENL, art. 79)

Les vendeurs de biens immobiliers sont tenus d'apporter à l'acquéreur une information claire et encadrée sur les caractéristiques de l'immeuble, information dont le domaine ne cesse de s'étendre.

Le dispositif législatif en vigueur est complété par la loi ENL.

- Prévention des risques naturels : il est désormais prévu que, dans les zones particulièrement exposées à un risque sismique ou cyclonique, des règles particulières de construction parasismiques ou paracycloniques peuvent être imposées aux équipements, aux bâtiments et aux installations dans les cas et selon la procédure prévus à l'article L. 563-1 du Code de l'environnement (CCH, art. L. 112-18 et L. 112-19 nouveaux).

Un décret en Conseil d'Etat définira les conditions dans lesquelles, à l'issue de l'achèvement des travaux de bâtiments soumis à autorisation de construire, le maître d'ouvrage doit fournir à l'autorité qui a délivré ce permis un document établi par un contrôleur technique.

Ce document attestera que le maître d'ouvrage a tenu compte de ses avis sur le respect des règles parasismiques et paracycloniques.

Ce décret définira également les bâtiments, parties de bâtiments et catégories de travaux soumis à cette obligation.

- Sécurité des installations intérieures d'électricité (CCH, art. L. 134-7 nouveau) : en cas de vente de tout ou partie d'un immeuble à usage d'habitation, un état de l'installation intérieure d'électricité, lorsque cette installation a été réalisée depuis plus de quinze ans, est produit en vue d'évaluer les risques pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 271-4 (N° Lexbase : L6504G9R) à L. 271-6 du Code de la construction et de l'habitation.

L'état de l'installation devra être intégré dans le dossier de diagnostic technique que doit fournir le vendeur (CCH, art. L. 271-4).

- Le diagnostic "gaz" : L'article L. 134-6 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L6462G99) prévoit, en cas de vente d'un immeuble à usage d'habitation comportant une installation intérieure de gaz naturel réalisée depuis plus de quinze ans, l'établissement d'un état de cette installation en vue d'évaluer les risques pouvant compromettre la sécurité des personnes dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 271-4 à L. 271-6 du Code de la construction et de l'habitation.

La loi ENL étend cette obligation à toutes les installations intérieures de gaz.

10. Bail commercial : la création d'un nouveau droit de reprise partielle du bail, portant sur les locaux d'habitation loués accessoirement aux locaux commerciaux (loi ENL, art. 45)

Afin de lutter contre la vacance des logements, le nouvel article L. 145-23-1 du Code de commerce dispose que le bailleur peut désormais, à l'expiration d'une période triennale, dans les formes prévues à l'article L. 145-9 (N° Lexbase : L5737AIC) et au moins six mois à l'avance, reprendre les locaux d'habitation loués accessoirement aux locaux commerciaux s'ils ne sont pas affectés à cet usage d'habitation, moyennant une diminution du loyer pour tenir compte des surfaces retranchées (la reprise ne peut en elle-même constituer une modification notable des éléments de la valeur locative).

La reprise ne peut être effectuée que si après un délai de six mois suivant le congé délivré à cet effet, les locaux ne sont toujours pas utilisés à usage d'habitation : le preneur, averti, pourra donc " régulariser " la situation, ce qui met fin au droit de reprise.

Des limites sont apportées à ce nouveau droit de reprise : ainsi ne pourra-t-il être exercé sur les locaux affectés à usage d'hôtel ou de location en meublé, ni sur les locaux à usage hospitalier ou d'enseignement.

De même la reprise ne pourra être exercée lorsque le locataire établit que la privation de jouissance des locaux apporte un trouble grave à l'exploitation du fonds ou lorsque les locaux commerciaux et d'habitation forment un tout indivisible (sur le droit de reprise, lire Julien Prigent, Le nouveau droit de reprise des logements vacants, Lexbase Hebdo n° 225 du 27 juillet 2006 - édition affaires N° Lexbase : N1367AL9).

James Alexandre Dupichot,
Avocat associé du Cabinet Peisse Dupichot Zirah & Associés

Marine Parmentier,
Pierre-Yves Soulié,
Avocats du Cabinet Peisse Dupichot Zirah & Associés

Contact :
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Droit financier

[Jurisprudence] Affaire Morgan Stanley c/ LVMH : le recadrage de la cour d'appel de Paris

Réf. : CA Paris, 15ème ch., sect. B, 30 juin 2006, n° 04/06308, Société Morgan Stanley & Co International Limited c/ SA LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton (N° Lexbase : A5692DQU)

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N1343ALC

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Le 07 Octobre 2010

La fameuse affaire "Morgan Stanley c/ LVMH", première attaque judiciaire en Europe d'un émetteur coté dirigée contre une banque d'affaires pour dénigrement à son endroit, aura donc "fait pschitt", pour reprendre une expression remarquée dans un autre contexte. Par un arrêt daté du 30 juin 2006, la cour d'appel de Paris infirme, pour l'essentiel et dans ses attendus les plus saillants, le jugement entrepris du 12 janvier 2004 (1), faisant instantanément retomber la vive émotion suscitée par celui-ci dans le monde feutré de la banque d'investissement et de l'analyse financière (2). Elle s'y est, en tous cas, manifestement employée, en tentant un recadrage juridique appelé de leurs voeux par les premiers commentateurs. Le choc de la décision consulaire attaquée résultait du contraste perçu entre la sévérité de la condamnation prononcée à l'encontre de la banque Morgan Stanley et la fragilité des moyens probatoires invoqués à son soutien. Rappelons que, pour avoir commis une "faute lourde", constituée par des manquements graves et répétés à ses devoirs d'indépendance, d'impartialité et de rigueur, et s'être rendue coupable de dénigrement à l'encontre de la société LVMH, la célèbre banque d'affaires avait été condamnée, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), à indemniser le "préjudice considérable" causé à la non moins célèbre maison de luxe, par le versement immédiat d'une somme de 30 000 000 d'euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral, une expertise ayant été ordonnée pour la détermination des préjudices matériels subis. Mais, tant sur cette faute, pourtant lourde, que ce préjudice, pourtant considérable, ou encore sur le lien de causalité censé les unir, les éléments de preuve réunis avaient laissé maints observateurs sur leur faim et plongé les analystes financiers dans une légitime inquiétude (3). A cet égard, l'arrêt rapporté présente une vertu apaisante. En élevant la barre probatoire, il adresse concomitamment un signal aux émetteurs, appelés à souffrir des critiques émanant des analystes financiers, considérées comme raisonnables à l'aune des critères retenus, ainsi qu'aux investisseurs, destinataires de ces analyses, qui se réjouiront de la défense procurée à la liberté d'analyse et d'opinion de leurs auteurs. En ne laissant pas, pour autant, la bride sur le cou de ces intermédiaires "réputationnels" (4), par la considération spécialement portée aux situations de conflits d'intérêts susceptibles d'affecter négativement la crédibilité desdites analyses et opinions, il se place dans le sillage d'une évolution normative maintenant bien engagée au plan national comme international.

Il est vrai que l'articulation des griefs formulés par LVMH contre les rapports et déclarations diffusés par Morgan Stanley la plaçait d'emblée, au regard de la charge et du risque de la preuve, dans une situation délicate. Outre les moyens nouveaux tirés du droit international et communautaire tendant à conférer à la compétence juridictionnelle française et à notre droit de la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle le plus large domaine d'application spatial, l'intimée s'efforçait, en effet, de démontrer que si, au cours de la période considérée (1999-2003), la banque avait, selon elle, multiplié les inexactitudes dans les informations diffusées à son sujet et fait montre d'une négativité ou d'un pessimisme reprochable dans les opinions et prévisions contenues, ces agissements ne devaient rien au hasard, à l'imprudence ou à la négligence, mais devaient, tout au contraire, se comprendre comme autant d'éléments d'une campagne organisée de dénigrement, de manifestations d'une entreprise délibérée et intéressée, destinée à porter atteinte à l'image et au crédit du groupe LVMH, à seule fin de favoriser son concurrent direct sur le marché du luxe, le groupe Gucci, avec lequel Morgan Stanley entretient des liens d'affaires importants. Les dysfonctionnements structurels de la banque, notamment, dans sa gestion des conflits d'intérêts dus à sa "multi-capacité", révélés lors d'enquêtes effectuées aux Etats-Unis par la SEC et l'Avocat général de l'Etat de New-York (6), comme les propos comparativement laudateurs relevés à l'endroit de Gucci, ajoutaient, aux yeux du groupe français, à la démonstration d'un asservissement du service d'analyse financière de la banque aux intérêts commerciaux de sa division d'investissement.

La faiblesse de cet argumentaire reposait inévitablement sur sa rationalité même et l'unité de fondement explicatif des agissements de la banque. Celle-ci eut beau jeu, dans ces conditions, de fragiliser la construction produite en l'attaquant par sa base. D'une part, en appelant à la rigueur dans les conclusions tirées de la mise en cause de l'organisation structurelle de Morgan Stanley US, société américaine, dont il n'est pas démontré que les aspects dénoncés se soient retrouvés à l'identique au sein de Morgan Stanley UK, société anglaise d'où provenaient les éléments critiqués en l'espèce, ni qu'ils ont effectivement abouti à la diffusion d'analyses délibérément biaisées. D'autre part, et surtout, en mettant à mal la "théorie du complot" avancée, laquelle suppose une "bipolarité" du marché du luxe, sans quoi l'objectif de la banque n'eut pu être effectivement atteint, et d'évidence un systématisme dans le traitement singulier et dissymétrique réservé à LVMH. Il suffisait, dès lors, à Morgan Stanley d'extraire, parmi les innombrables études consacrées à LVMH et Gucci, les éléments tendant à invalider la thèse du biais systématique, négatif ou positif, et à indiquer que ni l'une ni l'autre n'avaient fait l'objet d'appréciations déraisonnables ou subi aucun traitement anormal en regard des positions émanées d'autres départements d'analyse financière. Toute louange de LVMH, toute critique de Gucci ou opinion de Morgan Stanley située dans le "consensus de place" des analystes, affaiblissait un peu plus l'argument d'une campagne méthodique de dénigrement.

Les conseillers parisiens ont manifestement eu le souci d'une plus grande exigence dans la démonstration. Evitant d'être taxés eux-mêmes de systématisme, ils adoptent des positions nuancées, tant sur les questions posées liminairement, destinées à fixer les termes juridiques du débat, que sur le fond de l'affaire.

I - Sur le premier point, la cour de Paris était amenée, par les appelants, à répondre à un certain nombre de moyens nouveaux ayant trait à la compétence juridictionnelle française et au droit applicable. Passée la question de leur recevabilité procédurale, la cour commence logiquement par statuer sur sa propre compétence. Si Morgan Stanley entendait la voir cantonnée à l'examen des seuls préjudices subis en France, LVMH considérait, pour sa part, qu'en raison d'un accord procédural tacite passé entre les parties en première instance, et même devant la cour d'appel au début de l'instance, la compétence de l'ordre juridictionnel français devait s'étendre "à l'intégralité du litige même si le lieu de réalisation des dommages n'est pas la France".

L'opposition ne peut se comprendre sans le rappel de l'interprétation jurisprudentielle des dispositions françaises communes -article 14 du Code civil (N° Lexbase : L3308AB7) et transposition des règles de compétence territoriale interne figurant au Nouveau Code de procédure civile-, opposables à Morgan Stanley US, et communautaires -Règlement n° 44/2001, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (N° Lexbase : L7541A8S)-, opposables à Morgan Stanley UK, relatives aux conflits de compétence en matière délictuelle. On sait que ces dispositions ouvrent au demandeur une option entre le tribunal du domicile du défendeur et le tribunal du lieu de l'événement causal ou de réalisation du dommage (7). Or, pour les délits dits "multi-localisables", typiquement les atteintes commises par un organe de presse installé à l'étranger, on a pu s'interroger sur la faculté du tribunal saisi en vertu de l'option, de statuer sur l'intégralité du préjudice. Alors qu'en droit commun, une hésitation s'est fait jour (8), en droit communautaire, la Cour de justice a posé que la victime ne pouvait obtenir réparation de l'ensemble des préjudices subis que devant le tribunal du lieu du fait générateur, autrement dit celui de l'établissement de l'éditeur, son action devant le tribunal d'un lieu de diffusion étant nécessairement limitée à la réparation du dommage subi localement (9).

Face à des diffusions internationales d'analyses et d'informations par le groupe, non moins international, Morgan Stanley, la cour opte, elle aussi, pour une solution restrictive, en déclarant la juridiction française, qui n'est pas en l'occurrence celle du lieu du fait générateur du préjudice, "uniquement compétente pour les faits dont les préjudices ont été subis en France". Quant à l'accord procédural tacite relatif à une prorogation de compétence, invoqué par LVMH à l'appui d'un élargissement de la compétence juridictionnelle française à l'ensemble des préjudices subis, y compris hors de France, il "se heurte à l'évolution du litige" ajoute sèchement l'arrêt, qui conforte implicitement l'argument de Morgan Stanley selon lequel "il ne peut y avoir d'accord procédural emportant prorogation de compétence tant que la question de la compétence du juge français n'est pas posée par le caractère international du litige, qui lui-même ne peut ressortir que des prétentions du demandeur".

Dans le cadre de cette compétence internationale limitée, la cour de Paris déclare applicable le droit français de la responsabilité civile délictuelle, ce qui supposait résolus plusieurs conflits de lois, d'ordre spatial et hiérarchique.

Morgan Stanley, en effet, contestait l'application pleine et entière du droit français à l'espèce en raison des éléments d'extranéité présentés, objectifs (tenant aux lieux de commission des faits générateurs et de réalisation des dommages) et subjectifs (tenant à la nationalité des banques citées ou à la mise en cause de leur organisation structurelle), et doutait de la compatibilité d'une telle application avec les dispositions issues du droit communautaire.

Raison lui est donnée sur le premier argument, tort sur le second. La cour écarte, tout d'abord, et pour les mêmes raisons que celles évoquées plus haut en matière de compétence, le moyen soulevé par LVMH, et défendu par le Ministère public, tiré de l'existence d'un accord procédural entre les parties de nature à provoquer l'extension du droit français à l'ensemble du litige.

Elle s'attache, ensuite, pour déterminer les règles françaises applicables, à préciser l'objet du différend, qui ne consiste point en l'examen des défaillances de structure et d'organisation de la banque, placé sous l'empire de la loi du siège social de celle-ci, mais en l'appréciation du caractère fautif et préjudiciable de comportements de l'établissement, dont les effets ressentis en France sont susceptibles de mettre en jeu le droit français de la responsabilité civile délictuelle ou quasi-délictuelle. Il ressort effectivement de son interprétation jurisprudentielle que la règle de conflit lex loci delicti confère une égale vocation à être déclarées applicables à la loi du lieu du fait générateur du dommage et à la loi du lieu de réalisation de ce dernier (10), la préférence devant aller à celle qui entretient avec la situation litigieuse les liens les plus étroits (11). Au cas particulier, compte tenu des limites géographiques assortissant sa déclaration de compétence, la juridiction parisienne ne pouvait qu'enfermer l'application du droit français de la responsabilité civile à l'intérieur des mêmes contraintes, LVMH n'ayant alors d'autre ressource que de tenter de démontrer que l'ensemble des préjudices subis par elle, tant au plan matériel que moral, l'atteignait principalement en France, au lieu de son siège social, là où se trouve le centre de ses intérêts.

Enfin, la cour utilise cette même distinction entre organisation et comportement de la banque à l'effet, cette fois, de balayer l'incompatibilité prétendue de l'application du droit français de la responsabilité avec les dispositions communautaires primaires relatives à la libre prestation de services (Traité CE, art. 49 N° Lexbase : L5359BCH), et plus spécialement les dispositions communautaires dérivées concernant les services d'investissement dans les valeurs mobilières (Directive 93/22/CEE, du 10 mai 1993, concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières N° Lexbase : L7726AUP (12). La compétence exclusive de l'Etat membre d'origine n'est consacrée par cette Directive, assure-t-elle, qu'"au regard de l'organisation de l'entreprise d'investissement", autrement dit, sans préjudice de la sanction des fautes éventuellement commises par celle-ci sur le territoire d'un Etat d'accueil (13). Il est remarquable que cette sanction s'opère ici, non par application des textes professionnels français à l'établissement étranger, mais en vertu du droit commun de la responsabilité civile délictuelle, précision étant simplement apportée que "la connaissance des règles de l'activité professionnelle considérée contribue à l'appréciation de la faute de l'article 1382 du Code civil".

II - Laissant la désignation du droit applicable pour le fond du droit appliqué, la cour s'emploie, dans un second temps, à examiner le caractère fautif, au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil, des agissements de Morgan Stanley. Elle y procède spécialement par référence aux "principes de rigueur, d'objectivité, d'impartialité et de prudence", de transparence vis-à-vis d'éventuels conflits d'intérêts qui s'imposent à tout analyste, ainsi qu'à sa nécessaire "liberté d'opinion", autant de normes directrices, précise-t-elle, non discutées par les parties.

Ayant invalidé la démarche du jugement consulaire consistant à déduire des dysfonctionnements structurels constatés aux Etats-Unis un manque a priori d'objectivité de la part de la banque, la cour soumet à une critique exigeante les griefs formulés par LVMH. Mieux, aucun d'eux ne pouvant être imputé à Morgan Stanley US (société américaine), celle-ci est tout simplement mise hors de cause ; l'indication figurant sur les rapports d'analyse selon laquelle celle-ci "accepte la responsabilité" de leur contenu étant jugée "sans portée au regard de la responsabilité civile délictuelle".

Chacun des faits reprochés à Morgan UK, dont émanait l'ensemble des documents rapportés, fait ainsi l'objet d'un regard neutre et attentif, dont sera ensuite tirée une appréciation globale au regard de l'accusation de dénigrement.

Pour la société anglaise, le bilan de l'exercice se révèle autrement positif qu'en première instance. Certes, un certain nombre de fautes ponctuelles est relevé à son encontre : 1) la diffusion de mentions fausses insérées dans des avertissements (disclosures) sur les relations entre les parties, notamment, sur la présence d'un salarié de Morgan Stanley au conseil d'administration de LVMH, de nature à renforcer le crédit des analyses de la banque ; et sur la participation de Morgan Stanley au syndicat de placement des titres de LVMH ou aux rémunérations perçues ou à percevoir de LVMH ; 2) une déclaration imprudente d'un directeur de la banque dans un article du Financial Times relative au ratio d'endettement de LVMH, lequel aurait dû, en raison du contexte, être daté. La démonstration n'est cependant jamais faite, tient à préciser la Cour, d'une quelconque intention de nuire en la personne de leur auteur.

Surtout, et de manière sans doute plus satisfaisante encore pour elle, la banque se trouve lavée des plus sérieux griefs renfermés dans le premier jugement. Ainsi :

- les commentaires de la banque faisant état d'un risque de révision à la baisse de la notation de crédit de LVMH présentaient-ils "un caractère raisonnable", "alors que son opinion ne différait guère de celle que d'autres banques ou agences émettaient" ;

- le fait de parler de "maturité" de la marque Louis Vuitton ne constitue pas davantage une faute, "alors que tous les analystes s'accordent pour dire qu'une marque est mature lorsque ses ventes dépassent le chiffre d'affaires de 2 milliards de dollars, ce qui n'apparaissait pas le cas de Gucci. Le fait que Louis Vuitton ait continué à progresser en 2003 n'est pas contradictoire, d'autant que la société LVMH ne verse pas aux débats les chiffres des années postérieures" ; la cour se payant le luxe, si l'on ose dire, d'ajouter que "l'étonnement de la société Morgan Stanley, comme des autres analystes, sur la persistance de la réussite de la marque est un constat élogieux en même temps qu'un aveu d'incapacité à l'expliquer" ;

- l'indication d'une plus grande exposition de LVMH au yen, au dollar et aux mesures de rétorsion douanières américaines est également dépourvue de caractère fautif et discriminatoire, dès lors qu'elles reposaient sur des éléments spécifiques au groupe et renfermait même certains commentaires flatteurs pour ce dernier ;

- certains propos critiques visant la direction de LVMH portaient "sur des faits avérés, partagés par d'autres analystes s'agissant de la dette du groupe, de son endettement et de sa politique d'achats", et étaient exprimés "sans excès et sans intention de nuire démontrée" ;

- l'application par les analystes de la banque couvrant LVMH d'"une décote 10 % par rapport à ses multiples VE/CA et VE/EBITDA historiques [...] justifiée par le fait que durant cette période, les dirigeants de la société ont détruit de la valeur", est le produit, poursuit l'arrêt, "d'une méthode argumentée d'analyse financière dont les résultats sont partagés par d'autres analystes financiers et qu'elle applique également à d'autres sociétés. La cour n'a pas à expertiser cette méthode sur le plan financier et relève que l'opinion qui en est issue n'a pas été l'objet d'une présentation particulière et demeure modérée dans son acception du langage financier. Dans ces conditions, elle ne peut être considérée comme constituant une faute civile quasi délictuelle".

Enfin, last but above all, tombe pour Morgan Stanley l'accusation grave d'avoir organisé contre LVMH, et pour favoriser son client Gucci, une campagne de "dénigrement" ; étant précisé que le mot est, ici, pris "dans son sens général, qui n'est pas exactement celui de la concurrence déloyale", comme le fait de s'efforcer "par ses discours d'effacer la bonne opinion que les autres ont de quelqu'un ou de dépriser la qualité de ses actions ou de ses produits". Au vu des nombreux extraits disputés des rapports de la société Morgan Stanley, la cour relève : l'expression d'avis "concordants" et tenant compte "de nombreuses opinions émises par les analystes financiers dont la cour ne peut, a priori, considérer qu'ils ont tous été tendancieux" ; l'absence de propos qui dénigreraient ou avantageraient directement les sociétés concernées ou d'élément de dénigrement dans les comparaisons de leurs mérites respectifs ; ou encore les "nombreuses appréciations positives formulées sur la société LVMH". Pas davantage convaincue par la prétendue "bipolarité du secteur du luxe", la cour peut conclure que "les affirmations de la société LVMH quant à la volonté de la société Morgan Stanley de la dénigrer ne sont pas suffisamment démontrées".

Après les conclusions du Ministère public devant les premiers juges indiquant l'absence de fautes pénales caractérisées commises par la banque d'affaires, celles du rapport d'enquête de l'Autorité des marchés financiers du 3 mai 2005, dont il n'est pas ressorti que les erreurs factuelles figurant dans les rapports d'analyse de Morgan Stanley, d'ailleurs identiques à celles relevées par la Cour, "avaient faussé le fonctionnement du marché du titre LVMH", "ni que les analyses effectuées par cette société entraient dans le champ de la fausse information telle que définie par le Règlement COB n° 98-07", et la crainte sans doute suscitée par les écritures du procureur général près la cour d'appel de Paris, invitant purement et simplement à la confirmation de la condamnation prononcée en première instance à l'encontre de Morgan Stanley UK, on peut imaginer que celle-ci puisse concevoir de la présente décision un certain soulagement. Bien sûr, la banque ne se trouve pas exonérée de toute responsabilité, appelée à répondre des conséquences préjudiciables des fautes retenues à son encontre. Mais, compte tenu de l'importance secondaire des manquements commis, de la relativité et de l'incertitude de leur potentiel dommageable, du cantonnement des préjudices réparables à ceux soufferts sur le territoire national par la société LVMH elle-même, à l'exclusion de ses filiales, il lui est permis de tenir pour substantiellement réduit le risque financier auquel elle est désormais exposée. De fait, la cour de Paris a-t-elle décidé de renoncer à toute condamnation immédiate de la banque (et même de publication de la décision "en l'absence de preuve d'un quelconque retentissement des faits retenus auprès des investisseurs") et de surseoir à statuer sur l'évaluation des préjudices matériel et moral dans l'attente d'un rapport d'expertise à remettre avant le 1er avril 2007.

Sentiment de satisfaction ou volonté d'apaisement, aucune des parties n'a manifesté l'intention de porter l'affaire devant la Cour de cassation.

Alain Pietrancosta
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier


(1) V. T. com. Paris, 1ère ch. supplémentaire, 12 janvier 2004, SA LVMH c/ Société Morgan Stanley (N° Lexbase : A5691DQT), commentaire de F. Leplat, La responsabilité des analystes financiers, Lexbase Hebdo n° 105 du 29 janvier 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N0309AB3) ; D. 2004, n ° 25, somm. p. 1800, obs. Y. Reinhard ; J.-J. Daigre, LVMH c/ sté Morgan Stanley : le sens d'une histoire, JCP éd. G n° 6, 4 février 2004, p. 219 ; G. Terrier, L'affaire Morgan Stanley passée au crible, Capital finances, 4 février 2004 ; A. Couret, Banques d'affaires, analystes financiers et conflits d'intérêts, Dalloz, chron., 5 février 2004 ; A. Pietrancosta, L'affaire Morgan Stanley / LVMH, RDBF, mars-avril 2004, p. 131 ; F.-L. Simon, Des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité civile des analystes financiers, Rev. sociétés n° 2, 2004, p. 297 ; C. Goyet, N. Rontchevsky, M. Storck, RTDCom., 2004, p. 337 ; D. Schmidt, Bull. Joly Bourse, 2004, p. 189 ; T. Bonneau, Droit des sociétés, avril 2004 ; B. Le Bars, La responsabilité civile délictuelle d'un analyste financier n'ayant pas respecté l'obligation de constituer une "muraille de Chine", Petites Affiches, chron. Droit financier, 28 avril 2004, p. 8 ; J. Fanto, Opinion d'outre-Atlantique sur l'affaire Morgan Stanley / LVMH, RDBF, n° 3, mai-juin 2004, p. 226.
(2) Voir C. Hughes, Court rejects bias finding against Morgan Stanley, Fin. Times, july 1, 2006, 19 ; S. Mesure, LVMH seeks Morgan Stanley damages. Star analyst defamed luxury goods firm says Paris court but research was not deliberately biased, Independent (United Kingdom), july 1, 2006, 46 ; H. Timmons, Mixed Ruling in France on Suit Against Morgan Stanley, New York Times, july 1, 2006, C3 ; Analysts relieved over Morgan Stanley court ruling in Paris, Agence Fr.-Presse, july 2, 2006 ; LVMH contre Morgan Stanley : la cour d'appel fait deux heureux, Les Echos du 3 juillet 2006, p. 21.
(3) Sur les sorties de la presse anglo-saxonne à l'encontre de cette décision, présentée parfois comme une tentative de museler la critique financière des entreprises françaises et donc directement contraire aux intérêts des investisseurs et du marché, v. e.g. Valuable criticism : A French court has acted against the interests of investors, Financial Times, january 14, 2004 ; LVMH Weighs On Morgan Stanley ; To Publish Research or Not : Brokerage House Could Lose Either Way After Ruling, The Wall Street Journal Europe, january 22, 2004, M1 ; LVMH court victory fuels concerns over analysts, The Independent - London, january 13, 2004, 21 ; LVMH : la condamnation de Morgan Stanley inquiète les analystes, Reuters, 14 janvier 2004 ; A.-L. Julien, La communauté financière sous le choc, Le Figaro, 13 janvier 2004, p. 6 ; adde, les déclarations des représentants américains et français de Morgan Stanley, qualifiant le jugement de "terrifiant pour tous les analystes de la place" et "menaçant l'existence même des analystes", Morgan Stanley/Research, The Wall Street Journal Europe, january 26, 2004, M8 ; LVMH fait condamner Morgan Stanley, Le Figaro, 13 janvier 2004, p. 1.
(4) Catégorie à laquelle appartiennent les analystes financiers, v. e.g. C. Coffee, Understanding Enron: It's About the Gatekeepers, Stupid, Columbia Law School, Working Paper n° 207, july 30, 2002.
(5) Sur cette évolution, lire A. Pietrancosta, L'affaire Morgan Stanley / LVMH, RDBF, mars-avril 2004, p. 131.
(6) V. spécialement la transaction conclue par Morgan Stanley & Co. Incorporated, Litigation Release n° 18117, april 28, 2003, et n° 03 Civ. 2948 (WHP) (S.D.N.Y.).
(7) Pour le droit communautaire, v. CJCE, 30 novembre 1976, aff. C-21/76, Handelskwekerij G. J. Bier BV c/ Mines de potasse d'Alsace SA (N° Lexbase : A7224AU4), note P. Bourel, Rev. cr. 1977, p. 563 ; A. Huet, JDI, 1977, p. 728 ; G. Droz, D. 1977, p. 613.
(8) Dans un sens restrictif, v. TGI Paris, 29 septembre 1982 et 27 avril 1983, note H. Gaudemet-Tallon, Rev. cr. 1983, p. 670 ; 30 juin 1984, 2ème esp., note H. Gaudemet-Tallon, Rev. cr. 1985.141 ; contra TGI Paris, 23 juin 1976, note H. Gaudemet-Tallon, Rev. cr. 1978.132.
(9) CJCE, 7 mars 1995, aff. C-68/93, Ltd c/ Presse Alliance SA (N° Lexbase : A0139AW3), note Lagarde, Rev. crit. DIP 1996, p. 487 ; Parléani, D. 1996, p. 63 ; Gardenes Santiago, RTD eur. 1995, p. 611 ; Il Foro Italiano 1995, 4 ; L. Idot, L'application de la Convention de Bruxelles en matière de diffamation. Des précisions importantes sur l'interprétation de l'article 5-3°, Europe, n° 6, 1995, 1. Adde, en matière de contrefaçon, Cass. civ. 1, 16 juillet 1997, n° 95-17.163, Epoux Wegmann c/ Société Elsevier Science (N° Lexbase : A0593ACX), obs. Huet, JDI, 1998, p. 136, ou Cass. civ. 1, 9 décembre 2003, n° 01-03.225, Société Castellblanch c/ Société Champagne Louis Roederer, FS-P+B (N° Lexbase : A4178DAY), obs. Manara, D. 2004, p. 276.
(10) Voir Cass. civ. 1, 14 janvier 1997, n° 94-16.861, Société Gordon and Breach Science Publishers c/ Association The American Institute of Physics et autres (N° Lexbase : A9937ABN), J.-M. Bischoff, Rev. crit. DIP 1997, p. 504 ; H. Muir Watt, JCP éd. G, 1997, II, n° 22903 ; M. Santa-Croce, D. 1997, jurispr. p. 177 ; Cass. civ. 1, 28 octobre 2003, n° 00-18.794 M. P.-F. c/ Société Axa courtage, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9878C9Q), P. Delebecque, D. 2004, p. 233, D. Bureau, Rev. cr. 2004, p. 83.
(11) Voir Cass. civ. 1, 11 mai 1999, n° 97-13.972, Société Mobil North Sea et autres c/ Compagnie française d'entreprises métalliques et autres (N° Lexbase : A5172AWH), J.-M. Bischoff, Rev. crit. DIP 2000, p. 199 ; Légier, JDI 1999, p. 1048 ; Audit, D. 1999, somm. p. 295 ; H. Muir Watt , JCP éd. G, 1999, II, n° 10183 ; Cass. civ. 1, 5 mars 2002, n° 99-20.755, Société informatique service réalisation organisation (Sisro) c/ Société Ampersand Software BV, FS-P (N° Lexbase : A1973AYQ), H. Muir Watt, JCP éd. G, 2002, II, n° 10082 ; J.-M. Bischoff, Rev. cr., 2003, p. 440.
(12) Et non "932", comme indiqué improprement à deux reprises dans l'arrêt.
(13) Voir, en ce sens, les termes du 40ème considérant de la Directive sur les services d'investissement (Directive 93/22, du 10 mai 1993 concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières N° Lexbase : L7726AUP).
(14) Conclusions du 9 janvier 2006.

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Social général

[Jurisprudence] Place de la formation dans les contrats de formation en alternance

Réf. : Cass. soc., 28 juin 2006, n° 04-42.734, Société Kappa consultants, FS-P+B (N° Lexbase : A1048DQU)

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Le 07 Octobre 2010

La Cour de cassation vient de rendre, le 26 juin dernier, un arrêt portant sur l'obligation de formation dans les contrats de qualification dont l'intérêt est double. Sur le fond : la Cour retient, comme sanction du défaut de respect de cette obligation de formation à la charge de l'employeur, la requalification du contrat de qualification en contrat de travail de droit commun (à durée indéterminée). Sur sa portée : cette jurisprudence porte sur le contrat de qualification, mais la solution retenue doit pouvoir être transposée aux contrats de professionnalisation qui se sont substitués à ces contrats depuis la loi du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391, 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8). L'importance de la formation professionnelle dans les contrats de travail spéciaux s'explique aisément par le profil des bénéficiaires, peu ou pas formés (I). Les sanctions auxquelles s'exposent les employeurs, en cas de violation d'une telle obligation, en sont la mesure (II).
Résumé

La sanction du non-respect par l'employeur de son obligation de formation est la requalification du contrat de qualification en contrat à durée indéterminée.

Décision

Cass. soc., 28 juin 2006, n° 04-42.734, Société Kappa consultants, FS-P+B (N° Lexbase : A1048DQU)

Rejet CA de Colmar, ch. soc., 16 février 2004

Texte visé : C. trav, art. L. 981-1 (N° Lexbase : L7015ACS), dans sa rédaction en vigueur avant la loi du 4 mai 2004

Liens base :

Faits

1. Mme Ladier a été engagée le 5 janvier 1998 par la société Kappa consultants dans le cadre d'un contrat de qualification conclu pour une durée déterminée de deux ans, afin de se préparer au métier de comptable.

La salariée ayant donné sa démission le 16 août 1999, l'employeur a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de dommages-intérêts ;

2. Pourvoi de l'employeur contre l'arrêt rendu le 16 février 2004 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale) : la société Kappa consultants fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir requalifié le contrat de qualification de Mme Ladier en un contrat à durée indéterminée et de l'avoir condamnée à lui verser diverses indemnités;

3. Rejet du pourvoi.

Solution

L'obligation de formation prévue à l'article L. 981-1 du Code du travail, dans sa rédaction en vigueur avant la loi du 4 mai 2004, constitue une des conditions d'existence du contrat de qualification à défaut de laquelle il doit être requalifié en contrat à durée indéterminée.

Commentaire

I - L'obligation légale de formation du salarié dans les contrats de formation en alternance

A - Typologie des contrats de formation en alternance

1. Avant la loi du 4 mai 2004

Le contrat de qualification (1) s'adressait aux jeunes de 16 à 25 ans, sans qualification, ou dont la qualification reste insuffisante. Le législateur avait étendu aux adultes (plus de 26 ans) ce contrat, dénommé "contrat de qualification adulte". L'employeur bénéficiait d'une aide forfaitaire, ainsi que d'une exonération des charges sociales. Le trait le plus marquant du contrat de qualification résidait dans la formation dispensée au profit du salarié, qui devait représenter au moins un quart de la durée du contrat. Le bénéficiaire ne pouvait prétendre qu'à un SMIC jeune (30, 45 ou 60 % du SMIC), en fonction de l'âge ou de l'année d'exécution du contrat.

Le contrat d'adaptation avait pour objet de permettre à des jeunes, compte tenu de leur niveau de formation générale ou de la formation technologique déjà acquise, de s'insérer professionnellement, moyennant une formation complémentaire pour occuper un emploi ou un type d'emploi (C. trav., art. L. 981-6 N° Lexbase : L7020ACY ; décret n° 98-29 du 13 janvier 1998, codifié aux articles D. 981-9 N° Lexbase : L4093AB9 à D. 981-16 du Code du travail) (2). Il s'adressait aux jeunes de 16 à 25 ans. L'emploi qui leur était confié ne pouvait se substituer à des emplois permanents. L'employeur ne bénéficiait d'aucune subvention ni exonération de charges sociales, mais les dépenses de formation pouvaient être imputées sur la participation au financement de la formation.

Le contrat d'orientation avait pour objet de permettre à des jeunes d'accéder à un emploi, de bénéficier d'une action d'orientation destinée à construire un projet professionnel ou à maîtriser les techniques de recherche d'emploi (3). Ce contrat s'adressait essentiellement aux jeunes au faible niveau de formation, âgés de moins de 22 ans ou de moins de 25 ans. L'employeur bénéficiait d'exonérations patronales de charges sociales, mais pas de subvention.

Le contrat de qualification, le contrat d'adaptation et le contrat d'orientation n'existent plus, en raison de la refonte des contrats de formation en alternance par le contrat de professionnalisation en 2004 (loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, art. 13, abrogeant les articles L. 981-1 à L. 981-12 du Code du travail ; décret n° 2004-968 du 13 septembre 2004 N° Lexbase : L7733GTL).

2. Depuis la loi du 4 mai 2004 (contrat de professionnalisation)

Conçu à l'origine par les partenaires sociaux pour remplacer le contrat de qualification, le législateur a finalement remis en cause non seulement ce contrat, mais aussi les autres contrats de formation en alternance, c'est-à-dire le contrat d'adaptation et le contrat d'orientation (loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, art. 13) (4). Les différents contrats en alternance existants (contrats d'adaptation, d'orientation et de qualification jeunes et adultes) sont fusionnés en un contrat unique : le contrat de professionnalisation.

B - Obligation de formation à la charge des employeurs

1. Place de la formation professionnelle dans les contrats de formation en alternance : avant la loi du 4 mai 2004

Les enseignements généraux, professionnels et technologiques dispensés pendant la durée du contrat de qualification devaient être, au minimum, d'une durée égale à 25 % de la durée totale du contrat. Mais lorsqu'il existait un accord de branche ou une convention, la durée de ces enseignements était celle fixée par la convention ou l'accord (C. trav., art. L. 981-1). Les actions de formation initiale de jeunes sous statut scolaire ou universitaire ne pouvaient faire l'objet d'un contrat de qualification, ni donner lieu à la conclusion de conventions conclues en application des dispositions de l'article L. 981-2 (N° Lexbase : L7016ACT) (C. trav., art. R. 981-1 N° Lexbase : L7931AIL).

La formation dispensée au salarié régi par le contrat de qualification adulte devait être d'une durée comprise entre six et vingt-quatre mois (décret n° 2002-518, 16 avril 2002 N° Lexbase : L1608AZL).

La durée de la formation était de 200 heures, dans le cadre d'un contrat d'adaptation. Les enseignements généraux, professionnels et technologiques hors poste de travail étaient dispensés dans un organisme de formation public ou privé, interne ou externe à l'entreprise. L'acquisition du savoir-faire en rapport avec les enseignements généraux reçus était donnée dans l'entreprise, au poste de travail. L'employeur devait choisir au sein de son entreprise un tuteur chargé d'accueillir, d'aider, d'informer et de guider le jeune pendant la durée du contrat (5).

2. Place de la formation professionnelle dans les contrats de formation en alternance : depuis la loi du 4 mai 2004

L'objet du contrat de professionnalisation est de favoriser l'insertion ou la réinsertion professionnelle des jeunes et des demandeurs d'emploi (ANI, 20 septembre 2003, art. 10). Le contrat de professionnalisation est mis en oeuvre sur la base de trois principes novateurs : une personnalisation des parcours de formation, en fonction des connaissances et des expériences de chacun des bénéficiaires ; une alternance alliant des séquences de formation professionnelle, dans ou hors de l'entreprise, et l'exercice d'une ou plusieurs activités professionnelles, en lien avec la ou les qualification(s) recherchée(s) ; et, enfin, une certification des connaissances, des compétences et des aptitudes professionnelles acquises (ANI, 20 septembre 2003, art. 10.1).

Les actions d'évaluation, de personnalisation du parcours de formation, d'accompagnement externe et de formation représentent une durée égale à 15 % de la durée du contrat de professionnalisation, sans pouvoir être inférieure à 150 heures. Les actions de formation sont mises en oeuvre par un organisme de formation, ou par l'entreprise elle-même, lorsqu'elle dispose de moyens de formation identifiés et structurés. Par accord de branche ou à défaut, par accord conclu entre les organisations représentatives d'employeurs et de salariés signataires de l'accord constitutif d'un OPCA interprofessionnel, cette durée peut être étendue jusqu'à 25 % de la durée du contrat ou de la période de formation pour certains publics et, notamment, pour les jeunes n'ayant pas achevé un second cycle de l'enseignement secondaire et non titulaires d'un diplôme de l'enseignement technologique ou professionnel. Cet accord peut prévoir des durées de formation supérieures à ce taux de 25 %.

II - Sanctions du défaut de formation dans les contrats de formation en alternance

La Cour de cassation, par l'arrêt rapporté, confirme l'importance attachée au volet formation dans les contrats de formation en alternance, contrat de qualification avant 2004, contrat de professionnalisation depuis 2004. Cette analyse est partagée par les juridictions administratives.

A - Jurisprudence judiciaire

Dans le cadre d'un contrat de qualification, la responsabilité de l'employeur peut être engagée dans la mesure où une salariée démissionne de son emploi dans la perspective de l'accomplissement de cette formation, lui causant ainsi un préjudice (6), ou encore parce que le salarié subit un préjudice en raison de l'impossibilité de parachever la formation commencée ainsi que de la perte d'une chance d'acquérir un diplôme (7). La Cour de cassation a admis une telle appréciation du préjudice tenant compte de la perte d'une chance (8).

Doit s'analyser en un licenciement et ouvre droit à des dommages et intérêts, la rupture anticipée d'un contrat de qualification à l'initiative du salarié en raison du comportement de l'employeur, ce dernier n'ayant pas satisfait à l'obligation de formation, élément essentiel du contrat (9).

Le manquement par l'employeur à son obligation peut aussi être sanctionné par la résolution judiciaire du contrat aux torts de l'employeur (10).

Enfin, la requalification du contrat de qualification en contrat de travail de droit commun est encourue, en raison du comportement fautif de l'employeur non respectueux de son obligation de formation (11). En l'espèce, la Cour de cassation retient cette même solution. L'obligation de formation prévue à l'article L. 981-1 du Code du travail, dans sa rédaction en vigueur avant la loi du 4 mai 2004, constitue l'une des conditions d'existence du contrat de qualification à défaut de laquelle il doit être requalifié en contrat à durée indéterminée en application de l'article L. 122-3-13 du même code (N° Lexbase : L5469ACK). Mais il appartient aux juges du fond, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis, de décider si l'employeur a manqué à son obligation de formation professionnelle de la salariée. Il faut, cependant, relever que cette requalification du contrat de qualification, qui est un contrat à durée déterminée, en contrat à durée indéterminée, pouvait être écartée, l'autre sanction envisageable étant, plus simplement, une requalification du contrat de qualification en contrat à durée déterminée de droit commun. L'une ou l'autre sanction présente, pour le salarié, des avantages, qu'il faut mesurer, en fonction de plusieurs indices. La requalification en CDI n'est pas systématiquement intéressante pour le salarié.

B - Jurisprudence administrative

Le juge administratif s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence judiciaire. L'importance accordée par le juge administratif à la formation professionnelle dans les contrats de qualification s'est manifestée dans le contentieux de l'enregistrement des contrats de qualification. Les textes organisaient une procédure d'enregistrement du contrat de travail spécial, commune aux contrats de formation en alternance (contrat de qualification, contrat d'adaptation ou contrat d'orientation). La DDTEFP s'assurait que le contrat était conforme à la décision d'habilitation et aux dispositions législatives, réglementaires ou conventionnelles qui le régissent. Si l'administration ne faisait pas connaître ses observations dans le délai d'un mois à compter de la date du dépôt, le contrat était considéré comme conforme (12). Le directeur départemental du travail était tenu de refuser d'enregistrer un contrat d'adaptation ne satisfaisant pas à l'exigence d'embaucher une personne ayant la qualité de demandeur d'emploi (13). Le juge administratif n'hésitait pas à contrôler l'adéquation entre la formation proposée par l'entreprise et les perspectives d'avenir pour le jeune souhaitant conclure un contrat de qualification. Le refus d'enregistrement du contrat de travail pouvait être validé par le juge administratif (14), par exemple pour non-respect par l'employeur du seuil minimal d'heures de formation qui devaient être consacrées pendant le contrat de qualification (15).

Outre l'enregistrement du contrat de travail spécial, il existait une procédure propre aux contrats de qualification : l'habilitation. Seules les entreprises habilitées par la DDTEFP pouvaient conclure des contrats de qualification. Cette habilitation était subordonnée soit à la conclusion par l'entreprise d'une convention avec un établissement d'enseignement public ou un organisme de formation public ou privé, prévoyant les modalités d'organisation de la formation alternée, soit à l'adhésion de l'entreprise à un accord-cadre conclu entre l'Etat et une organisation professionnelle ou interprofessionnelle. La DDTEFP assurait cette mission d'habilitation, sous le contrôle du juge administratif (16). Le refus d'habilitation pouvait être motivé par le peu de perspectives que présenterait une formation (17).

Dans un arrêt rendu le 30 décembre 2004, la cour administrative d'appel de Bordeaux (18) était confrontée à la question du régime administratif des sanctions encourues par l'employeur assurant lui-même la formation des jeunes régis par un contrat de qualification. Aux termes de l'article L. 920-10 du Code du travail (N° Lexbase : L4784DZ9, abrogé par l'ordonnance n° 2004-602 du 24 juin 2004 N° Lexbase : L5050DZ3), lorsque des dépenses faites par le dispensateur de formation pour l'exécution ne sont pas admises parce qu'elles ne peuvent, par leur nature, être rattachées à l'exécution d'une convention de formation ou que le prix des prestations est excessif, le dispensateur est tenu de verser au Trésor public une somme égale au montant de ces dépenses. La DDTEFP avait rejeté les dépenses exposées par l'employeur pour des actions de formation de 15 stagiaires bénéficiant d'un contrat de qualification, organisées par lui-même, dans ses locaux -et dont elle avait obtenu le remboursement directement par l'organisme collecteur paritaire agréé-, et assujetti l'employeur au versement au Trésor public (C. trav., art. L. 920-10). Pour justifier de la réalité des actions de formation qu'il prétend avoir mené, l'employeur produisait des fiches intitulées "attestation de présence des stagiaires", un programme de formation et des attestations établies par les stagiaires. Toutefois, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, en l'espèce, considéré que ces documents sont insuffisants pour établir la réalité et l'importance des prestations qui auraient été assurées par l'employeur, en l'absence de précision sur les modalités d'accomplissement des formations, et eu égard aux circonstances que les stagiaires sont tous employés de l'employeur et que les actions de formation se sont déroulées au sein et avec les moyens de l'entreprise.

Christophe Willmann,
Professeur à l'université de Haute Alsace


(1) Ministère de l'Emploi, DARES, Premières informations et premières synthèses, février 2003, n° 08.2 ; C. Ahumada, Contrat d'orientation, contrat de qualification et contrat d'adaptation, RPDS 1995, p. 237 ; Contrat de qualification et contrat d'adaptation, RPDS 1990, p. 333 ; L. Gamet, Les contrats de travail conclus au titre des dispositifs publics de mise à l'emploi, Thèse Lyon II, 2001, LGDJ 2002, préf. J.-M. Béraud ; P. Santelmann, Insertion et formation professionnelles des jeunes. Quel droit à la qualification ?, Dr. soc. 1993, p. 418.
(2) C. Ahumada, Contrat d'orientation, contrat de qualification et contrat d'adaptation, préc. ; Contrat de qualification et contrat d'adaptation, préc. ; L. Gamet, Les contrats de travail conclus au titre des dispositifs publics de mise à l'emploi, préc. ; R. Sanchez, Les contrats de qualification et d'adaptation - Bilan de la politique de l'emploi en 1999, Paris, 2000, Doc. fr., p. 169-177.
(3) C. Ahumada, Contrat d'orientation, contrat de qualification et contrat d'adaptation, préc. ; Les contrats pour la réinsertion des chômeurs de longue durée, RPDS 1996, p. 87 ; Ministère de l'Emploi, DARES, Premières informations et premières synthèses, préc.
(4) J.-P. Anciaux, Rapport Assemblée nationale n° 1273, 3 décembre 2003 ; A. Bocandé, Rapport Sénat n° 179, 28 janvier 2004 ; C. Gaillard et J. Chérioux, Rapport Assemblée nationale n° 1457 et Rapport Sénat n° 224, 2 mars 2004 ; V. Merle, Un accord historique ?, Dr. soc. 2004, p. 455 ; N. Maggi-Germain, La formation professionnelle continue entre individualisation et personnalisation des droits des salariés, Dr. soc. 2004, p. 482 ; J.-P. Willens, De la professionnalisation au droit de la compétence, Dr. soc. 2004, p. 509 ; C. Willmann, Le contrat de professionnalisation : un vrai contrat de formation en alternance, Dr. soc. 2004, p. 715 ; Le décret du 13 septembre 2004 relatif au contrat et à la période de professionnalisation, Lexbase Hebdo n° 136 du 30 septembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2918ABP).
(5) C. trav., art. D. 981-12 (N° Lexbase : L4096ABC), D. 981-13 (N° Lexbase : L4097ABD) et D. 981-16 (N° Lexbase : L4100ABH) ; L. Gamet, thèse préc., n° 435 et 438.
(6) Cass. soc., 19 janvier 1999, n° 97-11.989, Société Formation avenir, société à responsabilité limitée et autres c/ Mme Corinne Mazue, épouse Guillermet et autres, inédit (N° Lexbase : A8008CWI), Semaine sociale Lamy, 20 septembre 1999, n° 948, p. 97.
(7) CA Bordeaux, 16 avril 1999, TPS juillet 2000, chron. n° 14, p. 9, obs. C. W.
(8) Cass. soc., 4 janvier 2000, n° 97-45.061, Compagnie Nationale Air France c/ M. Christophe Cuzieux (N° Lexbase : A8989AGZ), TPS juill. 2000, chron. n° 14, p. 9, obs. C. W.
(9) Cass. soc., 31 mars 1994, n° 92-44.424, SARL Tout pour l''Information c/ Mlle Poucineau (N° Lexbase : A1491ABT), Dr. soc. 1994, p. 511, RJS 5/1994, n° 585 ; Cass. soc., 6 avril 1994, n° 92-42.543, Société à responsabilité limitée SO.GE.SEM. c/ M. Bernard Ittah, inédit (N° Lexbase : A4735CNP), RJS 5/94 n° 585, D. 1996 somm. 129 ; Cass. soc., 7 mai 1997, n° 94-43.455, M. Rodolphe Dupuis c/ Société Rond Point du Meuble, société à responsabilité limitée (N° Lexbase : A1289CPG), Semaine sociale Lamy, 15 septembre 1997, n° 853, D 85 ; Cass. soc., 6 juin 2000, n° 97-43.725, M. Dos Reis Grilo c/ Société Finexhor hôtel Urbis Parly II (N° Lexbase : A8740AH8), RJS 2000 n° 841 ; Cass. soc., 28 juin 2000, n° 98-43.438, M. Cédric Tierny c/ Société en nom collectif (SNC) Casino France (N° Lexbase : A6896C48), TPS 2000, chron. n° 22, obs. C. W..
(10) Cass. soc., 5 mai 1999, n° 97-41.564, Mlle Dorothée Peiffer c/ Société Herlaure Bricomarché (N° Lexbase : A9849CMQ), Gaz. Pal., 30-31 juillet 1999, p. 25.
(11) Cass. soc., 12 avril 1995, n° 91-45.030, Société de commercialisation et de diffusion florale c/ Mme Comtesse (N° Lexbase : A0921ABQ), Bull. civ. V, n° 136, Dr. soc. 1995, p. 597 ; L. Gamet, thèse préc., n° 434 et 440.
(12) Cass. soc., 3 juillet 2002, n° 00-45.420, Mlle Elisabeth Vern c/ M. Bruno Coton, F-D (N° Lexbase : A0425AZR), portant sur le contrat de qualification.
(13) CE, 12 février 1997, n° 137656, Cours privé Saint-Exupéry (N° Lexbase : A8322ADL), RJS 1997, n° 579.
(14) CAA Lyon, 4 décembre 2001, n° 98LY02145 (N° Lexbase : A9124BEN) ; CAA Nantes, 28 décembre 2001, n° 98NT00103 (N° Lexbase : A6173BML).
(15) CAA Nancy, 8 février 2001, n° 98NC02120 (N° Lexbase : A9295BKH).
(16) CAA Nantes, 31 mai 2001, n° 97NT01840 (N° Lexbase : A7101BHH).
(17) CE, 29 mars 2000, n° 215950, SARL Soprodif (N° Lexbase : A9562AGA), TPS 2000, chron. n° 22, p. 3, obs. C. W..
(18) CAA Bordeaux, 30 décembre 2004, n° 00BX01600 (N° Lexbase : A4825DGS), JCP éd. S n° 5-10, 26 juillet 2005, p. 21.

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Sociétés

[Jurisprudence] L'incapacité d'ester en justice d'une société en formation et ses enjeux

Réf. : Cass. com., 20 juin 2006, n° 03-15.957, Société Déclics-multimédia c/ Société Santé magazine, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A9595DP3)

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Le 07 Octobre 2010

Les sociétés en formation sont une source intarissable d'un contentieux qu'une jurisprudence très fournie et une doctrine féconde ne parviennent pas à apaiser. Cette situation tient souvent à la complexité du mécanisme de reprise des actes accomplis en leur nom avant l'immatriculation, ce qui crée une incertitude quant au sort des engagements ainsi souscrits. A cela s'ajoute le fait que, parfois, les associés, bien qu'ayant renoncé à immatriculer la société, continuent d'exercer leur activité en groupe. Dans ce contexte et en cas de litige les divisant ou les opposant à des tiers, se pose le problème de la qualification juridique de la structure au sein de laquelle ils travaillent. Cette qualification est essentielle, car elle commande l'issue du litige. Le différend peut revêtir un autre aspect et porter en particulier sur la capacité d'agir en justice d'une société en formation (I) et sur la couverture de l'irrégularité de la procédure qu'elle a introduite à ce titre (II). Ce sont les deux points du litige dont se trouve saisi la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juin 2006 (1). Dans les faits de l'espèce, une société a reproché à une autre, en cours de constitution, d'avoir porté atteinte à ses droits en déposant des noms de domaine sur le réseau internet. Elle l'a fait assigner en justice afin d'obtenir l'interdiction d'utiliser ces dénominations et la réparation du préjudice causé. Déboutée en première instance, la demanderesse a obtenu gain de cause auprès de la cour d'appel de Versailles, statuant le 24 avril 2003. A la suite du pourvoi en cassation formé par son adversaire, la Chambre commerciale censure sans renvoi la décision des juges d'appel, sous le double visa des articles 32 (N° Lexbase : L2515ADI) et 126 (N° Lexbase : L2072AD4) du Nouveau Code de procédure civile. Elle met ainsi fin au litige, considérant que les faits constatés et souverainement appréciés par les juges du fond lui permettent d'appliquer la règle de droit appropriée (2).

I - Une société en formation ne peut ester en justice

Il ne fait aucun doute qu'une société sans personnalité juridique ne peut ester en justice, en demande et en défense, que ce soit en saisissant une juridiction de première instance ou en formant une voie de recours (3). Par analogie, elle ne peut, non plus, accomplir d'actes de procédure tels qu'une surenchère.

Cette incapacité vient du fait que la société n'existe plus (société liquidée ou annulée, sauf subsistance des droits et obligations à caractère social, société fusionnée ou absorbée (4)), qu'elle a perdu cette personnalité (société de fait), qu'elle ne l'a jamais eue (société en participation ou société créée de fait (5)) ou qu'elle ne l'a pas encore obtenue, ce qui est le cas d'une société en formation. La solution s'explique non pas au regard du droit des sociétés, mais en vertu du droit judiciaire privé. La référence dans les premières lignes de l'arrêt aux articles 32 et 126 du Nouveau Code de procédure civile l'atteste.

Il serait, toutefois, possible et opportun de concevoir qu'à l'inverse des autres groupements dépourvus ou définitivement privés de la personnalité morale, une société en cours de constitution, qui aspire donc à acquérir celle-ci par l'immatriculation, puisse par anticipation se voir conférer la capacité d'agir en justice, ou d'accomplir tout acte juridique par l'intermédiaire de ses représentants. Il ne s'agirait plus de considérer des personnes agissant uniquement au nom d'une société en formation, mais intervenant en tant que mandataire d'une société vouée à acquérir la personnalité morale, donc potentiellement investie de celle-ci.

Toute société en cours de constitution et destinée à être immatriculée bénéficierait ainsi d'un traitement de faveur à l'instar de l'enfant simplement conçu, mais à naître qui, lorsque son intérêt l'exige, dispose de certains attributs de la personnalité juridique, tels que la capacité d'hériter (6). Dans le cadre, notamment, d'une procédure en justice, l'intérêt de la société commanderait que l'avènement de sa "personnalité judiciaire" précède l'apparition de sa personnalité juridique.

Or, il n'en est rien. L'actuel droit positif français, que ce soit la loi ou la jurisprudence, se montre hostile à pareille théorie, dans la mesure où l'acquisition de la personnalité juridique constitue la condition sine qua non de la reconnaissance de la "personnalité judiciaire". Il semble d'ailleurs difficile de faire autrement sauf à reconsidérer, voire à bouleverser, certaines conceptions traditionnelles du droit civil.

Pourtant, ne l'a-t-on point fait en introduisant en France il y a plus de vingt ans les sociétés unipersonnelles, en dépit des notions de contrat, de partage des bénéfices et d'affectio societatis qui impliquent la présence d'au moins deux personnes au sein d'une société, comme l'indique l'article 1832, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ) ? Il a suffi d'aménager l'alinéa 2 de ce texte en y insérant l'idée de "l'acte de volonté d'une seule personne" qui permet de constituer une société "dans les cas prévus par la loi".

Toujours est-il que le principal obstacle réside dans le défaut de capacité d'ester en justice, à savoir les capacités de jouissance et d'exercice, constitutif d'une irrégularité de fond (7). Celles-ci sont essentielles en droit processuel, qu'il s'agisse de la procédure civile ou de la procédure pénale. La capacité de jouissance incarne la capacité d'être titulaire du droit d'ester en justice. La capacité d'exercice illustre la faculté de mettre en oeuvre soi-même ce droit et, par conséquent, d'en tirer profit. La sanction de l'exercice du droit d'agir en justice, sans en avoir la jouissance, est la nullité. La sanction de l'exercice du droit d'agir en justice dont on a la jouissance, mais sans avoir la faculté de le faire, est l'irrecevabilité (8).

Pour la société en formation, comme pour toute autre société sans personnalité morale, la mise en oeuvre du droit d'intenter une action en justice n'est pas envisageable, dans la mesure où elle ne bénéficie pas d'une telle prérogative, pas plus qu'elle ne peut être assignée en justice et, notamment, être soumise à une procédure collective (9). Elle est, en effet, frappée d'une incapacité à la fois de jouissance et d'exercice. Il ne saurait donc y avoir de capacité de jouissance, sans personnalité juridique et pas de capacité d'exercice, sans capacité de jouissance.

La capacité faisant défaut, toute discussion relative aux conditions d'exercice de l'action en justice, c'est-à-dire la qualité et l'intérêt, s'avère inutile. Tout au plus, la société en formation aurait un intérêt à agir, notamment, pour défendre un droit, quoique l'on ne sache pas vraiment si c'est le sien ou celui des personnes agissant en son nom. Il ne s'agirait d'ailleurs pas de l'intérêt au sens de la procédure civile, mais au sens ordinaire du terme. Il est, en tout cas, certain qu'elle n'a pas la qualité pour agir, faute là encore, de bénéficier de la personnalité morale. Un associé ne dispose même pas de la faculté d'agir à sa place, car cette seule qualité ne lui confère pas celle requise pour invoquer les droits de la société (10). Il a seulement la possibilité d'intervenir au nom de celle-ci dans le cadre circonscrit des articles 1843 du Code civil (N° Lexbase : L2014AB9) et L. 210-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L5793AIE).

La différence entre ces deux situations est hautement importante. Il faut soigneusement distinguer le contexte particulier de la personne qui agit au nom d'une société en formation de celui dans lequel cette personne agirait en représentation d'une telle société.

Mais, que faut-il entendre par représentation ? Dans le mutisme du Nouveau Code de procédure civile, elle se conçoit comme "le procédé juridique par lequel une personne, appelée représentant agit au nom et pour le compte d'une autre personne appelée représentée" (11). Cette notion exclut bien sûr, en tant que représentant ou représenté, la société en formation qui, est-il besoin de le rappeler, n'est pas une personne morale.

Pour l'heure, la cause semble entendue sans que la discussion soit close, eu égard à l'antagonisme qui existe souvent entre les juges du fond et les juges du droit, dont la présente espèce constitue un précieux échantillon. Pour déclarer recevable la demande de la société appelante, la cour d'appel de Versailles a retenu que le dépôt des noms de domaine litigieux a résulté d'un constat effectué le 8 janvier 2000. A l'inverse, et en application de l'article 32 du Nouveau Code de procédure civile, la Chambre commerciale juge irrecevables les prétentions émises en l'espèce contre la société en formation, au motif de son incapacité d'agir en justice, aussi bien en demande qu'en défense. Elle semble ériger l'absence de personnalité morale et, par conséquent, le défaut de capacité, au rang de fin de non-recevoir de toute action en justice.

D'entrée de jeu est donc donné le ton d'un débat qui n'est pas nouveau, dans la mesure où la Haute juridiction s'est constamment prononcée en ce sens (12).

Reste à savoir si l'irrégularité liée à l'absence des capacités de jouissance et d'exercice de la part de la société en formation peut être supprimée.

II - L'irrégularité de l'action intentée peut-elle être couverte ?

Certes, une société en formation est dénuée de personnalité juridique, puisque l'immatriculation qu'elle envisage a, précisément, pour objectif de permettre son accession à la vie juridique. On est enclin toutefois à penser que l'accomplissement de cette formalité couvre l'irrégularité de la procédure tenant à l'inexistence préalable de la personne morale. Cette idée est d'autant plus justifiée que l'action intentée est insérée dans la reprise des engagements. La Chambre commerciale la rejette au motif d'une "prétention émise par ou contre une partie dépourvue de personnalité juridique", résultant de l'irrecevabilité de ladite prétention émise en pareille circonstance.

Sur la question de la régularisation de la situation viciée, la Haute juridiction ne s'inspire pas des dispositions des articles 1843 du Code civil et L. 210-6 du Code de commerce. Celles-ci font seulement référence, ne l'oublions pas, aux actes accomplis par les personnes intervenant au nom d'une société en formation, avec la possibilité de reprendre les engagements souscrits, et non à une pareille société agissant par l'intermédiaire des futurs associés.

La solution de la Chambre commerciale prend pleinement racine dans l'énoncé de l'article 126, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile selon lequel lorsque la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité est écartée en raison de la disparition de sa cause au moment où le juge statue.

Transposée dans le domaine du droit des sociétés qui nous préoccupe, cela signifie que la couverture du vice de fond liée à l'incapacité d'ester de la société en formation demeure possible, si celle-ci a acquis la personnalité morale au moment de l'instance en justice.

En l'espèce, la juridiction de seconde instance avait considéré que l'acte litigieux (le dépôt des noms) avait été automatiquement repris par la société dès son immatriculation qui était intervenue le 27 avril 2000, c'est-à-dire au cours de la procédure, introduite par assignation du 1er mars 2000. Elle paraissait avoir fait une juste application du texte susvisé. Ce n'est cependant pas l'avis de la Chambre commerciale qui considère, au contraire, qu'elle ne l'a point respecté. Manifestement, cette dernière fait preuve d'une sévérité excessive dans la mise en oeuvre des dispositions de l'article 126, alinéa 1er, précité sur lequel elle se fonde.

L'article 126, alinéa 2, du Nouveau Code de procédure civile édicte une autre possibilité de régularisation "[...] lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l'instance". Faisant application de ce texte dans une précédente affaire, la Chambre commerciale a refusé la régularisation d'une instance introduite par une société qui, au moment de l'assignation, avait perdu sa personnalité morale à la suite d'une fusion, alors que la société absorbante était intervenue en cause d'appel (13).

Indubitablement, la Chambre commerciale interprète les textes de la procédure civile tout à fait différemment de la troisième chambre civile, quoiqu'il ne s'agisse pas des mêmes articles. Cette dernière, statuant sur l'application de l'article 121 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2012ADU), considère la situation d'une société en formation comme une simple cause d'incapacité sanctionnée par la nullité des actes accomplis par elle. Pour sa part, la Chambre commerciale, se fondant sur l'article 126 du Nouveau Code de procédure civile, analyse le défaut de personnalité morale comme une cause de fin denon-recevoir des actes accomplis par une société en formation (14).

En réalité, que ce soit pour la nullité de fond ou pour la fin de non-recevoir, les articles 121 et 126 excluent la sanction lorsque la cause a disparu au moment où le juge statue (15).

La troisième chambre civile admet, effectivement, que ce vice soit couvert par l'immatriculation effectuée en temps utile, sous réserve que la nouvelle personne morale reprenne l'instance ou réalise un acte rectificatif de procédure. Elle adapte le texte au contexte particulier d'une société en formation, en admettant la couverture du vice de fond dans les limites de ce qu'autorise la loi. Elle a ainsi décidé à l'appui de l'article 121, que l'irrégularité affectant la validité d'une assignation délivrée au nom d'une société en formation, par conséquent dépourvue d'existence légale à cette date, peut être couverte par l'immatriculation au registre du commerce avant que le juge se prononce sur le litige (16).

Il suffit donc que la société soit immatriculée en cours d'instance, avant la fin de celle-ci, quand bien même il s'agirait de l'instance d'appel, puisque le texte ne distingue pas celle-ci de la procédure de première instance, et quand bien même la fin de non-recevoir aurait été relevée par le tribunal (17). C'est semble-t-il le cas dans la présente affaire.

La Chambre commerciale, quant à elle, écarte systématiquement toute possibilité de régularisation, au motif de l'incapacité d'agir en justice d'une société non-immatriculée. A fortiori, elle refuse en appel la couverture de la nullité d'une instance ouverte au nom d'une société dépourvue de personnalité morale (18).

Bien évidemment, l'impossibilité de régulariser la situation viciée est indiscutable en cas de disparition définitive de la personnalité juridique, à la suite du décès d'une personne physique et de la disparition d'une société. Pour une personne physique, la reprise de l'instance par les héritiers ne peut couvrir le vice de fond relatif à l'assignation délivrée au nom de la personne décédée (19). La solution est évidente pour une société liquidée ou annulée. Elle s'impose également pour une société absorbée, à propos de l'irrégularité de la procédure introduite par elle et tenant à l'inexistence préalable de la personnalité morale. En dépit de la transmission universelle du patrimoine, ce vice de fond ne peut être couvert par l'intervention volontaire de la société absorbante (20), sauf si la fusion ou la scission intervient en cours d'instance (21). Elle est, en revanche, écartée pour l'effet d'un jugement ordonnant la liquidation judiciaire de la société qui entraîne la dissolution de celle-ci, mais non sa disparition ; la société dissoute conserve la personnalité morale pour les besoins de la liquidation (22). Par conséquent, l'irrégularité de fond affectant pour défaut de capacité d'agir en justice, la validité des assignations délivrées postérieurement est couverte par la décision qui, avant que le juge statue, en arrête l'exécution provisoire (23).

S'agissant d'une société en formation qui est une personne morale embryonnaire, à l'instar de l'enfant conçu appelé à naître vivant et viable, la position de la Chambre commerciale mérite d'être révisée. Son raisonnement procède, en effet, de l'assimilation d'une société en formation à une société inexistante. Or, le défaut de capacité d'une société d'agir en justice ne se confond pas avec l'inexistence d'une société. Si l'article 117 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2008ADQ) dispose que le défaut de capacité constitue une irrégularité de fond de l'action en justice, l'article 121 de ce code prévoit la couverture de cette irrégularité. Ainsi, une société en cours de constitution n'est pas un néant juridique. Pour peu que les statuts aient été déjà signés, ils produisent des effets dans les relations entre les associés. La seule incertitude réside dans la détermination du point de départ de la période de constitution qui permet notamment de différencier la notion de société en formation des situations voisines que sont le projet de société et la promesse de société (24).

De plus, à la différence de la fusion-absorption où se pose la question de la reprise par une autre personne (la société absorbante) d'une action irrégulièrement introduite par une personne disparue (la société absorbée) (25), pour la société en formation, il s'agit de savoir si une action introduite en période de constitution peut être poursuivie par la personne morale qui s'est substituée à elle. La troisième chambre civile admet très logiquement cette possibilité (26). Dès lors que la loi permet à une société immatriculée de reprendre les actes accomplis et les engagements souscrits en son nom et pour son compte durant la période constitutive, il est normal qu'elle puisse intenter l'action destinée à assurer le respect de ses droits préalablement acquis.

Enfin, la société en formation se distingue de la société en participation dont les membres ont définitivement convenu de ne pas l'immatriculer et, même parfois, décider de pas la révéler aux tiers, tandis que les futurs associés de la société qui se constitue souhaitent qu'elle apparaisse très rapidement au grand jour sous les traits d'une personne morale.

Quant à savoir si les actions en justice font partie ou non des actes susceptibles d'être repris, il ne semble pas que ceux-ci se limitent aux conventions, au point d'exclure lesdites actions.

En dehors du rigorisme caractérisé de la Chambre commerciale, la difficulté vient probablement de la teneur des textes du droit des sociétés. D'une part, les articles 1842 du Code civil (N° Lexbase : L2013AB8) et L. 210-6, alinéa 1er, du Code de commerce n'octroient la personnalité morale à toute société qu'à compter de l'immatriculation au registre du commerce. D'autre part, les articles 1843 du Code civil et L. 210-6, alinéa 2, du Code de commerce édictent seulement que les engagements souscrits et repris par la société constituée et immatriculée, sont réputés avoir été contractés dès l'origine. Il aurait fallu que ces textes disposent que l'immatriculation confère rétroactivement la personnalité juridique à la société, à la date du premier acte accompli en son nom durant la période de formation, marquant le début de celle-ci. Dès lors, l'acte vicié serait présumé avoir été accompli par la société immatriculée. Du même coup, toute polémique portant sur la notion d'acte devant être repris perdrait quelque peu d'intérêt.

Enfin, la divergence de points de vue entre ces deux chambres de la Cour de cassation ne doit pas occulter la position de la deuxième chambre civile qui s'est ralliée à celle de la troisième chambre. Après avoir invalidé une surenchère faite au nom d'une société en formation (27), elle a reconnu l'acquisition pour son compte d'un immeuble aux enchères, dès lors que l'adjudication a été ratifiée par la société immatriculée (28).

Tout porte donc à souhaiter que le refus persistant de la Chambre commerciale de s'aligner sur la ligne jurisprudentielle des chambres civiles, conduise un jour prochain une Chambre mixte ou l'Assemblée plénière à harmoniser les solutions relatives à la question débattue en l'espèce.

Deen Gibirila
Professeur à l'Université des Sciences sociales de Toulouse I


(1) D. 2006, cah. dr. aff., act. jur. p. 1820, obs. A. Lienhard.
(2) NCPC, art. 627, al. 2 (N° Lexbase : L2884AD8) ; COJ, art. L 131-5 (N° Lexbase : L3286AMN).
(3) E. Savaux, La personnalité morale en procédure civile, RTD civ. 1995, p. 1.
(4) Cass. com., 22 février 2005, n° 01-11.667, Société Eurovetrocpa, venant aux droits de la société GB Braun Europa c/ M. José Rabillon, F-D (N° Lexbase : A8530DGZ), RJDA 2005, n° 698 ; Bull. Joly 2005, p. 868, note P. Scholer.
(5) Cass. com., 11 février 2004, n° 01-01.642, M. François Brucelle c/ Société de droit uruguayen Dalpes, FS-P (N° Lexbase : A2655DBX), JCP éd. G 2005, II, 10045, note D. Gibirila, Irrecevabilité de l'appel nullité du jugement prononçant par extension la liquidation judiciaire d'une société créée de fait.
(6) G. Cornu, Droit civil. Introduction. Les personnes. Les biens, n° 461, Montchrestien, 2003, 11ème éd. ; V. en général, D. Vigneau, L'enfant à naître, Thèse Toulouse I, 1988.
(7) NCPC, art. 117 (N° Lexbase : L2008ADQ) ; Sur ces capacités, G. Couchez, Procédure civile, n° 220, A. Colin, 2004, 13ème éd. ; Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, n° 181 et 182, Montchrestien, 2002, 2ème éd.
(8) NCPC, art. 32 : "Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir".
(9) J.-C. Hallouin, Les sociétés non immatriculées face au redressement et à la liquidation judiciaires, JCP éd. G 1989, I, 3414. Sur l'impossible mise en redressement judiciaire de la société en formation, Cass. com., 1er février 2000, n° 97-18.480, Société à responsabilité limitée Docks des matériaux c/ Mme Annie Auger-Dupeu (N° Lexbase : A8962AGZ), LPA 9 mars 2001, n° 49, p. 18, note D. Gibirila.
(10) Cass. com., 25 octobre 1983, n° 82-11.389, Epoux Lejeune c/ Lefranc, SARL BLR, Rivez, Bender (N° Lexbase : A9379AXN), Bull. civ. IV, n° 276 ; Rev. sociétés 1984, p. 523, note J.-L. Sibon ; RTD civ. 1984, p. 778, obs. R. Perrot ; Gaz. Pal. 1984, 1, somm. p. 65, obs. S. Guinchard ; D. 1985, jurispr., p. 149, 1ère esp., note Y. Chartier.
(11) Lexique de termes juridiques, p. 503, Dalloz 2003, 14e éd. ; Dictionnaire du vocabulaire juridique, p. 331, Litec 2002.
(12) Cass. com., 25 octobre 1983, préc., note 10, irrecevabilité d'une demande de réalisation de promesse de vente. Cass. com., 7 juin 1994, n° 91-20.761, SA société nouvelle d'exploitation du Château d'Aressy c/ Société 5 rue Pasteur et autres (N° Lexbase : A9682ATR), Bull. Joly 1994, p. 1225, note C. Prieto ; Rev. sociétés 1995, p. 38, note Y. Chartier, nullité de l'appel interjeté par une société en formation. Cass. com., 30 novembre 1999, n° 97-14.595, Société Progressif c/ Société Ugo et autre (N° Lexbase : A4718AGT), JCP éd. E 2000, n° 9, p. 369, note H. Croze et S. Cayre ; D. 2000, jurispr. p. 627, note E. Lamazerolles et cah. dr. aff., act. jur. p. 37, obs. M. Boizard ; RTD com. 2000, p. 368, obs. C. Champaud et D. Danet ; Dr. sociétés févr. 2000, n° 23, obs. Th. Bonneau ; Defrénois 2000, p. 1295, note M. Beaubrun, Assignations délivrées par une société en formation.
(13) Cass. com., 7 décembre 1993, n° 91-19.339, Société Jules Roy c/ Société Belani et autres (N° Lexbase : A6540ABT), Rev. sociétés 1994, p. 463, note Y. Chartier ; Bull. Joly 1994, p. 283, note J. Mestre ; JCP éd. G 1994, II, 22285, note E. Putman ; Dr. sociétés févr. 1994, n° 23, obs. Th. Bonneau. Contra, CA Paris, 30 juin 1998, RJDA 11/1998, n° 1231.
(14) Cass. com., 7 juin 1994, préc., note 12. NCPC, art. 122 (N° Lexbase : L2068ADX), selon lequel le défaut du droit d'agir, tel que le défaut de qualité ou le défaut d'intérêt, constitue une fin de non-recevoir.
(15) Il faut entendre par là, non seulement avant le jugement, mais encore selon le cas, avant la clôture des débats ou, dans les procédures avec représentation obligatoire, avant l'ordonnance de clôture, Cass. civ. 2, 3 juin 1998, n° 96-21.173, Commune de Nice c/ M. Vidal et autres (N° Lexbase : A5148ACN), Bull. civ. II, n° 173 ; RTD civ. 1998, p. 740, obs. R. Perrot.
(16) Cass. civ. 3, 9 octobre 1996 n° 93-10.225, Société européenne financière immobilière et services Eurofis c/ Société Maulin Immobilier et autres (N° Lexbase : A8610AGY), Procédures, décembre 1996, n° 348, obs. R. Perrot ; RJ com. 1998, p. 16, note D. Velardocchio.
(17) NCPC, art. 125 (N° Lexbase : L4895GUT) ; Cass. civ. 3, 15 novembre 1989, n° 88-10441, Epoux Outzekhovsky c/ Epoux Vincent et autres (N° Lexbase : A6242CHN), JCP éd. G 1990, IV, p. 15.
(18) Cass. com., 25 octobre 1983, préc., note 10.
(19) Cass. civ. 2, 13 janvier 1993, n° 91-17.175, M. Rassoul et autres c/ Mme Lagier (N° Lexbase : A5304AB3), Bull. civ. II, n° 15 ; D. 1993, somm. p. 181.
(20) Cass. com., 7 décembre 1993, préc., note 13. V. aussi, Cass. com., 6 mai 2003, n° 00-17.344, Société Coparea c/ Société Harper's, F-D (N° Lexbase : A7883BSR) : RJDA 8-9/2003, n° 833 ; Dr. sociétés décembre 2003, n° 203, obs. F.-G. Trébulle. Cass. civ. 2, 12 février 2004, n° 02-13.672, Mme Laurence Riffier c/ Société Morphée exploitation, F-P+B (N° Lexbase : A2728DBN), Bull. Joly 2004, p. 789, note P. Scholer. M. Boccond-Gibod et M. Cordier, Les conséquences d'une fusion-absorption sur la procédure d'appel, Gaz. Pal. janvier-février 2001, p. 62.
(21) Cass. com., 27 février 1996, n° 94-14.313, Société coopérative de banque BPBA c/ Société Alfa Romeo France (N° Lexbase : A1402ABK), RJDA 7/1996, n° 990.
(22) C. civ., art. 1844-7, 7° (N° Lexbase : L3736HBY).
(23) Cass. com., 3 juin 1998, n° 95-11.096, Société Péchex et autres c/ Banque Worms (N° Lexbase : A5307ACK), Bull. civ. IV, n° 177.
(24) D. Plantamp, Le point de départ de la période de formation des sociétés commerciales, RTD com. 1994, p. 1.
(25) Cass. com., 7 décembre 1993, préc., note 13.
(26) Cass. civ. 3, 9 octobre 1996, préc., note 16.
(27) Cass. civ. 2, 25 juin 1997, n° 95-14.546, Société Caixabank France c/ Société du Garage et autres (N° Lexbase : A6548AHY), Defrénois 1997, p. 1287, n° 7, obs. H. Hovasse ; Dr. sociétés septembre 1997, n° 141, obs. Th. Bonneau. Cass. civ. 2, 30 mars 2000, n° 98-16.648, Société Henri Fabre, société civile immobilière et autres c/ M. Jean-François Remandé et autres (N° Lexbase : A9343AT9), Procédures juill. 2000, n° 171, obs. J. Junillon ; JCP éd. N 2000, n° 42, p. 1531, note J.-P. Garçon. V. auparavant, Cass. civ. 2, 18 mai 1989, n° 88-12.849, M. Miette et autre c/ M. Roaldes (N° Lexbase : A3617AHG), Bull. civ. II, n° 109 ; JCP éd. N 1990, II, p. 205, obs. J.-P. Garçon. Cass. civ. 2, 13 décembre 1995, n° 94-16.189, M. Marc Esteve et autres c/ M. Alain Saint-Cricq et autres (N° Lexbase : A8554CSM), Defrénois 1996, p. 665, obs. H. Hovasse ; Dr. sociétés mars 1996, n° 50, obs. Th. Bonneau ; RJ com. 1998, p. 19, note E. Putman.
(28) Cass. civ. 2, 19 décembre 2002, n° 00-20.250, M. Maurice Serafini c/ M. Joseph Goldenberg, FS-P+B premier moyen (N° Lexbase : A5050A4S), RJDA 2/2004, n° 162 ; Bull. Joly 2003, p. 483, note B. Saintourens.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Cession d'unité de production en phase de liquidation judiciaire : le transfert des contrats de travail s'impose !

Réf. : Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 04-14.788, M. Jean-François X, agissant en qualité de liquidateur de la société Arlanc productions SARL c/ M. Jean-Claude Y, pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Pierre d'Arlanc, P+B+R+I (N° Lexbase : A4285DQR)

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N1220ALR

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Le 07 Octobre 2010

Bien qu'elle ne constitue qu'une solution de transition, compte tenu des modifications apportées au droit positif par la loi sur la sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), la décision rendue le 7 juillet dernier par une Chambre mixte de la Cour de cassation présente une importance considérable. Cette dernière vient avant tout confirmer que, conformément aux prescriptions de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), le transfert des contrats de travail s'impose lors d'une cession d'unité de production après liquidation judiciaire. Elle précise, en outre, que la clause de la convention de cession d'une entité économique autonome, qui ne prévoit que la reprise d'une partie des salariés doit être réputée non écrite, sans qu'en soit affectée entre les parties la validité de la convention de cession.
Résumé

La clause de la convention de cession d'une entité économique autonome, qui ne prévoit que la reprise d'une partie des salariés, contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, doit être réputée non écrite, sans qu'en soit affectée entre les parties la validité de la convention de cession.

Décision

Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 04-14.788, M. Jean-François X, agissant en qualité de liquidateur de la société Arlanc productions SARL c/ M. Jean-Claude Y, pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Pierre d'Arlanc, P+B+R+I (N° Lexbase : A4285DQR)

Rejet (CA Riom, 24 mars 2004)

Textes visés : C. trav., article L. 122-12 (N° Lexbase : L5562ACY), C. civ., articles 1108 (N° Lexbase : L1014AB8) et 1131 (N° Lexbase : L1231AB9), C. com., article L. 622-17 (N° Lexbase : L3876HB8).

Mots-clés : liquidation judiciaire, cession d'une unité de production, transfert des contrats de travail, licenciements économiques

Liens base : ;

Faits

La SA Pierre d'Arlanc, entreprise de textile employant une centaine de salariés, a été mise en liquidation judiciaire le 16 juillet 1999. Au mois d'août suivant, son liquidateur a procédé au licenciement économique à titre collectif des salariés. Par la suite, le juge-commissaire a autorisé la cession d'une unité de production de ladite société à la société Arlanc productions, avec reprise de vingt-cinq salariés. La cession a été réalisée au mois de février et mars 2000.

Un arrêt de la cour d'appel de Riom, rendu le 5 juin 2001, a décidé que les contrats de travail de onze salariés non repris par le cessionnaire s'étaient poursuivis de plein droit avec celui-ci en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail et que leur licenciement était dépourvu d'effet. La société Arlanc productions, soutenant que cette décision modifiait les engagements qu'elle avait pris dans l'acte de cession en a demandé la nullité pour absence d'objet et de cause.

En sa première branche, le moyen soutient que la cession d'une unité de production faite en violation des dispositions d'ordre public de l'article L. 122-12 du Code du travail est sans effet, et qu'en rejetant l'action en nullité de la convention de cession du fonds de commerce qui ne prévoyait que la reprise partielle du personnel de l'unité de production cédée, la cour d'appel a violé l'article 1131 du Code civil, ensemble les articles L. 122-12 du Code du travail et L. 622-17 du Code de commerce.

En sa seconde branche, le moyen fait valoir que l'acte de cession litigieux ayant été conclu conformément à l'ordonnance du juge-commissaire, confirmée par jugement du tribunal de commerce, qui prévoyait une reprise partielle de salariés, la cour d'appel, qui aurait dû rechercher si l'erreur commise par le cessionnaire sur l'étendue de ses obligations n'était pas légitime au regard des décisions de justice rendues et n'entachait pas de nullité l'acte conclu, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1108 et 1131 du Code civil.

Solution

"La clause de la convention de cession d'une entité économique autonome, qui ne prévoit que la reprise d'une partie des salariés, contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, doit être réputée non écrite, sans qu'en soit affectée entre les parties la validité de la convention de cession".

Observations

I - Cession d'unité de production et maintien des contrats de travail

  • Rappels quant aux conditions d'application de l'article L. 122-12 du Code du travail

Aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 122-12 du Code du travail, "s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise" (1).

Ainsi que l'affirme avec constance la Cour de cassation depuis 1990, la disposition précitée s'applique "à tout transfert d'une entité économique, conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise" (Cass. Ass. plén, 16 mars 1990, n° 89-45.730, Procureur général près la Cour de Cassation c/ M Appart et autres N° Lexbase : A9499AA3 ; D. 1990, p. 306, note A. Lyon-Caen). En outre, "constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre" (Cass. soc., 7 juillet 1998, n° 96-21.451, Caisse primaire d'assurance maladie de Paris et autres N° Lexbase : A5565AC4) (2). Dès lors que les conditions d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, telles que précisées par la jurisprudence sont réunies, les contrats de travail continuent de produire effet en la personne du cessionnaire. Par suite, les licenciements qui auraient été prononcés avant l'opération de transfert pour éluder l'application de l'article L. 122-12 sont privés d'effet et le contrat de travail subsiste avec le nouvel employeur (Cass. soc., 20 janvier 1998, n° 95-40.812, Monsieur Guermonprez c/ Monsieur d'Abrigeon, publié N° Lexbase : A2504ACQ).

  • Exceptions au maintien des contrats de travail en cas de transfert d'entreprise

Il n'a jamais été contesté que les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail devaient s'appliquer dans le contexte des procédures collectives, que l'entreprise défaillante fasse l'objet d'un plan de redressement par voie de cession ou d'une liquidation judiciaire (V., sur la question, l'importante étude de L. Moreuil et P. Morvan, Cession d'unité de production après liquidation judiciaire et transfert des contrats de travail : un revirement ou une réforme s'impose, JCP éd. E 2004, n° 1897). Cela étant, dans les procédures régies par les textes antérieurs à l'application de la loi du 26 juillet 2005 sur la sauvegarde des entreprises (sur cette réforme, v. infra), la mise en oeuvre de l'article L. 122-12 du Code du travail est appréciée différemment selon que l'on se trouve en présence d'une cession de l'entreprise intervenant lors d'un redressement judiciaire ou lors d'une liquidation.

Si l'article L. 122-12, alinéa 2, s'applique de plein droit à une cession d'entreprise, même partielle, intervenue dans le cadre d'un plan de redressement judiciaire, il ne saurait concerner les salariés dont le licenciement a été autorisé par le plan de cession sur la base de l'ancien article L. 621-64 du Code de commerce (N° Lexbase : L6916AIY). En d'autres termes, leur contrat de travail ne saurait être transféré au cessionnaire (3). "L'article L. 621-64 du Code de commerce permet donc d'évincer l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail chaque fois que le jugement arrêtant le plan de cession indique le nombre des licenciements autorisés ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées" (L. Moreuil et P. Morvan, art. préc., p. 2061).

Curieusement, aucune disposition de ce type n'est prévue lorsque la cession de l'entreprise intervient lors de la liquidation judiciaire. Plus précisément, au cours de cette phase le juge-commissaire peut autoriser la cession "d'unités de production" (C. com., art. L. 622-17, ancien N° Lexbase : L7012AIK). Or, et ainsi que le juge avec constance la Cour de cassation, "la cession d'une unité de production composée de tout ou partie de l'actif mobilier ou immobilier d'une entreprise en liquidation judiciaire réalisée en vertu d'une autorisation du juge-commissaire entraîne de plein droit le transfert d'une entité économique autonome et, par voie de conséquence, la poursuite avec le cessionnaire des contrats de travail des salariés de l'unité transférée, peu important qu'ils aient été licenciés auparavant par le mandataire-liquidateur" (Cass. soc., 21 février 2006, n° 03-48.243, M. Bernard Brunet-Beaumel, agissant ès qualités de liquidateur de la société Nouvelle Chavagnas N° Lexbase : A1746DNY. V. aussi, Cass. soc., 19 avril 2005, n° 03-43.240, Mme Olivia Biard c/ Société ACEB Electronique et autres N° Lexbase : A9680DHY et notre chron., Cession d'unités de production après liquidation judiciaire et transfert des contrats de travail : la Cour de cassation maintien le cap !, Lexbase Hebdo n° 166 du 5 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N3804AIQ). Il faut, ainsi, comprendre que la cession d'une unité de production peut entraîner de plein droit la poursuite avec le cessionnaire des contrats de travail de l'unité de production cédée et rendre sans effet les licenciements prononcés par le mandataire liquidateur avant la cession.

Cette solution a pu, à très juste titre, être critiquée en ce qu'elle conduit à imposer au cessionnaire de reprendre tout le personnel de l'entité cédée, ce qui n'est guère conforme aux réalités économiques (en ce sens, L. Moreuil et P. Morvan, art. préc.) (4). Nonobstant leur pertinence, les arguments développés par ces derniers auteurs n'ont visiblement pas convaincu la Cour de cassation qui, réunie en Chambre mixte, vient confirmer la solution précitée. En fait de confirmation, celle-ci est en réalité, et si l'on peut dire, indirecte puisque cette Chambre mixte vient surtout condamner la clause de la convention de cession prévoyant la reprise d'une partie seulement des salariés. Mais cette condamnation n'est que la conséquence de la contrariété de la stipulation litigieuse aux dispositions de l'article L. 122-12 qui s'appliquait donc en l'espèce.

II - Nullité partielle de la convention de cession contraire à la règle du maintien des contrats de travail

  • Une solution justifiée

Contraint, en application de la jurisprudence précitée, de reprendre les salariés licenciés antérieurement à la cession de l'unité de production, le cessionnaire avait développé dans son pourvoi une argumentation audacieuse pour échapper à cette issue. Selon le moyen, en effet, il ne peut être dérogé par des conventions particulières aux dispositions d'ordre public, comme celles de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, de telles conventions étant nulles et sans effet. Or, en ne prévoyant que la reprise partielle de vingt-cinq personnes, la convention de cession était nulle car contraire aux dispositions du texte précité.

On admettra, avec l'auteur du pourvoi, qu'une convention de cession d'une entité économique autonome ne prévoyant que la reprise d'une partie des salariés est contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail. Est-ce à dire pour autant que cette convention est nulle ? C'est, on le devine, toute l'épineuse question de l'étendue de la nullité qui se trouve ici posée (V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, § 419 et s.). Pour aller à l'essentiel, on sait que la jurisprudence, à partir d'une interprétation large des articles 1172 (N° Lexbase : L1274ABS) et 900 (N° Lexbase : L3541ABR) du Code civil, admet que l'ensemble du contrat peut être atteint lorsque la clause critiquée a été "impulsive et déterminante" pour la volonté des parties ou lorsqu'elle a un caractère "indivisible".

Toutefois, et ainsi que le relève à juste titre l'avocat général dans son avis précité "on voit mal comment le cessionnaire pourrait être fondé à invoquer la nullité de l'ensemble de la convention de cession en arguant du caractère impulsif et déterminant d'une clause illicite dont il ne pouvait ignorer l'absence de validité lorsqu'il a consenti à l'opération".

Pour cette seule raison, on doit approuver la Cour de cassation d'avoir ici opté pour la nullité partielle, en déclarant simplement non écrite la clause de la convention de cession qui ne prévoyait que la reprise d'une partie des salariés.

  • Une solution de transition

Certains pourront être tentés, à la lecture de l'arrêt commenté, d'avancer qu'il s'agit "de beaucoup de bruit pour rien". En effet, et ainsi que nous l'avons laissé entendre précédemment, la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 a unifié le régime des cessions dans les procédures de redressement et de liquidation judiciaires. Plus précisément, cette réforme rend applicables à la liquidation comme au règlement judiciaires, les dispositions qui prévoient la possibilité de licenciements économiques en cas de cession de l'entreprise (C. com., art. L. 642-5 nouveau N° Lexbase : L3912HBI) (5). Désormais, le juge ne peut donc plus remettre en cause les licenciements sur le fondement de l'article L. 122-12 du Code du travail lorsque la cession de l'entreprise intervient durant la phase de liquidation judiciaire.

Si l'on comprend ainsi que la Cour de cassation n'ait pas souhaité procéder à un revirement de jurisprudence qui, en tout état de cause, aurait été bien tardif, il faut également souligner que la solution retenue dans l'arrêt rendu le 7 juillet 2006 conserve un intérêt pratique évident. Il convient, en effet, de rappeler que les dispositions de la loi du 26 juillet 2005 intéressant la cession de l'entreprise ne régissent que les procédures collectives ouvertes à compter du 1er janvier 2006. En conséquence, toutes les procédures ouvertes antérieurement à cette date restent soumises à la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW) et à la critiquable jurisprudence de la Cour de cassation dont l'arrêt sous examen ne constitue au fond qu'un simple rappel.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Sur l'ensemble de la question, v. par ex., J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 22ème éd., 2004, pp. 425 et s.
(2) V., pour ce qui est de la jurisprudence communautaire et dans le même sens, CJCE, 11 mars 1997, aff. C-13/95, Ayse Süzen (N° Lexbase : A7234AHE), Rec. CJCE 1997, p. 1259 ; Dr. ouvrier 1997, p. 353, note P. Moussy.
(3) A condition que le licenciement soit prononcé dans le délai d'un mois à compter du jugement arrêtant le plan de cession, ainsi que l'exige l'ancien article L. 621-64 du Code de commerce.
(4) Pour une justification de cette jurisprudence, on se reportera avec profit à l'Avis de M. de Gouttes, Premier avocat général, accompagnant l'arrêt commenté et disponible sur le site internet de la Cour de cassation.
(5) Pour plus de précisions sur cette aspect de cette importante réforme, v. R. Vatinet, Sur la place faite aux salariés par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, JCP éd. S 2005, n° 1230, spéc., §§ 12 et s. V. aussi le rapport préc. de M. R. de Gouttes.

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Sociétés

[Jurisprudence] Le droit de retrait de l'associé coopérateur

Réf. : Cass. com., 11 juillet 2006, n° 05-11.019, Société coopérative d'approvisionnement Paris-Est (SCAPEST), FS-P+B (N° Lexbase : A4495DQK)

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N1305ALW

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par Vincent Téchené, SGR - Droit des affaires

Le 07 Octobre 2010

Aux termes de l'article 1er de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 (loi n° 47-1775, 10 septembre 1947, portant statut de la coopération N° Lexbase : L4471DIG), "les sociétés coopératives sont des sociétés dont les objets essentiels sont :
1° De réduire, au bénéfice de leurs membres et par l'effort commun de ceux-ci, le prix de revient et, le cas échéant, le prix de vente de certains produits ou de certains services, en assumant les fonctions des entrepreneurs ou intermédiaires dont la rémunération grèverait ce prix de revient ;
2° D'améliorer la qualité marchande des produits fournis à leurs membres ou de ceux produits par ces derniers et livrés aux consommateurs.
3° Et plus généralement de contribuer à la satisfaction des besoins et à la promotion des activités économiques et sociales de leurs membres ainsi qu'à leur formation
". Cette loi, qui constitue le droit commun des sociétés coopératives, est complétée par de nombreux textes particuliers réglementant les diverses sociétés coopératives (par exemple, loi n° 83-657, 20 juillet 1983, relative au développement de certaines activités d'économie sociale [LXB=L4698GUK ], réglementant les sociétés coopératives artisanales et de transport, articles L. 124-1 N° Lexbase : L3182DYI et suivants du Code de commerce, relatifs aux sociétés coopératives de commerçants détaillants...). Quelle que soit l'activité déployée par la société, le principe est que les adhérents de ce type de société cumulent un double statut : ils sont des associés ayant participé à la constitution du capital social de la société, et ils sont des coopérateurs, c'est-à-dire, des fournisseurs ou des clients de la coopérative. La société coopérative étant, en principe, une société à capital variable, la loi prévoit un droit de retrait de l'associé coopérateur, et, en contrepartie, le droit d'exclusion est reconnu à la société. La faculté de se retirer leur est reconnue par les textes spécifiques aux coopératives (loi n° 47-1775, art. 7, 13 et 18) et par les dispositions relatives aux sociétés à capital variable (C. com., art. L. 231-6 N° Lexbase : L6278AID). Les conditions du retrait de l'associé, tout comme celles de son exclusion, sont, en principe, organisées par les statuts. A ce sujet, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 11 juillet 2006, que "n'est pas soumise au principe de la contradiction, la décision du conseil d'administration d'une société coopérative qui, appliquant les dispositions des statuts, fixe le montant des pénalités dues par l'associé coopérateur se retirant avant la fin de son engagement".

En l'espèce, les sociétés S. et T., qui exploitaient chacune un centre de distribution sous la même enseigne, ont, dans le cadre de l'organisation du mouvement de cette enseigne, adhéré à la société coopérative, centrale d'approvisionnement de la région Ile de France des centres distributeurs de ce mouvement. A la suite d'un différend, les sociétés S. et T. se sont retirées de la société coopérative et ont poursuivi leurs activités sous une autre enseigne. Ultérieurement, le conseil d'administration de la société coopérative a décidé d'appliquer aux sociétés S. et T. les pénalités prévues par ses statuts et son règlement intérieur et a demandé la condamnation de ces sociétés à lui payer les sommes fixées par ce conseil d'administration.

Or, la cour d'appel saisie du litige rejette la demande de la société coopérative, estimant que les statuts de la société coopérative, ayant une valeur contractuelle, les pénalités prévues en cas de retrait d'un associé constituent des clauses pénales soumises à l'appréciation du juge, Et les juges du fond d'en déduire que "dans la mesure où l'application des pénalités ne revêtait pas de plein droit un caractère automatique, mais relevait au contraire du pouvoir d'appréciation du conseil d'administration, il incombait à la société [coopérative], en application de l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), d'assurer le caractère contradictoire de la décision de son conseil d'administration en adressant avec un délai suffisant aux représentants des sociétés [S. et T.] une convocation dûment motivée quant à l'objet de la réunion pour leur permettre de présenter des observations et moyens de défense tant sur l'opportunité de l'application de telles sanctions que sur la proportionnalité au préjudice réellement causé à la [société coopérative] par leur retrait anticipé". Par conséquent, la cour d'appel annule la décision du conseil d'administration, prise en violation du principe du contradictoire.

La Haute juridiction casse cette décision estimant, au contraire, que cette décision prise en application des statuts, n'est pas soumise au principe du contradictoire. 

Cet arrêt promis aux honneurs du Bulletin annuel de la Cour de la cassation rappelle l'existence d'une droit de retrait de l'associé coopérateurs, et permet de revenir sur les principes l'encadrant (I), et pose, très clairement, la non-soumission aux droits de la défense de la décision du conseil d'administration statuant sur le montant de la pénalité statutairement prévue, en cas de l'exercice par l'associé coopérateur de son droit de retrait (II). 

I - Les principes encadrant le retrait de l'associé coopérateur

Le droit de se retirer de l'associé coopérateur est issu des textes législatifs. S'agissant du "droit commun" des sociétés coopératives, c'est-à-dire de la loi du 10 septembre 1947, les articles 7 et 18 consacrent implicitement ce principe. L'article 7 (N° Lexbase : L2164ATC) énonce, en effet, que les statuts fixent les conditions d'adhésion, de retrait et d'exclusion des associés ; l'article 18 dispose quant à lui que "l'associé qui se retire ou qui est exclu, dans le cas où il peut prétendre au remboursement de ses parts, a droit au remboursement de leur valeur nominale".

Mais, ce droit de retrait de l'associé coopérateur est également prévu par les dispositions applicables aux sociétés à capital variable, et plus précisément, par l'article L. 231-6 du Code de commerce. Aux termes de ce texte, "chaque associé peut se retirer de la société lorsqu'il le juge convenable [...]". Il convient également de réserver les dispositions spécifiques à certaines formes de sociétés coopératives. Ainsi, par exemple, sauf en cas de force majeure, dûment justifiée et soumise à l'appréciation du conseil d'administration, nul associé d'une société coopérative agricole ne peut se retirer de la coopérative avant l'expiration de sa période d'engagement (C. rur., art. R. 522-4 N° Lexbase : L6658AEC).

Si le principe du retrait existe, il peut apparaître peu compatible avec les intérêts de la société coopérative, celle-ci ayant besoin d'une certaine stabilité de ses associés coopérateurs. C'est pourquoi le droit de retrait n'est pas absolu et supporte certaines restrictions. Les limites sont apportées par la loi mais aussi, et surtout, par les statuts, ceux-ci, fixant, notamment, les conditions de retrait de l'associé coopérateur (loi n° 47-1775, art. 7).

On retrouve, traditionnellement, deux clauses restrictives du droit de retrait, l'une prévoyant un engagement à durée déterminée (cf., supra, l'obligation de prévoir, dans les statuts, une telle durée pour les sociétés coopératives agricoles), l'autre stipulant le versement d'une indemnité par l'associé retrayant. Certes ces deux clauses sont, de prime abord, validées par la jurisprudence, mais elles ne doivent pas, pour autant, avoir pour effet de rendre impossible le retrait de l'associé. Les tribunaux vont donc vérifier la portée des clauses restrictives de la liberté de départ de la société coopérative.

C'est ainsi que la Cour de cassation condamne les clauses statutaires incompatibles avec le respect de la liberté individuelle, ce qui n'est pas le cas lorsque l'engagement est conclu pour un laps de temps supérieur à la durée moyenne de la vie professionnelle. La Haute juridiction a, ainsi, sanctionné la clause imposant un engagement de 99 ans (Cass. civ. 1, 3 juillet 1973, n° 72-10.001, Menthon c/ Société coopérative laitière agricole de Viuz-La-Chiesaz, publié au bulletin N° Lexbase : A8952CEB), ou de 50 ans (Cass. civ. 1, 27 avril 1978, n° 76-14071, Tramier c/ Cave Coopérative de Prignac-Médoc, publié au bulletin N° Lexbase : A1872CKK). Sur ce point, si le principe est intangible, la notion de "durée moyenne de la vie professionnelle" semble complexe à appréhender, puisque la Haute juridiction a validé une clause imposant un engagement pour une durée de 30 ans (Cass. com., 22 février 2000, n° 97-17020, Société des Marchés usines Samu-Auchan et autres c/ Groupement d'achats des centres distributeurs Leclerc-GALEC et autre, publié au bulletin N° Lexbase : A5207CIP) mais a estimé qu'un engagement d'activité de 36 ans était excessif (Cass. civ. 1, 18 janvier 2000, n° 98-10.378, Société Coopérative agricole laitière de Saint-Bonnet-de-Salers c/ M. Basset N° Lexbase : A5405AW4).

La liberté de retrait de l'associé peut également être limitée par une clause statutaire prévoyant le paiement d'une pénalité. Le versement de cette indemnité peut être combiné avec la clause exposée ci-dessus et prévoyant une durée d'engagement minimum. Bien sûr l'indemnité statutairement prévue ne devra pas faire obstacle au libre exercice de son droit de retrait par l'associé retrayant. Ce sera le cas si le montant mis à la charge de l'associé coopérateur est manifestement excessif. Dans ce cas, en effet, la clause pourra être qualifiée de clause pénale, permettant aux magistrats d'en réviser le montant (pour une décision validant une clause mettant à la charge de l'associé retrayant le paiement d'une indemnité de 1,20 % du chiffre d'affaires annuel du sortant, dans la mesure où cette pénalité ne fait pas obstacle au libre exercice du droit de retrait, voir CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 28 novembre 2002, SA Sodimer c/ SA Coopérative d'approvisionnement Galec N° Lexbase : A7711A4D, et lire N° Lexbase : N5905AAX).

Ce raisonnement n'a rien de surprenant. En effet, la liberté contractuelle permet d'aménager une disposition d'ordre public, tant que ces aménagements n'ont pas pour conséquence de vider la règle de sa substance. L'on retrouve le même raisonnement jurisprudentiel, en droit des sociétés, en matière d'indemnisation en cas de révocation d'un dirigeant social. En effet, les sommes prévues dans le contrat liant le dirigeant à la société, en cas de révocation de ce dernier ne doivent pas avoir pour effet de faire obstacle au principe de révocabilité ad nutum (v., parmi l'abondante jurisprudence sur le sujet, Cass. com., 4 juin 1996, n° 94-15.238, M. Fournier c/ M. Mesly d'Arloz, publié N° Lexbase : A1425ABE).

Dans l'espèce rapportée dans l'arrêt du 11 juillet 2006, les statuts prévoyaient, ainsi, la possibilité pour les associés coopérateurs de se retirer moyennant le versement de pénalités. La clause ne stipulait pas un montant déterminé puisque le conseil d'administration a fixé le montant de la pénalité. Comme dans toute stipulation contractuelle, le montant doit, en effet, seulement être pour le moins déterminable.

Pour mémoire, on rappellera qu'une autre limite au droit de retrait de l'associé coopérateur est issue du droit des sociétés à capital variable. En effet l'article L. 231-6 du Code de commerce dispose que "chaque associé peut se retirer de la société lorsqu'il le juge convenable [...] et sauf application du premier alinéa de l'article L. 231-5 (N° Lexbase : L6277AIC)". Ce texte prévoit que "les statuts déterminent une somme au-dessous de laquelle le capital ne peut être réduit par les reprises des apports". S'agissant des sociétés coopératives, l'article 13 de la loi du 10 septembre 1947 impose que "dans les coopératives constituées sous forme de sociétés à capital variable régies par les dispositions du titre III de la loi du 24 juillet 1867 [C. com., art. L. 231-1 (N° Lexbase : L6273AI8) à L. 231-8 (N° Lexbase : L6280AIG)], la somme au-dessous de laquelle le capital ne saurait être réduit par la reprise des apports des associés sortants ne peut être inférieure au quart du capital le plus élevé atteint depuis la constitution de la société". Le retrait des associés ne doit donc pas conduire à une réduction du capital au-dessous de la somme plancher énoncée par cette disposition.

L'associé qui se retire de la société coopérative doit donc respecter certaines dispositions légales et contractuelles. L'arrêt du 11 juillet 2006 en est une illustration puisque les associés retrayant devaient, en l'espèce, verser une indemnité, statutairement prévue. Toutefois, dans cette espèce, si les coopérateurs ne contestaient pas devoir verser des pénalités, ils estimaient devoir être entendus par le conseil d'administration fixant leur montant, en application des droits de la défense. Tel n'est pas l'avis de la Haute cour. 

II - La non-soumission aux droits de la défense de la décision du conseil d'administration fixant le montant des pénalités, statutairement prévues, dues par l'associé coopérateur se retirant

La cour d'appel avait accédé aux demandes des associés coopérateurs en annulant leur condamnation, celle-ci ayant été prononcée par un conseil d'administration qui n'avait pas respecté les droits de la défense. Pour justifier de ce que cet organe de gestion interne à la société se devait de respecter un tel principe procédural, et plus particulièrement le principe du contradictoire, les juges du fond retiennent que dans le cas qui est soumis à leur appréciation, l'application des pénalités ne revêtait pas de plein droit un caractère automatique, mais relevait, au contraire, du pouvoir d'appréciation du conseil d'administration.

A priori, cette position n'apparaît pas dénuée de fondement. Elle pourrait sembler justifier au regard de la jurisprudence relative à l'obligation faîte au conseil d'administration et aux assemblées d'actionnaires de respecter les droits de la défense et le principe du contradictoire.

C'est une fois de plus, en matière de révocation des dirigeants sociaux, que la jurisprudence est la plus abondante. Ainsi, la Cour de cassation a consacré, dans un arrêt du 26 avril 1994 (Cass. com., 26 avril 1994, n° 92-15.884, M. Pesnelle c / Société Autoliv Klippan N° Lexbase : A7047ABM) le principe, régulièrement réaffirmé depuis (voir, par exemple, Cass. com., 24 février 1998, n° 95-12.349, M. Gérard Quentin c/ Société Yrel electronics N° Lexbase : A0023AUE), selon lequel la procédure de révocation d'un mandataire révocable ad nutum devait lui permettre de présenter préalablement et contradictoirement ses observations.

Mais, il en est, également, ainsi en matière d'exclusion d'un associé coopérateur, puisque les magistrats exigent que celui-ci puisse faire valoir ses droits et profiter du principe du débat contradictoire (Cass. com., 21 juin 1994, n° 92-16.985, M. Laiguede c/ Société Système U Normandie et autres, inédit, N° Lexbase : A1581CY9). Dans cet arrêt la Chambre commerciale de la Cour de cassation a, en effet, estimé qu'un article des statuts, permettant au conseil d'administration de décider, lorsqu'il prononce l'exclusion d'un associé, que ses droits de coopérateur sont suspendus jusqu'à la notification de la décision, qui sera prise par l'assemblée générale, impose que l'intéressé ait été, préalablement, mis en mesure de s'expliquer sur la mesure d'exclusion.

Toutefois, le respect des droits de la défense devant le conseil d'administration, ou devant l'assemblée générale, n'autorise pas le coopérateur à imposer la présence d'un avocat, la procédure devant ces organes n'étant pas soumise à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (cf. pour une société coopérative agricole, Cass. civ. 1, 16 juin 1993, n° 91-15.649, Mme Pecorini c/ Cave coopérative vinicole Santa Barba de Sartène N° Lexbase : A3667ACS, et plus récemment pour la décision relative à la révocation de la gérante et son exclusion d'une SELARL, Cass. com., 10 mai 2006, n° 05-16.909, Groupement d'analyses médicales de l'Atlantique (GAMA) c/ Mme Hélène Susini, épouse de Luca, FS-P+B N° Lexbase : A3792DP7 et lire M. Parmentier, Du respect des droits de la défense dans le cadre de la révocation et de l'exclusion d'un gérant associé d'une SELARL, Lexbase Hebdo n° 216 du 24 mai 2006 - édition affaires N° Lexbase : N8680AKP). Dans ces deux arrêts, rendus à 13 ans d'intervalle, la formule employée par la Haute juridiction est identique. Elle pose comme principe que l'assemblée générale n'est pas un organisme juridictionnel ou disciplinaire, mais un organe de gestion interne à la société, dont la décision relève du contrôle juridictionnel du tribunal de grande instance.

L'arrêt du 11 juillet 2006 nous inviterait-t-il à distinguer la décision visant à déterminer le montant de le la pénalité de celle qui détermine l'existence même de la sanction ? En effet, l'exclusion d'un associé coopérateur est exclusivement prononcée en cas de faute grave de l'associé, compromettant le bon fonctionnement de la société. Ainsi, la procédure imposée par la jurisprudence semble se justifier par le caractère sanctionnateur de l'exclusion. Or, l'associé, à l'encontre duquel une procédure d'exclusion est enclenchée, doit pouvoir être entendu, afin d'apporter ses observations sur l'existence même de la faute qui lui est reprochée ou sur la gravité de celle-ci.

Dans l'arrêt du 11 juillet 2006, la décision du conseil d'administration, n'a pas pour objectif de déterminer l'existence de la sanction mais, seulement, de définir le montant de l'indemnité allouée à la société en raison du retrait d'un associé, indemnité dont le principe est prévu par les statuts de la société. Les deux associés coopérateurs se retirent de la société en pleine connaissance de cause, en admettant le paiement d'une pénalité. Si le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire se justifient lorsque l'organe de gestion interne à la société exerce un "pouvoir de sanction", il n'a pas lieu d'être lorsqu'il ne fait que déterminer le montant d'une sanction dont l'existence n'est pas contestée.

Dans ce cas, rien n'empêche les associés de saisir ultérieurement le juge en vue de contester le montant de la pénalité mise à leur charge pour voir constater son caractère excessif.

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Droit financier

[Doctrine] Les obstacles réglementaires au rapprochement NYSE/Euronext ou, de la difficulté à rédiger un contrat de mariage lorsqu'il y a plus d'un droit et plus de deux prétendants

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Le 07 Octobre 2010

"Un universalisme planétaire de l'économie de marché" (1), c'est ainsi que Gérard Farjat décrivait, il y a une quinzaine d'années, la mondialisation à travers la notion de droit économique. Entre temps, l'utopie de la constitution heureuse d'un "village mondial" (2) par le commerce aura vécu et c'est maintenant du côté des marchés financiers que le mouvement d'unification s'amorce, celui-ci ayant franchi une étape supplémentaire depuis que la fusion d'Euronext et du New York Stock Exchange (NYSE) est à l'ordre du jour. Mais le mariage était à peine finalisé -du moins le croyait-on-, qu'un nouveau prétendant s'avançait, comme dans les mauvais vaudevilles. En effet, alors que, par un communiqué commun en date du 1er juin 2006, le NYSE et Euronext N.V. annonçaient "un accord en vue d'une fusion entre égaux" (3), l'affaire a connu un nouveau rebondissement. A l'heure actuelle, alors que les pouvoirs publics français manifestent leur hostilité au projet, au point que certaines interventions prennent, au plus haut niveau (4), un aspect diplomatique, c'est la bourse de Francfort qui est pressentie -après le rejet d'une première offre solitaire- pour se poser en concurrent direct de la bourse américaine pour la fusion avec Euronext (5). Le 10 juillet dernier, l'annonce au marché d'une contre-proposition émanant de la Deutsche Boërse et de la Borsa Italiana, opérateurs de marché de Francfort et Milan, relançait, soudain, l'intérêt d'une concentration strictement européenne. On ne reviendra pas sur l'abondance de détails présentés dans la presse quant aux intérêts économiques respectifs de l'une ou l'autre des unions mais davantage sur les obstacles juridiques qui semblent devoir grever l'option américaine.

A ce titre, ces obstacles réglementaires sont apparus suffisamment importants pour qu'une commission, chargée de les évaluer ait vu le jour à l'initiative des cinq régulateurs européens concernés par la fusion (6). Pour notre part, il apparaît que, dans un cadre strictement juridique, deux séries de problèmes surgissent : les uns tenant à la nature et au fonctionnement des marchés réglementés (I) tels qu'ils sont appréhendés en droit communautaire, les autres, tenant à la nécessité d'envisager une forme particulière d'harmonisation pour le droit des sociétés cotées (II).

I - La notion de marché réglementé au coeur du débat

Le premier problème relatif à la fusion tient à l'existence, depuis l'adoption de la Directive sur les services d'investissement (Directive 93/22 du Conseil, du 10 mai 1993, concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières N° Lexbase : L7726AUP), d'un nouveau type de marché, dit réglementé, concept issu de la transformation des anciennes bourses étatiques (A). La gestion de ces marchés par des entreprises de marché a été l'enjeu de rapprochements entre ces dernières aux fins d'une modernisation de la gestion des opérations (B).

A - L'évolution de l'encadrement étatique de la bourse

La définition que les juristes donnaient naguère de la bourse illustre le chemin parcouru depuis une décennie, lorsqu'on ne pouvait y voir qu'un "marché public" (7), tant en raison de son fonctionnement que dans son encadrement par la puissance publique. Le fonctionnement de la bourse, comme ancêtre administratif du marché a, ainsi, été, en premier lieu, rattaché par la jurisprudence à une activité relevant du service public (8). Son encadrement a, en second lieu, fait l'objet d'une évolution dont l'historique est complexe, avec ses flux et ses reflux vers le plus ou moins d'Etat, mais dont le mouvement général a, jusqu'à la période contemporaine, toujours abouti à la restauration de la tutelle de l'administration.

Pour n'en résumer que les étapes essentielles, ces modifications se sont successivement traduites par des mutations quant à la nature des institutions chargées de la surveillance et de l'encadrement des transactions. A l'origine, la bourse est officiellement établie par un arrêt du Conseil du Roi du 28 septembre 1724, dans un contexte troublé par la crise financière de 1721 qui suit la faillite du système de Law. Ce contexte de crise impose l'idée de la nécessité d'un contrôle administratif des opérations boursières. Le statut d'agent de change apparaît à cette occasion, mais ce dernier ne deviendra un monopole que lors de l'édiction du Code de commerce en 1807 (9). C'est ainsi que le contrôle de la bourse, administratif, passe sous une emprise corporatiste. Celle-ci se renforcera grâce à l'ordonnance royale de 1816 qui emportera l'établissement de la Compagnie nationale et de la Chambre syndicale des agents de change, les dotera de compétences disciplinaires et de la faculté d'organiser les marchés. Un décret du 7 octobre 1870 parachèvera le dispositif. Toutefois, le contrôle étatique demeure présent en raison de la nature administrative de la réglementation boursière. Ainsi, la loi du 14 février 1942 instituera le Conseil des bourses de valeur, mais toujours dans le cadre étroit d'une tutelle administrative, la création de la COB par l'ordonnance du 28 septembre 1967 renforçant encore l'aspect administratif du contrôle.

L'époque moderne, en définitive, débutera avec la loi du 22 janvier 1998 (10) qui mettra fin au statut des agents de change et supprimera les structures corporatives, les fonctions de la chambre syndicale étant, désormais, assumées par une société commerciale. C'est, enfin, avec la construction européenne que l'idée de la division de la tutelle technique et administrative des marchés s'imposera réellement (une autorité de marché d'un côté, un gestionnaire de l'autre). Elle ne le sera, d'ailleurs, que pour des raisons extrinsèques au fonctionnement de la bourse puisque cette évolution a eu pour origine la mise en oeuvre de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services financiers. Dans cet espace financier unique que devenait l'Europe des marchés de capitaux, ces derniers ont, en effet, été conçus comme pouvant rentrer en concurrence et leur gestion a été confiée, à cette fin, à des entreprises de marché indépendantes des Etats (11). Dans le même temps, toujours en raison de la nécessité de mettre tous les espaces de transaction en concurrence, l'encadrement et la mise en oeuvre des opérations sont devenus des activités purement privées, perdant, de la sorte, leurs qualités de services publics (12).

Que reste-t-il donc de l'encadrement étatique de la bourse, qui pourrait empêcher la fusion entre Euronext N.V et le NYSE ? Beaucoup de choses, en dépit de l'affirmation de l'existence d'une libre concurrence entre marchés de l'Union et au-delà des manifestations -un peu désuètes- d'une certaine forme de patriotisme économique. Sur ce point, le fond mérite d'être distingué de la forme.

Sur le fond, une compétence essentielle est demeurée la prérogative des Etats membres : la protection de l'investisseur. Activité relevant de l'intérêt général, cette protection, focalisée sur le consommateur de produit financier, davantage que sur l'investisseur professionnel, justifie le maintien de certaines prérogatives de puissance publique relevant d'une sorte d'ordre public économique de protection. Institutionnellement, cette protection, initialement assurée par la Commission des opérations de bourse, l'est désormais par l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui l'a remplacée dans cette mission.

Sur la forme, et nous nous en sommes déjà expliqué amplement dans ces colonnes (13), la notion de bourse, avec toutes ses ambiguïtés, était destinée à disparaître avec l'avènement de la Directive sur les services d'investissement, mais la négociation de ce texte a donné lieu à un compromis qui a débouché sur l'émergence d'un nouveau concept, celui de marché réglementé. Ce dernier est, cependant, défini d'une façon plus que succincte puisque ces marchés consistent, aux termes de l'article L. 421-3 du Code monétaire et financier (14), en des espaces de transaction présentant un fonctionnement régulier, fixé par des règles de marché, règles qui sont elles-mêmes approuvées par l'autorité de régulation ; or, l'importance des marchés réglementés ne peut être mesurée à l'aune de cette approche strictement procédurale. D'une part, leur existence garantit les investisseurs et permet la défense de l'épargne publique. Ils sont donc placés directement sous le contrôle de l'autorité de régulation au titre de la protection des consommateurs de produits financiers. Ces marchés ne peuvent être créés, d'autre part, qu'avec l'autorisation de la puissance publique et, en définitive, leur fonctionnement doit être garant de la possibilité, pour un consommateur sans expérience particulière de la bourse, de bénéficier d'un traitement en tout point conforme à celui qui est réservé aux autres opérateurs particuliers, et ce, dans des conditions de sécurité et d'information maximales.

Quelle différence, alors, entre l'encadrement des opérations sous l'ancien régime boursier et celui qui prévaut sous l'égide des marchés financiers ? Les éléments de réponse figurent essentiellement dans les aspects institutionnels que nous avons évoqués précédemment : la gestion de ces marchés est confiée à des personnes privées dont les liens avec la puissance publique sont beaucoup plus ténus que par le passé. Autrement dit, c'est la nature de l'opérateur qui change mais non sa mission. Utilisant cette situation privilégiée, les entreprises de marché vont jouer à plein, en termes de développement, des possibilités qui leur étaient offertes par leur statut privé même si leur statut en faisait des relais de la puissance publique quant à la protection des épargnants.

B - La concentration des gestionnaires de marchés

La réforme des marchés financiers à peine achevée, le mouvement de concentration des opérateurs sur les marchés réglementés s'entame vers la fin des années quatre-vingt-dix. Initié d'abord en droit interne par le regroupement des chambres de compensation, il s'est poursuivi au plan international alors qu'une seule entreprise de marché française gérait les marchés et avait été reconnue es qualité. L'ancienne Société des bourses françaises (SBF), seul gestionnaire privé de la bourse depuis la réforme de 1988, s'est donc transformée pour devenir l'unique entreprise de marché française. Le particularisme de la gestion des marchés réglementés est apparu dès lors, puisque cette gestion était réalisée par une société privée placée par l'Etat en situation de monopole, quand bien même elle ne pouvait plus prétendre être titulaire de la gestion du service public boursier.

Cette situation, fruit de l'évolution des prestations de services financiers, se retrouvant dans la plupart des autres Etats membres, certains gestionnaires de marchés ont pu envisager leur réunion sous une forme juridique unique afin de constituer ce qui a vite été décrit comme le marché "pan-européen". Avec cette dénomination, ambitieuse comme une bannière : Euronext, ce dernier naît le 22 septembre 2000 de la fusion économique des trois bourses européennes de Paris, de Bruxelles et d'Amsterdam (15) -l'entité absorbera par la suite Lisbonne ainsi que le Liffe (marché de dérivés) Londonien (16)-. Il introduit, au plan juridique, un nouvel agencement des entreprises de marché puisque ce sont les gestionnaires des marchés domestiques de ces Etats membres qui sont désormais sociétés-filles d'une mère de droit néerlandais : Euronext N.V. En droit interne, c'est, en principe, la filiale de la place, Euronext Paris SA, qui est en charge de l'élaboration de la réglementation propre aux marchés réglementés. C'est, en revanche, au sein de la mère néerlandaise que les règles de marché dites "harmonisées", en date du 20 juillet 2001 (17), vont être établies pour unifier les opérations.

La protection de l'investisseur, qui demeure au coeur de la préoccupation du législateur communautaire, n'en est pas moins préservée, ne serait-ce que par l'application des mécanismes de hiérarchie des normes : les réglementations locales des opérations découlent de textes de lois nationaux, eux même issus de la Directive communautaire sur les services d'investissement. On pourrait, en revanche, être plus réservé, sur l'innocuité du regroupement au regard du droit de la concurrence car les rédacteurs de la Directive avaient ouvertement souligné qu'ils attendaient de la réforme européenne des marchés financiers l'apparition d'une concurrence entre entreprises de marché. Dans les faits, on a surtout assisté à une concurrence involontaire entre Etats par entreprises de marché interposées, et la concurrence s'est déplacée vers un petit nombre de pôles boursiers, autour des places principales que constituaient Londres, Francfort et Paris.

Ces pôles eux mêmes, ont rapidement été tentés par des opérations de croissance externe, croissance d'autant plus facilitée que les entreprises de marché, en tant qu'entités privées, étaient elles-mêmes cotées sur les marchés et, donc, vulnérables aux mécanismes d'offre publique. Difficile, dans ce cas, de voir dans l'entreprise de marché un organisme susceptible de garantir la protection de l'investisseur alors qu'elle est en situation de faire l'objet d'offres publiques, avec les menaces de discontinuité dans l'exploitation et de perte de sécurité qui seraient susceptibles d'en résulter. Rien d'étonnant, alors, que, durant cette période caractérisée par la croissance externe de certains gestionnaires de marché, le rôle des autorités de régulation, comme celui de l'AMF pour la France, ait été accru de façon significative face aux risques qui pesaient sur les entreprises de marché.

La période qui a suivi la constitution d'Euronext a, également, été fertile en tentative de rapprochement, de rachat ou de prise de participation entre les entreprises de marché. Pour des raisons diverses, mais auxquelles certaines considérations politiques n'étaient pas étrangères, ces regroupements ont cependant échoué. Dernier en date, la tentative de rachat du London Stock Exchange (LES) par Euronext n'a pas non plus abouti. Toutefois, le problème évoqué dans ces colonnes l'année dernière (18) ne venait pas, en l'espèce, d'un souci de défendre des marchés réglementés car cette notion semble définitivement restreinte aux bourses continentales, mais bien de l'appréciation par les autorités de la concurrence du Royaume-Uni de la position concurrentielle d'Euronext sur les marchés boursiers locaux.

Le problème du respect de la libre concurrence ne se pose pas, toutefois, de façon aussi aiguë que pour les autres secteurs économiques : le point a été souligné auparavant, les marchés financiers ont longtemps constitué le pré carré de la puissance publique au point d'en faire des bourses placées, dans certains ordres juridiques -et notamment le nôtre- sous un régime administratif. L'adaptation de leur fonctionnement à une économie de marché est ainsi trop récente pour qu'on puisse estimer que, par rapport à la situation qui prévalait encore il y a une dizaine d'années, la fusion puisse être envisagée comme ayant un effet anti-concurrentiel. On peut, par ailleurs, attendre de cette dernière une amélioration du coût des prestations pour les investisseurs, ainsi que des gains technologiques, toutes évolutions censées compenser la disparition d'un opérateur sur le marché. Enfin, la question de la pertinence de l'application du droit de la concurrence aux marchés financiers mérite, incidemment, d'être soulevée. Pourquoi tenter, en effet, d'appliquer un droit conçu dès l'origine pour pallier aux dysfonctionnements de marchés imparfaits alors que la constitution d'une bourse a pour seule vocation de créer un marché sinon parfait, du moins affranchi de la plupart des imperfections que le droit de la concurrence est destiné corriger ?

Toute hypothèse d'atteinte à la concurrence étant, ainsi, délicate à apprécier dans le cadre des marchés financiers en raison de leur globalisation et surtout des avantages dont les investisseurs seraient susceptibles de bénéficier, reste seule en lice la question épineuse de la défense des investisseurs. En effet, si, dans un contexte de construction d'un marché multinational mais placé sous l'égide du seul droit communautaire, l'intérêt de l'épargnant est susceptible d'être préservé ; rien ne permet d'obtenir de telles garanties en cas de fusion de l'entreprise de marché avec une entité ne relevant pas du droit européen.

C'est sans doute dans cette optique de préservation des intérêts des épargnants que l'adoption d'une structure originale a été proposée pour finaliser la fusion avec le NYSE. Ainsi, la création d'un trust est une voie qui vient d'être envisagée afin de protéger Euronext -qui obéit, du fait de son origine européenne, à des règles particulières- des investigations de la Securities Exchange Comission (SEC), le gendarme américain de la bourse. Ce mécanisme, qui avait été imaginé par Euronext lors de sa tentative de rachat avorté avec le LSE, afin d'éviter que l'un des partenaires "ne puisse vider l'autre de sa substance", constitue une voie nouvelle que les initiateurs du projet viennent de proposer afin de parer aux critiques qui peuvent leur être faites. C'est ainsi que le trust envisagé pourrait détenir les droits de vote et les autorisations obtenues sur les places de Paris, Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne, c'est-à-dire, essentiellement les droits relatifs à l'encadrement des marchés réglementés, mais ne pourrait prétendre à la détention d'aucun actif économique au sens strict. Le communiqué, annonçant cette modification des conditions juridiques du rapprochement ajoutant, par ailleurs, qu'il pouvait être envisagé "la mise en place d'une clause de sauvegarde qui permettrait d'opérer, si besoin, un découplage temporaire des structures européenne et internationale du groupe" (19).

Une autre solution pourrait être envisagée, consistant à adopter une réglementation boursière dualiste, et plus précisément, américaine et communautaire. Mais, si cette approche est envisageable au plan juridique, elle paraît illusoire au plan économique où les fusions ont principalement pour objectif de déboucher sur une certaine forme de standardisation. En l'espèce, le droit des marchés financiers n'échapperait pas à la règle sous peine de priver l'opération projetée de l'essentiel de ses avantages. Cette remarque renvoie, ainsi, directement à la deuxième série d'obstacles susceptibles d'entraver la fusion entre le NYSE et Euronext N.V. : les difficultés à harmoniser le droit des sociétés cotées.

II - L'harmonisation du droit des sociétés cotées en question

S'il est bien une difficulté réglementaire dont la presse économique s'est fait l'écho, c'est celle de l'adaptation des entreprises cotées sur Euronext à la loi "Sarbanes-Oxley" (A). Pourtant, derrière cet obstacle, qui semble loin d'être insurmontable, s'en dessine un autre, plus considérable, qui tient aux enjeux de la création d'un véritable circuit global de financement des entreprises : l'impossibilité -à court terme- de réaliser une harmonisation mondiale du droit des sociétés (B).

A - L'obstacle réglementaire médiatisé : la loi "Sarbanes-Oxley"

L'une des difficultés présentées par la presse économique comme pouvant ralentir la fusion transatlantique était le risque que les sociétés cotées sur les marchés Euronext soient contraintes de s'adapter aux normes comptables et juridiques applicables aux sociétés cotées aux Etats-Unis d'Amérique. Or, cet obstacle est plus supposé que réel, pour deux séries de raisons.

La première est d'ordre pratique et concerne les contraintes qui s'imposent aux sociétés majeures, dites parfois globales qui commercialisent leurs produits et services sur la plupart des marchés internationaux. Ces sociétés, en effet, sont déjà fortement internationalisées, et la plupart d'entre elles assurent une part de leur activité sur le marché nord-américain, leur exploitation commandant, par ailleurs, l'internationalisation de leurs sources de financement. Dès lors, la soumission aux règles de droit des sociétés (et non plus de droit boursier américain) constitue une contrainte que les entreprises qui prétendent -ou peuvent prétendre- à une globalisation de leur activité ont déjà intégré dans leur stratégie. Le problème ne se poserait donc, éventuellement, que pour les sociétés dont l'activité est destinée à demeurer locale, c'est-à-dire soit nationale soit européenne.

Pour ces dernières, toutefois, -et c'est là la seconde remarque qui peut être faite quant à la neutralité de la loi "Sarbanes-Oxley"- le projet de rapprochement contenait, dès l'origine, un certain nombre de données susceptibles de permettre de conclure au maintien du cloisonnement juridique et au respect du droit interne des Etats membres concernés par la fusion d'Euronext. A ce titre, le communiqué de presse du 1er juin 2006 établissait l'organisation suivante : "Chacun des marchés gérés par NYSE Euronext [la nouvelle société issue du projet de fusion] continuera d'être régulé conformément aux exigences et règles locales. Plus spécifiquement, les marchés européens de NYSE Euronext continueront à être régulés par leurs régulateurs actuels, et la SEC continuera quant à elle à réguler exclusivement les marchés situés aux Etats-Unis" (20).

Ainsi, l'organisation des différents marchés a été conçue comme une réplique de celle qui a été adoptée par Euronext N.V. afin d'éviter les problèmes liés à la gestion des marchés réglementés, eux-mêmes issus du maintien du privilège étatique de défense de l'épargne publique. La solution a consisté à filialiser les anciens gestionnaires de marchés nationaux (Euronext Paris, par exemple, pour la place nationale) et l'intégration future de ces filiales au sein d'une nouvelle holding pourrait, de la sorte, fonctionner selon les mêmes contraintes. En l'espèce, les disparités normatives locales n'ont pas empêché des sociétés obéissant à des régimes juridiques aussi divers que ceux qui régissent les entreprises portugaises, néerlandaises et françaises, d'intégrer, sans subir de contraintes excessives, les différents espaces de cotation qui leur étaient propres. C'est d'ailleurs un point que soulignait déjà le communiqué de presse commun d'Euronext N.V. et du NYSE : le développement d'Euronext N.V. "et le modèle d'intégration d'Euronext génèrent des synergies par l'incorporation des forces et des atouts individuels de chaque marché local, démontrant que la meilleure manière de fusionner les bourses européennes est d'appliquer une vision globale à un niveau local" (21).

B - L'obstacle réel : la création d'un nouveau droit des sociétés cotées

La viabilité de la fusion des gestionnaires de marché semble donc démontrée par cette adaptation. Pourtant, si le droit des marchés financiers évolue à une rapidité que d'aucuns pourront juger proprement déconcertante, il n'en va pas de même de ceux qui constituent des "droits-socle", et en particulier le droit des sociétés qui, en raison de sa diversité, impose des sujétions variables aux sociétés selon les places boursières auxquelles elles souhaitent être rattachées.

A l'heure ou l'harmonisation comptable des sociétés cotées est devenue une réalité, on se demande, ainsi, si la prochaine étape de l'évolution du droit des affaires en général ne viendra pas, par la voie boursière, de l'introduction d'un droit des sociétés dual. L'un serait ancré dans le droit national (ou régional pour les économies juridiquement intégrées comme celle de l'Europe) pour les sociétés non cotées ; l'autre serait, en revanche, assujetti à un noyau de règles internationales pour les sociétés souhaitant avoir accès aux marchés de capitaux.

Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)


(1) G. Farjat, La notion de droit économique in, Droit et économie, Archives de philosophie du droit, t. 37, Sirey 1992, p. 48, la mondialisation constitue un "universalisme planétaire de l'économie de marché".
(2) L'expression, qui a fait florès, est de Mac Luhan, qui l'a développé, il y a une trentaine d'années à l'occasion de la rédaction de La Galaxie Gutenberg (pour la France), Gallimard 1977.
(3) L'intitulé exact du titre du communiqué de presse était le suivant : "Euronext N.V. et le groupe NYSE annoncent avoir signé un accord en vue d'une fusion entre égaux. La fusion donnera naissance à la première bourse mondiale".
(4) Le Président de la République française devait déclarer, le 6 juin dernier, lors d'une de ses rencontres, en Allemagne, avec la chancelière Angela Merkel "Pour ma part, je ne vous cache pas que je privilégie la solution franco-allemande". Monsieur Chirac d'ajouter "Je souhaite pour ma part qu'un accord puisse être trouvé entre Francfort et Euronext, un accord qui soit aussi équilibré que possible".
(5) L'agence France presse transmettait, en effet, le 4 juillet 2006, à 12h34, le message dont la teneur ne laissait aucun doute sur la possibilité d'une solution alternative à la fusion avec le NYSE. Elle annonçait, ainsi, que Henri Lachmann, chargé de la mission de mesurer les conséquences de la fusion avec la bourse de New York ou celle de Francfort par cinq régulateurs européens, déclarait que le jeu restait "ouvert entre les deux alternatives".
(6) Les cinq autorités européennes de régulation, qui sont en charge de la surveillance des marchés sur lesquelles opèrent les filiales nationales d'Euronext (i.e "la place pan-européenne" à savoir les autorités de France, du Portugal, du Royaume-Uni, de Belgique et des Pays-Bas), ont créé une commission chargée d'étudier ce projet de fusion. Celle-ci ne pourra se prononcer sur la viabilité de la concentration qu'au début de l'année 2007. Extrait, du communiqué de presse de l'AMF, du 29 juin 2006 (N° Lexbase : L1278HKK): "Le Comité des présidents des autorités de contrôle d'Euronext (ci-après le 'Comité des présidents'), qui comprend les autorités de marché participant à la réglementation, au contrôle et à la surveillance du Groupe Euronext -à savoir l'AFM, l'AMF, la CBFA, le CMVM et la FSA (ci-après 'les autorités de contrôle')- ont constitué un groupe de travail interne afin d'étudier et d'analyser les questions juridiques et réglementaires que soulève l'accord de rapprochement (Combination Agreement) signé entre Euronext et le NYSE Group le 1er juin 2006".
(7) Ainsi, pour certains auteurs, la bourse est "en principe, un marché public" : G. Ripert, R. Roblot par M. Germain, L. Vogel, Droit commercial, t.1, LGDJ., 17ème éd., 1998, n° 1844.
(8) Cass. civ. 21 juin 1943, D.A. 1944 ; T. conf., 2 mai 1988, Société Georges Maurer, n° 02507 (N° Lexbase : A8053BDM), Rec. Lebon, p. 488.
(9) Article 76 ancien du Code de commerce.
(10) Loi n° 88-70, 22 janvier 1988, sur les bourses de valeur (N° Lexbase : L1818DNN).
(11) Instituées, en France, selon les termes de l'article L. 441-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3163G9Z).
(12) P. Delvolvé, Droit public de l'économie, Dalloz, 1998, n° 408, "la loi de 1996 paraît avoir conçu les entreprises de marché comme des organismes professionnels qui, s'ils encadrent l'exercice d'une activité ne sont pas chargé d'un service public ni dotés de prérogatives de puissance publique. Les règles qu'elles adoptent rejoindraient alors les règlements professionnels auxquels le Conseil d'Etat a dénié la qualité d'acte administratif".
(13) J.-B. Lenhof, Euronext : la croissance face aux autorités de la concurrence, Lexbase Hebdo n° 176 du 13 juillet 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N6521AID).
(14) C. mon. fin., art. L. 421-3 (N° Lexbase : L6380DI7) : "pour être reconnu comme marché réglementé, un marché d'instruments financiers doit garantir un fonctionnement régulier des négociations. Doivent notamment être fixées par les règles de ce marché, établies par l'entreprise de marché définie à l'article L. 441-1, les conditions d'accès au marché et d'admission à la cotation, les dispositions d'organisation des transactions, les conditions de suspension des négociations d'un ou plusieurs instruments financiers, les règles relatives à l'enregistrement et à la publicité des négociations. Ces règles sont approuvées par le conseil des marchés financiers".
(15) Th. Bonneau, De la fusion des bourses (à propos d'Euronext) mythes ou réalités ?, Bull. Joly Bourse et produits financiers, novembre-décembre 2000, p. 539 et s. ; J.-J. Daigre, Euronext, en route vers le futur, Rev. Dr. bancaire et financier, mars-avril 2001, p. 215 et s.; N. Rontchevsky, Constitution d'Euronext : vers la création d'un marché financier unifié en Europe ?, RTDcom., janvier-mars 2001, p. 174 et s..
(16) La BVLP (Bolsa de Valores de Lisboa e Porto) a rejoint Euronext le 6 février 2002 : communiqué de presse Euronext du 6 février 2002, le LIFFE a fait l'objet d'une acquisition le 8 janvier 2002.
(17) J.-J. Daigre, Les nouvelles règles de marché, Rev. Dr. Bancaire et financier, juillet-août 2001, p. 213, "Les nouvelles règles de marché d'Euronext ont été approuvées par le Conseil des marchés financiers le 25 avril 2001 et sont entrées en vigueur le 21 mai 2001".
(18) J.-B. Lenhof, Lexbase Hebdo n° 176, préc..
(19) Source Euronext
(20) "La régulation applicable aux marchés sur lesquels opérera NYSE Euronext obéira au principe de compétence locale : ce principe est celui aujourd'hui pratiqué par Euronext depuis sa création et il a démontré son efficacité au travers du concert des régulateurs européens. L'agrément des régulateurs auquel est soumise la mise en jeu de notre accord garantira dans le temps le respect de ce principe fondateur d'Euronext auquel le NYSE souscrit entièrement : les régulateurs européens conserveront une responsabilité exclusive sur les activités européennes du nouvel ensemble. Il en sera de même aux Etats-Unis pour la SEC". (communiqué de presse Euronext du 1er juin 2006, p. 2 et 3)
(21) Ibid., p. 5.

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Marchés publics

[Jurisprudence] Arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 14 février 2006 : précisions jurisprudentielles importantes en matière de négociation et d'annulation d'un marché

Réf. : CAA Bordeaux, 2ème ch., 14 février 2006, n° 04BX02064, Syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable du confolentais (N° Lexbase : A9974DNQ)

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N1110ALP

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par Chrystel Farnoux, conseiller juridique à la Chambre de Commerce et d'Industrie de l'Essonne

Le 07 Octobre 2010

Un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 14 février 2006 concerne une consultation lancée par un syndicat intercommunal aux fins de signature d'un marché relatif à la gérance du service public d'alimentation en eau potable. La procédure mise en oeuvre fût celle du marché négocié. A l'issue des négociations, le marché fût conclu entre ledit syndicat et la société SAUR. Considérant que la procédure était entachée de certaines irrégularités, le concurrent rejeté déféra l'affaire devant le tribunal administratif. Ce dernier ayant annulé la délibération du comité syndical autorisant le président à signer le marché avec la société SAUR, le syndicat intercommunal interjeta appel devant la cour administrative d'appel de Bordeaux dont l'arrêt est analysé ci-dessous.
Les problématiques juridiques posées à la cour sont les suivantes :
- Quelle peut-être l'étendue de la négociation ? Quelle est la marge de liberté des parties lors de la phase de négociation ?
- Comment doit être assuré le droit, pour le soumissionnaire évincé, à un recours rapide et efficace ?
- Quelles sont les cas d'ouverture et les modalités d'annulation d'un marché ? Quelles en sont les conséquences ?
Problématique 1 : l'étendue de la négociation

La question de l'étendue ou des contours de la négociation est récurrente dans la vie professionnelle d'un acheteur public. En effet, le Code des marchés publics ne règle pas cette question et les frontières entre la négociation des éléments de l'offre et la remise en cause des dispositions du cahier des charges sont minces. Seule la lecture des différentes positions jurisprudentielles ou doctrinales nous renseigne quelque peu en précisant que la négociation peut porter sur les conditions du marché et notamment sur le prix, la quantité ou la qualité (afin de les ajuster au besoin du maître d'ouvrage) ou encore sur les délais d'exécution.

Ainsi, la jurisprudence est venue éclaircir quelque peu ce flou réglementaire. Dans un arrêt en date du 25 juillet 2001, le Conseil d'Etat rappelle que la négociation ne peut avoir pour objet ou pour effet, de modifier substantiellement l'objet ou les conditions d'exécution du marché (CE Contentieux, 25 juillet 2001, n° 229666, Commune de Gravelines N° Lexbase : A1249AW8). Dans le cas d'espèce soumis à la Haute juridiction, la personne publique avait demandé à certaines entreprises soumissionnaires, dans le cadre de négociations, de remettre un prix unitaire alors même que le cahier des charges initial prévoyait un prix global et forfaitaire. Le Conseil d'Etat considère que les modifications demandées dépassent le cadre de la négociation et modifient substantiellement les conditions initiales du marché.

Dans l'arrêt du 14 février 2006 ici étudié, la cour administrative d'appel de Bordeaux apporte un élément de précision très important concernant l'étendue de la négociation et plus précisément la liberté accordée aux parties lors de cette phase. Afin de faire annuler le marché considéré, le soumissionnaire rejeté avait notamment argué du fait que la négociation avait conduit le concurrent (la société finalement retenue) à baisser significativement son offre alors même que cette baisse n'était motivée ni sur le plan technique, ni sur le plan financier.

En effet, la société retenue avait, lors des négociations, baissé de manière substantielle, le montant des prestations à réaliser dans le cadre du marché et ce, tant en baissant le montant des recettes à percevoir qu'en supprimant la réalisation de prestations complémentaires non prévues au cahier des charges. Ces modifications la faisaient donc passer en première position devant la société requérante.

Il est ici précisé, eu égard à l'importance de cet élément lorsqu'il s'agit de vérifier la régularité de la procédure, que la société rejetée avait été sollicitée par la personne responsable du marché dans le cadre des négociations mais qu'elle n'avait pas souhaité faire évoluer son offre.

Afin de répondre à la critique selon laquelle la baisse de prix n'était motivée ni sur un plan technique, ni sur un plan financier, la cour administrative d'appel précise qu'aucun principe du droit des marchés publics n'impose, sauf en cas d'offre anormalement basse (ce qui n'en était rien dans notre cas d'espèce), de justifier les réductions de prix consenties au cours de la négociation. Ainsi, les entreprises soumissionnaires sont totalement libres de faire évoluer leur offre, sans limite autre que celle tenant à l'offre anormalement basse. En outre, la personne responsable du marché n'a pas à "plafonner" la marge de négociation possible.

A cet éclaircissement important apporté par la juridiction du fond, d'autres précisions sont données concernant les marchés négociés, à savoir :

- il n'y a pas eu de rupture d'égalité entre les candidats alors même que ces derniers ont, tous deux, été invités à négocier. En effet, la cour rappelle que la réglementation impose seulement qu'au moins trois candidats soient admis à négocier (à condition que le nombre de candidats soit suffisant), cette condition étant remplie même si l'un d'entre eux refuse d'y participer ;
- l'absence de signature d'un nouvel acte d'engagement à l'issue de la négociation (afin d'en formaliser les termes) n'empêche pas la signature du contrat. Cependant, il convient de préciser que cette formalisation paraît plus sécurisée d'un point de vue juridique.

Problématique 2 : le droit, pour le soumissionnaire évincé, à un recours rapide et efficace

La cour administrative d'appel rappelle, dans l'arrêt ici étudié, que le soumissionnaire dont l'offre (ou la candidature) n'a pas été retenue, a droit à un recours rapide et efficace. Le recours concerné, dans notre cas d'espèce, est celui qui est prévu par les articles L. 551-1 et suivants du Code de justice administrative (N° Lexbase : L6369G9R), à savoir, le référé précontractuel.

Ce recours, comme son nom l'indique, ne peut être exercé après la signature du marché. En outre, alors même qu'il aurait été exercé avant ladite signature, il ne peut produire d'effet, dès lors que celle-ci est intervenue et ce, quelque soit l'état d'avancement de la procédure. Ainsi, devant un marché notifié, le juge déclarera la procédure caduque sans se prononcer sur le fond.

La problématique apparaît donc très clairement. Afin de pouvoir exercer ledit recours, le soumissionnaire évincé doit pouvoir disposer des délais nécessaires à la mise en oeuvre de cette action en justice. Il convient donc qu'un délai suffisant, "raisonnable", soit laissé entre la date à laquelle ce dernier prend connaissance de la décision de rejet et celle à laquelle le marché est signé. Ainsi, le marché ne peut être signé à une date trop proche de celle à laquelle les lettres de rejet ont été transmises. Dans notre cas d'espèce, l'information de rejet avait été envoyée à l'entreprise requérante trois jours avant la signature du marché, sachant, comme le soulève la cour, qu'il n'était pas contesté, que le courrier avait été reçu par ladite entreprise, le jour même où le marché était signé entre le pouvoir adjudicateur et le titulaire, la privant ainsi des droits conférés par le législateur.

Ainsi, alors même que pour les procédures dites formalisées, au premier rang desquelles figure l'appel d'offre, ce délai "raisonnable" d'origine jurisprudentielle a été remplacé par le délai de dix jours (C. marchés publ., art. 76 N° Lexbase : L1109DYQ), ces dispositions jurisprudentielles sont intéressantes à plus d'un titre :

  • Même si aucun délai n'était fixé à l'époque, les pouvoirs adjudicateurs étaient dans l'obligation de respecter un délai dit "raisonnable". Ainsi, les procédures n'ayant pas mis en oeuvre un tel délai n'ont pas été menées dans des conditions régulières (sachant qu'elles ont été, sans aucun doute, très nombreuses à se trouver dans ce cas de figure).
  • Alors même qu'un délai n'est aujourd'hui fixé que pour les procédures formalisées (cf. supra), cela ne doit pas empêcher, à l'instar de ce qui est prescrit par la cour dans notre cas d'espèce, les entités passant les marchés de respecter un délai dit "raisonnable" entre l'information de rejet et la notification d'acceptation, pour les procédures non formalisées et plus particulièrement les procédures adaptées conduites conformément aux articles 28 (N° Lexbase : L9887HEW) et 40 (N° Lexbase : L9892HE4) du Code des marchés publics.
  • Le délai de dix jours actuellement applicable aux procédures formalisées (ou le délai raisonnable applicable aux procédures adaptées) court à compter de la date à laquelle l'entreprise évincée a pris connaissance de son rejet et non à la date à laquelle l'information lui a été transmise. En effet, assez logiquement, l'information du candidat n'est effective que lorsqu'il est en possession de la décision. En outre, la cour relève très expressément le fait que le courrier ait été reçu seulement le jour où le marché a été signé, soit trois jours après son envoi. Cette précision montre bien que seule la réception est prise en compte dans la mesure où seule la réception peut donner un effet utile à l'information transmise (à savoir, l'information de rejet).
  • En cas de non-respect d'un tel délai, l'atteinte portée à la "garantie substantielle" de pouvoir bénéficier d'un recours rapide et efficace, est très grave et justifie l'annulation du marché passé (sous réserve que cette annulation ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général : cf. infra). Dans cette hypothèse, la personne responsable du marché devra, soit obtenir de la part de son cocontractant son accord pour une résolution amiable du marché, soit saisir le juge des contrats aux fins que ce dernier prononce une décision de nullité (sauf réserve précitée).

Problématique 3 : l'annulation d'un marché qualifié d'irrégulier par la juridiction administrative

Après avoir qualifié le marché d'irrégulier, en raison de ses modalités de passation, le juge expose les conséquences découlant d'une telle décision. Tout contrat (marché dans notre cas d'espèce), déclaré irrégulier peut être considéré comme nul à condition que cette nullité ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

Procédure d'annulation
L'acte contractuel est annulé selon deux procédures que sont la résolution amiable du contrat et la déclaration en nullité prononcée par le juge des contrats. Les effets de ces décisions sont les mêmes : annulation de l'acte pour l'avenir mais également pour le passé (décision ayant un effet rétroactif). Ainsi, seul l'auteur de la décision change. Dans la première hypothèse (résolution amiable), l'annulation provient d'une décision des parties. Dans la seconde hypothèse, l'annulation provient d'une décision judiciaire s'imposant aux parties, à savoir celle du juge des contrats.

Etendue de l'annulation
La nullité peut concerner exclusivement un acte détachable du marché ou également le marché si ce dernier s'en trouve entaché en raison de l'importance du vice constaté. Outre le fait d'avoir privé le soumissionnaire évincé de son droit de recours, a été considéré comme vice substantiel le fait d'avoir retenu une offre non conforme à l'objet du marché sur lequel la mise en concurrence avait été faite. Dans les deux cas d'espèce, l'offre retenue modifiait l'objet même de la consultation (CE 5° et 7° s-s-r., 10 décembre 2003, n° 248950, Institut de recherche pour le développemennt N° Lexbase : A4046DA4 ; CAA Nantes, 4ème ch., 2 décembre 2005, n° 03NT00484, Société Omnium de traitement et de valorisation N° Lexbase : A8658DMM).

Conséquences de l'annulation
Alors même que le marché a été considéré comme irrégulier, notamment au regard de ses modalités de passation, ce dernier peut ne pas subir la sanction de la nullité si cette dernière porte "une atteinte excessive à l'intérêt général". Dans cette hypothèse, plusieurs solutions peuvent être envisagées : soit la nullité ne sera pas prononcée, soit elle ne produira pas d'effet rétroactif.

L'étude de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 14 février 2006, mais aussi celle des deux arrêts précités des 10 décembre 2003 et 2 décembre 2005, renseignent l'acheteur public sur le contenu de cette notion. En effet, au regard des arrêts ainsi rendus, ne constituent pas "une atteinte excessive à l'intérêt général", le fait que :

- la nullité compliquerait le règlement des litiges en cours concernant le marché en cause (arrêt du Conseil d'Etat précité) ;
- la personne responsable du marché exerce une mission de service public (arrêt du Conseil d'Etat précité) ;
- l'ouvrage (en l'occurrence, une station d'épuration) soit exploité depuis plus de deux ans (arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes précité) ;
- l'annulation entraîne des conséquences financières importantes pour les usagers du service (arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux étudié).

newsid:91110

Collectivités territoriales

[Textes] Les contrats urbains de cohésion sociale se substituent aux contrats de ville

Réf. : Circulaire du ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement du 24 mai 2006, relative à l'élaboration des contrats urbains de cohésion sociale (N° Lexbase : L3052HKA)

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Le 07 Octobre 2010

Un nouveau cadre contractuel de la politique de la ville en faveur des quartiers en difficulté a été initié par le comité interministériel des villes et du développement urbain (CIV) du 9 mars 2006. Les contrats de ville arrivent à échéance au 31 décembre 2006. Ils sont remplacés par les contrats urbains de cohésion sociale. La circulaire du 24 mai 2006 en fixe le cadre et le calendrier de mise en oeuvre (circulaire du ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement du 24 mai 2006, relative à l'élaboration des contrats urbains de cohésion sociale N° Lexbase : L3052HKA). Le nouveau dispositif reste dans la continuité : il réaffirme les principes de mobilisation des politiques de droit commun, l'intercommunalité, la constitution d'équipes dédiées, la liaison rénovation urbaine et politique de la ville, la nécessité d'observer et évaluer... La diversité des situations locales, mieux prise en compte, devrait permettre de consacrer un effort de rattrapage important aux territoires qui cumulent les difficultés. Autre nouveauté : les crédits seront désormais principalement mobilisés à travers l'opérateur de l'Etat qu'est l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances et non plus la délégation interministérielle à la ville (DIV). Un engagement pluriannuel garantira la pérennité des engagements de l'Etat, et permettra, notamment, de conclure des conventions pluriannuelles avec les associations qui jouent un rôle pivot dans le quartier et dont l'action est la plus efficiente (1). 1. Du contrat de ville au contrat urbain de cohésion sociale

Pour la période 2000-2006 et pour une mobilisation de fonds publics à hauteur de 2,4 milliards d'euros, 247 contrats de ville ont été conclus au bénéfice de plus de 1 300 quartiers et 6 millions d'habitants. L'Etat et les collectivités territoriales se sont engagés à mettre en oeuvre des actions concertées dans le but d'améliorer la vie quotidienne des habitants dans les quartiers et territoires urbains connaissant des difficultés (chômage, violence, logement...) ainsi que de prévenir les risques d'exclusion sociale et urbaine. Ce contrat a été conçu comme un outil unique de politique de la ville face aux multiples procédures contractuelles qui préexistaient.

La complexité et le manque de visibilité des actions des contrats de ville ont suscité les critiques. La DIV a relevé l'important décalage entre les intentions et les réalisations ainsi que les carences en matière de développement économique et d'emploi lors de l'évaluation qu'elle a pu réaliser sur les contrats de ville à mi-parcours (publiée en avril 2005). Un rapport parlementaire dresse en juin 2005 un bilan mitigé et propose un nouveau cadre contractuel, simplifié et clarifié dont s'est inspiré le Gouvernement.

Le maintien sous condition de rénovation des contrats de ville après 2006 a été annoncé par le ministre délégué à la Ville le 12 juillet 2005. Le comité interministériel à la ville (CIV) du 9 mars 2006 leur confère la nouvelle dénomination de "contrats urbains de cohésion sociale" afin de signifier leur réforme par la simplification des contenus, de leur mise en oeuvre et l'amélioration de leur évaluation.

2. Définition et cadre du CUCS

La circulaire définit le contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) comme "le cadre de mise en oeuvre du projet de développement social et urbain en faveur des habitants de quartiers en difficulté reconnus comme prioritaires". Le contenu des futurs CUCS, articulé autour de trois axes, permet de définir plus clairement les engagements respectifs :

- un projet urbain de cohésion sociale, en référence aux objectifs de résultat de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine (art. 1 et 2 N° Lexbase : L3558BLD), pour l'amélioration de la vie quotidienne et la promotion de l'égalité des chances des habitants et la meilleure intégration de ces quartiers dans la ville et l'agglomération ;

- des programmes d'actions pluriannuels déclinant ce projet sur des champs et des quartiers prioritaires, avec des objectifs précis, lisibles et directement évaluables. Les engagements de chacun des partenaires sont précisés, tant dans le cadre de leurs politiques de droit commun que des moyens spécifiques dédiés à ces quartiers ;

- les modalités de mise en oeuvre, d'évaluation, de suivi et d'adaptation du projet urbain de cohésion sociale et des programmes d'action.

Le CUCS est global et cohérent : il prend en compte toutes les politiques structurelles ayant une influence sur les quartiers et développées au niveau communal ou intercommunal. Il intègre et met en cohérence les dispositifs : convention de rénovation urbaine, programme local de l'habitat, zones franches urbaines, plan local d'insertion par l'économie, équipe de réussite éducative, contrat éducatif local, contrat local de sécurité, charte de cohésion sociale... A l'inverse, l'existence d'une telle politique structurelle n'implique pas que le site relève automatiquement de la géographie prioritaire des CUCS.

Le préfet de département a dressé une liste des quartiers prioritaires et des communes concernées (ou EPCI), avant le 30 juin dernier. Elle dessine la géographie d'intervention. Cet inventaire a été établi avec les élus, la DIV et les préfets de région sans que l'enveloppe globale régionale de fonds spécifique ne varie pour autant. Lors de la transmission des propositions, le préfet a fait connaître à la DIV l'éventuelle persistance d'une divergence avec les élus. La liste définitive a dû être arrêtée le 30 juin 2006.

Trois catégories de communes sont concernées :
- les communes "dans lesquelles une intervention massive et coordonnée de l'ensemble des moyens disponibles est absolument indispensable" ; - les communes "qui ont des quartiers dans lesquels les difficultés sociales et économiques sont moindres mais pour lesquels la mobilisation des moyens spécifiques au-delà des moyens de droit commun est néanmoins nécessaire" ;
- "les communes qui ont des quartiers où les actions à mettre en oeuvre relèvent davantage de la prévention ou de la coordination de droit commun". La situation de décrochage des quartiers peut être d'intensité différente. Son appréciation guide le caractère prioritaire des territoires comme le précise une note de la DIV du 2 juin 2006 (adressée par courriel aux préfets). Le classement des communes découle du nombre et de l'intensité des difficultés des quartiers sur leur territoire.

3. Elaboration du contrat

Le préfet du département et le maire (ou le président de l'EPCI) élaborent conjointement le CUCS et en sont les signataires après examen par le préfet de région. L'opportunité d'associer d'autres collectivités territoriales et partenaires doit être saisie en fonction de leurs compétences et le respect de leurs orientations : la signature par les régions et départements reste à leur demande, celle des partenaires principaux (bailleurs sociaux ou CAF) doit être sollicitée.

La définition du projet doit impliquer l'ensemble des partenaires (services de l'Etat et des collectivités territoriales, bailleurs sociaux, associations, juridictions, acteurs économiques...) dans le but de développer une approche commune. L'efficacité de l'intervention sociale dépend du partenariat du conseil général, celle de l'intervention pour le développement économique et la formation professionnelle dépend du partenariat de la région. La circulaire détermine l'architecture du contrat (projet urbain, programmes d'action et modalités d'évaluation). L'Etat contractualisera prioritairement dans les cinq champs définis lors du CIV du 9 mars 2006 : l'habitat et le cadre de vie ; l'accès à l'emploi et le développement économique ; la réussite éducative ; la santé ; la citoyenneté et la prévention de la délinquance. Le préfet de région veille à la coordination avec les contrats de projet Etat-régions (CPER) afin que le volet territorial complète l'enveloppe attribuée aux CUCS.

Les crédits de droit commun sont engagés prioritairement afin que ces moyens constituent le socle des engagements des partenaires. Ainsi, chaque partenaire s'engage prioritairement sur son domaine de compétences et d'interventions. L'Etat mobilise ses moyens budgétaires de droit commun. Les agglomérations sont invitées à mobiliser leurs moyens et compétences. Les conseils généraux sont sollicités sur le champ de l'action sociale, les conseils régionaux sur le champ de la formation professionnelle et du développement économique. Les crédits spécifiques sont mieux ciblés afin de recentrer l'aide de l'Etat sur les territoires où la seule solidarité locale ne suffit pas à assurer la cohésion sociale et territoriale. Un effort de rattrapage plus important pourra être consacré à certains territoires qui connaissent un cumul de difficultés. Des enveloppes globales régionales indicatives de crédits spécifiques ont été précisées par la DIV aux préfets de département à la fin mai. La liste des communes et des quartiers retenus ont permis aux préfets de régions, en collaboration avec la DIV, de déterminer avant fin juin une estimation des enveloppes disponibles pour chaque CUCS.

L'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ANCSEC) est l'opérateur de l'Etat qui mobilisera principalement ces crédits. Sa création devrait simplifier les procédures d'attribution des subventions et la signature des conventions pluriannuelles avec les communes mais aussi avec les associations.

Les signatures devront avoir lieu entre le 15 décembre 2006 et le 15 janvier 2007 après que l'ensemble des projets de contrats ait été adressé au préfet de région qui examinera la cohérence financière du dispositif pour le 31 octobre prochain.

4. Mise en oeuvre et évaluation

Le pilotage stratégique est sous la responsabilité du préfet et du maire (ou du président de l'EPCI). Il associe les divers partenaires tout en restant resserré. Le pilotage technique relève de l'échelle communale ou intercommunale. L'équipe opérationnelle peut être placée auprès du maire, de l'agglomération ou d'un groupement d'intérêt public. Elle doit en particulier comporter un responsable chargé de l'ingénierie sociale. Relais auprès des habitants et des associations, interface avec les professionnels des institutions, elle doit aussi être le support technique à la préparation des décisions politiques.

L'évaluation est présente dès la signature de la convention par la définition de critères. Les programmes d'action feront l'objet de bilans annuels (éventuellement fusionnés avec le rapport annuel de suivi local des ZUS et celui sur l'usage de la DSUCS). La mesure des moyens de droit commun mis en oeuvre est soulignée.

A l'échéance de trois ans, les contrats feront l'objet d'une évaluation devant permettre d'apprécier l'écart entre les résultats et les objectifs, éventuellement de les réorienter de manière substantielle.


Nicolas Wismer
Collaborateur juridique à des associations de collectivités territoriales
Chargé d'enseignement en droit public à l'IEP de Lyon


(1) Le commentaire de la circulaire est rédigé à partir des informations présentes sur le site http://www.cohesionsociale.gouv.fr/. La liste des communes concernées est en ligne sur le site http://i.ville.gouv.fr/.

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