La lettre juridique n°224 du 20 juillet 2006

La lettre juridique - Édition n°224

Éditorial

Politisation et optimisation de la loi : dura lex sed lex !

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N1135ALM

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Il est un sport national de plus en plus pratiqué par les citoyens, et surtout par les élites sapiens sapiens, qui connaît un engouement certain, notamment, en période d'inflation législative et jurisprudentielle : c'est l'optimisation législative, voire le contournement de la loi -pour ne pas évoquer la fraude et autre abus de droit- à des fins, politiques ou pécuniaires, toutes autres que celles prévues initialement par le législateur. Lorsqu'un conseil municipal demande à l'exécutif communal de faire figurer dans les documents des marchés publics une clause dite du mieux-disant social, fondant la commission d'appel d'offres à évincer les entreprises soumissionnaires qui auraient recours à des contrats nouvelles embauches ou à des contrats première embauche, contrats revêtus, pourtant, du sceau parlementaire, n'est-on pas en droit de clamer, comme l'hôte du Banquet, que "la perversion de la cité commence par la fraude des mots" ? Car assurément, l'article 13 du Code de marchés publics intégrant un critère social, parmi les critères de choix des offres, visant à promouvoir l'emploi de personnes rencontrant des difficultés particulières d'insertion, à lutter contre le chômage ou à protéger l'environnement, les conditions d'exécution de ce critère ne doivent pas avoir d'effet discriminatoire à l'égard des candidats potentiels. A la lettre et au mot, l'inscription d'un critère social au cahier des charges d'un marché public n'a pas pour vocation de sanctionner les candidats à un marché, respectueux d'une norme sociale parfaitement légale, mais dont l'économie générale ne conviendrait pas, politiquement, à la majorité municipale-acheteuse publique. La remise en cause des lois et autres actes réglementaires se traduit juridiquement, comme politiquement, devant le Conseil constitutionnel ou le Conseil d'Etat. On comprend d'ores et déjà mieux la sagesse du juge administratif lorsqu'il décide qu'une collectivité locale est incompétente pour décider de mesures qui ont pour objet ou pour effet de faire échec, sur le territoire de cette collectivité, à l'application de normes de valeur législative (lois portant création du contrat nouvelles embauches et du contrat première embauche). Les éditions juridiques Lexbase vous proposent de lire, cette semaine, dans le cadre de la nouvelle Revue Lexbase de Droit public, comme celui de notre édition sociale, le commentaire de Christophe Willmann, Professeur à l'université de Haute Alsace, Le régime des marchés publics face aux contrats "première embauche" et "nouvelles embauches". Mais, l'actualité nous fournit, peut-être, cette même semaine, un contre-exemple de cette sagesse jurisprudentielle, lorsque la Chambre commerciale de la Cour de cassation décide que "la dissolution d'une société dont les parts sont réunies en une seule main entraîne la transmission universelle du patrimoine à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation". Aussi, "si, sauf accord du cocontractant, un contrat conclu en considération de la personne d'une telle société prend fin au plus tard par l'effet de la dissolution de celle-ci, l'associé unique n'en recueille pas moins les créances et les dettes antérieurement nées dans le patrimoine social au titre de ce contrat". La solution est cohérente au regard de la théorie de la personne morale et du principe de l'indépendance des personnalités juridiques entre associé et société, même dans le cadre d'une EURL. Mais, il faut admettre qu'au regard de la pratique des affaires, et alors que l'on sait la pertinence contestée de la personnalité morale accordée à l'EURL, l'interprétation des clauses d'une convention intuitu personae, faisant apparaître la volonté d'un choix portant sur la personne physique plutôt que sur la personne morale cocontractante, tendrait, pourtant, à écarter l'application dogmatique de la distinction des personnalités juridiques, au patrimoine, en fin de compte, commun. Ceci étant posé, cette voie d'analyse fondée sur une approche concrète de la situation des parties, s'avère moins pragmatique qu'il n'y parait de prime abord. Les avantages du recours aux principes théoriques attachés à la notion de personnalité morale apparaissent, en réalité, plus propices au maintien de l'intégrité des droits subjectifs des cocontractants de l'EURL tout en permettant d'assurer la protection de l'associé unique. Aussi, nous vous invitons à revenir, avec Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), sur L'intuitu personae dans la cession de contrat d'agence commerciale.

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Option pour la TVA et régularisation positive

Réf. : CJCE, 30 mars 2006, aff. C-184/04, Uudenkaupungin kaupunki (N° Lexbase : A8302DNS)

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N0987AL7

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

Le 07 Octobre 2010

L'article 17-2 de la sixième Directive TVA (N° Lexbase : L9279AU9) subordonne la déduction de la TVA ayant grevé les dépenses d'un assujetti à leur affectation aux besoins des opérations taxées. En conséquence, l'utilisation de biens et services pour réaliser des opérations exonérées n'autorise aucune récupération de la TVA d'amont. Cependant, en cas d'option pour l'application de la TVA, l'exercice du droit à déduction devient possible. Il reste à se demander si un exploitant peut, après engagement d'une dépense n'ayant pas donné lieu à déduction de la TVA en raison de son affectation à des opérations exonérées, affirmer que son option pour la TVA l'autorise à réclamer une régularisation en sa faveur. Telle était la question à laquelle devait répondre la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) le 30 mars 2006.
La ville finlandaise de Uusikaupunki a engagé des travaux immobiliers sur plusieurs immeubles puis les a donnés en location, d'une part, à l'Etat finlandais et, d'autre part, à une entreprise. Elle a opté pour la TVA plus de six mois après la fin des travaux et la mise en location. Or, la déduction de la TVA d'amont suppose, selon le droit finlandais, le dépôt d'une demande d'option pour la TVA dans les six mois de la mise en service de l'immeuble. Invoquant le non-respect du droit finlandais, l'administration fiscale et la première juridiction saisie ont rejeté la demande de la ville de Uusikaupunki tendant à obtenir une régularisation positive de la TVA supportée sur les travaux de construction engagés en vue d'exercer une activité d'abord exonérée puis imposable.

La cour administrative de Finlande a décidé de poser à la CJCE les questions préjudicielles suivantes :

"1) L'article 20 de la Directive 77/388/CEE doit-il être interprété en ce sens que, sous réserve des dispositions de son paragraphe 5, la régularisation des déductions visée dans cet article est obligatoire pour l'Etat membre en ce qui concerne les biens d'investissement ?

2) L'article 20 de la Directive 77/388/CEE doit-il être interprété en ce sens que la régularisation des déductions visée dans cet article est également applicable dans une situation où un bien d'investissement, en l'occurrence immobilier, a d'abord été affecté à une activité exonérée, où les déductions étaient initialement totalement exclues, alors que ce n'est que plus tard, pendant la période de régularisation, que le bien a été utilisé aux fins d'une activité soumise à la TVA ?

3) L'article 13, C, deuxième alinéa, de la Directive peut-il être interprété en ce sens que le droit à déduction pour les acquisitions relatives à des investissements immobiliers peut être restreint par l'Etat membre de la façon prévue dans la loi finlandaise sur la TVA, de telle sorte que ce droit se trouve complètement exclu dans des situations comme celle de la présente affaire ?

4) L'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la Directive peut-il être interprété en ce sens que le droit à déduction pour les acquisitions relatives à des investissements immobiliers peut être restreint par l'Etat membre de la façon prévue dans la loi finlandaise sur la TVA, de telle sorte que ce droit se trouve complètement exclu dans des situations comme celle de la présente affaire ?"

En réponse, la CJCE dit pour droit que :

"1) L'article 20 de la sixième Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que, sous réserve des dispositions de son paragraphe 5, cette disposition oblige les Etats membres à prévoir une régularisation des déductions en ce qui concerne les biens d'investissement.

2) L'article 20 de la sixième Directive doit être interprété en ce sens que la régularisation est également applicable dans une situation dans laquelle un bien d'investissement, en l'occurrence immobilier, a d'abord été affecté à une activité exonérée, qui n'ouvre pas droit à déduction, alors que ce n'est que plus tard que le bien a été utilisé aux fins d'une activité soumise à la TVA.

3) Les articles 13, C, second alinéa, et 17, paragraphe 6, de la sixième Directive ne doivent pas être interprétés en ce sens qu'il serait permis à un Etat membre, qui accorde à ses assujettis le droit d'opter pour l'imposition de l'utilisation d'un immeuble, d'exclure complètement le droit de déduire la TVA acquittée pour des investissements immobiliers avant la demande tendant à ce que la location de l'immeuble soit traitée comme une opération soumise à la TVA, lorsque cette demande n'a pas été introduite dans les six mois à partir de la mise en service de cet immeuble".

Aucun Etat membre ne peut s'abstenir de transposer les règles communautaires organisant la révision des déductions et l'exercice a posteriori du droit à déduction.

1. L'obligation des Etats membres de prévoir la régularisation des déductions

S'agissant du caractère obligatoire ou non de l'article 20 de la sixième Directive TVA, la position finlandaise se heurtait à son libellé. Ce dernier prévoit en effet que "1. La déduction initialement opérée est régularisée suivant les modalités fixées par les Etats membres". Seules les modalités de régularisation sont abandonnées aux Etats membres. La lettre ne permet pas d'exclure la révision des déductions. Rappelons que, en vertu de l'article 249, troisième alinéa, du Traité CE , chaque Etat membre destinataire doit atteindre l'objectif fixé par une Directive. Selon une jurisprudence constante, les Etats membres ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer le plein effet de la Directive (§ 26 ; CJCE, 7 mai 2002, aff. C-478 /99, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Suède N° Lexbase : A6304AY7 : Rec. p. I-4147, p. 15 ; CJCE, 26 juin 2003, aff. C-233/00, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 75 N° Lexbase : A0198C99 : Rec. p. I-6625). Si la sixième Directive TVA autorise des aménagements à la régularisation du droit à déduction, encore faut-il avoir transposé l'article 20 y afférent (§ 28 ; CJCE, 19 novembre 1991, aff. C-6/90, Andrea Francovich et Danila Bonifaci et autres c/ République italienne, § 21 N° Lexbase : A5783AYT : Rec. p. I-5357 ; CJCE, 14 juillet 2005, aff. C-142/04, Maria Aslanidou c/ Ypourgos Ygeias & Pronoias, § 35 N° Lexbase : A1650DKC).

La révision de la déduction de la TVA d'amont complète l'article 17 de la sixième Directive. Selon l'article 2 de la première Directive TVA, "le principe du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, est d'appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d'imposition. A chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix" (première Directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires N° Lexbase : L7913AUM, JO 1967, 71, p.1301). Il en résulte que le droit à déduction vise à soulager entièrement l'entrepreneur du poids de la TVA supportée dans le cadre de toutes ses activités économiques (CJCE, 14 février 1985, aff. C-268/83, D.A. Rompelman et E.A. Rompelman-Van Deelen c/ Minister van Financiën, § 19 N° Lexbase : A8121AUC : Rec. CJCE, p. 655 ; CJCE, 15 janvier 1998, aff. C-37/95, Belgische Staat c/ Ghent Coal Terminal NV, § 15 N° Lexbase : A9657AU9 : RJF 1998, n° 359 ; JCP éd. E 1998, n° 11, p. 403, note F. Taquet ; CJCE, 21 mars 2000, aff. C-110/98, Gabalfrisa SL e.a. c/ Agencia Estatal de Administración Tributaria (AEAT), § 44 N° Lexbase : A1997AIS : RJF 6/00, n° 872 ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-98/98, Commissioners of Customs and Excise c/ Midland Bank plc, § 19 N° Lexbase : A2016AII : RJF 9-10/00, n° 1187 ; CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, Abbey National plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 24 N° Lexbase : A1648AWX : Dr. fisc. 2002, n° 13, comm. 278 ; CJCE, 3 mars 2005, aff. C-32/03, I/S Fini H c/ Skatteministeriet, § 25 N° Lexbase : A1773DH7 : Dr. Fisc. 2005, n° 25, comm. 487 ; RJF 5/05, n° 519). Ce droit à déduction totale de la TVA d'amont constitue l'une des applications du principe de neutralité.

Le fondement du droit à déduction étant l'affectation aux activités imposables, seul importe de savoir si une telle dépense, notamment un moyen durable d'exploitation, sert ou non à produire des biens ou des services taxables. Toute TVA non effectivement déduite devient récupérable du seul fait qu'elle grève des opérations imposables. Inversement, toute TVA effectivement déduite devient révisable du seul fait qu'elle grève des situations non imposables. L'étendue de l'exercice du droit à déduction dépend de l'utilisation réelle des dépenses. Tel est le rôle de l'article 20 de la sixième Directive TVA, lequel permet d'ajuster la TVA déduite en fonction de l'évolution de l'affectation des dépenses.

Le principe de neutralité conduit la CJCE à affirmer que "la période de régularisation des déductions prévue à l'article 20 de la sixième Directive permet d'éviter des inexactitudes dans le calcul des déductions et des avantages ou des désavantages injustifiés pour l'assujetti lorsque, notamment, des modifications des éléments initialement pris en considération pour la détermination du montant des déductions interviennent postérieurement à la déclaration. La probabilité de pareilles modifications est particulièrement importante dans le cas de biens d'investissement qui sont souvent utilisés durant une période de plusieurs années au cours de laquelle leur affectation peut varier. La sixième Directive prévoit donc une période de régularisation de cinq ans, qui peut être étendue à vingt ans dans le cas de biens immobiliers, période durant laquelle peuvent se succéder des déductions variables. Le système de régularisation des déductions constitue un élément essentiel du système mis en place par la sixième Directive en ce qu'il a pour vocation d'assurer l'exactitude des déductions et donc la neutralité de la charge fiscale. L'article 20, paragraphe 2, de la sixième Directive, qui concerne les biens d'investissement, pertinents dans l'affaire au principal, est d'ailleurs rédigé dans des termes qui ne laissent aucun doute sur son caractère obligatoire" (§ 25 et 26).

La sixième Directive lie la déductibilité de la TVA d'amont à l'affectation des dépenses aux activités dans le champ d'application de la TVA, qu'elles soient effectivement taxables ou exonérées. Au point 15 de l'arrêt "Lennartz", la CJCE a affirmé que "c'est l'acquisition des biens par un assujetti agissant en tant que tel qui détermine l'application du système de TVA et, partant, du mécanisme de déduction. L'utilisation qui est faite des marchandises, ou qui est envisagée pour elles, ne détermine que l'étendue de la déduction initiale à laquelle l'assujetti a droit en vertu de l'article 17 et l'étendue des éventuelles régularisations au cours des périodes suivantes" (CJCE, 11 juillet 1991, aff. C-97/90, Hansgeorg Lennartz c/ Finanzamt München III N° Lexbase : A7275AHW : RJF 1991, n° 1325). Aussi faut-il distinguer entre le principe du droit à déduction ouvert par la simple affectation à l'exploitation de l'étendue du droit à déduction déterminée par l'utilisation réelle (Y. Sérandour, Le droit à déduction de la TVA en jurisprudence communautaire, JCP éd. E 1999, p. 1954). Aussi, une TVA non déduite initialement en raison d'une affectation des dépenses concernées aux opérations exonérées peut-elle être récupérée par régularisation positive.

2. L'obligation des Etats membres d'admettre la régularisation positive

Selon une jurisprudence communautaire constante, l'intention d'affecter les dépenses pour lesquelles l'assujetti réclame l'exercice du droit à déduction à une activité imposable suffit. Les frais préparatoires à l'exercice d'une activité imposable ouvrent droit à déduction immédiate, notamment par remboursement. L'assujetti doit seulement déclarer son intention de réaliser des opérations imposables et en avoir rapporté la preuve. (Y. Sérandour, Le droit à déduction de la TVA en jurisprudence communautaire, préc. arrêt "Rompelman" préc. § 22 et 23 ; CJCE, 11 juillet 1991, aff. C-97/90, Hansgeorg Lennartz c/ Finanzamt München III : RJF 1991, n° 1325 ; CJCE, 29 février 1996, aff. C-110/94, Intercommunale voor zeewaterontzilting (INZO) c/ Belgische Staat N° Lexbase : A9700AUS : RJF 1996, n° 690 ; CJCE, 21 mars 2000, aff. C-110/98, Gabalfrisa SL e.a. c/ Agencia Estatal de Administración Tributaria (AEAT) ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-400/98, Finanzamt Goslar c/ Brigitte Breitsohl N° Lexbase : A1912AWQ : RJF 11/00, n° 1394 ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-396/98, Grundstückgemeinschaft SchloBstraBe GbR c/ Finanzamt Paderborn N° Lexbase : A1801AWM).

La CJCE va jusqu'à considérer qu'il importe peu que l'auteur des dépenses exerce personnellement l'activité pour laquelle les dépenses préparatoires ont été engagées. Ainsi, en cas de création d'une société civile chargée de réaliser tous les investissements nécessaires à l'exercice de l'activité envisagée à exercer par une société de capitaux à créer, la société préparatoire peut déduire la TVA (CJCE, 29 avril 2004, aff. C-137/02, Finanzamt Offenbach am Main-Lan c/ Faxworld Vorgründungsgesellschaft Peter Hünninghausen und Wolfgang Klein GbR N° Lexbase : A9946DBY : Y. Sérandour, Frais préparatoires et TVA, la création d'entreprise encouragée par la CJCE, Lexbase Hebdo n° 119 du 6 mai 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N1501AB9). Le juge communautaire décide que le transfert, avec continuité d'exploitation, d'une entreprise relevant de la TVA justifie le droit à déduction sur les services acquis par le cédant afin de réaliser la cession. Ces derniers font partie des frais généraux de l'entreprise antérieurs à la cession (arrêts "Abbey National" préc., § 35 et s., et "Faxworld", préc. § 39). Dès lors qu'une dépense se rattache à une activité dans le champ d'application de la TVA, le principe du droit à déduction est incontestable. Ainsi, la cessation d'entreprise n'exclut pas la déduction de la TVA ayant grevé les frais postérieurs à cet événement (CJCE, 3 mars 2005, aff. C-32/03, I/S Fini H c/ Skatteministeriet N° Lexbase : A1773DH7 : Dr. Fisc. 2005, n° 25, comm. 487 ; RJF 5/05, n° 519).

L'article 17-2 de la sixième Directive TVA autorise la déduction de la TVA grevant les dépenses affectées à l'activité économique de l'assujetti. La neutralité de la TVA, souvent rappelée par la Cour de Luxembourg signifie que la TVA d'amont est déductible sous la seule condition et limite de l'affectation des dépenses aux opérations taxées (arrêts "Rompelman", préc. § 16 ; CJCE, 21 septembre 1988, aff. C-50/87, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A7265AHK : Dr. fisc. 1988, comm. 2305, § 15 ; CJCE, 22 juin 1993, aff. C-333/91, Sofitam SA (anciennement Satam SA) c/ Ministre chargé du Budget N° Lexbase : A7257AHA : Dr. fisc. 1993, comm. 2116, § 10, concl. Wangerven, et chron. Derouin et Ginter, p. 1747 ; JCP éd. E 1993, II 524 ; CJCE, 6 avril 1995, aff. C-4/94, BLP Group plc c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A9796AUD : Dr. fisc. 1995, comm.1091 et 1779 ; CJCE, 19 septembre 2000, aff. C-177/99, Ampafrance SA c/ Directeur des services fiscaux de Maine-et-Loire (C-177 /99) et Sanofi Synthelabo contre Directeur des services fiscaux du Val-de-Marne (C -181/99), § 3 et 34 N° Lexbase : A7225AH3 : Dr. fisc. 2000, comm. 812 ; RJF 11/00, n° 1392 ; RTDcom. 2001, p. 280, chr. F. Deboissy. Adde, J. Turot, Attention, ne jamais recongeler un produit décongelé, Dr. fisc. 2000, p. 1404. M. Guichard, L'esprit des lois communautaires en matière de TVA : du principe de neutralité, Dr. fisc. 2001, n° 36, p. 1205). L'objectif ultime étant la déduction la plus large possible, les Etats membres doivent s'abstenir de restreindre ce droit. Ils ne peuvent limiter l'étendue du droit à déduction en proportion de l'affectation des dépenses à l'activité professionnelle, ni invoquer l'absence de transposition des dispositions communautaires relatives à l'imposition des livraisons et prestations à soi-même (CJCE, 14 juillet 2005, aff. C-434/03, P. Charles c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A1685DKM : Dr. fisc. 2005, n° 38, comm. 618 ; RJF 11/05, n° 1337).

Néanmoins, un Etat membre de l'Union européenne ayant fait usage de la faculté d'accorder à ses contribuables le droit, prévu à l'article 13, C, de la sixième Directive TVA, d'opter pour la taxation de l'affermage et de la location de biens immeubles peut subordonner la taxation de ces opérations à l'obtention préalable d'un agrément et n'en tirer les conséquences sur le droit à déduction que pour l'avenir (CJCE, 9 septembre 2004, aff. C-269/03, Etat du grand-duché de Luxembourg c/ Vermietungsgesellschaft Objekt Kirchberg Sàrl N° Lexbase : A3356DDN : RJF 12/04, n° 1292. Adde, instruction du 15 octobre 2004, BOI n° 3 A-6-04 N° Lexbase : X4169ACE ; Dr. Fisc. 2004, n° 46, 13228). Selon la CJCE, l'option pour la TVA peut être largement accordée ou limitée voire assortie de modalités. En son point 21, l'arrêt "VOK" précise que "les Etats membres jouissent d'une large marge d'appréciation dans le cadre des dispositions de l'article 13, B et C, de la sixième Directive" (CJCE, 3 décembre 1998, aff. C-381/97, Belgocodex SA c/ Etat belge N° Lexbase : A0551AWC : Rec. p. I-8153, points 16 et 17). Le refus de rétroactivité n'avait toutefois pour conséquence que d'exclure l'application de la TVA aux opérations antérieures à l'option et la récupération totale de la TVA initialement supportée. L'Etat néerlandais avait admis la régularisation de la TVA non déduite initialement.

L'utilisation immédiate d'un bien pour des opérations taxées ne constitue pas une condition de l'application du système de régularisation des déductions (arrêt "Lennartz", préc., § 15 et 16). La réalisation antérieure d'opérations taxées justifie la déduction de la TVA (arrêt "Fini H", préc.). En résumé, peu importe l'époque d'engagement des dépenses. Dès lors qu'elles se rapportent à des opérations imposables, l'assujetti peut exercer son droit à déduction tel qu'il est organisé par la sixième Directive TVA. Or, en matière de biens durables d'exploitation, l'article 20 susmentionné envisage une déduction partielle prenant en considération la durée de leur affectation aux opérations imposables dans le délai de 5 à 20 ans. Au regard du principe de neutralité, mis en oeuvre par les articles 17 et 20 de la sixième Directive TVA, la Finlande ne pouvait exclure une régularisation positive au motif que l'assujetti n'avait pas respecté le délai d'option fixé par le droit interne. Il ne pouvait pas plus invoquer la clause de gel des exclusions et limitations prévue par l'article 17 § 6, car ce dernier vise la nature des dépenses et non l'affectation ou ses modalités (§ 49 ; CJCE, 5 octobre 1999, aff. C-305/97, Group Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 21 à 25 N° Lexbase : A8108ATH : Rec. p. I-6671).

Enfin, à la demande de l'Etat finlandais tendant à l'application des régularisations en faveur des assujettis, c'est-à-dire le remboursement de taxes perçues en violation des règles du droit communautaire pour la seule période postérieure à l'arrêt, la CJCE répond, au point 55 que "ce n'est qu'à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d'un principe général de sécurité juridique inhérent à l'ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d'invoquer une disposition qu'elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Pour qu'une telle limitation puisse être décidée, il est nécessaire que deux critères essentiels soient réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves" (voir, notamment, CJCE, 28 septembre 1994, aff. C-57/93, Anna Adriaantje Vroege c/ NCIV Instituut voor Volkshuisvesting BV et Stichting Pensioenfonds NCIV N° Lexbase : A0090AWA : Rec. p. I-4541, point 21 ; et CJCE, 10 janvier 2006, aff. C-402/03, Skov Æg c/ Bilka Lavprisvarehus A/S N° Lexbase : A2043DMM, non encore publié au Recueil, point 51). A cet égard, chacun attend avec intérêt la décision de la CJCE à propos de l'IRAP italien (CJCE, 21 oct. 2005, aff. C-475/03 : Y. Sérandour, L'interdiction du cumul de taxes sur le chiffres d'affaires : quand les Etats membres obtiennent la réouverture des débats, Lexbase hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition fiscale N° Lexbase : N3487AKD ; concl. M. F. G. Jacob présentées le 17 mars 2005 ; concl. Mme C. Stix-Hackl présentées le 14 mars 2006).

newsid:90987

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Prise d'acte de la rupture du contrat de travail par un salarié protégé

Réf. : Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 04-46.009, M. Jean-Louis Barbot c/ SA Saman, FS-P+B (N° Lexbase : A3701DQ7)

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N1109ALN

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La prise d'acte par un salarié protégé de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul lorsque les torts de l'employeur sont établis. Telle est la solution qui ressort d'un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 20 juillet 2006. L'affirmation est logique au regard des solutions dégagées depuis 2003 (I). Elle montre toutefois le caractère très artificiel de cette construction purement prétorienne et la nécessité de redéfinir les règles relatives à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié (II).
Résumé

Lorsqu'un salarié titulaire d'un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission.

Décision

Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 04-46.009, M. Jean-Louis Barbot c/ SA Saman, FS-P+B (N° Lexbase : A3701DQ7)

Cassation (cour d'appel d'Aix-en-Provence, 9ème chambre sociale, 29 juin 2004)

Textes visés : C. trav, art. L. 425-1 (N° Lexbase : L0054HDD) et L. 436-1 (N° Lexbase : L0044HDY)

Mots clef : salariés protégés ; rupture du contrat de travail ; prise d'acte par le salarié ; effets ; licenciement nul

Liens base :

Faits

1. M. Barbot, engagé par la société Saman depuis le 21 septembre 1992 et titulaire d'un mandat de représentant du personnel, a pris acte, par lettre du 15 avril 2001, de la rupture de son contrat de travail et saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et violation du statut protecteur.

2. Pour rejeter la demande de M. Barbot en paiement de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur, la cour d'appel après avoir retenu que les faits invoqués par le salarié sont imputables à l'employeur et justifient la rupture du contrat de travail qui doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, énonce que le salarié qui a pris l'initiative d'une telle rupture n'a pas permis à son employeur de respecter les dispositions de l'article L. 425-1 du Code du travail et ne peut solliciter une indemnisation pour violation de son statut protecteur.

Solution

1. "Vu les articles L. 425-1 et L. 436-1 du Code du travail [...] lorsqu'un salarié titulaire d'un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission [...] en statuant comme elle l'a fait, après avoir retenu que la rupture était imputable à l'employeur, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

2. "par ces motifs, casse et annule, mais seulement en ce qu'elle a débouté M. Barbot de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement intervenu en violation de son statut protecteur, l'arrêt rendu le 29 juin 2004, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ; condamne la société Saman aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, la condamne à payer à M. Barbot la somme de 2 500 euros".

Observations

1 - Une solution prévisible

  • Principes applicables à la prise d'acte

La Cour de cassation a mis sur pied, depuis 2003, les règles applicables à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679 N° Lexbase : A8977C8Y ; n° 01-42.335 N° Lexbase : A8976C8X ; n° 01-43.578 N° Lexbase : A8978C8Z ; n° 01-41.150 N° Lexbase : A8975C8W ; n° 01-40.235 N° Lexbase : A8974C8U, et nos obs., "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8027AAK).

Si l'employeur n'est pas en droit de "prendre acte" de cette rupture et doit impérativement procéder au licenciement du salarié, selon les règles applicables en la matière, le salarié peut parfaitement procéder ainsi pour rompre le contrat.

Cette prise d'acte constitue bien un mode à part entière de rupture du contrat de travail. Une fois la décision prise, le contrat est bel et bien rompu et le licenciement qui interviendrait postérieurement est sans effet (Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02?41.113, Association Société philanthropique c/ Mme Olimpia Gravouil, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0755DG3 ; et n° 03?45.018, M. Philippe Cot c/ SARL Climb, climatisation et technologies, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0940DGW et nos obs., Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 3 février 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4456ABN ; Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-43.321, M. Patrick Edline c/ SARL Imprimerie Mavit-Sival N° Lexbase : A6513DI3, et nos obs., Prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail et renonciation par l'employeur à la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N5494AIC).

Ce mode de rupture n'est toutefois doté d'aucun régime propre, ce qui est logique dans la mesure où il s'agit d'une création prétorienne qui n'a pas été prévue par le Code du travail. La jurisprudence fait donc application soit du régime de la démission, lorsque les griefs invoqués par le salarié ne sont pas établis, soit du licenciement lorsqu'ils le sont.

Jusqu'à présent, la Cour de cassation n'avait eu à connaître que d'affaires concernant des salariés ne bénéficiant d'aucune protection particulière ; il semblait dès lors logique que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque les torts de l'employeur étaient établis.

On attendait donc de connaître la position de la Cour de cassation lorsqu'un salarié protégé, ou bénéficiaire d'un régime particulier (femme enceinte, salariés victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, par exemple) prend acte de la rupture du contrat de travail. La question se pose d'ailleurs en des termes identiques lorsqu'un salarié protégé demande la résolution judiciaire de son contrat de travail, puisque cette résolution, lorsqu'elle est prononcée, produit également les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03?40.251, SAS Carcoop France c/ M. Michel Buisson et a., FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2739DHW, et nos obs., Le représentant du personnel peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 160 du 24 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N2298AIX).

  • Situation en l'espèce

Dans cette affaire, le salarié qui avait pris acte de la rupture du contrat de travail était titulaire d'un mandat de représentant du personnel. Les torts de l'employeur avaient été établis, la discussion devant les juges du fond ne portait que sur l'étendue de l'indemnisation. Le salarié considérait, en effet, que la prise d'acte devait produire les effets d'un licenciement nul, puisque intervenu sans autorisation administrative, alors que l'employeur le considérait comme simplement dépourvu de cause réelle et sérieuse. L'enjeu financier était important dans la mesure où la nullité du licenciement oblige l'employeur à réparer intégralement le préjudice consécutif à la violation du statut protecteur, singulièrement à verser au salarié une indemnité compensant la perte des salaires courant du jour de la cessation de leur versement jusqu'à l'expiration de la période de protection.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence avait donné raison à l'employeur et refusé de considérer le licenciement comme nul, au motif que "le salarié qui a pris l'initiative d'une telle rupture n'a pas permis à son employeur de respecter les dispositions de l'article L. 425-1 du Code du travail".

L'argument n'a pas convaincu la Cour de cassation qui casse, au visa des articles L. 425-1 et L. 436-1 du Code du travail, et affirme au contraire que "lorsqu'un salarié titulaire d'un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission".

  • Une solution prévisible

La solution semble logique compte tenu des orientations prises par la Cour de cassation depuis 2003. L'autonomie de la prise d'acte ne se vérifie, en effet, qu'au stade de la rupture du contrat de travail. Lorsqu'il s'agit de statuer sur ses effets, la Cour de cassation fait application soit du régime de la démission, soit de celui du licenciement.

Dès lors que les griefs contre l'employeur sont fondés, les règles du licenciement s'appliquent, que le salarié soit d'ailleurs ou non protégé. Il est donc logique que la Cour de cassation applique les règles propres aux salariés protégés lorsque c'est l'un d'entre eux qui prend acte de la rupture de son contrat de travail. La prise d'acte produit alors tous les effets d'un licenciement, c'est-à-dire qu'il convient d'analyser la situation comme si le salarié avait été licencié. Or en l'espèce ce "licenciement" n'a pas été, par hypothèse, autorisé ; il s'agit donc d'un licenciement nul. CQFD.

2 - Une solution contestable qui illustre les dérives de la jurisprudence relative à la prise d'acte

  • Une fausse analogie

Si la solution semble logique, tout au moins au regard des solutions mises en place depuis 2003, elle n'est pas totalement satisfaisante tant elle repose sur une fausse analogie.

Il semble légitime de considérer que l'employeur qui a commis des fautes doit assumer les conséquences de la rupture du contrat de travail et que la prise d'acte fondée sur des griefs avérés produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il s'agit effectivement d'un problème de fond et d'une analyse des motifs de la rupture du contrat de travail.

Mais cette logique ne peut pas être "exportée" à tout le régime du licenciement, et singulièrement pas à la sanction de la violation des règles de procédure, qu'il s'agisse de la convocation à l'entretien préalable, des éventuelles procédures conventionnelles, de la notification du licenciement et, bien entendu, du régime d'autorisation administrative pour les salariés protégés. Il est en effet extrêmement paradoxal de "reprocher" à un employeur de ne pas avoir respecté des procédures de licenciement tout en constatant qu'il n'a ni voulu la rupture, ni décidé de la mettre en oeuvre.

La solution retenue dans cette décision nous semble très artificielle dans la mesure où elle conduit à considérer comme nul, pour défaut d'autorisation administrative, le prétendu licenciement du salarié qui avait en réalité décidé seul de rompre le contrat de travail.

  • La nécessaire révision de la jurisprudence sur la prise d'acte

L'application de la jurisprudence sur la prise d'acte aux salariés protégés montre ainsi les limites des solutions dégagées depuis 2003, ainsi que leur caractère très excessif. Il suffit, en effet, aujourd'hui que l'employeur ait commis des fautes pour que le salarié puisse prendre acte de la rupture et obtenir des dommages et intérêts comme s'il avait été licencié.

Or, il nous semble qu'il conviendrait de se montrer beaucoup plus exigeant pour déclencher l'application du régime du licenciement. Non seulement l'employeur doit avoir manqué à l'une de ses obligations essentielles, mais il nous semble que ces manquements devraient être d'une gravité telle qu'ils rendent le maintien du salarié dans l'entreprise impossible, autrement que le salarié a été contraint à démissionner ou à prendre acte ; la prise d'acte devrait donc apparaître comme l'ultime décision à prendre.

La faute de l'employeur doit donc s'apparenter à une faute grave appréciée avec une rigueur comparable à celle qui existe pour établir la faute grave du salarié. Certaines circonstances sont évidentes, telles les violences physiques, le harcèlement, les manquements graves à l'obligation de sécurité, etc.. Mais pour d'autres types de faute, comme des retards dans le paiement de salaires ou de primes, il nous semble que l'on pourrait exiger du salarié qu'il mette en oeuvre d'autres moyens pour se voir rétabli dans ses droits, et singulièrement qu'il saisisse préalablement le conseil de prud'homme d'une demande en paiement avant de prendre acte de la rupture du contrat de travail.

Certes, nous comprenons bien le souci d'efficacité qui anime la Cour. Mais nous pensons qu'elle a été trop loin dans sa recherche d'une meilleure protection du salarié, au mépris de toute logique, comme en témoigne cet arrêt en date du 5 juillet 2006. De nombreux salariés s'engouffrent aujourd'hui dans la brèche et profitent d'un incontestable effet d'aubaine pour prendre acte de la rupture de leur contrat de travail, au moment où ils ont déjà retrouvé un emploi, en visant des "fautes" commises par l'employeur qu'ils avaient pourtant supportées jusque là.

L'employeur qui commet des fautes doit bien entendu être condamné à réparer le préjudice causé, comme toute personne. Mais la requalification systématique de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire désormais en licenciement nul, nous semble très excessive tant que n'aura pas été vérifiée la nécessité dans laquelle se trouvait le salarié de quitter l'entreprise.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le salarié protégé reste un salarié ordinaire face à la mise à pied conservatoire

Réf. : Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 03-46.361, Mme Sylvia Beharel, FS-P+B (N° Lexbase : A3617DQZ)

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N1029ALP

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Le 07 Octobre 2010

La qualité de représentant du personnel ne confère pas à son titulaire une immunité le mettant à l'abri de toute impunité. Une salariée l'a appris à ses dépens. Les salariés protégés restent, sauf disposition légale spéciale, des salariés comme les autres et se voient à ce titre appliquer des règles identiques à celles applicables aux salariés ne disposant pas de mandat de représentation. A une salariée qui croyait que son mandat pouvait empêcher l'employeur de prononcer contre elle une mise à pied disciplinaire, la Haute juridiction vient rappeler que l'employeur peut, après avoir mis à pied à titre conservatoire un salarié délégué du personnel et l'avoir convoqué à un entretien préalable, renoncer au licenciement et prononcer une sanction moindre. Elle rappelle simplement que dans ce cas, la durée de la mise à pied conservatoire s'impute sur la durée de la mise à pied disciplinaire. Cette double solution qui donne l'occasion de se pencher sur un versant rarement exploré des rapports existants entre la mise à pied conservatoire et la mise à pied disciplinaire doit, en tout point, être approuvée.
Résumé

L'employeur, qui a mis à pied un salarié délégué du personnel à titre conservatoire et l'a convoqué à un entretien préalable à un licenciement, peut renoncer au licenciement et prononcer une sanction moindre. Lorsque cette sanction est une mise à pied disciplinaire, la durée de la mise à pied conservatoire s'impute sur la durée de la mise à pied disciplinaire.

Décision

Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 03-46.361, Mme Sylvia Beharel, FS-P+B (N° Lexbase : A3617DQZ)

Rejet de CPH Montmorency (Section industrie), 4 juillet 2003

Mots clefs : salarié protégé, sanction disciplinaire, mise à pied conservatoire, mise à pied disciplinaire, imputation de la mise à pied conservatoire sur la mise à pied disciplinaire

Texte concerné : C. trav., art. L. 425-1 (N° Lexbase : L0054HDD)

Lien base :

Faits

Une salariée, disposant d'un mandat de membre de la délégation unique du personnel, avait été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement et mise à pied à titre conservatoire. L'employeur ayant renoncé à la licencier, n'avait pas saisi l'inspecteur du travail et avait notifié au salarié une mise à pied disciplinaire de dix jours ayant rétroactivement pour point de départ le jour de la mise à pied conservatoire. Contestant cette sanction, la salariée avait saisi le conseil de prud'hommes d'une demande en rappels de salaires et dommages et intérêts.

Ce dernier avait rejeté la demande de la salariée.

Solution

1. Rejet

2. "Attendu que l'employeur, qui a mis à pied un salarié délégué du personnel à titre conservatoire et l'a convoqué à un entretien préalable à un licenciement, peut renoncer au licenciement et prononcer une sanction moindre ; que lorsque cette sanction est une mise à pied disciplinaire, la durée de la mise à pied conservatoire s'impute sur la durée de la mise à pied disciplinaire".

Commentaire

I. Soumission des salariés protégés à la mise à pied conservatoire ordinaire

  • Un préalable possible

Si la mise à pied conservatoire et la mise à pied disciplinaire doivent être distinguées, elles n'en demeurent pas moins liées.

La première constitue une mesure conservatoire, facultative, permettant à l'employeur d'écarter le salarié de l'entreprise en attendant le prononcé d'une sanction (1). Cette sanction peut être un licenciement, ce qui sera le cas dans la plupart des hypothèses, ou toute autre sanction disciplinaire de moindre importance, comme par exemple une mise à pied disciplinaire (2). Les juges considèrent en effet que l'employeur peut parfaitement prononcer une mise à pied disciplinaire à l'encontre d'un salarié déjà mis à pied à titre conservatoire même si la sanction originairement envisagée contre lui est un licenciement (3). Il faut cependant, dans ce cas, que l'employeur enclenche une procédure de licenciement (4) et singulièrement le convoque à un entretien préalable.

Ce principe s'applique-t-il aux salariés protégés ? La nécessité pour l'employeur d'obtenir une autorisation de l'inspecteur du travail pour prononcer le licenciement fait-elle obstacle à une telle mesure ?

  • Un préalable général

L'article L. 425-1, alinéa 3, du Code du travail dispose qu'"en cas de faute grave, l'employeur à la faculté de prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé en attendant la décision définitive [de l'inspecteur du travail]. En cas de refus de licenciement, la mise à pied est annulée et ses effets supprimés de plein droit".

Cette disposition interdit-elle à l'employeur de mettre à pied conservatoire puis à pied disciplinaire un salarié protégé ? L'employeur ne peut-il, pour ce type de salarié, que prononcer un licenciement postérieurement à une mise à pied conservatoire ?

C'est ce que croyait la salariée dans la décision commentée. Pour elle, le fait pour l'employeur d'avoir abandonné la procédure de licenciement, lui interdisait de transformer la mise à pied conservatoire en une mise à pied disciplinaire. Plus généralement, l'employeur ayant abandonné le licenciement, il ne pouvait plus la sanctionner. C'est cette position que vient censurer la Cour de cassation dans la décision commentée.

  • Espèce

Elle considère, en effet, que l'employeur, qui a mis à pied conservatoire un salarié délégué du personnel et l'a convoqué à un entretien préalable à un licenciement, peut renoncer au licenciement et prononcer une sanction moindre. Elle trouve, en outre, ici l'occasion de rappeler que lorsque la sanction est une mise à pied disciplinaire, la durée de la mise à pied conservatoire s'impute sur la durée de la mise à pied disciplinaire.

Les deux règles énoncées ne sont pas nouvelles mais doivent en tout point être approuvées.

II. Application plénière aux salariés protégés des règles propres à la mise à pied conservatoire

L'employeur n'est pas tenu de licencier un salarié protégé mis à pied conservatoire. Le principe est confirmé et il convient de s'en féliciter. Il lui est loisible de prononcer contre lui une autre sanction disciplinaire. Dans la mesure où celui-ci respecte la procédure disciplinaire (5), cette sanction sera valable, même si elle a été précédée d'une mise à pied conservatoire.

  • Une solution logique

Rien ne vient, dans les faits, contredire ce principe. Le statut protecteur applicable aux salariés protégés ne les met pas à l'abri des sanctions disciplinaires autres que le licenciement (6). L'employeur peut donc suivre, pour ces derniers, la même procédure que celle qu'il aurait suivie pour un salarié ordinaire, et le mettre à pied conservatoire puis à pied disciplinaire.

L'article L. 425-1, alinéa 3, du Code du travail autorise l'employeur à mettre à pied le salarié protégé, c'est-à-dire à l'évincer de l'entreprise dans l'attente de la réponse de l'inspecteur du travail à sa demande d'autorisation de licenciement. Cet alinéa ne permet au salarié protégé d'échapper à une autre sanction que lorsque l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement. Les juges considèrent dans ce cas, en effet que lorsque l'inspecteur refuse le licenciement, la mise à pied est annulée et ses effets sont supprimés de plein droit (7).

La mention expresse de la faculté pour l'employeur de mettre à pied à titre conservatoire un salarié protégé dans l'attente de l'autorisation de l'inspecteur du travail était nécessaire. Il aurait, en effet, été parfaitement envisageable, en l'absence de précision textuelle, d'obliger l'employeur à conserver le salarié protégé dans l'entreprise dans l'attente de la décision de l'inspecteur du travail. Son mandat n'étant pas suspendu, il aurait été logique de le laisser accéder à l'entreprise en sa qualité de représentant du personnel (8).

Cette disposition a, ainsi, pour unique objet d'introduire la mise à pied là où son application, en l'absence de texte, risquait d'être compromise. Elle n'a pas vocation à permettre au salarié d'obtenir une immunité lorsque l'employeur envisage, à l'issue de l'entretien, une autre sanction que le licenciement.

  • Des salariés ordinaires

Outre l'autorisation de l'inspecteur du travail préalable à leur licenciement, les salariés protégés restent des salariés ordinaires face à la procédure disciplinaire à laquelle ils sont pleinement soumis (9). L'employeur peut ainsi parfaitement les mettre à pied pour motif disciplinaire (10). Il faut simplement, lorsque cette sanction est précédée d'une mise à pied conservatoire, que l'employeur ait respecté la procédure de licenciement et, singulièrement, ait convoqué le salarié à l'entretien préalable. Le cas échéant, il se trouve privé de la possibilité de prendre une sanction, faute d'avoir respecté la procédure disciplinaire.

La solution est ainsi identique à celle appliquée aux salariés ordinaires (11) tant sur le principe que sur le régime applicable, et singulièrement, sur l'articulation qu'il convient de respecter entre la les deux mises à pied (12).

  • Un principe d'articulation désormais acquis

La Cour trouve, ici, l'occasion de rappeler que, dans ce cas, la mise à pied conservatoire s'impute sur la durée de la mise à pied disciplinaire, (13). Vu la rareté du contentieux sur ce point, et ses conséquences pour le salarié, elle méritait d'être réaffirmée.

Stéphanie Martin-Cuenot
Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) C. trav., art. L. 122-41, alinéa 3 (N° Lexbase : L5579ACM).
(2) C. trav., art. L. 122-40 (N° Lexbase : L5578ACL) ; Cass. soc., 29 mars 1995, n° 93-41.863, M. Biraud c/ Société Arnaud 79 (N° Lexbase : A2058AAH).
(3) Cass. soc., 29 mars 1995, n° 93-41.863, précité.
(4) Cass. soc., 18 février 1998, n° 96-40.219, Caisse régionale du Crédit agricole mutueldes Pyrénées-Atlantiques c/ Mme Narvarte (N° Lexbase : A2860ACW), Dr. soc 1998, p. 499, obs. A. Jeammaud.
(5) C. trav., art. L. 122-41, alinéa 2.
(6) Cass. soc., 22 juillet 1982, n° 80-41279, Carro, Faugeroux, Delgado, Iniger, Hirson, Raynal c/ Compagnie Industrielle pour les Techniques Electriques (N° Lexbase : A5935CIN), Bull. civ. V, n° 501.
(7) Cass. soc., 24 octobre 1997, n° 95-40.930, M. Gatelet (N° Lexbase : A2087ACB), Bull. civ. V, n° 334.
(8) Cass. soc. 2 mars 2004, n° 02-16.554, M. Patrice Verwaerde c/ M. Roger Delrue, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3741DB8), Bull. civ. V, n° 71.
(9) Cass. soc., 22 juillet 1982, Bull. civ. V, n° 501, précité.
(10) Cass. soc., 23 juin 1999, n° 97-41.121, M. X c/ Société Technique française du nettoyage (N° Lexbase : A4749AGY), Bull. civ. V, n° 301.
(11) Cass. soc., 5 novembre 1987, n° 84-44.971, Compagnie d'assurances générales de France c/ Mme Coste (N° Lexbase : A3848AGM), Bull. civ. V, n° 617.
(12) Cass. soc., 29 mars 1995, n° 93-41.863, précité.
(13) Cass. soc., 5 novembre 1987, Bull. civ. V, n° 617, précité ; Cass. soc., 29 mars 1995, n° 93-41.863, précité.

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Domaine public

[Evénement] Code général de la propriété des personnes publiques

Lecture: 10 min

N1064ALY

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par Compte-rendu réalisé par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de la Revue Lexbase de Droit Public

Le 07 Octobre 2010

Instauré par l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 (N° Lexbase : L3736HI9), le Code général de la propriété des personnes publiques est applicable depuis le 1er juillet 2006 (pour une présentation d'ensemble de ce texte, lire Christophe de Bernardinis, Réforme du Code général de la propriété des personnes publiques, Revue Lexbase de Droit Public, n° 8 du 15 juin 2006 N° Lexbase : N9451AKA).
A l'occasion d'un déjeuner-travail organisé par le Cabinet Jeantet Associés, le Professeur Yves Gaudemet, Professeur à l'Université de Paris II, et Monsieur Jacques Arrighi de Casanova, Président de la première sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat, sont revenus sur les points importants de cette réforme à laquelle ils étaient associés.
  • Redéfinition du domaine public (immobilier)

Le Code procède à une redéfinition du domaine public. Comme l'indique J. Arrighi de Casanova, la nouvelle définition constitue la réponse aux critiques sur l'hypertrophie de la notion du domaine public, résultant, notamment, de la jurisprudence "Le Béton" du Conseil d'Etat (CE Contentieux, 19 octobre 1956, n° 20180, Société 'Le Béton' c/ Office National de la Navigation N° Lexbase : A3283B84). En effet, les définitions législatives du domaine public, telles qu'issues du Code du domaine de l'Etat et du Code civil, avaient conduit la jurisprudence à y inclure tous les biens affectés à l'usage direct du public ainsi que les biens affectés au service public avec, en facteur commun, le critère de l'aménagement spécial. En est résulté une hypertrophie du domaine public conduisant à une application trop étendue, quant à l'objet, des règles de la domanialité, règles qui, par ailleurs, étaient conçues comme trop contraignantes en ce qu'elles s'opposaient à certains assouplissements, accommodements, tels que la constitution de servitudes, qui pourtant, selon J. Arrighi de Casanova, "n'auraient pas été inconcevables".

Le choix opéré par les rédacteurs du code, qui se trouve à l'article L. 2111-1 du nouveau Code général de la propriété des personnes publiques, dépossède le juge de sa fonction normative en donnant la définition du domaine public immobilier. Il en ressort que "sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public". A priori, cette définition ressemble fortement à l'ancienne définition jurisprudentielle. Le critère normalement réducteur de l'aménagement spécial ne concerne que l'affectation au service public et non pas les biens affectés à l'usage direct du public. Mais, comme J. Arrighi de Casanova l'explique, tout espace ouvert au public n'est pas pour autant un bien affecté à l'usage du public, au sens de cette disposition. Par conséquent, pour les espaces simplement ouverts au public, cette définition ne devrait pas impliquer une extension du domaine public.

Le coeur de l'innovation, même si elle est discrète, se situe, s'agissant des biens affectés à l'usage du service public, dans l'expression "pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public", et donc, plus simplement, d'un aménagement spécial.

En réalité, cette redéfinition vient consacrer l'exclusion du domaine public des bureaux de l'administration.

L'ordonnance du 19 août 2004 avait réglé le sort des bureaux de l'Etat en prévoyant, en son article premier, que "les biens immobiliers à usage de bureaux, propriété de l'Etat ou de ses établissements publics, à l'exclusion de ceux formant un ensemble indivisible avec des biens immobiliers appartenant au domaine public, font partie du domaine privé de ces personnes publiques" (ordonnance n° 2004-825 du 19 août 2004, relative au statut des immeubles à usage de bureaux et des immeubles dans lesquels est effectué le contrôle technique des véhicules et modifiant le code du domaine de l'Etat N° Lexbase : L0884GTW). En cela, la nouvelle définition implique un "resserrement" du domaine public.

En introduisant les mots "pourvu qu'ils fassent l'objet", les rédacteurs de l'ordonnance ont, ici, entendu condamner la théorie du domaine public virtuel, développée par la doctrine et certains praticiens à partir d'un arrêt du Conseil d'Etat de 1985 (CE Contentieux, 6 mai 1985, n° 41589, Association Eurolat Crédit Foncier de France N° Lexbase : A3186AMX). Dans cette affaire, était en cause un montage contractuel mis en place par un EPCI sur un terrain faisant a priori partie du domaine privé d'une collectivité locale, qui avait conclu une opération de partenariat avec des opérateurs privés pour construire une maison de retraite (le support de cette opération étant un bail emphytéotique) et d'où il résultait qu'à terme cette maison serait le siège d'un service public ; par conséquent, l'ensemble immobilier, et notamment l'immeuble à construire, serait aménagé à cette fin. Le Conseil d'Etat a considéré que cet ensemble contractuel formait un ensemble indivisible et quelle qu'ait été l'affectation certaine à un service public et la réalisation d'aménagements spéciaux, il était impossible de le réaliser à travers un contrat dans lequel étaient reconnus des droits réels (emphytéotiques) sur des biens qui relèveraient du domaine public. Donc, selon J. Arrighi de Casanova, par l'expression "pourvu qu'ils fassent l'objet", il faut entendre "pourvu qu'ils fassent l'objet effectivement", et non pas "qu'ils soient destinés plus tard à faire l'objet".

Par ailleurs, le Professeur Y. Gaudemet relève, à propos des dispositions "sous réserve de dispositions législatives spéciales", qu'elles traduisent le fait que le domaine public reste à la discrétion du législateur, et qu'il lui appartient d'opérer les arbitrages nécessaires (cf. exemple des bureaux). Autrement dit, il n'y a pas d'enracinement constitutionnel de la domanialité publique.

Enfin, les mots "biens lui appartenant" viennent réaffirmer l'exigence de la propriété d'une personne publique, laquelle est la première condition de la domanialité publique. Le Professeur ajoute qu'il doit, plus précisément, s'agir de la pleine propriété, c'est-à-dire qu'un même bien, avec la même affectation, selon qu'il est détenu en pleine propriété, ou en copropriété, par une collectivité locale ou par l'Etat, fera partie, ou non, du domaine public.

Par ailleurs, interrogé sur la question de savoir si les EPIC sont visés à l'article L. 1 du code définissant son champ d'application, J. Arrighi de Casanova répond par l'affirmative. En effet, entrent dans le champ du code les personnes publiques suivantes : Etat, collectivités territoriales et leurs groupements, et les établissements publics, quels qu'ils soient. Il précise que, volontairement, n'ont pas été mentionnées "les personnes publiques", dans la mesure où depuis quelques années, sont apparues des personnes publiques ayant un statut indépendant (exemple de la Banque de France : statut de personne publique mais n'est pas établissement public ; de même pour l'autorité des marchés financiers). Ces personnes publiques ne rentrent pas dans le champ du code, mais leurs dispositions spéciales y font renvoi. De même, les groupements d'intérêt public sont des personnes publiques constituant un statut sui generis. Ils ne rentrent donc pas dans le champ du code ; en revanche, aucune disposition n'y fait renvoi.

  • Changement du régime d'affectation

Le Professeur Y. Gaudemet rappelle que le régime de la domanialité publique est un régime d'affectation, non de propriété, et qu'il s'applique exclusivement aux propriétés publiques. Il a pour objet de corriger l'exercice des attributs de la propriété, dans la mesure exigée par ce régime d'affectation. Il ne s'agit donc pas d'un régime de propriété auquel se substituerait un régime de la domanialité publique. La propriété demeure, avec l'ensemble des attributs du droit de propriété, et, pour les besoins de l'affectation, pendant la durée d'affectation, ce régime de droit public (alors que les questions de propriété relèvent du droit privé) vient paralyser ou corriger certains attributs du droit de propriété dans la mesure où ceux-ci seraient contraires à ce régime d'affectation.

Cette logique, retenue par le code, traduite par la présentation du régime de la domanialité au titre de la gestion, et non au titre de l'acquisition des biens, est une logique permettant la valorisation. Autrement dit, l'affectation d'un bien et sa soumission à un régime de domanialité publique n'écartent pas l'exercice de ces attributs du droit de propriété (questions de valorisation, de richesse), ou plus exactement, ne les écartent que dans la mesure nécessaire à ce critère d'affectation, et pour la durée de cette affectation.

La conséquence ultime de cela se situe dans la durée limitée de la domanialité publique : lorsque l'affectation cesse, la domanialité publique devrait cesser. A cet égard, le code conserve un système de déclassement explicite, c'est-à-dire un acte récognitif de la désaffectation.

En revanche l'affectation, pendant qu'elle s'applique, ne doit paralyser l'exercice des attributs du droit de propriété (c'est-à-dire le droit de vente, le bénéfice de l'accession...), que dans la mesure du strict nécessaire à l'affectation.

Tout cela emporte deux grandes conséquences vis-à-vis des voisins, d'une part, et des occupants du domaine public, d'autre part.

1. Vis-à-vis des voisins :

Pour permettre aux opérations de se développer sur le terrain du droit privé sans que cela ne gêne l'affectation, le Conseil d'Etat, a admis depuis longtemps la constitution des servitudes réelles sur le domaine public, sous réserve de la compatibilité avec l'affectation. Le code, de façon très claire, à travers l'article L. 2122-4, consacre la possibilité, pour les voisins, de constituer des servitudes réelles dès lors que celles-ci sont compatibles avec l'affectation de la domanialité.

C'est une conséquence nécessaire, déjà admise par la pratique, notamment la pratique notariale. Il ne s'agit donc pas d'une nouveauté mais d'une clarification.

2. Vis-à-vis des occupants du domaine public :

Quel que soit leur titre d'occupation, la jurisprudence ancienne du Conseil d'Etat reconnaissait aux occupants la qualité de quasi-propriétaire, c'est-à-dire la qualité de propriétaire, pendant la durée d'occupation.

Plus récemment, dans les années 1980, le sentiment s'est répandu que le principe d'inaliénabilité était incompatible avec la reconnaissance de droits réels à ces occupants. Ceci impliquait pour ces derniers, notamment pour le financement des investissements, qu'ils étaient privés de la surface financière que constitue le droit de propriété.

Un certain nombre de textes est venu remédier à ce problème. Ainsi, la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 permet aux collectivités locales et leurs établissements publics, de consentir sur leur domaine public des baux emphytéotiques, sous certaines conditions (CGCT, art. L. 1311-2 N° Lexbase : L7343HIS). De façon un peu plus large et s'agissant du domaine de l'Etat, la loi n° 94-631 du 25 juillet 1994, complète le Code du domaine de l'Etat (articles L. 34-1 à L. 34-9 N° Lexbase : L2104AA8), et étend la possibilité de constituer des droits réels sur le domaine public de l'Etat et de ses établissements publics. De même, d'autres textes sont venus compléter cette démarche énumérative visant à reconnaître des droits réels à l'occupant. Le dernier en date, l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004, sur les contrats de partenariat (N° Lexbase : L2584DZQ), prévoit ainsi que "le titulaire du contrat a, sauf stipulation contraire de ce contrat, des droits réels sur les ouvrages et équipements qu'il réalise. Ces droits lui confèrent les prérogatives et obligations du propriétaire, dans les conditions et les limites définies par les clauses du contrat ayant pour objet de garantir l'intégrité et l'affectation du domaine public".

L'apport du code est considérable sur ce point, puisqu'il consacre le retour à la règle initiale d'origine jurisprudentielle. Il ne s'agit pas d'une conquête ou d'une nouveauté, mais il marque la fin de cette démarche approximative.

Ainsi, pour l'Etat du moins et ses établissements publics, le code pose le principe à l'article L. 2122-6, dont l'alinéa 1er dispose que "le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'Etat a, sauf prescription contraire de son titre, un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice d'une activité autorisée par ce titre".

L'alinéa suivant prévoit, alors, que ce droit réel en fait un propriétaire à durée limitée :

"Ce droit réel confère à son titulaire, pour la durée de l'autorisation et dans les conditions et les limites précisées dans le présent paragraphe, les prérogatives et obligations du propriétaire.

Le titre fixe la durée de l'autorisation, en fonction de la nature de l'activité et de celle des ouvrages autorisés, et compte tenu de l'importance de ces derniers, sans pouvoir excéder soixante-dix ans".

Lors de la rédaction du texte, le problème s'est posé de l'extension de ce principe aux collectivités locales. En l'état, rien n'est prévu, mais le Professeur Gaudemet indique que le code est amené à être complété sur ce point.

Donc, pour les collectivités territoriales, les règles sont les suivantes :

1. elles peuvent accorder des droits réels (baux emphytéotiques), mais il s'agit d'une démarche positive (loi de 1988) (alors que pour l'Etat, cette possibilité est accordée de plein droit) ;
2. cette faculté est conditionnée par la réalisation d'un projet ("en vue de l'accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d'une mission de service public ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence ou en vue de l'affectation à une association cultuelle d'un édifice du culte ouvert au public ou, jusqu'au 31 décembre 2007, liée aux besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales ainsi que d'un établissement public de santé ou d'une structure de coopération sanitaire dotée de la personnalité morale publique ou, jusqu'au 31 décembre 2010, liée aux besoins d'un service départemental d'incendie et de secours") (CGCT, art. L. 1311-2 nouveau N° Lexbase : L7343HIS) ;
3. l'article L. 1311-8 du CGCT l'exclue pour le domaine public naturel (N° Lexbase : L7351HI4).

  • La valorisation des droits réels

Le droit réel ainsi conféré à l'occupant domanial en fait un propriétaire. Encore fallait-il régler la façon dont il allait valoriser son droit réel, c'est-à-dire le faire circuler, le céder, le loger dans un crédit-bail, l'hypothéquer. En l'état antérieur au texte, le problème de la circulation du droit réel n'était réglé que par la loi du 25 juillet 1994 pour les droits réels sur le domaine de l'Etat. Là encore, le code est venu généraliser le mode de circulation du droit réel tel que prévu par ce texte. Il en découle que le titre peut circuler, la propriété peut être valorisée, à condition :

- d'informer le propriétaire domanial ;
- lui reconnaître une faculté d'opposition, cette faculté devant être conditionnée par le fait que le droit d'opposition ne peut s'exercer que pour la sauvegarde du titre et dans l'intérêt du domaine public.

  • Les procédures d'attribution des contrats de crédit-bail

Concernant les procédures d'attribution des autorisations d'occupation du domaine public, la question relative à l'obligation de procéder à une mise en concurrence préalable s'est posée à cette occasion. Elle aurait pu être résolue mais il n'en est rien. J. Arrighi de Casanova reste même sceptique quant à une solution apportée par le décret d'application.

En tout état de cause, les opérateurs prendraient de grands risques en déduisant du silence du code, la conclusion que rien ne s'applique et qu'ils peuvent continuer à accorder des autorisations sans aucune mise en concurrence préalable. Le silence du code témoigne simplement du fait que la définition des procédures de mise en concurrence n'entre pas dans le cadre de son objet.

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Collectivités territoriales

[Evénement] Questions au sénateur Yves Détraigne et à l'avocat Guy Pécheu sur le droit d'expression des élus majoritaires et minoritaires dans le bulletin municipal

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N1069AL8

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Le 07 Octobre 2010

Le 7 mars dernier était publiée, au Journal officiel de l'Assemblée nationale, la réponse à une question de François Calvet, député UMP des Pyrénées-orientales, relative au droit d'expression des élus d'opposition dans le bulletin municipal (1). Le député s'interrogeait sur le droit en vigueur face à l'absence de dispositions dans le règlement intérieur du conseil municipal. Après avoir rappelé que le droit d'expression des conseillers municipaux n'appartenant pas à la majorité municipale dans les communes de 3 500 habitants et plus est reconnu par l'article L. 2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L6475A7X), qui prévoit un espace réservé à cet effet dans les bulletins d'information générale diffusés par la commune, le ministre de l'Intérieur souligne que, dans l'hypothèse où le règlement intérieur n'apporterait pas de précision sur les modalités de l'exercice du droit d'expression des élus minoritaires, cela ne paraît pas faire obstacle à ce que le responsable de la publication du bulletin municipal attribue un espace d'expression aux élus de l'opposition. La question n'est, cependant, pas isolée. Nombreux sont, en effet, les députés ou sénateurs à s'interroger sur le droit d'expression des élus dans le bulletin municipal. Et si l'article L. 2121-27-1 du CGCT le réglemente, ses dispositions restent trop larges pour répondre précisément à toutes les interrogations qu'il peut soulever : le maire peut-il censurer certains articles ? Les élus de l'opposition ont-ils un droit d'expression dans les suppléments au bulletin municipal ? Les conseillers municipaux appartenant à la majorité ont-ils également droit à un espace réservé ? C'est dans ce contexte que le sénateur UDF Yves Détraigne a déposé, le 2 novembre dernier, une proposition de loi visant à garantir le droit d'expression de tous les élus. Le sénateur de la Marne et maire de Witry-lès-Reims a accepté de revenir sur celle-ci (I). L'occasion pour nous de faire le point, avec Guy Pécheu, avocat et élu local à Carrières-sous-Poissy, sur le droit existant (II).


I. Droit d'expression de tous les élus locaux dans le bulletin municipal : questions à Yves Détraigne, sénateur de la Marne et maire de Witry-lès-Reims

Lexbase : Vous êtes l'auteur d'une proposition de loi déposée en novembre dernier visant à garantir le droit d'expression de tous les élus locaux. Comment est née l'initiative d'une telle proposition ?

Sénateur Détraigne : A l'origine, j'ai été saisi de cette question par un conseiller municipal d'une ville de mon département, qui s'interrogeait, à la suite de la remarque faite par un membre de l'opposition, pour savoir si le droit d'expression des élus locaux, tel que prévu par la loi relative à la démocratie de proximité (loi n° 2002-276 du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité (N° Lexbase : L0641A37), était ouvert à toutes les composantes de l'équipe municipale ou seulement réservé à l'opposition.

Le texte de l'article L. 2121-27-1 du Code Général des Collectivités Territoriales parlant d'espace "réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale" et étant muet sur le droit d'expression des conseillers de la majorité, j'ai alors posé une question orale à madame Marie-José Roig, ministre déléguée aux Collectivités locales, afin qu'elle me précise l'interprétation qui devait être donnée de cette disposition législative (2).

La ministre m'a alors confirmé que, comme l'avait précisé un jugement du tribunal administratif de Dijon en 2003 (3), cette disposition ne faisait pas obstacle à ce que les pages des publications municipales créées à cet effet soient également ouvertes aux conseillers de la majorité municipale.

Or, un jugement du tribunal administratif de Rouen intervenu, deux ans après celui de Dijon, a contredit celui-ci en indiquant que conformément au texte de loi, l'espace de libre expression était réservé uniquement aux élus minoritaires.

Face à ces interprétations contradictoires et soucieux de permettre à l'ensemble des élus d'un conseil municipal d'accéder à ce moyen d'expression, j'ai donc déposé une proposition de loi modifiant en ce sens les articles concernés afin de lever toute ambiguïté.

Lexbase : Vous soulignez, dans l'exposé des motifs, que les articles L. 2121-27-1, L. 3121-24-1 (N° Lexbase : L6485A7C) et L. 4132-23-1 (N° Lexbase : L6487A7E) du Code général des collectivités territoriales, tous trois introduits par l'article 9 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité, sont sources de nombreux contentieux au sein des collectivités locales. Nous avons déjà eu l'occasion de nous pencher sur l'article L. 2121-27-1, pouvez-vous nous définir les articles L. 3121-24-1 et L. 4132-23-1 et nous expliquer en quoi ils sont sources de difficultés pour les collectivités locales.

Sénateur Détraigne : Les articles L. 3121-24-1 et L. 4132-23-1 du CGCT étendent les dispositions prévues pour l'expression des conseillers municipaux aux groupes d'élus des conseils généraux et régionaux mais sans les réserver aux élus minoritaires contrairement aux conseils municipaux.

En revanche, ces dispositions ne permettent pas aux élus n'appartenant à aucun groupe de s'exprimer. C'est pourquoi il m'a semblé utile de modifier également ces articles afin d'indiquer que le droit d'expression est ouvert à tous les élus qu'ils soient, ou non, réunis en groupe.

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler le contenu de votre proposition et ses principales dispositions ?

Sénateur Détraigne : Cette proposition de loi comprend quatre articles. Les trois premiers modifient la rédaction actuelle des articles L. 2121-27-1, L. 3121-24-1 et L. 4132 -23-1 du CGCT.

Afin de clarifier expressément le contenu du Code général des collectivités territoriales en matière de droit d'expression des élus, je propose, en effet, de créer dans les bulletins d'information générale, quel qu'en soit le support, un espace réservé à l'expression de toutes les tendances politiques de l'assemblée.

Si cette proposition risque de contrarier ceux qui souhaitent que les pages d'expression politique soient réservées aux élus de l'opposition, je crois, au contraire, que l'équité commande que toutes les tendances puissent disposer des mêmes moyens de s'exprimer. Dans mon département, un certain nombre de collectivités ont d'ailleurs choisi cette solution.

Le quatrième article traite de la communication au sein des groupements de communes afin d'y appliquer les mêmes dispositions. En effet, les intercommunalités se développant et gérant de plus en plus de compétences par rapport aux communes, il semble normal que les règles d'expression politique y soient les mêmes que dans les communes.

Lexbase : Le contexte juridique entourant le droit d'expression des élus locaux reste, à l'heure actuelle, encore obscur. Certes, la loi relative à la démocratie de proximité marque un premier pas, votre proposition en amorçant un second, subsiste, cependant, l'impression d'une certaine appréhension à légiférer en la matière. Comment expliquer cette "timidité" législative ?

Sénateur Détraigne : Je pense que cette "timidité législative" s'explique principalement par la crainte que le développement de la libre expression des diverses composantes d'une assemblée locale conduise à sa politisation. En réalité, quand on sait comment fonctionne le conseil municipal d'une petite commune et que 75 % des communes de notre pays ont moins de 1 000 habitants, le risque de dérive me paraît limité.

Lexbase : Auriez-vous d'autres propositions qui permettraient de clarifier le droit existant ?

Sénateur Détraigne : En matière de communication et de droit d'expression, j'ai projeté de déposer un texte réglementant les "spams politiques". En effet, si, depuis la promulgation de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (4), l'utilisation d'adresses de courriers électroniques dans les opérations de prospection commerciale est subordonnée au recueil du consentement préalable des personnes concernées, rien, en revanche, n'interdit véritablement les opérations de "prospection politique". Je diffuse moi-même une lettre électronique mensuelle rendant compte de mes activités, mais à chaque envoi, le destinataire peut demander sa résiliation du listing de diffusion.

Concernant des propositions permettant de clarifier plus généralement le droit existant en matière de collectivités locales, je suis l'auteur d'une proposition de loi tendant à étendre aux membres d'un établissement public de coopération intercommunale ayant reçu délégation le régime indemnitaire et la protection pénale des conseillers municipaux délégués (5) et d'une proposition de loi visant à encadrer la participation des communes au financement des écoles privées sous contrat d'association (6).

J'ai également cosigné la proposition de loi tendant à protéger les noms des collectivités locales sur Internet (7) de mon collègue, le sénateur Philippe Arnaud. Ce texte a été débattu en séance publique au Sénat, le 22 juin 2004 et est depuis, en attente sur le bureau de l'Assemblée nationale. Je me suis également associé à la proposition de loi du sénateur Christian Gaudin modifiant l'article L. 1411-5 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8319AAD) afin de permettre la participation d'agents territoriaux aux réunions de la commission d'examen des offres de délégation de service public (8).

II. Responsabilité du maire et droit d'expression de l'opposition dans la publication du bulletin municipal : questions à Guy Pécheu, avocat et élu local à Carrières-sous-Poissy

Lexbase : Commençons peut-être par une présentation sommaire du bulletin municipal : quelle vocation a-t-il ? Son contenu et sa publication sont-ils réglementés ?

Maître Pécheu : Le bulletin municipal se présente généralement comme un ouvrage de mise en valeur, par l'équipe majoritaire, de ses réalisations. La loi sur la démocratie de proximité a rééquilibré l'information en ouvrant un espace d'expression aux élus n'appartenant pas à la majorité. J'ai appris récemment que 45 % des communes de 5 000 à 10 000 habitants n'appliqueraient pas ce droit, ce qui me paraît énorme, et sans doute regrettable (Gazette des Communes, avril 2006).

Lexbase : L'article L. 2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales, introduit par l'article 9 de la loi n° 2002-276, relative à la démocratie de proximité, impose de réserver dans le bulletin municipal un espace d'expression aux conseillers d'opposition. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette disposition ? Est-elle également applicable au site internet d'une commune ?

Maître Pécheu : Sur un plan général, la mesure mérite d'être saluée, mais, comme je l'indiquais, il n'est pas certain qu'elle soit véritablement entrée dans les moeurs. Il faut savoir que les élus des groupes minoritaires peinent encore à accéder réellement aux documents communicables les plus basiques, et ils doivent souvent se contenter du minimum quasi-automatique, c'est-à-dire, la seule information mise à leur disposition pour les séances du conseil municipal : c'est peu, et c'est court, au regard de l'activité globale d'une municipalité. Le conseil municipal n'a que des compétences très limitées. Il faut une pugnacité sans faille à l'élu minoritaire pour aller au-delà et se lancer dans des questions ne relevant pas strictement du conseil municipal, mais qui intéresseront le chroniqueur-élu-minoritaire, et son lecteur.

L'article 2121-27-1 indiquant que la disposition s'applique "quel que soit le support", il y a lieu de considérer qu'elle s'applique au site internet. C'est le sens d'ailleurs des réponses ministérielles (9). Ici, encore, et en parcourant la toile, on peut douter que dans la pratique, les élus locaux puissent réellement exercer ce droit.

Lexbase : Dans l'hypothèse où un article de ces mêmes conseillers serait diffamatoire à l'égard de tiers, est-ce que la responsabilité du maire, lorsqu'il est directeur de la publication du bulletin municipal, peut être engagée au titre de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse (N° Lexbase : L7589AIW) ? Quelle est, alors, la responsabilité des auteurs des articles ?

Maître Pécheu : Je ne vois aucune dérogation particulière ni dans la loi de 1881 sur la presse, ni dans les autres textes, qui exonèrerait le maire de ses responsabilités pénales lorsqu'il est directeur de publication du bulletin municipal. Le maire et les élus-auteurs seraient, donc, sans doute, sur le plan pénal, co-responsables des propos injurieux ou diffamatoires ainsi diffusés. J'ai, certes, vu une réponse ministérielle s'orientant en sens inverse, mais tant que la jurisprudence ne se sera pas prononcée, cette réponse ministérielle me paraît dépourvue de fondements pertinents. Il y aurait ici un véritable danger pour la démocratie locale et on ne saurait admettre que le débat politique local dégénère en infractions à la loi sur la presse. A cet égard, le danger que vous évoquez est en réalité, des deux côtés, car ce sont parfois les élus du groupe majoritaire, qui seront tentés de commettre l'infraction... De nombreuses municipalités ont en effet décidé d'ouvrir également un espace d'expression aux élus de la majorité.

Lexbase : Le maire peut-il décider de ne pas publier certains écrits ? Sur quels fondements ?

Maître Pécheu : Pour l'heure, et hormis les éventuelles atteintes à la vie privée, je ne vois pas d'autres fondements possibles à un refus de publication du maire que ceux prévus par la loi de 1881, et donc ce qui concerne les propos injurieux ou diffamatoires. Mais, ce n'est pas seulement pour lui, une possibilité, c'est une obligation, à charge toutefois pour lui, d'informer l'élu suffisamment tôt pour qu'il puisse faire connaître ses objections.

Lexbase : Quels sont, alors, les recours possibles pour l'élu "censuré" ?

Maître Pécheu : L'élu censuré dispose d'un recours devant le tribunal administratif en annulation de la décision du maire le censurant, et il peut également en demander la suspension. Mais la loi datant de février 2002, les premières jurisprudences ne sont pas encore connues, sauf peut-être par les cercles étroits d'initiés. Cela pose à l'évidence, un problème de sécurité juridique, car un élu, davantage encore qu'un justiciable lambda, n'aime pas avoir à se lancer dans des procédures dont l'issue serait trop incertaine.

Lexbase : Ce droit d'expression doit, en période électorale, revêtir un sens particulier. Doit-il se combiner avec les dispositions de l'article L. 52-1 du Code électoral (N° Lexbase : L2760AAH) qui interdisent, dans les six mois précédant une élection générale, toute campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin ?

Maître Pécheu : Ici encore, les dispositions combinées des textes ne sont pas très claires, et on ne sait pas dans quel sens vont désormais statuer les juridictions puisque jusqu'à présent celles-ci s'attachaient à ce que les bilans ne soient pas "polémiques". Pour éviter les contentieux, un certain nombre de mairies suspendront peut-être purement et simplement le bulletin municipal pendant toute cette période, ce qui règlerait le problème de manière radicale. Mais si le bulletin paraît, les élus de la minorité doivent pouvoir continuer de s'y exprimer conformément à la loi. D'ailleurs, à propos des plaquettes de bilans de mi-mandat édités par la mairie, un jugement du tribunal administratif de Lyon (16 juin 2006, ville de Saint Chamand) vient opportunément de rappeler que les élus de l'opposition ont la possibilité de s'y exprimer.

Lexbase : A défaut, le règlement intérieur ne peut-il pas prévoir, pour cette période, les règles applicables à l'expression des élus, qu'ils appartiennent ou non à la majorité ?

Maître Pécheu : Comme je le disais, rien n'interdit aux majorités de s'exprimer dans une tribune qui leur est ouverte, et elles le font dans de nombreuses municipalités qui l'organisent. Pour autant, le règlement intérieur ne peut pas déroger à l'article L. 52-1 du Code électoral, donc, la question pourra se poser de savoir ce qu'il faudra entendre dans un tel contexte par "campagne de promotion publicitaire".



Propos recueillis par Fany Lalanne
SGR - Droit public


(1) QE n° 72477 de M. Calvet François, JOANQ 23 août 2005, p. 7933, réponse publ. le 7 mars 2006, p. 2500, 12e législature (N° Lexbase : L2886HK4).
(2) QOSD n° 0657S de M. Yves Détraigne, JO Sénat 9 février 2005, p. 763, réponse publ. le 9 mars 2005, p. 1338, 12e législature (N° Lexbase : L2875HKP).
(3) TA Dijon, du 27 juin 2003, n° 021277, M. Lendzwa et autres C/ Commune de Genlis (N° Lexbase : A4783DQ9).
(4) Loi n° 2004-575, 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC).
(5) Proposition de loi n° 304 (2004-2005) (19 avril 2005).
(6) Proposition de loi n° 284 (2005-2006) (30 mars 2006).
(7) Proposition de loi n° 309 (2003-2004) (12 mai 2004).
(8) Proposition de loi n° 304 (2004-2005) (19 avril 2005).
(9) En ce sens, voir, par exemple, QE n° 21427 de M. Jean Louis Masson, JO Sénat 26 janvier 2006, p. 201, réponse publ. le 16 mars 2006 p. 787, 12e législature (N° Lexbase : L2881HKW). Le ministre soutient, ainsi, que "si le site internet de la ville offre une diffusion régulière d'informations sur les réalisations et la gestion du conseil municipal', en vertu du droit que leur reconnaît la loi, les conseillers minoritaires doivent y avoir une tribune d'expression. L'exercice de ce droit est organisé par le règlement intérieur du conseil municipal, un espace pouvant être réservé soit aux conseillers à titre individuel, soit aux groupes d'élus".

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Habitat-Logement

[Textes] La ratification de l'ordonnance relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux (première partie)

Réf. : Ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005, relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux (N° Lexbase : L5276HDR), ratifiée par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national sur le logement (N° Lexbase : L2466HKK)

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Le 07 Octobre 2010

Actuellement, en France, on dénombrerait 500 000 logements qualifiés d'indignes. L'ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005 relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux (1), qui vise à remédier à cette situation, vient d'être ratifiée par le Parlement (2). Elle comporte quinze articles, et vise à harmoniser les divers régimes de police administrative concernant les formes d'habitat "indignes" et à faciliter la réalisation des travaux, ainsi que l'hébergement et le relogement de leurs occupants. Elle précise, en outre, les responsabilités respectives en la matière des autorités de l'Etat et des collectivités locales ou de leurs groupements et vise à faciliter le traitement d'urgence des situations d'insalubrité et le respect des règles d'hygiène dans l'habitat. L'ordonnance est composée de quatre titres principaux, relatifs respectivement aux immeubles insalubres, aux bâtiments menaçant ruine, au relogement des occupants et à l'expropriation des immeubles insalubres. Composé en deux parties, le présent commentaire vise à en éclairer les principales mesures et les enjeux essentiels. La première partie sera consacrée aux nouvelles dispositions relatives aux immeubles insalubres et aux bâtiments menaçant ruine (pour les dispositions relatives au relogement des occupants et à l'expropriation des immeubles insalubres, cf. La ratification de l'ordonnance relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux (seconde partie) N° Lexbase : N1031ALR). I. Les dispositions relatives aux immeubles insalubres prévues par le Code de la santé publique

A. Rappel de la notion et de la procédure d'insalubrité

1) La notion d'insalubrité

Est insalubre tout immeuble, bâti ou non, vacant ou non, dangereux pour la santé des occupants ou des voisins du fait de son état ou de ses conditions d'occupation. Peuvent ainsi être déclarés insalubres : un ou plusieurs logements ; des immeubles isolés ou des îlots ; des immeubles en copropriété ; les seules parties privatives ou les seules parties communes d'un immeuble en copropriété. L'insalubrité associe la dégradation du bâti à des effets négatifs sur la santé. Elle s'analyse au cas par cas et après visite des lieux, en se référant, notamment, à une liste de critères. Parmi ces critères, on peut citer les murs fissurés, l'humidité importante, le terrain instable, l'absence de raccordement aux réseaux d'électricité ou d'eau potable ou encore l'absence de système d'assainissement.

2) La procédure d'insalubrité

La procédure d'insalubrité est amorcée par le rapport du Directeur départemental des affaires sanitaires et sociales (DDASS), ou du Directeur du service communal d'hygiène et de santé s'il existe, qui conclut à l'état d'insalubrité de l'immeuble concerné (3). Le préfet, saisi du rapport motivé du DDASS ou du directeur du service communal d'hygiène et de santé concluant à l'insalubrité de l'immeuble concerné, invite le conseil départemental d'hygiène (CDH) à donner son avis sous deux mois sur la réalité et les causes de l'insalubrité ainsi que sur les mesures pour y remédier. Le préfet notifie l'arrêté d'insalubrité aux propriétaires, aux personnes qui ont des droits sur l'immeuble, aux occupants de l'immeuble et à l'exploitant (4).

Le préfet constate par arrêté la conformité de la réalisation des travaux prescrits et leur date d'achèvement. Il prononce la mainlevée de l'arrêté d'insalubrité et, le cas échéant, de l'interdiction d'utiliser les lieux (5). Si, hormis la démolition de l'immeuble, les mesures prescrites n'ont pas été exécutées dans le délai imparti, le maire ou, à défaut, le préfet procède, au moins deux mois après une mise en demeure du propriétaire demeurée infructueuse, à l'exécution d'office des travaux. Si la démolition de l'immeuble a été prescrite, le maire ou, à défaut, le préfet, procède d'office à la réalisation des travaux nécessaires provisoires pour mettre fin au danger menaçant la santé des occupants ou des voisins (6).

B. Le traitement des situations d'urgence

Le titre 1er de l'ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005 traite de l'hygiène dans l'habitat et des locaux, installations, immeubles ou îlots insalubres. Il complète l'article L. 1311-4 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9246HE8) qui concerne le danger ponctuel imminent dû au non-respect des règles d'hygiène en prévoyant la réalisation d'office des mesures prescrites notamment par le maire et la récupération de la créance. Il harmonise aussi les dispositions applicables dans toutes les procédures (droit des occupants, réalisation de travaux d'office, récupération des créances, notamment). Il prévoit que si la personne redevable de l'obligation de respecter les mesures d'hygiène ne peut être identifiée, les mesures effectuées d'office sont à la charge de l'Etat. Les sanctions pénales en matière d'insalubrité sont réorganisées, complétées et précisées.

1) L'existence d'un danger ponctuel imminent

En effet, en cas de danger ponctuel imminent, aux termes de l'article 1311-4 du Code de la santé publique, le préfet peut ordonner l'exécution immédiate des mesures prescrites en matière d'hygiène par le règlement sanitaire départemental. L'ordonnance permet, désormais, au maire (ou, à défaut, au préfet), en matière de règles d'hygiène dans l'habitat, de procéder d'office à l'exécution des mesures prescrites aux frais de la personne qui y est tenue, étant précisé que si cette personne ne peut être identifiée, les frais restent à la charge de l'Etat (7).

2) L'existence d'une insalubrité irrémédiable

Désormais, en cas d'insalubrité irrémédiable (cf. infra, § 3, pour cette notion), le délai maximum de prise d'effet de l'interdiction définitive d'habiter, et donc le délai de relogement, est porté de six mois à un an, ce afin de permettre d'assurer effectivement le relogement en tenant compte des difficultés locales et sociales. Le préfet peut, en tout cas, prescrire les mesures nécessaires pour empêcher l'accès et l'usage des locaux déclarés insalubres irrémédiables au fur et à mesure de leur évacuation. En cas de nécessité, même si elles n'ont pas été prescrites par le préfet (cas des immeubles déclarés insalubres à la suite d'un ancien arrêté, par exemple), le maire peut les décider au nom de l'Etat (8).

Par ailleurs, les maires (ou, à défaut, les préfets) peuvent exécuter d'office les mesures prévues par l'arrêté d'insalubrité pour rendre inutilisables ces logements et destinées en particulier à écarter les dangers immédiats pour la santé et la sécurité des occupants et des voisins. Les maires peuvent même décider ces mesures et les exécuter d'office au nom de l'Etat dans le cas où elles n'auraient pas été prescrites par le préfet (9). Précisons cependant que les travaux de démolition prescrits par l'arrêté ne peuvent être exécutés d'office par l'autorité administrative qu'après l'obtention d'une ordonnance judiciaire (juge des référés du tribunal de grande instance).

3) Le traitement d'urgence des situations d'insalubrité

Le législateur a pris acte de ce que la procédure classique de lutte contre l'insalubrité ne permettait pas d'agir en urgence, lorsque cela apparaissait indispensable, ni d'intervenir pour garantir des conditions d'hygiène et de sécurité minimales aux occupants ni même de garantir leurs droits d'occupation. C'est pourquoi l'ordonnance du 15 décembre 2005 a prévu un mécanisme d'intervention d'urgence analogue à ce que peut être le péril imminent en matière d'immeubles menaçant ruine, en donnant au préfet, en cas de danger imminent pour la santé et la sécurité des occupants (10), la possibilité de notifier au propriétaire une mise en demeure pour travaux urgents, alors même que l'instruction est toujours en cours (c'est-à-dire avant la notification de la déclaration d'insalubrité) et, le cas échéant, de les faire exécuter d'office (11). Précisons que si l'exécution des travaux rend les locaux temporairement inhabitables, les dispositions relatives à la protection des occupants sont applicables (12).

C. La définition des locaux impropres à l'habitation et des locaux dont l'usage ou la suroccupation sont un facteur de risque pour la santé de leurs occupants

1) Les locaux impropres à l'habitation

Les caves, sous-sols, combles et pièces dépourvues d'ouverture sur l'extérieur sont interdits à l'habitation, que ce soit à titre gratuit ou onéreux. A cette liste ont été ajoutés, plus généralement, les autres locaux impropres par nature à l'habitation (13). Dans ces circonstances, le préfet, dans le délai qu'il fixe et sans procédure particulière, peut mettre en demeure la personne qui a mis à disposition de tels locaux de mettre fin à cette situation. Les conséquences sur les droits des occupants sont précisées par l'ordonnance. En particulier, le loyer ou toute autre somme versée en contrepartie de l'occupation de ces locaux cesse d'être dû dès notification de l'arrêté d'insalubrité (14), et les dispositions relatives à la protection des occupants sont applicables (15).

2) Les locaux dont la suroccupation est un facteur de risque pour la santé de ses occupants

Par ailleurs, les locaux ne peuvent être mis à disposition, que ce soit à titre gratuit ou onéreux, dans des conditions qui conduisent manifestement à leur suroccupation. De même que précédemment, le préfet, dans le délai qu'il fixe et sans procédure particulière, peut mettre en demeure la personne qui a mis à disposition de tels locaux de mettre fin à cette situation et le loyer ou toute autre somme versée en contrepartie de l'occupation de ces locaux cesse d'être dû dès notification de l'arrêté d'insalubrité (16). Cette disposition vise en fait les marchands de sommeil qui louent des locaux en suroccupation et en toute connaissance de cause.

3) Les locaux dont l'usage est un facteur de risque pour la santé de ses occupants

Les locaux ou installations qui ne sont pas en eux-mêmes impropres à l'habitation mais présentent un danger pour la santé et la sécurité de leurs occupants en raison de l'utilisation qui en est faite, peuvent donner lieu à injonction ou mise en demeure. L'injonction intervient après avis de la commission départementale compétente en matière d'environnement, de risques sanitaires ou technologiques et a pour objet de mettre fin aux dangers constatés dans un délai fixé par le préfet. Les frais sont à la charge de la personne défaillante et, à nouveau, le loyer ou toute autre somme versée en contrepartie de l'occupation de ces locaux cesse d'être dû dès notification de l'arrêté d'insalubrité (17).

D. La définition de l'insalubrité irrémédiable

Il s'agit là d'une notion juridique et non technique. L'insalubrité d'un bâtiment doit, en effet, être qualifiée d'irrémédiable lorsqu'il n'existe aucun moyen technique d'y remédier ou lorsque les travaux nécessaires à sa résorption seraient plus coûteux que la reconstruction pure et simple (18). Cette disposition interdit ainsi que des parties différentes d'un même bâtiment puissent être déclarées insalubres mais pour une part remédiable et pour une autre part irrémédiable. Cela conduit donc à encourager la réalisation de travaux de réhabilitation et à préciser les obligations des propriétaires. Cela conduit également à permettre le maintien dans les lieux des occupants, ou leur retour, et à éviter ainsi le relogement systématique toujours difficile lorsqu'il n'est pas justifié (cf. supra § 1 pour la procédure applicable). Enfin, cette clarification permet de mieux circonscrire le champ de l'expropriation dérogatoire du droit commun, en application de la loi n° 70-612 du 10 juillet 1970 dite loi "Vivien", tendant à faciliter la suppression de l'habitat insalubre (N° Lexbase : L2048A4M). Notons, à cet égard, que la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, qui porte ratification de l'ordonnance du 15 décembre 2005, a complété celle-ci pour permettre aux sociétés de construction dans lesquelles l'Etat détient la majorité du capital d'être bénéficiaires de l'expropriation dérogatoire prévue par la loi du 10 juillet 1970. Cet ajout va permettre, notamment, à la Sonacotra d'être maître d'ouvrage d'opérations de résorption d'habitat insalubre

E. La clarification des travaux pouvant être prescrits en cas d'insalubrité remédiable

Dans ce cas, le préfet prescrit les mesures appropriées nécessaires à la sortie d'insalubrité ainsi que le délai imparti pour leur réalisation (19) et prononce, s'il y a lieu, l'interdiction temporaire d'habiter, voire d'utiliser les lieux (20). Les travaux peuvent comprendre également les travaux nécessaires pour supprimer l'accessibilité au plomb lorsque le rapport d'enquête a fait apparaître ce risque. Il s'agit ainsi d'éviter de superposer à l'insalubrité une procédure au titre du plomb accessible et de faire engager d'éventuels travaux d'office, notamment palliatifs au titre du plomb, tout en assurant un traitement complet de l'immeuble concerné. Les travaux peuvent enfin comprendre l'installation des équipements nécessaires pour assurer la salubrité du logement (21). Il s'agit cette fois, d'une part, d'éviter que le logement puisse être juridiquement salubre sans disposer des équipements relevant de la décence, et d'autre part, d'éviter que le locataire réintégrant son logement après travaux soit tenu de saisir le tribunal d'instance pour obtenir l'installation des équipements de base manquants.

F. Précisions relatives aux immeubles en copropriété et aux immeubles squattés

1) Le cas des immeubles en copropriété

Lorsque les travaux prescrits portent sur les parties communes d'un immeuble soumis au statut de la copropriété, l'administration peut se substituer aux copropriétaires qui ne s'acquittent pas des demandes d'appels de fonds effectuées par le syndic de copropriété. En clair, l'autorité publique ne pourra se substituer qu'aux seuls copropriétaires défaillants et non au syndicat des copropriétaires pour les travaux. L'Etat est alors subrogé dans les droits et actions de ce dernier jusqu'à concurrence des sommes versées, ce qui lui permet des bénéficier des actions et recours à l'encontre du copropriétaire défaillant et, notamment, du privilège immobilier.

2) Le cas des immeubles squattés

En ce qui concerne les immeubles squattés, le régime financier des travaux exécutés d'office a été aménagé et tend à mieux protéger le droit des propriétaires. Le propriétaire qui bénéficie d'un jugement d'expulsion non exécuté à l'encontre d'occupants entrés par voie de fait peut, en effet, demander au tribunal administratif de mettre à la charge de l'Etat tout ou partie des travaux d'office réalisés. Cette somme vient en déduction de l'indemnité à laquelle peut prétendre le propriétaire au titre du préjudice financier né de la décision portant refus de prêter le concours de la force publique (22).

II. Les dispositions relatives aux bâtiments menaçant ruine prévues par le Code de la construction et de l'habitation

A. La simplification de la procédure de péril ordinaire

1) Les lacunes de l'ancienne procédure relative aux immeubles menaçant ruine

Les lacunes de l'ancienne procédure relative aux immeubles menaçant ruine, prévue par les dispositions de l'article L. 511-1 du Code de la construction et de l'habitation (CCH) (N° Lexbase : L8421HEM), justifient en grande partie les modifications apportées par l'ordonnance du 15 décembre 2005. Rappelons, d'abord, que l'arrêté de péril était le seul acte d'un maire qui ne fût pas exécutoire de plein droit puisqu'en cas de silence du propriétaire l'arrêté devait être homologué par le tribunal administratif. En outre, la complexité et la longueur de la procédure du péril ordinaire (de 9 mois à 2 ans) étaient inadaptées à la réalité du danger et conduisaient les maires à recourir, pour des raisons d'efficacité opérationnelle, soit systématiquement au dispositif du péril imminent (y compris en excès de pouvoir, ce qui entraînait des difficultés contentieuses), soit à leur pouvoir de police générale, lequel était insuffisant. Les occupants étaient finalement amenés à rester dans les lieux et voyaient leurs droits insuffisamment protégés (23).

Par ailleurs, les dispositions législatives étaient parfois d'une lecture difficile, ce qui rendait indispensable une bonne connaissance de la jurisprudence. Enfin, la double compétence juridictionnelle (juge d'instance en cas de péril imminent et juge administratif en cas de péril ordinaire) ne se justifiait que par des raisons historiques.

2) La nouvelle procédure de péril ordinaire

L'ordonnance du 15 décembre 2005 simplifie donc la procédure de péril ordinaire (24) en renvoyant d'abord la phase contradictoire avant la signature de l'arrêté de péril. Par ailleurs, l'homologation par le juge administratif est supprimée. En outre, les éventuelles interdictions d'habiter sont réintégrées dans l'arrêté de façon à permettre le relogement des occupants et à clarifier leur droit au bail. Enfin, le maire est habilité à effectuer les travaux d'office après mise en demeure adressée au propriétaire. En effet, ce dernier a toute faculté de contester l'arrêté de péril et de saisir le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir ou d'un référé-suspension aux fins, par exemple, de faire désigner un expert (en pratique, le recours à l'homologation de l'arrêté de péril par le tribunal administratif est, en effet, essentiellement lié à l'absence de réponse des propriétaires et très rarement à la contestation de l'expertise). En cas de démolition, l'autorisation du juge des référés judiciaire reste requise, comme en matière d'insalubrité. Enfin, en cas de refus des occupants de laisser entrer dans les lieux, le droit commun s'applique, à savoir la saisine du juge des référés afin d'autoriser le maire à exécuter d'office les travaux.

Concrètement, après une procédure contradictoire, le propriétaire est mis en demeure d'effectuer dans un délai déterminé les travaux, soit de réparations nécessaires, soit de démolition de l'immeuble menaçant ruine et, le cas échéant, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la solidité des bâtiments mitoyens. Dans le cas où l'état de solidité de tout ou partie du bâtiment ne permet pas de garantir la sécurité des occupants, le maire peut assortir l'arrêté de péril par une interdiction temporaire ou définitive d'habiter et d'utiliser les lieux. L'arrêté de péril doit alors préciser la date d'effet de l'interdiction (qui doit intervenir dans le délai d'un an si l'interdiction est définitive) ainsi que la date à laquelle le propriétaire, ou l'exploitant de locaux d'hébergement, doit lui avoir fait connaître si une offre précise d'hébergement ou de relogement a été faite aux occupants.

3) La modification du régime des travaux d'office

Le régime des travaux d'office a également été aménagé par l'ordonnance du 15 décembre 2005 afin de permettre la réalisation effective des travaux. Ainsi, lorsque le propriétaire n'a pas entrepris les travaux prescrits dans l'arrêté de péril, le maire le met en demeure de les exécuter dans un délai déterminé (qui ne peut être inférieur à un mois) et, à défaut d'exécution dans ce délai, peut, par décision motivée, faire procéder d'office à ces travaux, sans donc autorisation préalable en justice. En revanche, lorsque la démolition a été prescrite mais non exécutée, le maire ne peut y faire procéder d'office qu'après obtention d'une ordonnance judiciaire (juge des référés du tribunal de grande instance). Comme en matière d'insalubrité, l'autorité publique pourra ne se substituer qu'aux seuls copropriétaires défaillants (et non au syndicat des copropriétaires) pour les travaux. De même, le propriétaire qui bénéficie d'un jugement d'expulsion non exécuté à l'encontre d'occupants entrés par voie de fait peut en effet demander au tribunal administratif de mettre à la charge de l'Etat tout ou partie des travaux d'office réalisés.

B. La modification de la procédure de péril imminent

1) La distinction explicite entre procédure de péril imminent et procédure ordinaire

Les dispositions de l'article L. 511-1 précité ont été complétées par l'ordonnance du 15 décembre 2005 afin de distinguer clairement le péril imminent du péril ordinaire. Ainsi, dès lors que l'état des murs, bâtiments ou édifices quelconques présente un risque de péril immédiat, le maire prend les mesures provisoires nécessaires pour mettre fin à l'imminence du danger. Il s'agit donc d'indiquer clairement qu'un arrêté de péril imminent doit normalement être suivi d'un arrêté de péril ordinaire.

2) La nouvelle procédure de péril imminent

La procédure de péril imminent (25) a été essentiellement modifiée en ce qu'elle prévoit, désormais, que c'est le juge administratif (et non plus le juge du tribunal d'instance) statuant en référé qui désigne l'expert appelé à faire un rapport sur l'état de péril. L'expert doit examiner les bâtiments, dresser constat de l'état des bâtiments mitoyens et proposer des mesures à mettre fin à l'imminence du péril s'il la constate, dans les 24 heures qui suivent sa désignation. Si l'expert a conclu à l'imminence du péril, le maire ordonne les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité et notamment l'évacuation de l'immeuble. Dans le cas où ces mesures n'auraient pas été exécutées dans le délai imparti, le maire peut y faire procéder d'office. La nouvelle rédaction de l'article L. 511-3 du CCH introduite par l'ordonnance du 15 décembre 2005 est donc plus précise que la précédente dans la mesure où elle oriente le sens du rapport de l'expert et les mesures à prendre par le maire en cas de péril imminent. Notons que la possibilité de réaliser les travaux provisoires sous bail à réhabilitation, emphytéotique ou viager a été supprimée par l'ordonnance, ces dispositions étant inadéquates en ce qui concerne des travaux provisoires.

Lorsque les mesures prises ont, à la fois, conjuré l'imminence du danger et mis fin durablement au péril, le maire, sur le rapport d'un homme de l'art qui ne peut être l'expert désigné par le juge, prend acte de leur réalisation et de leur date d'achèvement. Dans le cas contraire, il peut assortir l'arrêté de péril par une interdiction temporaire ou définitive d'habiter et d'utiliser les lieux. Rappelons à nouveau qu'un arrêté de péril imminent, sauf cas où les travaux réalisés par le propriétaire ont mis fin à tout péril (ce qui donne lieu à un arrêté de mainlevée du péril), doit être suivi d'un arrêté de péril ordinaire permettant seul de mettre fin durablement au péril. Enfin, les droits à hébergement ou relogement des occupants sont identiques, qu'il s'agisse d'une procédure de péril imminent ou d'une procédure de péril ordinaire, étant précisé que dans les deux cas, comme en matière d'insalubrité, les locaux vacants ne peuvent être loués à quelque usage que ce soit, indépendamment d'une interdiction d'habiter.

Sur les deux derniers titres de l'ordonnance relatifs respectivement au relogement des occupants et à l'expropriation des immeubles insalubres, lire la deuxième partie (N° Lexbase : N1031ALR).


Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)


(1) Ordonnance prise sur le fondement de l'article 122 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale (N° Lexbase : L6384G49) et publiée au Journal officiel du 16 décembre 2005.
(2) Loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national sur le logement (JO n° 163 du 16 juillet 2006, p. 10662, texte n° 1).
(3) Le rapport concluant à l'insalubrité de l'immeuble peut être établi soit à la propre initiative du DDASS, soit sur saisine du maire ou du président de l'EPCI compétent en matière de logement, soit enfin à la demande de tout locataire ou occupant de l'immeuble concerné.
(4) Lorsque les travaux prescrits ne concernent que les parties communes d'un immeuble en copropriété, la notification aux copropriétaires peut se faire au seul syndicat des copropriétaires qui doit en informer dans les plus brefs délais l'ensemble des copropriétaires.
(5) C. santé publ., art. L. 1331-28-3 (N° Lexbase : L9183HET).
(6) Dans les deux cas, les travaux sont effectués aux frais du propriétaire. Le juge des référés est saisi en cas de difficultés.
(7) C. santé publ., nouv. art. L. 1311-4 (N° Lexbase : L9246HE8).
(8) C. santé publ., art. L. 1331-28 (N° Lexbase : L9180HEQ).
(9) C. santé publ., art. L. 1331-29 (N° Lexbase : L9184HEU).
(10) Ce danger doit avoir été constaté par le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales ou le directeur du service communal d'hygiène et de santé (C. santé publ., art. L. 1331-26 N° Lexbase : L9090HEE) et doit être lié à une situation d'insalubrité.
(11) C. santé publ., L. 1331-26-1 (N° Lexbase : L9091HEG).
(12) Cf. articles L 521-1 et suivants du Code de la construction et de l'habitation (CCH) (N° Lexbase : L8434HE4). En cas d'interdiction temporaire d'habiter et d'utiliser les lieux, le propriétaire ou l'exploitant est tenu d'assurer l'hébergement décent des occupants. A défaut, le représentant de l'Etat dans le département prend les dispositions nécessaires pour assurer leur hébergement provisoire. Le coût de l'hébergement est mis à la charge du propriétaire ou de l'exploitant. La créance est recouvrée comme en matière de contributions directes et garantie par une hypothèque légale sur l'immeuble ou sur le ou les lots concernés en cas de copropriété. Notons également qu'à compter de la notification de l'arrêté d'insalubrité prononçant une interdiction d'habiter et d'utiliser les lieux, les locaux vacants ne peuvent être ni loués ni mis à disposition à quelque usage que ce soit.
(13) C. santé publ., art. L. 1331-22 (N° Lexbase : L9084HE8).
(14) Plus précisément, à compter du premier jour du mois qui suit l'envoi de la notification de l'arrêté d'insalubrité (ou à compter du premier jour de l'affichage de l'arrêté à la mairie et sur l'immeuble), jusqu'au premier jour du mois qui suit la date d'achèvement des travaux constatée par arrêté.
(15) Cf. supra note 8. En outre, en cas d'interdiction définitive d'habiter et d'utiliser les lieux, le propriétaire ou l'exploitant doit assurer le relogement des occupants. En cas de défaillance du propriétaire ou de l'exploitant, la collectivité publique à l'initiative de laquelle la procédure d'insalubrité a été engagée prend les dispositions nécessaires pour les reloger. Le propriétaire ou l'exploitant est tenu de verser à l'occupant évincé une indemnité d'un montant égal à trois mois de son nouveau loyer et destinée à couvrir ses frais de réinstallation. Lorsque la collectivité publique a procédé au relogement, le propriétaire ou l'exploitant lui verse, à titre d'indemnité, une somme comprise entre 304,90 et 609,80 euros par personne relogée.
(16) C. santé publ., art. L. 1331-23 (N° Lexbase : L9085HE9).
(17) C. santé publ., art. L. 1331-24 (N° Lexbase : L9088HEC).
(18) C. santé publ., art. L. 1331-26 (N° Lexbase : L9090HEE).
(19) Si, dans le délai d'un mois suivant l'envoi d'une mise en demeure, le propriétaire n'a pas exécuté les travaux, ceux-ci seront réalisées d'office par l'administration (le maire agissant au nom de l'Etat ou le préfet).
(20) L'arrêté d'insalubrité doit alors préciser la date d'effet de l'interdiction ainsi que la date à laquelle le propriétaire ou l'exploitant de locaux d'hébergement doit avoir fait connaître au préfet si une offre précise de relogement ou d'hébergement a été faite aux occupants. Il s'agit ainsi de permettre à l'administration de prévoir l'hébergement ou le relogement des occupants en temps utile et d'éviter qu'ils ne restent dans les locaux sans droit ni titre.
(21) Cela en référence aux caractéristiques du logement décent précisées par les dispositions du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 (N° Lexbase : L4298A3L) (sanitaires, salle d'eau, chauffage et coin cuisine).
(22) C. santé publ., art. L. 1334-4, § 4 (N° Lexbase : L3467HCE).
(23) Le maire pouvait certes, en cas d'urgence, prendre un arrêté de péril imminent, procédure rapide et efficace mais qui n'autorisait que des travaux provisoires de type confortatif et renvoyait, pour supprimer le péril, à la procédure contradictoire normale.
(24) CCH, art. L. 511-2 (N° Lexbase : L8423HEP) et L. 511-3 (N° Lexbase : L8187HEX). Ces dispositions entreront en vigueur à une date fixée par décret au plus tard le 1er octobre 2006.
(25) CCH, art. L. 511-3, précité.

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Habitat-Logement

[Textes] La ratification de l'ordonnance relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux (seconde partie)

Réf. : Ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005, relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux (N° Lexbase : L5276HDR), ratifiée par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national sur le logement (N° Lexbase : L2466HKK)

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Le 07 Octobre 2010

Actuellement, en France, on dénombrerait 500 000 logements qualifiés d'indignes. L'ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005 relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux (1), qui vise à remédier à cette situation, vient d'être ratifiée par le Parlement (2). Elle comporte quinze articles, vise à harmoniser les divers régimes de police administrative concernant les formes d'habitat "indignes" et à faciliter la réalisation des travaux, ainsi que l'hébergement et le relogement de leurs occupants. Elle précise, en outre, les responsabilités respectives en la matière des autorités de l'Etat et des collectivités locales ou de leurs groupements et vise à faciliter le traitement d'urgence des situations d'insalubrité et le respect des règles d'hygiène dans l'habitat. L'ordonnance est composée de quatre titres principaux, relatifs respectivement aux immeubles insalubres, aux bâtiments menaçant ruine, au relogement des occupants et à l'expropriation des immeubles insalubres. Sur les deux premiers titres, lire la première partie du commentaire (N° Lexbase : N1026ALL). Seules les dispositions relatives au relogement des occupants et à l'expropriation des immeubles insalubres sont traitées dans cette seconde partie. III. Les dispositions relatives au relogement des occupants d'habitations insalubres ou dangereuses prévues par le Code de la construction et de l'habitation

A. La suspension du bail et des loyers

1) La suspension du bail dès notification de la mesure de police

La suspension du bail dès notification de la mesure de police (3) vaut pour les arrêtés d'insalubrité, les mises en demeure d'urgence en matière d'insalubrité, les arrêtés de péril ainsi que les prescriptions de sécurité dans les établissements d'hébergement (hôtels meublés).

La suspension du bail dès notification de la mesure de police, et non plus seulement dans le cas où une interdiction temporaire d'habiter est prononcée, s'applique dès le premier jour du mois suivant, soit l'envoi de la notification de l'arrêté d'insalubrité ou de péril, soit de l'envoi de l'injonction, de la mise en demeure ou des mesures prescrites ou de leur affichage, jusqu'à l'envoi de la notification de la mainlevée de l'arrêté d'insalubrité ou de péril ou du constat de la réalisation des mesures prescrites ou de leur affichage. En bref, la suspension du bail s'applique jusqu'à la réalisation des travaux prescrits ou à la limite de l'interdiction définitive d'habiter. Elle suit donc la suspension des loyers celle des loyers et redevances et n'est plus liée à une interdiction d'habiter.

2) La suspension des loyers

Le loyer ou toute autre somme versée en contrepartie de l'occupation cesse d'être dû à compter du premier jour du mois qui suit l'envoi de la notification de la mise en demeure (MED) jusqu'au premier jour du mois qui suit le constat de la réalisation des mesures prescrites dans les trois cas suivants :

1. MED relative à des locaux interdits à l'habitation (4) ;
2. MED relative à des locaux mis à disposition dans des conditions manifestes de surpeuplement ou injonction relative à des locaux dangereux pour leurs occupants en raison de l'usage qui en est fait (5) ;
3. mesures destinées à faire cesser une situation d'insécurité dans un établissement recevant du public et utilisé à des fins d'hébergement (6).

Par ailleurs, le loyer ou toute autre somme versée en contrepartie de l'occupation cesse d'être dû à compter du premier jour du mois qui suit l'envoi :

1. de la notification de l'arrêté ou de son affichage jusqu'au premier jour du mois qui suit l'envoi de la notification ou de l'affichage de l'arrêté de mainlevée des arrêtés d'insalubrité (7) et de péril (8) ;
2. de la notification de la MED ou de son affichage jusqu'au premier jour du mois qui suit l'envoi de la notification ou de l'affichage de l'arrêté de mainlevée de l'insalubrité en cas de traitement d'urgence de l'insalubrité suivi d'une déclaration d'insalubrité (9).

Enfin, ces loyers indûment perçus par le propriétaire doivent être restitués à l'occupant ou déduits des loyers dont celui-ci devient à nouveau redevable envers celui-là. Cette disposition vise notamment le cas où les mesures d'urgence sont suivies d'un arrêté d'insalubrité : la suspension des loyers étant rétroactivement applicable à la date de la MED, le propriétaire doit reverser les loyers indûment perçus entre cette date et celle de la notification de l'arrêté d'insalubrité.

3) Autres garanties des droits des occupants

La protection des occupants a, en outre, été renforcée grâce à trois autres précisions. En premier lieu, les occupants à qui aucune offre de relogement n'a été faite et qui sont restés dans des logements sous interdiction d'habiter sont des "occupants de bonne foi" qui ne peuvent être expulsés. En deuxième lieu, dans les locaux frappés d'une interdiction définitive d'habiter et d'utiliser, les baux et contrats d'occupation ou d'hébergement poursuivent de plein droit leurs effets (sauf paiement du loyer) jusqu'à leur terme ou jusqu'au départ des occupants et au plus tard jusqu'à la date limite fixée dans l'arrêté d'insalubrité ou de péril. En troisième lieu, les arrêtés d'insalubrité ou de péril ou la prescription de mesures destinées à faire cesser une situation d'insécurité (en bref, les mesures de police) ne peuvent entraîner la résiliation de plein droit d'un bail ou d'un autre contrat d'occupation ou d'hébergement. Il s'agit là de mettre fin à la jurisprudence assimilant l'arrêté d'insalubrité ou de péril à un cas fortuit au sens de l'article 1722 du Code civil (N° Lexbase : L1844ABW) entraînant de plein droit la résiliation du bail.

B. L'augmentation du montant de l'indemnité due le propriétaire défaillant

Le montant de cette indemnité, due par le propriétaire défaillant qui n'a pas assuré le relogement définitif des occupants (10), peut désormais être porté à une année maximum de loyers dus au titre des règlements effectués par la collectivité publique ou les bailleurs sociaux (11) qui bénéficieront de cette indemnité. La commune est subrogée dans les droits de l'Etat pour le recouvrement de sa créance dans le cas où elle assure à sa place les obligations d'hébergement ou de relogement qui lui incombent.

En revanche, lorsque c'est l'occupant qui a, à trois reprises, refusé les offres de relogement qui lui ont été faites par la personne publique intéressée, cette dernière peut saisir le juge du tribunal d'instance d'une demande tendant à la résiliation du bail ou du droit d'occupation et autorisant l'expulsion de l'occupant. Cette disposition est destinée à mettre fin à certains refus abusifs de relogement.

C. La clarification du rôle respectif du préfet et du maire selon les différentes mesures de police

1) Principe

Le principe de la répartition des compétences entre préfet et maire est le suivant. Le maire prend les dispositions nécessaires relatives à l'hébergement et au relogement des occupants lorsqu'il est l'autorité compétente en matière de police, c'est-à-dire en matière de péril et de sécurité des établissements d'hébergement (hôtels meublés). Le préfet ou le délégataire des droits de réservation (12) sont quant à eux compétents en matière d'insalubrité, sauf exceptions (13).

2) Application

En cas de défaillance du propriétaire ou de l'exploitant, le maire doit donc prendre les dispositions nécessaires pour assurer l'hébergement ou le relogement des occupants lorsque les locaux sont sous arrêté de péril ou sous prescription de sécurité et qu'un hébergement est nécessaire. En cas de défaillance du propriétaire ou de l'exploitant, le préfet ou le maire délégataire des droits de réservation prennent les dispositions nécessaires pour assurer l'hébergement ou le relogement des occupants lorsque les locaux sont sous arrêté d'insalubrité ou sous MED ou sous injonction assortie d'une interdiction temporaire ou définitive d'habiter (14).

IV. Les dispositions relatives à l'expropriation des immeubles insalubres

A. La clarification du champ de l'expropriation dérogatoire du droit commun

1) Les immeubles visés

Le champ de la procédure l'expropriation dérogatoire du droit commun applicable aux immeubles insalubres, issue de la loi du 10 juillet 1970 précitée, dite "loi Vivien", tendant à faciliter la suppression de l'habitat insalubre, est désormais strictement défini (15) et comprend à titre principal les immeubles déclarés insalubres à titre irrémédiable. A titre exceptionnel, sont inclus dans ce champ les immeubles qui ne sont eux-mêmes ni insalubres ni impropres à l'habitation mais dont l'expropriation est indispensable à la démolition des immeubles insalubres. Enfin, sont également inclus les terrains supportant à la fois des locaux insalubres à titre irrémédiable et des locaux salubres lorsque l'acquisition de ces terrains est nécessaire à la résorption de l'insalubrité.

2) Conséquences

N'entrent donc plus dans le champ de la procédure l'expropriation dérogatoire du droit commun applicable aux immeubles insalubres les terrains contigus ou voisins lorsque leur utilisation est indispensable à la réalisation des opérations en vue desquelles la déclaration d'utilité publique est prononcée. Par ailleurs, dans la mesure où l'objet de l'expropriation menée en application de la loi du 10 juillet 1970 vise la seule suppression des locaux insalubres à titre irrémédiable, les anciennes dispositions de cette loi qui précisaient que l'expropriation devait avoir pour but soit la construction de logements soit tout objet d'intérêt collectif relevant d'une opération d'urbanisme sont abrogées.

B. L'évaluation des biens insalubres et impropres à l'habitation selon le principe de la récupération foncière

1) L'évaluation de l'indemnité d'expropriation

Cette indemnité est fixée selon la procédure prévue par les dispositions des articles L. 13-1 à L. 13-12 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique . L'évaluation des biens insalubres et impropres à l'habitation est ainsi fondée selon le principe de la récupération foncière, soit sur la valeur du terrain nu, frais de démolition déduits. L'indemnité est réduite du montant des frais de relogement des occupants lorsque le propriétaire n'y a pas procédé (16).

2) Exception

Le principe de la récupération foncière n'est cependant pas applicable à l'indemnité due aux propriétaires qui occupaient eux-mêmes les immeubles déclarés insalubres au moins deux ans avant la notification de l'arrêté d'insalubrité. De même, ce mode de calcul n'est pas applicable aux propriétaires des immeubles qui ne sont ni insalubres ni impropres à l'habitation. Rappelons, enfin, qu'aucune indemnisation à titre principal ne peut être accordée en dédommagement de la suppression d'un commerce portant sur l'utilisation comme habitation de terrains ou de locaux impropres à cet usage, cela visant en particulier les hôtels meublés.


Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)


(1) Ordonnance prise sur le fondement de l'article 122 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale (N° Lexbase : L6384G49) et publiée au Journal officiel du 16 décembre 2005.
(2) Loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national sur le logement (JO n° 163 du 16 juillet 2006, p. 10662, texte n° 1).
(3) CCH, art. L. 521-2 (N° Lexbase : L8435HE7).
(4) C. santé publ., art. L. 1331-22 précité.
(5) C. santé publ., art. L. 1331-23 et L. 1331-24 précités.
(6) CCH, art. L. 123-3 (N° Lexbase : L8190HE3).
(7) C. santé publ., art. L. 1331-25 (N° Lexbase : L9089HED) et L. 1331-28 précité.
(8) CCH, art. L. 511-1 précité.
(9) C. santé publ., art. L. 1331-26-1 et L. 1331-28 précités.
(10) CCH, art. L. 521-3-2-IV-V-VI (N° Lexbase : L8437HE9).
(11) Organisme d'HLM, SEM ou organisme à but non lucratif assurant le relogement.
(12) CCH, art. L. 441-1 (N° Lexbase : L6480G9U).
(13) En particulier, lorsque la déclaration d'insalubrité vise un immeuble situé dans une opération programmée d'amélioration de l'habitat (OPAH) ou dans une opération d'aménagement, la personne publique qui a l'initiative de cette opération prend en charge l'hébergement et le relogement.
(14) Les situations visées sont donc les suivantes : locaux interdits à l'habitation, suroccupation, usage non conforme, périmètres insalubres, procédure d'urgence en insalubrité, insalubrité.
(15) Loi n° 70-612 du 10 juillet 1970, art. 13.
(16) Loi n° 70-612 du 10 juillet 1970, art. 18.

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