La lettre juridique n°611 du 7 mai 2015

La lettre juridique - Édition n°611

Éditorial

En attendant... le triomphe de la contrainte pénale...

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N7165BUW

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 07 Mai 2015


Aux dernières nouvelles, depuis octobre 2014 et la mise en oeuvre de la réforme pénale, seules 536 contraintes pénales ont été prononcées ; et 70 des 164 tribunaux de grande instance n'en ont toujours pas infligé... Alors que l'étude d'impact associée au projet de loi envisageait de 8 000 à 20 000 contraintes pénales annuelles, sur plus de 600 000 condamnations prononcées chaque année en France pour délits ! La greffe ne prend manifestement pas.

Que penser de ces débuts plus que timides ? Critiqué de tous bords pour laxisme, dans un contexte d'inflation des peurs et des violences, le Gouvernement ne se risquera pas à défendre outre mesure l'humble bilan de cette révolution philosophique en matière de peines pénales, alors que l'on apprend, dans le même temps que la population carcérale dévisse de 3 % sur un an, passant de 68 859 à 66 761 personnes, soit 2 098 détenus de moins. La même étude d'impact prévoyait une baisse de 4 000 détenus en moins de trois ans : cet objectif est, lui, déjà à moitié rempli...

Donc, si les prisons ne se vident pas pour cause de peines alternatives prononcées pour les nouveaux prévenus, et si les affaires pendantes demeurent toujours d'un volume conséquent vu la faiblesse des moyens financiers octroyés, quelle est l'origine de cette baisse, plus importante que prévue, du nombre de détenus ? On n'incriminera pas l'indécente, pour l'Etat des droits et libertés, statistique indiquant qu'un décès sur deux en prison est le fait d'un acte de suicide... Ne reste à vrai dire qu'une branche à l'alternative : les remises de peines -encore que l'accès des prévenus à une meilleure défense depuis les prémices de la garde à vue pourrait y être également pour quelque chose-.

On ne compte plus les affaires sordides de tel ou tel criminel relâché de manière anticipée, même avec suivi, et récidivant pour le grand malheur de familles endeuillées, provoquant l'ire des citoyens justiciables et ordonnant l'adoption de lois émotives ou de circonstance.

Ainsi, la tendance, celle au prononcé presque confidentiel de contraintes pénales, n'est sans doute pas prête de changer. Après l'affaire "d'Outreau", pour laquelle les juges devaient comparaître devant leurs pairs pour leur jugement punitif trop hâtif, l'affaire "Agnès Marin", à l'inverse, pourrait bien les mettre sur la sellette pour ne pas avoir pris la mesure du danger que peut constituer une mesure éducative non ou mal encadrée d'un mineur clairement dangereux, mais pour lequel la prison n'a pas semblé l'évidence ni pour le juge, ni pour l'expert. Il est à craindre que, sa responsabilité de plus en plus recherchée, le juge abandonne progressivement son intime conviction pour ne s'en remettre, d'ailleurs, qu'au chapitre de la loi ou à l'exclusive voix de l'expert.

Un rapport de la commission de réflexion sur l'expertise, en 2011, avertissait déjà : "ordonnée de façon quasi systématique, l'expertise peut conduire à une véritable délégation de ses pouvoirs par le juge alors qu'elle n'est qu'une modalité, parmi d'autres, d'information du magistrat qui peut confier au technicien une constatation ou une consultation". C'est sans doute cet abus de délégation que la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par la famille d'Agnès Marin pourrait ainsi mettre en lumière. On craignait le Gouvernement des juges, celui des experts et l'avènement de la technocratie judiciaire de la preuve est-il plus envisageable ? L'affaire n'est pourtant pas nouvelle, la dévalorisation de la preuve testimoniale a été accompagnée de l'importance croissante de la preuve "scientifique" censée limiter les erreurs d'appréciation. Mais, on peut n'y voir également qu'un transfert de l'intime conviction du juge vers celle de l'expert, surtout dans le cadre d'expertises psychologiques... Entre le Docteur Paul et le Père Joseph, la place de l'expert est parfois difficile à contraindre.

Reste que le triomphe de la contrainte pénale se fait attendre, comme la révolution des mentalités que devrait accompagner du moins le Parquet, chargé d'appliquer la politique pénale gouvernementale. Mais, le triomphe de la prison fut tardif aussi, comme nous l'enseigne Benoît Garnot, dans son Histoire de la justice. D'abord, ce fut la mort, puis conjointement les mesures d'enfermement mais en exil (galères et bagne) et les châtiments corporels, avant que la prison ne devienne la peine universelle à la fin du XIXème siècle ! Mais là encore, il s'agissait d'exclure le "déviant" -pour reprendre le terme sociologique ad hoc- de la société. Le retour à l'assignation à résidence, mesure privilégiée du... Moyen-Age, est loin de faire l'unanimité, contrairement désormais à la peine de prison, faute de pédagogie. "L'habitude est une grande sourdine" écrivait Samuel Beckett dans En attendant Godot.

Il manque peut-être quelque exemple de "Jean Valjean" appliqué à la contrainte pénale pour rassurer les esprits : un de ces exemples romanesques de repentir et de vertu correctrice de la sanction pénale.

newsid:447165

Assurances

[Brèves] Etendue de l'obligation d'information de l'assureur dans le cadre de la souscription d'un contrat d'assurance sur la vie

Réf. : CJUE, 29 avril 2015, aff. C-51/13 (N° Lexbase : A3011NHY)

Lecture: 2 min

N7220BUX

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Le 07 Mai 2015

L'assureur peut être tenu, en vertu de dispositions internes, de communiquer des informations relatives aux frais et aux primes, relatifs à la souscription d'un contrat d'assurance sur la vie. Tel est l'apport de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 29 avril 2015 (CJUE, 29 avril 2015, aff. C-51/13 (N° Lexbase : A3011NHY). En l'espèce, au cours de l'année 1999, M. V. a souscrit une assurance présentant une part d'investissement. Il s'agissait d'une assurance sur la vie dans le cadre de laquelle la valeur accumulée à la date de clôture de l'assurance n'est pas garantie, mais dépend des résultats des investissements. Par ailleurs, au cours du contrat d'assurance, le versement d'un capital fixe et garanti est prévu si le preneur venait à décéder avant l'échéance du contrat. Il était également prévu le versement par anticipation et périodiquement d'une prime brute, investie dans des fonds d'investissement choisis par le preneur d'assurance. Après la conclusion du contrat d'assurance, un litige a surgi entre l'assureur et son assuré en ce qui concerne l'importance des frais et des primes relatives à la couverture du risque de décès déduits par l'assureur. Une partie du litige porte sur la question de savoir si l'assureur a communiqué suffisamment d'informations concernant lesdits frais préalablement à la souscription du contrat d'assurance. C'est dans ce contexte, qu'une demande de décision préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 31 de la Directive 92/96 du Conseil, du 10 novembre 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe sur la vie (N° Lexbase : L7497AU9), a été soumise à la CJUE. Rappelant le principe énoncé, la Cour de justice considère que l'article 31 de la Directive de 1992 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'une entreprise d'assurances, sur le fondement de principes généraux de droit interne, soit obligée de communiquer au preneur certaines informations supplémentaires, outre celles visées à l'annexe II de la Directive, à condition que les informations exigées soient claires, précises et nécessaires à la compréhension effective par le preneur d'assurance des éléments essentiels de l'engagement et qu'elles garantissent une sécurité juridique suffisante. En outre, les effets que le droit interne attache à la non-communication de ces informations sont, en principe, dépourvus de pertinence quant à la conformité de l'obligation de communication prévue à l'article 31 de la Directive.

newsid:447220

Assurances

[Brèves] Conditions d'appréciation du caractère abusif de la clause d'un contrat d'assurance crédit

Réf. : CJUE, 23 avril 2015, aff. C-96/14 (N° Lexbase : A0404NHG)

Lecture: 2 min

N7150BUD

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Le 07 Mai 2015

L'article 4 § 2 de la Directive 93/13 du 5 avril 1993 (N° Lexbase : L7468AU7), sur les clauses abusives, doit être interprété en ce sens qu'une clause stipulée dans un contrat d'assurance et visant à garantir la prise en charge des échéances dues au prêteur en cas d'incapacité totale de travail de l'emprunteur ne relève de l'exception figurant à cette disposition que pour autant que la juridiction de renvoi constate :
- d'une part, que, eu égard à la nature, à l'économie générale et aux stipulations de l'ensemble contractuel auquel elle appartient, ainsi qu'à son contexte juridique et factuel, cette clause fixe un élément essentiel dudit ensemble qui, comme tel, caractérise celui-ci ;
- et, d'autre part, que ladite clause est rédigée de manière claire et compréhensible, c'est-à-dire qu'elle est non seulement intelligible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d'autres clauses, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui.
Tel est le sens d'un arrêt rendu le 23 avril 2015 par la CJUE (CJUE, 23 avril 2015, aff. C-96/14 N° Lexbase : A0404NHG). Dans cette affaire, lors de la conclusion de deux prêts immobiliers, l'emprunteur a adhéré à un "contrat d'assurance groupe" afin de garantir notamment la prise en charge de l'ITT. A la suite d'un accident de travail, le médecin mandaté par la compagnie d'assurance a conclu que l'état de santé de l'emprunteur, bien que n'étant pas compatible avec la reprise de sa profession antérieure, rendait possible l'exercice d'une activité professionnelle adaptée à temps partiel. La compagnie a donc refusé de continuer à prendre en charge les échéances du prêt. L'emprunteur a engagé une action en justice pour faire reconnaître que les termes du contrat sont abusifs en ce qui concerne la définition de l'ITT et les conditions de paiement. Pour énoncer la solution précitée, la CJUE rappelle que, dans des contrats d'assurance, les clauses définissant ou délimitant clairement le risque assuré et l'engagement de l'assureur ne font pas l'objet d'une appréciation du caractère abusif, dès lors que ces limitations sont prises en compte dans le calcul de la prime payée par le consommateur. Ainsi, il n'est pas exclu que la clause litigieuse porte sur l'objet même du contrat, dans la mesure où celle-ci semble délimiter le risque assuré et l'engagement de l'assureur ou en fixant la prestation essentielle du contrat d'assurance. Elle estime également qu'il ne saurait être exigé du consommateur de faire preuve de la même vigilance, quant à l'étendue des risques couverts par le contrat d'assurance, que s'il avait conclu de manière distincte le contrat d'assurance et les contrats de prêt.

newsid:447150

Avocats/Gestion de cabinet

[Brèves] SCP d'avocats : l'associé retrayant conserve ses droits patrimoniaux tant qu'il n'a pas obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses parts sociales

Réf. : Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 13-24.931, FS-P+B (N° Lexbase : A9230NGX)

Lecture: 1 min

N7035BU4

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Le 07 Mai 2015

L'associé retrayant conserve ses droits patrimoniaux tant qu'il n'a pas obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses parts sociales. Tel est l'apport de l'arrêt rendu le 16 avril 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 13-24.931, FS-P+B N° Lexbase : A9230NGX). En l'espèce, Me B., avocat, a exercé son activité en qualité d'associé au sein d'une SCP, assisté de collaborateurs et de deux juristes salariés. En raison de dissensions existant entre lui et ses coassociés, les parties ont signé un accord de portée limitée fixant les conditions de son retrait et saisi le Bâtonnier d'une demande d'arbitrage portant sur diverses demandes indemnitaires. Des recours ont été exercés contre la sentence rendue par le délégué du Bâtonnier. Par un arrêt du 25 septembre 2013 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 25 septembre 2013, n° 11/19658 N° Lexbase : A6467KL4 ; sur cet arrêt, lire N° Lexbase : N8815BTN), la cour d'appel de Paris a retenu, entre autres, que, dans le cas d'un retrait d'une SCP, la demande de l'associé retrayant au titre du droit à bénéfices, explicitée comme étant le droit, tant qu'il n'aura pas été intégralement remboursé de la valeur de ses parts sociales, à la rétribution de ses apports en capital et à sa quote-part dans les bénéfices à distribuer, ne saurait dépasser la période allant jusqu'à la date de son départ effectif. Un pourvoi est formé contre cette décision. L'arrêt sera censuré, sur ce point, par la Haute juridiction. En effet, en statuant ainsi, alors que l'associé retrayant conserve ses droits patrimoniaux tant qu'il n'a pas obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses parts sociales, la cour d'appel a violé l'article 1869 du Code civil (N° Lexbase : L2066AB7), ensemble l'article 18 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 (N° Lexbase : L3146AID) (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E4801E4L).

newsid:447035

Avocats/Procédure

[Jurisprudence] La prescription de l'action en responsabilité contre l'avocat

Réf. : Cass. civ. 1, 9 avril 2015, n° 14-13.323, F-P+B (N° Lexbase : A5096NGT)

Lecture: 6 min

N7169BU3

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par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, ancien Bâtonnier

Le 07 Mai 2015

L'arrêt rendu le 9 avril 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation mérite bien les honneurs du Bulletin. Il s'insère, en effet, dans un mouvement cohérent faisant échapper au Code de commerce les règles de droit applicables à la profession d'avocat et notamment au point de départ de la prescription de l'action en responsabilité civile diligentée contre l'avocat. La profession d'avocat a toujours eu une grande prévention à l'égard des activités commerciales. D'une part, dès l'énoncé de textes réformateurs (1), les avocats sont définis comme des "auxiliaires de justice". Cette définition est, en outre, renforcée par des appréciations de la Cour européenne des droits de l'Homme. Elle a jugé que "le statut spécial des avocats les place dans une situation centrale dans l'administration de la justice, comme intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux, ce qui explique les normes de conduite imposées en général aux membres du barreau" (2). Il faut d'ailleurs rappeler que l'avocat, quelle que soit son activité, judiciaire ou juridique, est astreint à une déontologie identique depuis que la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales (N° Lexbase : L3046AIN), a intégré les conseils juridiques dans une profession unique.

D'autre part, lorsqu'il s'agit de définir des incompatibilités professionnelles, la première règle est de déclarer la profession incompatible "avec toutes les activités de caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée" (3).

L'avocat doit donc borner son activité à des missions de nature civile. Telle était bien ici la situation. L'avocat, dans une activité de conseil et de rédaction d'acte, avait prêté son concours à une augmentation de capital d'une SCI vers une société commerciale. Les clients avaient reçu une notification de redressement qui n'était certainement pas négligeable puisqu'une plus value de 3 590 000 francs (696 231,63 euros) en janvier 1996 n'avait pas été déclarée dans les délais légaux pour obtenir le bénéfice d'un report d'imposition.

En revanche, l'avocat est maître, comme d'autres professionnels libéraux le font de longue date, les experts-comptables par exemple, d'exercer son activité sous forme de société commerciale. L'exercice en société représente aujourd'hui une part significative et constante. En 2014, 29,4 % des avocats étaient associés quand ils étaient 29,6 % dix ans auparavant (4).

Dans ce contexte, les sociétés d'avocats à forme commerciale sont répandues. Depuis la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, diverses possibilités existent (5) : société d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA), société d'exercice libéral en commandite par actions (SELCA), société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), société d'exercice libéral par actions simplifiées (SELAS).

La cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans son arrêt du 26 novembre 2013 (CA Aix-en-Provence, 26 novembre 2013, n° 13/00134 N° Lexbase : A1878KQM), avait bien vu que l'action en responsabilité civile était engagée par une cliente, société commerciale, à l'encontre d'une société d'avocats dotée d'une forme identique. Elle avait admis que la prescription de dix ans, alors applicable aux termes de l'article L. 110-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L5548AIC) dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I), devait s'appliquer, ce qui rendait l'action irrecevable.

Il y a d'abord une question qui ne paraît pas ici faire de difficulté, le point de départ de la prescription. La règle applicable concerne l'ancienne loi quand elle est beaucoup plus ardue dans la loi nouvelle (6). Les prestations demandées à l'avocat n'étaient pas liées à une activité judiciaire. Dès lors, la notion de fin de mission, envisagée par l'article 2225 du Code civil (N° Lexbase : L7183IAB) ou l'ancien article 2277-1 du Code civil (N° Lexbase : L2565ABM) est un élément étranger à l'affaire. L'examen du pourvoi montre que le redressement fiscal avait été mis en recouvrement le 31 mai 1999. En pareille matière, le délai pour agir ne peut courir plus tôt, sinon le préjudice ne serait qu'éventuel. Il lui manquerait le caractère certain qui, seul, procure un principe de réparation.

En revanche, la mise en recouvrement est reconnue comme constituant le préjudice "actuel et certain dans son principe" (7).

De même l'action, introduite par une assignation du 2 février 2011, était recevable. Si l'ancien article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY) offrait au demandeur une prescription de trente ans, l'article 2224 (N° Lexbase : L7184IAC) réduisant cette prescription à cinq ans restait sans conséquence. En effet, l'article 2222 du Code civil (N° Lexbase : L7186IAE) évoque l'application dans le temps de la loi nouvelle. L'action n'aurait pu être prescrite que cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, soit le 19 juin 2013.

L'appréciation de la Haute juridiction, entrant dans la voie de la cassation, adopte une formule succincte dont elle a le secret : "l'action en recherche de la responsabilité d'un avocat au titre de son activité de conseil et de rédaction d'acte, même lorsqu'elle est exercée sous la forme d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée, relève de la prescription contractuelle de droit commun".

Une jurisprudence allant dans le sens de l'arrêt cassé pourrait être invoquée (8). Elle retient l'application de l'article L. 110-4 du Code de commerce dans son expression ancienne (N° Lexbase : L5548AIC), c'est-à-dire la prescription de dix ans, pour la nullité d'un acte mixte, un contrat de prêt passé entre commerçant et un non-commerçant. Toutefois, cette décision est sévèrement critiquée (9), car l'article L. 110-4 citait la prescription des "obligations" et non des "actions", ce qui est bien ici la matière concernée.

Enfin, la question risque d'avoir un impact limité dans l'avenir (10), en matière de prescription, car le régime issu de la loi du 17 juin 2008 aligne la durée de la prescription commerciale sur la prescription civile de droit commun, cinq ans.

Pour apprécier la question dans son entier, il faut relever que la forme commerciale est licite et incontestable. Ainsi, à propos des sociétés d'exercice libéral, la loi autorise expressément la constitution de sociétés régies "par les dispositions du livre II du Code de commerce ". Comment pouvait-il en être autrement quand nombre de conseils juridiques, appelés alors à devenir avocats, exerçaient leur activité au sein de sociétés commerciales ?

En revanche, l'objet de ces sociétés conserve une nature uniquement civile aux opérations qu'elles réalisent. Lorsque la société est une commandite, les associés commandités n'ont pas la qualité de commerçants. Autre particularité, les actions des sociétés à capitaux restent nominatives. En outre, plus de la moitié du capital et des droits de vote doivent être détenus par des professionnels, ce qui peut donner lieu à des appréciations contentieuses (12). Enfin, ces sociétés ne peuvent accomplir un acte entrant dans l'objet social que par l'intermédiaire d'un membre ayant qualité pour exercer la profession.

Cette même attraction vers le droit civil se trouve dans la compétence des juridictions, lorsqu'une action en responsabilité est engagée. Avec une fermeté constante, les avocats déclinent toujours la compétence de la juridiction commerciale lorsqu'ils sont attraits en responsabilité devant le tribunal de commerce. Cela s'étend à un appel en intervention dans une procédure concernant deux commerçants. Si les obligations sont indivisibles, l'affaire doit être renvoyée pour le tout devant la juridiction de droit commun, c'est-à-dire le tribunal de grande instance (13).

Au reste, un texte formel est venu consolider cette jurisprudence, s'il en était besoin lorsque l'action vise des sociétés commerciales. Provenant de l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006, portant refonte du Code de l'organisation judiciaire et modifiant le Code de commerce, le Code rural et le Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9328HIC), l'article L. 721-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L7626HNR) dispose que "sous réserve des compétences des juridictions disciplinaires et nonobstant toute disposition contraire, les tribunaux civils sont seuls compétents pour connaître des actions en justice dans lesquelles l'une des parties est une société constituée conformément à la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou règlementaire".


(1) Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 3 (N° Lexbase : L6343AGZ).
(2) CEDH, 21 mars 2002, Req. 31611/96 (N° Lexbase : A1016GNX).
(3) Décret du 27 novembre 1991, art. 111 (N° Lexbase : L8168AID), Ader et Damien, Règles de la profession d'avocat, Dalloz 2013.2014, n° 13.141.
(4) Les chiffres-clés de la profession d'avocat, in JCP éd. G., 2015, p. 704.
(5) Le Guide, Lamy 2014, n°s 839 et suivants.
(6) Julie Klein, Le point de départ de la prescription, Economica 2013, n° 321 s..
(7) Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 09-16.917 (N° Lexbase : A7401EIX).
(8) Cass. civ.1, 27 juin 2006, n° 04-12.912 (N° Lexbase : A0951DQB), Bull. civ I, n° 325.
(9) J. Ghestin, G. Loiseau, Y. M. Serrinet, Traité de droit civil, la formation du contrat, tome II, LGDJ 2013, n° 2522.
(10) V. Lasserre-Kiesow, commentaire de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, RDC, 2008, 1449.
(11) Loi du 31 janvier 1990, article 1er.

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Avocats/Procédure

[Jurisprudence] La prescription de l'action en responsabilité contre l'avocat

Réf. : Cass. civ. 1, 9 avril 2015, n° 14-13.323, F-P+B (N° Lexbase : A5096NGT)

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N7169BU3

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par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, ancien Bâtonnier

Le 07 Mai 2015

L'arrêt rendu le 9 avril 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation mérite bien les honneurs du Bulletin. Il s'insère, en effet, dans un mouvement cohérent faisant échapper au Code de commerce les règles de droit applicables à la profession d'avocat et notamment au point de départ de la prescription de l'action en responsabilité civile diligentée contre l'avocat. La profession d'avocat a toujours eu une grande prévention à l'égard des activités commerciales. D'une part, dès l'énoncé de textes réformateurs (1), les avocats sont définis comme des "auxiliaires de justice". Cette définition est, en outre, renforcée par des appréciations de la Cour européenne des droits de l'Homme. Elle a jugé que "le statut spécial des avocats les place dans une situation centrale dans l'administration de la justice, comme intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux, ce qui explique les normes de conduite imposées en général aux membres du barreau" (2). Il faut d'ailleurs rappeler que l'avocat, quelle que soit son activité, judiciaire ou juridique, est astreint à une déontologie identique depuis que la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales (N° Lexbase : L3046AIN), a intégré les conseils juridiques dans une profession unique.

D'autre part, lorsqu'il s'agit de définir des incompatibilités professionnelles, la première règle est de déclarer la profession incompatible "avec toutes les activités de caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée" (3).

L'avocat doit donc borner son activité à des missions de nature civile. Telle était bien ici la situation. L'avocat, dans une activité de conseil et de rédaction d'acte, avait prêté son concours à une augmentation de capital d'une SCI vers une société commerciale. Les clients avaient reçu une notification de redressement qui n'était certainement pas négligeable puisqu'une plus value de 3 590 000 francs (696 231,63 euros) en janvier 1996 n'avait pas été déclarée dans les délais légaux pour obtenir le bénéfice d'un report d'imposition.

En revanche, l'avocat est maître, comme d'autres professionnels libéraux le font de longue date, les experts-comptables par exemple, d'exercer son activité sous forme de société commerciale. L'exercice en société représente aujourd'hui une part significative et constante. En 2014, 29,4 % des avocats étaient associés quand ils étaient 29,6 % dix ans auparavant (4).

Dans ce contexte, les sociétés d'avocats à forme commerciale sont répandues. Depuis la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, diverses possibilités existent (5) : société d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA), société d'exercice libéral en commandite par actions (SELCA), société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), société d'exercice libéral par actions simplifiées (SELAS).

La cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans son arrêt du 26 novembre 2013 (CA Aix-en-Provence, 26 novembre 2013, n° 13/00134 N° Lexbase : A1878KQM), avait bien vu que l'action en responsabilité civile était engagée par une cliente, société commerciale, à l'encontre d'une société d'avocats dotée d'une forme identique. Elle avait admis que la prescription de dix ans, alors applicable aux termes de l'article L. 110-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L5548AIC) dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I), devait s'appliquer, ce qui rendait l'action irrecevable.

Il y a d'abord une question qui ne paraît pas ici faire de difficulté, le point de départ de la prescription. La règle applicable concerne l'ancienne loi quand elle est beaucoup plus ardue dans la loi nouvelle (6). Les prestations demandées à l'avocat n'étaient pas liées à une activité judiciaire. Dès lors, la notion de fin de mission, envisagée par l'article 2225 du Code civil (N° Lexbase : L7183IAB) ou l'ancien article 2277-1 du Code civil (N° Lexbase : L2565ABM) est un élément étranger à l'affaire. L'examen du pourvoi montre que le redressement fiscal avait été mis en recouvrement le 31 mai 1999. En pareille matière, le délai pour agir ne peut courir plus tôt, sinon le préjudice ne serait qu'éventuel. Il lui manquerait le caractère certain qui, seul, procure un principe de réparation.

En revanche, la mise en recouvrement est reconnue comme constituant le préjudice "actuel et certain dans son principe" (7).

De même l'action, introduite par une assignation du 2 février 2011, était recevable. Si l'ancien article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY) offrait au demandeur une prescription de trente ans, l'article 2224 (N° Lexbase : L7184IAC) réduisant cette prescription à cinq ans restait sans conséquence. En effet, l'article 2222 du Code civil (N° Lexbase : L7186IAE) évoque l'application dans le temps de la loi nouvelle. L'action n'aurait pu être prescrite que cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, soit le 19 juin 2013.

L'appréciation de la Haute juridiction, entrant dans la voie de la cassation, adopte une formule succincte dont elle a le secret : "l'action en recherche de la responsabilité d'un avocat au titre de son activité de conseil et de rédaction d'acte, même lorsqu'elle est exercée sous la forme d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée, relève de la prescription contractuelle de droit commun".

Une jurisprudence allant dans le sens de l'arrêt cassé pourrait être invoquée (8). Elle retient l'application de l'article L. 110-4 du Code de commerce dans son expression ancienne (N° Lexbase : L5548AIC), c'est-à-dire la prescription de dix ans, pour la nullité d'un acte mixte, un contrat de prêt passé entre commerçant et un non-commerçant. Toutefois, cette décision est sévèrement critiquée (9), car l'article L. 110-4 citait la prescription des "obligations" et non des "actions", ce qui est bien ici la matière concernée.

Enfin, la question risque d'avoir un impact limité dans l'avenir (10), en matière de prescription, car le régime issu de la loi du 17 juin 2008 aligne la durée de la prescription commerciale sur la prescription civile de droit commun, cinq ans.

Pour apprécier la question dans son entier, il faut relever que la forme commerciale est licite et incontestable. Ainsi, à propos des sociétés d'exercice libéral, la loi autorise expressément la constitution de sociétés régies "par les dispositions du livre II du Code de commerce ". Comment pouvait-il en être autrement quand nombre de conseils juridiques, appelés alors à devenir avocats, exerçaient leur activité au sein de sociétés commerciales ?

En revanche, l'objet de ces sociétés conserve une nature uniquement civile aux opérations qu'elles réalisent. Lorsque la société est une commandite, les associés commandités n'ont pas la qualité de commerçants. Autre particularité, les actions des sociétés à capitaux restent nominatives. En outre, plus de la moitié du capital et des droits de vote doivent être détenus par des professionnels, ce qui peut donner lieu à des appréciations contentieuses (12). Enfin, ces sociétés ne peuvent accomplir un acte entrant dans l'objet social que par l'intermédiaire d'un membre ayant qualité pour exercer la profession.

Cette même attraction vers le droit civil se trouve dans la compétence des juridictions, lorsqu'une action en responsabilité est engagée. Avec une fermeté constante, les avocats déclinent toujours la compétence de la juridiction commerciale lorsqu'ils sont attraits en responsabilité devant le tribunal de commerce. Cela s'étend à un appel en intervention dans une procédure concernant deux commerçants. Si les obligations sont indivisibles, l'affaire doit être renvoyée pour le tout devant la juridiction de droit commun, c'est-à-dire le tribunal de grande instance (13).

Au reste, un texte formel est venu consolider cette jurisprudence, s'il en était besoin lorsque l'action vise des sociétés commerciales. Provenant de l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006, portant refonte du Code de l'organisation judiciaire et modifiant le Code de commerce, le Code rural et le Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9328HIC), l'article L. 721-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L7626HNR) dispose que "sous réserve des compétences des juridictions disciplinaires et nonobstant toute disposition contraire, les tribunaux civils sont seuls compétents pour connaître des actions en justice dans lesquelles l'une des parties est une société constituée conformément à la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou règlementaire".


(1) Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 3 (N° Lexbase : L6343AGZ).
(2) CEDH, 21 mars 2002, Req. 31611/96 (N° Lexbase : A1016GNX).
(3) Décret du 27 novembre 1991, art. 111 (N° Lexbase : L8168AID), Ader et Damien, Règles de la profession d'avocat, Dalloz 2013.2014, n° 13.141.
(4) Les chiffres-clés de la profession d'avocat, in JCP éd. G., 2015, p. 704.
(5) Le Guide, Lamy 2014, n°s 839 et suivants.
(6) Julie Klein, Le point de départ de la prescription, Economica 2013, n° 321 s..
(7) Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 09-16.917 (N° Lexbase : A7401EIX).
(8) Cass. civ.1, 27 juin 2006, n° 04-12.912 (N° Lexbase : A0951DQB), Bull. civ I, n° 325.
(9) J. Ghestin, G. Loiseau, Y. M. Serrinet, Traité de droit civil, la formation du contrat, tome II, LGDJ 2013, n° 2522.
(10) V. Lasserre-Kiesow, commentaire de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, RDC, 2008, 1449.
(11) Loi du 31 janvier 1990, article 1er.

newsid:447169

Avocats/Responsabilité

[Brèves] Caractérisation de l'ingérence disproportionnée dans le droit à la liberté d'expression d'un avocat critiquant publiquement le dysfonctionnement de la justice

Réf. : CEDH, 23 avril 2015, Req. n° 29369/10 (N° Lexbase : A0406NHI)

Lecture: 2 min

N7152BUG

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Le 13 Mai 2015

La condamnation d'un avocat pour complicité de diffamation s'analyse en une ingérence disproportionnée dans son droit à la liberté d'expression, dès lors que la critique d'un magistrat s'inscrit dans le cadre d'un débat général relatif aux dysfonctionnements de la justice. Tel est l'apport de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme du 23 avril 2015 (CEDH, 23 avril 2015, Req. n° 29369/10 N° Lexbase : A0406NHI). En l'espèce, un avocat et son confrère adressèrent une lettre à la Garde des Sceaux dans le cadre de l'instruction sur le décès du juge B.. Ils saisirent la ministre de la Justice en raison "du comportement parfaitement contraire aux principes d'impartialité et de loyauté, des magistrats instructeurs, Mme M. et M. L.L." et demandèrent que soit ordonnée une enquête. Le lendemain parut un article dans lequel un journaliste relatait que les avocats avaient "vivement" mis en cause la juge M. auprès de la Garde des Sceaux. Il était précisé que la juge semblait "avoir omis de coter et de transmettre une pièce de procédure à son successeur". Les deux magistrats mis en cause déposèrent plainte avec constitution de partie civile, pour diffamation publique envers un fonctionnaire public, contre le directeur du journal, l'auteur de l'article et le requérant. Le requérant fut déclaré coupable de complicité du délit de diffamation envers un fonctionnaire public. Dans un arrêt du 11 juillet 2013 (CEDH, 11 juillet 2013, Req. 29369/10 N° Lexbase : A0946KKA), la CEDH a considéré que la condamnation du requérant ne s'analysait pas en une violation de l'article 10 de la CESDH (N° Lexbase : L4743AQQ). En effet, en raison du rôle clé de l'avocat dans le fonctionnement de la justice et de la gravité des accusations lancées dans l'article, les juridictions internes avaient pu, à juste titre, être convaincues que ces propos, prononcés par un avocat, étaient graves et injurieux et qu'ils étaient susceptibles de saper inutilement la confiance du public à l'égard de l'institution judiciaire. La grande Chambre considère, quant à elle, que les propos reprochés au requérant ne constituent pas des attaques gravement préjudiciables à l'action des tribunaux dénuées de fondement sérieux, mais des critiques, exprimées dans le cadre d'un débat d'intérêt général relatif au fonctionnement de la justice et dans le contexte d'une affaire au retentissement médiatique important depuis l'origine. Il s'agit d'un jugement de valeurs reposant sur une "base factuelle" suffisante. Conséquemment, l'atteinte à l'article 10 de la CESDH est caractérisée (cf. l’Ouvrage "Responsabilité civile" N° Lexbase : E4103ET7) et cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E1682EUT).

newsid:447152

Assurances

[Brèves] Conditions d'appréciation du caractère abusif de la clause d'un contrat d'assurance crédit

Réf. : CJUE, 23 avril 2015, aff. C-96/14 (N° Lexbase : A0404NHG)

Lecture: 2 min

N7150BUD

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Le 07 Mai 2015

L'article 4 § 2 de la Directive 93/13 du 5 avril 1993 (N° Lexbase : L7468AU7), sur les clauses abusives, doit être interprété en ce sens qu'une clause stipulée dans un contrat d'assurance et visant à garantir la prise en charge des échéances dues au prêteur en cas d'incapacité totale de travail de l'emprunteur ne relève de l'exception figurant à cette disposition que pour autant que la juridiction de renvoi constate :
- d'une part, que, eu égard à la nature, à l'économie générale et aux stipulations de l'ensemble contractuel auquel elle appartient, ainsi qu'à son contexte juridique et factuel, cette clause fixe un élément essentiel dudit ensemble qui, comme tel, caractérise celui-ci ;
- et, d'autre part, que ladite clause est rédigée de manière claire et compréhensible, c'est-à-dire qu'elle est non seulement intelligible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme auquel se réfère la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d'autres clauses, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui.
Tel est le sens d'un arrêt rendu le 23 avril 2015 par la CJUE (CJUE, 23 avril 2015, aff. C-96/14 N° Lexbase : A0404NHG). Dans cette affaire, lors de la conclusion de deux prêts immobiliers, l'emprunteur a adhéré à un "contrat d'assurance groupe" afin de garantir notamment la prise en charge de l'ITT. A la suite d'un accident de travail, le médecin mandaté par la compagnie d'assurance a conclu que l'état de santé de l'emprunteur, bien que n'étant pas compatible avec la reprise de sa profession antérieure, rendait possible l'exercice d'une activité professionnelle adaptée à temps partiel. La compagnie a donc refusé de continuer à prendre en charge les échéances du prêt. L'emprunteur a engagé une action en justice pour faire reconnaître que les termes du contrat sont abusifs en ce qui concerne la définition de l'ITT et les conditions de paiement. Pour énoncer la solution précitée, la CJUE rappelle que, dans des contrats d'assurance, les clauses définissant ou délimitant clairement le risque assuré et l'engagement de l'assureur ne font pas l'objet d'une appréciation du caractère abusif, dès lors que ces limitations sont prises en compte dans le calcul de la prime payée par le consommateur. Ainsi, il n'est pas exclu que la clause litigieuse porte sur l'objet même du contrat, dans la mesure où celle-ci semble délimiter le risque assuré et l'engagement de l'assureur ou en fixant la prestation essentielle du contrat d'assurance. Elle estime également qu'il ne saurait être exigé du consommateur de faire preuve de la même vigilance, quant à l'étendue des risques couverts par le contrat d'assurance, que s'il avait conclu de manière distincte le contrat d'assurance et les contrats de prêt.

newsid:447150

Bancaire

[Brèves] Assurance emprunteur : modalités de remise d'une fiche standardisée d'information

Réf. : Décret n° 2015-460 du 22 avril 2015, relatif à la remise de la fiche standardisée d'information mentionnée à l'article L. 312-6-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L4522I8Y)

Lecture: 1 min

N7174BUA

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Le 08 Mai 2015

Un décret, publié au Journal officiel du 24 avril 2015 (décret n° 2015-460 du 22 avril 2015, relatif à la remise de la fiche standardisée d'information mentionnée à l'article L. 312-6-2 du Code de la consommation N° Lexbase : L4522I8Y), précise les modalités de remise d'une fiche standardisée d'information, prévue par l'article L. 312-6-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L5105IXD), et en définit les principales caractéristiques. Il est ainsi prévu que cette fiche énonce de manière claire et lisible les principales caractéristiques de l'assurance ayant pour objet de garantir le remboursement d'un crédit immobilier. Cette fiche spécifie notamment :
- la définition et la description des types de garanties proposées au titre de l'assurance à l'emprunteur ;
- le cas échéant, les caractéristiques des garanties minimales exigées par le prêteur pour l'octroi du prêt immobilier ;
- les types de garanties que l'emprunteur envisage de choisir et la part du capital emprunté à couvrir ;
- une estimation personnalisée du coût de la solution d'assurance envisagée, sur la base des éléments connus lors de la remise de la fiche, portant sur le coût en euros et par période selon la périodicité de paiement, le coût total de l'assurance en euros sur la durée envisagée du prêt et le taux annuel effectif de l'assurance relatif à la totalité du prêt ;
- la mention de la possibilité pour l'emprunteur de souscrire une assurance ayant pour objet de garantir le remboursement d'un prêt auprès de l'assureur de son choix et les conditions et délais dans lesquels elle peut s'exercer.
Une fiche doit être remise à chaque emprunteur ou co-emprunteur. Ce décret entrera en vigueur le 1er octobre 2015.

newsid:447174

Contrôle fiscal

[Brèves] Champ d'application de la procédure d'évaluation d'office en cas d'opposition à un contrôle fiscal : pas de majoration pour un contribuable absent lors du contrôle de sa SCI

Réf. : CAA Nancy, 21 avril 2015, n° 13NC01598, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3042NH7)

Lecture: 2 min

N7201BUA

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Le 14 Mai 2015

Tant le principe de responsabilité personnelle que le principe de personnalité des peines s'opposent à ce que des pénalités fiscales, qui présentent le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elles visent, puissent être prononcées à l'encontre de contribuables, personnes physiques, lorsque ceux-ci n'ont pas participé aux agissements que ces pénalités répriment. Telle est la solution dégagée par la cour administrative d'appel de Nancy dans un arrêt rendu le 21 avril 2015 (CAA Nancy, 21 avril 2015, n° 13NC01598, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3042NH7). En l'espèce, à la suite de la vérification de la comptabilité d'une société civile immobilière (SCI), dont un contribuable est associé à hauteur de 13,6 %, ce dernier a été assujetti à une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2005, assortie d'une majoration pour opposition à contrôle fiscal. Le tribunal administratif de Strasbourg a alors déchargé ce contribuable de la quote-part mise à sa charge des majorations pour opposition à contrôle fiscal ayant assorti la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu en litige (TA Strasbourg, 23 avril 2013, n° 0904910). Les juges nancéens ont également donné raison au contribuable. En effet, les dispositions de l'article 1732 du CGI (N° Lexbase : L1722HN4) selon lesquelles, en cas d'évaluation d'office des bases d'imposition résultant de la mise en oeuvre de la procédure prévue à l'article L. 74 du LPF (N° Lexbase : L0428IYI) (concernant la taxation d'office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers), les suppléments de droits mis à la charge du contribuable peuvent être assortis d'une majoration, ne sauraient être interprétées comme autorisant l'administration à mettre cette pénalité, qui vise à sanctionner l'opposition à contrôle fiscal, à la charge du contribuable lorsque celui-ci n'a pas pris personnellement part à l'opposition au contrôle. Ainsi, en l'espèce la vérification de la comptabilité de la SCI n'a pu avoir lieu du fait des agissements de son gérant. De plus, il ne résulte pas de l'instruction que le contribuable, associé de la SCI, ait participé à la gestion de cette société, ni qu'il aurait été informé de l'intention de l'administration de procéder au contrôle de cette société et de l'opposition de son gérant à l'exercice de ce contrôle. Dans ces conditions, ce dernier doit être regardé comme n'ayant pris aucune part à l'opposition à contrôle fiscal dont s'est rendue coupable la SCI .

newsid:447201

Conventions et accords collectifs

[Brèves] Validité d'un accord de branche conclu avant la loi du 4 mai 2004 stipulant sa non-applicabilité aux entreprises ayant déjà conclu un accord RTT

Réf. : Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-18.032, FS-P+B (N° Lexbase : A9234NG4)

Lecture: 1 min

N7158BUN

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Le 12 Mai 2015

Un accord de branche, conclu avant la loi du 4 mai 2004 (N° Lexbase : L1877DY8), peut valablement prévoir qu'il ne s'applique pas aux entreprises ayant conclu un accord de réduction du temps de travail avant son entrée en vigueur. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 15 avril 2015 (Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-18.032, FS-P+B N° Lexbase : A9234NG4).
Dans cette affaire, la salariée, engagée le 25 août 2003 par la société X et occupant depuis le 1er décembre suivant un emploi de cadre au forfait jours, a, après avoir été licenciée le 22 janvier 2009, saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes tant au titre de l'exécution de son contrat de travail qu'au titre de sa rupture. La cour d'appel a condamné l'employeur à payer à la salariée des sommes au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents.
La société X forme alors un pourvoi en cassation auquel la Haute juridiction accède. Elle casse l'arrêt au visa de l'article 9-3 de l'avenant du 13 juillet 2001 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail à 35 heures dans la branche des commerces de détail de papeterie, fournitures de bureau, de bureautique et informatique et de librairie étendu par arrêté du 26 décembre 2001, ensemble l'article L. 2222-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3220IM9). Elle ajoute que la société X avait conclu un accord relatif à la réduction du temps de travail le 17 novembre 2000, soit antérieurement à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2002, de l'accord de branche (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E2390ETP).

newsid:447158

Électoral

[Brèves] Les directeurs des établissements publics relevant des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance ne sont pas inéligibles au poste de conseiller municipal

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 29 avril 2015, n° 382923, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3379NHM)

Lecture: 1 min

N7254BU9

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Le 09 Mai 2015

Les directeurs des établissements publics relevant des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance ne sont pas inéligibles au poste de conseiller municipal, énonce le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 29 avril 2015 (CE 3° et 8° s-s-r., 29 avril 2015, n° 382923, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3379NHM). Les dispositions du 8° de l'article L. 231 du Code électoral (N° Lexbase : L7914IYR) doivent s'entendre, eu égard à leur objet, comme visant non le conseil régional ou le conseil départemental, mais les collectivités dont ils sont les organes délibérants. Entrent ainsi dans le champ de ces dispositions, qui sont d'interprétation stricte, d'une part, les établissements publics dépendant exclusivement d'une région ou d'un département, ainsi que des autres collectivités territoriales et établissements mentionnés par ces dispositions, d'autre part, ceux qui sont communs à plusieurs de ces collectivités. Doivent être seulement regardés comme dépendant de ces collectivités ou établissements ou comme communs à plusieurs collectivités, pour l'application de ces dispositions, les établissements publics créés par ces seuls collectivités ou établissements ou à leur demande. En outre, les agents de la fonction publique hospitalière qui exercent dans ces établissements les fonctions mentionnées par ces dispositions ne sont pas inéligibles lorsqu'ils y ont été nommés par décision d'une autorité de l'Etat. Dès lors, les directeurs des établissements publics relevant des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, dont la nomination incombe à une autorité agissant au nom de l'Etat, ne sont pas inéligibles sur le fondement des dispositions du 8° de l'article L. 231 du Code électoral (cf. l’Ouvrage "Droit électoral" N° Lexbase : E1534A8C).

newsid:447254

Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] De la déclaration d'insaisissabilité toujours opposable au liquidateur judiciaire

Réf. : Cass. com., 24 mars 2015, n° 14-10.175, FS-P+B (N° Lexbase : A6810NEX)

Lecture: 6 min

N7171BU7

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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre de l'Institut du droit des affaires et du Centre de droit économique (EA 4224)

Le 07 Mai 2015

Dans un nouvel arrêt en date du 24 mars 2015, relatif à la déclaration notariée d'insaisissabilité ("DNI" ci-après) concernant un débiteur en liquidation judiciaire, la Chambre commerciale de la Cour de cassation affirme que le débiteur peut opposer à son liquidateur la déclaration d'insaisissabilité qu'il a effectuée avant d'être mis en liquidation judiciaire, en conséquence de quoi le juge-commissaire ne peut, sans excéder ses pouvoirs, autoriser le liquidateur à procéder à la vente d'un immeuble dont l'insaisissabilité lui était opposable.
La solution n'étonne pas car elle n'est pas nouvelle (I). Elle témoigne pour autant des difficultés et des incertitudes entourant toujours la DNI, pas seulement lorsque le débiteur tombe en procédure collective (II). I - L'opposabilité de la déclaration notariée d'insaisissabilité

A - Faits et procédure de l'arrêt du 24 mars 2015

L'affaire opposait un agriculteur en liquidation judiciaire depuis le 16 novembre 2011 au mandataire liquidateur qui entendait poursuivre la vente du bâtiment agricole pourtant déclaré insaisissable par acte notarié un an et demi avant l'ouverture de la procédure, le 27 février 2010 exactement. Le juge-commissaire, saisi par le liquidateur en vue d'être autorisé à procéder à la vente de l'immeuble, avait ordonné cette vente, malgré l'existence d'un créancier auquel la déclaration était opposable.

En appel, l'ordonnance du juge-commissaire avait été confirmée au motif,

- d'une part, "que la déclaration d'insaisissabilité n'est opposable qu'aux créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la publication de cette déclaration et à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant ; qu'en l'espèce, [le débiteur] ne conteste pas avoir des dettes personnelles antérieures à la déclaration d'insaisissabilité, notamment un prêt immobilier étranger à son activité professionnelle ; que dans la mesure où il existe au moins un créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité est inopposable, c'est à bon droit que le premier juge a fait droit à la requête [du liquidateur], le fait de la présence d'un créancier admis à qui est inopposable la déclaration d'insaisissabilité du bien étant suffisant pour que les poursuites puissent s'exercer sur cet élément d'actif" ;

- d'autre part, "que les deux parties reconnaissent l'existence dans la collectivité des créanciers [du débiteur] de plusieurs créanciers dont la créance est extraprofessionnelle ; qu'en conséquence, dès lors qu'il existe au moins un créancier auquel cette déclaration est inopposable, l'immeuble tombe dans la saisie collective ; que si les textes sur l'insaisissabilité limitent la liberté de saisir, ils ne prévoient pas un droit de préférence sur le prix de vente de l'immeuble en cause ; qu'il en résulte que le liquidateur a intérêt à agir puisque les fonds de la vente seront partagés entre tous les débiteurs".

L'arrêt ayant confirmé l'ordonnance est censuré au visa de l'article L. 526-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L9525IYG), dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (loi n° 2008-776 N° Lexbase : L7358IAR), la Cour de cassation rappelant que le débiteur peut opposer à son liquidateur la déclaration d'insaisissabilité qu'il a effectuée avant d'être mis en liquidation judiciaire, le juge-commissaire ne pouvant donc, sans excéder ses pouvoirs, autoriser le liquidateur à procéder à la vente d'un immeuble dont l'insaisissabilité lui était opposable.

B - Jurisprudence antérieure à l'arrêt du 24 mars 2015

Comme précédemment indiqué, la solution n'est pas nouvelle. Ainsi, dans son arrêt du 28 juin 2011, la Cour de cassation avait affirmé, pour la première fois, que "le débiteur peut opposer la déclaration d'insaisissabilité qu'il a effectuée en application de l'article L. 526-1 du Code de commerce, avant qu'il ne soit mis en liquidation judiciaire, en dépit de la règle du dessaisissement prévue par l'article L. 641-9 (N° Lexbase : L7329IZH)" (1). Il en avait été déduit, dès lors que l'immeuble appartenant au débiteur et à son conjoint commun en biens avait fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité publiée avant l'ouverture de la liquidation judiciaire, que "le juge-commissaire ne pouvait autoriser, sous peine de commettre un excès de pouvoir, le liquidateur à procéder à la vente aux enchères publiques de cet immeuble dont l'insaisissabilité lui était opposable".

La Cour de cassation avait confirmé sa position, à quelques nuances près, comme le relève très justement Alain Lienhard (2), dans son arrêt du 13 mars 2012, approuvant les juges du fond d'avoir jugé que "le liquidateur n'avait pas qualité pour agir en réalisation de l'immeuble affecté par la déclaration d'insaisissabilité", sur le fondement de la notion d'intérêt collectif au terme duquel "le liquidateur, ne [pouvant] légalement agir que dans l'intérêt de tous les créanciers et non dans l'intérêt personnel d'un créancier ou d'un groupe de créanciers", n'a pas qualité pour agir en inopposabilité puisque "la déclaration d'insaisissabilité n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à sa publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant", mais gommant toute référence à la règle du dessaisissement, absente de l'attendu de principe (3).

Postérieurement à ces deux importantes jurisprudences, la Cour de cassation a maintenu sa position, tant sur le terrain de la fraude paulienne (4), que sur celui de l'excès de pouvoir (5), étant précisé qu'antérieurement la Cour de cassation adoptait déjà cette solution sur le terrain des nullités de la période suspecte (6).

La solution n'en restait pas moins critiquable et donc vertement critiquée par la doctrine (7), hormis Pierre-Michel Le Corre plutôt favorable à la DNI, tout comme Corinne Saint-Alary-Houin, Michel Cabrillac et Philippe Pétel (8).

La solution a été si critiquée que le législateur est intervenu pour inscrire la DNI au titre des nullités de droit de la période suspecte, timidement (9), via l'ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH).

Pour sa part, la jurisprudence a un peu évolué également, admettant la prise d'une hypothèque conservatoire (10). L'hypothèque avait été prise judiciairement, à titre conservatoire, avant la liquidation judiciaire. Il nous semble qu'elle aurait été possible même après l'ouverture de la liquidation, car l'immeuble étant protégé par la DNI, il se situait hors procédure collective, et donc hors discipline des procédures collectives. Autrement dit, les règles d'interdiction des poursuites et d'interdiction des inscriptions ne s'y appliquaient pas, étant rappelé tout de même que l'hypothèque avait été prise à titre conservatoire, le droit des procédures collectives n'empêchant pas en principe les mesures conservatoires, mais prohibant les voies d'exécution.

On voit ainsi que, malgré cette jurisprudence acquise et malgré l'ordonnance du 12 mars 2014, les difficultés sont très loin d'être réglées car le problème avec la DNI est la multiplicité des créanciers qu'elle crée nécessairement, la question étant toujours celle de son opposabilité, voire de la distribution du prix.

II - Les difficultés d'articulation

Que l'on soit d'accord ou pas avec ces solutions, elles semblent acquises. La difficulté vient de ce que la DNI, indépendamment de l'ouverture d'une liquidation judiciaire, crée obligatoirement une catégorie de créanciers autre : ceux à qui la déclaration est opposable car antérieure, et ceux à qui elle ne l'est pas, car postérieure aux faits générateurs de leurs créances.

Preuve de ces difficultés, les juges du fond continuent d'être divisés. Pour certains, la déclaration reste opposable, même si parmi les créanciers représentés par le liquidateur on compte des créanciers auxquels la déclaration est inopposable (11). Pour d'autres, au contraire, la déclaration est inopposable parce que, parmi les créanciers représentés par le liquidateur, il n'y a pas que des créanciers auxquels la déclaration est opposable (12).

C'est toute la difficulté. Le fait que l'immeuble soit un bien "hors procédure" exonère-t-il les créanciers du respect des règles contraignantes de la procédure collective ? Nous pensons que oui. La doctrine est plutôt en ce sens (13). Et certains jugent du fond également (14). L'IFPPC penche aussi en ce sens (15).

Reste alors toute entière la question du prix, de sa distribution. A qui profiterait le produit de la réalisation ? Aux seuls "créanciers auxquels la déclaration est inopposable" (16). Quant aux créanciers auxquels la déclaration est opposable, un auteur a montré que l'affirmative aboutirait à un résultat paradoxal, à savoir le paiement de créanciers sur le prix de l'immeuble qu'ils ne pouvaient pas saisir (17).

On le voit, les difficultés sont bien réelles, et elles ne sont pas prêtes de s'estomper. En effet, le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (dit "Macron") prévoit, d'une part, concernant la distribution du prix de vente de l'immeuble, de limiter le report de l'insaisissabilité sur le prix de vente à la seule hypothèse de la vente de l'immeuble servant de résidence principale à l'entrepreneur, d'autre part et surtout, de remplacer la DNI par une insaisissabilité de plein droit s'agissant, du moins, uniquement de la résidence principale des entrepreneurs individuels (18), les DNI existantes étant toutefois maintenues, à l'instar du régime de faveur dont bénéficient les marins (affiliés à l'ENIM). La protection de la résidence principale serait ainsi automatique et elle concernerait tous les créanciers professionnels de l'entrepreneur que leur créance soit née avant ou après l'achat de cette résidence principale, la seule condition étant que leur droit soit né après l'entrée en vigueur de la loi. Mais, charme de la mesure, le débiteur pourrait y renoncer, une telle renonciation indique le projet de loi n'ayant "d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent postérieurement à sa publication".

Bref de beaux contentieux en perspective, en particulier avec les créanciers non professionnels, les créanciers dont les droits sont nés avant l'entrée en vigueur de la loi et les créanciers au profit desquels le déclarant aura renoncé à l'insaisissabilité, c'est-à-dire des créanciers auxquels l'insaisissabilité n'est pas opposable...


(1) Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15482, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6407HUT), Bull. civ. IV, n° 109 ; Ann. Loyers, 2011, p. 1624, obs. A. Cerati-Gautier ; D., 2011, Actu. p. 1751, obs. A. Lienhard ; D., 2012, Pan. 2201, obs. P.-M. Le Corre ; Rev. sociétés, 2011, p. 526, obs. Ph. Roussel Galle ; JCP éd. E, 2011, 1551, note F. Pérochon ; JCP éd. E, 2011, 1596, § 4, obs. Ph. Pétel ; LEDEN, juillet 2011, p. 1, obs. F.-X. Lucas ; Act. proc. coll., 2011/13, comm. n° 203, obs. L. Fin-Langer ; LPA, 28 septembre 2011, note G. Teboul ; Bull. Joly Entreprises en diff., 2011, 242, note L. Camensuli-Feuillard ; RD banc. fin., 2011, n° 171, obs. S. Piedelièvre ; Gaz. Pal., 7-8 octobre 2011, p. 11, note L. Antonini-Cochin ; RJ com., 2011, 510, note J.-P. Sortais ; LPA, 23 novembre 2011, note Fl. Reille ; Rev. proc. coll., 2012, n° 111, obs. C. Lisanti. ; P.-M. Le Corre, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Juillet 2011 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 259 du 14 juillet 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N6983BSG).
(2) D. actu., 3 avril 2015, note A. Lienhard, note sous Cass. com. 24 mars 2015, n° 14-10.175, FS-P+B.
(3) Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15.438, FS-P+B (N° Lexbase : A8907IEM), JCP éd. N 2012, 1281, note Ch. Lebel ; JCP éd. E, 2012, 1325, note P.-M. Le Corre ; D., 2012, p. 807, obs. A. Lienhard ; RLDA, 2012, n° 72, note J.-L. Vallens ; D., 2012, n° 22, note F. Marmoz ; Bull. Joly Sociétés, 2012, n° 6, note M.-H. Monsèrié-Bon ; P.-M. Le Corre, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Avril 2012 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 293 du 19 avril 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N1549BTK).
(4) Cass. com., 23 avril 2013, n° 12.16.035, F-P+B (N° Lexbase : A6890KC8), JCP éd. N, 2013, 1228, note Ch. Lebel ; D., 2013, Actu. p. 1127, obs. A. Lienhard ; D., 2013, Pan. 2363, obs. F.-X. Lucas ; Rev. sociétés, 2013, p. 377, obs. Ph. Roussel Galle ; JCP éd. E, 2013, 1380, note Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2013, n° 126, obs. Fin-Langer ; LEDEN, juin 2013, p. 1, obs. F.-X. Lucas ; LPA, 11 juin 2013, note V. Legrand ; Gaz. Pal., 12-13 juillet 2013, p. 19, obs. J. Théron ; Bull. Joly Entreprises en diff., 2013, p. 217, note L. Camensuli-Feuillard ; RD banc. fin., 2013, n° 135, obs. S. Piedelièvre ; Rev. proc. coll., 2013, n° 113, obs. F. Reille ; Defrénois, 2013, p. 784, note F. Vauvillé ; Bull. Joly Sociétés, 2013, 511, note E. Mouial-Bassilana ; P.- M. Le Corre in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Mai 2013 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 339 du 23 mai 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N7106BTD).
(5) Cass. com., 18 juin 2013, n° 11-23.716, F-D (N° Lexbase : A2064KHW), D., 2013. Actu. p. 1618, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2013, 1452, note Ch. Lebel ; Bull. Joly Sociétés, 2013, 667, note E. Mouial-Bassilana ; RD banc. fin., 2013, n° 159, obs. S. Piedelièvre. Cf. également, Cass. civ. 2, 6 juin 2013, n° 12-18.481, F-P+B (N° Lexbase : A3159KG4) ; JCP éd. E, 2013, 1452 ; D., 2013, p. 112 obs. A. Lienhard ; Rev. Sociétés, 2013, p. 377, obs. Ph. Roussel-Galle ; LPA, 11 juin 2013, p. 377, note V. Legrand.
(6) L'acte n'est pas annulable au titre des actes passés en période suspecte car non translatif de propriété (CA Bordeaux, 2ème ch., 23 octobre 2007, n° 06/005181 N° Lexbase : A1246D7B). Il n'est pas non plus assimilable à un contrat, éventuellement commutatif. Enfin, la déclaration n'est ni un paiement, ni un dépôt, ni une hypothèque, ni une mesure conservatoire (CA Nancy, 2ème ch. com., 23 mars 2011, n° 09/02695 N° Lexbase : A1543HM4, JCP éd. E, 2011, 1368, note Ch. Lebel ; Rev. proc. coll., 2012, n° 113, obs. C. Lisanti ; Rev. proc. coll., 2013, n° 14, obs. G. Blanc) et n'a aucun rapport avec une levée d'option ou une fiducie.
(7) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10ème éd., Lextenso, 2014, n° 1193 et 1194 ; F. Pérochon, Opposabilité au liquidateur et dessaisissement du débiteur : quel rapport ?, JCP éd. E, 2011, 1551 ; F. Pérochon, Le créancier et la renonciation à l'insaisissabilité de la résidence, Mél. Saint-Alary, Editions législatives et PUF Toulouse, 2006, p. 409 s. ; F.-X. Lucas, LEDEN, juillet 2011, p. 1, et janvier 2010, p. 3 ; F. Vauvillé, La déclaration notariée d'insaisissabilité, Defrénois, 2013, art. 37813, p. 1197.
(8) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2015/2016, n° 562.13. V. égal. C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, LDGJ, 6ème éd., 2009, n° 1214 ; M. Cabrillac et Ph. Pétel, obs. JCP éd. E, 2009, 1008, n° 9 ; Martin, Déclaration d'insaisissabilité et liquidation judiciaire, Procédures, 2010, Etudes 1.
(9) A. Cerati-Gauthier, Le sort de la déclaration d'insaisissabilité depuis l'ordonnance du 12 mars 2014, Ann. des Loyers, juillet 2014.
(10) Cass. com., 11 juin 2014, n° 13-13.643, FS-P+B, (N° Lexbase : A2254MRW), Bull. civ. IV, n° 106 ; D., 2014, Actu. 1326 et Dalloz actualité, 26 juin 2014, obs. X. Delpech ; RTDCiv., 2014, p. 693, obs. P. Crocq ; JCP éd. E, 2014, 1380, note Ch. Lebel ; JCP éd. G, 2014, 925, note J.-J. Barbièri ; Bull. Joly Entreprises en diff., 2014, 305, note V. Legrand ; RD banc. fin., 2014, n° 176, obs. S. Piedelièvre ; Ann. Loyers, décembre 2014, p. 3012, note V. Perruchot-Triboulet ; nos obs. L'immeuble insaisissable n'est pas disponible, Lexbase Hebdo n° 388 du 3 juillet 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N2875BUZ).
(11) CA Douai, 23 septembre 2010, n° 08/09697 (N° Lexbase : A2276GAK), JCP éd. E, 2010, 2076, note Ch. Lebel.
(12) CA Orléans 15 mai 2008, 07/01076 (N° Lexbase : A2277G44), Act. proc. coll. 2008, n° 239, obs. P. Cagnoli ; JCP, éd. E, 2009, 1008, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel. ; CA Aix-en-Provence 3 décembre 2009, n° 08/22422 (N° Lexbase : A2823EY9), LEDEN, janvier 2010, p. 3, obs. F.-X. Lucas ; CA Bourges 10 mars 2011, n° 10/01556 (N° Lexbase : A2713HAQ), Act. proc. coll., 2011-11, alerte 174 ; CA Orléans, 6 avril 2011, n° 11/00312 (N° Lexbase : A0352HPQ), LEDEN mai 2011, p. 5, n° 72, obs. F. Pérochon.
(13) Ph. Roussel Galle, Déclaration d'insaisissabilité : première étape vers la construction d'un régime juridique, Dict. perm. diff. entr., Bull. n° 328, p. 4; Ph. Roussel Galle, La déclaration d'insaisissabilité est opposable au liquidateur !, Rev. sociétés, 2011, p. 526 ; A. Lienhard, note sous Cass. com. 24 mars 2015, précit. : "Autant dire que demeurent toutes les incertitudes nées de cette lecture, certes protectrice de l'entrepreneur, et partant sans doute téléologique de l'article L. 526-1 du Code de commerce visé ici par la Cour, mais qui le laisse probablement à la merci des créanciers auxquels la déclaration d'insaisissabilité n'est pas opposable, que rien ne devrait interdire d'agir contre le débiteur, en vue de saisir l'immeuble, étant ajouté qu'ils échapperaient alors même à l'interdiction des paiements et surtout à celle des poursuites individuelles". Contra A. Cerati-Gauthier, JCP éd. E, 2015, note sous Cass. com., 24 mars 2015, précit., à paraître.
(14) En faveur de la disponibilité du bien : CA Agen, 20 novembre 2012, n° 11/01314 (N° Lexbase : A6043IX4), Validité de l'inscription d'hypothèque judiciaire conservatoire portant sur l'immeuble ayant fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité, Lexbase Hebdo n° 319 du 6 décembre 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N4782BTB) ; TGI Nîmes, JEX en matière de saisie immobilière, 12 septembre 2013, n° 12/00194 ; CA Nîmes, 1er ch., sect. A, 6 février 2014, n° 13/04598 (N° Lexbase : A7566MDL). Adde sur les indisponibilités, cf. RLDA, octobre 2013, n° 86 ; et spéc. Ph. Delebecque, La constitution d'une sûreté sur un bien frappé d'une indisponibilité conventionnelle, citant Cass. civ. 1, 23 février 2012, n° 09-13.113, F-P+B+I (N° Lexbase : A1456IDB), Bull. civ. I, n° 39 : "les biens frappés d'inaliénabilité ne sont pas susceptibles d'hypothèque conventionnelle, comme ne se trouvant pas dans le commerce au sens de l'article 2397 du Code civil (N° Lexbase : L1341HII)".
(15) Cf. notre note sous Cass. com., 11 juin 2014, n° 13-13.643, Lexbase Hebdo n° 388 du 3 juillet 2014 - édition affaires, précit. : "En l'état du droit positif, la solution la plus probable est celle qui consiste à permettre aux créanciers auxquels l'insaisissabilité est inopposable, de procéder à la saisie de l'immeuble, mais dans le respect des règles qui gouvernent la procédure collective, c'est-à-dire à la condition que leur droit de poursuite ne soit pas paralysé... Sont, au premier chef, concernés les créanciers hypothécaires auxquels l'insaisissabilité n'est pas opposable, qui peuvent invoquer une disposition de l'article L 643-2 en vue d'exercer leur droit de poursuite individuel".
(16) En ce sens : CA Aix-en-Provence 3 décembre 2009, n° 08/22422, préc. LEDEN, janvier 2010, p. 3, obs. F.-X. Lucas, précit. F. Legrand et O. Staes, La détermination du patrimoine du débiteur, Rev. proc. coll., avril-juin 2008, p. 106, n° 39 ; F. Vauvillé, Déclaration notariée d'insaisissabilité et procédure collective du déclarant, Act. proc. coll., 2003-17, p. 1.
(17) Ce qui n'est pas totalement inconcevable selon cet auteur si l'on admet que le prix est entré dans le patrimoine du débiteur : A. Cerati-Gauthier, JCP éd. E 2015, note sous Cass. com. 24 mars 2015 précit., citant TGI Nancy, 6 juillet 2009, JCP éd. E, 2010, 1229, note Ch. Lebel ; citant également, en faveur de ce caractère collectif du prix de vente, F. Pérochon, Le créancier et la renonciation à l'insaisissabilité de la résidence, préc., spéc. p. 411, n° 6.
(18) F. Pérochon, L'art de mal légiférer : l'insaisissabilité de la résidence principale, Bull. Joly Entrep. diff., mars 2015, p. 65 ; V. Legrand, Le projet de loi pour la croissance et l'activité, et la promesse de l'insaisissabilité de la résidence principale de l'entrepreneur individuel, LPA, 12 mars 2015, n° 51, p. 4.

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Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Exonération des suppléments de rémunération versés à des salariés envoyés à l'étranger

Réf. : CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 10 avril 2015, n° 365851, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5021NG3)

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public à la Faculté de droit, Université de Paris XIII

Le 07 Mai 2015

De la mission ardue d'interpréter certaines dispositions du CGI : tel pouvait être l'autre sous-titre du présent commentaire tant contribuables, administration fiscale, avocats et juges administratifs ont glosé et post-glosé sur le sens du II de l'article 81 A du CGI (N° Lexbase : L8873IR3) (dans sa version applicable aux impositions faisant l'objet du litige). Compliquée, la mission d'interprétation qui échoit au juge de l'impôt est essentielle au regard de l'enjeu : l'exonération (ou non) des suppléments de rémunération perçus par un salarié, certes domicilié en France (1), mais envoyé par son employeur dans un autre Etat pour y exercer une activité ponctuelle (CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 10 avril 2015, n° 365851, publié au recueil Lebon). En l'espèce, un couple de contribuables demande la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis pour les années 2006 et 2007. Ils estiment, contrairement à la position de l'administration fiscale, que les suppléments de rémunération perçus à raison de l'activité professionnelle exercée hors de France méritent exonération au sens de l'article 81 A (II) du CGI. Concrètement, ils contestent le rehaussement de leurs revenus imposables au titre de l'année 2006 (21 408 euros) et de l'année 2007 (18 255 euros). Le tribunal administratif de Paris rejette leur demande (TA Paris, 30 novembre 2011, n° 1013855), tout comme la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 7 décembre 2012, n° 11PA05199 N° Lexbase : A9893I7K). Juge de cassation, le Conseil d'Etat s'érige ici en juge du fond (faisant application de l'article L. 821-2 du CJA N° Lexbase : L3298ALQ) pour trancher l'affaire. Et il fait droit à la demande des requérants : c'est à tort que la cour administrative d'appel de Paris et le tribunal administratif de Paris ont rejeté la demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2006 et 2007. Au coeur du contentieux, la notion de rémunération, tout d'abord, à savoir la rémunération permettant de déterminer si les suppléments de revenus versés au titre d'un séjour dans un autre Etat sont exonérés d'impôt sur le revenu en France. Au coeur du contentieux, encore, le plafond de 40 % prévu par le CGI : le montant des suppléments de rémunération ne peut pas excéder 40 % de celui de la rémunération versée aux salariés. Ce que va récuser le Conseil d'Etat est la logique retenue par la doctrine de l'administration, qu'il s'agisse de l'instruction 5 B-15-06 du 6 avril 2006 (§ 88) (N° Lexbase : X6459ADL) et du BOI-RSA-GEO-10-30-10-20130610 (§ 190) (N° Lexbase : X6880ALE). Pour l'administration, le "plafond de 40 % doit être calculé en proratisant la rémunération hors suppléments en fonction du nombre de jours passés à l'étranger [...] en rapportant le montant de ladite rémunération à la même période que celle au titre de laquelle est calculé le supplément de rémunération" (2). L'administration fiscale et la cour administrative d'appel ont commis une erreur de méthode (II) en estimant que la rémunération visée s'entend comme le montant de la seule rémunération perçue pendant la durée des séjours hors de France donnant lieu au versement de ces suppléments. Après l'erreur, le discours de la méthode : selon le Conseil d'Etat, la rémunération s'entend comme le montant global de la rémunération hors suppléments versés au salarié pendant cette période. Le juge rend ainsi une interprétation (des dispositions du CGI permettant l'exonération des suppléments de rémunération) favorable au contribuable (I).

I - Discours de la méthode : une interprétation jurisprudentielle des dispositions du CGI permettant l'exonération des suppléments de rémunération favorable au contribuable

Une fois visées les conditions posées par l'article 81 A (II) du CGI (A), le Conseil d'Etat estime que la rémunération (objet du litige) s'entend comme le montant global de la rémunération hors suppléments versés au salarié pendant cette période (B).

A - Les conditions posées par l'article 81 A (II) du CGI

Pour qu'advienne l'exonération des suppléments de rémunération perçus à raison de l'activité professionnelle exercée hors de France, ces suppléments doivent avoir été versés en contrepartie de séjours effectués dans l'intérêt direct et exclusif de l'employeur. Ils doivent encore être justifiés par un déplacement nécessitant une résidence d'une durée effective d'au moins vingt-quatre heures dans un autre Etat.

Les suppléments doivent être déterminés dans leur montant préalablement aux séjours dans un autre Etat et en rapport avec le nombre, la durée et le lieu de ces séjours. Quant à la détermination du montant des suppléments de rémunération avant les séjours, il revient en général au contrat de travail (ou à un avenant) de poser "des grilles de définition de la prime contenue dans le règlement intérieur de l'entreprise" (3) ; en présence de missions de courte durée à caractère ponctuel, l'employeur peut fournir les renseignements via des ordres de mission en adéquation avec la dimension ponctuelle des missions. Les montants des suppléments de rémunération déclarés par les requérants s'élèvent à 40 765 euros (pour l'année 2006) et à 42 394 euros (pour l'année 2007). Ces montants ont été préalablement déterminés en rapport avec le nombre, la durée et le lieu des séjours hors de France du mari.

De plus, pour être exonérés d'impôt sur le revenu, les suppléments de rémunération doivent être déterminés eu égard à la rémunération versée aux salariés (compte non tenu des suppléments en cause). Enfin, le montant des suppléments de rémunération ne peut pas excéder 40 % de celui de la rémunération versée aux salariés (compte non tenu des suppléments mentionnés en amont). Le propos semble clair ; or, il ne l'est point, ce qui montre combien la théorie de l'acte clair (tant vantée jadis) relève de la plaisanterie juridique. Aucun acte juridique n'est en soi clair ; il s'interprète, et est potentiellement gros de plusieurs interprétations. Ici, le Conseil d'Etat va donner une interprétation des dispositions contestées contrastant avec celle retenue par les juges du fond.

B - La rémunération s'entend comme le montant global de la rémunération hors suppléments versés au salarié pendant cette période

Quid de la notion de rémunération au sens du CGI ? Voilà une question essentielle à laquelle devait répondre le Conseil d'Etat. Pour celui-ci, il faut entendre la rémunération comme le montant global de la rémunération hors suppléments versés au salarié pendant cette période. S'agissant du plafond de 40 %, la rémunération s'entend de celle "perçue globalement au titre de l'année d'imposition, déduction faite de l'ensemble des suppléments qui ont été versés sur la même période" (4). Une telle lecture semble être "l'interprétation la plus naturelle" (5), notamment eu égard aux travaux préparatoires de la loi de finances rectificative pour 2005. L'objectif du législateur n'est pas d'aller dans le sens d'une limitation accrue en matière d'exonération d'impôt sur le revenu ; la finalité du dispositif législatif est de promouvoir les échanges internationaux. Il est donc logique (voire nécessaire) de retenir une interprétation fiscalement intéressante pour les salariés et ne pas transformer le plafond de 40 % en écueil économique. Il y a plus ; une lecture ouverte des dispositions en cause prend sens a fortiori lorsque l'on sait que les suppléments de rémunération ont des finalités compensatoires, à savoir l'éloignement du salarié du foyer familial, les difficultés éventuelles rencontrées dans un Etat autre que le sien. Pour ces raisons, "Des suppléments de revenu supérieurs à 40 % de la rémunération prorata temporis" (6) sont regardés comme raisonnables et acceptables. Cette lecture a le mérite de donner toute sa portée à la disposition permettant l'exonération, ce qui contribue à la réalisation des objectifs promus par le législateur. L'exonération est de droit dès lors que le contribuable "est en mesure de justifier que le montant du supplément de salaire reçu au titre de cette période a été fixé, même de manière forfaitaire, en rapport avec l'importance de ses séjours hors de France, eu égard, notamment, à leur nombre, leur durée et leur destination" (7).

Le Conseil d'Etat tranche l'affaire au fond. Il constate que les montants des suppléments de rémunération déclarés par les contribuables (40 765 euros pour 2006, 42 394 euros pour 2007) sont inférieurs à 40 % des rémunérations annuelles versées au mari requérant au cours des années 2006 et 2007. Il manque bien sur un membre de phrase pour que l'analyse du Conseil d'Etat soit complète et fasse jurisprudence : les montants des suppléments de rémunération sont inférieurs à 40 % des rémunérations annuelles, hors suppléments de rémunération. Ce faisant, les requérants peuvent bénéficier d'une exonération d'impôt sur le revenu en application du II de l'article 81 A du CGI. C'est à mauvais droit que l'administration fiscale prétendait rehausser les revenus imposables du couple à hauteur de 21 408 euros (pour 2006) et de 18 255 euros (pour 2007).

Pour mieux comprendre l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat, il importe de détailler le raisonnement improprement suivie par l'administration fiscale et la cour administrative d'appel de Paris.

II - Erreur de la méthode : l'interprétation erronée de l'administration fiscale et de la cour administrative d'appel quant au montant de la rémunération perçue

La rémunération visée ne peut s'entendre comme le montant de la seule rémunération perçue pendant la durée des séjours hors de France donnant lieu au versement de ces suppléments (A). Le contribuable a été, en l'espèce, indument frappé d'un rehaussement de ses revenus imposables (B).

A - La rémunération visée ne peut s'entendre comme le montant de la seule rémunération perçue pendant la durée des séjours hors de France donnant lieu au versement de ces suppléments

Il est intéressant de se pencher sur l'erreur réalisée par l'administration fiscale et la cour administrative d'appel de Paris. Dit autrement (et la définition par la négative est souvent plus parlante) la rémunération ne doit pas s'entendre comme le montant de la seule rémunération perçue pendant la durée des séjours hors de France donnant lieu au versement de ces suppléments. Pour avoir retenu une telle ultime analyse, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris est cassé pour erreur de droit. Celle-ci ne devait pas retenir comme montant de la rémunération servant de base au calcul du plafond de 40 % le montant suivant : celui de la rémunération perçue au cours des périodes pendant lesquelles le requérant a effectué des déplacements à l'étranger. Pour déterminer la part des suppléments de rémunération susceptibles d'être exonérés d'impôt sur le revenu, la cour a fait application d'un critère par elle qualifiée d'"objectif" : "rapporter le montant de la rémunération versée au salarié au cours de la période donnée, telle que l'année civile, au nombre de jours, compris dans cette période, à raison desquels le salarié a perçu un supplément de rémunération". Puis, la cour s'est penchée sur le fait que le montant des suppléments de rémunération exonérés est limité à 40 % de la rémunération telle que définie selon la règle de prorata temporis à peine évoquée. De tout cela, la cour a tiré la conclusion suivante : le montant de la rémunération servant de base au calcul du plafond de 40 % s'entend comme celui de la rémunération "qu'aurait normalement perçue le salarié au cours des périodes pendant lesquelles il a effectué des déplacements nécessitant une résidence d'une durée effective d'au moins vingt-quatre heures à l'étranger". Il s'agit là d'une interprétation réduisant la portée de l'exonération posée par le législateur ; cela conduit la cour à rehausser (indument) les revenus imposables des requérants.

B - L'indu rehaussement des revenus imposables adoubé à mauvais droit par la CAA

Une fois ce raisonnement posé, la cour se tourne vers la méthode retenue par l'administration fiscale pour accepter in fine le rehaussement des revenus imposables des époux. L'administration retient que le mari a effectué 21 jours de déplacement d'au moins 24 heures à l'étranger au cours de l'année 2006, et 23 jours de déplacement d'au moins 24 heures à l'étranger au cours de l'année 2007. Ce dernier a effectué ces divers déplacements sur un total annuel de 216 jours travaillés. A partir de ces différentes données, l'administration a calculé le plafond de 40 % dans la limite duquel les suppléments de rémunération versés au titre de ces séjours peuvent être exonérés d'impôt sur le revenu. Elle a appliqué ce taux de 40 % au montant du salaire annuel du requérant à concurrence respectivement de 21/216ème et de 23/216ème de ce montant. Puisqu'il a reçu, au titre de ses rémunérations annuelles, hors supplément de rémunération, les sommes de 497 762 euros (2006) et 566 740 euros (2007), les montants maximaux des suppléments de rémunération susceptibles d'être exonérés d'impôt sur le revenu sont les suivants : 19 357 euros (2006) et 24 139 euros (2007). Une fois ces laborieux calculs réalisés, l'administration en a déduit qu'elle pouvait, devait, rehausser les revenus imposables du couple "à hauteur de la différence entre ces plafonds et les montants des sommes déclarées par eux comme des suppléments de rémunérations exonérés, soit 21 408 euros au titre de l'année 2006 et 18 255 euros au titre de l'année 2007".

C'est cela même que le Conseil d'Etat censure, au profit des contribuables.


(1) Au sens de l'article 4 B du CGI (N° Lexbase : L1010HLY).
(2) Conclusions de F. Aladjidi.
(3) Instruction 5 B-15-06 § 79 à 81, cité dans les conclusions de F. Aladjidi.
(4) Conclusions de F. Aladjidi.
(5) Conclusions de F. Aladjidi.
(6) Conclusions de F. Aladjidi.
(7) CE 8° et 9° s-s-r., 19 octobre 1994, n° 117128, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2992ASM) cité dans les conclusions de F. Aladjidi.

newsid:447213

Fiscalité immobilière

[Brèves] Notion de locataire au regard d'un bien acquis dans le cadre du dispositif "Besson"

Réf. : CAA Bordeaux, 7 avril 2015, n° 13BX02674, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3041NH4)

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N7206BUG

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Le 08 Mai 2015

Pour bénéficier d'un amortissement de leur investissement, dans le cadre du dispositif dit loi "Besson", les propriétaires doivent avoir acquis le logement neuf entre le 1er janvier 1999 et le 2 avril 2003 et prendre l'engagement de le donner en location nue à titre d'habitation principale à un locataire dont les ressources n'excèdent pas un certain plafond. Par ailleurs, la notion de locataire s'entend, au sens de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs (N° Lexbase : L8461AGH), de la ou des personnes, désignées dans le contrat de location, qui obtiennent le droit d'utiliser la chose louée en contrepartie du versement du loyer et qui décident, de manière générale, d'y résider habituellement et effectivement. Telle est la solution retenue par la cour administrative d'appel de Bordeaux dans un arrêt rendu le 7 avril 2015 (CAA Bordeaux, 7 avril 2015, n° 13BX02674, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3041NH4). Au cas présent, un couple de contribuables est propriétaire d'un appartement situé acquis en 2001 dans le cadre du dispositif dit de la loi "Besson", et donné à bail au 1er février 2007. L'administration a remis en cause la déduction au titre de l'amortissement appliqué par le couple au motif que le bien loué ne constituait pas la résidence principale des locataires. Le tribunal administratif de Limoges a, quant à lui, déchargé le couple des impositions litigieuses (TA Limoges, 27 juin 2013, n° 1101760), appuyé par les juges limougeauds qui ont rejeté le pourvoi de l'administration. En effet, en l'espèce, les propriétaires ont donné ce bien à bail à compter du 1er février 2007 à un couple, sous engagement de caution d'une tierce personne, le contrat de bail stipulant que les locaux loués sont à "usage d'habitation principale exclusivement". Pour remettre en cause les déductions prévues à l'article 31-I-1° e) et g) du CGI (N° Lexbase : L1090HLX) (appliquant le dispositif "Besson"), l'administration fiscale s'est fondée sur le fait que l'appartement du couple locataire était occupé par la caution mentionnée au bail, et non par les locataires qui se trouvaient toujours domiciliés. Cependant, et contrairement à ce que soutient l'administration, les propriétaires n'ont pas méconnu leurs obligations fiscales en ne vérifiant pas l'effectivité de l'occupation de leur appartement par les locataires signataires du bail, dans la mesure où, en application de la loi du 6 juillet 1989, le locataire ayant signé le bail est présumé occuper le logement décrit au contrat d'habitation .

newsid:447206

Licenciement

[Jurisprudence] Le cessionnaire de l'entreprise est-il censé connaître les mandats extérieurs détenus par les salariés cédés ?

Réf. : Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-25.283, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9402NGC)

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N7160BUQ

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Mai 2015

L'un des apports de la procédure de QPC au droit du travail est d'avoir permis de dégager le principe selon lequel l'employeur n'est pas censé connaître les mandats extérieurs à l'entreprise détenus par les salariés, qui doivent, s'ils prétendent bénéficier de leur statut protecteur, prouver que l'employeur savait ou qu'il l'en avait informé avant que ne soit prononcée la rupture définitive du contrat de travail. Ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 15 avril 2015 concernait l'hypothèse inédite d'un salarié protégé dont le contrat de travail avait été cédé avec son entreprise, et qui prétendait que le cessionnaire ne pouvait ignorer l'existence de son mandat de conseiller du salarié, dès lors que le cédant le savait (I). La Cour de cassation considère, dans cet arrêt, que tel n'est pas le cas, le salarié devant établir cette connaissance par d'autres moyens (II).
Résumé

La seule poursuite du contrat de travail, par application de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y), n'a pas pour effet de mettre le nouvel employeur en situation de connaître l'existence d'une protection dont bénéficie un salarié en raison d'un mandat extérieur à l'entreprise.

Commentaire

I - L'employeur et la connaissance du statut de conseiller du salarié

Cadre juridique. Répondant à une demande constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre de la procédure de QPC, a formulé, le 14 mai 2012, une réserve d'interprétation concernant le bénéfice de la protection des salariés titulaires d'un mandat de représentation extérieur à l'entreprise (1). Aux termes de cette décision, le Conseil a jugé que "la protection assurée au salarié qui exerce un mandat extérieur à l'entreprise ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, permettre au salarié protégé de se prévaloir d'une telle protection, dès lors qu'il est établi qu'il n'en a pas informé son employeur au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement". Quelques semaines plus tard, la Chambre sociale de la Cour de cassation a élargi la solution à tous les mandats extérieurs, et à tous les modes de rupture du contrat de travail (2).

Reste à déterminer comment s'articule la question des mandats extérieurs à l'entreprise et la cession de celle-ci emportant changement d'employeur, dans la mesure où le "nouvel" employeur n'a pas nécessairement connaissance de l'ensemble des mandats détenus par les salariés de l'entité transférée.

C'est tout l'intérêt de cet arrêt.

L'affaire. Un salarié, employé par une association d'aide médico-sociale à domicile à compter de 2003, avait été élu conseiller prud'hommes en décembre 2008. En avril 2009, l'association a été reprise par une fondation dans le cadre d'une opération de fusion-absorption. En juin 2009, le salarié a été licencié pour faute grave, sans qu'ait été sollicitée l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail. Il avait alors saisi la juridiction prud'homale d'une demande d'annulation de son licenciement et de dommages et intérêts, en produisant un certain nombre de documents attestant de la connaissance, par son ancien employeur, l'association, de sa candidature, puis de son élection comme conseiller prud'hommes, et a obtenu gain de cause, tant en première instance qu'en appel .

Ce sont ces décisions qui sont ici cassées, les motifs retenus par les juges d'appel étant considérés comme inopérants, et pour violation des articles L. 2411-1, 17° (N° Lexbase : L3666IUC) et L. 2411-22 (N° Lexbase : L0168H94) du Code du travail. La Cour affirme que "la seule poursuite du contrat de travail, par application de l'article L. 1224-1 du Code du travail, n'a pas pour effet de mettre le nouvel employeur en situation de connaître l'existence d'une protection dont bénéficie un salarié en raison d'un mandat extérieur à l'entreprise". Dès lors, "il appartient [...] au salarié qui se prévaut d'une telle protection d'établir qu'il a informé le nouvel employeur de l'existence de ce mandat au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement, ou, s'il s'agit d'une rupture ne nécessitant pas un entretien préalable, au plus tard avant la notification de l'acte de rupture, ou que le nouvel employeur en avait connaissance".

II - La cession de l'entreprise n'emporte pas présomption de connaissance des mandats extérieurs

Une solution réaliste. La solution nous semble doublement justifiée, tant au regard des règles qui gouvernent le maintien du contrat de travail en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur, qu'au regard du fondement même de l'obligation d'information qui pèse sur le salarié.

Une solution logique au regard du régime de la cession du contrat de travail. L'article L. 1224-1 du Code du travail impose le maintien des contrats de travail avec le cessionnaire de l'entreprise. Le nouvel employeur se substitue donc à l'ancien, sans qu'il en résulte aucune (autre) modification du contrat. Il s'agit donc d'une hypothèse de cession de contrat par l'effet de la loi, et non véritablement d'une subrogation personnelle, le contrat étant transféré, selon les propres termes de la loi. Le nouvel employeur hérite, ainsi, des obligations futures qui incombaient au premier, éventuellement de ses dettes passées si la cession de l'entreprise est intervenue de manière conventionnelle (3). Cette transmission concerne logiquement les actes juridiques passés avant la cession, et non les simples situations de fait qui demeurent propres à leur auteur. C'est ainsi que le salarié entre dans l'effectif de sa "nouvelle" entreprise à la date de la cession, sans rétroactivité, même s'il conserve le bénéfice de son ancienneté (4). Il est donc logique, dans ces conditions, de considérer que la connaissance du mandat extérieur par l'ancien employeur n'est pas susceptible d'être transmise au nouvel employeur, tout simplement parce qu'une telle transmission est étrangère aux prévisions de la loi.

La Cour de cassation va, d'ailleurs, au-delà de cette solution qui consiste à affirmer que la cession du contrat n'emporte pas présomption de connaissance de l'existence du mandat extérieur, et considère que "la seule poursuite du contrat de travail par application de l'article L. 1224-1 du Code du travail n'a pas pour effet de mettre le nouvel employeur en situation de connaître l'existence d'une protection dont bénéficie un salarié en raison d'un mandat extérieur à l'entreprise". En d'autres termes, rien dans le régime légal de l'article L. 1224-1 ne vient imposer au cédant de formaliser le transfert des contrats de travail auprès du cessionnaire, ni ne lui impose de lui transférer les informations dont il pourrait avoir connaissance, même si cette transmission semble aller de soi, compte tenu du fait que les contrats sont cédés avec l'ensemble des éléments matériels composant l'entreprise, dont leur dossier professionnel. Même lorsque l'entreprise se trouve, par ailleurs, soumise à des règles conventionnelles qui imposent au cédant de communiquer au cessionnaire la liste des salariés dont le contrat est cédé, cette obligation ne s'étend pas au-delà et ne porte pas sur les mandats dont les salariés pourraient être titulaires. Dans la mesure où rien, dans le régime légal, n'est susceptible de rendre la transmission de telles informations vraisemblable, il est logique de ne pas présumer qu'un tel transfert a nécessairement eu lieu, et d'imposer, comme le fait la Haute juridiction dans cette décision, que le salarié rapporte la preuve qu'il avait informé le nouvel employeur de l'existence de ce mandat, ou que ce dernier en avait eu connaissance (par exemple par une mention dans le dossier professionnel, ou la preuve qu'une information verbale avait été donnée au nouvel employeur).

Une solution logique au regard du régime protecteur des salariés protégés en vertu d'un mandat extérieur. Dans sa décision du 14 mai 2012, le Conseil constitutionnel avait justifié sa réserve d'interprétation par la volonté de préserver la liberté d'entreprendre de l'employeur, ainsi que sa liberté contractuelle. Il s'agit ici également d'une application de l'exigence de loyauté qui pèse sur les parties au contrat de travail et qui interdit au salarié de prétendre tirer avantage d'une solution qu'il a lui même contribué, par son comportement, à créer (5). L'obligation d'informer son employeur de l'existence de mandats extérieurs à l'entreprise, qui repose sur une présomption d'ignorance et de bonne foi, semble donc réaliste. La cession de l'entreprise emportant changement d'employeur, il est donc logique de ne pas annuler le licenciement du salarié sous prétexte que le cessionnaire ne pouvait ignorer l'existence du statut de conseiller du salarié, surtout dans les grandes entreprises, où le personnel est nombreux, lorsque le licenciement intervient rapidement après le transfert, comme c'était le cas ici (deux mois), et qu'il s'agit d'un licenciement pour faute grave qui intervient dans un bref délai.


(1) Cons. const., décision n° 2012-242 QPC du 14 mai 2012 (N° Lexbase : A1878IL7) et nos obs., Le Conseil constitutionnel et les salariés mandatés extérieurs à l'entreprise : premier impact (limité) de la QPC sur le Code du travail, Lexbase Hebdo n° 488 du 7 juin 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2251BTK).
(2) Cass. soc., 14 septembre 2012, deux arrêts, n° 11-28.269, FS-P+B (N° Lexbase : A9278ISG) et n° 11-21.307, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7531ISQ) et nos obs., Des salariés protégés en vertu d'un mandat extérieur à l'entreprise : la Cour de cassation prolonge la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Lexbase Hebdo n° 499 du 27 septembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N3605BTP). La solution a été confirmée depuis à plusieurs reprises : Cass. soc., 26 mars 2013, n° 11-28.269, FS-P+B (N° Lexbase : A2704KBR) : licenciement d'un conseiller du salarié - mandat inopposable. Cass. soc., 26 juin 2013, n° 12-15.581, F-D (N° Lexbase : A3007KI9) : rupture à l'issue de la période probatoire d'un conseiller du salarié - mandat inopposable. Cass. soc., 15 janvier 2014, n° 12-26.650, F-D (N° Lexbase : A8028KTI) : licenciement pour motif économique d'un conseiller du salarié - mandat inopposable. Cass. soc., 6 mai 2014, n° 13-16.498, F-D (N° Lexbase : A9344MKB) et les obs. de S. Tournaux, Les modalités de l'obligation d'informer l'employeur de l'existence d'un mandat extérieur à l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 571 du 22 mai 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N2281BUZ) : rupture de la période d'essai du conseiller du salarié - mandat inopposable. Cass. soc., 1er avril 2015, n° 13-26.777, F-D (N° Lexbase : A1078NGZ) : licenciement d'un assesseur au tribunal du travail de Nouméa - mandat inopposable.
(3) C. trav., art. L. 1224-2 (N° Lexbase : L0842H93).
(4) Il bénéfice donc des avantages du statut applicable dans sa nouvelle entreprise dès le premier jour, mais peut ne pas bénéficier de ceux soumis à une condition de date de présence à l'effectif.
(5) Nos obs. sous la décision n° 2012-242 QPC du 14 mai 2012, préc..

Décision

Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-25.283, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9402NGC).

Cassation (CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., deux arrêts, 31 janvier 2013, n° 12/05193 N° Lexbase : A5489I43 et 12 septembre 2013, n° 10/09157 N° Lexbase : A9731KKM).

Textes visés : C. trav., art. L. 2411-1, 17° (N° Lexbase : L3666IUC) et L. 2411-22 (N° Lexbase : L0168H94).

Mots clef : mandat extérieur à l'entreprise ; cession d'entreprise.

Lien base : (N° Lexbase : E8873ESG).

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Pénal

[Jurisprudence] Ordre de la loi et réparation : une précision jurisprudentielle importante

Réf. : Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n° 13-17.257, F-P+B (N° Lexbase : A6819NEB)

Lecture: 10 min

N7157BUM

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par Anne Donnier, Maître de conférences HDR à la Faculté de droit de Rennes 1

Le 07 Mai 2015

L'irresponsabilité pénale fondée sur l'ordre de la loi constitue t-elle un obstacle à une demande de réparation devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions ? Telle est la question à laquelle répond la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 26 mars 2015. En l'espèce, une personne placée en garde à vue dans le cadre d'une affaire criminelle, qui tentait de s'évader des locaux où elle était retenue, fut mortellement blessée par un gendarme avec son arme de service. Renvoyé devant une cour d'assises pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, commises par une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, l'auteur des faits fut acquitté par un arrêt devenu définitif le 17 septembre 2010. Toutefois, le 25 janvier 2010, la mère de la victime saisissait une commission d'indemnisation des victimes d'infractions aux fins de réparation de son préjudice moral. Par arrêt rendu le 3 octobre 2012, la cour d'appel d'Aix-en-Provence rejeta la demande d'indemnisation de la mère de la personne décédée aux motifs que les faits à l'origine du décès ne présentaient pas le caractère matériel d'une infraction.

Sans succès, la plaignante forma un pourvoi en cassation fondé sur un raisonnement en plusieurs temps mais dont l'idée principale reposait sur l'autonomie objective de l'infraction par rapport à la personne de son auteur. Tout d'abord, elle avança que toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentaient le caractère matériel d'une infraction pouvait obtenir la réparation intégrale des dommages résultant des atteintes à la personne. Ensuite, il convenait, selon la plaignante, de relever objectivement la commission d'une infraction, sans qu'importent les suites pénales données à l'acte commis. Enfin, elle en concluait que la cour d'appel avait violé la loi, par refus d'application de l'article 706-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6724IXC) et fausse application de l'article 122-4 du Code pénal (N° Lexbase : L7158ALP), en considérant que les faits de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, pour lesquels le gendarme avait été poursuivi, n'étaient pas susceptibles de constituer l'élément matériel d'une infraction pénale et, en conséquence, donner lieu à indemnisation.

Par un arrêt très didactique, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette les arguments du pourvoi en exposant tout d'abord que les faits pour lesquels l'auteur de l'infraction bénéficie d'une cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article 122-4, alinéa 1, du Code pénal ne présentent pas le caractère matériel d'une infraction au sens de l'article 706-3 du Code de procédure pénale. Ensuite, la Cour de cassation en déduit très logiquement que la cause d'irresponsabilité pénale de l'article 122-4, alinéa 1, du Code pénal ne pouvait permettre, au bénéfice de la demanderesse, l'attribution d'une quelconque réparation pour le préjudice subi sur le fondement de l'article 706-3 du Code de procédure pénale en raison de l'inexistence du caractère matériel de l'infraction. Dès lors, si cet arrêt donne l'occasion de réaffirmer que l'ordre de la loi est un obstacle à l'établissement de la responsabilité pénale (I), il permet également de s'assurer que l'ordre de la loi s'oppose à toute demande de réparation de la part de la victime (II).

I - L'ordre de la loi, obstacle à l'établissement de la responsabilité pénale

Aux termes de l'article 122-4, alinéa 1er, du Code pénal, "n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires". Dans un cas comme dans l'autre, c'est l'exécution d'un devoir légal (A) qui contribue à l'anéantissement de l'élément légal (B).

A - L'exécution d'un devoir légal

L'ordre ou la permission de la loi valent, à eux seuls, justification de l'infraction. Ainsi, comme le rappelle l'espèce commentée, l'usage des armes par les militaires de la gendarmerie contre ceux qui n'obtempèrent pas aux injonctions ou contre ceux qui menacent l'ordre public est parfaitement licite. En effet, aux termes de l'article L.2338-3 du Code de la défense (N° Lexbase : L8974HE4), "les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l'absence de l'autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants :

[...]

[...]

3° Lorsque les personnes invitées à s'arrêter par des appels répétés de "Halte gendarmerie" faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s'arrêter que par l'usage des armes [...]".

Cependant, l'application de cet article pourra faire l'objet d'un contrôle judiciaire a posteriori. Il appartient, en effet, au juge de vérifier que le militaire de la gendarmerie était contraint d'utiliser son arme en raison de la situation d'urgence particulière qui se présentait à lui (1). En d'autres termes, le recours à la force armée doit relever d'une absolue nécessité. A contrario, si le gendarme dispose d'autres moyens pour faire respecter la loi, l'usage de la force armée peut être constitutif d'une infraction punissable. Ainsi, l'usage injustifié d'une arme par son détenteur démontre que ce dernier a outrepassé son devoir légal et ne mérite donc pas la protection de la loi.

Enfin, il convient de se demander si l'auteur des faits, revendiquant le bénéfice de l'article 122-4, alinéa 1er, du Code pénal doit ou non apporter lui-même la preuve du fait justificatif. Selon Merle et Vitu, "les faits justificatifs sont des circonstances exceptionnelles entraînant des dérogations à la loi pénale [...], il est donc normal que la personne poursuivie ait la charge de prouver ces circonstances" (2). Incontestablement, il revient à celui qui se prévaut d'un droit d'en apporter la preuve. Restera alors au ministère public de soutenir l'accusation ou au contraire de s'en éloigner en fonction de son appréciation des faits de l'espèce. La charge et l'étendue de la preuve de l'ordre de la loi sont d'autant plus importantes qu'elles emporteront ou non neutralisation de l'infraction.

B - L'anéantissement de l'élément légal

La Cour de cassation, dans l'arrêt commenté, répondant aux arguments du pourvoi qui faisait valoir qu'il convenait de faire une distinction entre l'infraction prise objectivement et la personne de son auteur, affirme que "les faits pour lesquels [un] auteur bénéficie d' [une] cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article 122-4, alinéa 1er du Code pénal [...] ne présentent pas le caractère matériel d'une infraction, au sens de l'article 706-3 du Code de procédure pénale". Cette rédaction contribue à s'interroger au préalable sur les conséquences de l'ordre de la loi au regard, d'une part, de l'infraction et d'autre part, des causes subjectives d'irresponsabilité.

S'agissant tout d'abord des conséquences de l'ordre de la loi au regard de l'existence de l'infraction, il convient de se demander si ce fait justificatif entraîne la disparition de l'élément moral de l'infraction ou, au contraire, s'il contribue à anéantir l'élément légal de l'incrimination. Pour certains, les faits justificatifs supprimeraient purement et simplement l'élément moral de l'infraction. En effet, l'auteur animé d'un mobile légitime n'a commis l'acte que dans une intention louable. Au regard des faits de l'espèce, le militaire de la gendarmerie a certes fait usage de la force armée mais dans le seul but d'éviter la survenance d'une infraction qui aurait pu se révéler particulièrement grave à la suite de la tentative d'évasion du criminel placé en garde à vue. Toutefois, admettre que l'ordre de la loi puisse anéantir l'élément moral de l'infraction peut aller de soi, s'agissant d'une infraction intentionnelle, ce qui semble, à l'inverse, moins caractéristique pour une infraction non intentionnelle où pourra subsister une faute pénale. C'est pourquoi, la faiblesse de cette théorie invite à envisager l'incidence du fait justificatif sur l'anéantissement de l'élément légal. La commission d'un acte prescrit ou autorisé par la loi entraîne, comme le dispose l'article 122-4 du Code pénal, l'irresponsabilité de son auteur. Ainsi, le fait d'exécuter ce qui est requis par la loi contribue à neutraliser l'incrimination. En effet, en autorisant un militaire de la gendarmerie à user de la force armée, le législateur a entendu ôter tout caractère infractionnel à son comportement qui s'est, en réalité, avéré particulièrement utile et efficace pour la défense de l'ordre public. En conséquence, la société ne saurait rechercher une quelconque responsabilité pénale à l'encontre de celui qui a oeuvré pour sa sauvegarde.

S'agissant ensuite de la confrontation de l'ordre de la loi aux causes subjectives d'irresponsabilité, il convient de rejeter l'assimilation opérée par l'auteur du pourvoi. En effet, selon ce dernier, "dès lors que les éléments matériels de l'infraction sont objectivement réunis, est indifférente la circonstance que l'auteur des faits ait pu être acquitté en application d'une cause de non-imputabilité". Il convient de distinguer l'ordre de la loi des causes de non-imputabilité, comme la maladie mentale ou la contrainte, qui sont des causes subjectives in personam, qui ne peuvent s'étendre aux autres membres du groupe ayant participé à l'infraction. C'est pourquoi, les causes de non-imputabilité, si elles empêchent de retenir une quelconque responsabilité pénale à l'encontre de l'agent, n'effacent pas pour autant le fait reproché. En revanche, le fait justificatif, tel l'ordre de la loi, opère in rem, entraînant alors erga omnes un anéantissement de l'infraction pour défaut de légalité préalable. L'argument développé par l'auteur du pourvoi, loin d'emporter la conviction, se justifie néanmoins par sa volonté d'obtenir, en vain, réparation du préjudice subi.

II - L'ordre de la loi, obstacle au principe de réparation

Toute personne ayant subi un préjudice du fait de la commission d'une infraction peut engager une action en responsabilité civile à l'encontre de l'auteur, du complice ou des tiers civilement responsables, soit devant une juridiction répressive à l'occasion de l'exercice de l'action publique, soit de manière autonome devant une juridiction civile.

Cependant, avant même que l'action publique ait été déclenchée, la victime d'une infraction dont la liste est déterminée par le Code de procédure pénale peut exercer un recours en indemnité devant une commission d'indemnisation placée auprès de chaque tribunal de grande instance, qui est une juridiction civile aux termes de l'article L. 214-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7854HN9). L'action exercée par la victime devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions ne peut consister en une action en réparation d'un dommage, intentée contre ceux qui sont pénalement ou civilement responsables. L'action diligentée par la victime relève du recours en indemnité exercé contre le fonds d'indemnisation, chaque fois que la victime n'aura pu obtenir réparation du préjudice subi soit totalement, soit partiellement. Toutefois, l'accès au fonds d'indemnisation est soumis à des critères stricts qui, en l'espèce, n'étaient pas tous remplis.

A - L'absence de caractère matériel de l'infraction

Aux termes de l'article 706-3 du Code de procédure pénale, "toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :

[...]

2° Ces faits :

- [...] ont entraîné la mort [...]

3° La personne lésée est de nationalité française [...]"

Au vu de cette disposition, la mère du gardé à vue décédé a sollicité du fonds d'indemnisation des victimes d'infractions le bénéfice de la réparation de son préjudice moral. Toutefois, la cour d'appel, juridiction de recours contre les décisions des commissions d'indemnisation, l'a déboutée de sa demande aux motifs que "les faits à l'origine du décès de [son fils] ne présentent pas le caractère matériel d'une infraction". Il revenait donc à la Cour de cassation de se prononcer sur la notion de caractère matériel d'une infraction au sens de l'article 706-3 du Code de procédure pénale.

Par cet arrêt du 26 mars 2015, la Cour de cassation écarte, à l'égard des faits commis, tout caractère matériel de l'infraction. En effet, ainsi que nous l'avons précédemment mentionné, le fait justificatif ôte tout élément légal à l'infraction commise. Dès lors, la victime ne pouvait se prévaloir du bénéfice de l'article 706-3 du Code de procédure pénale, l'infraction n'ayant dès lors pas été commise. En revanche, alors même que l'élément intentionnel ferait défaut et qu'en conséquence l'infraction s'avérerait non punissable, une victime pourrait solliciter réparation devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions, en cas d'infraction commise par une personne atteinte de troubles psychiques. Ce cas de non-imputabilité ne remet pas en cause l'existence de l'infraction. C'est pourquoi, l'argument du pourvoi n'était pas dénué de pertinence dès lors qu'il soulevait l'autonomie objective de l'infraction par rapport à la personne de son auteur. Selon la victime, une chose est la constatation de l'infraction réalisée, une autre est le sort juridique qui est réservé à son auteur. Cependant, la Cour de cassation n'a pas entendu suivre ce raisonnement au risque de devoir accéder à toutes les demandes d'indemnisation y compris dans les hypothèses où la cause de l'infraction est inconnue (3). La Haute juridiction s'en tient à une conception stricte de la matérialité de l'infraction, qu'il convient d'approuver.

B - L'appréciation du caractère général de la solution

Si la précision des termes choisis par les Hauts magistrats peut laisser penser que la portée de l'arrêt est cantonnée aux effets civils attachés à l'autorité de la loi et au commandement de l'autorité légitime, il est néanmoins permis de s'interroger sur les conséquences plus générales qu'il convient de tirer de l'ouverture du recours en indemnité au regard des autres faits justificatifs exposés par le Code pénal.

S'agissant, en premier lieu, de la légitime défense, sa reconnaissance implique l'irresponsabilité pénale de la personne concernée, aucun crime ou délit ne pouvant lui être reproché. Dès lors, le caractère matériel de l'infraction faisant défaut, la victime supposée ne pourra demander réparation sur le fondement de l'article 706-3 du Code de procédure pénale. De même, si la victime exerce, directement à l'encontre de l'auteur, une action civile en réparation de son dommage, son action ne pourra pas plus prospérer dès lors que l'auteur de la riposte n'a commis aucune faute, la légitime défense étant un droit auquel il peut prétendre.

S'agissant, en second lieu, de l'état de nécessité dont les éléments constitutifs sont prévus à l'article 122-7 du Code pénal (N° Lexbase : L2248AM9), il entraîne, dès sa reconnaissance, l'irresponsabilité pénale de son auteur. Ici comme précédemment, l'infraction faisant défaut, toute victime supposée ne pourra guère solliciter une quelconque demande de réparation devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions. En revanche, il est permis de s'interroger sur la possibilité de demander directement réparation à l'auteur ayant commis l'acte de nécessité. Là encore, aucune faute pénale ne pouvant être constatée, l'auteur de l'infraction nécessaire ne saurait être redevable d'une quelconque indemnisation à l'égard de la victime déclarée (4). Pour autant, il a pu être objecté que la victime de l'infraction nécessaire n'ayant commis elle-même aucune faute, il serait légitime de lui assurer réparation du préjudice subi (5). Toutefois, la Cour de cassation ne semble pas sensible à la pertinence de l'argumentation (6). Cette position doit être approuvée afin de maintenir un régime juridique unitaire et cohérent des faits justificatifs.


(1) Cass. crim., 18 février 2003, n° 02-80.095, FS-P+F (N° Lexbase : A5725A78), Bull. crim., n ° 41.
(2) R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, n° 433.
(3) Cass. civ. 2, 20 avril 2000, n° 98-17.579 (N° Lexbase : A2621CIW), Bull. civ. II, n° 62.
(4) R. Savatier, L'état de nécessité et la responsabilité civile extra-contractuelle, Mélanges Capitant, 1939, p. 757.
(5) B. Bouloc, Droit pénal général, Dalloz, coll. Précis, 2013, 23ème éd., n° 433, p. 363.
(6) Cass. crim., 16 juillet 1986, n° 86-90.401 (N° Lexbase : A5859AAA), D., 1986, 390.

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Procédure pénale

[Brèves] CEDH : la Cour censure le placement en garde à vue d'un avocat venu assister son client

Réf. : CEDH, 23 avril 2015, Req. 26690/11 (N° Lexbase : A0405NHH)

Lecture: 2 min

N7149BUC

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Le 07 Mai 2015

Le fait de placer en garde à vue un avocat, venu au commissariat dans le cadre de sa mission d'assistance, et de le soumettre à une fouille et un test d'alcoolémie, excède les impératifs de sécurité et établit une intention étrangère à la finalité d'une garde à vue. Telle est la substance d'un arrêt de la CEDH, rendu le 23 avril 2015 (CEDH, 23 avril 2015, Req. 26690/11 N° Lexbase : A0405NHH). En l'espèce, dans la nuit du 31 décembre 2002 au 1er janvier 2003, Me F. fut appelé au commissariat d'Aulnay-sous-Bois pour assister un mineur placé en garde à vue. Un différend sur les observations écrites qu'il voulait verser au dossier pour demander un examen médical de son client provoqua une altercation entre lui et l'officier de police judiciaire (OPJ) de permanence. Cette dernière, s'estimant victime d'un comportement agressif de Me F., décida de le placer en garde à vue. Elle ordonna, par ailleurs, une fouille à corps intégrale, ainsi qu'un contrôle d'alcoolémie qui se révéla négatif. Me F., qui contestait les déclarations des policiers présents, déposa plainte pour contester cette garde à vue et son déroulement. Le 6 novembre 2008, la cour d'appel de Paris confirma l'ordonnance de non-lieu rendue par un juge d'instruction le 10 avril 2008, estimant qu'il n'y avait lieu ni de mettre en doute la version commune des faits avancée par les policiers, ni de penser que le substitut du procureur de la République avait été trompé par l'OPJ. La cour d'appel retint notamment que la fouille à corps et le contrôle d'alcoolémie étaient motivés par l'état d'agitation du requérant mentionné par les policiers et par la nuit de la Saint-Sylvestre propice aux libations. La Cour de cassation rejeta le pourvoi de l'avocat et celui-ci saisit la CEDH, invoquant l'article 5 § 1 (N° Lexbase : L4786AQC) et soutenant que son placement en garde à vue ne reposait sur aucun motif légitime et que les conditions d'exécution de cette mesure révélaient son caractère arbitraire. La CEDH lui donne raison, estimant que le placement en garde à vue du requérant n'était ni justifié, ni proportionné et que sa privation de liberté n'était pas conforme aux exigences de l'article 5 § 1 de la CESDH. La Cour précise également qu'il n'existait pas à l'époque des faits de réglementation autorisant une fouille allant au-delà des palpations de sécurité et que le test d'alcoolémie a été réalisé alors qu'il n'y avait aucun indice indiquant la commission par le requérant d'une infraction sous l'empire de l'alcool (cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4293EUK).

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QPC

[Chronique] QPC : évolutions procédurales récentes - Janvier à Mars 2015

Lecture: 18 min

N7196BU3

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par Mathieu Disant, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l'Université Lyon Saint-Etienne

Le 07 Mai 2015

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Mathieu Disant, Agrégé de droit public, Professeur à l'Université Lyon Saint-Etienne, Membre du CERCRID (CNRS / UMR 5137), Membre du Centre de recherche en droit constitutionnel de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Chercheur associé au Centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit (C3RD), Expert international, s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue. Le 2 février 2015, le Conseil constitutionnel a reçu une délégation de la Cour de cassation. Cette rencontre a permis d'échanger sur quelques difficultés dans le fonctionnement de la QPC, notamment certaines problématiques liées à l'applicabilité au litige de la disposition contestée, à la motivation du caractère sérieux de la question dans les décisions de renvoi d'une QPC au Conseil constitutionnel, à l'intensité du contrôle dans l'appréciation du caractère sérieux de la QPC. Ont été aussi abordées les questions relatives à la formulation des réserves d'interprétation et leur interprétation, l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le contrôle des lois de validation, ainsi que les effets dans le temps des déclarations d'inconstitutionnalité, en particulier en cas de report dans le temps de la date de l'abrogation des dispositions législatives. Ce genre d'initiative permet de donner forme au fameux "dialogue des juges".

La période examinée signe l'anniversaire de la QPC, entrée en vigueur le 1er mars 2010. Une note diffusée par les services du Conseil constitutionnel dresse un bilan chiffré des cinq années écoulées. Au 1er mars 2015, le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation ont saisi le Conseil constitutionnel de 465 QPC, avec respectivement 258 et 207 décisions de renvoi. Auxquelles s'ajoutent les cinq QPC soulevées directement devant le Conseil constitutionnel à l'occasion du contentieux électoral, dont la décision n° 2014-4909 SEN du 23 janvier 2015 (N° Lexbase : A8059M9D). Avec le jeu des jonctions, le Conseil constitutionnel a rendu 395 décisions : 56,2 % de décisions de conformité, 14,1 % de conformité sous réserve, 14,6 % de non-conformité totale, 9,3 % de non-conformité partielle, 4,5 % de non-lieu et 1,3 % relatives à des aspects de procédure. Au fond, certaines tendances se confirment : les dispositions annulées concernent majoritairement le droit pénal ou la procédure pénale, devant le droit fiscal ou la procédure fiscale, le droit processuel, le droit de l'environnement, la santé publique... Le délai moyen de jugement est de soixante-dix jours.

I - Champ d'application

A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC

1 - Notion de "disposition législative"

Des dispositions législatives qui se bornent à délimiter le champ de l'habilitation donnée au Gouvernement sur le fondement de l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L0864AHH) pour prendre par ordonnance des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ne sont, par leur nature même, pas susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit (CE 9° et 10° s-s-r., 23 janvier 2015, n° 380339, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9910M9W). La QPC dirigée contre ces dispositions n'est donc ni nouvelle, ni sérieuse, elle est en quelque sorte structurellement sans prise pour être renvoyée. On retrouve la démarche qui a conduit à juger, dés les débuts de la QPC, que les lois de programmation et les lois de ratification d'un accord ou Traité international ne sont jamais "applicables" au litige (1). Bien entendu, la règle ici énoncée ne vaut que si la loi se borne bien à habiliter le Gouvernement. On ajoutera qu'il ne s'agit en réalité que de différer le contrôle, celui-ci pouvant être opéré lors d'un recours devant le juge administratif contre l'ordonnance ou devant le Conseil constitutionnel, s'agissant de la loi de ratification.

Dans la décision n° 2015-460 QPC du 26 mars 2015 (N° Lexbase : A4635NEE), le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions qui ne sont jamais entrées en vigueur faute de décret d'application sont insusceptibles d'avoir porté atteinte à un droit ou une liberté que la Constitution garantit. De telles dispositions ne peuvent donc faire l'objet d'une QPC. Ce raisonnement rejoint celui retenu, avec la même conclusion, s'agissant de dispositions législatives abrogées avant leur entrée en vigueur (2).

2 - Statut de l'interprétation de la loi

Sur la question du contrôle par le Conseil constitutionnel de "la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante" confère à la loi, le Conseil d'Etat considère implicitement que cette interprétation peut être donnée par le juge du filtre pour la première fois à l'occasion d'une demande de renvoi d'une QPC (CE 1° et 6° s-s-r., 21 janvier 2015, n° 382902, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6826M9P). Il s'agit ici de l'article L. 111-3 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7775IMW). Au-delà de rappeler le régime applicable à la reconstruction à l'identique, le Conseil d'Etat fixe le point de départ du délai de prescription eu égard à l'entrée en vigueur de la loi. On comprend que l'examen du caractère sérieux suppose de donner un sens à la disposition critiquée, mais cette position peut conduire à des applications discutables, notamment si elle glisse sur une interprétation conforme.

3 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution

La définition du "déjà jugé" connaît un nouveau développement. Le Conseil d'Etat a considéré qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer une QPC lorsque les dispositions contestées sont "identiques, dans leur substance et dans leur rédaction" à celles que le Conseil constitutionnel a, dans une précédente décision QPC et à propos d'un texte formellement distinct, déclaré contraires à la Constitution (CE 9° et 10° s-s-r., 16 janvier 2015, n° 386031, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4788M99). Selon le Conseil d'Etat, il appartient au juge saisi d'un litige portant sur l'application de ces dispositions identiques antérieures de le constater, sans qu'il y ait lieu de saisir le Conseil constitutionnel d'une nouvelle QPC, dès lors qu'au regard des dispositions l'article 62, alinéa 2, de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH), d'une part, les dispositions en cause ont auparavant été abrogées, de sorte qu'une nouvelle décision du Conseil constitutionnel ne pourrait avoir cet effet, et, d'autre part, que le litige soumis au juge est au nombre de ceux pour lesquels le requérant peut, en vertu de la décision du Conseil constitutionnel, bénéficier des effets de la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée par cette décision. De sorte qu'une QPC dirigée contre les dispositions identiques aux dispositions postérieures déclarées contraires à la Constitution est sans objet.

On retiendra que cette solution extensive donne à l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel toute sa portée substantielle. Elle vise la situation dans laquelle la QPC porte sur une autre version, antérieure ou postérieure, de la disposition déjà déclarée inconstitutionnelle. Cette version en est formellement distincte dès lors qu'elle a été déplacée dans une autre loi ou recodifiée, mais elle est matériellement similaire, voire rigoureusement identique. Le Conseil d'Etat renonce ici à raisonner texte par texte, ce qui conduirait à renvoyer une QPC par version et nuirait, au final, au fonctionnement utile de la procédure. Cette position rejoint celle adoptée par le Conseil constitutionnel, au terme d'une démarche partiellement comparable, dans sa décision n° 2013-349 QPC du 18 octobre 2013 (N° Lexbase : A0316KNZ) (v. nos observations dans cette chronique). Elle reste tout de même attachée à la situation subjective d'un requérant qui n'a plus rien à obtenir d'une nouvelle QPC.

Dans la décision n° 2015-460 QPC du 26 mars 2015 (N° Lexbase : A4635NEE), le Conseil constitutionnel a vérifié si un changement des circonstances était bien intervenu depuis sa décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 (N° Lexbase : A8782ACA), de nature à justifier le réexamen du premier alinéa, ainsi que des première et dernière phrases du deuxième alinéa de l'article L. 380-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3416HWG). Pour ce faire, le Conseil a relevé que la définition du revenu fiscal de référence auquel renvoie l'article contesté avait fait l'objet de nombreuses modifications, en particulier en élargissant l'assiette de la cotisation. Il s'agit bien entendu d'un changement de circonstances de droit qui avait déjà été qualifié comme tel par le Conseil d'Etat lors du renvoi.

B - Normes constitutionnelles invocables

1 - Notion de "Droits et libertés que la Constitution garantit"

Dans sa décision n° 2014-450 QPC du 27 février 2015 (N° Lexbase : A3409NCA), le Conseil a considéré que le grief tiré de l'incompétence négative du législateur dans des conditions affectant la liberté d'aller et de venir était opérant à l'encontre de la sanction disciplinaire des arrêts. Il s'agit d'un ajustement assez fin de la jurisprudence sur l'incompétence négative. Il en ressort que le seul fait qu'une sanction soit prévue par un régime disciplinaire n'est pas, à lui seul, suffisant pour permettre en toute hypothèse d'écarter tout grief tiré de l'incompétence négative du législateur. Un tel grief est opérant dès lors que sont en cause des droits ou libertés constitutionnellement garantis qu'il incombe au législateur de protéger. En l'espèce, alors que d'autres sanctions n'auraient sans doute pas appelé la même réponse, la sanction des arrêts, qui a pour effet de restreindre la possibilité pour le militaire de se déplacer comme il le souhaite en dehors des heures de service, met en jeu la liberté d'aller et de venir, laquelle est protégée par les articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 4 (N° Lexbase : L1368A9K) de la Déclaration de 1789 et il incombe au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales des militaires. La disposition sera toutefois jugée conforme compte tenu des obligations particulières attachées à l'état militaire.

Dans sa décision n° 2014-455 QPC du 6 mars 2015 (N° Lexbase : A7734NCG), le Conseil constitutionnel a expressément jugé, sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), "qu'est garanti par cette disposition le droit des personnes à exercer un recours juridictionnel effectif qui comprend celui d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles". Autrement dit, l'obtention de l'exécution des décisions juridictionnelles est un droit bénéficiant d'une garantie constitutionnelle. Le Conseil rejoint une solution analogue à celle de la CEDH, cette dernière jugeant que le droit à l'exécution des décisions de justice constitue l'un des aspects du droit à un tribunal impartial, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) (3). En l'espèce, le Conseil juge que les dispositions contestées ne privent pas ce droit de garanties légales.

Dans sa décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015 (N° Lexbase : A7983NDZ), le Conseil constitutionnel a modifié son considérant de principe en ce qui concerne le cumul de poursuites dans la mesure où les limites constitutionnelles à un tel cumul résultent tant du principe de nécessité des peines que de celui des délits. Il juge désormais : "Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P) : 'La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée' ; que les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition ; que le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ; que, si l'éventualité que soient engagées deux procédures peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues".

2 - Normes constitutionnelles exclues du champ de la QPC

Dans l'affaire n° 2014-439 QPC du 23 janvier 2015, relative à la déchéance de nationalité (N° Lexbase : A8044M9S), le requérant sollicitait du Conseil constitutionnel qu'il pose deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne, en s'appuyant sur le précédent de la décision n° 2013-314P QPC du 4 avril 2013 (N° Lexbase : A4672KBN). Cette demande avait pour objet de vérifier si le droit interne est compatible avec le droit de l'Union européenne. Elle a été écartée, par un raisonnement a fortiori, en raison de l'incompétence du Conseil constitutionnel pour exercer le contrôle de conventionalité de la loi (4). Le Conseil s'en tient fermement à cette position, plusieurs fois réitérée, notamment lorsqu'a été invoquée l'incompatibilité avec la Directive "retour" (Directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats-membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier N° Lexbase : L3289ICS) des dispositions incriminant le séjour irrégulier en France qui n'en constituait pas la transposition (5).

Dans sa décision n° 2015-459 QPC du 26 mars 2015 (N° Lexbase : A4634NED), le Conseil constitutionnel a jugé que le neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 "n'institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit". Il en a déduit que "sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ)". Le Conseil entend ici transposer le raisonnement déjà retenu pour d'autres exigences constitutionnelles qui s'adressent au législateur et non aux individus et qui ne créent aucun droit dans le chef de ces derniers. Il en est ainsi de l'article 6 de la Charte de l'environnement (6), ou de l'article 14 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1361A9B) (7).

II - Procédure devant les juridictions ordinaires

1 - Introduction de la requête

La notion de "partie" n'est pas toujours claire. La QPC conduit le Conseil d'Etat à faire une utile précision en jugeant que doit être regardée comme partie, ayant à ce titre qualité pour soulever une QPC, la personne ayant été invitée à présenter des observations et qui, si elle ne l'avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition (CE 3° et 8° s-s-r., 30 mars 2015, n° 387322, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6891NEX). On décèle ici une extension du critère retenu en droit commun. Cela permet de trier, parmi ceux qui se présentent en apparence comme des "observateurs" ou des "intervenants", ceux qui le sont réellement et ceux qui présentent un lien plus étroit avec le procès. L'interdiction de soulever une QPC ne vaut que pour les premiers, non pour les seconds qui bénéficient de droits réservés aux parties.

2 - Refus de transmission

Les conditions de contestation d'un refus de transmission sont facilitées. Le refus de transmettre une QPC, opposé par une cour avant de rejeter une demande de sursis à exécution d'un jugement frappé d'appel, peut être contesté à l'occasion du pourvoi contre l'arrêt ayant refusé le sursis à exécution (CE 3° et 8° s-s-r., 28 janvier 2015, n° 382605, publié au recueil Lebon [LXB=A6923NAN)]). La circonstance que cet arrêt ne puisse que difficilement être regardé comme "réglant tout ou partie du litige" semble sans portée.

III - Procédure devant le Conseil constitutionnel

A - Organisation de la contradiction

1 - Interventions devant le Conseil constitutionnel

Dans la note précitée diffusée par les services du Conseil constitutionnel, il est mentionné que le Conseil constitutionnel a été saisi de 427 demandes d'intervention dans 108 dossiers (soit dans 24 % des dossiers enregistrés). Ces interventions ont été largement admises : 357 d'entre elles ont été jugées recevables (soit 83,6 % des interventions reçues). 70 demandes en intervention ont fait l'objet d'un rejet, pour défaut d'intérêt spécial ou de motivation, ou pour cause de tardiveté.

La période examinée illustre une nouvelle fois cette tendance, dans différentes hypothèses. Dans l'affaire n° 2014-448 QPC du 6 février 2015 (N° Lexbase : A9202NA3), une personne placée dans une situation analogue à celle du requérant a été admise à intervenir dans la procédure et a soutenu des arguments semblables. Dans l'affaire n° 2014-449 QPC du 6 février 2015 (N° Lexbase : A9203NA4), la Fédération française des sociétés d'assurances est intervenue pour produire un grief complémentaire à l'encontre de cette procédure de transfert, fondé sur une privation patrimoniale contraire aux exigences des articles 2 et 17 (N° Lexbase : L1364A9E) de la Déclaration de 1789. Dans l'affaire, n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015, diverses personnes ont demandé à intervenir à la procédure. Le Conseil, s'il a admis les interventions de certaines d'entre elles, a, en revanche, refusé d'admettre l'intervention de l'Agence française de lutte contre le dopage. A noter aussi de multiples interventions, en soutien et en défense, dans l'affaire n° 2015-459 QPC du 26 mars 2015 (N° Lexbase : A4634NED), portant sur le droit de présentation des greffiers des tribunaux de commerce. Enfin, l'Union nationale des associations citoyennes de santé est intervenue dans l'affaire n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, relative à l'obligation de vaccination (N° Lexbase : A0005NEW).

2 - Déport des membres du Conseil constitutionnel

Dans l'affaire n° 2014-439 QPC du 23 janvier 2015 (N° Lexbase : A8044M9S), à la suite d'une demande du requérant, le président Jean-Louis Debré a estimé devoir s'abstenir de siéger. Le déport du président conduit le doyen d'âge à présider l'audience et la séance de délibéré. La présidence par intérim a ainsi été assurée par Lionel Jospin.

B - Réserves d'interprétation

Dans la décision n° 2014-437 QPC du 20 janvier 2015 (N° Lexbase : A4823M9I), le Conseil constitutionnel formule une réserve d'interprétation fondée sur le principe d'égalité devant les charges publiques. Il retient que "les dispositions contestées ne sauraient [...] sans porter une atteinte disproportionnée [à ce principe], faire obstacle à ce que, à l'instar de ce que le législateur a prévu pour d'autres dispositifs fiscaux applicables aux opérations réalisées dans un État ou un territoire non coopératif [...], le contribuable puisse être admis à apporter la preuve de ce que la prise de participation dans une société établie dans un tel Etat ou territoire correspond à des opérations réelles qui n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude fiscale, la localisation de bénéfices dans un tel Etat ou territoire". On retrouve ici une jurisprudence désormais établie sur les présomptions poursuivant un objectif de lutte contre la fraude fiscale. Celles-ci ne sauraient être irréfragables.

Dans la décision n° 2014-451 QPC du 13 février 2015 (N° Lexbase : A3006NBX), qui constitue la dixième décision QPC en matière d'expropriation, le Conseil énonce une réserve directive. Si le Conseil juge que le législateur avait circonscrit précisément les circonstances dans lesquelles la consignation vaut paiement (et autorise donc la prise de possession) et avait subordonné cette possibilité à une autorisation du juge, il borne précisément ce tempérament à la règle du caractère préalable du paiement intégral de l'indemnité d'expropriation entre les mains de l'exproprié au jour de la prise de possession. La réserve porte sur la réparation du préjudice éventuel résultant de l'écart entre le montant de l'indemnité versée à l'expropriant lors de la prise de possession et l'indemnité définitivement due. Elle repose sur le principe de l'indemnisation de l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation. Dès lors que l'indemnité n'est pas intégralement perçue au jour de la perte de possession du bien exproprié, alors même que cela n'est pas du fait de l'exproprié, il pourrait en résulter un préjudice pour ce dernier. C'est pour prévenir cette hypothèse que le Conseil précise, dans le cadre de la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 15-2 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L9122IWR), que "lorsque l'indemnité définitivement fixée excède la fraction de l'indemnité fixée par le juge de première instance qui a été versée à l'exproprié lors de la prise de possession du bien, l'exproprié doit pouvoir obtenir la réparation du préjudice résultant de l'absence de perception de l'intégralité de l'indemnité d'expropriation lors de la prise de possession".

Dans la décision n° 2015-460 QPC du 26 mars 2015 (N° Lexbase : A4635NEE), le Conseil a considéré que "l'assiette de la cotisation [en cause] ne saurait, sans méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques, inclure des revenus du foyer fiscal qui ont déjà été soumis à une cotisation au titre de l'affiliation d'une personne à un régime d'assurance maladie obligatoire". Cette réserve a un effet neutralisant pour l'avenir. Dans l'hypothèse où le pouvoir réglementaire souhaiterait dans le futur, à législation inchangée, modifier les modalités de prise en compte des revenus du foyer fiscal pour établir la cotisation d'assurance maladie des résidents français travaillant en Suisse, il sera tenu de respecter cette réserve.

C - Effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel

a) Application immédiate

Dans la décision n° 2014-436 QPC du 15 janvier 2015 (N° Lexbase : A1942M9S), le Conseil a abrogé avec effet immédiat le troisième alinéa de l'article 760 du CGI (N° Lexbase : L5758I7E) qui prévoit que, lorsqu'une créance à terme a été soumise à l'impôt sur une base estimative en application du deuxième alinéa de ce même article, le créancier est tenu de déclarer toute somme supplémentaire recouvrée postérieurement à l'évaluation en sus de celle-ci. Il a jugé que ces dispositions "instituent des modalités de fixation de l'assiette de l'impôt qui sont sans rapport avec l'appréciation des facultés contributives des contribuables assujettis à l'impôt". Il précise que la déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de la décision. La conséquence de cette censure est que les créances à terme ayant fait l'objet d'une déclaration estimative sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 760 du CGI seront soumises au régime de droit commun des créances exigibles, c'est-à-dire le régime prévu par l'article 758 du même code (N° Lexbase : L8114HL4).

C'est aussi avec effet immédiat que le Conseil a censuré le 8° du paragraphe I de l'article L. 612-33 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L8592I7D), eu égard au nombre très faible de cas de mise en oeuvre de ce dispositif et de la gravité de l'atteinte portée au droit de propriété (Cons. const., décision n° 2014-449 QPC du 6 février 2015 N° Lexbase : A9203NA4).

b) Modulation dans le temps des effets de la décision

Dans sa décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015, confronté à des dispositions de coordination de deux répressions, le Conseil reporte les effets de sa déclaration d'inconstitutionnalité au 1er septembre 2016. D'une part, il a considéré que si l'abrogation de l'une seule des incriminations contestées -le délit d'initié ou le manquement d'initié- était de nature à faire cesser l'inconstitutionnalité constatée, il ne disposait pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement lui permettant d'effectuer un tel choix et qu'au surplus, il appartenait au législateur de déterminer, parmi les nombreuses solutions de nature à remédier à l'inconstitutionnalité, celle devant être retenue. D'autre part, il a jugé que l'abrogation prononcée aurait, en l'absence de report dans le temps, des conséquences manifestement excessives dès lors qu'elle aurait pour effet "d'empêcher toute poursuite et de mettre fin à celles engagées à l'encontre des personnes ayant commis des faits qualifiés de délit ou de manquement d'initié, que celles-ci aient ou non déjà fait l'objet de poursuites devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers ou le juge pénal". En attendant, le Conseil a fait cesser l'inconstitutionnalité en jugeant que "des poursuites ne pourront être engagées ou continuées sur le fondement de l'article L. 621-15 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5045IZU) à l'encontre d'une personne autre que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9 du même code (N° Lexbase : L3760I3N), dès lors que des premières poursuites auront déjà été engagées pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne devant le juge judiciaire statuant en matière pénale sur le fondement de l'article L. 465-1 du même code (N° Lexbase : L5192IXL) ou que celui-ci aura déjà statué de manière définitive sur des poursuites pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne ; que, de la même manière, des poursuites ne pourront être engagées ou continuées sur le fondement de l'article L. 465-1 du Code monétaire et financier dès lors que des premières poursuites auront déjà été engagées pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers sur le fondement des dispositions contestées de l'article L. 621-15 du même code ou que celle-ci aura déjà statué de manière définitive sur des poursuites pour les mêmes faits à l'encontre de la même personne".

Le Conseil a également reporté au 1er janvier 2016 l'abrogation des dispositions des 2°, du 3° et du treizième alinéa de l'article L. 4231-4 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5521IE9) (Cons. const., décision n° 2014-457 QPC du 20 mars 2015 N° Lexbase : A0004NEU). Il était difficile de faire autrement dans la mesure où les alinéas censurés n'étant pas réservés à la composition du conseil national de l'Ordre des pharmaciens lorsqu'il siège en matière disciplinaire, mais s'appliquant à la composition de ce conseil pour l'exercice de l'ensemble de ses attributions. Une censure immédiate aurait donc entraîné des conséquences manifestement excessives. L'effet utile de la décision a toutefois été conservé, par le biais d'une réserve d'interprétation transitoire. Le Conseil a considéré qu'"à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu'au 31 décembre 2015, les représentants de l'Etat ne siègeront plus au conseil national de l'ordre des pharmaciens statuant en formation disciplinaire". En outre, il a précisé que les décisions rendues par le conseil national de l'Ordre des pharmaciens statuant en matière disciplinaire avant la décision du 20 mars 2015 commentée ne peuvent, en principe, pas être remises en cause sur le fondement de l'inconstitutionnalité constatée, sauf "si une partie l'a invoquée à l'encontre d'une décision n'ayant pas acquis un caractère définitif au jour de la publication de la présente décision".


(1) CE 9° et 10° s-s-r., 14 mai 2010, n° 312305, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1851EXT) ; CE 1° et 6° s-s-r., 18 juillet 2011, n° 340512, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3184HWT) ; CE 6° s-s., 22 février 2012, n° 354287, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3429IDD).
(2) Cons. const., décision n° 2011-219 QPC du 10 février 2012 (N° Lexbase : A3098ICQ).
(3) CEDH, 19 mars 1997, Req. 107/1995/613/701 (N° Lexbase : A8438AWG).
(4) Cons. const., décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 (N° Lexbase : A7913AC3).
(5) Cons. const., décision n° 2011-217 QPC du 3 février 2012 (N° Lexbase : A6684IB8).
(6) Cons. const., décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012 (N° Lexbase : A4205IXZ) ; Cons. const., décision n° 2014-394 QPC du 7 mai 2014 (N° Lexbase : A8792MKT).
(7) Cons. const., décision n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4552E7Q).

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Temps de travail

[Brèves] Non-transmission d'une QPC relative à l'application de l'article L. 3141-3 du Code du travail et à la différence de traitement entre des salariés postés et des salariés non postés

Réf. : Cass. soc., 15 avril 2015, n° 15-40.003, FS-P+B (N° Lexbase : A9247NGL)

Lecture: 1 min

N7153BUH

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Le 09 Mai 2015

N'est pas transmise la QPC mettant en cause "l'interprétation jurisprudentielle retenue par la Cour de cassation dans ses arrêts du 21 mai 2008, du 24 septembre 2008 (Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-45.370, F-D N° Lexbase : A5048EA9) et du 16 mars 2011 (Cass. soc., 16 mars 2011, n° 09-43.125, F-D N° Lexbase : A1554HDW), et relative aux dispositions de l'article L. 3141-3 du Code du travail (N° Lexbase : L5822ISG), au regard des articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L6813BHS), du 11ème alinéa du Préambule de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) et de l'article 1er de la Constitution de 1958 (N° Lexbase : L7403HHN)", la Cour considérant que les dispositions contestées, telles qu'elles sont interprétées, règlent de façon différente des situations différentes et que le moyen tiré d'une atteinte au principe d'égalité n'est pas sérieux dès lors que les salariés postés en cycle continu ne se trouvent pas dans la même situation que les salariés non postés. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 15 avril 2015 (Cass. QPC, 15 avril 2015, n° 15-40.003, F-P+B N° Lexbase : A9247NGL).
Selon la Haute juridiction il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
En énonçant le principe susvisé, elle ajoute que les questions, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0516ETB).

newsid:447153

Urbanisme

[Brèves] Publication d'un décret portant mesures d'application de la loi "ALUR" et corrections en matière de droit des sols

Réf. : Décret n° 2015-482 du 27 avril 2015 (N° Lexbase : L4763I8W), portant diverses mesures d'application de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (N° Lexbase : L8342IZY)

Lecture: 1 min

N7265BUM

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Le 08 Mai 2015

Le décret n° 2015-482 du 27 avril 2015 (N° Lexbase : L4763I8W), portant diverses mesures d'application de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (N° Lexbase : L8342IZY), et relatif à certaines actualisations et corrections à apporter en matière d'application du droit des sols, a été publié au Journal officiel du 29 avril 2015. Au titre de l'application de la loi "ALUR" et dans l'objectif de prendre en compte l'ensemble des modes d'habitat, le décret prévoit deux séries de dispositions, relatives aux résidences démontables ou mobiles constituant l'habitat permanent de leurs utilisateurs. S'agissant des résidences démontables, il prévoit une définition juridique propre, ainsi que les formalités nécessaires pour leur installation sur des terrains aménagés pour les recevoir. S'agissant des terrains destinés à recevoir les résidences mobiles des gens du voyage, tels que les aires d'accueil et les terrains familiaux, il prévoit une rationalisation des formalités d'urbanisme. Concernant le droit des sols, le décret clarifie les modalités de création et d'agrandissement des terrains de camping soumis à permis d'aménager et précise le régime juridique des habitations légères de loisirs et des résidences mobiles de loisirs et de leurs installations mobiles accessoires (rampes d'accès, terrasses, auvents). Enfin, afin de combattre les pratiques dilatoires et illégales consistant pour certains services instructeurs à demander des pièces qui ne figurent pas au nombre de celles qui doivent entrer dans le contenu d'une demande d'autorisation d'urbanisme, le décret interdit expressément toute pratique en ce sens.

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