Lexbase Affaires n°344 du 27 juin 2013 : Propriété intellectuelle

[Evénement] Propriété intellectuelle et médiation - Compte-rendu de la réunion commune des Commissions ouvertes Médiation, Propriété intellectuelle et Marchés émergents audiovisuel et droit du numérique du barreau de Paris du 30 mai 2013

Lecture: 9 min

N7679BTL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Evénement] Propriété intellectuelle et médiation - Compte-rendu de la réunion commune des Commissions ouvertes Médiation, Propriété intellectuelle et Marchés émergents audiovisuel et droit du numérique du barreau de Paris du 30 mai 2013. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8881417-evenement-propriete-intellectuelle-et-mediation-compterendu-de-la-reunion-commune-des-b-commissions-
Copier

par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 27 Juin 2013

Le 30 mai 2013, se tenait sous la responsabilité de Michèle Jaudel, avocat au barreau de Paris et déléguée du Bâtonnier à la médiation, Maître Fabienne Fajgenbaum, avocat au barreau de Paris, et Maître Gérald Bigle, avocat au barreau de Paris, une réunion commune des trois commissions ouvertes Médiation, Propriété intellectuelle (COMPI) et Marchés émergents audiovisuel et droit du numérique, du barreau de Paris. A cette conférence, qui avait pour thème "L'identification des contentieux pour lesquels la médiation est adaptée plus particulièrement aux matières relevant du Code de la propriété intellectuelle" sont intervenus Marie Salord, magistrat, vice-Présidente à la troisième chambre du TGI de Paris ; Sylvie Adijès, médiateur et formateur en médiation ; et Jean-Marie Guilloux, avocat et médiateur qui animait les débats avec Michèle Jaudel. Présentes à cette occasion, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de retrouver le compte-rendu de cette réunion.

Dans ses propos introductifs, Michèle Jaudel expose que le choix du sujet n'est pas anodin. Les interventions auront ainsi pour but de répondre à un certain nombre de questions :
- pourquoi la médiation est particulièrement adaptée aux secteurs de la propriété intellectuelle ?
- des matières de la propriété intellectuelle empêchent elles irrévocablement le recours à la médiation ?
- comment évaluer la pertinence du recours à la médiation ?
- à quel moment doit-on recourir à la médiation ?
- qui doit être à l'initiative du recours à la médiation ?
- dans quelle mesure le recours à la médiation est-il possible alors qu'une procédure judiciaire est en cours ?
- sous quelle forme, avocats et magistrats peuvent ensemble conduire au processus de la médiation ?

Selon Madame la déléguée du Bâtonnier à la médiation, ce mode alternatif de règlement des conflits (MARC ou encore Alternative dispute resolution -ADR-) apparaît tout particulièrement adapté à la propriété intellectuelle car dans cette matière, il est toujours question de la création d'un auteur et toute atteinte à son oeuvre conduit ce dernier à réagir de façon très ferme dans la voie d'un contentieux aux implications extrêmement personnelles. Or, emprunter la voie judiciaire ne permet pas toujours d'apporter la solution attendue par l'auteur, compte tenu des liens très étroits qu'il entretient avec son oeuvre et de ses ressentis qu'il souhaiterait voir pris en considération. Au contraire la médiation, parce qu'elle dépasse le champ strictement juridique d'une affaire et tend à embrasser l'ensemble des problématiques soulevées par celle-ci, peut apporter des réponses plus appropriées à ses attentes.

Pour Marie Salord, malgré la croyance en la médiation qu'ont la plupart des magistrats de la troisième chambre du TGI de Paris (chambre de la propriété intellectuelle), ce mode alternatif de règlement des conflits ne rencontre pas le succès escompté par les juges. En moyenne, environ une cinquantaine de dossiers passent par le spectre d'une médiation, sachant que les magistrats y recourent également, dans certaines circonstances, en référé. La Présidente de la troisième chambre du TGI de Paris est particulièrement favorable au recours à la médiation et incite les magistrats à être de vrais prescripteurs en la matière, chaque fois qu'un dossier leur apparaît pouvoir être résolu par cette voie. Il est à noter une donnée qui a son importance : le nombre de médiations ordonnées entre dans les statistiques d'évaluation des magistrats. Au-delà, il faut avoir à l'esprit que le recours à cet ADR permet au magistrat d'évacuer des dossiers, qui ont vocation à aller presque systématiquement en appel, et de réduire les délais de procédure sur lesquels ils sont également évalués. Dans certaines circonstances, il pourrait par ailleurs être imaginé un rôle du magistrat cantonné "à dire le droit" et qui renverrait les parties à trouver un accord sur le quantum des dommages-intérêts. Comme le rappelle Michèle Jaudel, bien que ce schéma ne soit pas celui de la médiation, dans la mesure où il ne suppose pas l'intervention d'un tiers indépendant et formé, il relève néanmoins de la conciliation entre les parties au sens large et reste une piste intéressante. C'est d'ailleurs ce qui est préconisé pour l'action de groupe dans le projet de loi "consommation". Néanmoins, pour la responsable la Commission ouverte médiation du barreau de Paris, cela n'est pas satisfaisant dans la mesure où n'est pas suffisamment pris en compte tout l'intérêt de faire entrer la médiation à n'importe quel stade de la procédure et, en tout état de cause, le plus tôt possible.

Le succès très mitigé de la médiation est dû, en partie, selon Madame Marie Salord, au fort scepticisme des avocats, qui opposent la plupart du temps un refus inexplicable à la proposition faite par le magistrat de passer par cette voie pour résoudre le conflit. La troisième chambre travaille donc pour faire en sorte que le plus de propositions de médiation puissent aboutir, ce qui suppose au-delà des avocats, d'arriver à convaincre directement les parties. En effet, lorsque juge propose la médiation, il ignore ce que l'avocat répercute à son client, notamment s'il lui a correctement présenté cette option.

La proposition à l'audience permet ainsi au juge d'expliquer directement aux parties, qui sont alors présentes, l'intérêt qu'elles ont d'envisager un recours à la médiation, le coût de cette procédure, les modalités de son déroulement, etc.. Dans ce cas, l'affaire est mise en délibéré, et les parties peuvent, durant ce laps de temps, trouver un accord avec l'intervention d'un tiers médiateur. La proposition de médiation à l'audience s'effectuera tout particulièrement lorsque le magistrat s'aperçoit que le propriétaire d'un titre ou celui qui revendique des droits sur une oeuvre, faute d'en apporter la preuve tangible, ressortira démuni du procès. Il a donc tout intérêt à s'engager dans cette voie afin de trouver un accord avec son adversaire. Il en est notamment ainsi en matière de brevet ou de marques, domaines dans lesquels ce qui intéresse au premier chef le titulaire, outre gagner son action en contrefaçon, est de sortir du contentieux avec la reconnaissance d'un titre toujours existant.

En revanche, lorsque la médiation est proposée soit au début de la mise en état, soit lors d'un incident de procédure, le magistrat ignore comment la proposition est présentée par l'avocat aux parties.

Comme le relève Sylvie Adijès, il y a tout un discours à connaître en médiation et les avocats non-initiés sont souvent hostiles à ce mode alternatif de règlement des conflits en raison de leur ignorance. Ils y voient souvent un aveu de leur propre faiblesse, alors qu'il s'agit d'une chance et d'une opportunité dans de nombreux dossiers. Convaincre le client n'est pas forcément l'étape la plus difficile à passer ; il s'agit, toutefois, d'un préalable selon Michèle Jaudel. La seconde étape est ensuite de faire comprendre à son confrère, avocat de la partie adversaire, que son intérêt est également d'accepter le recours à la médiation. Il s'agira, notamment, de leur faire comprendre que cet ADR se distingue d'une négociation et que l'intervention d'un tiers neutre peut réussir là où la négociation a échoué. Mais être conseiller en médiation n'est pas une "fonction" qui s'improvise ; c'est pourquoi le barreau de Paris met en place, à partir de la fin août 2013, une Ecole de la médiation dans le cadre de la formation continue qui prévoit un total de 130 heures de formation. Il s'agit essentiellement de former les avocats pour qu'ils conseillent utilement leurs clients. En effet, tous les dossiers ne se prêtent pas à la médiation et déceler ceux qui sont propices à ce mode alternatif de règlement des litiges est un préalable indispensable. Ensuite, il est important que les avocats aient bien conscience que le passage devant un médiateur ne les dessaisit pas d'un dossier. L'accompagnement du client et sa préparation aux réunions sont des étapes essentielles et cela s'apprend au même titre que les autres missions plus classiques de tout avocat. Ils doivent aussi avoir conscience qu'il est souvent préférable d'avoir un dossier qui se termine par un accord négocié, favorisant dans bien des cas l'instauration d'une relation d'affaire pérenne entre le client et son avocat, qu'une procédure longue, complexe et coûteuse avec un résultat inadapté. La médiation présente également l'avantage qu'elle n'exige pas un strict respect du droit mais uniquement de l'ordre public. Ainsi, les parties et le médiateur pourront imaginer une issue à leur conflit que le juge n'aurait pas pu envisager et traiter, au-delà de l'objet strict du litige, de l'aspect émotionnel qui rentre tout particulièrement en ligne de compte dans les contentieux dans lesquels sont en jeu des oeuvres de l'esprit. Par ailleurs, les réticences des avocats à passer par le processus de la médiation sont parfois motivées par la crainte d'une baisse de leurs honoraires. Or, comme le relève Michèle Jaudel, il est possible de conclure une convention prévoyant un honoraire de résultat sur une médiation au même titre que dans le cadre d'un contentieux. L'issue du litige étant par nature plus rapide avec un taux de réussite plus important, la crainte de la perte financière n'est, selon elle, pas justifiée, au contraire. A cela s'ajoute le fait que, dans le cadre de contentieux, de plus en plus, les entreprises imposent aux avocats une rémunération sur la base d'une convention d'honoraires de résultat au lieu d'une rémunération au temps passé.

Le droit de la propriété intellectuelle est un droit extrêmement contractualisé avec des chaînes de contrats complexes et de nombreux intervenants. L'insertion de clauses prévoyant le recours préalable à la médiation, comme en matière de construction, peut être recommandée aux praticiens. Dans les contrats de propriété intellectuelle les sociétés anglo-saxonnes imposent le recours préalable à la médiation.

Des structures spécifiques existent dans certains domaines spécifiques du droit de la propriété intellectuelle ; il en est ainsi de l'AMAPA (Association de médiation et d'arbitrage des professionnels de l'audiovisuel) dont l'objet est de faciliter le règlement des litiges entre auteurs (scénaristes et réalisateurs) et producteurs d'oeuvres de cinéma ou de télévision. Les médiations de l'AMAPA sont toujours des co-médiations : deux médiateurs issus des collèges "auteurs" et/ ou "producteurs" sont désignés par l'AMAPA en fonction de la nature du litige et de leur champ de compétences. Encore que faut-il noter que de part son fonctionnement, la procédure mise en place par l'AMAPA semble s'apparenter plus à une forme de conciliation qu'à de la médiation au sens strict du terme. Quoi qu'il en soit, les acteurs du milieu du cinéma sont souvent hostiles, et ce sans aucune raison évidente, au recours à la médiation. Ils reprouvent notamment l'insertion de clauses qui imposeraient de passer par la voie de la médiation avant toute procédure judiciaire. Il en est ainsi dans les contrats de droit interne mais également dans les relations avec les sociétés américaines, qui sont particulièrement hostiles à ce MARC.

Ceci étant, pour Madame Marie Salord, les magistrats de la troisième chambre du TGI de Paris ne sont pas favorables à une proposition systématique de recours à la médiation à quelque stade que ce soit de la procédure.

Lors de la première audience, certains litiges semblent se prêter tout particulièrement à ce mode alternatif de règlement. Il en sera notamment ainsi des arrêts de collaboration entre auteurs, artistes ou entre cotitulaires de brevets, ou encore des dossiers dans lesquels des sociétés sont en relations commerciales. Pour ces dernières, le procès et la cristallisation du conflit qu'il suppose mettra assurément fin à ces relations alors qu'il est évidemment préférable qu'elles continuent à entretenir des rapports d'affaires, ce qu'entraîne dans la plupart des cas le recours à la médiation. De même, de nombreuses affaires en matière de propriété intellectuelle mettent aux prises un auteur ou un compositeur qui ont créé ensemble de nombreuses oeuvres et les ayants droit de l'un d'eux, décédé. Ces dossiers quasi insolubles sur un plan strictement juridique, tant les aspects émotionnel et personnel entrent en ligne de compte, peuvent trouver une issue satisfaisante pour toutes les parties grâce à l'intervention d'un médiateur. Le magistrat pourra également identifier certaines affaires dans lesquelles, saisi d'un conflit tout à fait subsidiaire, il apparaît que le litige se situe en fait à un autre niveau, qu'il est nettement plus profond. Ce sera, par exemple, le cas dans lequel existent des relations entre un titulaire de marque et un distributeur et que, sous couvert d'une affaire de contrefaçon, se joue en réalité la fin des relations contractuelles. Ces dossiers là sont isolés et une proposition de médiation est donc faite aux avocats au stade de la première audience. En revanche, par manque de temps, les magistrats ne sont pas en mesure de suivre l'évolution de chaque dossier au stade de la mise en état, sachant que chaque magistrat gère par an en moyenne 150 dossiers.

Un nouveau regard sera souvent porté au dossier lors des incidents de procédure, notamment lorsqu'est effectuée, par l'une des parties, une demande d'expertise qui s'avèrera, dans la plupart des cas, longue et coûteuse, et qu'une médiation se révèlera préférable.

Lors d'une réunion récente de la Commission arbitrage et médiation de l'APRAM (Association des patriciens du droit des marques et des modèles), des bonnes pratiques, très intéressantes, ont été évoquées pour favoriser le recours à la médiation dans le contentieux des marques et des modèles.

Pour les avocats, il s'agirait :
- d'alerter les magistrats, éventuellement dans l'assignation, que la médiation est une voie envisageable ;
- de proposer la médiation au magistrat en se déplaçant lors de la mise en état.

Pour les magistrats, il s'agirait :
- de recourir plus systématiquement à des bulletins de procédure et d'envoyer un courrier ciblé aux parties en personne pour leur proposer la médiation ;
- de mettre en place des réunions d'information.

Au demeurant, certaines matières du droit de la propriété intellectuelle ne semblent pas, au regard des statistiques, propices à la voie d'un règlement amiable. Ainsi en est-il tout particulièrement du droit des brevets, au contraire du droit des marques qui présente un terrain plus favorable, notamment, lorsque sont en jeu des relations commerciales entre le titulaire des droits et un distributeur ou un licencié, ou encore lorsque le litige concerne deux dépôts et que les parties peuvent trouver un accord de coexistence ou conclure des licences croisées.

newsid:437679

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.