Lexbase Affaires n°344 du 27 juin 2013 : Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] L'article L. 321-1 du Code de la propriété intellectuelle ne confère pas aux sociétés de gestion collective des droits d'auteur et droits voisins, un droit général d'agir en justice dans l'intérêt d'autrui

Réf. : Cass. civ. 1, 16 mai 2013, n° 11-28.252, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5131KDE)

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[Jurisprudence] L'article L. 321-1 du Code de la propriété intellectuelle ne confère pas aux sociétés de gestion collective des droits d'auteur et droits voisins, un droit général d'agir en justice dans l'intérêt d'autrui. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8881401-cite-dans-la-rubrique-b-propriete-intellectuelle-b-titre-nbsp-i-larticle-l-3211-du-code-de-la-propri
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par Hélène de Vigan, avocat au barreau de Paris

le 27 Juin 2013

Dans un arrêt du 16 mai 2013, la première chambre civile de la Cour de cassation refuse de reconnaitre à la SPEDIDAM un droit d'agir en justice pour la défense des intérêts individuels de ses artistes adhérents après leur décès, à défaut de justifier d'un mandat de leurs héritiers identifiés. Si la société de gestion collective, après le décès d'un artiste adhérent, conserve un pouvoir de percevoir et reverser les rémunérations aux ayants droit de celui-ci, en revanche, elle ne peut pas intenter une action pour revendiquer une créance de réparation d'un préjudice subi par un artiste décédé.
Par cette décision, la Haute juridiction confirme un peu plus sa position visant à limiter l'application de l'article L. 321-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3459ADH), le droit d'agir en justice dans l'intérêt d'autrui revêtant un caractère exceptionnel. La SPEDIDAM est la société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes, société de gestion collective au sens des articles L. 321-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, dont le rôle est de gérer les droits des artistes-interprètes (musiciens, chanteurs, choristes ...) en matière d'enregistrement, de diffusion et de réutilisation des oeuvres. Elle défend donc tout particulièrement les artistes-interprètes ayant participé à des enregistrements faisant l'objet d'une utilisation secondaire, notamment pour la sonorisation d'oeuvres audiovisuelles ou de spectacles, et dont le nom ne figure pas au générique de ces oeuvres. Pour ce faire, l'une de ses missions importantes vise à l'identification des artistes-interprètes ayant effectué une prestation lors d'un enregistrement, grâce aux feuilles de présence signées par ses adhérents. En effet, l'identification des artistes-interprètes est essentielle pour l'exercice de leurs droits exclusifs et pour répartir la rémunération pour copie privée, la rémunération équitable et tous les autres droits qui sont perçus pour le compte des artistes-interprètes dont le nom n'apparaît pas au générique des oeuvres enregistrées.

Comme toute société de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes régulièrement constituée, la SPEDIDAM a qualité pour agir en justice pour la défense des droits dont elle a statutairement la charge.

En effet, l'article L. 321-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que : "les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes sont constituées sous forme de sociétés civiles. Les associés doivent être des auteurs, des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes, des éditeurs, ou leurs ayants droit. Ces sociétés civiles régulièrement constituées ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge [nous soulignons]".

La formule choisie par le législateur est assez générale et semble laisser une large latitude aux sociétés de gestion collective pour déterminer statutairement l'étendue de leur droit d'agir en justice pour la défense des intérêts qu'elles représentent.

Tel n'est pas réellement le cas, et la Cour de cassation rappelle dans cet arrêt du 16 mai 2013, que le droit d'agir en justice dans l'intérêt d'autrui revêtant un caractère exceptionnel, il ne peut résulter que de la loi. En application de l'article L. 321-1 du Code de la propriété intellectuelle, les sociétés de perception et de répartition des droits ont qualité pour ester en justice pour la défense des intérêts individuels de leurs membres ou adhérents, ainsi que pour l'intérêt collectif de la profession qu'elles représentent, lorsqu'il y a été porté atteinte du fait de l'utilisation sans rémunération des oeuvres ou prestations des auteurs, artistes-interprètes ou producteurs.

L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 16 mai 2013 sous examen (1) vient préciser les conditions du droit d'agir de la SPEDIDAM, et par là même de toute société de gestion collective des droits d'auteur et droits voisins, dans l'intérêt personnel de ses adhérents décédés.

Dans cette affaire, la SPEDIDAM avait constaté, en 2004, que trois vidéogrammes reproduisant des épisodes d'une série télévisée intitulée "Arsène Lupin" réalisée en 1968, avaient été coproduits par l'Institut national de l'audiovisuel (INA) sans autorisation préalable des musiciens dont la prestation avait illustré les épisodes à l'origine, ni celle de leurs représentants. La SPEDIDAM avait donc assigné l'INA devant le tribunal de grande instance de Créteil aux fins d'être indemnisée des préjudices subis par les vingt-trois artistes en cause, du fait de la reproduction illicite et de la communication au public de leurs prestations, et afin d'obtenir des dommages et intérêts dans l'intérêt collectif des artistes-interprètes. L'INA avait alors appelé en garantie les deux sociétés coproductrices des trois vidéogrammes litigieux. En première instance (2), le tribunal avait débouté la SPEDIDAM de ses demandes, à défaut pour cette dernière de rapporter la preuve de la participation des vingt-trois artistes à l'enregistrement d'une oeuvre utilisée par la suite pour la sonorisation des épisodes figurant sur les trois vidéogrammes litigieux, ni même d'une quelconque utilisation ultérieure d'un tel enregistrement.

En effet, comme il a été indiqué, l'une des difficultés pour la SPEDIDAM est de pouvoir procéder à l'identification des artistes-interprètes ayant participé à l'enregistrement faisant l'objet d'une d'utilisation secondaire pour la sonorisation d'oeuvres audiovisuelles et dont le nom ne figure pas au générique de ces oeuvres.

En l'espèce, le tribunal a considéré que les feuilles de présence versées aux débats, si elles permettaient bien d'attester de la participation des artistes-interprètes à une séance d'enregistrement, pour autant, ces feuilles de présence ne prouvaient pas que les prestations des artistes interprètes enregistrées à cette occasion auraient été reproduites dans les vidéogrammes litigieux.

La SPEDIDAM a fait appel du jugement l'ayant débouté de ses demandes. Or, en cause d'appel, l'INA a pu démontrer que douze des artistes-interprètes pour lesquels la SPEDIDAM présentait des demandes, étaient décédés. S'est donc posé alors, la question de la recevabilité de la SPEDIDAM à agir dans l'intérêt individuel de ses adhérents après leur décès.

La SPEDIDAM soutenait qu'elle était recevable à agir au nom des artistes-interprètes décédés en invoquant les dispositions de ses statuts selon lesquelles "en cas de décès d'un associé, les rémunérations, les rémunérations continueront à être versées à ses ayants droit" et celles de son règlement général qui prévoit que "en cas de décès d'un ayant droit, les droits lui revenant seront versés par la SPEDIDAM à ses héritiers identifiés". Mais, dans un arrêt du 21 septembre 2011, la cour d'appel de Paris (3) a relevé que ces dispositions étaient "sans pertinence en l'espèce où il est question, non des conditions de répartition des rémunérations perçues ou dues à des artistes-interprètes, mais d'action en justice en réparation du préjudice".

La cour d'appel procède donc à une distinction suivant qu'il s'agit pour la SPEDIDAM de percevoir des rémunérations dues à ses adhérents, même décédés, ou bien qu'il s'agisse d'agir en justice pour revendiquer une créance de réparation du préjudice d'un de ses adhérents décédé. Si la SPEDIDAM avait pu individualiser la rémunération due aux ayants droit des artistes-interprètes décédés pour lesquels elle procédait à des demandes, la solution aurait sans doute été différente, mais dans la mesure où la SPEDIDAM procédait à une demande de réparation d'un préjudice dont elle donnait, seulement à titre indicatif, une valeur moyenne, elle a été déclarée irrecevable à agir au nom des héritiers non identifiés de ses adhérents décédés.

S'agissant des onze artistes-interprètes encore vivants, la recevabilité de la SPEDIDAM à agir dans l'intérêt individuel de chacun d'eux n'était pas contestée, non plus que son intérêt à agir pour la défense des intérêts collectifs de la profession. Toutefois, la cour, comme précédemment le tribunal de grande instance, a considéré que la SPEDIDAM échouait à rapporter la preuve que les prestations exécutées par les onze artistes-interprètes présents pendant les séances d'enregistrement avaient bien été utilisées pour la sonorisation des épisodes reproduits dans les trois vidéogrammes litigieux. Dès lors, l'atteinte aux intérêts individuels des artistes-interprètes au nom desquels la SPEDIDAM avait agi n'étant pas rapportée, l'atteinte consécutive aux intérêts collectifs qu'elle a pour mission de défendre n'était pas davantage rapportée.

La SPEDIDAM a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cette décision. La question de la preuve relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond, le seul enjeu d'un tel pourvoi, pour la SPEDIDAM, résidait dans le fait de se voir reconnaître le droit d'agir en justice pour défendre l'intérêt individuel de ses membres, artistes-interprètes, après leur décès. Devant la Cour de cassation, la SPEDIDAM faisait valoir que les héritiers étant tenus par les conventions que leur auteur a passées, la cession par un artiste-interprète de ses droits de propriété intellectuelle à une société de gestion collective devait perdurer après le décès de l'artiste. Selon la SPEDIDAM, son droit d'action en justice ne résultait pas d'un mandat qui lui aurait été donné par l'artiste-interprète ou ses héritiers, mais de l'apport de ses droits que l'artiste-interprète lui avait fait lors de son adhésion. Le raisonnement était alors de dire que cet apport restant la propriété de la SPEDIDAM lors du décès de l'artiste-interprète, la société de gestion collective conservait un intérêt à agir, même après le décès de ses adhérents sans avoir à solliciter un mandat des héritiers.

Mais la première chambre civile rejette ce raisonnement et répond par un attendu qu'elle reprend dans un autre arrêt du même jour (4) :
"le droit d'agir en justice dans l'intérêt d'autrui, revêtant un caractère exceptionnel, ne peut résulter que de la loi, sans que la SPEDIDAM prétende qu'une disposition légale l'investirait du droit d'agir en toutes circonstances en réparation d'un préjudice subi par tel de ses adhérents décédé pour le compte des héritiers de celui-ci, au demeurant non identifiés et donc non avertis de cette action ; que ces motifs font exactement ressortir qu'une créance de réparation dont la victime ne s'est pas prévalue de son vivant, élément de l'actif successoral transmis ensuite à ses ayants cause universels, ne peut être invoquée en justice que par eux, sauf à ce qu'ils aient donné à un tiers mandat d'y procéder, élément dont l'absence est précisément constatée".

Quels que soient ses statuts, la SPEDIDAM, et par en conséquent, toute société de gestion collective des droits d'auteur et droits voisins, ne peut donc pas agir en justice pour défendre les intérêts de l'un de ses membres ou adhérents décédé, sauf à justifier d'un mandat spécifique de ses ayants droit identifiés.

On notera par ailleurs, que dans le même temps, la SPEDIDAM tentaient dans plusieurs autres affaires (5), de se voir reconnaître un pouvoir général d'agir en justice pour la défense des intérêts des artistes-interprètes, même lorsqu'ils ne sont pas membres, toujours au visa de l'article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, et de ses statuts dont l'article 3 prévoit que : "la société a pour objet l'exercice et l'administration dans tous pays, de tous les droits reconnus aux artistes-interprètes par le Code de la propriété intellectuelle et par toute disposition nationale, communautaire ou internationale", et qu'"à cette fin, la société a qualité pour ester en justice tant dans l'intérêt individuel des artistes-interprètes que dans l'intérêt collectif de la profession pour faire respecter les droits reconnus aux artistes-interprètes par le code de la propriété intellectuelle ainsi que par toute disposition nationale, communautaire ou internationale".

Mais la première chambre civile de la Haute juridiction (6) a affirmé que "quels que soient ses statuts, une société de perception des droits d'auteur, des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes ne peut être admise à ester en justice pour défendre les droits individuels d'un artiste-interprète qu'à la condition qu'elle ait reçu de celui-ci pouvoir d'exercer une telle action".

Si les sociétés de gestion collective se sont vues attribuer par le législateur qualité pour agir en justice pour la défense des droits dont elles ont la charge, la jurisprudence refuse de leur reconnaitre un droit général d'agir en justice dans l'intérêt d'autrui, et ce, quelles que soient leurs dispositions statutaires.


(1) La première chambre civile a rendu deux arrêts le 16 mai 2013, statuant sur le droit d'agir en justice pour la SPEDIDAM dans l'intérêt de ses adhérents décédés : Cass. civ. 1, 16 mai 2013, n° 11-28.252, FS-P+B+I et Cass. civ. 1, 16 mai 2013, n° 12-18.493, F-D (N° Lexbase : A5096KD4).
(2) TGI Créteil, 12 mai 2009, n° 04/12314.
(3) CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 21 septembre 2011, n° 09/15631 (N° Lexbase : A7152H7Z).
(4) Cf., également, Cass. civ. 1, 16 mai 2013, n° 12-18.493, F-D, préc..
(5) Cf. Cass. civ 1, 19 février 2013, n° 11-21.310, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2374I8G), Cass. civ. 1, 16 mai 2013, n° 12-18.493, F-D, préc., et Cass. civ 1, 29 mai 2013, n° 12-16.583, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3721KEK)
(6) Cass. civ 1, 16 mai 2013, n° 12-18.493, préc..

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